la transition de la criee a la cotation electronique a la bourse de paris
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la transition de la criee a la cotation electronique a la bourse de paris
Sociologie du travail 47 (2005) 485–501 http://france.elsevier.com/direct/SOCTRA/ Contenir le marché : la transition de la criée à la cotation électronique à la Bourse de Paris Containing the market: The transition from open outcry to electronic trading at the Paris Bourse Fabian Muniesa Centre de sociologie de l’innovation, École des mines de Paris, 60, boulevard Saint-Michel, 75272 Paris cedex 06, France Résumé À la Bourse de Paris, dans les années 1980, le marché à la criée fut totalement remplacé par un système de cotation électronique (Cac). Dans cet article, nous nous intéressons aux circonstances qui ont rendu possible cette transition. Nous étudions les divers compromis, à la fois sociaux et techniques, que les responsables de cette innovation ont construits dans le but de stabiliser le nouveau dispositif marchand. Il s’agissait notamment, pour eux, d’inscrire dans le dispositif les intérêts contradictoires des acteurs à l’œuvre : les banquiers et les agents de change. Cette étude de cas contribue ainsi à la sociologie économique en mettant en évidence les relations qui existent entre la construction d’un dispositif technique et les intérêts qui se nouent autour de la « modernisation » d’un marché. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Open outcry was fully replaced at the Paris Bourse by an automated trade execution system (CAC) in the late 1980s. In this article, we focus on the circumstances that made this transition possible. We analyze the diverse compromises (both social and technical) that the officials and engineers in charge of the innovation process constructed in order to stabilize the new market device. They had to carefully inscribe into the new system the interests of the actors at stake: bankers and stockbrokers. This case study contri- Adresse e-mail : [email protected] (F. Muniesa). 0038-0296/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.soctra.2005.10.004 486 F. Muniesa / Sociologie du travail 47 (2005) 485–501 butes to economic sociology by drawing a relation between a technical device and the interests set around the “modernization” of a market. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Criée ; Automatisation ; Ordinateurs ; TIC (technologies de l’information et de la communication) ; Marchés financiers ; Enchères ; Courtiers ; Sociologie économique ; Sociologie des sciences et des techniques Keywords: Open outcry; Automation; Computers; ICTs (information and communication technologies); Financial markets; Auctions; Stockbrokers; Economic sociology; Science and technology studies; France Les marchés financiers constituent, du fait de leur degré élevé de sophistication technique, un terrain particulièrement intéressant pour examiner le rôle des dispositifs matériels dans la formation des pratiques économiques. Plusieurs études récentes ont ainsi mis en évidence l’importance des formats de l’information dans la façon d’appréhender les marchés et le caractère équipé des agissements marchands en finance (voir notamment Beunza et Stark, 2004 ; Godechot, 2000 ; Godechot, 2001 ; Izquierdo, 2001 ; Knorr Cetina et Bruegger, 2002 ; Lépinay et Rousseau, 2000 ; MacKenzie, 2003 ; MacKenzie, 2004 ; MacKenzie et Millo, 2003 ; Martin, 2002 ; Martin, 2004 ; Preda, 2003 ; Zaloom, 2003). L’informatisation constitue un élément particulièrement important dans une telle caractérisation des marchés financiers (Godechot et al., 2000). Elle met les marchés à l’épreuve de l’explicitation : les modalités de mise en rapport des acteurs ainsi que leurs capacités de calcul sont sujettes à un codage strict, ce qui contribue à rendre plus explicites les rapports de force qui caractérisent le marché (Callon et Muniesa, 2003). Dans cet article, nous contribuons à cette approche à partir d’une étude de cas sur l’automatisation d’une bourse des valeurs1. La Bourse de Paris (aujourd’hui Euronext) devint un marché totalement informatisé à la fin des années 1980. « Automatisation » signifie, dans ce contexte précis, l’automatisation de l’exécution des ordres, c’est-à-dire l’informatisation du processus par lequel les ordres d’achat et de vente sont appariés, les cours de marché sont déterminés et les titres échangés sont alloués. Dans le cas de la Bourse de Paris, cette automatisation s’est traduite par le démantèlement, entre 1986 et 1989, du marché à la criée qui se tenait sur le parquet du Palais Brongniart à Paris2. La production des cours n’était désormais plus issue de la confrontation en face-à-face des agents de change (les courtiers de la place parisienne de l’époque), mais déléguée à une machine. Le système de cotation électronique parisien, Cac (Cotation assistée en continu), avait été importé du Canada. Il s’agissait d’une version de Cats (Computer assisted trading system), le dispositif de cotation qui fonctionnait à la Bourse de Toronto depuis 1977, considéré comme le premier système de négociation totalement automatisé. Cats fournissait un « carnet d’ordres électronique » : les ordres d’achat et de vente en attente pour une valeur boursière donnée sont inscrits dans une mémoire informatique (le carnet d’ordres ou, aussi, « feuille de marché »), ordonnés puis appariés et exécutés selon un algorithme d’enchère3. Les négociateurs utilisaient désormais leurs terminaux d’ordinateur pour observer l’état du marché et transmettre leurs ordres. 1 Cette étude est issue d’une thèse doctorale réalisée au laboratoire de sciences sociales de France Télécom Recherche & Développement et au Centre de sociologie de l’innovation de l’École des mines de Paris (Muniesa, 2003). 2 Par la suite, les locaux du Palais Brongniart ont été animés par les activités des marchés organisés de produits dérivés (le Matif et le Monep) jusqu’à l’informatisation complète de ces derniers en 1998. 3 Pour une étude de certaines propriétés de cet algorithme, voir (Muniesa, 2000). F. Muniesa / Sociologie du travail 47 (2005) 485–501 487 Nous allons limiter la portée de cet article à la question suivante : comment la transition de la criée vers le marché automatisé a-t-elle été rendue possible ? Notre analyse4 ne porte pas sur les grandes tendances dans lesquelles s’inscrit la transformation de la finance française dans les années 1980 (Loriaux, 1991 ; Schmidt, 1996). Elle s’attarde plutôt sur les circonstances qui expliquent que cette grande phase de modernisation se soit traduite, à un moment précis et dans un lieu précis, par une innovation technique particulière : une bourse automatisée en continu sans négociation en face-à-face. Une bourse en effet peut être modernisée et informatisée de maintes façons sans que cela passe par la suppression de la criée. Nous nous intéressons donc aux scénarios que cette innovation marchande incorpore et aux opérations de traduction qu’elle a mises en œuvre, ce qui nous rapproche donc d’une perspective d’anthropologie des sciences et des techniques (Akrich, 1987 ; Akrich, 1989 ; Akrich et al., 1988 ; Callon, 1986 ; Latour, 1987). Dans une première partie, nous présentons schématiquement la situation précédant l’automatisation. Nous exposons sommairement, ensuite, le programme de réforme informatique. Dans une troisième partie, nous nous centrons sur le choix de Cats. Nous présentons, dans une quatrième partie, les différents ressorts de la campagne de promotion de Cats/ Cac auprès des agents de change. Dans la cinquième partie, qui comprend les arguments centraux de cet article, nous insistons plus en détail sur les aspects techniques qui ont assuré la stabilisation du nouveau dispositif marchand. 1. La Bourse de Paris au début des années 1980 La finance française du début des années 1980 était caractérisée par les difficultés d’articulation entre deux champs complémentaires, aux intérêts hétérogènes et parfois opposés : celui des banquiers et celui des agents de change. Si la finance (en tant qu’entreprise capitaliste) relevait des banquiers, le marché (en tant qu’activité de négociation) était l’affaire des agents de change. La frontière entre ces deux sphères était relativement rigide. L’organisation de l’industrie financière française divergeait, en effet, des modèles anglo-américains dans lesquels les courtiers constituaient des firmes financières puissantes et les banques agissaient aussi en tant que professionnels du marché. La Bourse de Paris était régie par les agents de change. Ces courtiers professionnels, réunis au sein de la Compagnie des agents de change, constituaient une communauté fermée et bénéficiaient d’un monopole sur la cotation (Lehmann, 1997). Tout investisseur ou banquier souhaitant passer un ordre de bourse devait le faire à travers l’une des charges d’agent de change (les ancêtres des sociétés de bourse), seuls établissements habilités à opérer sur le parquet du Palais Brongniart. Les agents de change jouissaient d’un statut d’officier ministériel et transmettaient leur charge de manière héréditaire. La Bourse de Paris fonctionnait selon un régime de négociation éminemment personnel (traitements de faveur, connivence, irrégularités dans la cotation tolérées au profit de fortunes personnelles). Cependant, en dépit de ces prérogatives, l’usage de fonds propres était limité pour les agents de change : la loi ne leur autorisait pas à utiliser leur propre 4 Cette analyse se base sur un ensemble de 13 entretiens (complétés par deux correspondances écrites) réalisés entre 1999 et 2002 avec divers responsables de la Société des bourses françaises (maintenant Euronext) et divers acteurs ayant joué un rôle dans l’informatisation de la Bourse de Paris dans les années 1980. Nous avons également consulté divers matériaux documentaires issus des centres de documentation de la Bourse de Paris et de la Bourse de Toronto et des archives personnelles des personnes interrogées. 488 F. Muniesa / Sociologie du travail 47 (2005) 485–501 capital pour se porter contrepartie des ordres de leurs clients5. D’une part, les agents de change étaient des professionnels de la cotation mais n’avaient pas la force financière des courtiers qui opéraient en tant que « dealers » ou « market makers » dans les marchés de Londres, Chicago ou New York. D’autre part, les banques françaises possédaient les réseaux nécessaires pour construire une industrie financière puissante mais ne pouvaient pas devenir des professionnels du marché, comme l’étaient des « investment banks » anglo-américaines. L’organisation de la cotation à la Bourse de Paris était complexe et se basait sur des méthodes relativement traditionnelles (Défossé et Flornoy, 1986 ; Bacot et al., 1989)6. Plusieurs méthodes coexistaient à l’intérieur (et à l’extérieur) du parquet boursier. Parmi celles-ci, la criée jouait un rôle majeur. Vers midi, après avoir collecté les ordres de leurs clients, les agents de change et leurs commis se rencontraient au Palais Brongniart. À 12 h 30, le début de la cotation était annoncé. Les valeurs cotées étaient distribuées en plusieurs groupes de criée. Les agents de change opéraient eux-mêmes à la Corbeille, et étaient représentés par des commis dans les groupes restants. Dans chaque groupe, les valeurs étaient cotées l’une à la suite de l’autre, selon un ordre préétabli. Chaque valeur était donc cotée une seule fois par jour (au plus deux ou trois fois) : il n’y avait pas de flux continu de cotation intrajournalière. La cotation de chaque valeur se faisait selon une modalité d’enchère connue à Paris sous le nom de « fixing ». Les débats de chaque fixing étaient dirigés par un coteur. Les commis et agents de change indiquaient, par la voix et les gestes, la quantité de titres qu’ils étaient prêts à acheter ou à vendre au prix proposé par le coteur. Celui-ci cherchait, au fil des propositions successives, le prix qui rendait possible l’échange d’une quantité maximale de titres. Il indiquait les cours proposés sur une ardoise. Des transactions étaient engagées par simple accord verbal entre les agents de change. Dès que le prix défini par le coteur était ferme (il le soulignait sur l’ardoise), les négociations étaient rendues définitives et une nouvelle valeur était appelée à cotation. À 14 h 30, le marché était clos. 2. Le programme de modernisation La cotation était organisée selon ce procédé sur le parquet du Palais Brongniart jusqu’à la moitié des années 1980. « À l’époque », nous rapporte l’un des responsables de l’informatisation, « le marché de Paris, qui était un marché au fonctionnement préhistorique, c’était l’éponge et la craie ; il devait y avoir, en tout et pour tout, 5 ou 6 terminaux sur le parquet juste pour rentrer les cours cotés, rien de plus » (entretien 20/04/99). Vers la fin des années 1970, certains responsables de la chambre syndicale de la Compagnie des agents de change ont commencé à s’interroger sur l’état de cette technologie et à alerter les agents de change sur son caractère vétuste. Mais, malgré ces alertes, les professionnels de la criée étaient plutôt défavorables à toute innovation technologique, légale ou organisationnelle susceptible de redéfinir leurs compétences professionnelles, de mettre en cause leur monopole ou d’alourdir les frais de fonctionnement de leur profession. 5 L’utilisation de fonds propres, quoique illicite, pouvaient être courante sur le parquet parisien, mais son but consistait plutôt à alimenter des arrangements personnels qu’à promouvoir une industrie de l’intermédiation financière. 6 Les pratiques de négociation du début des années 1980 ne semblent pas avoir évolué de manière significative depuis la moitié du XXe siècle. Mais le terme « traditionnel » est relatif. Des descriptions historiques du fonctionnement des opérations boursières à Paris au XIXe siècle rapportent des usages bien différents qui comprenaient, entre autres, la cotation en continu (Walker, 2001). F. Muniesa / Sociologie du travail 47 (2005) 485–501 489 Encadré 1 Quelques variétés de cotation boursière (années 1980) La Bourse de Paris avant l’automatisation : ● Un marché « dirigé par les ordres » (ou « marché de courtiers »), c’est-à-dire basé sur un dispositif centralisé et public où les cours sont fixés par la confrontation directe des ordres d’achat et de vente (à la criée, sur le parquet de la Bourse), avec un cours unique par valeur à un instant donné. ● Un seul cours par valeur et par journée boursière, pas de cotation en continu. ● Un degré d’informatisation faible, limité à la collecte des ordres. La Bourse de Londres : ● Un marché « dirigé par les prix » (ou « marché de marchands de titres »), c’est-à-dire basé sur la présence de plusieurs intermédiaires appelés « teneurs de marché » (market makers ou dealers) qui proposent plusieurs prix d’achat et de vente pour des valeurs en négociant pour leur propre compte. ● Une cotation en continu, c’est-à-dire avec des cours qui varient pour chaque valeur au long de la séance boursière. ● Le système Seaq (inspiré du Nasdaq) permet aux market makers de communiquer leurs prix électroniquement. La Bourse de New York : ● Un marché hybride (« dirigé par les ordres » mais avec « marchands de titres »), dans lequel la confrontation directe des ordres joue un rôle dans la détermination des prix, mais où des intermédiaires (les specialists) proposent aussi des prix en achetant et vendant pour leur propre compte. ● Une cotation en continu. ● Un parquet actif, avec présence des specialists sur place, et caractérisé par un niveau d’informatisation élevé (routage des ordres et publication des prix des specialists). La Bourse de Toronto : ● Un marché « dirigé par les ordres » où cohabitent une criée (pour les valeurs les plus importantes) et un système électronique, Cats (pour les valeurs à faible liquidité). ● Un marché continu. ● Le système Cats permet de se passer de la criée pour certaines valeurs, mais il existe toujours des terminaux de négociation à l’intérieur de l’enceinte de la Bourse. La Bourse de Paris après l’automatisation : ● Un marché « dirigé par les ordres », totalement basé sur le système Cac (issu de Cats) dans lequel un algorithme d’enchère double organise la confrontation des ordres d’achat et de vente. ● Une cotation en continu. ● Le parquet de la Bourse se vide, les négociateurs intervenant à distance sur le système Cac. 490 F. Muniesa / Sociologie du travail 47 (2005) 485–501 La compétition entre places boursières internationales constituait, cependant, une menace croissante. Les évolutions de la finance internationale ne pouvaient être éludées. Les investisseurs de grande taille proposaient de passer leurs ordres sur des places étrangères pour des sociétés françaises qui se faisaient déjà coter ailleurs (à Londres, notamment)7. Avec les sociétés cotées, ils commençaient à critiquer un marché qui ne fournissait qu’un cours journalier et qui était trop exposé aux arrangements personnels des agents de change. Les investisseurs et les compagnies cotées avaient un allié de taille : l’État lui-même, qui comptait leur accorder un rôle central dans la réforme du financement de l’économie entreprise par le ministère de René Monory. Le rapport Pérouse, commandité en 1979 et publié en 1981, était le résultat des travaux et discussions d’une commission8 mise en place par R. Monory pour évaluer les conditions techniques qui pourraient mener à une réforme des structures financières françaises. Il témoigne de l’engagement du gouvernement dans le projet de rendre les techniques financières françaises « compatibles » (Commission Pérouse, 1981, vol. I, p. 5) avec celles utilisées à l’étranger, dans un contexte d’internationalisation de la finance qui presse à l’alignement. Les démarches d’Yves Flornoy, à la tête de la chambre syndicale (le comité exécutif de la Compagnie des agents de change), jouèrent un rôle considérable dans l’activation de cette initiative gouvernementale (Bacot et al., 1989, pp. 30–41 ; Commission Pérouse, 1981, vol. I, p. 7). La question centrale était comment développer une structure financière capable d’absorber les nouveaux modes d’ajustement économiques dessinés par le gouvernement. Au centre de la réponse s’insinuait un nouveau personnage qui était encore relativement étranger aux marchés financiers français : l’ordinateur. C’est dans les pages du rapport Pérouse que l’on peut observer, à un stade embryonnaire, les arguments en faveur d’un marché continu informatisé et l’ébauche d’une transformation radicale du monde des agents de change9. En dépit de l’insistance sur la nécessité d’un marché continu, peu de choses sont explicitées sur la manière de mettre en œuvre cette réforme. Une question centrale est éludée dans les pages du rapport Pérouse, ou mentionnée en termes seulement hésitants : le marché continu devait-il passer par la suppression de la criée ? Comme le montrent plusieurs exemples significatifs (dont la Bourse de New York), un marché organisé peut fonctionner en continu sur le parquet, avec une forte assistance informatique, sans automatisation complète. Le rapport Pérouse est parsemé de précautions rhétoriques sur le statut de « l’ordinateur ». Les machines viendraientelles équiper la criée, ou la remplacer ? À quoi devra ressembler un marché « en continu » ? À un parquet truffé d’écrans ou à un parquet vide ? Que veut dire, au fond, « informatiser » ? Dans le rapport Pérouse, la controverse sur le sens de l’informatisation était loin d’être close. L’une des principales activités des membres de la Commission Pérouse pendant la préparation du rapport a consisté à voyager. Plusieurs visites des institutions marchandes furent organisées : à New York, Washington, Toronto, Londres, Francfort, Zurich, Amsterdam, Tokyo et Osaka (Commission Pérouse, 1981, vol. I, pp. 10–11). Les auteurs du rapport Pérouse ont affirmé qu’il n’existait pas, à l’étranger, de modèle transposable tel quel sur la place pari7 En 1979, le total des transactions portant sur des actions françaises et exécutées en France (en excluant le hors cote) s’élevait à 32,9 milliards de francs, contre 35,7 milliards en 1978 (Hamon et Jacquillat, 1992, p. 24). 8 Cette commission était présidée par Maurice Pérouse, alors directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. 9 La question des méthodes de cotation ne constitue que l’un des thèmes du rapport Pérouse, aux côtés d’autres aspects capitaux que nous n’analysons pas ici (dématérialisation des titres, organisation des marchés de produits dérivés). F. Muniesa / Sociologie du travail 47 (2005) 485–501 491 sienne. Mais le voyage à Toronto semble pourtant avoir retenu une attention toute particulière. Invité à son tour à Paris en 1980, Pearce Bunting, le directeur de la Bourse de Toronto, donne une conférence dont le texte est reproduit dans le rapport Pérouse (Commission Pérouse, 1981, vol. III, pp. 182–188). Cats, le système de cotation de la Bourse de Toronto, est finalement importé dans le cadre parisien. Quels éléments ont déterminé ce choix ? Comment la controverse sur les modalités d’informatisation a-t-elle été close autour de ce dispositif particulier ? Cats n’était pas seulement une solution technique pour introduire le temps continu dans la cotation. Il emportait deux choix fondamentaux. Le premier résidait dans l’abandon d’un modèle de marché basé sur les market makers. En effet, Cats correspondait à un système d’enchère double, un dispositif de marché « dirigé par les ordres », c’est-à-dire un système dans lequel la confrontation des ordres de vente et d’achat se fait selon un protocole automatique d’enchère, sans intervention d’intermédiaires10. Le second de ces choix concernait le rejet d’une simple assistance informatique aux agents de change dans le cadre de la criée. Cats supposait en effet, pour les valeurs qui y étaient cotées, une automatisation complète de l’appariement des ordres et de la détermination des prix. Cela impliquait la relégation des agents de change et des professionnels de la criée à une fonction de saisie. En choisissant Cats, les responsables de la Bourse de Paris optaient pour un modèle de marché qui était loin d’être compatible avec les scénarios mis en avant dans le rapport Pérouse. En effet, avec Cats, la position des agents de change se trouvait fortement mise en cause. Les différents auteurs du rapport Pérouse semblaient pourtant considérer le statut privilégié des agents de change de manière positive, leur monopole étant présenté comme une manière d’éviter la fragmentation du marché. En dépit de l’élévation de certaines voix critiques contre la criée dans le rapport Pérouse, principalement des demandes de banquiers pour un marché plus transparent, nulle proposition d’abolition de la criée n’y est exprimée clairement11. Dans les scénarios les plus explicites proposés dans ce rapport (Commission Pérouse, 1981, vol. II, pp. 196– 205), des ordinateurs, disposés à l’intérieur de l’enceinte du Palais Brongniart, se limiteraient à fournir des prix indicatifs au coteur qui conservait donc un rôle actif dans la détermination des cours. Les agents de change et commis restaient physiquement présents, la nouveauté majeure consistant à pouvoir annoncer leur position sur leurs terminaux, ce qui augmentait la visibilité réciproque pendant le fixing. L’ordinateur était présenté comme une prothèse de la criée, non comme un remplaçant. 3. Importation de Cats Le virage politique causé par la victoire du candidat socialiste François Mitterrand aux élections présidentielles de mai 1981 freina l’élan réformateur du rapport Pérouse. À partir de cette date, l’équipe12 en charge du projet de marché continu à la chambre syndicale entreprit une 10 Ce n’est pas le cas pour les systèmes de marchés dits « dirigés par les prix », dans lesquels c’est aux market makers d’assurer la liquidité du marché en proposant en permanence des fourchettes de prix (à l’achat et à la vente) aux participants. 11 Le rapport Pérouse contient plusieurs notes rédigées par les différents acteurs à l’œuvre. La note du Crédit lyonnais (Commission Pérouse, 1981, vol. II, pp. 185–195), par exemple, insiste sur les inconvénients de la criée (sans pour autant proposer sa suppression). 12 François Bacot et Paul-François Dubrœucq, sous la supervision d’Yves Flornoy, puis de son successeur Xavier Dupont. 492 F. Muniesa / Sociologie du travail 47 (2005) 485–501 démarche plutôt discrète. C’est dans ces circonstances que la clôture du débat sur la future organisation de la Bourse de Paris trouva en Cats un raccourci. L’un des acteurs de l’informatisation évoque ainsi cette étape : « Il y avait un conflit qui devenait un conflit politique. C’était monopole par monopole. Les banques auraient bien aimé obtenir leur monopole sur le marché. Vous voyez, il y avait tout un ensemble de combats plus ou moins clairs et plus ou moins évidents. Et puis, donc, je suis allé revoir un certain nombre de systèmes, à ce moment-là, dans différents pays. Et j’étais assez enthousiasmé par le système Cats parce que j’étais assez convaincu d’une chose : on avait, si vous voulez, une énorme révolution à faire. La plupart des pays anglosaxons avaient un marché continu depuis longtemps. Et donc ils n’avaient qu’à informatiser un système. Pour nous, il fallait d’abord passer du fixing au continu, ce qui est un boulot terrible, parce que ça remet en cause toutes les méthodes de travail. […] On avait donc une réforme complète à faire de la culture de nos maisons. Donc, ce que j’aimais bien dans le système Cats, c’est qu’en fait, je retrouvais informatisé et en continu l’essentiel de ce que j’avais analysé quand j’étais parti de notre système (à la criée) pour le faire évoluer avec l’outil informatique. Je retrouvais tout dedans. Donc on a beaucoup travaillé sur ce système, on a fini par l’acheter. » (Entretien 26/06/00.) Cats contenait « tout » : c’était l’outil qui allait permettre de verrouiller la réforme à un moment où manquaient aussi bien le temps que les ressources pour mener une transformation des pratiques marchandes. La recrudescence de la crise de liquidité que vivait la place parisienne à l’époque (les capitaux fuyaient vers des places boursières étrangères, moins réglementées et moins chères) contribua à précipiter la décision. La concurrence de Londres constituait un souci pour la chambre syndicale aussi bien que pour l’ensemble des agents de change. « Il y avait tous les jours, dans la presse anglo-saxonne, des articles du genre « 40 %, 60 % du volume d’Elf Aquitaine se traite à Londres » », nous rapporte un ancien consultant de la chambre syndicale (entretien 20/04/99). En 1986, la situation était particulièrement critique. La presse corporative de la Compagnie des agents de change (la lettre Marché continu) se faisait écho avec un ton alarmant du processus de dérégulation londonien : le « Big bang13 ». Sur le plan informatique, l’inquiétude se concentrait sur la mise en place à la Bourse de Londres du système Seaq (Stock exchange automated quotation), un système de négociation électronique basé sur le modèle du Nasdaq14. La pression de la concurrence précipita donc la transition informatique, et la solution Cats fut présentée, par ses avocats, comme particulièrement opportune. La cotation des premières valeurs sur le nouveau dispositif eut lieu le 23 juin 1986. La droite, de retour au gouvernement, soucieuse de mener à bout son programme de privatisations, était favorable à l’approfondissement de la réforme. Le 15 juillet 1987, fait notoire, la Corbeille était démantelée. La 13 Le processus de libéralisation des marchés britanniques connu sous le nom de « Big bang » culmina en 1986 avec trois transformations majeures : le marché fut ouvert à des membres étrangers, la distinction entre jobbers (qui négocient pour leur propre compte) et brokers (qui le font pour des clients) fut abolie, et, finalement, les commissions minimales garanties furent supprimées. 14 Le Nasdaq (National association of securities dealers automated quotation) était un système de communication reliant entre eux les dealers ou market makers. Le Seaq, comme le Nasdaq, rendait possible la publication électronique des fourchettes de prix de ces intermédiaires, ce qui permettait au marché de fonctionner en dehors d’un parquet. F. Muniesa / Sociologie du travail 47 (2005) 485–501 493 chambre syndicale poursuivit son programme d’informatisation jusqu’à sa culmination, fin 1989. La machine parisienne fut rebaptisée Cac (Cotation assistée en continu), des sigles qui reprenaient, bien à propos, ceux de la Compagnie des agents de change. 4. Enrôler le parquet dans son propre démantèlement Bien que non dépourvue de moyens autoritaires, il fallait à la chambre syndicale, pour assurer l’automatisation, enrôler les acteurs du marché dans la réforme : ceux-ci devaient adhérer au nouveau dispositif de cotation. L’expérience de Toronto montrait à quel point « l’ingénierie sociale » était cruciale dans la transition à l’automatisation. La première mise en œuvre du système Cats à Toronto peut en effet se lire comme un échec provoqué, en partie, par la résistance des populations de la criée. L’ancien président de la Bourse de Toronto commente cette expérience ainsi : « En automne 1977, nous avons commencé à traiter une première valeur sur le système. Malheureusement, à cause d’une opposition persistante du parquet et de certains membres, nous avons été obligés de commencer par des valeurs peu liquides, ce qui est exactement l’opposé de ce que nous aurions dû faire. Ceci fut une leçon que nous pûmes transmettre à l’équipe de Paris. L’opposition au système fut intense, avec des efforts pour me faire quitter la présidence de la Bourse de Toronto. Le système fut mis en œuvre lentement et, en 1989, toutes les valeurs étaient traitées sur Cats. Cependant, le parquet existait toujours, avec des négociateurs qui passaient leurs ordres oralement à des commis qui les saisissaient sur le système automatique. Le parquet fut finalement éliminé en 1997 par mon successeur. À mon avis, cette longue bataille a rendu impraticables plusieurs des avantages que j’avais projetés à l’origine. » (Correspondance 18/06/00, traduite par nous.) En 1987, après 10 ans de bataille, le conflit social demeurait ouvert à la Bourse de Toronto. La presse canadienne se faisait écho d’épisodes comme le suivant : « Une confrontation entre négociateurs du parquet et responsables de la direction à la Bourse de Toronto se trame à nouveau, au moment où une étude devrait décider si ce sont les ordinateurs ou les gens qui doivent être au centre de l’action du marché. Après ce que l’un des directeurs de la Bourse a qualifié « d’échanges de coups de feu » entre les deux camps, la Bourse a lancé une étude de 1,25 million de dollars pour comparer la négociation par ordinateur aux marchés en face-à-face. « Les moyens d’existence des gens sont concernés, donc les tensions et les angoisses sont élevées », rapporte le directeur dans un entretien. […] La controverse sur la négociation informatisée couvait depuis un certain temps, mais elle a explosé il y a un an, après que le conseil d’administration a approuvé un plan pour déplacer deux importantes émissions d’actions du parquet vers le système de cotation assistée par ordinateur connu sous le nom de Cats. Cats fut conçu à l’origine pour traiter les valeurs les moins liquides, tandis que les émissions importantes restaient entre les mains des négociateurs du parquet. Mais la nouvelle que deux grosses introductions en bourse allaient passer sur Cats a fait l’effet d’une bombe. Les négociateurs se sont regroupés dans une association de traders professionnels pour défendre leur situation » (Lebolt, 1987, p. 87). (Traduit par nous.) Voilà un bon exemple des situations qu’il s’agissait d’éviter lors de la transposition du dispositif canadien à Paris. Par quels moyens la contestation a-t-elle été esquivée ? Nous trouvons 494 F. Muniesa / Sociologie du travail 47 (2005) 485–501 d’abord, au centre des stratégies évidentes d’étouffement de la critique, l’effet de surprise. Dans la pratique, la majorité des professionnels de la criée ne croyait pas aux propositions de la chambre syndicale : « Ils pensaient, très honnêtement, « Mais jamais un ordinateur ne pourra avoir le degré de finesse que nous avons, nous » », remarque un ancien commis et responsable syndical (entretien 28/02/00). Les plans sociaux ont été drastiques à la suite de la réforme : « Nous, dans la charge Fauchier-Magnan, on était 227 ; on a terminé à 42 », poursuit cette même personne. Les premiers licenciements ont donc été vécus avec étonnement. Le mouvement syndical n’a pu réagir à temps15. Mais l’effet de surprise ne pouvait garantir à lui seul le succès de la réforme. Les professionnels de la négociation, ou du moins une partie d’entre eux, devaient être enrôlés. Comment les populations de la criée sont-elles entrées dans une réforme qui mettait en crise leur métier ? L’un des artisans de la réforme nous confie l’importance de tout un travail d’embrigadement qui comptait, parmi ses arguments primordiaux, celui de l’importance de s’adapter aux nouveaux outils pour conserver une certaine position privilégiée : « C’était très artisanal. D’abord le dialogue, avec les gens. Et puis surtout le dialogue avec les meneurs éventuels d’une révolte. C’était les vieux commis. Il y avait des gars qui étaient des vieux caïds du marché, et qui ne voyaient pas ça d’un très bon œil. C’était des types qui avaient 50 ans, 55 ans. Ils voyaient bien qu’ils ne seraient pas capables de continuer à être les caïds d’un système qu’ils ne comprendraient pas bien. Donc ils voyaient qu’ils pouvaient perdre leur pouvoir, perdre leurs moyens. […] Il fallait essayer de déceler quels seraient les meneurs, quels seraient les grands opposants. Il y en avait une dizaine que je voyais tout le temps, que je mettais dans le coup, que je mettais en avant, pour essayer de ne pas les… pour qu’ils gardent leur caïdat, si vous voulez. Sans trop se dévaluer, pour rester des meneurs. » (Entretien 26/06/00.) L’un des moyens matériels de cette politique d’enrôlement était l’organisation de programmes de formation à Toronto. Un total de 120 personnes (un minimum de deux par charge d’agent de change) voyagea au Canada pour participer à ces programmes. Des commis récalcitrants se retrouvaient ainsi formés à un nouvel outil qui pourrait leur procurer un avantage comparatif de retour à Paris. D’autres séminaires de formation furent organisés à Paris également. Tout était fait pour former une avant-garde de promoteurs du système Cats. Cette pédagogie du système était doublée d’une intense activité de marketing : développement d’argumentaires commerciaux, publication de brochures, etc. Il ne s’agissait pas d’une simple campagne de persuasion. Les séminaires de formation constituaient une garantie de continuité à travers l’acquisition de nouvelles compétences. Les professionnels de la criée commençaient à comprendre la portée de la réforme et la menace qui pesait sur leurs pratiques professionnelles. Pour la première fois, des compétences techniques leurs étaient imposées à titre de qualification professionnelle. L’accès aux terminaux de négociation était limité aux négociateurs compétents, c’est-à-dire à ceux ayant passé un examen. En parallèle aux premiers tests sur la machine Cats, une nouvelle institution fut introduite dans le but de faire évoluer les pratiques marchandes vers la cotation continue dans le cadre de la criée : c’était la « séance du matin », inaugurée en mai 1986. Cette innovation était clairement mise en avant dans les communications institutionnelles, tandis que les tests sur le pro15 Une seule grève des commis, le 24 décembre 1987, semble avoir perturbé la cotation parisienne (Hamon et Jacquillat, 1992, p. 61). F. Muniesa / Sociologie du travail 47 (2005) 485–501 495 totype Cats demeuraient discrets. Pour la plupart des acteurs du marché, y compris ceux qui étaient allés observer le système Cats à Toronto, l’impression générale était celle d’une extension de la criée dans le temps, avec une éventuelle assistance informatique pour la saisie des ordres et pour leur exécution dans le cas de valeurs à faible liquidité (comme c’était le cas à Toronto, et comme cela était plus ou moins suggéré dans le rapport Pérouse). Comme nous pouvons le voir, tout un programme d’ingénierie sociale était engagé dans le processus d’innovation. Mais ce programme, pour être effectif, ne pouvait se limiter au périmètre du dispositif technique : il devait le pénétrer. De fait, la transition ne fut pas stabilisée sur un pur plan de ressources humaines et de communication institutionnelle. Rien, dans ce que l’on vient d’évoquer, ne pouvait garantir, pour les acteurs de la réforme, que le nouveau dispositif allait pouvoir absorber, de manière relativement pacifique, l’activité de négociation sur l’ensemble des valeurs cotées à la Bourse de Paris. Une compréhension du passage à la cotation automatique demande une attention plus poussée aux aspects techniques du dispositif. 5. Inscription technique des parties intéressées L’un des avantages les plus évidents sur lesquels comptait la Bourse de Paris pour l’installation de Cats, par rapport à ses partenaires canadiens, était le fait que le système, en tant que tel, existait déjà. À Toronto, l’informatisation ne comptait sur aucun précédent, ce qui rendait les conditions d’innovation plus difficiles (développements à faire au fil des essais, problèmes à résoudre sans l’appui d’une expérience préalable). L’expérimentation « grandeur nature » de la nouvelle machine demandait de procéder par faibles doses (valeurs à faible liquidité), ce qui empêchait le déploiement d’une stratégie de transformation massive. Les responsables de la Bourse de Paris, quant à eux, se trouvaient face à un dispositif « clé en main » qui avait déjà fait ses preuves. Cela dit, l’installation du dispositif était loin d’être une tâche techniquement évidente. Un mécanisme marchand n’est pas transposable tel quel : autrement dit, sa transposition demande un ajustement fin des attaches qui le font tenir. Nous nous retrouvons donc, dans le cas parisien, face à des ajustements techniques qui sont à l’origine de l’enclenchement du dispositif dans un emplacement sociologiquement idiosyncrasique. Le dispositif devait réussir à traduire un ensemble de rapports de forces constitutifs du milieu parisien. Nous allons parcourir certains de ces ajustements. 5.1. La localisation des terminaux de négociation Le premier élément qui nous intéresse à ce niveau est la prise en compte de la dimension purement spatiale de l’installation de Cats : les terminaux devaient-ils être situés sur le parquet ou dans les bureaux des charges d’agent de change ? L’installation de terminaux de négociation en dehors du parquet de négociation à la criée était déjà une leçon que P. Bunting, le directeur de la Bourse de Toronto, avait essayé de communiquer aux responsables parisiens : « Mon impression personnelle est la suivante : plus les utilisateurs sont éloignés de la Bourse, plus ils semblent apprécier les avantages du système », avait-il déclaré dans son discours de février 1980 devant les responsables de la Compagnie des agents de change (Commission Pérouse, 1981, vol. III, p. 186). La réflexion des responsables de la réforme parisienne allait dans le même sens : 496 F. Muniesa / Sociologie du travail 47 (2005) 485–501 « Au départ, on s’est dit : « Il ne faut surtout pas casser la Bourse, il faut que les gens aillent à la Bourse, il faut qu’ils y soient tous les jours. » On voulait faire des corbeilles de criée, des espèces de groupes de cotation avec des ordinateurs. Moi j’ai réfléchi à ça et j’ai dit : « Vous êtes complètement fous, les types ils vont travailler à la criée au-dessus, devant l’ordinateur. » Au contraire, il fallait les renvoyer chez eux. […] Il ne fallait surtout pas avoir un système trop proche de l’ancien parce qu’on n’aurait jamais évolué. Les gens étaient tellement accrochés à leur routine, à leurs habitudes. Il fallait faire un saut dans l’inconnu. Brûler les vaisseaux, dans une certaine mesure. Mais il fallait le faire avec la possibilité pour les gens de se reconnaître, de s’y retrouver. Ce qui est justement très intéressant. Pourquoi est-ce que ça n’a pas marché à Toronto ? Parce que leur saut dans l’inconnu était beaucoup moins important que le nôtre. Ils avaient un marché continu, ils ont mis les terminaux informatiques sur le parquet et les gens n’ont pas fait le pas. Les traders (négociateurs) sont restés avec leur système vocal et ont mis des secrétaires en face des terminaux. Nous, la raison pour laquelle ça a marché c’est qu’on a rentré les terminaux dans les maisons (les charges d’agent de change) et on a mis sur les terminaux les caïds qu’on avait formés. » (Entretien 26/06/00.) Sur ce point, la démarche de l’équipe en charge de l’informatisation se distingue radicalement des plans pour une simple assistance informatique aux groupes de criée proposés dans certains passages du rapport Pérouse. Ce n’est pas parce que la cotation a été informatisée que le travail de négociation a pu être déporté au sein des établissements des agents de changes. Tout au contraire, c’est la prise en compte, dès le début, de cette dimension spatiale qui a permis au projet d’informatisation d’être mené à terme. 5.2. La connexion entre le routage des ordres et la cotation Une fois l’outil de négociation confiné au sein des charges, se posait inévitablement le problème de l’interaction de cet outil avec le système de collecte d’ordres auprès des clients. À Paris, un système de collecte d’ordres appelé Rona (Routage des ordres et des négociations automatisées) avait été développé avant le passage à Cac (Bacot et al., 1989, pp. 105–114). Rona reliait les agences des établissements bancaires aux charges d’agent de change : les ordres étaient saisis sur des terminaux par les employés des agences et acheminés vers des imprimantes localisées chez l’agent de change (pour sa récupération avant la séance de cotation) ou directement au Palais Brongniart, dans le box de l’agent de change (pour le traitement des ordres passés aux heures de marché). L’existence de ce système au moment de l’installation de Cac allait provoquer une situation critique pour le rééquilibrage du poids des différents acteurs dans le marché. La situation s’exprimait en termes très clairs : une fois que l’on avait d’un côté un réseau de routages d’ordres (Rona) et de l’autre un système de cotation électronique (Cac), il suffisait de connecter les deux. Cette situation rendait presque absurde une partie de l’activité au sein des charges d’agent de change et mettait en crise directement la profession même des commis dans les charges. Le moment venu, la disparition de l’activité qui consistait à prélever les ordres du système de collecte et à les saisir sur Cac devait aller de soi. Sur le modèle de Rona, les ingénieurs en charge du projet Cac développèrent Coca (Connexion Cac) : un système de routage qui récupérait l’ordre de bourse dans les fichiers de la banque et l’envoyait directement vers l’ordinateur Cac de négociation. Coca instaurait, pour la première fois, une continuité de l’acheminement de l’ordre depuis l’agence bancaire jusqu’à F. Muniesa / Sociologie du travail 47 (2005) 485–501 497 l’ordinateur de cotation16. Cette innovation traduisait les intérêts des banquiers et donnait une réponse technique à leur critique sur l’opacité des agents de change. Le flux d’ordre entrait et sortait des charges d’agent de change en continuité. Que devenait le rôle des agents de change dans ce processus ? Ce problème était fondamental et mettait en crise l’acceptabilité de la réforme par l’autre partie de la négociation : les agents de changes eux-mêmes. Leur fonction essentielle, qui servait en quelque sorte de justification à leur statut particulier, était la prise de responsabilité sur l’ordre face au marché. C’est sur cet argument précis que fut conçu un outil, le « filtre », qui matérialisait cette compétence. L’un des responsables de la réforme commente ainsi le rôle sociologique de cet outil : « Si j’établis l’accès direct, si je tue, en quelque sorte, la fonction de l’agent de change, je tue la responsabilité de l’agent de change face à ses confrères, face aux autres membres. Je fais un accès direct. Cette prise de responsabilité de l’agent de change sur l’ordre face au marché, cette défense de l’ordre du client, il fallait la matérialiser. Et c’est là où on a inventé le filtre. Le filtre, c’est le logiciel que moi, agent de change, je mets pour bien vérifier que l’ordre que vous me passez, via Rona, est compatible avec le marché et compatible avec votre intérêt. Sous-entendu : que vous n’allez pas faire exécuter votre ordre dans des conditions insupportables pour votre intérêt, et que cet ordre est logique par rapport à la liquidité du titre, que vous ne nous l’envoyez pas sur le marché avec un volume excessif. Donc la plausibilité de l’ordre est assurée par le logiciel que je dois mettre en place, moi, agent de change, négociateur. Et pour tous les ordres qui ne passent pas le filtre, il m’appartient de les retenir, de vous passer un coup de fil pour vérifier si vous voulez vraiment passer cet ordre-là, et donc d’avoir un traitement manuel par exception. » (Entretien 07/07/00.) Le principe du filtre matérialisait l’intermédiation entre le client et le marché : la responsabilité du courtier était ainsi traduite à l’intérieur du dispositif. La pratique consistant à « soigner » un ordre était préservée dans le nouvel environnement technique : un ordre « soignant » était un ordre que l’agent de change fractionnait et dosait dans le but de saisir les meilleures conditions d’exécution sur le marché. 5.3. La diffusion de l’information du carnet d’ordres L’acceptation de la réforme par les agents de change devait passer par une traduction durable de leur fonction dans le dispositif de cotation. Mais le scénario alternatif défendu par les banquiers était l’ouverture de la « boîte noire » de la négociation à tous les acteurs concernés. Une condition importante devint nécessaire pour enrôler les banquiers dans la réforme : l’accès en temps réel à l’information contenue dans le carnet d’ordres électronique devait être égalitaire (accessible chez les agents de change comme chez les agences bancaires). Un élément qui contribua à faire passer la réforme « sur le plan sociologique » — c’est l’expression de l’un de nos informateurs (entretien 07/07/00) — fut la diffusion hertzienne de l’information sur l’état du carnet d’ordres dans toutes les stations de réception. Un ordre envoyé sur l’ordinateur central de cotation Cac modifiait automatiquement l’état du carnet d’ordres correspondant. L’ordinateur devait à son tour renvoyer un signal au collecteur d’ordre 16 La continuité en amont de la collecte d’ordres pouvait également remonter jusqu’au client final grâce au Minitel, qui pouvait se raccorder facilement à Rona et Coca et qui avait déjà été utilisé comme élément de stimulation de l’acheminement électronique des ordres. 498 F. Muniesa / Sociologie du travail 47 (2005) 485–501 informant de la modification de l’état du carnet d’ordres. Or il ne s’agissait pas de renvoyer l’information au seul terminal qui avait été à l’origine de la mise à jour, mais à tous les terminaux du système, ce qui demandait une puissance informatique considérable. « Avec les ordinateurs de l’époque, vous explosiez le plus gros des ordinateurs IBM », explique notre informateur (entretien 07/07/00). La solution vint de l’utilisation de la diffusion hertzienne. TDF (Télédiffusion de France) avait, à côté de sa diffusion de trame, une plage disponible pour l’envoi d’informations numériques. Une fois que la fourchette des prix bougeait suite à un signal en provenance d’un terminal, la totalité des postes de réception était « aspergée » par voie hertzienne (signal unidirectionnel, sans retour), et ceci sans contraintes matérielles lourdes. « Donc, diffusion hertzienne, décodeur ensuite, et chacun, à l’agence de Carpentras comme à Paris, se retrouve avec un carnet d’ordres qui a changé » (entretien 07/07/00). La diffusion hertzienne fut ensuite remplacée par une diffusion par satellite. Mais le principe était le même : la solution de diffusion par aspersion. Cette solution répondait aux deux conditions avancées par les partenaires bancaires : diffusion égalitaire et même niveau d’information sur les terminaux des agents de change que sur ceux des donneurs d’ordres. Ces conditions avaient été élaborées, en effet, dans des termes assez agressifs par les banquiers : « Vous ne réussirez jamais à nous garantir l’information à l’agence de Carpentras en même temps que dans vos charges, et comme ce sera un privilège (pour vous, agents de change), nous refuserons le système » (entretien 07/07/00). 5.4. La transparence du carnet d’ordres Nous observons, à présent, l’intensité du travail nécessaire pour inscrire et contenir, dans un dispositif de marché collectif, les intérêts des banquiers et des agents de change. Une autre circonstance technique nous semble encore nécessaire pour comprendre la stabilisation de la réforme : celle de la publication, dans les écrans de négociation, du « code agent » qui permettait de reconnaître l’identité des agents de change sur le marché. Le principe d’anonymat devait être clairement conservé en ce qui concerne les clients qui émettent les ordres. La fonction des intermédiaires était bien de « faire écran » pour sauvegarder l’anonymat des clients : « Si moi, donneur d’ordres, je passe par un intermédiaire c’est bien parce que je n’ai pas envie que tout le monde sache que moi, Bernard Arnault, je suis en train d’acheter Vivendi à mon copain Messier » (entretien 07/07/00). Mais les pratiques de la criée garantissaient, en revanche, la publicité des actions des agents de change entre eux. Malgré les tentatives d’imposer le principe d’anonymat entre les négociateurs eux-mêmes à l’occasion de la mise en place de Cac (ce qui allait dans le sens des positions des banquiers), le dispositif définitif devait garder cette trace de l’identification des contreparties : « À Paris, l’anonymat est encore supprimé entre traders. Pourquoi ? Parce que dans la négociation du passage à Cac nous n’avons pas réussi à dire : « Vous, agents de change, qui étiez sur un groupe de criée où vous saviez qui était qui, vous vous appeliez Ferry et moi je m’appelais Bacot-Allain, ça on va vous le supprimer. » Les agents de change répliquaient : « Non, quand même, un avantage que je garde ; je sais que Ferry travaille pour Arnault, je sais qu’il travaille pour tel ou tel investisseur, laissez-moi ça. » […] Anonymat, pas anonymat, c’est un rapport de force : un avantage accordé ou pas au broker (courtier, agent de change) face aux investisseurs. On avait finalement défendu l’avantage laissé aux brokers de se reconnaître, et donc de pouvoir interpréter qu’en face d’eux ça serait plutôt tel ou tel acteur qui était en train d’acheter. » (Entretien 07/07/00.) F. Muniesa / Sociologie du travail 47 (2005) 485–501 499 La cristallisation du nouveau système de cotation préservait cette prérogative des agents de change : ils pouvaient se reconnaître à l’écran, mais uniquement entre eux, ce niveau de visibilité n’étant pas accessible aux banques. Ce n’est que très récemment, en 2001, que l’anonymat strict à été introduit à la Bourse de Paris17. Jusqu’à cette date, les négociateurs membres du marché parisien pouvaient reconnaître l’origine des ordres à cours limité placés sur le carnet d’ordres électronique de chaque valeur. La liste des ajustements qui visaient à faire tenir le marché dans le nouveau dispositif de cotation ne s’arrête pas là. Les « ordres cachés » (ou, plus exactement, « ordres à quantité cachée ») constituent également un vestige de la criée encore présent sur le système de cotation électronique. La stratégie commune des agents de change ou de ses commis pendant la discussion de la criée était d’obtenir le meilleur cours d’exécution pour les ordres des clients sans avoir l’obligation (ni même, de fait, la possibilité technique) de dévoiler tout leur volume. La cristallisation du nouveau dispositif de cotation conservait cette pratique des agents de change : il était désormais possible de se positionner sur le carnet d’ordres en ne dévoilant qu’une partie de la quantité totale de titres que l’on souhaitait écouler ou obtenir. En outre, l’algorithme d’allocation des titres initialement utilisé dans Cac reproduisait un principe de « tour de table » (qui correspondait aux pratiques concrètes des agents de change dans les groupes de criée) au lieu d’introduire une priorité de temps (« premier déclaré, premier servi »). Cette démarche s’explique, avant tout, par l’absence, à l’époque, de critères d’horodatage fiables qui puissent garantir la justesse d’une priorité de temps (Muniesa, 2003, pp. 328– 344). Mais elle constitue également une trace électronique de la traduction des pratiques de la criée dans le nouveau dispositif. 6. Conclusion Les solutions techniques mises en avant pour garantir la stabilité de l’automatisation de la Bourse de Paris ont joué un rôle fondamental dans la cristallisation du « script » du système (Akrich, 1987), c’est-à-dire la manière selon laquelle le dispositif distribue leurs rôles aux divers acteurs concernés. Ce n’est qu’à travers ces ajustements techniques que nous pouvons comprendre comment la machine de cotation a permis la traduction des forces à l’œuvre et a rendu possible la réorganisation de la négociation boursière. Le mécanisme marchand « tient » parce qu’il « tient ensemble » les banquiers et les agents de change (leurs points de vue, leurs pratiques, leur présence) dans une même configuration. Il les traduit, ce qui ne veut pas forcément dire qu’il les respecte : une traduction est une modification (Callon, 1986). Le support matériel sur lequel les rapports de force s’expriment change : le nouveau support Cac préserve des traces de la criée et en efface d’autres. Il rend également possible de nouvelles formes d’organisation du marché et, partant, de reconfiguration des parties intéressées18. 17 Le principe d’anonymat semblait avoir été retenu dès 1999 dans les discussions sur une éventuelle plate-forme de négociation paneuropéenne. Il est effectif à Paris depuis le 23 avril 2001, suite à la mise en œuvre du nouveau modèle de marché Euronext. Nous présentons ailleurs (Muniesa, 2003, pp. 241–262) une analyse de cet épisode. 18 L’informatisation de la cotation rendit en partie possibles les évolutions ultérieures qui menèrent à l’abolition du monopole des agents de change (point que nous n’abordons pas dans cet article). Elle est également à l’origine du développement de la stratégie internationale de la Bourse de Paris (puis d’Euronext) dans un « marché de marchés » hautement concurrentiel (Lee, 1998 ; Muniesa, 2003, pp. 96–104). 500 F. Muniesa / Sociologie du travail 47 (2005) 485–501 Dans le cas étudié ici, ce processus de traduction est une affaire de déplacements matériels. Notre récit met en évidence un double mouvement de démembrement et d’assemblage19. Démembrement ou écartèlement, d’abord, dans le sens où nombre des ajustements visaient directement à déporter les négociateurs (les agents de change, les commis) en dehors de l’espace du parquet. Nous retrouvons ce mouvement dans les choix techniques sur la localisation des terminaux et l’importance accordée au réseau de collecte d’ordres et au mode de diffusion de l’information. Ce sont principalement les intérêts des banquiers que nous pouvons reconnaître dans ce mouvement. Mais assemblage ou recomposition aussi, dans le sens où le nouveau dispositif est amené à traduire en son sein la présence des agents de change : les conserver, en quelque sorte. Nous nous référons, là, aux ajustements sur le codage du carnet d’ordres (publication de l’identité des intervenants, ordres à quantité cachée) et à ses voies d’entrée (filtre au niveau des charges d’agent de changes). C’est par ce double mouvement que le dispositif arrive à « contenir » les acteurs de la cotation. Sans cet effet de contention (« contenir » dans le sens d’inclure, mais aussi dans celui de maintenir, de maîtriser), le nouveau dispositif de cotation serait loin d’assurer la stabilité du marché. Comme cela est souvent le cas dès que l’on a affaire à l’automatisation de tâches humaines, le démantèlement de la criée produit, certes, une image sociologiquement saisissante : celle d’un parquet vidé de son activité humaine. Mais le caractère collectif et construit (c’est-à-dire éminemment social) du marché n’est pas pour autant refoulé aux confins du mécanisme marchand. Au contraire, le travail d’informatisation rend plus explicites, par les compromis qu’il met en scène, les rapports de force qui définissent le marché. Cette étude de cas met ainsi en évidence les relations qui existent entre la construction d’un dispositif technique et les intérêts qui se nouent autour de la « modernisation » d’un marché. Références Akrich, M., 1987. Comment décrire les objets techniques ? Technique et culture 9, 49–64. Akrich, M., 1989. La construction d’un système socio-technique : esquisse pour une anthropologie des techniques. Anthropologie et sociétés 13 (2), 31–54. 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