Focus - LexisNexis
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LOYERS ET COPROPRIÉTÉ - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - SEPTEMBRE 2015 ● 53 ALERTES Focus La loi Macron et le bail commercial : faut-il notifier ou signifier ? Philippe-Hubert BRAULT, avocat au barreau de Paris et Élodie MARCET, avocat au barreau de Paris L’article 20 de la loi Pinel du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises avait apporté des modifications au mode de délivrance du congé à l’instigation de l’une ou de l’autre des parties en autorisant sa notification par lettre recommandée avec accusé de réception. Cette initiative avait été maintenue, en dépit des critiques qu’elle avait suscitées dans la mesure où dans un contexte aussi formaliste que le droit des baux commerciaux, il ne paraissait pas souhaitable qu’une des parties concernées effectue une démarche dont la nullité pouvait être encourue, faute d’avoir satisfait à tous les impératifs légaux (C.-E. Brault, Loi du 18 juin 2014 : le congé et les évolutions procédurales : Gaz. Pal. Droit des baux commerciaux 7-8 août 2014, p. 37. - J.-D. Barbier, La procédure et les actes extrajudiciaires : Loyers et copr. 2014, dossier 9). Ce dispositif a été complété par le décret n° 2014-1317 du 3 novembre 2014 qui a introduit dans le statut des baux commerciaux l’article R 145-1-1 qui précise que, lorsque le congé est donné par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception, la date du congé est celle de la première présentation de la lettre : dans le cadre de l’analyse des différentes dispositions de ce décret (Ph.-H. Brault, Bail commercial : analyse de la portée des dispositions du décret n° 2014-1317 du 3 novembre 2014 relatif à la mise en œuvre des dispositions de la loi du 18 juin 2014 : Loyers et copr. 2014, étude 12), on a fait observer que cette disposition, non conforme à celle retenue en matière de baux d’habitation par la jurisprudence, permettrait à l’auteur du congé de satisfaire plus facilement au respect du préavis de six mois prévu par l’article L. 145-9, car une initiative tardive, quelques jours avant cette échéance, aurait pu avoir pour conséquence de reporter la date d’effet du congé au terme d’usage suivant, selon la procédure prévue par les dispositions légales (V. sur ce point, J. Monéger, La simplification du droit entre bonjour tristesse et adieu maîtresse : Mirza n’ira pas en vacances : Loyers et copr. 2012, repère 4. - Ph.-H. Brault, Simplification du droit et tacite reconduction : Loyers et copr. 2012, alerte 28). On aurait pu supposer que le législateur prenne en considération les critiques justifiées émises par différents auteurs, mais le coût de l’exploit d’huissier a prévalu sur les considérations liées à l’information et à la protection du preneur (V. J. Monéger, commentaire article L. 145-9 du Code des baux : D. 2015, p. 772) : la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, dite loi Macron, relative à la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques vient à nouveau de modifier plusieurs textes qui régissent le statut des baux commerciaux, en précisant le domaine respectif de la notification par lettre recommandée avec accusé de réception et celui de la signification par exploit d’huissier. L’article 207 de la loi a pour objet : - d’apporter des retouches aux dispositions qui régissent le congé et la demande de renouvellement ; - de modifier les modalités d’exercice du droit d’option par le bailleur qui a précédemment refusé le renouvellement ; - de préciser les conditions dans lesquelles la déspécialisation peut être sollicitée par le preneur. 1. Le congé A. - Le congé de l’article L. 145-9 du Code de commerce L’article 20 de la loi du 18 juin 2014 avait institué, dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions de l’article L.145-9 du Code de commerce, une alternative, laissée au libre de choix de l’auteur du congé, qu’il soit bailleur ou locataire : celui-ci pouvait être signifié par acte extrajudiciaire ou notifié par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception. Le dernier alinéa de l’article L. 145-9 du Code de commerce était en conséquence le suivant : « Le congé doit être donné par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte extrajudiciaire, au libre choix de l’une des parties. Il doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d’une indemnité d’éviction, doit saisir le tribunal avant l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné ». L’article 207 de la loi Macron prévoit désormais en son point I. 2° que : « Après les mots : « donné par », la fin de la première phrase du dernier alinéa de l’article L. 145-9 est ainsi rédigée : « acte extrajudiciaire » ». On doit donc en déduire un retour au texte antérieur puisque l’alinéa 5 de l’article L. 145-9 se trouve désormais ainsi rédigé : « Le congé doit être donné par acte extrajudiciaire. Il doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d’une indemnité d’éviction, doit saisir le tribunal avant l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné ». Tout congé délivré soit à l’instigation du bailleur, soit du preneur, sur le fondement des dispositions de l’article L. 145-9 du Code de commerce, tant pour le terme du bail qu’en période de tacite prolongation, doit donc nécessairement être assujetti, à notre sens, à la signification d’un exploit d’huissier. Certains semblent toutefois estimer que les dispositions de l’article L. 145-9 du Code de commerce ne concerneraient que le congé délivré à l’instigation du bailleur ; il reste que les règles édictées par ce texte concernent tous les congés, quels qu’en soient leurs auteurs, sauf dérogation spécifique découlant notamment des nouvelles dispositions de l’article L. 145-4 du Code de commerce ci-après examinées et relatives au congé triennal. B. - Le congé de l’article L. 145-4 du Code de commerce ‰ Si l’on se réfère ensuite au texte qui régit la délivrance d’un congé en cours de bail, et donc au terme d’une période triennale, par le preneur, on note que la loi Macron a modifié l’article 2 de l’article L. 145-4 en supprimant la référence explicite aux « formes et délai de l’article L. 145-9 ». Sa nouvelle rédaction est la suivante : « Toutefois, le preneur a la faculté de donner congé au moins six mois à l’avance par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte extrajudiciaire ». Le congé notifié dans cette hypothèse ne relèverait donc plus des règles de droit commun découlant de l’article L. 145-9 du Code de commerce, mais exclusivement des conditions de forme et de délai imposées par ce texte, qui ne font nullement référence au rappel de la prescription biennale... On peut par ailleurs s’interroger sur les modalités d’application du nouveau texte à l’égard des baux qui restent assujettis à un régime particulier (locaux monovalents, à usage exclusif de bureau ou de stockage) dès lors que cette dérogation est maintenue par la loi Macron : on doit supposer que si le preneur se voit reconnaître par le bail, dans l’une ou l’autre de ces hypothèses, la faculté de notifier congé en vue de l’échéance triennale, ledit acte devra être conforme aux nouvelles prescriptions légales de l’article L. 145-4 alinéa 2. 3 ALERTES Il reste que, à notre sens, ces nouvelles dispositions ne peuvent concerner que le congé délivré en cours de bail, et que le congé délivré soit par le bailleur, soit à la requête du preneur, pour le terme du bail ou pour mettre fin à sa tacite prolongation continue à relever exclusivement des dispositions de l’article L. 145-9 du Code de commerce, supposant sa délivrance par exploit d’huissier. La suppression par le législateur, au sein de l’article L. 145-4, alinéa 2 du Code de commerce, de la référence explicite aux dispositions de l’article L. 145-9 du même code, semble d’ailleurs plaider en ce sens... ‰ L’article 207 de la loi Macron modifie également l’alinéa 3 de l’article L. 145-4 du Code de commerce afférent au congé dont le bailleur prend l’initiative afin de construire, reconstruire ou de surélever l’immeuble existant, de réaffecter le local d’habitation accessoire à cet usage ou d’exécuter des travaux prescrits ou autorisés dans le cas d’une opération de restauration immobilière et en cas de démolition de l’immeuble dans le cadre d’un projet de renouvellement urbain : « ...Le bailleur a la même faculté dans les formes et délais de l’article L. 145-9... ». ce qui l’implique l’obligation de signifier, dans ce cas, le congé par ministère d’huissier. ‰ Enfin, le nouveau texte évoque l’hypothèse où le commerçant qui a demandé de bénéficier de ses droits à la retraite entend notifier un congé pour dénoncer par anticipation le bail en cours : celui-ci « a la faculté de donner congé dans les formes et délais prévus au deuxième alinéa du présent article » (C. com., art. L. 145-4 avant-dernier al.). Le preneur ne se voit donc plus imposer - comme c’était le cas auparavant - la signification du congé par acte extrajudiciaire et n’aurait donc plus l’obligation, dans cette hypothèse également, de rappeler les modalités d’application de la prescription biennale, dès lors qu’il s’agit d’un régime dérogatoire au droit commun. Il est manifeste que le législateur a entendu imposer une dualité de régime impliquant une démarche plus libérale et moins onéreuse pour le preneur : il reste à s’interroger sur la cohérence de celle-ci, a fortiori dans le contexte très formaliste du statut des baux commerciaux, dès lors que la modification apportée aux dispositions de l’article L. 145-9 laisse supposer que dans certaines hypothèses, le preneur ne bénéficiera pas de l’option que le législateur souhaitait lui accorder. Il appartiendra aux tribunaux et aux cours d’appel de préciser la portée exacte d’un texte qui peut prêter à controverse. 2. La demande de renouvellement C’est cette même démarche qui a été retenue dans la mesure où la même distinction est faite entre la forme de la demande du locataire et la réponse du bailleur. ‰ L’article L. 145-10, alinéa 2 dispose désormais que : « La demande en renouvellement doit être notifiée au bailleur par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ». Il faudra beaucoup de sagacité au locataire qui souhaitera, sans être épaulé juridiquement, rédiger lui-même et adresser en recommandé une demande dont le ou les destinataires doivent être soigneusement identifiés, de même que les mentions prescrites à peine de nullité. ‰ Corrélativement, le bailleur ne peut disposer du même choix et se voit imposer, comme auparavant, en cas de refus, la notification par exploit d’huissier. À cet effet, l’alinéa 4 dispose : « Dans les trois mois de la notification de la demande de renouvellement, le bailleur doit par acte extrajudiciaire, faire connaître au demandeur s’il refuse le renouvellement en précisant les motifs de ce refus. À défaut d’avoir fait connaître ses intentions dans ce délai, le bailleur est réputé avoir accepté le principe du renouvellement du bail précédent ». On rappellera que l’alinéa suivant indiquait déjà que le refus devait être notifié par acte extrajudiciaire outre les mentions prescrites dans 4 LOYERS ET COPROPRIÉTÉ - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - SEPTEMBRE 2015 cette hypothèse : en cas d’acceptation implicite ou explicite, on rappellera que l’exigibilité du nouveau prix souhaité par le bailleur reste tributaire de la notification prévue par l’article L. 145-11 du Code de commerce. 3. La déspécialisation La notification par lettre recommandée avec demande d’avis de réception fait également son apparition dans la procédure de déspécialisation, dont on peut douter qu’elle connaisse pour autant une embellie. Trois textes sont concernés par les modifications ponctuelles découlant de la loi du 6 août 2015 : 1) dans le cadre de la déspécialisation partielle, l’article L. 145-47 est modifié pour permettre au locataire de notifier, désormais, sa demande soit par acte extrajudiciaire, soit par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ; 2) dans le cadre de la déspécialisation plénière, l’article L. 145-49 est également modifié pour permettre au locataire de notifier sa demande selon la même alternative ; 3) enfin la faculté pour le preneur de renoncer finalement à sa demande régie par l’article L. 145-55 du Code de commerce est également modifiée en ce sens. Si, globalement, la démarche peut être approuvée, on peut s’interroger sur la computation des délais qui découlera du choix par le preneur de la lettre recommandée : on rappellera en effet que l’article R. 145-1-1 (V. supra) ne s’applique qu’au congé notifié sous cette forme, tandis qu’en droit commun, selon le Code de procédure civile : « La date de la remise est celle du récépissé ou de l’émargement. La date de réception d’une notification faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception est celle apposée par l’administration des postes lors de la remise de la lettre à son destinataire... » (V. J.-D. Barbier, La procédure et les actes extrajudiciaires : Loyers et copr. 2014, dossier 9). 4. Exercice du droit d’option par le bailleur Le droit d’option du bailleur découle des dispositions des articles L. 145-57 et L. 145-58 du Code de commerce : les conditions dans lesquelles devait être exercé le droit de repentir consécutif au refus de renouvellement initialement opposé au preneur n’étaient pas déterminées par le texte légal et la jurisprudence avait admis la validité de tout acte manifestant clairement la volonté du bailleur de renoncer à l’éviction et d’offrir le renouvellement du bail (C. baux : D. 2015, art. L. 145-58, note 3). Cependant, un autre texte avait pour objet de préciser la date à laquelle le nouveau bail prendrait effet à la suite du repentir : le dernier alinéa de l’article L. 145-12 du Code de commerce indiquait que le point de départ du bail serait le jour où l’acceptation aurait été signifiée par acte extrajudiciaire. La loi Macron autorise désormais, implicitement, la notification de l’exercice du droit de repentir par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, dont la notification produit le même effet que l’acte extrajudiciaire signifié par l’huissier. On peut se féliciter d’une telle initiative mais, là encore, se posera la question de la date de prise d’effet du nouveau bail : faudra-t-il retenir la date d’émargement par le destinataire ou celle de la première présentation de la lettre au destinataire ? Si, par ailleurs, le droit de repentir est exercé pendant le délai de quinzaine prévu par l’article L. 145-58, est-il prudent, eu égard aux incertitudes qui en découlent, de faire l’économie d’un acte d’huissier ? En résumé, les modifications ponctuelles découlant de la loi du 6 août 2015 ne sont pas de nature à apporter une simplification réelle des initiatives prises par le bailleur ou le preneur dans le cadre des baux commerciaux assujettis au statut : on peut craindre, au contraire, une extension du contentieux découlant d’actes notifiés et non signifiés dans des conditions de nature à permettre une sauvegarde efficace des droits locatifs.