Histoire de la Chine ancienne et impériale

Transcription

Histoire de la Chine ancienne et impériale
INITIATION
A L’HISTOIRE ET A LA CIVILISATION
DE LA CHINE ANCIENNE ET MEDIEVALE
Christine NGUYEN TRI
(Catherine DESPEUX)
(François MARTIN)
Inalco – CHI 003
Notes de cours 2004-2005
Nathaniel Farouz - [email protected]
http://www.tianli-a-taiwan.fr
Chapitre Ier : Les grandes traits de l’histoire chinoise
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I/ Les origines
II/ Les étapes de l’histoire chinoise
III/ L’empire chinois : le territoire et sa construction
IV/ Qui sont les chinois ?
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Chapitre II : Ecriture et histoire
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I/ L’écriture
II/ Les sources de l’histoire chinoise
III/ Les historiens sous les Han et l’histoire officielle
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Chapitre III : L’empire et la construction de l’Etat chinois
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I/ L’organisation du pouvoir avant la fondation de l’empire
II/ La fin de la féodalité et l’empire
III/Les Han et l’idéal du bon souverain
IV/ L’empire, construction sans cesse remise en cause
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Chapitre IV : La bureaucratie : instrument ou élément modérateur du pouvoir ?
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I/ Aux origine de la bureaucratie
II/ La bureaucratie sous les Sui et les Tang
III/ Triomphe de la bureaucratie sous les Song ?
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Chapitre V : La Chine et ses voisins des origines aux Song (inachevé)
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I/ Chinois et barbares
II/ Chinois et barbares à l’époque des Six Dynasties (François Martin)
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Chapitre VI : Les religions dans la Chine ancienne (Catherine Despeux)
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I/ Les religions des Shang aux Han
II/ Les religions des Han aux Six dynasties
III/ Les religions sous les Tang
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Les présentes notes n’ont pas été validées a posteriori par les professeurs.
Les références renvoient aux pages du dossier distribué par Mme Nguyen Tri en début d’année.
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Chapitre 1 : Les grands traits de l’Histoire chinoise.
«L’obstacle majeur de la connaissance n’est pas d’ignorer, mais de croire que l’on
sait.» Beaucoup de ce que l’on croit savoir de la Chine vient du 19ème siècle. On n’arrive ainsi
pas à casser le mythe du caractère immuable et de l’immobilisme de la société chinoise (Alain
Peyrefitte). Idem quand on dit que la Chine est la plus ancienne civilisation vivante. Ceci est
faux, mais conforte la manière dont la Chine perçoit elle-même son histoire, par sa façon de
légitimer ses traditions actuelles en les faisant remonter loin dans son histoire (à Huangdi 黃
帝 , censé avoir existé au 3ème millénaire avant notre ère ; on en a fait la source de la
civilisation chinoise, il aurait inventé la plupart des outils chinois). Ainsi, dans un article du
Monde du 26 janvier 1992, par le correspondant du journal à Pékin 北京, on peut lire, suite au
passage de Jacques Chirac, alors maire de Paris, à Xi’an 西安, sur le tombeau de Qin Shi
Huangdi 秦始皇帝, que la Chine de Qin Shi Huangdi 秦始皇帝 aux dirigeants communistes
avait gardé la même structure politique.
La Chine aujourd’hui a la taille d’un continent. Ce n’a pas toujours été le cas.
L’évolution des frontières du pays a une conséquence dans l’idée que l’on doit se faire sur
l’identité chinoise.
I/ Les origines
Dans l’état actuel des connaissances, beaucoup d’éléments sont admis, d’autres sont
discutés. L’humanité a deux berceaux : l’Afrique, puis le Moyen Orient pour les apparitions
des agricultures et écritures. D’autres formes humaines ont pu se répandre ailleurs qu’en
Afrique, mais les homo sapiens sapiens ont fait disparaître celles-ci.
En Chine, on remonte à 2 000 000 d’années avant notre ère (paléolithique). Certains
noms de lieux sont associés à des découvertes d’industries (instruments) ou à des découvertes
humaines (ossements). Le premier humain a avoir été découvert l’a été dans la province du
Shaanxi 陜西, à Lantian. Celui-ci a été évalué à 1 800 000 et 600 000 avant notre ère. Une
autre présence humaine a été identifiée dans le Yunnan 雲南, à Yuanmou, évalué à 1 700 000
avant notre ère. L’homme de Pékin a été découvert dans les grottes de Zhoukoudian, et est
évalué à 500 000 ans avant notre ère. Les dernières découvertes permettent de rejeter l’idée du
développement de la civilisation chinoise autour d’un même berceau, le Huang He 黄河 (idée
qui a longtemps dominée). En effet, de nombreux autres foyers régionaux ont été découverts,
notamment la vallée du Changjiang 長江. Les premiers foyers du néolithique émergent autour
de Yangshao 仰紹 (Henan 河南), Hemudu (Zhejiang 浙江), Longshan 龍山 (Shandong 山東),
Qijia (Gansu 甘肅). La culture de Yangshao 仰紹, la plus importante, se développe entre
5000 et 3000, ailleurs qu’à Yangshao 仰紹 même. On atteste de l’existence de l’agriculture à
cette époque. La culture Hemudu s’étend entre 4000 et 700. C’est avec cette culture
qu’apparaissent la riziculture et les constructions sur pilotis. Avec Longshan 龍 山 , les
habitations se perfectionnent, on commence à travailler le bronze. C’est aussi à Longshan 龍
山 que l’on découvre les premiers os divinatoires, qui ne sont pourtant pas encore inscrits. La
culture de Qijia se développe entre 2200 et 1200. Elle produit des objets en bronze et en
cuivre. On atteste de la pratique de la divination à partir d’omoplates d’animaux. A partir de
la dynastie des Shang 商 (10ème à 12ème siècle), on utilise les carapaces de tortues pour la
divination.
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II/ Les étapes de l’histoire chinoise
A/ problème de périodisation.
La périodisation est la représentation du temps historique. En occident, l’antiquité
commence avec l’apparition de l’écriture et se termine au cinquième siècle, avec la fin de
l’empire romain. Le Moyen-âge s’étend jusqu’aux grandes découvertes, au seizième siècle, la
période moderne va jusqu’à la Révolution Française, après laquelle débute la période
contemporaine. Ces périodisations sont purement conventionnelles.
Les chinois abordent différemment leur histoire. La période ancienne (Gudaishi 古代
史) s’étend des Trois Dynasties (-1700) à l’arrivée des occidentaux en Chine (1840). La Chine
devient alors une société semi coloniale et semi féodale. De 1840 à nos jours, le temps est
divisé entre Jindaishi 近代史, de 1840 à 1919 (mouvement du 4 mai 1919 – première grande
manifestation de masses des étudiants chinois, qui protestent contre le clauses du traité de
Versailles, qui donnent au Japon les concessions allemandes du Shandong 山東; un courant se
développe dans les classes intellectuelles chinoises de façon générale, autour de la démocratie
et la science.), Xiandaishi 現代史, de 1919 à 1949 (le communisme prend le pouvoir), puis
Dangdaishi 當代史, de 1949 à nos jours. Certain historiens parlent de Jinxiandaishi 近現代史,
en expliquant la continuité entre Jin 近 et Xian 現.
Un autre découpage suit la succession des grandes dynasties. Ce découpage est
pourtant lui aussi contestable. Dans le découpage marxiste, la préhistoire est nommée
« société pré communiste ». Les dynasties des Shang 商 et des Zhou 周 sont « esclavagistes »,
et l’empire est « féodal ». Ce terme de féodal est abusif : le réelle période féodale chinoise se
situe sous les Zhou 周 uniquement. L’historiographie marxiste peine pourtant dans le cas de la
Chine à définir l’épisode capitaliste précédent le communisme. On admet qu’à l’époque des
Song 宋 la Chine s’engageait dans une voie capitaliste, qui a été brusquement interrompue.
On parle ainsi de bourgeons capitalistes, qui n’auraient pas pu éclore à cause des intrusions
occidentales.
Il y aurait deux façons de voir le déroulement des faits historiques. D’une part, une
vision sagittale, propre à l’occident, déterminant un sens de l’histoire, un progrès (frise
chronologique). Dans cette vision, l’histoire ne se répète pas. D’autre part une vision cyclique,
propre à la Chine, illustrée par les établissements, grandeurs et décadences des dynasties
successives.
B/ Survol de la chronologie.
Cf. dossier.
A l’origine, Guo 國 désigne l’Etat, le fief, définit par sa ville principale.
Les premiers souverains (les trois augustes 三皇 et les cinq souverains 五蒂) sont
mythiques, mais servent encore à découper le temps à leur époque, y compris dans
l’historiographie marxiste, qui contribue à les mythifier (ex : Huangdi 黃帝 reste associé à la
civilisation chinoise, Yao 堯 et Shun 舜 restent les modèles des parfaits souverains).
En ce qui concerne les Trois Dynasties, la réalité des Zhou 周 n’a jamais été remise en
cause. Les premiers documents attestant de la réalité de la dynastie des Shang 商 ont été
trouvés au 19ème siècle, sur des os de dragon, dans une pharmacie. Les Jiaguwen 甲骨文
datent de la dynastie des Shang 商. Ces dynasties sont décrites par Sima Qian 司馬遷,
premier grand historien chinois. Les fouilles donnent une vision différente de la vision de
succession de Trois Dynastie de Sima Qian 司馬遷 : on aurait plutôt affaire à une succession
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d’hégémonies, sans élimination catégorique et absolue, et non de familles. Les Xia 夏 relèvent
encore pour certains historiens du domaine du mythe.
Plusieurs datations sont possibles pour la dynastie des Zhou 周, en fonction des
sources prises en compte. La dynastie Zhou 周 est celle qui a le plus de prestige. Elle est aussi
considérée comme à la source de la civilisation chinoise. Elle se divise entre la période des
Zhou de l’Ouest 西周(1111-771) et la période des Zhou de l’Est 東周, eux-mêmes divisés en
deux périodes : les Printemps et Automne 春秋(722-481) et les Royaumes Combattants 戰國
(403-221). Le dernier souverain Zhou 周 disparaît en fait en 256, mais il n’y a pas de
bouleversement particulier à cette date précise, du fait que le pouvoir des Zhou 周 avait déjà
largement disparu.
Les noms de Printemps et Automne 春秋 et Royaume Combattant 戰國 proviennent
de deux livres éponymes, qui racontent ces histoires. L’histoire des Royaumes Combattants
戰國 est mal connue, parce que les annales de la plupart des royaumes de l’époque ont
disparues ou on été les victimes de l’autodafé de Qin Shihuangdi 秦始皇帝. Les sources sont
donc fragmentaires. A cette époque, sept Etats, à l’origine féodaux, se distinguent et forment
de façon indépendante l’ensemble du monde chinois. L’Etat des Zhou 周, le zhongguo 中國,
fief central, se retrouve alors au même niveau que les autres Etats (guo 國, originellement,
fiefs de cet Etat), et finit par disparaître. Ces Etats se distinguent des barbares (Rong 戎, à
l’ouest, Man 蠻, au sud, divisés en Li 黎 et Miao 苗, Yi 夷, à l’est, Di 狄, au nord). Un des
royaumes, qui participe de la culture Rong 戎 et chinoise, le royaume des Qin 秦 (Qin 秦, à
l’origine, avait été chargé par le royaume des Zhou 周 de défendre les chinois contre les Rong
戎), se renforce dans le Nord-ouest. La période des Printemps et Automnes 春秋 et des
Royaumes Combattant 戰國 est marquée par le chaos politique des luttes pour la domination,
mais aussi par une ébullition intellectuelle, puisque c’est de cette période que datent les
principales écoles philosophique (l’expression des « cent fleurs qui s’épanouissent , cent
écoles qui rivalisent » - reprise par le PCC après 1949, censée favoriser les critiques à
l’encontre du parti, en réalité pour identifier les opposants qui seront purgés lors du
mouvement anti-droitiers - date de cette époque).
En 221 a lieu la première unification du monde chinois, censée avoir duré jusqu’en
220 de notre ère, avec un changement de dynastie, en 206, avec la dynastie Han 漢, et entre
les deux une tentative avortée de création de dynastie par Wang Mang 王莽, entre 9 et 23, qui
divise la période Han 漢 entre Han de l’Ouest 西漢 et Han de l’Est 東漢. Avant Qin
Shihuandi 秦始皇帝, il n’y avait que des rois, après Qin Shihuangdi 秦始皇帝, il y a des
empereurs. La dynastie Qin 秦, qui pensait durer 1000 générations a été balayée au bout de
deux générations par une révolte qui a permis aux Han 漢 d’émerger. La dynastie Han 漢 a eu
un rôle tout aussi important que les Qin 秦. Ils n’ont pas remis en question l’empire, et ont
continué le processus mis en œuvre par les Qin 秦. Il était alors hors de question de revenir au
système des Zhou 周. La dynastie a connu une grave crise en se heurtant à des puissants
voisins (Xiongnu 匈奴) dans leur tentative d’extension géographique de l’œuvre des Qin 秦,
mais aussi une grave crise intérieure du fait des nombreuses querelles de succession qui furent
sanglantes. Cette période a été capitale dans l’histoire chinoise : les Qin 秦 se sont développés
autour de l’idéologie légiste, les Han 漢 ne renient pas le légisme et l’intègrent, mais se
fondent principalement sur le confucianisme, en faisant de cette philosophie une orthodoxie
d’Etat. Après la restauration, la dynastie Han 漢 sombre dans la décadence. Après les années
180, une révolte secoue le pays, et le pouvoir des Han 漢 n’est plus que nominal. C’est une
époque de bouleversements économiques et sociaux.
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Entre 220 et 589 a lieu une période de désunion : c’est la période des Trois Royaumes
三國 : les généraux chargés de réprimer les révoltes contre les Han 漢 prennent le pouvoir et
divisent la Chine en trois royaumes : les Wei 魏 au Nord, à Luoyang 洛陽, les Shuhan 屬漢
(Han 漢 du Sichuan 四川) à Chengdu 成都, les Wu 吳, au Sud-est. Une brève restauration de
l’unité a lieu entre 265 et 316, ce sont les Jin Occidentaux 西晉. Entre 316 et 589 a lieu une
période d’émiettement (cf. dossier).
En 589, les Sui 隋 unifient la Chine, et jouent pour les Tang 唐 le rôle qu’ont joué les
Qin 秦 pour les Han 漢. Les Sui 隋 durent deux dynasties, et les Tang 唐 prennent le pouvoir
à la faveur d’une révolte. Les Tang 唐 bénéficient des grands travaux des Sui 隋 (notamment
le début de la construction du grand canal). La dynastie des Tang 唐 est marquée en son
milieu par la révolte d’An Lushan 安祿山, après laquelle la dynastie des Tang 唐 ne fait que
survivre. La dynastie des Tang 唐 est une période de cosmopolitisme et d’ouverture sur
l’extérieur. Les fondateurs des Tang 唐 étaient en effet en partie non chinois. La dynastie des
Tang 唐 rayonne et influence (le Japon, notamment).
De 902 à 979, une nouvelle période de division se partage entre les Cinq dynasties 五
代 et les Dix royaumes 十國.
La dynastie des Song 宋 réunifie la Chine, sur un territoire réduit, en 960. La période
des Song 宋 est une période de fort développement, avec une économie très performante et un
fort développement des savoirs encyclopédiques. Des débats historiographiques tournent
autour de la question de savoir pourquoi les bourgeons du capitalisme de l’époque n’ont pas
pu se développer plus loin dès la dynastie des Song 宋. La dynastie des Song 宋 est en effet
une période de modernité, avec le développement d’une économie pré industrielle. La période
marque aussi le triomphe d’une nouvelle forme de confucianisme (le néo-confucianisme).
Malgré la quantité des échanges commerciaux avec le monde, la dynastie est considérée
comme fermée. La dynastie des Song 宋 n’a pas les moyens de conquêtes géographiques, et
se heurte souvent à des voisins qui la font reculer vers le Sud (d’où la distinction entre Song
du Nord 北宋 et Song du Sud 南宋). Les Song 宋 sont finalement remplacés en 1279 par
l’Empire Mongol, qui englobe la Chine. La dynastie mongole est remplacée en 1368 par la
dernière dynastie Han 漢, les Ming 明, qui seront eux-mêmes remplacés en 1644 par la
dynastie mandchoue Qing 清 , durant laquelle l’Empire a connu sa plus forte extension
géographique.
Chaque changement de dynastie semble se produire de la même façon : des agitations
intérieures matérialisées par des révoltes populaires, accompagnées de crises économiques, de
catastrophes naturelles, de tensions aux frontières et de crises politiques. En ces périodes de
troubles, un nouveau pouvoir se développe. Les fondateurs de dynastie sont en général
présentés de façon positive. Chaque dynastie connaît une période de développement, puis une
période de décadence qui présage de la fin. Ce schéma ne tient pourtant pas compte des
révoltes populaires et autres troubles qui n’ont pas entraîné de changement de dynastie. Ce
schéma est apparu comme évident sous les Han 漢, à tel point qu’il a été appliqué par Sima
Qian 司馬遷 à des périodes antérieures qui ne furent pas dynastiques (les Trois Dynasties 三
代 , pour lesquelles le terme de dynastie est inapproprié, puisqu’il existe en réalité une
concomitance entre trois chefs de clan a prépondérance variable).
Sur plus de deux mille ans d’histoire, la Chine a ainsi connu six périodes d’unification
entrecoupées de quatre périodes de désunion. L’histoire chinoise n’est ainsi pas si continue
qu’on le dit.
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III/ L’empire chinois, le territoire et sa construction
A/ Le cœur : plaine du Nord et vallée du Changjiang 長江.
Cf. dossier.
L’empire chinois se compose d’un cœur : la plaine centrale, ou plaine du nord, autour
du Fleuve jaune 黃河 et la moyenne vallée du Changjiang 長江. Le cœur du pays, à partir des
Ming 明 et des Qing 清, s’appelle la Chine des 18 provinces, par opposition aux territoires
rattachés plus récemment à l’Empire. Ce cœur n’est pas resté constant. Qin Shihuangdi 秦始
皇帝 ne contrôle ainsi qu’une partie de la Chine des 18 provinces. Au début des Qing 清, la
Chine compte seulement 16 provinces, dont deux sont divisées en deux (Hubei 湖北 et Hunan
湖南, Jiangxi 江西 et Jiangbei 江北). Cette Chine des 18 provinces dure jusqu’en 1884, date à
partir de laquelle les territoires de l’Ouest (Xinjiang 新疆) sont intégrés en tant que provinces.
En 1885 est crée la province de Taiwan 台灣. En 1907 sont créées les trois provinces de la
Mandchourie (Heilongjiang 黑龍江, Liaoning 遼寧, Jilin 吉林). C’est à partir de ce cœur que
l’Empire a connu des extensions plus ou moins importantes et de durées variables, en général
suivies de replis voire d’abandons.
B/ Périphéries et expansion territoriale.
Les expansions débordent vers l’ouest, le sud et le nord-ouest sous les Han 漢, les
Tang 唐, les Yuan 元 et les Qing 清 (sous les Qing 清, le territoire couvre 11 millions de km²,
avec l’apport des territoires mandchous et de la Mongolie - sous les Yuan 元, l’Empire est
plus vaste, mais n’est pas contrôlé par la Chine).
C/ Les périodes de désunion.
Pendant les périodes de désunion, l’Empire disparaît. Les périodes de crise se
caractérisent par l’écroulement du pouvoir central et une tendance à la féodalisation.
L’histoire chinoise serait le fait d’une tension entre centralité et féodalité. La faiblesse des
autorités centrales serait expliquée par des périodes de décadence récurrentes dans l’histoire
chinoise, durant lesquelles l’ensemble du pays affronte des problèmes économiques et sociaux.
Les crises économiques peuvent s’expliquer par de mauvaises conjonctures, liées à des
catastrophes naturelles. C’est alors qu’apparaissent des révoltes populaires, dirigées par des
chefs qui deviennent fondateurs de nouvelles dynasties (il existe des usurpations : fondateurs
de dynastie qui n’ont pas réussi). Les périodes de désunion ont pu cependant être très riches
en terme culturel : l’affaiblissement du confucianisme du pouvoir central favorise
l’émergence de nouvelles pensées. Le bouddhisme est ainsi apparu en Chine après
l’affaiblissement des Han 漢. L’art chinois s’est aussi développé à la faveur des périodes de
désunion. La division n’implique pas forcément le chaos. Les souverains des royaumes
divisés ont souvent essayé de développer leur territoire et de maintenir de bonnes relations
avec leurs voisins. L’unité chinoise est donc moins ancienne qu’on ne le croit, et elle n’a
jamais cessé d’être remise en cause. L’idée d’unité s’est développée autour d’une notion de
culture commune, qui donne aux chinois le sentiment de partager des valeurs communes.
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IV/ Qui sont les Chinois ?
Il n’y a pas de définition pertinente des Chinois. Le terme de chinois n’est pas utilisé
en Chine. Le terme de Chine et de Chinois renvoie à la dynastie Qin 秦, dont le nom a transité
par l’Inde. En Chine, les populations portaient ainsi le nom de la dynastie régnante (homme
de Zhao 趙, homme de Qi 齊, homme de Chu 楚…). Ce n’est donc qu’à partir de Qin 秦 qu’il
y a eu un terme générique désignant les Chinois.
Les Chinois se désignent par le terme de zhongguoren 中國人, qu’on peut traduire par
Chinois. Le terme de Hanren 漢人 (sujet de la dynastie de Han 漢, devenu Hanzu 漢族, ethnie
de Han) désigne l’ethnie majoritaire en Chine. Ce sont donc des Chinois qui ne tiennent pas
compte des minorités nationales. Les russes désignent la Chine par le terme Kitai, qui a
donné Cathay, qui vient du nom de Qi Dan, fondateur de la dynastie des Liao 遼. Les Japonais
ont gardé le nom de Tangren 唐人, c'est-à-dire, habitant du pays Tang 唐. Par déformation de
langage, cela a donné « Tojin » qui a pour sens « étranger ». Les quartiers chinois sont
aujourd’hui toujours désignés par l’appellation Tangrenjie 唐人街.
Au 19e siècle, les Chinois se sont aussi nommés par un nom céleste (天下). Huaxia 華
夏 est un terme abusif pour signifier « culture chinoise ». Il renvoi en effet à la dynastie des
Xia 夏.
Il n’y a aucune connotation ethnique dans les termes employés en Chine pour qualifier
les Chinois. Les termes peuvent englober différentes populations au fil du temps et des
frontières. Ainsi, les Japonais, au moment de la décadence de la Chine sous la pression des
puissances occidentales au 19e siècle, se sont réclamés du titre de 中國 mais ne se sont jamais
dits « Chinois » de nationalité. De nos jours, 中國人民 désigne le peuple chinois citoyen de la
République populaire de Chine. 中華民族 sont les différentes ethnies qui composent un
ensemble de peuplades qui vivent sur le territoire chinois. Hanzu 漢族 désigne l’ethnie
majoritaire (95% de la population), qui participe au HuaXia 華夏. La distinction date des
Mongols, qui souhaitaient distinguer les deux peuples. La définition de la population chinoise
n’est donc pas stable. Ainsi, certains Taiwanais refusent le terme de « Zhongguoren 中國人 ».
Pour Fan Wenlan, décédé en 1969, historien chinois marxiste, la culture chinoise
HuaXia 華夏 s’est nourrie de plusieurs influences pour se construire. Il suppose que cela a pu
être les Man 蠻 (barbare du Sud),Yi 夷 (barbare de l’Est) et Rong 戎 (barbare du Nord). La
culture de l’empereur mythique Huangdi 黃帝 étant à l’origine celle du Nord-est (culture de
Yangshao 仰紹), elle aurait peu à peu fusionné avec les autres.
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Chapitre 2 : Ecriture et Histoire_
C’est l’apparition de l’écriture qui fait entrer un peuple dans l’histoire. Les premières
formes d’écriture sont ainsi apparues au 26ème siècle en Mésopotamie, sous la forme d’une
écriture cunéiforme. Dans le cas du chinois, certains distinguent deux langues, le 文言,
langue écrite et le 普通話, langue parlée.
Certaines personnes se sont demandées si l’écriture chinoise pouvait être une écriture
universelle, car elle sert à la transcription de plusieurs langues sur le territoire. Le chinois a
été écrit en Corée à la fin du 4e siècle mais a été rapidement remplacée. Le Vietnam l’a utilisé
du premier siècle avant JC au 16ème siècle et le Japon emploie un double système dont l’un est
composé de caractères traditionnels chinois depuis le 7e siècle. Leibniz a ainsi vu le chinois
comme une langue à potentiel universelle.
Jusqu’en 1920, la langue écrite, réservée aux lettrés chinois, est très différente de
l’ensemble des langues parlées.
I / L’écriture
A/ Apparition de l’écriture en Chine
Les premiers textes chinois connus sont écrits sur des os de bovidés et des écailles de
tortues. Les premiers os gravés ont été découverts en 1899 par un lettré chinois malade.
L’intérêt de ces os réside en ce qu’ils sont gravés et leurs fonctions sont marquées. Sur ces os,
on a pu repérer 4 672 graphies et 1 626 d’entre elles ont été déchiffrées. Ces graphies
dépassaient rarement cinq traits. Il existait alors différentes écoles, et à une école
correspondait une graphie, même si les champs syntaxiques et lexicaux étaient relativement
identiques. Pour lire dans les écailles de tortues, on faisait chauffer celles-ci. Avec la chaleur,
des craquelures apparaissaient. Les devins commentaient l’avenir selon la marque des
craquelures. On utilisait les os et les écailles pour savoir si les dieux étaient en faveur des
hommes ou non, quels types de sacrifices désiraient les ancêtres, etc. Il arrive que l’on ait
inscrit sur l’os le nom du devin. Cette écriture était une langue concise et concrète.
L’invention de l’écriture chinoise a donc un caractère divinatoire, qui relève plus de la
magie que de l’utilisation quotidienne. L’invention de l’écriture est attribuée par la tradition
aux Trois Augustes 三皇 et aux Cinq Souverains 五帝. C’est notamment l’auguste Fuxi 伏羲
(2852-2737), qui auraient inventé les Bagua 八卦 (huit trigrammes, composé de trois traits,
avec une alternance de traits brisés, yin 陰, et de traits pleins, yang 陽), à l’origine du Yijing
易經 (livre des mutations), commentaire des soixante quatre hexagrammes formés par les
combinaisons des Bagua 八卦. Le Yijing 易經 serait le premier texte écrit en Chine.
D’autres légendes attribuent l’invention de l’écriture à un autre personnage, Cang Jie,
scribe devin du souverain Huangdi 黃帝 (2674-2575), aussi légendaire que le souverain jaune.
L’auguste Shennong 神農 (2737-2697), aurait, lui inventé un système de comptage par des
cordelettes nouées. L’invention graphique des caractères chinois se serait inspirée des traces
de pattes d’oiseaux et de mammifères. D’après l’auteur Xu Shen 許 慎 , dans son livre
Shuowen jiezi 說文解字, premier dictionnaire de caractères chinois, daté de 100 avant notre
ère par les historiens, le Souverain Jaune Huangdi 黃帝 distribuait les charges de la fonction
publique en fonction de la connaissance du système d’écriture.
Les termes d’idéogrammes et de pictogrammes n’incluent pas l’ensemble des
formations graphiques des caractères chinois. Ces termes sont donc réducteurs appliqués à
l’écriture chinoise. Certains caractères, qui ont perdu leur forme originelle, n’ont plus une
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graphie évocatrice de leur sens. D’autres contiennent aussi des éléments phonétiques plutôt
que sémantiques. Dans les anciens dictionnaires (le dictionnaire Kangxi 康熙, publié au début
du 18ème siècle, du nom de l’Empereur qui l’a commandité), la prononciation des caractères
est indiquée par l’utilisation de deux caractères simples et connus. Il faut prendre l’initiale du
premier de deux, et la finale du second. Ainsi, la prononciation de 工 est donnée par les
caractères 古 et 紅. Les prononciations depuis ces dictionnaires ont cependant changé. On
peut déterminer les anciennes prononciations par l’analyse des anciennes versifications, qui
montre que les langues Hakkas 客 家 ou d’autres dialectes du Fujian 福 建 ont des
prononciations plus proches de la langue chinoise antique que le Putonghua 普通話.
B/ La réforme de Qin Shihuangdi 秦始皇帝 et ses conséquences
Les historiens n’ont pas réussit à décrire la façon dont s’est répandue l’écriture. On
pense cependant que vers l’an mil avant notre ère, l’écriture était relativement répandue. En
221, Qin Shihuangdi 秦始皇帝 a cherché à unifier les caractères chinois. Sans cette réforme,
qui a été maintenue par les Han 漢, l’écriture aurait pu avoir des évolutions diverses dans les
différents royaumes, et plusieurs systèmes d’écriture chinoise auraient été en concurrence.
Environ la moitié des caractères existants, notamment les doublons ou les triplets, ont ainsi
disparu. Qin Shihuangdi 秦始皇帝 élimine aussi certains caractères pour les remplacer par
des formes ayant des composants plus standards. Enfin, il impose une seule forme
standardisée pour chacun des caractères, sans plus aucune marge de manœuvre pour les
scribes. Cette réforme a donné lieu à une querelle philosophique entre partisans des Guwen 古
文, caractères d’avant la réforme, et partisans des Jinwen 今文, caractères d’après la réforme.
Cette réforme donne aussi lieu au premier autodafé de l’histoire chinoise : Qin Shihuangdi 秦
始皇帝 fait détruire l’ensemble des livres n’évoquant pas sa dynastie, de façon à effacer de la
mémoire des Chinois leur appartenance à d’anciens royaumes. Ainsi, la plupart des écrits
antérieurs aux Qin 秦 n’ont pas été conservés dans leur langue d’origine et avec leur écriture
d’origine. Les querelles entre lettrés (hommes qui produisent au moins un commentaire
d’œuvre classique) sont donc entamés à propos des classiques disparus. Une légende parle
cependant d’un classique en Guwen 古文 découvert dans la maison de Confucius.
Le dictionnaire de Xu Shen 許慎 contient environ 9000 caractères. Dans le Kangxi 康
熙, on trouve 42 000 formes distinctes. Au début des années 1990, la République Populaire de
Chine a édité un dictionnaire qui compte 56 000 caractères. On évoque parfois l’existence de
80 000 caractères si on tient compte des caractères spécifiques aux dialectes. Le grand
dictionnaire Ricci retient un peu plus de 13 000 caractères. De façon générale, le nombre de
56 000 caractères est atteint en tenant compte des différentes formes d’un même caractère, y
compris les caractères mal tracés, qui se pérennisent du fait des recopiages à l’identique des
manuscrits. Les kanji des japonais sont parfois des formes simplifiées de l’époque des Tang
唐 qui n’ont pas été retenues en Chine. La République Populaire de Chine a simplifié certains
caractères en 1949.
C/ Langue écrite et langue parlée
Qin Shihuangdi 秦始皇帝 a effectué une unification linguistique écrite, mais pas orale.
Son objectif était de réaliser l’uniformisation bureaucratique, pour que tous les écrits
administratifs du pays utilisent la même écriture. Les langues parlées ont ainsi été préservées
dans leur intégrité. L’étranger, en Chine, n’est ainsi pas définit par sa langue, et la vitalité des
dialectes chinois s’explique notamment par la souplesse des caractères. Au fil du temps s’est
9
constitué un langage commun pour les bureaucrates et les lettrés (guanhua 官話, à l’origine
du terme mandarin, mais qui n’était pas la langue de tout le peuple au sens où on l’entend
maintenant, le Putonghua 普 通 話 ). Des statistiques évaluent à 10% seulement de la
population Han 漢 aujourd’hui qui maîtrise le Putonghua 普通話.
La langue chinoise actuelle n'en est qu'une parmi beaucoup d'autres. La définition du
Putonghua 普通話 est la prononciation des caractères de Pékin 北京 (mais pas la langue), le
vocabulaire des parlers du nord et la syntaxe des ouvrages vernaculaires des années 1920.
II/ Les sources de l’Histoire chinoise.
A/ Les premiers documents écrits (Cf. tableau page 31 du dossier)
1/ Oracles et Jiaguwen 甲骨文
Les premiers documents sont les jiaguwen 甲骨文, archives de la dynastie des Shang
商, dont le plus long ne fait pas plus de cinquante caractères. Ces inscriptions traitent des
activités de la dynastie régnante, et c’est en cela qu’elles permettent de se faire une idée de la
vie à cette époque. Les scribes élargissent leur compétence, en devenant notaires, archivistes,
et annalistes. Les supports de l’écriture vont se diversifier. Ainsi, le caractère 史, qui désigne
à l’origine un devin, désigne par la suite l’annaliste puis l’historien.
2/ Inscriptions sur bronze et autres supports
Les graphies évoluent en changeant de support, notamment avec les bronzes qui sont
une source importante de l’histoire chinoise. On passe d’idéogrammes réalistes simples, qui
servent à désigner les clans, à des messages plus longs qui servent à noter les évènements
importants à l’époque où a été fabriqué le bronze, ou ce pourquoi le bronze a été fabriqué. Les
bronzes marquent une cérémonie, racontent des légendes ou des batailles, permettent de
conserver des contrats. Les inscriptions des bronzes s’allongent à la fin des Shang 商. Le texte
le plus long a été retrouvé sur un tripode, en 499 caractères. Depuis la fin des Shang 商,
plusieurs millions d’inscriptions sur bronze ont ainsi été produites. Certaines inscriptions sur
bronze se concluent par la phrase « pour être conservé éternellement par nos descendants », et
comprennent parfois une datation.
B/ Les premiers livres historiques
1/ Les anciennes annales
On atteint un autre stade avec les inscriptions sur lamelles de bambou ou de bois, qui
constituent les premiers livres historiques. Ce sont les annales de la période des Shang 商,
formes primitives de l’historiographie chinoise. Il ne reste plus de ces annales, mais on sait
qu’elles existaient par la présence du caractère 册 ce à cette époque, qui signifie annale. Les
annales se développent ensuite à l’époque des Zhou 周. On date de 841 avant notre ère la
volonté de la maison royale d’écrire son histoire année après année. Très tôt, en Chine, la
rédaction de l’histoire a donc relevé d’une fonction officielle, et était donc dépendante du
pouvoir. Un office des historiographes se met en place, ce qui n’était pas le cas dans les Etats
occidentaux. Les faits et gestes du souverain, les actes du gouvernement et les grands
évènements sont ainsi consignés dans ces annales, qui cherchent à constituer des répertoires
de modes de gouvernement. On retrouve cette préoccupation chez Confucius, dans la quête
dans le passé des réponses aux problèmes du présent. Ainsi, les annales de Lu 魯, ou Chunqiu
10
春秋, Printemps et Automnes, sont en général attribuées à Confucius, qui n’a pourtant fait que
remanier des annales anciennes pour faire passer son message philosophique et éthique. Ces
textes, qui ont été les premiers touchés par l’autodafé des Qin 秦, ont été reconstitués sous les
Han 漢. La langue de l’époque de Confucius n’était déjà plus compréhensible, car trop
archaïque pour les Han 漢. La reconstitution a été permise par la transmission orale de ces
textes, mais aussi par leurs commentaires. Il était de coutume dans l’antiquité de déposer des
livres dans les tombes des personnages importants. C’est ainsi que certaines tombes ont été à
l’origine de découvertes modernes. On a par exemple retrouvé un livre de tablettes de bambou
de 433 avant notre ère, dans l’Etat de Zeng. Outre les bambous, on a pu aussi utiliser la soie
comme support de l’écriture.
Les Annales sur Bambou, ou Zhushu Jinian 竹書紀年, sont un ouvrage qui a été
enfouit en 299 avant notre ère et qui ont été redécouvertes en 290 de notre ère. Ces annales
fournissent une chronologie du Souverain Jaune 黃帝 à l’époque de leur écriture. Ces annales
sont d’autant plus intéressantes que le grand historien Sima Qian 司馬遷 ne les a pas connues,
et permettent ainsi des recoupements qui valident les autres sources.
2/ Les classiques, Shujing 書經 et Shijing 詩經
Les classiques font intégralement partie des sources de l’histoire chinoise. Dans le
Shujing 書經, classique confucéen, on trouve l’histoire de l’époque de Yao 堯 et Shun 舜
jusqu’en 721 avant notre ère, ainsi que des documents d’époque Shang 商 et Zhou 周. A
l’origine, il compte une centaine de chapitres. Après l’autodafé, seulement une cinquantaine
d’entre eux ont pu être reconstitués par la campagne de reconstitution menée par les Han 漢.
On dispose aujourd’hui d’une version en guwen 古文 et d’une version en jinwen 今文 de ce
classique. L’exemplaire en guwen 古文 aurait été retrouvé dans les murs de la maison de
Confucius. La version en jinwen 今文 a été reconstituée à la même époque, d’après la légende,
grâce à la mémoire d’un vieillard aveugle qui avait bénéficié de la transmission orale.
Confucius le revendique dans le Lunyu 論語 (les Entretiens) : il n’a rien inventé, il
s’est contenté de transmettre. Ce n’est qu’à partir des Han 漢 qu’on commence à sanctifier ces
ouvrages « classiques », qui expriment l’orthodoxie de la pensée chinoise. Ces ouvrages ont
une coloration historique évidente. Le Shijing 詩經 (Classique des odes) a lui aussi un
caractère historique dans la mesure où il évoque des personnages historiques. A l’époque de
Confucius, on dit qu’il existait près de 3000 odes. Confucius n’en a retenu qu’environ 300.
Son travail a donc été destructeur en partie, il a effectué une censure. Il aurait voulu effacer de
la mémoire collective ce qui ne lui agréait pas. Il n’a ainsi gardé que certaines odes en
fonction de leur valeur morale ou historique.
3/ Le livre et l’invention du papier
Avec l’apparition et le développement de cette première littérature, les supports se
modifient. Les bronzes et les jiaguwen 甲骨文 ne conviennent en effet plus. On franchit un
nouveau pas dans la diffusion de la connaissance et l’évolution de l’écriture avec l’invention
du livre (rouleaux de soie, à l’époque des Royaumes Combattants) et du papier. Les plus
anciens textes écrits sur soie que l’on ait retrouvé datent du 3ème siècle avant notre ère, du 5ème
pour les bambous. Bambous et soie sont ensuite remplacés par du papier, tout d’abord du
papier de soie (on suppose 1er siècle avant notre ère), matière lisse, mais coûteuse, puis papier
de fibre végétale, plus grossier. On a ainsi retrouvé du papier de fibre végétale dans une
tombe Han 漢 du 1er siècle. La tradition chinoise présente un personnage, Cai Lun, mort vers
121 de notre ère, comme l’inventeur du papier. En réalité, il aurait en fait amélioré le procédé
de fabrication du papier en fibre végétale. La fabrication du papier s’est répandue rapidement
11
en Chine, et au 3ème siècle de notre ère, son utilisation était généralisée. La première papeterie
en Europe n’apparaît en Espagne qu’en 1150.
Les écrits anciens, considérés comme la marque du pouvoir, étaient déposés dans le
trésor des princes, avec les archives, les objets précieux et étaient dotés d’une valeur magique,
voire symbolique. Ils comptaient parmi les instruments du pouvoir. Longtemps, la
bibliothèque impériale était appelée « dépôt secret », puis « département des écrits secrets ».
Ces lieux deviendront les lieux de rédaction de l’histoire. Avec les Han 漢, on franchit une
autre étape en entrant réellement dans l’histoire. C’est en effet l’époque des premiers grands
historiens de la Chine, Sima Qian 司馬遷 et Ban Gu 班固.
III les historiens sous les Han 漢 et l’histoire officielle Cf. tableau page 32
A/ Sima Qian 司馬遷 (145-90 avant notre ère) et les Mémoires historiques Shiji 史記
La Chine dispose d’un ensemble d’ouvrages historiques uniques au monde, qui
retracent l’histoire de la Chine de Huangdi 黃帝 jusqu’à la dernière dynastie.
Dans les Mémoires Historiques de Sima Qian 司 馬 遷 , il y a une partie
autobiographique. On a donc quelques renseignements sur l’auteur. Sima Qian 司馬遷 (on
admet qu’il a vécu entre 145 et 90, ce qui correspond presque exactement au règne de
l’empereur Wu des Han – Han Wudi 漢武帝) est le premier grand historien de la Chine. On le
compare à Hérodote et Thucydide. Il est né dans la province du Shaanxi 陜西. Il passe sa
jeunesse à la campagne. Dès 10 ans, il connaissait par cœur les textes anciens, et à 20 ans, il
se lance dans de longs voyages et est présenté comme l’un des grands explorateurs de son
temps. Il a été jusqu’au confins de la Chine. Il devient duc-grand astrologue (taishigong 太史
公) à la suite de son père, en 104 avant notre ère. L’idée d’écrire une histoire synthétique des
origines jusqu’à son époque est le fait du père de Sima Qian 司馬遷, Sima Tan 司馬談, qui
n’a pas eu le temps de réaliser cette idée avant sa mort. C’est pour relever le prestige de sa
fonction que Sima Tan 司馬談 voulait se lancer dans la rédaction d’une histoire générale. On
ne sait pas si Sima Tan 司馬談 avait déjà commencé à rédiger, on sait en tout cas qu’il avait
commencé à rassembler les sources. En tant que taishigong 太史公, il avait notamment accès
aux archives.
C’est aussi un épisode tragique qui pousse Sima Qian 司馬遷 a rédiger son histoire
(on sait ceci grâce à une lettre, réponse à un ami qui demande son aide, reprise plus tard dans
le Hanshu 漢書). Sima Qian 司馬遷 a eu le tort de prendre la défense du général Li Ling 李陵,
condamné à mort pour trahison, pour s’être rendu, pour épargner ses hommes, aux Xiongnu
匈奴 qui les encerclaient. Sima Qian 司馬遷 est jugé comme traître et condamné à la
castration. Il avait deux échappatoires possibles : le suicide, ou racheter sa peine. Il ne voulait
pas se suicider pour avoir le temps de faire honneur à son père en continuant son œuvre. Il
n’avait pourtant pas non plus les moyens de racheter sa peine. Sima Qian 司馬遷 a donc subit
son châtiment, peine infamante. Ce châtiment aurait été une vengeance de Han Wudi 漢武帝,
du fait de ce que Sima Qian 司馬遷 aurait écrit sur lui. Cette théorie n’est pourtant pas
considérée comme valable, parce qu’on estime que Sima Qian 司馬遷 a écrit son œuvre
secrètement. Elle n’a d’ailleurs pas été publiée de son vivant. Sima Qian 司馬遷 restera amer
de n’avoir pas été défendu, et expliquera que le premier critère pour être un homme vertueux
est d’être riche, ce qui scandalisera les confucéens. Sima Qian 司馬遷 avait d’ailleurs plus
d’inclinaison vers le taoïsme que vers le confucianisme, ce qui lui sera reproché sous les Han
漢.
12
L’œuvre de Sima Qian 司馬遷 est historiquement originale et innovatrice. Il s’agit
d’une œuvre privée, personnelle. Elle a été considérée comme magistrale par la suite, à tel
point qu’elle a servit de modèle aux histoires dynastiques qui ont été rédigées plus tard, alors
que l’œuvre de Sima Qian 司馬遷 elle-même n’est pas une histoire dynastique, mais une
histoire globale du zhongguo 中 國. L’œuvre est beaucoup plus ambitieuse que le style
chronologique et évènementiel qui existait auparavant, d’une part du fait de la large période et
du large espace couvert, mais aussi par la diversité des matières traitées : il y a en plus de
l’évènementiel une histoire culturelle, économique, sociale, religieuse, etc. Tout ce que l’on
sait de la période couverte aujourd’hui a été puisé dans Sima Qian 司馬遷. Les Mémoires
historiques ont aussi largement inspiré les romanciers et les conteurs.
Les Mémoires Historiques sont divisés en 130 chapitres, répartis en section : les Benji
本紀, annales principales, suivies par les Nianbiao 年表, tableaux chronologiques, suivis par
les Shu 書 (qui plus tard deviendront des Zhi 志), traités thématiques (rituels, institutions,
économie, etc.), suivis des Shijia 世家, qui traitent des grands vassaux, et enfin les Liezhuan
列傳, « vies exemplaires », ou biographies, au nombre de 70, qui sont la partie la plus
importante de l’œuvre. On trouve les biographies de tous les personnages marquants de leur
époque : femmes vertueuses, penseurs, fonctionnaires exemplaires… Les fouilles
archéologiques, en général, ne font que confirmer les dires de Sima Qian 司馬遷, qui reste la
source principale d’histoire de son époque et des précédentes. On a ainsi tendance à
considérer la dynastie des Xia 夏, dont il n’y a pas de traces archéologiques, comme semi
mythique, parce que Sima Qian 司馬遷 en parle.
En français, la traduction des Mémoires Historiques est due à Edouard Chavannes
(1865-1918), pour les 50 premiers chapitres du Shiji 史記, après un séjour en Chine où il a
reçu l’aide de lettrés chinois. Par la suite, Sylvain Lévy, spécialiste du bouddhisme, l’a
influencé, et Chavannes a changé son domaine d’études. Chavannes a aussi annoté sa
traduction, et a fourni une longue introduction dans laquelle il porte un certain jugement sur
Sima Qian 司馬遷. Il oppose dans cette introduction deux conceptions de l’histoire. Dans ce
qui serait la conception occidentale, l’histoire est une œuvre personnelle dans laquelle
l’historien repense les documents et les ordonne selon sa façon de voir. Dans ce qui serait la
conception chinoise, Chavannes voit l’histoire comme une mosaïque d’écrits. Les historiens
chinois se contenteraient de placer côte à côte les documents qu’ils ont eus entre les mains en
ajoutant l’histoire de leur époque. L’auteur n’interviendrait que dans la sélection des textes et
par son habilité à les raccorder les uns aux autres. On a donc un œuvre impersonnelle.
Lorsqu’on a affaire à des évènements dont Sima 司馬 aurait été le témoin, Chavannes se
demande si l’auteur parle en son nom ou s’il ne fait que recopier des documents aujourd’hui
disparus. Chavannes estime qu’il n’a fait que recopier. A l’exception des endroits où Sima
Qian 司馬遷 écrit « l’historien pense », on ne sait ainsi pas s’il n’a pas que repris le récit des
évènements qui avaient cour à son époque. Chavannes explique qu’on chercherait en vain
dans l’œuvre une philosophie de l’histoire. Il n’y a pas de discussion raisonnée de points
douteux. Ainsi, dans les Mémoires historiques, on retrouve des passages entiers du Shujing 書
經 (avec quelques divergences qui font couler beaucoup d’encre).
Chavannes serait cependant un peu injuste. Il aurait en effet jugé l’œuvre en fonction
de ce qu’il s’attendait à trouver, et non de ce qu’elle était. Chavannes, lui-même, en tant
qu’historien, porte un certain nombre de jugements imaginatifs et subjectifs sur Sima Qian 司
馬遷, notamment en expliquant la vocation de cet historien et de Ban Gu 班固 par le
déterminisme historique. De façon générale, les jugements de Chavannes traduisent la
conception de l’histoire qui prévalait à son époque en France.
13
Les histoires dynastiques en tant que recueils de matériaux, sont cependant de riches
sources pour les historiens, des anthologies de textes anciens. Les lettrés de façon générale
avaient une philosophie de l’histoire. C’était notamment des propagandistes à tel point que les
historiens modernes ont encore des difficultés à analyser cette histoire. Sima Qian 司馬遷
aurait réussi à faire passer son message derrière une apparence d’objectivité. Jean Lévy, tire
ainsi des conclusions sensiblement différentes à travers le portrait qu’il dresse de Han Wudi
漢武帝 en s’appuyant sur le portrait qu’en fait Sima Qian 司馬遷 (in Le fils du ciel et son
annaliste). Son ouvrage a été mal accueilli par les historiens. On a longtemps pensé que le
Shiji 史記 contenait une biographie de Han Wudi 漢武帝, qui n’existe pas dans la version qui
nous est parvenue. Beaucoup d’historiens ont considéré qu’il y avait eu une censure, du fait
des attaques particulièrement violentes de Sima Qian 司馬遷. Pour Jean Lévy, cette thèse ne
tient pas, parce que dans d’autres passages du Shiji 史記, on trouve aussi de très violentes
attaques contre Han Wudi 漢武帝. Jean Lévy défend donc le point de vue selon lequel
l’œuvre qui nous est parvenue est conforme à l’original et qu’il s’agit d’un choix, la critique
étant d’autant plus virulente qu’il n’y avait pas de biographie de Han Wudi 漢武帝 : ne pas
laisser sa biographie à la postérité était une façon de punir l’Empereur. Si réellement on avait
voulu délester l’œuvre de la biographie de Han Wudi 漢 武 帝 , Jean Lévy se demande
pourquoi on n’a pas censuré les autres portions défavorables à l’Empereur. Parmi les passages
qui donnent une mauvaise opinion de Han Wudi 漢武帝 se trouve la monographie sur la
monnaie, dans laquelle Sima Qian 司馬遷 utilise un moyen de rendre compte de la cruauté de
l’Empereur, par le récit du voyage de celui-ci en province l’année 112 avant notre ère. Il
donne aussi une image négative de l’empereur dans le tableau des marquisats qui ont été
institués entre 104 et 101 par Han Wudi 漢武帝. Sima Qian 司馬遷 indique dans ce tableau
les marquisats en question, les noms de ceux qui les reçoivent, les dates des apanages, et les
dates des mises à mort des personnes concernées, ou de leur dégradation. Sima Qian 司馬遷
montre ainsi que l’accès aux plus hautes fonctions de l’Empire équivalait à un arrêt de mort. Il
cite même le cas d’une personne qui a demandé à ne pas recevoir l’honneur d’être grand
conseiller.
Pour Jean Lévy, Sima Qian 司馬遷 aurait bien laissé un portrait de Han Wudi 漢武帝,
mais pas à la section « Han Wudi 漢武帝». On trouverait ce portrait sous la rubrique « Qin
Shi Huangdi 秦始皇帝 ». A l’époque où Sima Qian 司馬遷 a rédigé la biographie de Qin
Shihuangdi 秦始皇帝, il n’y a en effet plus aucun témoin direct du règne de cet empereur,
seulement des récits, légendes et réputations qui ont été transmis. Sima Qian 司馬遷 aurait
ainsi utilisé la personnalité de Han Wudi 漢武帝 pour dépeindre Qin Shi Huangdi 秦始皇帝.
Sima Qian 司馬遷 lui-même décrit la tâche qu’il a entreprise comme celle d’un
historien. Il veut faire œuvre scientifique, qui est l’aboutissement d’un véritable travail de
recherche et d’accumulation de documents. Sima Qian 司馬遷 reproduit certains textes du
Shujing 書經, mais aussi des textes de stèles disparues, gravées sur ordre de Qin Shi Huangdi
秦始皇帝.
B/ Ban Gu 班固(32-92) et le Livre ou Histoire des Han Hanshu 漢書
L’œuvre de Ban Gu 班固(32-92) se situe dans la continuité de celle de Sima Qian 司
馬遷. Sa démarche est cependant différente, dans la mesure où il a été choisi par les Han 漢
postérieurs pour rédiger l’histoire des Han 漢 antérieurs du fait de ses qualités d’écriture.
L’œuvre, le Hanshu 漢書, n’est pas tout à fait individuelle, puisqu’elle est commencée par le
père Ban Gu 班固, et poursuivie par la sœur de Ban Gu 班固. Le Hanshu 漢書 est la première
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véritable histoire dynastique. L’œuvre est vivante et témoigne des préoccupations de l’époque
(agriculture, main d’œuvre, prix). Elle compte 100 chapitres, et son plan est calqué sur celui
du Shiji 史記.
Les Benji 本紀 deviennent les Diji 蒂紀, les Nianbiao 年表 deviennent des Biao 表 et les Shu
書 deviennent des Zhi 志. Ban Gu 班固 s’appuie sur l’œuvre de Sima Qian 司馬遷, dont il
reprend des passages entiers, et sur d’autres ouvrages qui avaient pris la suite du Shiji 史記.
Ces ouvrages ont disparu, on n’en connaît l’existence que grâce au Hanshu 漢書. Le travail
de Ban Gu 班固 a été poursuivi par la suite, c’est ainsi qu’ont commencé les 25 ou 26
histoires dynastiques, selon qu’on inclut la Nouvelle histoire des Yuan de Xin Yuanshi ou non.
En 1773, l’Empereur Qian Long 乾隆 des Qing 清 a décidé de regrouper tous les
ouvrages en circulation en une grande collection. Ces ouvrages ont ensuite été classés en
fonction de leur importance. Les ouvrages de tête étaient ainsi les classiques, puis les histoires.
Les lettrés des différentes dynasties successives devaient connaître parfaitement les quatre
premiers recueils historiques (Shiji 史記, Hanshu 漢書, Houhanshu 後漢書 et Sanguo zhi 三
國志).
C/ Les 25 Histoires dynastiques 二十五史
A partir des Tang 唐, les histoires dynastiques sont systématiquement rédigées par les
successeurs de la dynastie. L’histoire des Ming 明 est ainsi rédigée sur ordre des empereurs
Qing 清. L’histoire des vaincus est rédigée par les vainqueurs. A partir des Tang 唐, il existe
un véritable office des historiographes, spécialement appointés pour conserver les archives
qui serviront plus tard à rédiger l’histoire de la dynastie et pour rédiger en s’appuyant sur les
documents précédents l’histoire des dynasties défuntes. Ceci commence avec la cinquième
histoire dynastique, le Jinshu 晉 書 , première histoire a avoir été rédigée par des
fonctionnaires. L’histoire de Song 宋, avec ses 496 livres, est la plus considérable de celles-ci,
ce qui traduit la passion encyclopédique des lettrés Song 宋. Il y a des sections nouvelles qui
apparaissent, en linguistique, faune, flore, cartographie et archéologie, notamment (on parle
de période pré moderne pour la dynastie des Song 宋).
Ces histoires étaient destinées à ceux qui étaient chargés de les rédiger : on en tire par
exemple des leçons de morale, mais aussi parce qu’elles contiennent des sections qui
concernent directement les lettrés en question (des chapitres sur la littérature, sur les
fonctionnaires). Pour certains, la rédaction d’une histoire relève aussi d’un exercice de lettré.
Ces histoires dynastiques ne connaissaient pas une importante diffusion. Elles se diffusaient
par des moyens indirects : le Shiji 史記 et le San Guozhi 三國志 ont ainsi inspiré des œuvres
littéraires (le Sanguo Zhi 三國志 a inspiré le Roman des Trois Royaumes, qui a lui-même
inspiré un nombre important d’œuvres diverses). Les histoires dynastiques se sont elles aussi
inspirées de récits populaires. Les histoires dynastiques sont une source inépuisable de
l’histoire de Chine, et quasiment les uniques sources.
Le Jinshu 晉書 est la première histoire officielle. Elle a été rédigée dans les années
640, par Fang Xuanlin 房玄齡 et deux autres rédacteurs en chef, assistés par une vingtaine de
lettrés fonctionnaires. A cette époque, il existe une vingtaine d’ouvrage de lettrés
indépendants qui portent sur l’histoire des Jin 晉 (3ème siècle). L’idée de l’Empereur Li
Shimin 李世民 était de rédiger une histoire officielle. Les lettrés choisissent une des histoires
en circulation et la complètent avec les autres et les archives qu’ils ont réussi à assembler. Le
travail de lecture finale par les rédacteurs en chefs aurait été mal effectué. Le Jinshu 晉書,
ainsi, dans certains de ses chapitres, renvoie à des chapitres qui n’existent pas. Ceci est
15
certainement du au fait qu’on ait recopié d’anciens ouvrages, qui eux, devaient comporter ces
chapitres en question. D’autre part, il existe des incohérences : on attribue parfois la même
anecdote à deux personnages différents.
Les préfaces à ces œuvres contemporaines de notre époque sont intéressantes dans la
mesure où celles-ci sont marquées politiquement. Ainsi, en 1974, la préface critique
l’apologie de la morale féodale contenue dans le Jinshu 晉書, mais aussi des superstitions
(histoires de fantômes), des croyances fantaisistes (le bouddhisme), des biographies qui ont
inspiré les 24 piétés filiales (critiquée en 1974, mais réhabilitée dans la préface des années
1980). Les marques de piétés filiales étaient en effet diffusées en exemple, sous forme
compilées ou à l’oral à la population. C’est le cas, par exemple, pour l’histoire d’un vieux
fonctionnaire qui continue à jouer comme un enfant devant ses parents pour leur faire oublier
qu’ils ont vieilli, ou l’histoire d’un fonctionnaire qui s’allonge sur la glace en hiver pour
pécher un poisson pour sa mère, ou ce fonctionnaire qui coupe un morceau de sa cuisse pour
faire une soupe à sa mère malade. Le Jinshu 晉書 a aussi été critiqué par les anciens pour ses
faibles qualités littéraires et pour le fait qu’il ne se soit pas attaché à la réalité de l’histoire,
mais au style, qui reste cependant lourd et ampoulé.
Le Jinshu 晉書 se termine par une section qui n’existe pas dans les autres histoires :
les notes diverses, divisées en 30 chapitres, qui portent sur les royaumes fondés dans le nord
de la Chine au 4ème siècle par des non chinois. Il existait à l’origine un ouvrage qui s’appelait
Wuguoshiliuguo, les 16 royaumes des 5 barbares, dont les rédacteurs du Jinshu 晉書 se sont
inspirés pour cette dernière section. Par la suite, l’ouvrage original a disparu, mais il existe
toujours un ouvrage qui porte ce titre, qui a en fait été reconstitué à partir du Jinshu 晉書. Il
est alors impossible pour les historiens aujourd’hui de déterminer ce qui revient à l’une ou
l’autre de ces œuvres.
IV La conception chinoise de l’histoire
Les histoires dynastiques représentent une œuvre considérable, unique au monde, mais
aussi un « piège ». A partir du moment où la version officielle de l’histoire est rédigée, tout ce
qui a servit à la rédaction de cette œuvre perd de son utilité. On n’a donc conservé aucune
archive originale. Il existe ainsi deux types d’archives en Chine, les N°1, dans la Cité interdite,
dans lesquelles on trouve quelques archives Ming 明 et des archives Qing 清, et les N°2, à
Nankin 南京, qui ne concernent que la Chine nationaliste. Les histoires dynastiques sont aussi
un piège dans la mesure où il est simple de suivre les chemins tracés par ces histoires, sans
tenir compte du fait que ces histoires ne livrent une vision de l’histoire qu’à travers l’histoire
dynastique, ce qui pose le problème des périodes qui ne connaissent pas de dynastie. Ainsi, la
dynastie Jin 晉 a été minée par les querelles de succession, qui se sont soldées par des révoltes
au sein de la famille impériale. Il s’agit ainsi certainement d’une dynastie « montée sur
pièce » par les historiens. Les historiens ont donc imposé une vision unitaire et impériale de la
Chine. L’archéologie devrait dans l’avenir contribuer à faire évoluer la perception de
l’histoire chinoise que l’on a. Ainsi, les récentes découvertes dans le Sichuan prouvent que se
sont développées des civilisations différentes de celles dont on rapporte l’existence dans les
histoires dynastiques.
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Chapitre 3 : L’Empire et la construction de l’Etat chinois
Petit à petit s’est développé un idéal de souverain, définit en fonction de la capacité de
celui-ci à faire régner la paix et l’harmonie.
I/ L’organisation du pouvoir avant la fondation de l’Empire
A/ Les Shang 商, entre vision traditionnelle et révision archéologique.
Il existe une divergence de points de vue entre chercheurs. Certains se fondent sur la
division en trois dynasties de Sima Qian 司馬遷 (Xia 夏, Shang 商, Zhou 周), d’autres se
fondent sur l’archéologie pour renier celle-ci. La société Shang 商 aurait reposé sur deux ou
trois cents groupes, que l’on a dénombrés et identifiés grâce à des marques isolées (pas encore
des inscriptions) sur les bronzes. Certains estiment que ces groupes sont des clans, d’autres
estiment qu’il s’agit davantage de corporations. Ces groupes sont concentrés chacun dans des
localités particulières. A la tête de chaque groupe, il y a un chef, dont l’activité principale et
l’organisation de la chasse, la guerre, l’organisation de banquets et de rites religieux. Ce sont
aussi ces chefs qui se distinguent des autres par leur possession des armes en bronze. Le
bronze est ainsi la marque d’une certaine aristocratie. Le fait que la famille Shang 商 possède
le pouvoir était matérialisé par la possession de neuf tripodes en bronze, symboles de la place
prédominante du bronze dans la société. La volonté de se rapprocher des mines de cuivre, qui
entre dans la composition du bronze, expliquerait aussi les changements successifs de
capitales.
L’économie Shang 商 se serait essentiellement appuyée sur des pillages lors
d’expéditions et sur des tributs. Les villes étaient contrôlées par les membres de la famille des
Shang 商. On trouve aussi des villes contrôlées par d’autres personnes, au statut subordonné.
Au-delà, se trouvent les barbares. La civilisation Shang 商 a connu un certain nombre
d’innovations : développement de l’industrie de la céramique, du bronze, utilisation des chars,
système d’écriture élaboré, pratique de rites religieux élaborés, avec l’existence de tombes. La
question qui se pose est de savoir si cette civilisation est le fruit d’une lente évolution, ou le
fruit de la domination des autochtones par un groupe étranger venu du nord, qui possédait
déjà le bronze. On a découvert des cultures datant de cette même époque mais indépendantes
des Shang 商, qui remettent en cause la vision unitaire d’une dynastie qui aurait dominé le
monde chinois à cette époque. Ainsi, les archéologues ne parlent plus d’ « archéologie des
Shang 商 », mais d’archéologie du début de l’âge de bronze.
B/ Le royaume Zhou 周 et la féodalité chinoise.
Avec les Zhou 周, on passe à une nouvelle étape. Si l’on suit les sources historiques,
avec les Shang 商, on vit encore dans une société assez dure (on pratique des sacrifices
humains), alors que les premiers rois de la dynastie des Zhou 周 ont incarné l’idéal du
souverain pour les confucéens. Dans l’historiographie de la RPC, tout ce qui précède 1949 est
caractérisé de féodal. En réalité, s’il y a eu une période réellement féodale dans l’histoire de
Chine, c’est à l’époque des Zhou 周. A l’origine, le roi distribuait des fiefs à ses lieutenants
pour des services rendus, comme en Europe, avec l’élaboration d’un système de droits et
devoirs réciproques, même si comme en Europe aussi, les fiefs s’autonomisent peu à peu du
pouvoir central pour devenir parfois des royaumes indépendants. En parallèle se développe un
embryon d’administration centrale, à caractère proto bureaucratique, avec l’existence de
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charges non héréditaires, qui peuvent être rémunérées par le don d’une terre, qui n’a pourtant
pas le statut de fief. On connaît cette société grâce à un ouvrage, le Rituel des Zhou 周. Cet
ouvrage a été détruit, et ce qui nous en est parvenu a été reconstitué sous les Han 漢. Pour la
plupart des écrits de la dynastie des Zhou 周, on n’a ainsi peu d’originaux. On ne sait donc
pas si les reconstitutions des Han 漢 correspondent à la réalité ou davantage à l’idéal que les
Han 漢 avaient à l’époque.
Le roi était souverain du Zhongguo 中國, avec sous sa dépendance, les domaines de
vassaux, qui copient l’organisation du domaine royal dans leurs fiefs. Le vassal reçoit une
terre dans un but précis. Les vassaux n’ont pas la possession de la terre, seulement la
jouissance. Le vassal devait garder son territoire, notamment empêcher les invasions
étrangères, pour les vassaux des périphéries. Le roi avait un devoir de protection envers ses
vassaux. Comme en occident, il existait des hiérarchies élaborées de suzerains et de vassaux.
Ces suzerainetés étaient instituées par des cérémonies précisément codifiées, faisant intervenir
des bronzes. La hiérarchie comprend cinq titres, traduits par des termes occidentaux (ducs,
marquis, etc.). Les fonctionnaires ne reçoivent pas de guo 國, mais de simples domaines non
héréditaires. Seul le roi peut commander les troupes. Il possède un certain nombre de chars et
de fantassins. La guerre est déjà codifiée. Face aux autres populations, il semble que la
distinction entre Zhou 周 et non Zhou 周 se fasse sur l’organisation : il existait un véritable
code pénal, et des officiers de justice étaient délégués dans les campagnes pour dire la justice.
Seul le souverain pouvait cependant condamner à mort. Un autre élément de distinction est le
développement du culte des ancêtres, qui apparaît déjà sous les Shang 商, mais qui est
développé sous les Zhou 周. A l’origine, il n’y a que le grand culte des fondateurs de
dynasties, mais les autres seigneurs vont développer aussi leur propre culte des ancêtres. Les
souverains s’autonomisent peu à peu, et les rituels marquant la création de liens de vassal à
suzerain s’érodent avec le temps. Petit à petit, ainsi, les rois n’ont plus qu’un pouvoir nominal,
et ne possèdent plus qu’un royaume parmi les autres.
II/ Le passage de la féodalité à l’Empire
L’Empire est un territoire assez vaste, plus vaste que le Zhongguo 中國 originel. C’est
aussi un pouvoir fort, souvent qualifié de « légiste ». Malgré le triomphe du confucianisme
par la suite, le légisme n’a jamais disparu en Chine.
A/ Le royaume des Qin 秦.
1/ Les origines
a/ Un des royaumes combattants
A l’origine, le royaume des Qin 秦 est un des royaumes combattants, qui s’est
développé au cœur de la vallée de Wei 渭, au nord ouest de la Chine (qui est aussi le berceau
des Zhou 周). On fait remonter l’histoire des Qin 秦 à Feizi, qui au neuvième siècle avant JC
reçoit du souverain Zhou 周 un petit apanage afin qu’il fournisse des chevaux à la maison
royale. Les descendants de Feizi, installés à l’origine dans la province du Gansu 甘肅 avant
de se déplacer dans la province du Shaanxi 陜西, à Xianyang 咸陽 (près de la future Xi’an 西
安), obtiennent par la site le titre de duc. Les Qin 秦 vont dans un premier temps consacrer
leurs forces à lutter contre leurs voisins les Rong 戎 , et s’attirer ainsi les faveurs des
souverains Zhou 周, dont ils sauvent la capitale. Les Rong 戎 étaient certainement des semis
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nomades, dont on sait peu de choses. Dans le monde chinois de l’époque, on considère
cependant les Qin 秦 comme plus proches des Rong 戎 que des autres Huaxia 華夏. Après
avoir assuré la sécurité sur ses frontières, le royaume de Qin 秦 va ensuite s’insérer dans le jeu
de pouvoir dans le monde chinois.
b/ Les réformes de Shang Yang 商鞅 (-359) et le légisme
En 361, le duc Xiao 孝 accède au pouvoir chez les Qin 秦. Il poursuit la politique de
ses prédécesseurs. Il souhaite non seulement renforcer son Etat, mais aussi conquérir les
autres. Il s’intéresse au programme d’un certain Shang Yang 商鞅 (380-338), qui lui promet
que s’il applique sa tactique de réforme, le duc Xiao 孝 pourra prendre le pouvoir. Ce sont ces
réformes proposée par Shang Yang 商鞅 (dont la biographie se trouve dans les Mémoires
historiques) que l’on nomme « légisme ». Shang Yang 商鞅 devient ainsi ministre des Qin 秦.
Pour Jean Lévy, la théorie de Shang yang 商鞅 serait la première théorie scientifique de la
manipulation des masses. Cette théorie a été appliquée. Le légisme s’appuie sur le règne de la
loi. Le royaume Qin 秦 n’est pas le seul à avoir appliqué les théories légistes, mais il est l’Etat
dans lequel elles ont le mieux marché. La théorie légiste tourne autour du rôle du souverain
idéal, qui doit mettre fin aux troubles. Pour Shang Yang 商鞅, s’il y a des troubles, c’est que
par le passé, les souverains ont essayé de régner par la clémence et la vertu. A l’opposé, il
propose d’instaurer des lois draconiennes, à l’image des lois naturelles : universelles,
nécessaires, justes et irréversibles. Pour être compétent, un gouvernement ne doit pas
s’attendre à ce qu’on l’aime, mais doit faire en sorte que l’on ne puisse pas se dresser contre
lui. Pour Shang Yang 商鞅, la cause première des évolutions historiques est l’appétit des
hommes : les hommes sont fondamentalement mauvais, et c’est parce qu’ils sont mauvais que
le souverain peut assujettir les hommes par les châtiments et les peines. Shang Yang 商鞅
s’appuie donc sur une loi pénale, qui doit réussir à imprimer aux hommes des conduites pour
que les sujets fassent spontanément ce qu’ils ne veulent pas faire (travailler, cultiver la terre,
et faire la guerre joyeusement). L’idéal de Shang Yang 商 鞅 est un paysan soldat. Le
gouvernement sera d’autant plus fort qu’il sera capable d’utiliser la cupidité et la lâcheté des
hommes, en faisant peser la menace de châtiments effroyables, mais aussi en distribuant des
récompenses. Pour être efficace, ce système doit fonctionner naturellement. Pour cela, il faut
que la loi soit excessive et cruelle, et ne tienne compte ni de l’intention, ni des circonstances
atténuantes. Les châtiments étaient nombreux et cruels. L’application des supplices vise
paradoxalement à leur suppression : les gens auront tellement peur des châtiments qu’il n’y
aura plus de délits à punir. La loi doit donc être connue de tous, et doit être intériorisée. Pour
cela, il faut confier l’application des ordonnances au plus bas niveau, c'est-à-dire aux familles.
Le système s’appuie sur la délation et sur la responsabilité collective (on punit un village pour
la faute d’une personne). L’idéal de Shang Yang 商鞅 est donc « un juge dans la tête de
chaque sujet ». L’objectif final est de faire en sorte que les hommes travaillent et soutiennent
les ambitions du prince en se faisant soldat. Les activités autres que l’agriculture et l’armée
sont considérées comme parasitaires et sont découragées. Il est en effet plus facile de
contrôler une population villageoise. Les petits commerces et artisans sont limités au strict
minimum. Le luxe n’est pas permis. Shang Yang 商鞅 n’est pas le seul théoricien légiste.
Qin 秦 s’engage donc dans ces réformes, avec une recherche de l’efficacité pure. On
ne se préoccupe pas des problèmes d’honneurs et de vertu. En pratique, l’ancienne aristocratie
est abolie, et est remplacée par une noblesse militaire, dont les rangs sont déterminés en
fonction du nombre de têtes ennemies coupées au combat. Les domaines de l’aristocratie
disparaissent, et le pays est divisé en circonscriptions administratives, aux têtes desquels sont
placés des fonctionnaires (nommés, rémunérés et destitués par le souverain). Les charges des
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fonctionnaires ne se transmettent pas héréditairement. Les terres, qui jusque là étaient
cultivées par des familles qui livraient des tributs au souverain, sont transformées en petites
propriétés privées paysannes. Les familles sont organisées en groupes collectivement
responsables de chacun. Les déplacements à l’intérieur du pays sont contrôlés : il faut un
permis. Les inactifs, vagabonds et criminels sont transformés en esclaves d’Etat. Châtiments
et récompenses sont appliqués en fonction d’un barème mécanique.
Shang Yang 商鞅 meurt en 338, en même temps que le duc Xiao 孝 : à la mort du duc
Xiao 孝, ses ennemis vont se liguer contre Shang Yang 商鞅, qui tente de fuir dans l’Etat de
Wei 魏, dont il est originaire. Ses compatriotes le livrent cependant à Qin 秦, il est mis à mort
et son cadavre est écartelé. Le système reste cependant en place et sera même renforcé par la
suite. L’Etat de Qin 秦 né des réformes de Shang Yang 商鞅 est assez particulier : il a atteint
ses objectifs de transformer le royaume en un Etat puissant, riche et redouté, qui inspire aux
habitants des autres royaumes un sentiment mêlé de terreur et d’admiration. En effet, au bout
de quelques années de régime draconien, la paix règne sur le pays, mais son potentiel militaire
est énorme. Ces théories du légisme (fajia 法家)seront développées par Han Feizi 韓非子.
c/ Le roi Zheng 政 (règne de 246 à 221)
Parallèlement à la mise en ordre intérieure de l’Etat, les conquêtes se poursuivent : en
311, c’est la conquête de l’actuel Sichuan 四川, en 267, du Hebei 河北, et l’année 256 marque
la fin officielle des Zhou de l’est 東周. En 249, le royaume Qin 秦 s’empare de l’ancien
domaine des Zhou 周, ce qui a une valeur symbolique forte pour leur légitimité. L’unification
finale est réalisée par le Roi Zheng 政, des Qin 秦, en 221. Le roi Zheng 政 a régné de 246 à
221 sur le royaume de Qin 秦. C’est le futur Qin Shi Huangdi 秦始皇帝. Zheng 政 naît en 259
à Handan 邯鄲, capitale du pays de Zhao 趙, parce que son père, Zichu 子楚, se trouvait dans
cette capitale. Son père était le fils d’une concubine de l’héritier du trône de Qin 秦. A
l’époque, en temps de trêves, les paix étaient concrétisées par des échanges d’otages. On
offrait en général un fils. Le père de Zheng 政 était ainsi un de ces otages. Ces otages étaient
souvent oubliés dans les cours voisines et étaient destinés à un avenir sombre. Le père de
Zheng 政 rencontra cependant un marchand, Lü Buwei 呂不韋, qui, en distribuant des
cadeaux aux cours de Zhao 趙 et Qin 秦, réussit à faire de Zichu 子楚 le prince héritier de Qin
秦. Zichu 子楚 devient ainsi roi de Qin 秦 entre 250 et 245. Zichu 子楚 fera de Lü Buwei 呂
不韋 son premier ministre. Entre temps Zichu 子楚 a épousé une ancienne concubine de Lü
Buwei 呂不韋, qui lui donne Zheng 政. Certains historiens estiment que le vrai père de Zheng
政 est Lü Buwei 呂不韋. Il peut s’agir cependant d’une vengeance des lettrés chinois destinée
à faire passer Zheng 政 pour un bâtard.
En 237, Zheng 政 doit déjouer un complot dans lequel a trempé un ancien amant de sa
mère. Le comploteur et toute sa parenté sont mis à mort, y compris les fils de la reine (demi
frères de Zheng 政). Zheng 政 épargne sa mère, mais l’écarte de lui. Certains conseillers lui
auraient demandé de pardonner à sa mère. Le 28ème conseiller à avoir demandé ce pardon
aurait obtenu gain de cause, alors que les 27 précédents auraient péris exécutés dans des
chaudrons d’huile bouillante. Lü Buwei 呂不韋 est accusé de complicité dans ce complot. Il
est condamné à l’exil, durant lequel il essai de plaider sa cause. Il se donne cependant la mort
avant que Zheng 政 ne décide de la faire. A cette même époque, un disciple de Lü Buwei 呂
不韋 devient premier ministre de Zheng 政, et le restera sous l’empire : Li Si 李斯. Li Si 李斯
est un adepte de Han Feizi 韓非子. Han Feizi 韓非子 est d’ailleurs écarté par Li Si 李斯, qui
le pousse au suicide. Li Si 李斯 s’efforce de renforcer le pouvoir de Zheng 政. Le Royaume
de Qin 秦 se lance alors dans la conquête des autres Etats, entre 230 et 221.
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2/ Qin Shuhuangdi 秦始皇帝, le premier Empereur (221-210)
En 221, le roi Zheng 政 se forge le titre de premier empereur, Qin Shi Huangdi 秦始皇
帝 (empereur fondateur des Qin 秦). Il créé le mot « Huangdi 皇帝», empereur, en unissant
les titres des 3 augustes et des 5 souverains (san HUANG 三皇 wu DI 五帝). L’empereur est
ainsi l’auguste souverain. On attribue à Qin Shi Huangdi 秦始皇帝 la fondation du peuple
chinois. Il aurait ainsi réunit un certain nombre de peuples. Les réformes qui ont été
appliquées avec un certain succès dans le royaume des Qin 秦, ont été étendues au nouvel
empire.
B/ Le légisme ou école des lois sous l’Empire
Les légistes se divisent en plusieurs écoles. Leur point commun est cependant la
conviction que seul le totalitarisme permet de bien gouverner. Ce sont des réalistes politiques,
teintés d’immoralisme, de machiavélisme et de cynisme. Ils prônent une société collectiviste.
1/ Han Feizi 韓非子 (280 ?- 234)
On connaît les théories de Han Feizi 韓非子 par un ouvrage éponyme. Han Feizi 韓非
子 aurait vécu de 280 (?) à 208. Pour lui, il faut faire comprendre aux administrés que les
peines sont irrémissibles. On doit les leurs faire connaître. Il est plus radical que Shang Yang
商鞅 : il est pour l’élimination pure et simple des individus « hors normes », les marginaux,
définition floue qui permet d’inclure un certain nombre de catégorie, comme les ermites et les
sages anachorètes, qui s’étaient exclus volontairement de l’Etat (Shang Yang 商鞅 n’en faisait
que des esclaves d’Etat). Les deux diffèrent aussi à propos de l’intelligence : Shang Yang 商
鞅 estime qu’il faut bannir l’intelligence, inutile. Han Feizi 韓非子 estime cependant qu’il
faut des intermédiaires entre l’Empereur et le peuple. C’est le rôle des fonctionnaires. Pour
Han Feizi 韓非子, les fonctionnaires doivent être choisis pour leurs capacités intellectuelles et
leurs connaissances. Il est cependant conscient qu’ils pourraient représenter un danger pour le
prince. Il prône donc un système de contrôle et de surveillance. Il donne ainsi une série
d’exemples cyniques : il faut une multiplication des sources d’information, les surveillants
doivent être surveillés et se sentir surveillés sans savoir qui les surveille, etc. Ce système
passe par une centralisation à outrance, que certains chercheurs présentent comme le premier
système totalitaire de l’histoire de l’humanité.
2/ Les réformes de Li Si 李斯 (280 ?- 208) ; destruction des livres (213) et mise à mort
des lettrés (212)
Qin Shi Huangdi 秦始皇帝 a une image ternie par l’historiographie, notamment du
fait d’un autodafé en 213 et du massacre de lettrés en 212. Qin Shi Huangdi 秦始皇帝 décide
en effet de détruire les livres suite à une recommandation de Li Si 李斯 (cf. page 39 du
syllabus). Li Si 李斯 recommande ainsi de brûler les histoires officielles et les classiques.
Pour Li Si 李斯, le risque est que certains utilisent ces livres pour dénigrer la modernité. Il
épargne cependant les ouvrages techniques et scientifiques. A donc échappé à la
condamnation le Yijing 易 經 , ouvrage de divination. Cette mesure va dans le sens de
l’unification chinoise, en ré écrivant l’histoire. Il semble que le décret aurait été appliqué dans
toute sa rigueur. Pratiquement toute l’œuvre des confucéens, les anciennes annales et les
rituels ont ainsi disparu. La destruction n’a cependant pas été si catastrophique : le décret date
de 213, alors que la dynastie s’écroule en 207. Les souverains Han 漢 mettront fin à cette
proscription en 191, et chercheront à reconstituer les textes perdus. Cependant, pour la plupart,
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les textes postérieurs n’ont pas été conservés en version originale. L’autodafé aurait cependant
été moins grave que l’incendie de la capitale en 206 en matière de destruction de livres. Ainsi,
même sans l’édit de 213, on n’aurait probablement pas conservés plus de textes de l’époque
Zhou 周.
En 212, Qin Shi Huangdi 秦始皇帝 aurait aussi fait exécuter 460 lettrés, suite à une
conversation secrète entre deux devins à propos de la cruauté de l’Empereur et à la disparition
des devins en question. Pour se venger, Qin Shi Huangdi 秦始皇帝 a fait rechercher les
personnes plus ou moins proches de ces devins, au nombre de 460. Certains disent qu’ils ont
été brûlés vif. Cet épisode est cependant hypothétique.
C/ De la valeur des symboles : la Grande Muraille et le Tombeau de Qin Shihuangdi
Qin Shi Huangdi 秦始皇帝 n’a pourtant pas puisé que dans le légisme, il s’est aussi
inspiré du taoïsme et du confucianisme (notamment avec la piété filiale).
Qin Shi Huangdi 秦始皇帝 était aussi un bâtisseur : il a non seulement construit la
nation chinoise, mais a aussi entreprit une série de grands travaux : réseau de canaux et de
routes, mais aussi la grande muraille et son tombeau. La grande muraille n’a pas été le
symbole du repli chinois qu’on a souvent décrit. La muraille de Qin Shi Huangdi 秦始皇帝
n’avait pas exactement le même tracé que l’actuelle. Qin Shi Huangdi 秦始皇帝 n’a pas non
plus le mérite de toute la muraille : il a relié des membres qui existaient dans les royaumes
prédécesseurs et les a étendu, notamment pour se protéger des Xiongnu 匈奴 au Nord. Cette
muraille a pu être contournée (notamment par les Mandchous) par la suite. Contrairement au
mythe, la muraille n’est pas visible de l’espace. Le mythe a été lancé par les américains qui
ont marché sur la Lune juste avant le réchauffement sino-américain. En ce qui concerne le
tombeau, il symbolise pour beaucoup le despotisme chinois (on aurait exécuté les participants
à la construction du tombeau). Il est de découverte récente (mars 1974), mais était déjà décrit
par Sima Qian 司馬遷, qui explique que l’Empereur voulait reconstituer le monde dans son
tombeau.
Qin Shi Huangdi 秦始皇帝 meurt l’été 210, au cours d’un de ses nombreux voyages à
travers son empire. Li Si 李斯 ne voulait pas faire de déclaration officielle de la mort de
l’Empereur, de peur que le peuple ne fasse des émeutes de joie. La mort reste donc secrète. Li
Si 李斯, pour couvrir l’odeur du cadavre en décomposition, serait ainsi rentré dans la capitale
dans un chariot de poisson pourri. Son fils, Qin Ershi Huangdi 秦二世皇帝, lui succède, mais
agit en tyran sans objectifs (contrairement à son père, rendu supportable par son projet
politique) : il faisait ainsi nourrir ses nombreux animaux de compagnie avec la nourriture du
peuple. Ershi Huangdi 二世皇帝 aurait aussi réquisitionné un groupe de paysan pour aller à la
guerre. Les paysans, en chemin, pour la capitale, sont bloqués par une tempête. Or le retard
signifie la mort dans le système légiste. Les paysans décident alors que quitte à mourir, autant
le faire pour la bonne cause : ils se rebellent contre les fonctionnaires, et sont ainsi les
instigateurs de la rébellion qui marque la fin de la dynastie.
III/ les Han 漢 et l’idéal du bon souverain
A/ Le confucianisme
Alors que l’empire Qin 秦 est placé sous le patronage de la pensée légiste (bien qu’il
n’ait pas évacué l’héritage confucéen et taoïste – Li Si 李斯 et Han Feizi 韓非子 ont ainsi été
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formés par un confucéens). Les empereurs Han 漢 se tournent aussi vers le taoïsme,
notamment dans son aspect rituel, mais conservent aussi une part de légisme de la dynastie
précédente. Ils sont cependant confucianistes avant tout.
1/ Kongfuzi 孔夫子 (Confucius, 551-479)
a/ Qui était Confucius ?
Confucius (551-479) a vécu à la fin des Zhou 周 et sous les Printemps et Automnes. Il
est né à Qufu 曲阜, dans la principauté de Lu 魯 (actuel Shandong 山東). Sa doctrine a été en
partie déformée par l’histoire et la légende. On lui a parfois prêté des opinions contraires à la
réalité. Il n’est à l’origine pas l’auteur direct de ses œuvres. La langue employée dans ses
textes étaient probablement déjà obscure sous les Han 漢, ce qui a permis un certain nombre
d’interprétations. La réalité du personnage est difficilement accessible, justement parce qu’il
est devenu un grand maître légendaire. Il aurait eu des caractéristiques physiques
exceptionnelles et aurait eu un important nombre de disciples. Il est né d’un père de 70 ans et
d’une mère de 15 ans. Avant lui, son père avait eu 9 filles de sa première épouse et un fils
infirme d’une seconde épouse. Le fils infirme ne pouvait pas assurer le culte ancestral.
Confucius a rapidement perdu son père et a été élevé par sa mère. Il semble qu’il ait fréquenté
une école de nobles, il avait en tout cas une culture certaines des textes anciens. Il se marie à
l’age de 19 ans, et a un fils qui meurt avant lui. Il vit dans une époque troublée, qui le pousse
à bâtir une philosophie qui se réclame des anciens et qui se propose de redonner une harmonie
qui aurait régnée à leur époque. Confucius admire notamment les souverains fondateurs de la
dynastie des Zhou 周. Il aurait mené une vie errante dans les premières années de sa vie,
recherchant le prince qui accepterait de mettre en pratique sa doctrine. Jean Lévi décrit les
disciples qui le suivent comme une bande de brigand.
Confucius met sur pied une doctrine qui prône un retour à la voie des anciens. Il fonde
sa propre école, dans la principauté de Lu 魯. C’est grâce à ses disciples que sa doctrine a été
relayée, et a pu s’installer sous les Han 漢, et devenir le ciment qui a servit à la consolidation
de l’Etat.
b/ Le Lunyu 論語 et la doctrine du maître
Les Entretiens (ou Analectes 論語) sont censés contenir l’essence de la doctrine de
Confucius. Celui-ci n’a laissé aucun écrit direct. Les Entretiens sont une compilation tardive,
sous forme de dialogue. Pendant un certain temps, il y a eu une transmission orale du texte :
sous les Han 漢, il en existait ainsi trois version différentes. La version qui nous est parvenue
est une synthèse de ces trois versions, qui date du 3ème siècle de notre ère. On pense que le
neufs premiers chapitres sont d’origine, les cinq derniers seraient de composition plus tardive.
Confucius y apparaît d’abords comme un éducateur, entouré de disciples, amis, qui
débattent des problèmes de leur époque. Les disciples sont pour la plupart engagés dans la vie
politique de leur époque, l’idéal de Confucius restant de trouver un prince qui mette en
pratique sa doctrine. La pensée du maître peut s’ordonner autour d’un certain nombre de
thème : l’âge d’or, le « Junzi – homme de bien – 君子 » (qui possède le « ren 仁 »), le respect
des rites, la piété filiale et la religion.
Confucius vit dans une époque troublée, et comme la plupart des penseurs de son
époque, il essaie de trouver des remèdes aux maux de son temps. Pour cela, il se tourne vers
un âge d’or qu’il situe à deux époques.
Avant les SanHuangWuDi 三 皇 五 帝 – Trois augustes et cinq souverains –, les
hommes vivaient de façon précaire, dans l’ignorance de la civilisation. Durant cette période,
Huangdi 皇 帝 , le souverain jaune, est le premier souverain à avoir des caractéristiques
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complètement humaines. C’est néanmoins un personnage fabuleux. Il règne par la vertu de la
Terre, sa couleur est donc le jaune. Il aurait organisé le gouvernement en créant six ministres
(tout au long de l’histoire impériale chinoise, il y aura ainsi six ministères) et en classant les
fonctionnaires en différentes catégories. Il aurait nommé deux corps d’annalistes, qui auraient
mis au point l’écriture. Enfin, on lui attribue un nombre important d’inventions, parmi
lesquelles la médecine (les étudiants de médecine chinoise se servent encore d’un texte
portant son nom –bien que plus tardif-). Les deux autres souverains importants de ce premier
âge d’or sont Yao 堯 et Shun 舜. Ce sont les modèles de souverain, tant en ce qui concerne les
rites, la culture que l’administration. Pour Confucius, il n’est pas question d’inventer un
système, mais de retrouver un système qui a existé. Il veut transmettre, pour permettre aux
chinois d’en garder la mémoire.
Le second âge d’or est une idéalisation des premiers temps de la dynastie Zhou 周,
sous les roi Wen 文 et Wu 武 et sous le ministre-duc Dan de Zhou 周, modèle du ministre
intègre que Confucius aurait voulu être. C’est Dan qui aurait établit le système de succession
clanique selon lequel l’héritage passait au fils aîné de la femme principale. La structure
politique de l’époque, telle que Confucius la pensait, était doublée d’une structure familiale
importante. L’Etat lui-même était constitué comme une grande famille. Confucius déplore la
perte de ce système, qui a été miné par les rivalités et les luttes de clans. Confucius parle de la
perte de la voie – dao 道-. Ce discours sera repris à la fin du 19ème siècle, toujours en
référence à Yao 堯 et Shun 舜.
L’idée de la pensée confucéenne est celle d’une interaction dans tous les domaines : si
cela va mal chez les humains, c’est que l’ordre naturel va mal aussi. Il en va de même entre
les ordres matériels et spirituels, qui sont confondus. Dans les Entretiens, Confucius fait le
portrait du bon prince. C’est ainsi qu’il est amené à décrire le Junzi 君子, homme de bien et
modèle de prince, qui a le « ren 仁 » (notion qui n’est pas traduite par Anne Cheng, par
exemple). Le « ren 仁 » donne au prince le mandat céleste (tianming 天命). On peut donner
une définition du ren 仁 en énumérant les qualités du Junzi 君子 : honnête, fidèle à la parole
donnée, digne de confiance, possède le discernement, courageux. La seule présence du prince
« homme de bien » suffirait à écarter les désordres. Il existe une explication historique de la
théorie de la vertu du prince qui obtient le mandat céleste : celle-ci aurait été une justification
donnée par les Zhou 周 lors du renversement des Shang 商. Les Zhou 周 sont ainsi les
premiers Tianzi 天子, fils du ciel, qui tiennent en leur possession légitime ce qui se trouve
sous le ciel, Tianxia, 天下, un des noms antiques de la Chine. Le prince peut exercer le
pouvoir aussi longtemps que dure l’harmonie et qu’il se préoccupe du bien être de son peuple
(on est donc à l’opposé de la doctrine légiste). Le bonheur du peuple est ainsi le critère de
réussite, la preuve que le souverain possède effectivement le mandat céleste. Dès que le
prince s’écarte de la voie royale, le Ciel, après l’avoir avertit, lui retire son mandat (geming 革
命, qui en chinois moderne signifie révolution). En vertu de cette théorie, les souverains de
début de dynasties sont parés de toutes les vertus, à l’opposé des souverains de fin de dynastie,
auxquels on prête tous les vices.
Le prince est le garant de la cohésion entre terre et ciel. Les gouvernants doivent
montrer l’exemple, pour qu’avec le temps tous tendent vers le ren 仁 : 君君臣臣父父子子
junjun chenchen fufu zizi : « que le prince se comporte comme un prince, le ministre comme
un ministre, le père comme un père et le fils comme un fils ».
Pour bien régner, le prince doit connaître les rites et la tradition. C’est l’étude des rites
anciens qui permettrait aux hommes de retrouver l’ordre ancien. Il existe plusieurs types de
rites. Il existe ainsi un certain nombre de rites royaux desquels dépend le bonheur du peuple
(sacrifice offert par le souverain aux mannes de ses ancêtres). Les rituels sont des cérémonies
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accompagnées de chants, de danses et de musiques. Les rites marquent toutes les activités
humaines à tous les échelons de la société. Confucius aurait transmis la connaissance de rites
de la noblesse, dont il fait le principe fondamental de toute éthique et de tout gouvernement.
Inséparables des rites, on trouve les désignations : chaque chose occupe une certaine place en
fonction d’une désignation particulière. Ainsi, le fait qu’une table est table, c’est parce qu’on
l’appelle table. Le fait de bouleverser les désignations bouleverserait l’ordonnancement du
monde. Ceci prend une importance capitale dans le cadre de la famille. Le système de
désignation des membres de la famille permet ainsi à chacun de bien se situer dans
l’organisation familiale, et de déterminer l’attitude que l’on doit avoir l’un vis-à-vis de l’autre.
L’éducation est à la base de cette construction.
La piété filiale est une composante du « ren 仁». C’est le ciment de toute relation
humaine. Le modèle est fondé sur l’autorité paternelle. Tout fils est tenu d’être pieux envers
son père, futur « ancêtre ». Son premier devoir est de se marier et d’avoir un fils. La piété
filiale peut aussi être justifiée de manière plus réaliste. Elle a aussi une justification politique :
les personnes qui respectent leurs parents ne sont en général pas enclines à se dresser contre le
pouvoir. Etre un bon fils est déjà participer au gouvernement.
Les lettrés confucéens sont avant tout des historiens qui se servent de l’histoire pour
étayer leurs idées. C’est le cas de Confucius lui-même. Les confucéens ont cependant pour
vocation d’être des hommes politiques.
Dans les Analectes, il n’est pratiquement pas question de pratique religieuse.
Confucius aurait ainsi été athée. Deux passages cependant font référence à la mort. Il est aussi
question du Ciel, Tian 天, qui est garant de la bonne marche du Dao 道. La question de la
religion du confucianisme est cependant le fruit du travail des missionnaires qui ont essayé de
trouver des points de concordance, qui leur permettrait de toucher la population chinoise. Si le
confucianisme était bien une religion, on ne pouvait pas être chrétien et confucéen en même
temps. Cette polémique a été relancée par les chinois eux-mêmes à la fin du 19ème siècle : le
secret du succès des occidentaux aurait été leur foi chrétienne. On a donc transformé en
véritable religion le confucianisme pour en faire une source de puissance comparable au
christianisme. Ce résultat est notamment le fruit du travail du lettré Kang Youwei 康有為.
2/ L’école confucéenne après Confucius
Le succès de la doctrine de Confucius n’intervient que de façon posthume. Une série
de générations s’est donc transmis le message de Confucius jusqu’au triomphe de celui-ci. Un
certain nombre de personnalité ont joué un rôle fondamental dans le succès de cette doctrine.
a/ Mengzi 孟子(Mencius, 372-289)
Le premier est Mengzi 孟子 (372-289), latinisé en Mencius, dont l’œuvre est connue à
travers le Mengzi 孟子. Il est né dans la même région que Confucius (actuel Shandong 山東)
et sa vie ressemble à celle du maître : il perd tôt son père et n’est élevé que par sa mère. La
légende des déménagements de la mère de Mengzi 孟子 illustre ce que doit être une « bonne
mère ». Celle-ci a déménagé à plusieurs reprises parce qu’elle faisait tout pour que son fils
soit élevé dans les meilleures conditions. Ils vivaient à l’origine près d’un cimetière. Le jeune
Mengzi 孟子 s’amusait à reproduire les rites que faisaient les visiteurs, sa mère a donc estimé
qu’il fallait déménager. Elle s’installe alors près d’un marché, et son fils prend modèle sur les
commerçants. Elle s’installe alors près d’une école de lettrés, et enfin Mengzi 孟子 est bien
entouré puisqu’il prend modèle sur les lettrés. Mengzi 孟子 a voyagé une vingtaine d’années
de principauté en principauté, lui aussi dans l’espoir de trouver un prince qui accepte son
enseignement, et face à son échec, il se retire pour se consacrer à l’enseignement. Son œuvre,
qui se présente comme les Analectes, expose ses dialogues avec des disciples ou des
dirigeants de son époque.
25
Mengzi 孟子 est le premier à donner aux Printemps et Automnes un caractère sacré en
l’attribuant à Confucius. Il reprend les grands thèmes de prédilection de Confucius. Il est
persuadé que seule l’imitation des anciens rois et la morale peuvent sauver le monde. Il fait de
la piété filiale la base des cinq relations. Le premier devoir d’un homme est d’honorer ses
parents, et donc d’avoir des enfants mâles pour que la perpétuité des rites soient assurés.
Mengzi 孟子 se consacre aussi à la critique des autres écoles de pensées, et il explique que
seule la voie de Confucius est la bonne. Il se considère comme le seul apte à transmettre cette
doctrine. Il s’attache a décrire les institutions de Zhou 周, alors qu’on n’en avait pas de réel
souvenir à l’époque. La description est donc utopique. Il s’attaque aux légistes et leurs
reproche de faire appel à la force et de ne chercher que la puissance de l’Etat. Il invoque
contre eux la tradition des grands rois, dont la seule ambition était le bonheur du peuple.
Mengzi 孟子 accorde beaucoup d’importance aux aspects économiques de la doctrine
confucéenne. Pour lui, le souverain doit s’attacher à ce que la population s’enrichisse. Il doit
donc éviter de réquisitionner le peuple pour la guerre et le laisser aux champs. Il organise la
préservation des eaux et des forêts, ce qui deviendra par la suite un des rôles de
l’administration impériale. Il tente de définir ce que doit être une économie raisonnable, qui
permette à tous de vivre de façon décente. Il élabore un système de répartition de terres à la
fois collectif et individuel : le Jingtian 井田 (champs en damier, ou « champs en forme du
caractère puit »). L’objectif de cette façon de répartir les terres était d’assurer à chacun un
revenu suffisant. Comme dans le caractère Jing 井, les terres étaient divisées en 9 parties. 8
familles recevaient une des portions périphériques, et la centrale, la neuvième, était cultivée
par toutes les familles. Le revenu de cette dernière parcelle revenait au seigneur, pour
l’entretien des canaux, etc. Il s’agit d’une vision utopique de ce qui aurait été appliqué sous
les Zhou 周. On ne sait pas si ce système à été appliqué sous Mengzi 孟子, on sait en
revanche que le modèle a été repris par la suite, notamment par l’usurpateur Wang Mang 王莽
(qui fait la coupure entre Han antérieurs 西漢 et Han postérieurs 東漢).
Contrairement aux légistes, Mengzi 孟子 a confiance en la nature humaine : il pense
que l’homme est fondamentalement bon. La bonté ne serait cependant qu’en germe, que seule
l’éducation peut cultiver. Grâce à l’éducation, n’importe qui peut devenir un Junzi 君子. Le
gouvernement par le Ren 仁 est donc tout à fait possible. Il s’oppose au gouvernement par la
loi. Le gouvernement par le Ren 仁 dépend du souverain. Celui-ci est donc responsable en cas
de trouble : le prince perdrait son pouvoir régulateur, et le peuple a le devoir de le renverser.
Le critère de succès est donc la paix sociale, le bonheur du peuple. Mengzi 孟子 est le premier
à exalter le rôle du peuple. Mengzi admet cependant la hiérarchie de son temps. Il oppose les
xiaoren 小人, « gens de peu », aux daren 大人, personnes de qualités, qui ont le savoir et qui
doivent être entretenus par les autres. Il substitue à une aristocratie du sang une aristocratie du
savoir.
b/ Xunzi 荀子 (298-238 ou 310-230)
Mengzi 孟子 est représenté comme le tenant d’un confucianisme idéaliste, du fait de
sa conception de la nature humaine et du rôle qu’il donne au peuple. A l’opposé, le disciple
suivant, Xunzi 荀子 (310-230), est représenté comme le tenant d’un confucianisme réaliste.
On connaît peu de choses de sa vie malgré la biographie que lui consacre Sima Qian 司馬遷.
Il serait né dans le royaume de Zhao 趙 (ouest du Shandong 山東 et Shanxi 山西). Il
commence sa vie intellectuelle vers l’âge de 50 ans. Il voyage et est suivi de disciples. Il se
rend ainsi à la cour du roi Xuan, de Qi 齊, qui a créé l’académie de Jixia 稷下. Cette académie
aurait accueilli 80 maîtres de tous horizons intellectuels. Le rayonnement de cette académie
26
semble avoir été considérable. Xunzi 荀子 aura deux éminents élèves : les légistes Han Feizi
韓非子 et Li Si 李斯. Les idées de Xunzi 荀子, en effet, se rapprochent parfois des idées des
légistes. Xunzi 荀子 est mort dans le royaume de Chu 楚.
Xunzi 荀 子 puise dans les théories légistes et taoïstes tout en prêchant le
confucianisme, à ses yeux, seul fondement possible d’une société. Ses idées sont connues par
le Xunzi 荀子, qui ne se présente plus sous la forme d’un dialogue, mais sous la forme d’un
traité avec des chapitres thématiques. Pour Xunzi 荀 子 , la nature humaine est
fondamentalement mauvaise (cette division au sein du confucianisme a perduré au-delà des
siècles). Pour Xunzi 荀子, l’existence des hommes de bien est réelle, mais il s’agit d’un
artifice du à l’éducation. Les fondements sont donc différents de ceux de Mengzi 孟子, mais
le résultat est le même. Pour Xunzi 荀子 aussi, ce sont les anciens rois de l’antiquité qui
représentent les modèles. Pour atteindre la voie, il faut suivre les classiques, qu’il faut étudier
parce qu’ils contiennent la vérité. Xunzi 荀 子 limite cependant l’étude aux œuvres de
Confucius : il rejette Mengzi 孟子.
Pour Xunzi 荀子, le fondement de la société est le Li 禮, le rite. C’est à partir de lui
que le rite concerne l’ensemble des activités des individus. Les rites sont en effet le reflet de
l’ordre cosmique lui-même. C’est grâce à eux qu’on peut établir un équilibre entre les désirs
et les biens. Les rites sont inséparables de la musique et de la danse. Un autre facteur
important est la correction du langage : c’est grâce au respect des noms que chacun occupe la
place qu’il doit occuper dans la société. Xunzi 荀子 est aussi autoritaire, c’est pour cela qu’il
est proche des légistes. Xunzi 荀子 a eu un rôle important dans la transmission des classiques.
B/ Le confucianisme sous les Han 漢
Durant la première partie des Han 漢, le confucianisme s’est constitué en véritable
tradition. Il y connaît aussi une remise en question sérieuse. La vie intellectuelle, sous les Han
漢, est le fait d’un syncrétisme entre le taoïsme, le légisme et le confucianisme.
1/ Le rôle des empereurs Han 漢
Le premier empereur, Gaozu 高 祖 , ne s’intéresse pas particulièrement au
confucianisme : il veut avant tout consolider son pouvoir. Le second, Huidi 惠蒂, en revanche,
abroge la loi de proscription qui avait aboutit à la destruction des livres. Le tournant s’opère
sous le quatrième, Wendi 文蒂, qui aime à discuter avec des lettrés, et qui charge des érudits
de l’étude des classiques, notamment pour reconstituer les textes. Le sixième, Wudi 武帝,
bourreau de Sima Qian 司馬遷, étudie lui-même les classiques et s’exerce à la poésie. Il attire
à sa cour deux grands commentateur des classiques, Dong Zhongshu 董仲舒 et Gongsun 公孫
Hong. Han Wudi 漢武帝 ne rejette pas pour autant les courants autres que confucéens. Il
s’inspire du taoïsme en ce qui concerne les rites, et il s’appuie sur le légisme. Les premiers
Han 漢 avaient d’ailleurs maintenu le système, à l’exception des lois les plus cruelles. Le
neuvième empereur connaissait les classiques et s’entourait de confucéens, notamment des
spécialistes du Classique des odes. Il se consacre à rassembler les textes, et à les faire
compiler par les lettrés Liu Xiang 劉向 et Liu Xin 劉歆.
2/ Dong Zhongshu 董仲舒 (179-104)
L’implantation des confucéens à la cour ne laisse peu à peu plus de place aux autres
écoles. Les précepteurs sont finalement recrutés dans leurs rangs, et les futurs souverains
reçoivent une éducation fondée sur les classiques. Petit à petit, se pose cependant le problème
27
de l’opposition entre ceux qui s’appuient sur les textes en caractères anciens, et ceux qui
s’appuient sur les textes en caractères modernes, d’après Qin Shi Huangdi 秦始皇帝, chacun
accusant l’autre de n’avoir que des textes apocryphes. Le courant « moderne » finit par
s’imposer, notamment en la personne de Dong Zhongshu 董仲舒 (179-104). Sa biographie est
présente dans les Mémoires Historiques 史記. On lui doit un commentaire des Printemps et
Automnes 春秋, qui lui permet de faire passer ses idées. La théorie politique et morale de
celui-ci se fonde sur la cosmologie classique, notamment sur la théorie des cinq agents
Wuxing 五行 et du Yin 陰 et du Yang 陽. Cf. tableau page 48.
Il y avait à l’époque deux théories concurrentes. La première fonctionne par
destruction : les cinq agents triomphent les uns des autres (le bois est vaincu par le métal, le
métal par le feu, le feu par l’eau, l’eau par la terre, la terre par le bois, etc.). Cette théorie
explique notamment les renversements de dynasties. La seconde expose un cycle de vie et
d’engendrement mutuel : le bois engendre le feu, le feu engendre la terre, la terre, le métal, le
métal, l’eau et l’eau le bois. Ce cycle explique la succession des saisons, etc. selon les
références associées à chaque agent. On avait associé à l’époque à la dynastie des Qin 秦
l’agent de l’eau. Le débat porte alors sur l’agent à associer à la dynastie Han 漢. Han Wudi 漢
武帝 décide de choisir la terre, qui vient à bout de l’eau. Au milieu du premier siècle de notre
ère, la validité de cette théorie est remise en cause, et un décret attribue aux Zhou 周 le bois,
et aux Han 漢 le feu, dans un cycle d’engendrement. Les Qin 秦 ne sont donc associés à aucun
élément.
C’est à Dong Zhongshu 董仲舒 que l’on doit aussi une des étymologies les plus
connues du caractère Wang. Il établit en effet une corrélation entre le ciel et la terre. Le lien
est assuré par le souverain 土 + 天 = 王, le trait du milieu symbolisant l’Empereur.
En vertu de la théorie des correspondances, un bon gouvernement garanti l’harmonie
du Yin 陰 et du Yang 陽. A l’inverse, un mauvais gouvernement provoque un dérèglement du
yin 陰 et du yang 陽, qui a des répercussions sur l’ordre cosmique. C’est à l’époque des Han
漢 postérieurs que l’idée des avertissements célestes est érigée en théorie. Des lettrés, dont
Dong Zhongshu 董 仲 舒 , sont ainsi chargés d’interpréter ces signes et de conseiller en
conséquence l’Empereur. Les révélations des conseillers confucéens ont pris des proportions
de plus en plus importantes, en même temps que l’influence des confucéens progressait à la
cour. Les confucéens se servaient de ces présages comme d’une arme critique contre les
souverains.
Dong Zhongshu 董仲舒 fonde le courant Jinwen 今文, qui s’appuie sur les caractères
modernes. Les souverains Han 漢 ont accompli une œuvre importante pour l’avenir du
confucianisme. Il s’agit de la mise en ordre des classiques. Cf. page 40.
3/ La mise en ordre des classiques
Les classiques sont les ouvrages les plus importants pour les confucéens. Ils remontent
au début des Zhou 周. Ils ont été abondamment lus et commentés. Confucius reprend déjà une
tradition qui existait, et s’appuie sur des ouvrages anciens qui circulaient à son époque et qui
servaient à l’éducation des nobles. Les classiques évoquent ainsi une tradition plus ancienne,
qui aurait elle-même exalté les qualités de souverains mythiques plus anciens. La tradition en
général a été beaucoup étudiée par les anthropologues. Il apparaît qu’elle n’est souvent qu’un
prétexte, qui sert à justifier des idées beaucoup plus modernes. La tradition s’invente tous les
jours. Il s’agit donc d’une époque où l’on invente une tradition. Tous les confucéens
prétendent qu’eux-mêmes sont les mieux à même de transmettre la tradition.
On estime qu’on n’arrivait déjà plus à comprendre les classiques sous les Han 漢, du
moins sans leurs commentaires. La qualité première du lettrés est ainsi de savoir faire un
28
commentaire des classiques. La plupart des penseurs confucéens sont connus grâce à leurs
commentaires de classiques (les Chunqiu 春 秋 pour Dong 董 ). Sous les Han 漢 , non
seulement il s’agit d’authentifier un « bon texte », mais aussi de décider quel doit être le bon
commentaire. Dans la mesure où il s’agit de l’époque de la transformation en orthodoxie du
confucianisme, le rôle des Empereurs Han 漢 a été de faire le ménage. Le confucianisme a
une certaine souplesse dans la mesure où chaque époque a réinterprété en fonction de ses
besoins et de diverses influences le message du maître. Chaque époque a eu son
confucianisme (terme qui est occidental). Les confucéens ont cependant toujours présenté le
confucianisme comme unique.
Entre Confucius et les Han 漢, il existait non seulement plusieurs versions des textes,
mais aussi une foison de commentaires. De véritables spécialistes de tel ou tel classique se
développent. Entre 53 et 51 avant notre ère, 22 lettrés sont réunis pour discuter de deux
commentaires des Chunqiu 春秋, pour retenir le bon. La bonne interprétation choisie serait le
Guliang zhuan (commentaire de Guliang ; cf. page 41). C’est un dénommé Mao Chang qui est
chargé d’arrêter la bonne version du Shiji 史記 (qu’on appelle ainsi aussi Maoji).
(Cf. Page 40) A partir des Song 宋, on a décidé d’élaborer une classification entre
quatre livres et cinq classiques. Le philosophe Zhu Xi 朱熹 a mis en exergue les quatre livres
en en donnant un commentaire. Il fonde ainsi la base de ce qui sert à l’éducation des lettrés. A
partir des Song 宋, il faut connaître les 4 livres et les 5 classiques (et plus tard les 13
classiques).
C/ Qu’est-ce que le Confucianisme ?
On définit généralement le confucianisme comme un humanisme conservateur, laïque
et agnostique. Un humanisme dans la mesure où le centre de ses préoccupations est l’homme ;
conservateur parce qu’on admet que Confucius n’invente rien et se contente de transmettre, en
faisant appel en permanence à un âge d’or. On peut cependant nuancer ce jugement dans la
mesure où il y a une réinterprétation constante du message, qui s’adapte en permanence à son
temps. Laïque, dans la mesure où il n’est pas question de religion. La croyance n’est pas
exclue, cependant la démarche des confucéens n’est pas religieuse, mais séculaire.
Agnostique, enfin, dans la mesure le dogme ne tranche pas en matière de religion. Pour
certain, le confucianisme apparaît aussi comme une philosophie qui n’en est pas une. Les
confucéens accordent une place importante à la piété filiale et à l’éducation, qui se destine à
des responsabilités politiques. Le couronnement de cette vocation a été le recrutement des
fonctionnaires par examen. L’idéal confucéen dans la pratique se traduit par une implication
dans les enjeux de son époque, et le fait de ne pas hésiter à critiquer le prince. Pour féodale, la
Chine n’est devenue vraiment confucéenne que sous les Song.
Les Qin 秦 ont contribué à mettre en place un pouvoir fort. L’époque est associée à la
doctrine légiste. Sous les Han 漢, le confucianisme prend de plus en plus d’importance, mais
arrive en complément plus qu’en concurrence du légisme. La figure du souverain idéal telle
qu’elle se dégage à la fin des Han 漢 puise dans ces deux doctrines. On peut cependant se
demander s’il a jamais été réalisé.
L’unification assurée par les Qin 秦 a été remise en cause par les Han 漢, qui ont pris
des mesures qui ont été à l’encontre de la politique de centralisation des Qin 秦. Il y a donc un
premier recul, mais un retour à la centralisation quand les Han 漢 se rendent compte que celleci joue en fait dans leur intérêt. Ce retour s’accompagne cependant d’une période de
décadence, ou chaque succession pose problème. A partir du 3ème siècle s’ouvre la période des
Trois Royaumes et des six dynasties.
29
IV/ La contestation du pouvoir impérial.
A/ La reconstruction du pouvoir sous les Han de l’Ouest 西漢.
1/ Pouvoirs régionaux et politiques de centralisation
Dès les début des Han 漢, on observe une contradiction entre le retour des autonomies
régionales et l’affirmation du pouvoir central.
Le premier empire n’a duré que 14 ans. Ce n’est seulement qu’un an après la mort de
Qin Shi Huangdi 秦 始 皇 帝 qu’un soulèvement provoque l’écroulement de la première
dynastie. La population se venge d’abord des fonctionnaires. Dans un deuxième temps se
produit une remise en ordre, par élimination : des chefs se sont dégagés, et on a une période
de guerre civile pour savoir qui gagne. C’est Gaozu 高祖, Liu Bang 劉邦, petit fonctionnaire,
qui après une lutte de sept ans, l’emporte, et donne à sa dynastie le nom Han 漢, à l’origine
nom d’une région.
Pour se créer des fidélités, il a promis l’abolition des lois les plus cruelles. Une fois
empereur, il conserve la structure administrative, tout en imposant un certain nombre
d’innovations. Gaozu 高祖 a fait son analyse des causes de la chute de la dynastie précédente.
Il prend donc des mesures qui auront des conséquences que ses successeurs devront rattraper.
Pour lui, la raison de la chute des Qin 秦 est qu’ils étaient isolés : ils ne régnaient que par la
méfiance, et manquaient d’une clientèle. L’Empereur n’avait personne vers qui se retourner
pour appeler à l’aide. Gaozu 高祖 avait gardé en tête l’idéal des Zhou 周, et institue ainsi le
système des rois vassaux. Il fait ainsi roi ses fils, neveux… A sa mort, il y a donc dix
royaumes, gouvernés par des membres de la famille Liu 劉. Ces dix royaumes ont une
superficie totale qui dépasse celle des 15 commanderies (système administratif créé par les
Qin 秦, maintenu par les Han 漢), contrôlées directement par le pouvoir impérial, et occupe
plus de la moitié de la Chine. Les rois gouvernaient eux-mêmes leur royaume respectif, et
leurs institutions fonctionnaient sur le modèle des celles de l’Empire. Ils formaient un
obstacle majeur à la politique de centralisation à laquelle l’Empereur n’avait pas totalement
renoncé. Les empereurs successifs vont dans un premier temps chercher à diminuer le pouvoir
des ces rois en renforçant le contrôle exercé par le pouvoir central. Ainsi, sous le règne de
Wendi 文 蒂 , les rois vassaux sont privés du droit de nommer les fonctionnaires. Les
fonctionnaires sont nommés par le gouvernement central, et les royaumes deviennent petit à
petit des commanderies particulières. Les Empereurs diminuent aussi la superficie des
royaumes, en imposant aux rois de partager leur royaume entre tous leurs enfants. En 154,
sous Jingdi 景蒂 a lieu la révolte des sept royaumes. Celle-ci dure trois mois, la révolte est
réprimée et les rois rebelles sont supprimés, avec leurs royaumes, qui disparaissent de fait.
Ce n’est que sous Han Wudi 漢武帝 que la centralisation triomphe complètement.
Reste cependant le problème des marquis. Au début des Han 漢, à l’initiative de Gaozu 高祖,
ils constituaient une importance force politique. Les marquis étaient au nombre de 137 sous
Gaozu 高祖. C’était les anciens lieutenants de l’Empereur. Ils recevaient un marquisat et
étaient autorisé à lever un impôt. Presque tous les postes de l’administration étaient occupés
par les marquis, leurs subordonnés et leurs fils. Ceux-ci résidaient donc dans la capitale. 26
ans après la fondation de la dynastie, ce bloc de marquis généraux dominait encore la vie
politique à la capitale. Wendi 文蒂 prend alors des mesures contre eux, en les obligeant à
résider dans leur marquisat. Ils seront ensuite destitués au moindre prétexte.
2/ Han Wudi 漢武帝 (141-87) et le triomphe de la centralisation
Sous Han Wudi 漢武帝 (bourreau de Sima Qian 司馬遷), l’Empereur revient à des
méthodes proches de celles des Qin Shihuangdi 秦始皇帝. Il gouverne en souverain absolu et
30
donne à l’organisation du pays un tournant décisif en mettant en place une administration
claire et centralisée. Parmi ses objectifs demeure celui de liquider les pouvoirs vassaux qui
subsistent. Il modernise aussi l’empire en construisant des routes, des barrages, etc. On fait
une distinction entre la première et la seconde partie du règne de Wudi 武蒂. Ses défauts
auraient été en s’accentuant. Il serait devenu de plus en plus superstitieux et paranoïaque. Il
aurait créé un vide politique en éliminant ses proches et les administrateurs.
Sous son règne, il institue le système des nianhao 年號 (noms d’ère cf. page 37). On
change de nom sans règle particulière, souvent pour donner un certain renouveau au règne. Le
système a été maintenu par chaque dynastie. A partir des Ming 明, il n’y a plus qu’un nom
d’ère par règne, et à partir des Qing 清, il y a confusion entre les noms des empereurs et des
ères. Wudi 武蒂 institue aussi le système des tributs, qui régit les relations de la Chine avec
ses voisins jusqu’à l’arrivée des occidentaux. Ce système se fonde sur la domination de la
Chine, qui a vocation à être le suzerain naturel de tous ses voisins. Ce rapport passe par
l’institution d’un échange de cadeau et par la mise en place de droits et devoirs réciproques.
La Chine se porte ainsi garante de ses vassaux, qui gardent les frontières de l’Empire. Quand
il a fonctionné, ce système a permis de favoriser les relations commerciales. Ce système n’a
pas fonctionné en continu : la Chine n’a pas toujours été capable de l’imposer.
A la mort de Wudi 武蒂, c’est un enfant de 7 ans qui devient empereur, ce qui ouvre
une crise de succession. En effet, le vrai successeur de Wudi 武蒂 s’était suicidé parce
qu’accusé de complot contre son père.
B/ Les femmes et le pouvoirs
Sous les Han 漢, à la mort de l’empereur, le titre est destinée au fils aîné. En pratique,
ce n’est pas toujours respecté : rien n’empêche le souverain absolu de son vivant de choisir un
héritier parmi ses fils. La mère de celui qui a été choisi devient de fait impératrice. Ce système
débouche sur des querelles de succession, générées par les clans derrière chaque impératrice
potentielle. Les querelles se règlent souvent de façon violente, contre les impératrices ou
empereurs potentiels. Un empereur trop jeune gouverne sous la régence de sa mère.
1/ Lü Hou 呂後 des Han 漢 (195-188/180)
L’impératrice Lü Zhi 呂, des Han 漢, est avant tout la femme de Gaozu 高祖. Celle-ci
est ambitieuse. On lui a souvent comparé la femme de Mao 毛 (Jiang Qing). Lü 呂 commence
par faire le vide autour de son fils, Huidi 惠蒂 qui règne de 195 à 188. Elle va jusqu’à faire
empoisonner un demi frère de Huidi 惠蒂, concurrent potentiel, et elle fait subir à la mère de
celui-ci un supplice particulier : couper les mains et les pieds, brûler les oreilles et les yeux etc.
Son fils en tombe malade.
En 188, Huidi 惠 蒂 meurt sans descendance, et c’est Lü zhi 呂 qui décide de
manœuvrer pour désigner le successeur. Lü 呂 place ses proches aux postes les plus élevés de
l’Etat. Elle élimine ceux qui la gène, et en particulier les membres de la famille Liu 劉,
fondateurs de la dynastie. Elle s’impose ainsi jusqu’à sa mort, en 180. En 180, le clan Liu 劉
relève la tête et place sur le trône un fils de Gaozu 高祖, Wendi 文蒂. Lü 呂 est réputée
cruelle, ambitieuse et débauchée, mais son attitude n’est guère différente de celle des
empereurs. Après sa mort, les luttes pour le pouvoir continuent et redoublent. La cour des Han
漢 apparaît ainsi comme un nid d’intrigue. Il était dur d’y survivre quand on était un empereur
potentiel.
31
2/ Wu Zetian 武則天 des Tang 唐 (684-690/705)
L’impératrice Wu Zetian 武則天 des Tang 唐 est décrite de façon comparable à Lü zhi
呂, bien qu’elle soit de plus en plus réhabilitée. Wu Zetian 武則天 a en effet réussi à capter le
pouvoir, et à fonder sa propre dynastie (qui n’est cependant pas comptée dans le décompte
officiel). Les lettrés confucéens ont laissé d’elle le portrait d’une femme cruelle et débauchée,
qui elle a fait le vide autour d’elle.
En premier lieu, Wu Zetian 武則天 est réputée pour sa beauté. En 640, elle a 15 ans environ,
lorsque Li Shimin 李世民, Taizong 太宗 de son nom de règne, la fait venir auprès de lui en
tant que concubine de quatrième catégorie. En 649, à la mort de Taizong 太宗, la coutume
aurait voulu que Wu Zetian 武則天 se consacre à la prière le restant de sa vie. Celle-ci
bénéficie cependant des querelles à l’intérieur du gynécée : l’épouse en titre de l’Empereur
suivant, Gaozong 高宗, s’avère stérile. Celle-ci s’inquiète alors de la place que pourrait
prendre la seconde épouse, elle fait donc venir auprès de Gaozong 高宗 Wu Zetian 武則天.
Gaozong 高宗 prend donc comme concubine la propre concubine de son père. Wu Zetian 武
則天 manœuvre alors de façon à exclure à la fois la première et la seconde épouse. Elle
n’hésite ainsi pas à étouffer sa propre fille pour faire accuser du meurtre l’impératrice. Cette
première manœuvre ne marchant pas, elle fait alors accuser l’impératrice et sa seconde de
sorcellerie à l’encontre de l’Empereur, et c’est ainsi à Wu Zetian 武 則 天 elle-même
qu’incombe la tâche de mettre à mort les deux femmes. Leur châtiment sera de baigner dans
du vinaigre, ce qui les a fait mourir après trois jours d’agonie. Pour conjurer la vengeance des
spectres des femmes, Wu Zetian 武則天 aurait pratiqué la magie noire. Wu Zetian 武則天
n’aurait cependant jamais attenté à la vie de l’Empereur, source de son pouvoir.
L’historiographie moderne à tendance a considérer davantage Wu Zetian 武 則 天
comme une femme avec un véritable programme politique et voit parfois en elle une féministe.
La dégradation de la condition des femmes par la suite serait la conséquence du rapport de
Wu Zetian 武則天 avec le pouvoir. Wu Zetian 武則天 réussit en effet à se faire attribuer le
titre d’impératrice, et choisi elle-même son nom : « par la volonté du ciel », Zetian 則天.
Quelques années plus tard, l’Empereur abandonne en outre à l’impératrice le sacrifice à la
terre.
Wu Zetian 武則天 semble avoir été sensible aux problèmes de son époque. Elle
suggère d’alléger les impôts, pour encourager l’activité des hommes. De même, elle est contre
le service armé et prône l’abolition des corvées. Elle commence par exprimer ses opinions en
privé, mais à partir de 674, son programme devient public, décliné en douze points en même
temps qu’elle se proclame « impératrice du ciel », au même titre que l’Empereur est le fils du
ciel. Parmi les innovations, elle place à la base des relations entre le peuple et le
gouvernement la philosophie de Laozi 老子 : le taoïsme 道家. Elle demande à ce que tous
méditent les principes du taoïsme, et s’en sert comme ligne de conduite tant dans la vie privée
que dans la vie publique. Un autre article de son programme enjoint de porter le deuil de la
mère de façon identique à celui du père (soit trois ans de retrait de la vie publique), y compris
si le père est encore vivant. Ce second deuil est impopulaire, surtout chez les fonctionnaires,
notamment en ce qu’il complique la vie des familles (puisqu’un couple totalise ainsi 12 ans
d’inactivité). Elle prend alors d’autres mesures compensatoires destinées à améliorer la
condition des fonctionnaires, en augmentant leur salaire et leur statut. Selon le même principe,
un des douze articles donne la liberté de critique, en même temps qu’un autre donne les pleins
pouvoirs au gouvernement pour faire taire les calomniateurs.
En 675, Wu Zetian 武則天 a 50 ans. Les histoires dynastiques lui attribuent alors un
harem d’homme, et l’accusent d’avoir instrumentalisé la philosophie taoïste qui permettrait
d’obtenir l’immortalité par le sexe. Après la mort de Gaozong 高宗, en 683, Wu Zetian 武則
32
天 aurait dû une fois encore se retirer. Son premier fils, Zhongzong 中宗, est d’emblée écarté,
parce que terrorisé par sa mère : il règne à peine un an, et est remplacé par son frère, simple
d’esprit, Ruizong 睿宗. Les confucéens de l’époque tentent de manifester leur opposition en
annonçant de mauvais présages, mais personne ne réagit véritablement. Les provinces,
notamment, restent paisibles. Wu Zetian 武則天 affirme alors de plus en plus son mépris pour
les hommes, notamment ceux de la famille Li 李, fondatrice des Tang 唐. Elle donne des
audiences et prend des décisions, bien qu’elle reste selon la tradition masquée derrière un
rideau de pourpre (marque de la régence, alors que Wu Zetian 武則天 règne véritablement).
Elle prend le nom dynastique de Zhou 周. Un poète manifestera son opposition, il est poussé
au suicide avec deux autres lettrés. Pour mesurer les opinions qui l’entourent, Wu Zetian 武則
天 institue le système de la boite à idée. Il s’agit d’un tableau à quatre cases : prophétie,
proposition de réforme, doléances et dénonciation. La case dénonciation est la plus remplie.
Pour avoir l’écho de ce qui se passe en province, elle demande aussi aux provinces de lui
envoyer des délateurs. C’est le prétexte de nombreux parasites pour affluer à la cour pour être
entretenu par le pouvoir impérial.
En 686-687, Wu Zetian 武則天 change ses sympathies : ses faveurs vont au parti
bouddhiste. Elle décide alors de transporter la capitale de Chang’an 長安 à Luoyang 洛陽.
Les confucéens, dans leur entreprise de dénigrement, expliquent la disgrâce des taoïstes par la
faveur soudaine de Wu Zetian 武則天 pour un moine bouddhiste jeune et beau. Wu Zetian 武
則天 pense être la réincarnation d’un Boddhisattva. A partir de 688, elle tente d’éliminer la
famille impériale. On sait que des membres qui lui étaient proches ont été assassinés sous ses
ordres, bien que le chiffre de 3000 personnes, avancé par les confucéens, soit contestable. On
a cependant des confirmation archéologiques à travers la tombe de Yongtai, petite fille de Wu
Zetian 武則天, qui aurait été exécutée pour son manque de respect envers sa grand-mère. Ses
funérailles n’auraient été organisées par son père qu’après la mort de l’Impératrice.
En 690, Wu Zetian 武則天 décide de monter nominalement sur le trône. Elle se donne
alors le titre d’Empereur. Il semble que ce soit à terme une révolution de palais qui soit venu à
bout de son règne en 705. Elle a alors 80 ans. Les histoires dynastiques expliquent quant à elle
qu’elle est morte de rage après la mort de deux de ses amants. Elle est enterrée comme une
impératrice : elle rejoint le caveau de Gaozong 高宗. C’est alors son fils Zhongzong 中宗 qui
récupère le trône, le pouvoir étant réellement contrôlé par la femme de celui-ci. Celle-ci
comment l’erreur que n’avait pas fait Wu Zetian 武則天 : elle fait tuer son mari. Le fils de
Ruizong 睿宗, Xuanzong 玄宗, réinstalle alors son père sur le trône, avant de l’écarter de
nouveau et de prendre sa place. Il reste un des plus grands empereurs des Tang 唐.
C/ De quelques usurpations et rébellions
1/ Un fondateur de dynastie malheureux, Wang Mang 王莽 (9-23)
Wang Mang 王 莽 est censé avoir régné de 9 à 23 de notre ère. Il s’agit de la
« cassure » qui scinde les Han 漢 en Han de l’Ouest 西漢 et Han de l’Est 東漢. Cette cassure
reste dans les annales comme une usurpation. Wang 王 est en fait un fondateur de dynastie
qui n’a pas réussit. A la mort de l’Empereur Aidi, Wang Mang 王莽 se voit confier par
l’impératrice douairière, une des ses parentes, le poste de commandant en chef. C’est lui qui
dirige au nom de Pingdi, successeur d’Aidi, qui est alors jeune. A partir de 5 de notre ère,
Wang Mang 王莽 exerce officiellement la régence, avant de monter lui-même sur le trône, ce
qu’il fait en l’an 9. Il avait auparavant déjà préparé son accession au trône en maniant
33
l’opinion publique (lettrés, fonctionnaire…). Son accession au pouvoir est alors considérée
comme une renaissance, c'est-à-dire, pour les confucéens, un retour au gouvernement du
ministre-duc Dan de Zhou 周. Wang Mang 王莽 revendique ainsi le fait de revenir aux
institutions Zhou 周. Il prétend descendre lui-même de Huangdi 皇帝, et à ce titre, il place sa
dynastie sous l’agent de la terre, avec la couleur jaune. Il semble qu’il ait été un confucéen
convaincu, et que sa doctrine n’ait pas été qu’un prétexte politique. Son style de vie frugal et
modeste contrastait ainsi avec celui de ses prédécesseurs. Cette attitude lui rallie d’ailleurs la
sympathie des fonctionnaires et des lettrés. Lorsque Wang Mang 王莽 décide de prendre le
titre d’Empereur, cette décision est ainsi approuvée par la majorité des confucéens. Il fonde la
dynastie de Xin 新.
L’ « usurpation » de Wang Mang 王莽 intervient dans une période difficile sur le plan
économique et social. Des réformes étaient nécessaires. Wang Mang 王 莽 en propose,
notamment en matière foncière et fiscale, c’est d’ailleurs certainement ce qui lui a attiré ses
premières sympathies. Les réformes ne sont cependant pas toujours heureuses. Pour Wang
Mang 王莽, il s’agit tout d’abord de remplir les caisses de l’Etat. Il tente en premier lieu une
réforme monétaire maladroite : il nationalise l’or, frappe de nouvelles sapèques et dévalue
leur valeur. Cette réforme frappe les commerçants et tend en fait à favoriser le faux
monnayage. Parce qu’à la fin des Han 漢 antérieurs, les petits propriétaires paysans avaient
été absorbés par les grands domaines, et s’étaient laissés absorber pour échapper aux impôts,
Wang Mang 王莽 nationalise alors les terres et institue les Jingtian 井田. Rapidement, on
s’aperçoit cependant que le système est inapplicable : au bout de trois ans, Wang Mang 王莽
est obligé de renoncer à sa réforme. Parallèlement, Wang Mang 王莽 avait décrété l’abolition
de l’esclavage. Il est là encore obligé de revenir sur sa décision, en autorisant finalement les
riches à disposer d’esclave. Il essaie alors d’en tirer profit en instituant un impôt sur la fortune
pour les propriétaires d’esclaves. Wang Mang 王莽 établit aussi six monopoles d’Etats sur le
sel, le fer, les boissons fermentées, la fonte de la monnaie, les produits des montagnes et des
marais (produits miniers, plantes médicinales), le contrôle de prix sur les six grandes villes de
l’Empire. Pour ce dernier contrôle, il reprend le système des greniers au prix constant. Ce
système avait été institué en 54 avant notre ère, puis aboli en 44. Ce système a été relancé
régulièrement par les dynasties suivantes, notamment par les Qing 清, pour tenter de résoudre
un certain nombre de crises. Ces greniers servent en effet à éviter les conséquences d’un
certain nombre de fléaux qui peuvent frapper les paysans : en cas de chute des prix les années
d’abondance, l’Etat achète à un prix avantageux pour les paysans les surplus pour les
engranger dans ses greniers, et en cas de hausse des prix les années de pénurie ou de
mauvaises récoltes, l’Etat injecte ses réserves pour faire baisser les prix. Dans la pratique,
cependant, les greniers au prix constant joueront en fait essentiellement le rôle de banques.
On débat encore pour savoir si Wang Mang 王 莽 était un habile intriguant, un
socialiste avant l’heure, un ambitieux assoiffé de pouvoir, ou un illuminé. Si la dynastie de
Wang Mang 王莽 s’est écroulée, c’est notamment du fait de la conjonction de circonstances
extérieures et intérieures : à l’extérieur, il s’agit de la reprise de la menace des Xiongnu 匈奴 ;
à l’intérieur, il s’agit d’une défluviation du Fleuve jaune dans le Shandong 山東, qui a des
répercussions sociales dans toutes les autres provinces. Les paysans alors appauvris et délogés
se regroupent et s’organisent en bandes pour mener une révolte. Pour se reconnaître, ils se
teignent les sourcils en rouge, pratique à l’origine du nom de la révolte dite « des sourcils
rouges ». Un membre de la famille Han 漢 profite alors de la révolte pour s’emparer du
pouvoir et restaurer sa dynastie.
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2/ L’échec d’un rebelle, An Lushan 安祿山, et la décadence des Tang 唐
La rébellion d’An Lushan 安祿山 coupe elle aussi la dynastie régnante en deux. Cette
fois-ci cependant, la dynastie des Tang 唐 ne s’en remettra pas. La rébellion éclate en 755 et
est écrasée en 763. Il s’agit donc de la période de règne de Xuanzong 玄宗, un des règnes les
plus brillants de la dynastie.
Xuanzong 玄 宗 règne de 712 à 756. Il lance un certain nombre de réformes,
notamment pour assainir les pratiques politiques. En 721, il fait reconstituer les registres de
recensement fiscaux. L’armée est elle aussi réorganisée : les chefs militaires obtiennent un
pouvoir d’initiative et une autonomie accrue. Une des plus graves crises de l’Empire a
cependant lieu à cette période : l’effondrement de l’ancien système foncier conduit à
l’émergence d’une masse de paysans déracinés. L’une des solutions préconisées par les
conseillers de Xuanzong 玄宗 a été d’intégrer cette masse de paysans dans les armées, pour
résoudre le problème social tout en permettant une meilleure défense des frontières, avec
notamment la possibilité de coloniser des régions tampons. L’effet est cependant opposé : on
assiste à la militarisation de l’empire, avec une augmentation du poids des armées, donc un
accroissement des impôts qui entraîne la fuite de certains paysans. La réforme renforce ainsi
le vagabondage. Xuanzong 玄宗 crée aussi sur les frontières de régions placées sous le
commandement de commissaires impériaux. Cette mesure s’avère impopulaire. D’autre part,
des tensions entre l’ancienne aristocratie militaire du nord-ouest et la nouvelle classe de
fonctionnaires qui commence à être recrutée sur concours font aussi jour. Enfin, à la fin du
règne de Xuanzong 玄宗, celui-ci se désintéresse de la gestion des affaires de l’Etat à cause
d’une femme, Yang Yuhuan 陽玉環, concubine d’un de ses fils, et inspiratrice de roman. Il
décide alors de se l’attacher personnellement : il la fait tout d’abord nonne en 741, dans un
couvent taoïste situé à l’intérieur du palais, et en 745, Yang 陽 entre officiellement dans le
harem de l’empereur en tant que Guifei 貴妃 (épouse précieuse, en deuxième position après
l’impératrice en titre). Au grand dam des Han 漢, les membres du clan Yang 陽 ont dès lors
eu de plus en plus d’influence à la cour.
An Lushan 安祿山 naît en 703 et meurt en 763. C’est un barbare originaire d’Asie
centrale, réputé pour son physique disgracieux : il est obèse et doit être véhiculé par des
serviteurs. Il retrouverait cependant sa souplesse lorsque l’Empereur lui demande de danser
devant lui. Ambitieux, An Lushan 安祿山 devient commissaire impérial de la préfecture de
You, près de l’actuelle Pékin 北京. De 737 à 752, l’Empire est dirigé par le ministre Li Linfu
李林甫. Celui-ci, inquiet de la montée en puissance du clan Yang 陽, couvre d’honneur An
Lushan 安祿山. Il est fait grand général de cavalerie. An Lushan 安祿山 acquiert une place si
importante que l’empereur décide d’en faire le fils adoptif de Yang Guifei 楊貴妃. An 安
obtient aussi l’important droit de frapper monnaie. An Lushan 安祿山 est le premier à
s’inquiéter de toutes ces faveurs : il songe à la possible déchéance, qui ne saurait tarder. Il
prépare donc l’échéance fatale dans sa préfecture de You, où il établit une ville fortifiée et
entraîne une véritable armée personnelle. En 752, c’est un parent de Yang Guifei 楊貴妃 qui
obtient le poste de premier ministre, et c’est cette nomination qui provoque en 55 la rébellion
d’An Lushan 安祿山. C’est une rébellion armée, qui prend d’abord Luoyang 洛陽 puis
Chang’an 長安. La cour est obligée de se réfugier dans le Sichuan 四川, avec une exigence
des militaires : la disparition du clan des Yang 楊 et la mort de Yang Guifei 楊貴妃. Il s’agit
en fait d’une revanche militaire contre le pouvoir du gynécée, aux mains notamment des
eunuques. La mort de Guiwei 貴妃 ne change cependant rien, et le pouvoir des eunuques
continue de se développer.
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An Lushan 安祿山 se conduit lui-même comme un dictateur et fait régner la terreur
dans son entourage. Il est assassiné en 763. La rébellion continue après sa mort, mais ce sont
surtout les batailles pour le pouvoir qui perdurent. On passe d’une période faste et raffinée à la
décadence de la dynastie Tang 唐. An Lushan 安祿山 a ainsi échoué, mais la dynastie ne s’est
pas relevée de cette rébellion. Si elle réussit à survivre, c’est notamment grâce à des troupes
étrangères, en particulier les Ouighours. Au 9ème siècle, on a cependant une multiplication des
rébellions de commissaires impériaux.
La décadence apparaissait déjà à la fin du règne de Xuanzong 玄 宗 , avec la
militarisation de l’Empire. Cette militarisation se précise cependant avec ses successeurs,
prisonniers des conséquences de la révolte d’An Lushan 安祿山. On renforce ainsi la garde
impériale en même temps qu’on enrôle de force des soldats. Ce danger intérieur est ainsi au
moins aussi important que les menaces turques et tibétaines. La conjonction de ces facteurs
conduit finalement au renversement de la dynastie des Tang 唐. On voit alors se multiplier les
satrapes et les satrapies, territoires tenus par des chefs locaux. Au début du 10ème siècle, c’est
ainsi le début de la période des 5 dynasties et des 10 royaumes.
Il existe en Chine un idéal unitaire qui masque une tendance à l’éclatement. L’histoire
retient ainsi un certain nombre de souverains tyranniques, autocrates puissants et entourés
d’automates. On a pu aussi présenter ces mêmes personnes comme des personnes sans aucun
pouvoir, isolées des réalités par un certain nombre de barrages rituels et par leurs courroies de
transmission : la machine bureaucratique. On peut ainsi s’interroger sur le rôle de cette
machine bureaucratique comme renforcement ou comme limitation du pouvoir. On peut aussi
s’interroger sur la distinction qui est faite entre les fondateurs de dynasties et ceux que
l’histoire considère comme des usurpateurs. Ce qui créé une continuité d’un souverain
légitime à l’autre est notamment le fait qu’ils détiennent le pouvoir de « propagande », à
travers les histoires dynastiques.
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Chapitre 4 : La bureaucratie, instrument ou élément modérateur du pouvoir
Très rapidement apparaît la nécessité de mettre en place des institutions de
gouvernement, notamment pour cimenter l’Empire, dont l’union est souvent remise en cause.
Les débuts de la bureaucratie remonteraient dans un premier temps aux Royaumes
combattants. Ses rouages se sont en fait mis en place étape par étape. La seconde étape est
donc Qin Shihuangdi 秦始皇帝, une troisième étape étant atteinte sous la dynastie Han 漢,
une quatrième sous les Sui 隋, dont les institutions sont reprises presque telles quelles par les
Tang 唐. Il faut enfin attendre la dynastie des Song 宋 pour que cette bureaucratie domine
définitivement et complètement le gouvernement. Sous les Song 宋, ce que l’on a appelé le
mandarinat est alors devenu inséparable de son mode de recrutement, le keju 科舉, traduit
généralement par « examen officiel » (il s’agit en réalité de concours) et de l’idéologie qui est
censée le dominer, le confucianisme, transmis aux élites par l’étude des classiques.
I/ Aux origines de la bureaucratie
A/ Les premiers temps (Shang 商 et Zhou 周)
De façon générale, on explique le développement précoce de la bureaucratie en Chine
par le développement des travaux d’irrigation et de conservation de l’eau. La bureaucratie
serait ainsi née du besoin de contrôler la main d’œuvre importante nécessaire à ces travaux.
Pour les historiens chinois, le développement de la bureaucratie serait davantage le fruit de la
volonté de l’Etat de contrôler les structures hydrauliques elles-mêmes et les transports.
Sous les Shang 商, il y avait des fonctionnaires qui appartenaient au clan royal, mais la
primauté allait aux devins et aux mages. L’inspirateur des Zhou 周, Confucius, avait, le
premier, idéalisé une hiérarchie fondée sur le mérite et non sur la naissance. Confucius était
également favorable à la centralisation de l’autorité dans les mains du souverain, et il
condamnait donc l’hérédité des charges administratives, qui constituaient un danger pour le
pouvoir de celui-ci. La question de l’autonomie politique des fonctionnaires et de leur
recrutement se pose ainsi d’emblée. Sous les Zhou 周, les souverains font de temps en temps
établir un registre des hommes de mérite, en fonction de la connaissance de l’écriture et du
calcul. Il existe ensuite un cérémonial de présentation et de choix des fonctionnaires. La
législation est cependant vague et imprécise, et conduit à des abus, et dans les derniers siècles
des Zhou 周 , les charges administratives sont devenues héréditaires et une nouvelle
aristocratie administrative a ainsi remplacé une aristocratie militaire. Sous les Zhou 周, il
existe des écoles situées dans la capitale, réservées aux enfants de nobles et de militaires. Il y
aurait aussi eu des écoles de district, pour les gens du peuple, où l’on pouvait apprendre la
danse, la musique et le tir à l’arc. Ces établissements sont cependant privés, sans relation avec
le gouvernement. Il existe aussi des écoles philosophiques, formées par des disciples autour
de leur maître, qui répondent aussi d’initiatives privées. Le savoir est donc ainsi le privilège
d’un certain nombre de familles.
B/ Un appareil qui tourne rond et fait marcher droit (Qin Shihuangdi 秦始皇帝)
Sous Qin Shihuangdi 秦始皇帝 triomphe le légisme, avec un pouvoir fort, tenu par un
prince absolu grâce à une machine administrative impersonnelle, hiérarchisée et efficace.
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L’ancienne aristocratie s’efface peu à peu, et dans la nouvelle hiérarchie sociale, toute
l’aristocratie est au service de l’Etat. Elle est composée d’hommes rétribués et révocables, qui
sont ainsi les premiers fonctionnaires. Ce n’est pas pour autant le triomphe de l’idéal lettré.
C/ La bureaucratie sous les Han 漢
Les souverains Han 漢 sont incontestablement à l’origine du système qui a donné une
si haute importance aux lettrés dans l’organisation administrative de la Chine. Les souverains
Han 漢 trouvent ainsi des auxiliaires utiles pour lutter contre les familles puissantes. Ces
lettrés deviennent les fonctionnaires des Han 漢.
1/ Les rouages administratifs
L’administration est centralisée. L’Empereur est assisté d’un ou deux grands
conseillers, d’un grand connétable et d’un grand officier du censorat (appelés les « trois
ducs »). Le grand conseiller, le plus puissant des trois, gouverne souvent à la place du
souverain. En dessous se situent neuf ministres aux attributions précises. Celui-ci dispose en
outre de son propre secrétariat privé, chargé de renseigner celui-ci, de rédiger et de faire
appliquer ses décisions.
Il existe aussi des rouages aux niveaux provinciaux et locaux. Il y a ainsi des
commanderies, qui relèvent de l’administration centrale, et des royaumes et marquisats. Les
commanderies sont administrées par un gouverneur et un connétable général. Dans les
commanderies les plus étendues, par la suite, le gouvernement est étendu à plusieurs
connétables. Les commanderies sont elles-mêmes divisées en préfectures, avec des préfets
assistés de responsables civils et militaires. Les gouverneurs de commanderie représentent
l’Empereur, et ont tous les pouvoirs religieux, civils et militaires. De la sous-préfecture à la
capitale, le pouvoir administratif est localisé dans le Yamen 衙 門 , résidence des
fonctionnaires, mais aussi tribunal et prison.
Les fonctionnaires administrent la population, veillent à l’agriculture, président aux
cérémonies, commandent les troupes, font la justice… Ils sont aidés par un nombreux
personnel. Les gouverneurs de province disposent d’un tel pouvoir qu’il s’avère indispensable
de les contrôler. On leur envoie alors rapidement des inspecteurs, qui existent dès les Qin 秦,
mais qui sont généralisés sous les Zhou 周. Un corps de douze inspecteurs, dépendants du
grand conseiller, est alors chargé d’inspecter plusieurs provinces et de faire des rapports à la
capitale.
2/ Les réalités de la centralisation et le recrutement des fonctionnements
La centralisation et sa bureaucratisation, ne triomphent réellement que sous Han Wudi
漢武帝. Au début de la dynastie, en effet, l’entrée dans la carrière administrative dépend de
trois critères : fortune, relations et recommandation. Les souverains Han 漢, pour éviter
l’émergence d’une nouvelle aristocratie, font rechercher dans tout l’Empire les hommes
capables d’être fonctionnaires. En 196 avant notre ère, Gaozu 高祖 demande pour la première
fois aux princes locaux de rechercher les hommes de talent pour les recommander et les
envoyer à la capitale. Le critère de talent reconnu est la réputation. Périodiquement, on
renouvelle ce type de décret. En ce qui concerne l’enseignement, en 124, sur proposition de
Dong Zhongshu 董仲舒, l’empereur Wu 武 recommande le choix de jeunes à travers l’Empire
afin de leur enseigner la doctrine de Confucius à partir des classiques. Après un an, ils sont
soumis à un examen, et en fonction des résultats, choisis pour être fonctionnaires. C’est donc
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en 124 que s’établit le premier lien entre le recrutement des fonctionnaires et la doctrine
confucéenne. Cette relation se fait de plus en plus étroite, et elle aboutira au système du keju
科 舉 sous les Song 宋 . Les critères de sélection sont les qualités morales, et non les
connaissance techniques ou les savoir-faire. Le choix dépend alors en premier lieu des
fonctionnaires en place, du fait du système des recommandations.
3/ La décadence du système
Ce système décline finalement sous les Han 漢 postérieurs, et la fonction publique
devient alors le privilège de certaines grandes familles. Le système est sans cesse remis en
cause par une montée régulière de féodalisation, qui sape les fondements de la bureaucratie et
de la centralisation. Ce sont alors les manoirs locaux qui contrôlent les villages et qui
substituent leur administration à celle des fonctionnaires locaux. Ce phénomène, entre le 3ème
et le 6ème siècle, est typique de la décadence du système sous les Han 漢. On maintient
cependant l’appareil dans sa forme (titre et postes), bien qu’il soit alors vidé de tout contenu.
Durant cette période, l’administration civile cède partout devant les chefs militaires de tous
grades. Il arrive, comme au 4ème siècle, que se maintienne alors une administration civile en
apparence qui se réclame d’un Empereur sans pouvoir.
II/ La bureaucratie sous les Sui 隋 (589-618) et les Tang 唐
A/ Le système administratif
Avec les Sui 隋 , une nouvelle administration est mise en place, qui est reprise
quasiment à l’identique par les Tang 唐 après 618. Les dénominations, les traitements et les
grades sont conservés. Les souverains sont donc entourés de conseillers ministres, qui font des
rapports et s’assurent du fonctionnement des taches administratives. La principale tâche de
l’Empereur consiste ainsi à nommer les trois grands ministres. Le grand conseiller contrôle le
Département des affaires d’Etat, qui dirige six ministères : fonction publique, finance, rites,
armée, justice et travaux publics. La chancellerie impériale est chargée de recevoir les
requêtes, et ses membres ont pour tâche l’éducation des enfants impériaux et la conservation
des archives. Enfin, le grand secrétariat impérial a un rôle de conseil, de contrôle et
d’authentification des actes. De lui dépendent trois services : la bibliothèque du palais, le
collège de annalistes et la cour du commissaire aux urnes de dénonciations. Chacun des
organismes surveille étroitement l’autre. Il existe aussi un département du palais, une cour
suprême et un tribunal des censeurs, chargé de contrôler et réprimer les abus à tous les
niveaux de l’administration. Les affaires courantes sont expédiées par les services des neuf
cours et des cinq directions.
Au niveau des préfectures et des sous-préfectures, les fonctionnaires locaux sont
répartis au niveau des circuits, dao 道, qui remplacent les commanderies. A partir des Tang 唐,
l’Empereur peut aussi désigner des commissaires impériaux extraordinaires, qui remettent en
cause les fonctionnaires de la hiérarchie civile.
B/ Les débuts des examens officiels keju 科舉
Le keju 科舉 n’est pas à proprement parler un examen, mais un concours, de recrutement pour
la fonction publique. C’est sous les Sui 隋 et les Tang 唐 que sont fixées les catégories des
examens qui commencent à être régulièrement organisés au niveau de la capitale. Certains
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portent sur les classiques, d’autres sur les lois ou les mathématiques. La plupart du temps, les
candidats choisissent les examens portant sur les classiques, le pourcentage de réussite étant
plus élevé dans ce domaine. Sous Wu Zetian 武則天, il y eu aussi un sujet d’examen sur le
taoïsme. Un système d’examens militaires est également mis sur pieds. Ces examens n’ont
cependant jamais eu l’importance ni le prestige des examens civils. Ce sont d’ailleurs les
premiers à être réformés puis supprimés en 1901. Les examens militaires donnaient lieu à des
responsabilités moins importantes et étaient considérés comme plus faciles.
A cette époque, pour se présenter aux examens, il faut avoir franchi la première étape
d’avoir une recommandation d’une personnalité ou d’un fonctionnaire local. Il existe aussi
des écoles, qui peuvent envoyer des candidats. Différentes écoles, essentiellement destinées
aux enfants des fonctionnaires, sont établies dans la capitale. Parmi elles, se trouve la Taixue
太學, qui accueille les enfants de la famille impériale. D’autres candidats peuvent être choisis
parmi les écoles dites officielles qui ont été créées partout dans le pays. Certains enfants de
l’aristocratie peuvent aussi être dispensés des examens. Tout au long de l’histoire, il y a ainsi
toujours eu deux voies d’accès à la fonction publique : la voie des examens, voie
prépondérante, et la voie de la recommandation (pour les mérites personnels, pour services
rendus, par achat de titres).
Dans un premier temps, les examens sont passés sous le contrôle du ministère de la
fonction publique. Il est cependant rapidement apparu que le ministère de la fonction publique
s’occupant de la carrière des fonctionnaires, on ne pouvait aussi lui confier la charge de leur
recrutement. A partir de 736, les examens sont placés sous le contrôle du ministère des rites.
Ainsi, jusqu’au 20ème siècle, la fonction la plus importante du ministère des rites a été celle de
la responsabilité des examens.
C’est petit à petit que la recommandation n’a plus été nécessaire pour se présenter, les
examens s’ouvrant à tous les élèves. C’est progressivement aussi que les trois niveaux ont été
mis en place, au niveau de la préfecture (bachelier, à l’automne), de la province (licencié, au
printemps) et de l’Etat (docteur, à l’automne). Les examens se passent tous les trois ans.
Le développement de l’éducation se résume alors dans l’effort fait par les éducateurs
pour inculquer les principes moraux des classiques. L’étude des classiques se développe donc,
en même temps que les efforts pour établir une orthodoxie détentrice de la bonne
interprétation. Les classiques commencent à être enseignés aux enfants dès qu’ils savent lire.
Une des premières lectures de ceux-ci est ainsi les Entretiens. L’éducation classique en Chine
a été critiquée pour le fait que l’apprentissage se fait par cœur, sans forcément que les élèves
comprennent. L’illumination était ainsi censée arriver après de nombreuses années
d’imprégnation. Ce n’est que lorsque les élèves connaissaient l’œuvre par cœur qu’ils
pouvaient alors s’attacher à étudier son commentaire. La fixation du mode de recrutement des
fonctionnaires a ainsi contribué à la fixation de commentaires officiels des classiques, ainsi
qu’à l’uniformisation du confucianisme des fonctionnaires.
III/ Triomphe de la bureaucratie sous les Song 宋
A/ Restauration de l’administration civile
Une fois la paix retrouvée, une des premières mesures prises par les Song 宋 est la
restauration de l’administration civile.
Au niveau de l’administration centrale, l’Empereur est assisté de fonctionnaires au
sein du Grand secrétariat. Il préside également le Bureau des académiciens ainsi que le
Censorat. Au sein du Grand secrétariat, on trouve cinq à six personnes, parmi lesquels un à
trois grands conseillers, qui font offices de premiers ministres. Ils sont assistés de conseillers
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civils et militaires, chefs du Bureau des affaires militaires et du Bureau des affaires civiles.
Toute la politique est déterminée par le Grand secrétariat qui se réunit tôt le matin. Le Bureau
des académiciens rédige les décisions prisent par le Grand secrétariat, en même temps qu’il
peut contrôler et censurer ces décisions. L’Empereur tranche en cas de désaccord. Le censorat
recueille les plaintes des administrés, par le biais notamment des bureaux du Tambour,
services déconcentrés en province. Cette institution voit affluer vers le gouvernement des
critiques qui proviennent de tout l’Empire. Les critiques peuvent être d’autant plus dures du
fait du secret professionnel qui lie les censeurs. Cette institution n’a fonctionnée correctement
qu’à partir du règne de Shenzong 神宗 (1070-1085). Au niveau inférieur, le pouvoir est
fractionné. La gestion courante est assurée par les six ministères spécialisés.
Au niveau local, on parle de circuits (dao 道) sous les Song 宋, puis de provinces.
Celles-ci sont au nombre de 15, puis de 25. Elles sont administrées collégialement par
plusieurs hiérarchies parallèles, de façon à ce que personne ne puisse capter tous les pouvoir
au niveau local. Le pouvoir central est représenté par les intendants, spécialisés (armées,
finances, etc.), et qui ne sont responsables que devant l’administration centrale. Des
inspecteurs régionaux peuvent être nommés à titre provisoire pour coordonner les affaires des
provinces, de même que pour les commandements militaires, nommés en temps de crise.
Au dessous encore se trouvent les préfectures, au nombre de 300 environ, et les souspréfectures, plus petite division administrative de l’empire. Les sous-préfectures sont
gouvernées par un fonctionnaire unique, assisté par un petit nombre d’exécutants, sans
responsabilité directe auprès de l’administration centrale. La plupart des affaires courantes
locales sont ainsi assurées par des employés qui ne font pas partie de la fonction publique. Il y
a donc une véritable coupure entre la bureaucratie régulière et le personnel local d’exécution.
Il se dessine un véritable souci de la part du pouvoir de couper la bureaucratie locale
de ses bases régionales et claniques. Ce souci se matérialise par une règle imposée à tout le
personnel depuis au moins le milieu des Han 漢 : la règle d’évitement, qui consiste en
interdire à un fonctionnaire d’exercer dans sa région d’origine. Il est de même interdit aux
membres de la même famille d’exercer dans un même service. Le degré d’application de ces
règles dépend cependant du degré de bureaucratisation de l’Empire.
La règle d’évitement a pour conséquence que le personnel local d’exécution est recruté
sur place. Les fonctionnaires en titre, nommés et rémunérés par le gouvernement central,
parachutés, parfois dans des régions de langue différente, s’opposent ainsi au personnel
d’exécution, sans statut, et pas rémunérés, mais étroitement imbriqués dans leur société locale.
Ces derniers jouent ainsi souvent un rôle d’intermédiaires. Ce fossé, que l’on retrouve
jusqu’aux Qing 清, est un héritage des Song 宋. Il a des conséquences grave : en dessous du
niveau sous-préfectoral, la densité de fonctionnaires directement responsables auprès du
gouvernement central est toujours restée faible.
Si un poste de fonctionnaire ne peut en aucun cas être transmis héréditairement, les
fonctions subalternes sont, en revanche, souvent héréditaires, d’autant plus qu’on a été jusqu’à
interdire le passage des examens à ceux-ci.
B/ Le keju 科舉 et l’enseignement
De manière générale, l’éducation sous les Song 宋 est marquée par cinq traits
fondamentaux : l’importance croissante du keju 科 舉 , l’ouverture de nombreuses écoles
locales et souci du gouvernement de les contrôler, triomphe du néo-confucianisme dans la
lutte pour contrôler le contenu de l’éducation, l’importance croissante du Shuyuan 書院
(traduit par les missionnaires par « académie »), la propagation de l’imprimé et son impact sur
l’ouverture de l’éducation à un plus grand nombre. Les Song 宋 sont la première dynastie
dont la bureaucratie est majoritairement recrutée par le système des examens.
41
1/ Examens et écoles
Les Song 宋 reprennent ce qui fonctionnait sous les Tang 唐, et remettent en place les
catégories qui existaient alors, avec, dans les premiers temps, une certaine diversité (histoire,
mathématiques, poésie…). Jusqu’en 1065, il n’y a pas de session régulière des examens, ce
n’est qu’à partir de cette date que les concours sont institués tous les trois ans. En 975,
l’Empereur Taizu 太 祖 des Song 宋 institue l’examen « du palais », pour examiner un
contrôle et s’assurer de l’impartialité des examens.
En 1069, le réformateur Wang Anshi 王安石 décide de ne maintenir que l’examen
portant sur les classiques. Les examens mandarinaux ont été critiqués dès l’époque de leur
mise en place. Wang 王 se place ainsi d’un point de vue critique : pour lui, les examens
n’atteignent pas leur objectif de recruter les meilleurs éléments de l’Empire. Il introduit ainsi
dans les épreuves une discussion sur les classiques, l’objectif étant de tester les candidats sur
leur capacité à appliquer dans la vie quotidienne les principes tirés des classiques. Cette
épreuve ne s’impose en fait que sous les Song du Sud 南宋. Petit à petit, l’idée que la
connaissance des classiques est suffisante pour acquérir les qualités morales nécessaires pour
exercer dans l’administration s’impose. Les examens se transforment ainsi en test sur les
classiques. C’est un des reproches que chinois comme occidentaux ont pu émettre à l’encontre
des examens mandarinaux.
Les examens accordent une place importante à la mémoire : il fallait connaître par
cœur les classiques et les commentaires adéquats. Des questions étaient posées aux candidats,
la réponse se trouvant dans les classiques. Un autre examen est aussi celui du texte à trous, le
candidat devant combler les blancs.
Les examens s’ouvrent de plus en plus. Il devient alors impératif de bien veiller à
l’impartialité de ceux-ci. Parmi les mesures qui ont été prises, la première fut l’anonymat,
avec la cache des noms. Par la suite, pour éviter de reconnaître l’écriture, on décide au début
du 11ème siècle de faire recopier les examens par des copistes. On avait instauré déjà un
double contrôle : les candidats ayant obtenus leur doctorat étaient réexaminés par l’Empereur
(examen du palais). L’Empereur n’a cependant que rarement utilisé son pouvoir, et l’a par la
suite délégué. Dans le même souci de ne léser personne, mais aussi pour éviter une
surreprésentation provinciale, est instauré un système de quotas, ayant pour objectif que les
régions soient représentées à égalité, pour éviter des germes de contestation. La conséquence
de ces quotas fut que les candidats étaient obligés de se faire enregistrer dans leur lieu de
résidence. Au moment de l’afflux de gens du nord vers le sud sous la pression des barbares,
entre Song du Nord 北宋 et Song du Sud 南宋, la règle fut modifiée : il suffisait d’être
résident sept ans dans une province pour s’y enregistrer.
La sélectivité était importante. Seuls 10% des candidats passaient ainsi le titre de
licencié. L’une des conséquences du fonctionnement des examens est la création d’une
nouvelle structure sociale, dans laquelle les diplômés forment une véritable élite, qui constitue
un très faible pourcentage de la population (500 00 personnes sur 100 000 000). Déjà, sous les
Song 宋, il existe pourtant un quasi monopole des docteurs sur les charges publics. Le statut
social (exemption d’impôts, reconnaissance du statut de lettrés) changeait cependant avec la
simple obtention du titre, bien que l’absence de charge crée des frustrations. Certains d’entre
les lettrés qui n’ont pas de poste dans l’administration, peuvent cependant avoir une certaine
influence auprès de celle-ci (cf. Chroniques indiscrètes des Mandarins, Wu Jingzi 吳敬梓,
milieu du 18ème siècle). A l’origine, les examens ont été créés comme un mécanisme social
impartial. Au final, ils ont servit à renforcer la nature hiérarchique de l’Etat chinois.
Entre le 8ème et le 11ème siècle, on a assisté à une évolution sociale et politique. Au 8ème
siècle, les familles aristocratiques, fondées sur les faits d’armes et la naissance décline. Au
42
11ème siècle apparaît au contraire l’aristocratie des Dushuren 讀 書 人 , les lettrés. Le
confucianisme a ainsi pu s’appuyer sur le développement de l’éducation.
Il existe des institutions éducatives dans la capitale et au niveau local. Il n’y a
cependant pas de lien direct entre la préparation aux examens et les écoles elles-mêmes.
L’initiative privée a donc une large part dans la préparation aux concours. En 962 est créé le
Guozijian 國子監, chargé de la formation des enfants de fonctionnaires. Son rôle est ensuite
élargi à l’ensemble de l’éducation. Il a sous son autorité une série d’institutions, dont le
Guozixue 國子學 (lycée), le Taixue 太學, des écoles militaires, de droit, de calligraphie, de
peinture, de médecine. Le Guozijian 國子監 se lance également dans des activités éditoriales.
Les membres ont la charge de compiler les classiques, qui sont imprimés et distribués par un
bureau d’édition qui lui est rattaché. Il est aussi chargé de diffuser une liste des livres de
référence pour les examens. Cet organisme s’engage également dans des activités en rapport
avec l’administration. Ses membres sont souvent consultés par des hauts dignitaires.
Au niveau local, les Song 宋 jettent les bases d’une éducation gouvernementale qui
sera imitée par les dynasties suivantes. Ils créent les écoles officielles, qui ne sont pas des
établissements d’enseignement, mais sont des lieux servant au contrôle de candidats qui vont
passer les examens, une sorte de présélection. Les études sont laissées à l’initiative des
candidats. Il y a un décalage entre le contrôle que l’Etat exerce par le biais des examens et la
certaine latitude laissée aux uns et aux autres pour préparer les examens. De fait, se sont
créées des écoles de clans, de guildes, de villages. En 1102, un des réformateurs des Song 宋,
Cai Jing, souhaitait mettre en place une éducation universelle avec des écoles dans toutes les
sous préfectures. Les meilleurs élèves des écoles locales seraient envoyés dans les meilleures
universités, dans lesquelles seraient recrutés les fonctionnaires. Cette réforme a échoué, et cet
échec sanctionne l’insuccès des tentatives d’offrir une alternative aux examens officiels.
Les académies existaient sous les Tang 唐 . C’était des institutions éducatives
indépendantes. Il y en avait dans toutes les villes importantes et les capitales provinciales. Il y
en avait en tout 300 pour tout le pays. Elle se sont maintenues sous les Song 宋, mais ont
connue une perte de vitesse avec la création des écoles officielles. A la faveur du déclin des
institutions officielles, Zhu Xi 朱熹 a voulu redonner vie aux académies. Il voulait que cellesci assurent l’éducation confucéenne. Les académies deviennent ainsi des institutions
permanentes, et prennent en charge l’ensemble de l’éducation. A la fin des Song 宋, la
création d’une académie est fréquente de la part des fonctionnaires. Les académies sont
formées d’élèves réunies autour d’un maître. Les académies ont souvent des bibliothèques et
parfois des imprimeries. Elles ont servi à diffuser l’idéologie confucéenne.
2/ Diplômes et emploi
La préparation des examens est généralement longue et difficile. L’âge moyen d’accès
au doctorat est de 30 ans. On estime le nombre de diplômés sous les Song 宋 à 8000 tous les
trente ans, soient moins de 25% des candidats. Ne peuvent souvent prétendre avoir un emploi
que les docteurs. Le dernier examen sert à classer les candidats, et le classement permet
d’obtenir un meilleur emploi. Les meilleurs docteurs sont nommés dans les postes littéraires,
notamment au bureau des académiciens (future Hanlin 翰林). On parle d’un monopole des
docteurs sous les Song 宋. Il est assez rare que le candidat reçoive immédiatement un poste. Il
y a des listes d’attente, et la masse des lauréats attend plusieurs années un premier poste. Les
diplômés ont alors le droit de résider dans les capitales provinciales, en tant que
fonctionnaires en attente, où ils se forment sur le tas au contact d’autres fonctionnaires. Ceux
qui n’ont pas d’emploi de fonctionnaire se destinent souvent à l’enseignement. Ils ont aussi
souvent un poids important dans les affaires locales.
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Pour éviter le ressentiment de candidats recalés qui commencent à vieillir, on met en
place un examen plus facile, pour les personnes entre 50 et 60 ans, qui ont échoué une dizaine
de fois aux examens.
3/ Critiques contre le keju 科舉
Nombreuses ont été les critiques émises contre le keju 科舉, et ce dès le début. Les
arguments avancés ont toujours été les mêmes : bachotage, conformisme, exercice littéraires
et non pratique, sélection fondée sur le hasard ou sur la fraude. Des dispositions ont été prises
pour s’assurer qu’il n’y ait aucune tricherie, et les contrôles pouvaient être très strictes. Sous
les Ming 明 et les Qing 清, des terrains étaient consacrés aux examens. On y construisait des
cahutes, chaque candidat disposant de sa cellule. Le terrain était clos, et les cellules étaient
ouvertes, ce qui explique que les examens étaient passés pendant les saisons « tempérées ».
Les candidats devaient passer trois jours sur le lieu de l’examen. Ils dormaient sur place. Les
milliers de candidats entraient par groupes de cinquante. L’appel commençait dès la nuit. Les
lieux étaient réputés hantés, parce qu’il y avait de nombreux suicides. Les candidats étaient
fouillés à l’entrée. Sous les Qing 清, certains candidats venaient cependant avec leurs livres. Il
y a eu de gros scandales de fraudes, d’étudiants qui ont bénéficié soit de leurs livres, soit
d’aide. La meilleure façon de tricher était de porter une chemise rayée sur laquelle les rayures
étaient en fait les transcriptions en minuscule des commentaires des Analectes.
L’Empereur Taizong 太宗 des Tang 唐 s’est lui-même plaint de ce que les candidats
n’étaient pas recrutés pour leur capacité. En 1043, Fan Zhongyan 范仲演, sous les Song 宋,
fait la même critique. A l’opposé de ce que l’on vise, avec un tel système, les hommes
vertueux risquaient d’être écartés du gouvernement pour peu qu’ils fussent incapables de
franchir toutes les épreuves. Le système est lui-même critiqué par celui qui a figé la pensée
confucéenne, Zhu Xi 朱熹. Il a suggéré de supprimer les examens pendant 30 ans si on
voulait réussir à rétablir la situation.
Les examens sont aussi critiqués en ce qu’ils s’appuient sur des principes
pédagogiques comme la récitation de textes anciens qui doivent être appris par cœur. La
récitation par cœur à l’époque se justifie par la nécessité de s’imprégner de textes en chinois
archaïque pour en avoir une réelle compréhension.
Les examens s’imposent cependant comme la voie de la réussite sociale. Ils ont pour
effet de renforcer la vénération pour le savoir. C’est en même temps eux qui définissent ce
que doit être l’éducation puisqu’ils définissent ce qui doit être étudié. L’imprimé ouvre la
carrière à une population plus large. Avec les examens, le nombre de personnes sachant lire et
écrire a considérablement augmenté. Ce phénomène a pour conséquence sociale l’émergence
de nouvelles professions. De nouvelles formes littéraires (nouvelles) apparaissent aussi en
même temps qu’un public de lecteurs. Les Song 宋 sont une dynastie durant laquelle le
nombre de publications s’est multiplié. On note aussi un changement d’attitude des lettrés
chinois. Nombreux sont ceux qui peuvent participer aux débats sur les réformes. On présente
souvent la période Song 宋 comme celle d’une réelle alternance des positions politiques.
Les examens formaient à une orthodoxie. Du point de vue de l’administration, c’est
dans la logique de la nécessité de respecter l’Etat. La plupart des hauts fonctionnaires Song 宋
ont été recrutés par le keju 科舉. Même sous les Ming 明 et Qing 清, les keju 科舉 ont rempli
leur rôle. A partir du moment où les abus et l’inadaptation des examens est devenue patente,
ce sont les lettrés eux-mêmes qui ont demandé la suppression des examens.
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C/ La nouvelle élite et son idéologie
Les examens ont pour conséquence la formation d’une élite. Une nouvelle idéologie a
été mise en place par celle-ci. C’est cette idéologie qui a été baptisée par les missionnaires
« néo-confucianisme ». C’est en effet à ce moment là que les grands thèmes ont été définis.
C’est à ce moment là aussi que le confucianisme devient inséparable de la forme que prend
alors l’Etat. Parallèlement à ce courant, on observe une volonté de changer les mœurs, de
lutter contre les usages de guerre, de combattre l’influence du bouddhisme et du taoïsme. Il
s’agit de revenir au rite ancien, de faire un retour aux classiques. C’est ce qui définit la
Réforme confucéenne (en parallèle avec la Réforme protestante). Le rapprochement est
d’autant plus pertinent que le néo-confucianisme a exercé en Chine une influence comparable
à celle du protestantisme en Europe.
1/ La philosophie de la raison lixue 理學 de Zhu Xi 朱熹 (1130-1200)
En Chine, le terme utilisé pour le néo-confucianisme est celui de Lixue 理 學 ,
philosophie de la raison. Le grand nom du Lixue 理學 est Zhuxi 朱熹, qui a pourtant eu un
certain nombre de précurseurs au 11ème siècle. Sous les Sui 隨 et les Tang 唐 , le
confucianisme avait été relégué aux second plan par les bouddhisme et taoïsme. Le prestige
des concours allant grandissant, la pensée regagne son ascendant. Avec le déclin du
bouddhisme, au milieu du 9ème siècle, le confucianisme est prêt à prendre le relais.
Parmi les auteurs qui marquent le retour au confucianisme, il y a à la fin des Tang 唐
un dénommé Han Yu 韓 愈 (786-824). Sa réaction confucianiste est dirigée contre le
bouddhisme, antisocial, selon lui. Dans son ouvrage Origine de la vérité, il se donne pour
objectif de restaurer le dao 道 confucéen. Il en appelle aux anciens souverains de l’âge d’or. Il
demande à ce qu’on fasse un retour aux textes, laissés par Confucius et Mengzi 孟子. A la
même époque, certains confucianistes intègrent dans leur préoccupation des considérations
inspirées du taoïsme et du bouddhisme (philosophie de l’être). Les confucéens se passionnent
alors pour les sciences divinatoires, essentiellement taoïstes à l’origine. Ils font du Yijing 易經
une explication rationnelle du mode de fonctionnement de l’univers.
Sous les Song 宋 , une pléiade de penseurs se lancent dans des spéculations et
préparent le terrain à Zhu Xi 朱熹, qui reprend leurs idées : Zhou Dunyi 周敦頤 (1017-1073),
Shao Yong 邵雍 (1011-1077), Zhang Zai 張載 (1020-1077), Cheng Hao 程顥 et Cheng Yi 程
頤 (1033-1108).
La réflexion de Zhou Dunyi 周敦頤 porte sur le fait suprême, Taiji 太極. Il débouche
sur une compréhension rationnelle de l’univers. Le Ying 陰 et le Yang 陽 sont issus du fait
suprême. Ils donnent alors naissance aux 5 agents puis aux 10 000 choses. Zhou 周 met en
évidence l’intervention de deux éléments, li 理 et qi 汽.
Shao Yong 邵雍 part aussi du Yijing 易經, mais il met l’accent sur l’organisation de
l’univers. Il spécule davantage sur la signification des nombres et sur les hexagrammes, qui
lui servent à figurer la loi universelle. Il établit une cosmologie chronologique, ou il montre
que l’âge d’or est dépassé et qu’on est entré dans une phase de déclin de 125 600 années. Ce
déclin aura une fin et tout recommencera en se répétant. Ces lois cosmiques sont mises en
relation avec le corps et l’esprit de l’homme. Il y a une correspondance entre macrocosme et
microcosme.
Zhang Zai 張載 spécule essentiellement sur le Qi 汽. Le Qi 汽 est une substance
limpide, incolore, qui entoure l’homme comme l’eau le poisson. De ce fait, il unit en un tout
cohérent l’ensemble de la création.
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Les frères Cheng 程 reprennent les réflexions de Zhang Zai 張載 et les développent.
C’est Cheng Yi 程頤 qui a choisit les « quatre livres », qui contiendrait le fondement du
confucianismes. Il définit ainsi l’éducation telle qu’elle a été proposée aux chinois du 11ème au
20ème siècle.
Zhu Xi 朱熹 a repris à son compte ces spéculations. Il est considéré comme un des
maîtres les plus importants du confucianisme après Confucius. « Raison » est, pour lui, à
prendre dans le sens de raison d’être, objectif des choses. Son influence s’est éteinte avec la
fin de l’Empire. Il est né en 1130, dans le Fujian 福建, dans une famille de lettrés. Il est donc
de tradition confucéenne. Il a occupé des postes officiels, et ses œuvres tiennent une place
importante parmi les commentaires de classiques. Il connaissait cependant aussi taoïsme et
bouddhisme. Il a mis en ordre les idées apportées par les penseurs du 11ème siècle. Il est
notamment associé aux frères Cheng 程.
Il a remis à l’honneur les vertus confucéennes cardinales : le ren 任 et le yi 義, la
justice. Sa contribution est surtout importante pour son explication des relations entre qi 汽 et
li 理. Qi 汽 serait la force matérielle, li 理 le principe. Le li 理 est éternel et précède
l’existence des choses. C’est un principe immuable et sans fin, il est la raison d’être des
choses. Il ne peut y avoir de li 理 sans qi 汽 et réciproquement. Il existe un certain nombre de
traduction pour qi 汽 : éther, matière, énergie, souffle. Le qi 汽 appartient au domaine des
corps. Une telle dualité se retrouve chez l’homme, composition de qi 汽 et de li 理. Le qi 汽
est aussi responsable de toutes les déviations de la nature humaine. Le but de la sagesse est de
dépasser le qi 汽 pour rejoindre le li 理 éternel. Pour cela, il doit purger son cœur de tout désir
égoïste, et doit se livrer à l’investigation des choses, donnée essentielle du lixue 理學. Cet
effort de compréhension doit amener à une illumination soudaine.
Zhu xi 朱熹 a voulu donner un rôle aux académies. Il a lui-même fondé l’académie du
Cercle Blanc. Il a laissé à ses disciples ses instructions, dont le fait de refouler les
mouvements de colère, d’étouffer la sensualité, d’attribuer aux autres ce qu’ils font de bien,
de se corriger de leurs défauts et de faire des retours sur eux-mêmes en toute occasion. Cela
rappelle l’examen de conscience, qui se développe à partir du 16ème siècle. L’aveu de ses
fautes se pratique entre amis. De fait, les académies, avec leur culte rendu à Confucius, on prit
modèle sur les monastères bouddhistes. C’est une façon de combler l’attente des disciples.
Avec le néo-confucianisme, on assiste à la prolifération d’un nouveau vocabulaire : li
理, qi 汽, sincérité, quiétude, investigation des choses. Une nouvelle définition de l’homme de
bien est donnée en fonction de sa sincérité, de sa quiétude, de ses pensées. Sur le plan
philosophique, le néo-confucianisme est présenté comme une réinterprétation des classiques
confucéens en adoptant un point de vue bouddhiste et taoïste.
L’interprétation de Zhu Xi 朱熹 réussit à s’imposer, ne serait-ce que parce que ce sont
ses commentaires qui seront choisis pour les examens officiels. Le néo-confucianisme domine
l’éducation. Le confucianisme ne s’en est pas pour autant figé en une seule orthodoxie. Les
spéculations ont continuée après.
Il y a eu aussi une influence du néo-confucianisme dans l’enseignement élémentaire,
puisqu’il impose le Sanzijing 三子經 (éléments d’histoire, de géographie, de sciences, en
poèmes de trois caractères), le Qianziwen 千字文 (texte en mille caractères qui ne se répètent
pas - deux ou trois se répètent en réalité) et le Baijiaxing 百家姓 (liste des noms de famille).
La contribution la plus importante des néo-confucéens est dans leur réflexion sur le
pouvoir monarchique. Ils constatent une tension entre l’Etat et l’individu : l’Etat cherche à
accroître son contrôle, alors que l’individu cherche à accroître sa perfection morale. Le lettré
doit chercher à réduire ces tensions, et aboutir à l’harmonieuse combinaison des deux. L’unité
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idéologique est essentielle à la stabilité de l’Etat. Le conformisme aurait cependant aboutit à
une sclérose de la santé.
L’influence des néo-confucéens ne s’est pas imposée toute de suite. C’est à la fin des
Song des Sud 南宋 qu’ils font ressentir leur influence, et elle domine quand la dynastie des
Yuan 元 décide de retenir les interprétations de Zhu Xi 朱熹 pour les keju 科舉.
2/ Caractéristiques de la classe lettrée
La classe lettrée est une classe ouverte en ce qu’en théorie, tout le monde peut y
accéder, mais aussi une classe fermée, parce qu’elle se distingue par ses us, son langage, ses
vêtements du reste du peuple.
On a une image des lettrés comme tournés vers le passé et conservateurs. La vérité est
cependant plus contrastée, il y a aussi des réformateurs dans cette classe. Même quand il se
constitue en orthodoxie, le confucianisme a toujours présenté des courants divers et riches.
Les fonctionnaires ont pu être sollicité à toute époque pour stimuler et proposer des réformes.
A la fin du 19ème siècle, lorsque le confucéen réformiste Kang Youwei 康有為 (1898) a
essayé de prouver que Confucius avait été le premier des réformistes, de nombreux
conservateurs ont protesté. Les deux attitudes cohabitent donc.
On a aussi présenté la bureaucratie chinoise comme ayant subit une longue décadence,
pour en arriver à la fraude générale, la corruption et à des fonctionnaires incapables à la fin du
19ème siècle. Il n’y a en fait pas une évolution aussi continue. Il y a des périodes où la
bureaucratie a été très efficace, comme d’autres où les fonctionnaires ont été dépassés par les
problèmes de leur époque.
D/ Rapport entre le pouvoir et sa bureaucratie
Les rapports entre l’Empereur et sa bureaucratie ont souvent été conflictuels,
notamment sous les deux dernières dynasties. C’est certainement sous les Song 宋 que la
bureaucratie a jouit du statut le plus élevé par rapport à l’Empereur. Elle exerce alors un
véritable pouvoir moral, et participe à un débat politique qui se déroule au grand jour. Ce
débat se cristallise autour de groupes, parfois appelés partis, qui alternent au pouvoir. Sous les
dynasties suivantes, le pouvoir a davantage marqué son poids, en traitant les fonctionnaires
comme des obligés et non plus comme des conseillers.
La bureaucratie s’est petit à petit mise en place. Les fonctionnaires sont de plus en plus
recrutés par des concours qui portent de plus en plus sur les classiques. Ceci ne fonctionne
cependant vraiment à plein que sous les deux dernières dynasties. Dans la dernière période
des Song 宋, il y a en effet eu de nombreuses exceptions, notamment des tentatives pour
l’obtention de l’hérédité des charges. L’Empereur a pu aussi sous les Song 宋 décider de
concours exceptionnels qui dérogent à la régularité du calendrier trisannuel (qui ont aussi été
organisés à trois reprises sous les Qing 清). Fixée dans ses grandes lignes sous les Song 宋, la
bureaucratie impériale s’est maintenue jusqu’au début du 20ème siècle, où elle s’est écroulée
en même temps que l’Empire. On l’estime alors minée par son incompétence, et le système
est critiqué par ceux auxquels il aurait du profiter : les lettrés et les fonctionnaires. C’est sous
leur pression que les examens sont supprimés en 1905. Pour l’un d’entre eux, Zhang Zhidong
張之洞, il fallait réformer les examens, ou les abolir.
Tout est cependant loin d’avoir été aussi négatif que ce qu’ont pu faire croire certaines
historiographies chinoises ou occidentales.
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Chapitre 5 : La Chine et ses voisins des origines aux Song
Il est difficile de traiter du sujet dans la mesure où certains aspects ont été négligés par
l’historiographie. Parler des relations de la Chine avec ses voisins revient à poser la question
de qui sont les chinois. Une autre question est de savoir si on peut parler d’un monde chinois
ou d’une zone d’influence chinoise, en concluant qu’il existe en extrême orient une aire de
civilisation confucéenne ou néo-confucéenne. Il s’agit aussi de s’interroger sur la perception
qu’ont les chinois de l’autre. Au 4ème siècle, lors des 16 royaumes des 5 barbares, on se rend
compte que les « barbares » sont installés depuis longtemps en Chine, qu’ils portent des noms
chinois, qu’ils sont éduqués sur le modèle confucéen et que leur administration est calquée sur
le modèle chinois.
Les lacunes historiques sont importantes en ce qui concerne toutes les marges du
monde chinois, ainsi que toute ce qui pourrait aller à l’encontre d’un discours de l’unité du
peuple chinois. C’est par les oasis d’Asie centrale que le bouddhisme est entré en Chine. Il y a
une indéniable influence de la Chine sur ses voisins, mais la réciproque est aussi vraie.
I/ Chinois et barbares
A/ Nous et les autres
1/ Les barbares dans les cinq classiques
Dans les classiques sont opposées la barbarie des peuples qui entourent le Zhongguo
中國 (Huawai 華外) et la civilisation. A travers les classiques, le monde apparaît comme un
vaste ensemble homogène : le datong 大同. Dans les classiques, on a essentiellement la vision
d’une élite, consciente de sa supériorité culturelle. C’est en fonction de cela que ceux qui ne
suivent pas les rites des chinois sont considérés comme des barbares. Parallèlement, on insiste
sur la continuité culturelle, et sur le fait qu’il est possible de transformer les barbares en
utilisant la voie chinoise (Yong Xia Bian Yi 用夏變夷). Dans ces conditions, les barbares
peuvent être culturellement absorbés (來化 « venir et se transformer » 漢化 « sinisation »).
Ainsi, chez l’auteur Hexiu 何休 (129-182), une distinction est faite entre Zhuxia 諸夏, chinois,
et yi 夷 ou di 狄, barbares. A l’âge de la grande paix, ils seraient absorbés et le monde
deviendrait un. Ce serait le datong 大同.
Dans d’autres passages des classiques, la vision est différente. Dans le Zuozhuan 左傳,
commentaire des Printemps et Automne, on trouve cette phrase « fei wo zulei qi xin biyi 非我
族類 其心必異, s’il n’est pas de ma race, son esprit est différent ». Ainsi, à une certaine
époque, la différence entre étrangers et animaux n’est pas claire. Dans beaucoup de noms de
races non chinoises, on a un radical animal. Dans le Liji 禮記, Mémoire sur les rites (3ème
siècle avant notre ère) : les chinois, les di 狄, les yi 夷 et les autres peuples des cinq sphères
ont tous leurs nature qui ne peut être altérée.
Les cinq sphères apparaissent dans une carte cosmologique du Shujing 書經. Selon
cette représentation, le monde est divisé en cinq configurations concentriques en forme de
carrés. Chaque espace a un nom particulier. Au cœur se trouve le palais, le centre impérial. Le
second espace est le domaine royal. Le troisième est la terre des vassaux. Au-delà, une zone
de pacification, qui sépare la civilisation d’une zone appelée aire stérile : zone des peuples de
la steppe et des sauvages. Cette conception du monde est parfois complétée avec l’idée des
quatre mers Sihai 四海 et des quatre barbares Siyi 四夷, qui entourent le monde chinois.
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2/ Des différentes catégories de barbares
Le Shanhaijing 山海經, traduit généralement par Classique des mers et des montages,
mais auquel on préfère Itinéraire des mers et des montagnes, date du 4ème siècle avant notre
ère et contient beaucoup de descriptions d’itinéraires et de paysages (qu’on n’a pas réussit à
reconstituer). Il s’agit aussi d’un ouvrage anthropologique, puisqu’on y trouve de nombreuses
descriptions d’être humains. Dans cet ouvrage, on trouve une association entre infériorité
humaine et monstruosité (le sauvages ont un œil au milieu du ventre…). Ces populations
monstrueuses sont évidement hors Zhuxia 諸 夏 . On retrouve aussi chez de nombreux
penseurs une sorte de déterminisme environnemental : Du You 杜佑 (735-812) estime que les
barbares de son temps étaient arriérés parce que moins favorisés que les Han 漢 en terme de
climats et d’environnement. C’est l’environnement propre à la Chine qui l’a dotée de ses
sages. On fait une distinction entre deux types barbares : barbares crus (shengfan 生番) et
barbares cuits (shufan 熟番). Les crus sont considérés comme sauvages. Le fait d’avoir accès
à une cuisine raffinée est ainsi un critère de civilisation. Les barbares cuits sont ceux qui
vivent le plus près des Chinois. Pour Du You 杜佑, seuls les barbares peuvent évoluer vers les
chinois. Le contraire n’est pas vrai. Cet argument sera d’ailleurs utilisé par les antibouddhistes, le bouddhisme étant présenté comme inférieur à cause de son origine étrangère.
Celui qui est salué comme ayant forgé la nation chinoise, Qin Shihuangdi 秦始皇帝,
était lui-même considéré comme plus proche des barbares Rong 戎 que du Zhuxia 諸夏. Ceci
est vrai pour un certain nombre de fondateurs de dynasties, y compris celles qui comptent
comme des dynasties chinoises (les Tang 唐 étaient ainsi en partie originaires d’Asie centrale).
3/ Points de vue contemporains
Cf. dossier, page 46 : texte de Fan Wenlan, premier historien officiel de la RPC.
Il semble établit que les populations minoritaires du Yunnan 雲南 et du Guangxi 廣西
(Li 黎 et Miao 苗), vivaient effectivement auparavant plus au Nord.
On constate aussi que les noms des souverains mythiques sont repris par Fan Wenlan
pour désigner certaines ethnies.
L’historiographie de Fan Wenlan reprend pour beaucoup les données avancées par les
classiques anciens, dont certaines sont réfutées par l’archéologie.
Les Man 蠻 correspondent aux Mandchous, aujourd’hui pratiquement assimilés.
Cf. dossier, page 46 : texte de An Zuozhang 安作璋.
La notion d’Etat pluriethnique est très connotée politiquement, inspirée d’une vision
stalinienne.
Les chercheurs occidentaux se sont davantage intéressés aux origines des différentes
populations chinoises, notamment celles liées à la dynastie Shang 商. A cette époque, on
enregistre un certain nombre de progrès évidents : une écriture élaborée, un artisanat riche
(sculpture, poterie), un certain nombre d’innovations (bronze). L’ensemble des innovations
concerne essentiellement les classes les plus favorisées de la population. On distingue en fait
plusieurs possibilités : soit on a eu affaire à une réelle évolution, soit à une conquête, d’un
peuple qui aurait apporté les innovations avec lui.
49
B/ Expansion et colonisation sous les Qin 秦 et les Han 漢
1/ Les Xiongnu 匈奴 sous les Qin 秦
Des débats portent sur le fait de savoir si les Xiongnu 匈奴 et les Huns ne formaient
qu’un peuple. Vraisemblablement, ce serait des peuples différents, même si une partie de leur
culture et de leur origine est commune (Haute Asie).
Avec les Qin 秦, on a la première grande expansion chinoise. Après avoir conquis et
unifié le Huaxia 華夏 proprement dit et avoir retrouvé la stabilité, Qin Shihuangdi 秦始皇帝
s’est lancé dans une expansion militaire et coloniale vers le nord et le sud. Cette expansion a
été soutenue par la construction de routes.
Au nord, la conquête s’est faite au détriment des Xiongnu 匈奴. Le terme de Xiongnu
匈奴 apparaissait déjà chez les Zhou 周 postérieurs, pour désigner les barbares du Nord,
notamment de la boucle des Ordos. On pense que ces populations existaient également sous la
dynastie Shang 商. On les rattache à ce qui a pu être appelé Guifang sous les Shang 商 et
Xianyun sous les Zhou de l’ouest 西周.
Ces différents groupes (s’ils ne sont pas qu’un), ont un style de vie nomade et ce sont
des éleveurs. A l’époque des Royaumes Combattants, ils sont organisés en tribus, et
s’appuient sur des cavaleries très mobiles pour mener des incursions régulières dans la plaine
centrale. Ils profitent des guerres qui divisent le monde chinois pour s’avancer sur leur
territoire. Ils occupent ainsi la boucle des Ordos et font peser une menace réelle sur la Chine,
même unifiée.
En 215, Qin Shihuangdi 秦始皇帝 nomme le général Meng Tian 孟恬, qui aurait eu
sous ses ordres une armée de 300 000 hommes (chiffre douteux, du Shiji 史記). Meng Tian 孟
恬 aurait marché sur les Xiongnu 匈奴 et récupéré le territoire des Ordos. En 211, il fait
déplacer 30 000 familles pour coloniser cette région. Pour tenter d’éviter les incursions
Xiongnu 匈奴, Qin Shihuangdi 秦始皇帝 lance la construction de la Grande muraille et d’une
grande route Nord-sud pour faciliter les déplacements de troupe. C’était aussi contre les
Xiongnu 匈奴 que les Etats de Nian 捻 et de Zhao 趙 avaient construit des fortifications
auparavant. Au 14ème siècle, sous les 16 royaumes des 5 barbares, il y a encore des Xiongnu
匈奴 installés sur le territoire chinois.
La première mesure de colonisation est située en 219, contre la province du Shandong
山東, peuplé de l’ethnie Yi 夷. Qin Shihuangdi 秦始皇帝 se rend au Shandong 山東 pendant
trois mois et constate que la province est peu peuplée. Il demande alors à 30 000 familles de
s’installer dans la région. Il s’agit de sujets ordinaires, encouragés par une exemption de
corvée pendant 12 ans. Cette politique a été poursuivie à l’époque des Han 漢.
2/ L’expansion en Asie centrale sous les Han 漢
Les conquêtes Han 漢 se font cependant essentiellement en Asie centrale (Sérinde). Le
6 Empereur, Wu 武, conquiert de vastes territoires. En 125 et 129, les conquêtes se portent
contre les Xiongnu 匈奴. La stratégie Han 漢 a pour but de parer à la menace barbare. Les
Chinois établissent d’abord de solides positions de défense en Chine du Nord et du Nord
Ouest. Ils développent ensuite une politique d’expansion en Asie centrale pour chercher des
alliés à l’ouest des Xiongnu 匈奴. Ils lancent ensuite des offensives pour empêcher les
Xiongnu 匈奴 de se concentrer autour des frontières. Enfin, ils développent leur conquête vers
le Sud pour chercher des alliés et désenclaver l’empire.
ème
50
En 138, Wudi 武帝, décide d’envoyer une ambassade dans le territoire supposé des
Yuezhi, ennemis des Xiongnu 匈奴. C’est Zhang Qian 張騫 qui est envoyé, à la tête d’une
ambassade d’une centaine de personnes. Son problème est qu’il doit d’abord traverser le
territoire des Xiongnu 匈奴, qui l’emprisonnent. Il y reste 10 ans, avant de s’évader. Il finit
par parvenir dans le territoire des Yuezhi, qui entre temps se sont sédentarisés et se soucient
peu d’une alliance avec la Chine. Zhang Qian 張騫 reprend le chemin du retour. Il est de
retour à Chang’an 長安 en 126. Wudi 武帝 fait repartir Zhang Qian 張騫 en 115 avec pour
mission de prendre contact avec un autre groupe, les Wusun, éleveurs de « chevaux célestes ».
L’épopée de Zhang Qian 張騫 est une de plus extraordinaires expéditions de l’antiquité : il
arrive aux confins orientaux du monde grec. Il ramène de nombreuses plantes, et ses missions
ont eu de nombreuses conséquences politiques et culturelles. Zhang Qian 張騫 est considéré
comme le père de ce qui allait devenir les routes de la Soie, qui relient la Chine à l’Iran, et au
delà, à la Méditerranée. C’est aussi par ces routes là qu’arrivent certaines nouveautés, comme
le bouddhisme.
A partir de 126-127, les Han 漢 passent à une politique plus offensive : ils reprennent
l’Ordos et le Gansu 甘肅 occidental aux Xiongnu 匈奴 et prolongent la grande muraille. Les
conquêtes de l’époque ne conduisent cependant pas à stabiliser la région. En revanche, elles
ont contribué à rompre l’équilibre des forces en Asie centrale et à affaiblir les Xiongnu 匈奴.
L’expansion se fait également en direction de la Corée et du Vietnam.
Wudi 武帝 applique également une politique de transfert. On estime à plus de 2 000
000 les Chinois déplacés le long de la frontières nord sous le règne de Wudi 武帝. Les
conquêtes et les politiques de défense coûtent alors chers à l’Empire.
Un autre règne est aussi marqué par une politique d’expansion : celui de Xuandi (7449), aussi vers l’Asie centrale. Les Chinois profitent des querelles de succession qui divisent
les Xiongnu 匈奴. Le Chanyu, chef des Xiongnu 匈奴 méridionaux fait sa soumission aux
Han 漢 en 53 avant notre ère, et cette allégeance a eu pour conséquence de délivrer la Chine
de la menace Xiongnu 匈奴 pendant 50 ans. La soumission du Chanyu permet l’insertion des
Xiongnu 匈 奴 dans le système du tribut. Le vassal doit se faire représenter auprès du
souverain lors d’une cérémonie le jour de l’an. Il apporte alors un tribut, en l’échange duquel
l’Empereur donne un cadeau. Le souverain vassal s’engage également à envoyer un de ses fils
en otage. Le jeune prince est élevé à la cour au frais de l’Empereur, dans le respect de la
tradition chinoise. Le vassal est tenu de maintenir la paix. Les Xiongnu 匈奴 devaient ainsi
faire cesser leurs propres raids : en l’occurrence, les Xiongnu 匈奴 du Sud devaient empêcher
les incursions de ceux du Nord. En cas d’expéditions militaires, ils doivent envoyer des
troupes. Les Etats vassaux entretiennent aussi des liens commerciaux. Souvent, pour sceller
les liens entre vassal et suzerain, une princesse chinoise est donnée en mariage au vassal.
Le cadre tributaire apporte ainsi des avantages aux deux parties. Souvent, les cadeaux
remis par l’Empereur sont supérieurs en valeur aux tributs. Pour les Chinois, le but est
d’arriver à une soumission totale des Xiongnu 匈奴 et autres barbares. Les cadeaux sont ainsi
un moyen des les acculturer. L’inconvénient de cette politique est cependant son prix. Le
système est par nature instable, et ne peut se maintenir que si la Chine est suffisamment forte
pour l’imposer. Au premier siècle, on sait que les cadeaux inondent les Xiongnu 匈奴. Dans
les tombes d’aristocrates Xiongnu 匈 奴 , on trouve en quantité de nombreux produits
d’artisanat chinois (soies, jade, laques). Des artisans chinois sont d’ailleurs invités à demeure
chez les Xiongnu 匈奴.
Plus il y a d’Etats vassaux, plus c’est le signe que la vertu impériale rayonne autour
d’elle, et donc que la mission civilisatrice de la Chine se réalise. Par la suite, les tributaires,
51
sous les Ming 明, par exemple, ont pu aussi largement jouer du système à leur profit. De
nombreuses populations d’Asie centrales prétextaient ainsi du versement du tribut pour faire
du commerce avec la Chine.
Après les 50 ans de trêve avec les Xiongnu 匈奴, la Chine est à son tour affaiblie par
des querelles de succession, l’usurpation de Wang Mang 王莽 n’arrangeant pas les choses. Il
faut de nouveau attendre la Restauration pour que les Han 漢 lancent alors un programme de
fortification, qui s’avère inutile. Les Xiongnu 匈奴 recommencent leurs incursions dans
l’Empire. Ils se divisent cependant de nouveau sur des questions de successions.
C/ Intégration des barbares dans le monde chinois
Selon les périodes, la gestion du problème barbare se fait de façon différente.
1/ Les armées de Cao Cao 曹操
L’intégration peut avoir lieu par les armées. Cao Cao 曹操 est le fondateur d’un des
trois Royaumes après la chute des Han 漢. A l’époque, déjà, les Xiongnu 匈奴 étaient mêlés
aux Han 漢, dont ils protégeaient les frontières. Ils étaient contrôlés par des fonctionnaires
Han 漢 et bénéficiaient d’exemption d’impôt.
En 216, Cao Cao 曹操 décide de les répartir en 5 tribus. Il fait des fils et petits fils du
Chanyu qui avait fait un pacte avec l’Empereur des chefs de tribus. Il change alors leur nom,
pour leur donner celui de Liu 劉, nom de la famille impériale fondatrice des Han 漢. On
retrouve ces descendants des chefs Xiongnu 匈奴 au 4ème siècle, en fondateur d’un des
royaumes barbares, qui prétendra pourtant être le successeur du royaume des Han 漢.
On parle de 100 000 Xiongnu 匈 奴 soumis. La menace aux frontières ne cesse
pourtant pas. D’autres nomades menacent, et Cao Cao 曹 操 doit donc développer les
institutions militaires. A l’origine, ses armées sont formées de Chinois et barbares (Xiongnu
匈奴, Xianbei 鮮卑, Qiang 羌), de mercenaires et de vagabonds.
Cao Cao 曹操 tente même de créer une véritable caste militaire, c'est-à-dire des
familles de soldats de métier qui ne pouvaient se marier qu’entre elles. Ceci ne s’est pourtant
pas fait. Il fait largement appel aux anciens nomades pasteurs installés en Chine du Nord. Il
utilise leurs capacités de cavaliers et d’archers. Il autorise d’importants groupes de Xiongnu
匈奴 à s’installer sur le territoire, dans l’actuel Shanxi 山西. Au 4ème siècle, ce sont les
descendant de ces groupes qui formeront les 5 royaumes des 16 barbares. On est alors loin
d’une population chinoise constituée de façon définitive.
2/ Aux frontières de la Chine
II/ Les invasions et soulèvements des IVe et VIe siècles
A/ La Haute Asie
B/ Les royaumes « barbares » du Nord de la Chine
C/ Les Wei du Nord 北魏
III/ La pax sinica en Asie sous les Tang 唐
A/ Pax Sinica
B/ Echanges commerciaux et routes de la soie
IV/ Les Song 宋, une dynastie sous la menace permanente de ses voisins
A/ Problèmes frontaliers et recul de l’empire
B/ La fin des Song 宋
1/ Empires de la Chine du Nord (Xè-XIIIè siècles)
2/ Les Mongols
V/ Influences chinoises sur les voisins de la Chine : le cas du Japon
52
II/ Chinois et Barbares à l’époque des Six Dynasties (317-589)
A/ Espace et chronologie
L’époque des Six dynasties liuchao 六朝 est la première grande période de division
entre le Nord et le Sud, la seconde étant celle qui culmine avec la dynastie mongole. Durant
cette période, on parle en fait de six dynasties pour désigner les six dynasties qui ont eu leur
cour à Nankin 南京. La première fut le royaume de Wu 吳 sous les trois royaumes, les cinq
autres étant les Dongjin 東晉, les Song 宋, les Ji 齍, les Liang 梁 et les Chen 陳.
Au Nord, on parle plutôt des 16 royaumes des 5 peuples barbares Wuhushiliuguo 五胡
十六國, puis de la période de Nanbeichao 南北朝, dynasties du Nord et du Sud, de 439 à 589.
L’expression de seize royaumes des cinq barbares est traditionnelle, alors qu’historiquement,
il n’y avait pas seize Etats, il n’y avait pas même forcément des Etats, et il n’y avait pas que
cinq peuples barbares. D’autres ethnies étaient mises en jeu. Le nombre des Etats pouvait
atteindre plus de vingt, selon la façon de compter, certains Etats étant très localisés ou
éphémères. Un grand nombre d’entre eux n’étaient pas des Etats au sens où nous l’entendons :
il n’y avait ni capitale fixe, ni frontière définie, ni Etat centralisé. On s’aperçoit que ces Etats
se soucient en fait peu d’une couverture territoriale totale. Ils gardent pour beaucoup leur
caractère nomade.
Voir cartes n°1 et n°2
Autour de l’an 300, on constate que la Chine est un espace cloisonné. Il existe un
certain nombre d’ensembles qu’on ne passe pas facilement. Souvent, les Etats correspondent
ainsi à des zones géographiques. D’est en ouest, on trouve tout d’abord le corridor du Gansu
甘肅, qui se poursuit loin dans l’ouest (jusque l’actuel Xinjiang 新疆). On trouve ensuite le
Guanzhong 關中, c'est-à-dire la vallée de la Wei 渭 et ses affluents. Puis vient le Shanxi 山西,
cloisonné à l’est par les monts Taihang 太 行 山 . Ceux-ci délimitent la plaine centrale
(Zhongyuan 中 原 ). Ensuite viennent les plaines de la Huai 淮 , sont les frontières sont
difficiles à franchir pour des voyageurs et des armées. Enfin vient le Jiangnan 江南, région de
Nankin 南京 (qui a l’époque s’appelle Jiangkang 健康).
Les peuples qui occupent la Chine vers l’an 300 sont des peuples peu connus, dont on
ignore les langues, à part un certain nombre de noms propres. L’expression d’ « invasions
barbares » pour la Chine est erronée : les peuples « barbares » étaient en fait déjà là,
notamment parce qu’ils y ont été appelés et installés pour des raisons économiques et
militaires. Ainsi, les Di 氐 de la vallée de la Wei 渭 ont été installés là par les Han 漢 pour
réhabiliter des régions dépeuplées. Quant aux Xiongnu 匈奴, ce ne sont qu’une partie d’un
grand ensemble de peuples descendants d’un grand empire turco-mongol. Cette fraction
précise s’appelle les Cinq hordes, installée par Cao Cao 曹操 à l’époque des Trois royaumes.
Au nord-ouest se trouvent des peuples qui ne sont pas encore dans l’Empire. Certains
d’entres eux viendront plus tard, notamment d’autres tribus Xiongnu 匈奴 et des Xianbei 鮮
卑. On croit reconnaître dans les Xiongnu 匈奴 les Huns (Hunnu). Xiongnu 匈奴 et Xianbei
鮮卑 sont certainement proches parents. Ce sont des peuples turco-mongols, sûrement plus
turcs que mongols. Au Nord se trouve un peuple Xianbei 鮮卑, regroupé autour d’un clan
dirigeant : les Tuoba 拓跋, et à l’est se trouve un autre peuple Xianbei 鮮卑, les Murong 慕容.
Dans la plaine centrale se trouvent les Jie 羯, dont on ne sait pas grand-chose : certain les
pensent proches parents des Xiongnu 匈奴, d’autres estiment qu’ils sont Iraniens. On a
souvent en fait affaire à des confédérations de tribus qui ne sont pas forcément homogènes
ethniquement.
53
A l’ouest, y compris dans le Sichuan 四 川 , se trouvent des peuples dont le
rattachement est moins bien connu : les Di 氐 et les Qiang 羌, qui sont considérés en général
comme des proto tibétains. Plus au sud se trouvent les Man 蠻 et les Yue 越, peuples
méridionaux, parlant des langues sino-thai. Les Yue 越 sont bien connus comme étant
apparentés aux peuples d’Asie du Sud-est, qui sont encore très nombreux en Chine centrale à
cette époque. Ce ne sont pas des nomades, contrairement aux turco-mongols et aux tibétains.
Les Tibétains sont certainement cependant déjà plus sédentarisés que les éleveurs Xiongnu 匈
奴. Cette époque correspond à la fin de l’Empire des Jin occidentaux 西晉, qui ont réunifié la
Chine en 280, et qui tiennent jusqu’en 317. Déjà en 295, les Di 氐 du Sichuan 四川 avaient
formé un Etat indépendant, le Chenghan 成漢.
Ces peuples, dans l’ensemble, sont sous la complète domination chinoise. Les
Xiongnu 匈 奴 du Shanxi 山 西 sont assez mal traités : ce sont des réservoirs pour les
marchands d’esclaves. Dans l’actuelle Taiyuan 太原 se trouve ainsi un grand marché aux
esclaves. Les marchands d’esclaves sont d’ailleurs autant des chinois que des Xiongnu 匈奴.
Les peuples non chinois vont reprendre conscience aussi bien de leur identité que de leur
force à l’occasion de graves guerres intestines qui éclatent autour de l’an 300. C’est la Guerre
des huit princes, au cours de laquelle les hordes Xiongnu 匈奴 sont instrumentalisées par un
de ces huit princes. Ceux-ci décideront de se regrouper autour d’un chef, qui, profitant de la
débâcle de l’empire des Jin 晉, entrera en guerre contre les chinois.
Le premier évènement marquant de cette époque est ainsi la chute de Luoyang 洛陽,
en 311. La ville est détruite, c’est un massacre. Elle n’est pas seulement prise par des Xiongnu
匈奴, alliés à des Jie 羯, mais aussi par des chinois. Un certain Wang Mi est ainsi le premier à
entrer dans Luoyang 洛陽, et tentera de persuader en vain les chefs Xiongnu 匈奴 de ne pas
brûler la ville. Wang Mi éclatera alors de colère et traitant les Xiongnu 匈奴 de barbares.
L’Empereur Jin 晉 fut fait prisonnier, emmené au Shanxi 山西 et tué, après avoir été humilié
en servant le chef Xiongnu 匈奴 à sa table. Un autre Empereur Jin 晉 monte sur le trône à
Chang’an 長安, qui avait déjà été ravagée. En 316, Chang’an 長安, capitale de l’ouest, est
prise de nouveau, et le tout dernier Empereur de la dynastie Jin 晉, intronisé en 311, est tué à
son tour. C’est aussi un massacre, qui voit la fin des Jin occidentaux 西晉. La cour est
massacrée et un prince de la famille régnante, les Sima 司馬, se proclame Empereur en 317 à
Nankin 南京. C’est le début des Jin orientaux 東晉. Beaucoup des aristocrates du Nord
viendront rejoindre l’Empereur dans le Sud. La majorité de la population reste cependant au
Nord. La disparition complète du pouvoir des Jin 晉 au nord n’est cependant pas brutale. Des
généraux et des gouverneurs de province mènent des combats de résistance jusque dix ans
après la chute de Chang’an 長安. Ceux-ci sont soutenus en particulier par les Xianbei 鮮卑,
constitués en les Etats de Dai (Tuoba 拓跋) et Qianyan 前燕 (Murong 慕容). Les Xianbei 鮮
卑 ont en effet joué le jeu de l’allégeance contre les Xiongnu 匈奴.
Voir carte n°3
Deux Etats sont fondés par les Xianbei 鮮卑 au nord : le Dai et le Qianyan 前燕. La
province de Liang 凉 est chinoise, bien qu’isolée du reste de l’Empire. Il s’agit d’une dynastie
de gouverneurs isolés des Jin 晉, qui tantôt fera allégeance à l’Empire des Jin 晉, tantôt
s’alliera avec ses voisins. Le premier vrai Etat nomade fondé sur le sol chinois est celui des
Qianzhao 前趙, fondé par les Xiongnu 匈奴, alliés aux Jie 羯. Le chef des Jie 羯 était Shi Le
石勒, ancien esclave et homme de guerre, qui seconde d’abord Liu Yuan 劉淵, le chef
54
Xiongnu 匈奴, mais qui prend rapidement son indépendance, pour fonder un Etat rival, le
Houzhou 後趙.
La première évolution se situe dans l’année 332, quand le chef Jie 羯, Shi Le 石勒,
élimine le chef Xiongnu 匈奴, et que le Houzhao 後趙 s’étend alors sur un ensemble assez
vaste : la plaine centrale, la vallée de la Wei 渭 et le plateau du Shanxi 山西. Cet Etat arrive à
un certain degré de centralisation. Tous les chefs nomades se sont en effet empressés de
s’entourer de conseillers chinois. On a dans la manière de gérer les populations qu’ils
contrôlent, un phénomène dual. Deux populations cohabitent en effet et sont souvent
déplacées et déportées : les nomades, désignés par le terme « les tribus », et les chinois
sédentaires, désignés par le terme Min 民, « le peuple ». Les chefs nomades ne considèrent
ainsi pas leurs cavaliers comme faisant parti du peuple. Les nomades continuent en grande
partie à mener leur vie d’éleveurs, de chasseurs et de guerriers. En reconnaissance de cette
dualité de population, on tend à avoir une double administration. Le peuple chinois est ainsi
en général soumis à des ministres chinois. On a un phénomène dans lequel, très souvent, le roi
administre la partie stable, tandis que c’est le prince héritier, qui reçoit le titre de Shanyu 單于,
qui est le chef des tribus. Les Etats de cette époque ont une durée de vie de 20 à 50 ans.
Souvent ils ne dépassent guère le fondateur. Il est rare que les successions soient calmes.
L’Etat de Houzhao 後趙 s’effondre entre 350 et 352 dans un chaos absolu. Des
anecdotes de illustrent certains caractères cruels de cette époque. Dans la ville de Ye 鄴, au
nord du fleuve jaune, ancienne capitale de Cao Cao 曹操, devenue capitale du Houzhao 後趙,
la famille des Shi 石 s’entre massacre, et c’est un chinois, fils adoptif, qui en sort gagnant. En
prenant le pouvoir, il considère que les Jie 羯 ne le servent plus vraiment. Il appelle alors les
populations chinoises de toute la région au massacre total des Jie 羯. On raconte que tous les
Jie 羯 ont été tués, mais aussi les chinois qui avaient le malheur d’avoir un grand nez et une
grande barbe. On en déduit de ces descriptions que les Jie 羯 étaient bien des populations Indo
iraniennes. Il y a tout autour de cette période des affrontements ethniques sans pitiés, y
compris entre nomades. L’insulte courante entre ethnies, révélatrice des rapports qu’elles
entretenaient entre elles, est « esclave ». On accusait aussi à l’époque le dernier souverain des
Houzhao 後趙 de s’être constitué un harem considérable. Il faisait enlever toutes les femmes
par des sbires, à tel point qu’on voyait le long des routes les corps de maris qui s’étaient
suicidés parce qu’on leur avait enlevé leurs épouses. En 352, il y eu une horrible famine, et
presque toutes les femmes du roi furent mangées. L’anthropophagie était un phénomène réel
dans la Chine ancienne, notamment lors des grandes famines où l’on mangeait les personnes
déjà mortes. Parfois, cela pouvait cependant être plus cruel. Ainsi, plus tard, un chef Qiang 羌
de retour vers l’ouest, tuera ses prisonniers au fur et à mesure de sa route pour se nourrir. Il est
très fréquent aussi à l’époque que des armées ou des populations civiles soient enterrées vives
par milliers ou dizaines de milliers. Cette période cruelle se termine par le siège de la capitale
de Ye 鄴 par les armées chinoises remontées vers le Nord.
Comme tous ces chefs ont tendance à former des confédérations, quand ils remportent
une victoire, ils déportent massivement les peuples vaincus près de leurs capitales, et les chefs
des peuples vaincus deviennent souvent des généraux asservis. Dès que l’Etat en question
s’effondre, les chefs des différents peuples reviennent sur leurs terres et reprennent leurs
pouvoirs. Ainsi, les Qiang 羌 et Di 氐 reviendront tous dans l’ouest après s’être émancipés
des Jin 晉. Ils s’entretueront cependant en route, au point qu’à peine un sur dix d’entre eux
arrivera vivant dans l’ouest.
55
Voir carte n°5
En 360, les Xianbei 鮮卑 sont devenus très puissants et se sont avancés vers le sud,
tandis qu’un ancien général des Jie 羯 fonde l’Etat proto-tibétain des Qin antérieurs 前秦. A
l’époque, tous les fondateurs d’Etats se connaissaient personnellement. Les Qianqin 前秦
deviennent très puissants, notamment grâce à un grand souverain, le troisième, Fudian 符壂.
Celui-ci unifie peu à peu tout le nord de la Chine, avec l’aide de son ministre chinois,
excellent administrateur, Wang Meng 王孟. Fudian 符壂 prend dans son état-major les
souverains de tous les Etats soumis. Il voulait que tous les peuples vivent en harmonie, que
« tous les peuples sous le ciel soient comme ses bébés », ce qui tranche avec les souverains
précédents. C’est le premier souverain qui dirige son pays vers la forme d’un Etat centralisé,
qui ne soit plus nomade. Il traite très bien les vaincus, si bien que ceux-ci saisissent la
moindre occasion de se retourner contre lui. Son règne se conclue par une gigantesque
expédition militaire d’un million de soldats, pour conquérir Nankin 南京. Il envoie tout
d’abord une lettre à l’empereur des Jin 晉, en le nommant prince et ministre. Il lui fait même
construire un palais à Chang’an 長安 en perspective du jour où il sera fait prisonnier. Fudian
符壂 est cependant battu par les Jin 晉 à la bataille de Feishui 淝水 en 383. L’Empire
s’écroule alors comme un château de cartes. Si Fudian 符壂 perd Feishui 淝水, c’est en
grande partie parce qu’il est trahit par le dernier des gouverneurs de Liang 凉, qui au plus fort
de la bataille jette la panique dans les trompes. Fudian 符壂 est donc pris au piège de son rêve.
Après l’effondrement de l’Empire de Fudian 符 壂 , la situation va vers une confusion
croissante. A certaines époques, il arrivera ainsi que dix Etats cohabitent.
Voir carte n°7
Là où se trouvaient les Qianliang 前凉, chinois, se trouve un Etat dont une grande
partie de la population est chinoise mais dont le chef est un Di 氐, Lü Guang 呂光. C’est le
seul des généraux de Fudian 符壂 qui n’était pas à la bataille de Feishui 淝水. Il avait été
envoyé par Fudian 符壂 pour conquérir toutes les contrées occidentales. Il avait ainsi conquis
toutes les oasis de la route de la soie. C’est en rentrant de cette expédition qu’il apprend la
défaite de Feishui 淝水. Il serait bien allé au secours du fils de Fudian 符壂, mais il en est
empêché par des peuples qui ont repris leur indépendance. Il décide alors de fonder un Etat
dans le Gansu 甘肅. A l’époque, il y a aussi deux Etats de Yan 燕, les Houyan 後燕, de la
même famille que les Yan antérieur 前燕, et les Xiyan 西燕, peuples Xianbei 鮮卑 qui avait
été emmenés en captivité à Chang’an 長安 et qui ont échappé de justesse au massacre. En
effet, Fudian 符壂, se trouvant trahit y compris par les Xianbei 鮮卑, avait demandé à ses
hommes de tuer tout le monde. Les Xianbei 鮮卑 de Chang’an 長安 seront donc tués, mais
ceux de la vallée de la Wei 渭 retourneront vers l’ouest. Avant de franchir les Taihang shan 太
行山, ils seront cependant pris dans des conflits familiaux. A l’époque, les Dai ont changé de
nom, pour devenir les Wei du nord 北魏. Ce seront les premiers à fonder à un Etat digne de ce
nom. Le chef des Beiwei 北魏 fut aussi un des généraux de Fudian 符壂.
Voir carte n°8
Moins de 100 ans après la chute des deux capitales, les Wei du Nord 北魏 descendent
en quelques années vers le Sud-est, et suppriment les deux Etats de Houyan 後燕 et Xiyan 西
燕. Il ne reste que deux fractions des Yan 燕 : le Nanyan 南燕 (dans l’actuel Shandong 山東)
et le Beiyan 北燕 sur les terres originaires. Ce dernier est le seul Etat de Yan 燕 dont le
souverain n’est pas un Xianbei 鮮卑 mais un Chinois. L’ancien Empire de Liang 凉 éclate, lui,
56
en quatre Etats d’ethnies différentes. Un nouveau venu est l’Etat de Xia 夏, dans la boucle des
Ordos (mot turc pour désigner les armées, les hordes). Cet Etat a été constitué par les tribus
Xiongnu 匈奴 et Xianbei 鮮卑 restée dans l’ouest. Le premier et seul souverain de cet Etat,
Helian Bobo 赫連勃勃, était un homme très cruel.
Entre les années 400 et 439, les Wei du nord 北魏 conquièrent l’un après l’autre tous
les Etats du nord et se dirigent petit à petit vers le sud. Chaque fois qu’on essaiera de
sédentariser les Etats, il y aura tôt ou tard un retour de flamme des vieux turcs qui voudront
revenir à leur mode de vie ancestrale. Ceux-ci seront souvent méprisés par leurs propres
aristocrates, qui commencent à se marier avec les aristocrates chinois.
Vers 400, les Wei du nord 北魏 sont encore un peuple très nomade. L’Etat se déplace
petit à petit vers le sud. Sa première capitale était au coin de la boucle du fleuve. Par la suite,
elle se situera sur le site de Datong 大同 (à l’époque où les grottes de Dunhuang 敦煌 ont été
sculptées). Le bouddhisme a d’ailleurs certainement joué un rôle important dans la fusion qui
s’est jouée par la suite à l’aube des Tang 唐.
Voir carte n°9
Vers le milieu du 5ème siècle, on a eu peu de changement au Nord, alors qu’au Sud la
succession des dynasties s’accélère. Dans les années 440-450, des mesures de sédentarisation
sont prises par des systèmes d’impôt. On encourage les mariages interethniques entre
membres des hautes couches. Il y aura même plus tard une grille de correspondance des
degrés de noblesse entre clans chinois et clans nomades, pour permettre aux degrés équivalent
de se marier entre eux. Le personnage le plus important de l’époque est ainsi un chinois,
Cuihao 崔浩, qui fut à la tête de toutes ces réformes. Il conseillait l’Empereur. Il est au centre
de l’affaire de l’histoire nationale, guoshu shijian 國書事件, qui éclate en 450. Cuihao 崔浩
expliqua au souverain des Wei 魏 qu’il lui fallait un livre officiel qui raconte l’histoire de la
dynastie depuis l’origine. Cuihao 崔浩 est donc nommé avec une équipe éditoriale pour
mettre par écrit l’histoire de la famille Tuoba 拓跋. On fait graver cette histoire sur des stèles,
qu’on fait dresser le long des routes. Il était écrit sur ces stèles que les ancêtres de l’Empereur
étaient des éleveurs de moutons incultes. Lorsque l’Empereur découvre ceci, Cuihao 崔浩 est
exécuté, après avoir été placé dans une cage sur laquelle ont uriné tous les chefs Xianbei 鮮卑.
C’est le signe d’un complet retour en arrière : une perte de 20 ans dans les progrès de l’Etat
des Wei du Nord 北魏. Les évènements sont cependant en marche, et petit à petit, les familles
chinoises, qui se sont tenues calmes pendant 20 ans, sont rappelées à la cour.
Une nouvelle génération plutôt favorable aux réformes émerge. Il y a ainsi un édit de
dissolution des tribus, qui doivent désormais se fixer et cultiver la terre. Les familles Xianbei
鮮卑 abandonnent leurs noms de famille pour adopter des noms chinois. Ainsi, la famille
régnante Tuoba 拓跋 prend le nom de Yuan 元. On essaie aussi d’éliminer de plus en plus la
langue turque d’origine de l’usage de la cour. Une loi fait obligation aux personnes de moins
de trente ans de ne plus parler que le chinois à la cour. Un parti nationaliste n’était cependant
pas favorable à cette évolution. Ce n’est en effet que par un coup de force de l’empereur que
la capitale est transférée à Luoyang 洛陽, sous prétexte de lancer une campagne militaire dans
le sud pour conquérir Nankin 南京, ce qu’il ne fera pas.
En 495, la capitale est ainsi transférée encore plus vers le Sud, à Luoyang 洛陽. C’est
un acte symbolique fort, Luoyang 洛陽 étant une vieille capitale impériale. La Luoyang 洛陽
des Wei du Nord 北魏 est souvent représentée comme une ville solide et durable, prestigieuse,
avec une multitude de palais et plus de mille de temples. En réalité, alors que Luoyang 洛陽
est fondée en 494 et que ses travaux commencent en 495, en 528, la ville n’est déjà plus que
57
ruine, détruite dans les guerres civiles. Ces guerres marquent l’effondrement des Wei 魏, du
fait d’un affrontement entre partis prochinois et partie pronomades. La période prestigieuse
n’a donc durée que 33 ans.
La ville n’a pas tenu longtemps parce que les mesures de sinisation forcée avaient été
trop audacieuses. Ainsi, vers l’année 520, les ministres chinois ont fait passer une loi selon
laquelle les militaires des garnisons de province ne devaient plus avoir accès aux hauts postes
administratifs. En 519 a lieu une manifestation de garde Yulin 羽林, qui tourne mal et fait des
morts. En 524 a lieu une révolte plus importante, la révolte des six garnisons, soulèvement
général des garnisons du nord qui entraîne à terme la rébellion de la capitale. En 528, contre
l’Impératrice douairière qui a pris de plus en plus de pouvoir, l’Empereur fait appel à des
mercenaires Hu 胡, sogdiens qui campaient dans le Shanxi 山西, commandés par Erzhu Rong
爾朱融. Celui-ci convoque toute l’aristocratie de Luoyang 洛陽 dans la rivière de Heyin 河陰,
et lance sa cavalerie contre elle.
Vers 530, l’empire de Wei 魏 se divise entre Wei de l’est 東魏 et Wei de l’ouest 西魏.
Chacun de ces empires a un empereur contrôlé par des généraux. Au bout d’une vingtaine
d’années, les enfants de ces généraux décident de fonder leurs propres dynasties. Ainsi, les
Zhou du Nord 北周 prennent la suite de Wei de l’est 東魏 et les Qi du Nord 北齊 la suite des
Wei de l’ouest 西魏. A l’ouest, l’empire est repris en main de façon spectaculaire par le parti
turc qui rejette la langue et la culture chinoises. A l’est, en revanche, c’est la voie chinoise
qui est davantage suivie, à tel point que les chinois finiront par faire massacrer les Xianbei 鮮
卑. Des Zhou du Nord 北周 sortira une nouvelle dynastie, qui sur la base d’une organisation
militaire re-nomadisée très puissante conquerra l’empire des Qi du Nord 北 齊 avant
d’attaquer le sud et abattre la dernière dynastie de Nankin 南京. La Chine se trouve ainsi
réunifiée en 589 sous cette nouvelle dynastie des Sui 隋. C’est dans le cadre de l’armée Sui 隋
qu’à eu lieu la première vraie fusion entre peuples chinois et peuples nomades.
B/ Les peuples non chinois du sud
Cf. carte
Il existe de nombreux peuples au sud (Man 蠻, Yelang 夜郎, Liao 蓼, Li 俚, Yue 越…)
qui sont souvent regroupés sous le terme générique de Man 蠻 . Ce sont des peuples
cultivateurs, qui cultivent le riz sur brûlis. Ils sont proches des peuples d’Asie du Sud-est
(Thaï, Hmong).
La Cour qui s’installe à Nankin 南京 est une nouvelle cour, reconstituée, mais pas
directement issue de l’ancien Empire chinois. L’empire du Sud à l’époque est un empire
réticulé. Le territoire occupé par les Chinois est en effet relativement peu étendu, dans la
région de Nankin 南京. Au nord du fleuve bleu 長江 se trouvait la région du Huainan 淮南,
qui avait été riche en son temps, mais qui est à l’époque sans cesse pillée. En revanche, à l’est,
dans la boucle du fleuve bleu 長江, la région est encore assez prospère. Le fleuve bleu 長江
sert de corridor d’accès entre différentes zones de peuplement chinois. Les tribus Man 蠻, en
rébellion, ont parfois bloqué ces axes de circulation pendant plusieurs années.
La vallée de la Han 漢 n’est de même contrôlée que sur une faible largeur, plus au sud,
dans le nord du Tonkin. La région de Canton 廣州 et la région de Hanoi ont à l’époque des
réputations ambiguës. On dit qu’en quelques mois, on peut y assurer la fortune de sa famille,
mais aussi y attraper des flèches ou des maladies tropicales. Ne vont dans ces régions que des
aventuriers ou des personnes disgraciées.
58
On trouve dans la région certaines routes stratégiques, du Sichuan 四川 à Kunming 昆
明, ou du Nord du Vietnam à la région de Canton 廣州. La côte de la région du Fujian 福建,
est à l’époque presque vide de présence chinoise, seulement occupée par les Yue 越.
Contrairement à la Chine du Nord, cette région du Sud n’entre ainsi que très
progressivement dans le monde chinois. La différence pour le Chinois est cependant qu’au
Nord, ils sont durement soumis aux barbares, alors que dans le Sud, ce sont eux qui
soumettent les Man 蠻 à leur loi. Les Man 蠻 sont en effet nombreux, mais peu unifiés, et
leurs terres font l’objet d’une politique de colonisation, en même temps qu’on tente de les
fixer à la terre. Les Chinois rasent aussi un certain nombre de leurs villes et déportent leurs
populations à Nankin 南京 pour mieux les contrôler.
C/ Les rapports entre chinois et barbares
Un des premiers empereurs Tang avait décidé de faire rédiger une Histoire du Nord et
une Histoire du Sud. Dans l’édit donnant l’ordre de cette rédaction à des historiens, il est fait
interdiction d’employer les mots injurieux que pouvaient utiliser les habitants du Nord contre
ceux du Sud et inversement lors de l’époque précédente.
Du point de vue des Chinois du sud, les barbares sont en effet des voleurs, des buveurs
de lait fermenté... On les appelle souvent « Chien et Moutons quanyang 犬洋», du fait qu’ils
se déplacent souvent avec des troupeaux. Les Chinois conservent le rêve de reconquérir le
Nord, même si cela ne se produira pas puisque ce sont finalement les Sui 隋 qui prendront
Nankin 南京.
Du point de vue des Chinois du Nord, les barbares sont considérés comme des maîtres,
que l’on craint. Petit à petit, les chinois, à mesure qu’ils sont utilisés et parfois honorés par les
barbares, commence à percevoir les barbares comme une source possible de reconstruction de
l’Empire. L’idée d’Empire passe ainsi avant l’idée d’ethnie. On aboutit à un certain nombres
d’oppositions idéologiques entre Chinois du Nord et Chinois du Sud. Les Chinois du Sud
tendent à voir les Chinois du Nord comme des collaborateurs avec l’ennemi, alors que les
gens du Nord voient dans ceux du Sud des personnes sans visions d’avenir, qui jamais
n’aideront à reconstituer l’Empire. Il y a ainsi de grands débats concernant la place
géographique du centre de l’Empire.
Les barbares du Nord voient les Chinois du Sud comme des mangeurs de grenouilles
et de tortues, animaux des marécages. A Luoyang 洛陽 se trouvait au sud de la ville un
marché chinois, dans lequel on trouvait les animaux mangés par les Chinois. Les Chinois de
ce quartier venaient du sud. Il y a en effet eu, durant les périodes troubles, un certain nombre
de transfuges, surtout du Nord vers le Sud, mais aussi du Sud vers le Nord. Il y a même eu un
régiment Xianbei 鮮卑 qui s’est réfugié au Sud.
59
Chapitre 6 : Les religions de la Chine
I/ Les religions des Shang 商 aux Han 漢
A/ Sous les Shang 商
On a peu de documents sur cette période, les document fondamentaux sont les
découvertes archéologiques dans les tombes et les découvertes d’inscriptions sur os et sur
écailles, les jiaguwen 甲骨文. Ceux-ci ont notamment été découverts en grands nombre sur le
site de Xiatun 小屯, dans le Henan 河南. Il s’agit d’une nécropole, dans laquelle on a retrouvé
plus de 5000 squelettes. Ces documents permettent d’avoir une idée relative de ce qu’était la
religion à cette époque. On constate une forte relation entre religieux et politique.
Le panthéon des Shang 商 tel qu’on a pu le définir avait à sa tête le Di 帝, dieu
souverain, ou Shangdi 上帝. On sait qu’il s’agit d’une puissance transcendante, puisque les
textes évoquent sa descente sur terre (jiang 降). Le Di 帝 était le chef qui contrôlait des
puissances, des dieux, qui étaient liés aux éléments naturels : il y avait ainsi les dieux de la
nature, les dieux de la terre, le dieu du vent, le dieu des esprits, le dieu des récoltes, le dieu de
la pluie…
Un autre type de puissances étaient les ancêtres, parmi lesquels deux classes : les
ancêtres de la dynastie, et les ancêtres de l’élite. Il semble que le Di 帝 n’ait pas toujours été
favorable à la dynastie des Shang 商. Il y a ainsi eu une rivalité entre lui et les ancêtres. Cette
distinction entre dieux et ancêtres est un élément fondamental de la religion chinoise et de la
société. Il remarquable qu’à l’époque des Shang 商, on assiste à un début de classification et
systématisation du panthéon.
Les intermédiaires entre le surnaturel et les hommes étaient essentiellement les devins.
Les inscriptions sur os et sur écailles consignent le résultat d’une divination qui a été effectuée
par le divin pour répondre à des questions posées par le souverain ou l’élite, pour savoir s’il
était favorable de partir en expédition, si une maladie allait être soignée rapidement, si les
récoltes seraient bonnes (un des thèmes les plus fréquents). On s’est demandé pourquoi on
avait inscrit sur des carapaces de tortues ces inscriptions. S’agissait-il déjà d’archives ? Les
écailles peuvent-elles donc être considérées comme précurseurs de l’histoire ?
On faisait des offrandes aux dieux et aux esprits. Les offrandes étaient faites pour les
ancêtres devant des tablettes ancestrales, ou en tout cas devant ce qui correspondait sous les
Shang 商 à une tablette ancestrale. La tablette ancestrale est désignée sur les jiaguwen 甲骨文
par un caractère proche de shi 示, avec lequel, si on ajoute un toit, on obtient le caractère zong
宗, composante de zongjiao 宗教, mot chinois pour religion. Le mot est cependant moderne :
il ne date que de la rencontre avec l’occident, la notion de religion étant étrangère aux Chinois
à l’origine.
Les offrandes étaient composées de récoltes, d’animaux, mais aussi de sacrifices
humains. Les sacrifiés étaient des membres de la famille, des membres de l’élite, ou autres.
Certains ont pensé que le souverain de la dynastie était un chamane royal, mais l’hypothèse
n’est pas acceptée par tous.
B/ Sous les Zhou 周 (de l’ouest, 1050-771 ; de l’est, 771-256)
Les sources dont on dispose, pour les Zhou des l’Est 東周, sont les textes des maîtres à
penser, les histoires officielles (Mémoires historiques 史記 de Sima Qian 司馬遷 et le Hanshu
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漢 書 ), des livres de rites, des épigraphies religieuses, ainsi que des découvertes
archéologiques de ces dernières décennies : manuscrits et objets, principalement sur les site de
Mawangdui 馬王堆 (Hunan 湖南), Guodian 郭店 (Hubei 湖北), Wuwei 武威 (Gansu 甘肅),
Fuyang 阜陽 (Anhui 安徽).
On observe sous cette période une évolution des activités rituelles, qui se traduit dans
des conceptions relatives à l’au-delà et à la mort. On distingue notamment deux moments
principaux, qui sont des révolutions rituelles.
La première se situe aux alentours de l’an 850 avant notre ère, avec une modification
des ustensiles rituels, qui traduit une baisse du prestige des ancêtres au profit de la
communauté des vivants. On a pu parler de rationalisation de la liturgie ancestrale.
La seconde révolution se situe autour de l’an 400 avant notre ère. C’est une période
pendant laquelle les changements qui avaient été amorcés dans la période précédente se
généralisent. Le culte ancestral continue à perdre de l’importance, et l’on voit apparaître des
cultes seigneuriaux. Il s’agit de cultes que les princes feudataires observent, et qui ont pour
conséquence des luttes lignagères. Ainsi, le culte principal ne sera plus le culte des ancêtres
dynastiques, mais un culte qui sera lié à la personne elle-même et à la tombe. On passe d’un
culte dans un temple ancestral où le mort est matérialisé par sa tablette à un culte autour des
tombes. La tombe devient ainsi le lieu unique du culte des morts, et il n’y a plus de bipolarité
entre culte des ancêtres et culte des morts. Pendant une période intermédiaire, la tombe a été
une image du temple ancestral. Elle est finalement devenue la résidence du défunt. Ce
déplacement est la conséquence d’une part d’une évolution du culte ancestral, d’autre part de
la croyance émergente en la survie du mort dans un monde souterrain.
Cela continue à évoluer, avec l’apparition notamment autour du 3ème siècle avant notre
ère d’une croyance en l’immortalité, qui est une survie de l’âme et du corps. On est donc loin
du culte originel des ancêtres : il existe une démarcation marquée entre le monde des morts et
le monde des vivants. Sous les Zhou 周, on commence à parler de gui 鬼, morts revenant vers
un lieu précis. C’est aussi l’époque où de cette notion de gui 鬼, qui désigne aussi l’âme du
défunt, on arrive à une diversification de l’âme de l’individu, qui comporte en lui deux sortes
d’âmes :
les âmes hun 魂, qui sont mises en relation avec le ciel, avec le Yang 陽, et
qui représentent la partie de l’individu qui lors de la mort va s’échapper du
corps et retourner au ciel
les âmes po 魄, qui sont mises en relation avec le Yin 陰, et qui à la mort,
retournent à la terre et restent près de la tombe.
Il n’existe cependant à l’époque aucune réelle religion, constituée en orthodoxie et qui
fasse l’unanimité. Toutes les notions se sont formées petit à petit. Progressivement, on
constate une anthropomorphisation de ce qui subsiste après la mort.
Sous les Zhou de l’est 東周, on est dans une conception d’un monde divin et d’une
terre peuplée d’esprits. Les esprits sont extérieurs, mais aussi intérieurs (les âmes du corps
humain, qui peuvent entrer et sortir pendant la vie même).
En même que l’on voit s’affirmer l’importance de la tombe, que les conceptions de la
survie après la mort changent, les notions d’esprit supérieur de Di 帝 et de Tian 天, vont
progressivement se naturaliser, c'est-à-dire qu’on passe d’une conception d’un monde divin à
une conception cosmologique du monde. Certains parlent de naturalisation du divin, d’autres
de divinisation de la nature. L’importance est accordée à la nature et à son ordonnancement.
Cette évolution aboutira et se développera vraiment sous les Qin 秦 et sous les Han 漢.
Un témoignage important de cette conception du monde se trouve dans un ouvrage
qu’on considère comme la première géographie de la Chine, qui est en fait une géographie
mythique et religieuse : le 山海經, Classique des monts et des mers. C’est un livre qui a
61
longtemps été délaissé, probablement parce qu’il parle d’esprit. Certains ont dit qu’il
s’agissait d’un manuel pour les chamanes, d’autres que c’était un manuel pour connaître les
différents cultes et les différents esprits des différentes parties du monde. L’ouvrage décrit la
Chine selon quatre régions principales : une terre entourée de quatre mers, et pour chaque
région sont décrites les montagnes, les rivières, les habitants, les animaux, et les esprits, qui
ont souvent des formes mi-humaines, mi-animales.
Sous les Zhou de l’ouest 西周 on constate une hiérarchisation dans les tombes : les
tombes de personnes de haut rang contiennent un chariot et des chevaux. Il y a donc des
marques sociales repérables. On trouve aussi dans ces tombes des sacrifices humains,
disposés de manière à donner des indications sur les liens entre les sacrifiés et le défunt. Plus
le sacrifié est proche du défunt, plus il est déposé près du défunt.
Sous les Zhou de l’est 東周, le principe du sacrifice s’atténue. Les sacrifiés sont
remplacés par des figurines, les mingqi 明器. Sous les Zhou de l’est 東周, on constate aussi
une diversification régionale des tombes et des objets qui y sont enterrés. C’est le signe
d’identités culturelles locales qui émergent. Du 5ème siècle au 3ème siècle, on a ainsi un bel
exemple d’un phénomène typique de la religion et de l’histoire chinoise : une tension
constante et un ajustement constant entre un pouvoir central fort et les régions.
De même que l’on observe une diversification, on observe l’expression de
caractéristiques plus personnelles dans les tombes. Ce sont ces caractéristiques personnelles
qui évoluent jusqu’à cette idée de parvenir à une immortalité individuelle.
Sous les Zhou 周, les acteurs religieux principaux sont le souverain et les princes
feudataires, mais aussi les chamanes, wu 巫. Ce sont les acteurs officiels de la religion. Ils se
distinguent selon leur spécialité : astrologues/astronomes, devins, médecins. Dans le Livre des
rites de Zhou 周禮 est décrit le système des fonctionnaires sous les Zhou 周, qui classe les
fonctionnaires en six catégories : les fonctionnaires en relation avec le ciel Tianguan 天管,
avec la terre, Diguan 地管, et les fonctionnaires en relation avec chacune des quatre saisons :
Chunguan 春管, Xiaguan 夏管, Qiuguan 秋管 et Dongguan 冬管. Les chamanes sont placés
dans la catégorie des fonctionnaires célestes. Le chef des chamanes, à la tête des autres, a pour
fonction essentielle, par ses chants et par ses danses, de faire pleuvoir pour faciliter les
récoltes et de régler les problèmes du moment. On a pour cette période des Zhou de l’est 東周
et des Royaumes combattants, des témoignages de rituels exorcistes pratiqués par des
chamanes, par des danses, souvent avec des masques d’animaux. La plus célèbre est la danse
du No, qui avait lieu au nouvel an, pour expulser le mal de l’année passée. Parmi les
chamanes, on trouvait aussi les forgerons et les potiers, qui fabriquaient les objets rituels. Les
chamanes exorciseurs de tombes étaient appelés fangxiang shi 方相士.
A la même époque, on a un mouvement d’intériorisation du monde surnaturel, avec la
création d’un monde intérieur peuplé d’esprits. Un texte du 4ème siècle parle d’un esprit, shen
神, qui habite le corps, qui le quitte et parfois y retourne. Lorsqu’on perd l’esprit, le désordre
apparaît. Quand il est en soi, l’ordre règne. Ainsi, les concepts d’ordre et de désordre, qui
étaient auparavant essentiellement appliqués à la politique s’appliquent désormais à l’individu.
3/ Les Qin 秦 201-207) et les Han 漢 (206-220)
Qin Shihuangdi 秦 始 皇 帝 est très intéressé par l’immortalité. Il reçoit des
informateurs des autres royaumes qui le convainquent qu’il existe des îles d’immortalité,
qu’on appelle les îles Penglai, qui se situent dans les mers de l’est. Aujourd’hui, dans la
province du Shandong 山東 se trouve ainsi une ville du nom de Penglai. Qin Shihuangdi 秦始
皇帝 a plusieurs fois envoyé des expéditions à la recherche des immortels et de l’immortalité.
62
Qin Shihuangdi 秦始皇帝 s’entoure de toute une cour de personnes qui ne sont plus tout à fait
des chamanes, qu’on appelle « maître de technique », fangshi 方士. Ce sont les personnes qui
détiennent les techniques et les compétences des anciens chamanes, mais qui sont aussi des
« lettrés » en ce qu’ils connaissent les penseurs de la Chine ancienne. Ils s’appuient sur les
activités des démons et des esprits pour asseoir leur puissance. Ils s’opposent aux spécialistes
des rituels, les pro confucéens. La catégorie des fangshi 方士 se développe beaucoup à
l’époque des Han 漢. On assiste ainsi à une rivalité entre Ru 儒, lettrés, et fangshi 方士. Les
Ru 儒 s’appuient sur une première liste de cinq fondamentaux, les jing 經, qui représentent
l’orthodoxie et ont le statut de textes canoniques. Les fangshi 方士 produisent, eux, une
littérature dans les wei 緯 et les chen 讖 (chenwei 讖緯). Les wei 緯 sont les compléments des
textes canoniques, et les chen 讖 sont une sorte d’ouvrage prophétiques, qui utilisent les
interprétations de l’activité des forces surnaturelles pour conseiller le souverain. Cette
littérature a été brûlée quand les maîtres de technique ont perdu leurs pouvoirs à la fin des
Han 漢.
Un élément fondamental de l’époque Han 漢 est l’établissement d’une religion d’Etat.
On est à une époque de forte centralisation du pouvoir. Le pays cherche autour du centre à
établir l’unité, et se sert pour cela de cultes officiels nationaux, et la légitimité de l’empereur
sera affirmée par les cultes qu’il rendra à certaines divinités. Le culte principal est le culte au
ciel, dans les faubourgs du sud, nanjiao 南郊 (la dernière cérémonie au ciel a été accomplie
dans le temple du ciel en 1945, par le prince d’Annam). L’histoire officielle des Han 漢
comprend un chapitre dédié aux cultes et sacrifices que devait faire l’empereur selon un
calendrier bien définit.
A côté des cultes officiels nationaux existaient quand même les cultes locaux, on a
ainsi toujours la tension entre central et local. Dans les cultes locaux, on trouve des cultes aux
éléments naturels (principalement les cultes au dieu du fleuve –jaune-), et le culte à des
immortels, xian 仙 , être humains qui par toute sortes de pratiques (yoga, pilules), sont
parvenus à l’immortalité. C’est l’un des premiers témoignages de la divinisation d’êtres
humains. Par la suite, dans le panthéon chinois, on trouvera un certain nombre de dieux qui
sont en fait des êtres existants, alors qu’à l’inverse, les dieux seront anthropomorphisés : ils
auront un nom de famille, un nom social, une date de naissance, une femme, un titre
(correspondant à la bureaucratie chinoise terrestre).
Un certain aspect religieux réside dans l’apparition de systèmes cosmologiques
d’ordonnancement du monde. Au départ, on avait le Di 帝, ou Tian 天, puis, ce rôle d’élément
central a été joué à partir de royaumes combattants par la notion de dao 道, la voie, qui dans
certains textes, est considérée comme un dieu. On voit également apparaître à partir du 3ème
siècle avant notre ère la notion d’ « unité suprême », taiyi 太一, qui est une divinité souvent
représentée comme un oiseau à tête humaine. De divinité, le dao 道 est devenu un élément
cosmologique : c’est le voie de fonctionnement du monde, l’orbite des astres, considéré
comme constant et répétitif. Les sages appliquent ce modèle de fonctionnement aux individus,
ou un moins au souverain. Le dao 道 se divise, et donne le yin 陰 et le yang 陽. Le yin 陰 et le
yang 陽 constituent un système binaire d’ordonnancement de toutes les choses du monde. Il
ne s’agit pas de deux catégories séparées, mais de deux catégories qui s’engendrent l’une et
l’autre dans un cycle perpétuel, comme le jour et la nuit. Le monde est donc ordonné par un
système de correspondance entre les choses. Ce système de yin 陰 yang 陽 est ancien : il
semble qu’il ait existé dès les Shang, mais ce n’est qu’à la fin des royaumes combattants qu’il
prend son sens cosmologique.
63
Un autre système se développe, celui des Wuxing 五行, cinq agents, éléments du
monde naturel : bois 木, feu 火, terre 土 , métal 金 et eau 水. Comme pour le yin 陰 et le yang
陽, ils s’engendrent mutuellement et se succèdent tout au long d’un cycle annuel, le bois étant
le printemps, le feu, l’été, la terre, une période intermédiaire entre l’été et l’automne, le métal,
l’automne, et l’eau, l’hiver. Les correspondances qui sont établies entre les agents et le temps
avaient des incidences dans tous les domaines de la société chinoise, comme la médecine, la
divination ou la politique. Les cinq agents ont été mis en correspondance avec l’espace, avec
le temps, mais aussi avec les couleurs, les saveurs, les odeurs, les aliments, les parties de la
maison, les émotions, les viscères, les facteurs climatiques.
On se servait de ces systèmes de correspondance dans les rituels, et pour régler
l’ensemble des activités sociales. En l’an 79, l’empereur a réunit les lettrés pour qu’ils
discutent entre eux et fixent un tableau des correspondances définitif. Ces discussions ont été
consignées par écrit et ont fixé l’orthodoxie, qui est restée pratiquement inchangée jusqu’à
l’heure actuelle. Cette harmonisation a permis de contrecarrer la puissance des fangshi 方士,
qui proposaient chacun des systèmes différents.
Les agents doivent être placés dans une position optimale pour dégager une influence
maximale qui profite au mieux du fonctionnement de la nature et de la société. Le système
repose sur la croyance que l’action de l’homme a une influence sur le monde environnant,
d’où l’interprétation politique de présages : un tremblement de terre dénonce le comportement
du souverain par rapport au fonctionnement correct des agents. Le système, où toutes les
choses sont solidaires et ont une influence les unes des autres est appelé Kanyin. Les esprits
sont classés dans ce système de correspondance.
Les wuxing 五行 sont reliés entre eux soit selon le système d’engendrement : bois, feu,
etc. dans l’ordre des quatre saisons et de la saison intermédiaire ; soit selon le système de
destruction (ou domination) : l’eau détruit le feu, etc. Le cycle de destruction est important en
politique, puisque les dynasties ont changé leur agent en fonction de leur rapport avec la
dynastie précédente. Il existe encore d’autres systèmes, qui font que d’une façon ou d’une
autre, chacun des cinq agents peut être en relation avec un autre.
Après les Han 漢, lors de la période des trois royaumes, et par la suite, il existe une
distinction entre les royaumes aux mains de l’aristocratie chinoise et les royaumes aux mains
des barbares. La fin des Han 漢 était une période trouble, de famine. Cette situation, qui
commence au milieu du 2ème siècle permet l’apparition de mouvements de rébellion, sectaires,
que l’on considère à l’origine du taoïsme religieux. Un peu plus tôt, à la fin du 1er siècle, le
bouddhisme était introduit en Chine (dans l’état actuel des preuves archéologiques). Le milieu
du 2ème siècle est aussi l’époque de la rivalité entre lettrés et maîtres de technique, qui aboutit
à la supériorité des lettrés, qui arriveront à faire interdire et brûler les textes apocryphes. Au
début des trois royaumes, on arrive à une époque où se constituent trois courants principaux
de doctrine : les sanjiao 三教 : rujiao 儒教, des lettrés confucéens, daojiao 道教, le taoïsme et
fojiao 佛教, le bouddhisme. Une distinction s’opère alors entre jia 家, les écoles et jiao 教, les
enseignements religieux.
Il apparaît que les bouddhisme et taoïsme ne sont pas des religions révélées, mais
qu’elles disposent d’institutions, de communautés de fidèles bien précises et de lieux de cultes
reconnus. Ceci n’est pas le cas du confucianisme : il n’y a pas de prêtre confucéen, il n’y a pas
de lieu de culte important, hormis le temple de Confucius. C’est en général dans la famille
que l’on rend le culte aux ancêtres ou aux disciples de Confucius.
64
II/ La religion des Han 漢 aux Six dynasties
A/ Le Taoïsme
Il faut distinguer daojia 道家, la philosophie des livres de Laozi 老子, Zhuangzi 莊子
et Liezi 列子, et daojiao 道教, la religion. On parle en fait de religion à partir du moment où
on a la preuve qu’il y avait un culte rendu à Laozi 老子 divinisé en Laojun 老君. Le premier
témoignage de ce culte date de 166, dans un mémoire attribué à Xiangkai 襄楷, qui explique
rendre un culte à Laozi 老子, à l’Empereur jaune 皇帝 et Bouddha : « dans le palais on a
élevé des autels de Huang-lao et de Futu ». C’est ainsi un témoignage de culte simultané aux
trois religions. Dans ce mémoire, il est dit que Laozi 老子 est parti vers l’ouest, ce qui
correspond à la légende. Celui-ci aurait été annaliste sous les Zhou 周, et aurait décidé de
partir vers l’ouest. Arrivé à la passe, le gardien le supplie de ne pas quitter la Chine sans avoir
laissé son enseignement. C’est alors à ce moment que Laozi 老子 dicte La voie et sa vertu. On
utilise alors cette légende pour dire que Laozi 老子 n’est autre que Bouddha. On est donc dès
cette époque dans une dynamique de compétition entre ces religions. Cette compétition ne
cessera pas, et se traduira par des controverses et un certain nombre de batailles. C’est sous
l’aiguillon de l’introduction du bouddhisme que les deux autres éléments se sont constitués en
religions.
Dès 140-142, il y avait déjà eu des mouvements sectaires, nés dans la province du
Sichuan 四川 autour de Zhang Daoling 張道陵, qui s’est donné le titre de Tianshi 天使,
maître du ciel, et qui a formé autour de lui la secte des cinq boisseaux 五斗米道 wudoumidao.
Cette communauté était organisée autour de laïcs qui prenaient pour écriture de base La voie
et sa vertu de Laozi 老子, et qui s’organisaient de façon communautaire en contribuant
chacun à hauteur de cinq boisseaux de riz. Le petit fils de Zhang Daoling 張道陵, Zhang Lu
張魯, formera quant à lui la secte des Turbans jaunes, qui s’étend dans le nord (Shanxi 山西
et Henan 河南). Le peuple se soulèvera derrière Zhang Lu 張魯, mais celui-ci fera finalement
allégeance à Cao Cao 曹操. Ainsi, si Cao Cao 曹操 réussit à bâtir le royaume de Wei 魏, c’est
grâce aux fidèles des partisans de Zhang Lu 張魯. De cette façon, dans le royaume de Wei 魏,
le gouvernement sera entouré de taoïstes et de maîtres des techniques.
Par la suite, Zhang Daoling 張道陵 a été reconnu comme l’un des fondateur d’un des
courants principaux du taoïsme, le courant Tianshidao 天使道, la voie des maîtres célestes ou
Zhengyi 正一, courant de l’ « un orthodoxe ». C’est l’un des grands courants qui subsiste
actuellement. A partir des trois royaumes et tout au long des six dynasties, le taoïsme s’est
développé en plusieurs écoles. On peut distinguer parmis elles trois courants, qui
correspondent à trois aspect différents de la doctrine.
1/ Le courant des maîtres célestes
Dans les temples de ce courant, on rend un culte à Zhang Daoling 張道陵. Cette
communauté de fidèles s’appelait « le peuple élu », et peuplait un territoire qui avait été divisé
en 24 régions. Les fidèles devaient observer des préceptes et des règles propres à la
communauté, dont notamment réciter de manière liturgique le livre de Laozi 老子. L’église
des maître céleste avait à sa tête le Tianshi 天使, et sous ses ordres, il avait des libateurs, jijiu
祭 酒 , qui étaient chargés de s’occuper des sacrifices, mais qui avaient aussi un rôle
administratif, et des maîtres taoïstes daoshi 道士, chargé davantage du religieux.
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Les adeptes suivaient plusieurs initiations au cours de leur vie, durant lesquelles on
leur remettait les règles à observer, le ou les textes sur lesquels il devait s’appuyer, et la liste
des divinités et des esprits sur lesquelles cette personne aurait un contrôle. La première
initiation avait en général lieu à l’âge de sept ans. On donnait alors à l’enfant un registre sur
lequel figurait le nom d’un général divin sous son contrôle. L’initiation la plus importante
avait cependant lieu au moment du mariage. Celle-ci s’accompagnait de rites sexuels, au
cours desquels l’homme et la femme qui allaient s’épouser s’unissaient de manière rituelle, en
ayant une relation en correspondance avec certains lieux de l’espace et du temps : il s’agissait
d’une union du Yin 陰 et du Yang 陽, qui devait aider le Yin 陰 et le Yang 陽 de l’univers à
bien fonctionner. C’était aussi le moyen de procréer un fils qui ferait partie du peuple élu.
Cette organisation n’est ainsi pas en contradiction avec certains aspects de l’organisation
sociale des lettrés et du confucianisme : la continuité d’une famille est créée par la
descendance. Au cours de ce rite principal, on remettait à l’homme un registre de soixantequinze divinités, et à la femme un registre de soixante-quinze autres divinités. L’union est
ainsi matérialisée par la complémentarité des deux listes de divinités. Celles-ci étaient des
divinités qui se trouvaient dans le corps, et c’est la maîtrise des cent cinquante esprits du corps
qui permettait de rester en bonne santé.
Ces rites sexuels, qui existaient déjà dans les époques antérieures, ont été condamnés
comme amoraux par l’introduction du bouddhisme, si bien que progressivement ils ont
disparus des pratiques de cette communauté, avec les réformes du mouvement des maîtres
célestes effectuée par Kou Qianzhi 寇謙誌 (364-448), qui fut actif entre 424 et 448 à la cour
des Wei du Nord 北魏, qui étaient des Tuoba 拓跋. Kou Qianzhi 寇謙誌 se présenta au
souverain comme un messager céleste apportant au souverain un contrat de confiance. Après
sa mort, sa communauté fut dispersée et ses disciples persécutés. Son influence fut donc de
courte durée, mais il a cependant pu réformer la voie des maîtres célestes d’une façon qui a
perduré. C’est aujourd’hui le taoïsme majoritaire dans le nord de la Chine.
2/ Le Lingbao 灵宝
Le second courant important est celui du Lingbao 灵宝, « joyaux magique », fondé par
Gexuan 葛玄, qui a vécu au 3ème siècle de notre ère et qui était le grand oncle de Ge Hong 葛
洪 (Baopuzi 抱朴子 – 381-341). Gexuan 葛玄 développe un mouvement qui prône le salut
universel, duren 度人. Le texte de base est un Ecrit pour le salut universel 度人經. Ce courant
met au point un grand nombre de rituels qui constituent jusqu’à nos jours l’essentiel du rituel
taoïste. Ce courant est fortement bouddhisé : les textes sont des plagiats des sutras, qui
remplacent l’expression « Bouddha, vénéré du monde » par « vénéré du ciel ». Les notions de
karma, d’ère cosmique, d’enfer et de paradis sont intégrées. Le mouvement condamne les
pratiques sexuelles et démoniaques de maîtres célestes. Ce courant était surtout actif dans l’est
de la Chine (actuel Jiangsu 江蘇).
Lu Xiujing 陸修静 (406-477) compilera le premier catalogue de textes taoïstes. Il
représente le taoïsme du sud.
3/ Le Maoshan 茂山
Le troisième courant est le courant du Maoshan 茂山, ou Shangqin 上清. Le Maoshan
茂 山 est le nom d’une montagne de l’Anhui 安 徽 , et Shangqin 上 清 est la « pureté
supérieure », c'est-à-dire un des trois paradis dans le taoïsme à cette époque. Cette école s’est
formée autour des écrits issus des visions en 360 de Yang Xi 楊羲 (330- ?) et de Xu Mi 許謎,
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fonctionnaire à la Cour des Jin orientaux 東晉, de la région du Jiangnan 江南 (Jiangsu 江蘇
et Zhejiang 浙江). Ces lettrés utilisaient souvent l’écriture automatique pour communiquer
avec les divinités. C’était le plus souvent des divinités féminines qui venaient leur transmettre
des écrits et des méthodes pour parvenir à la longévité et l’immortalité. Ce courant a pu se
développer grâce à Tao Hongjing 陶弘景 (456-536), qui vivait sur le Maoshan 茂山, qui était
un lettré qui a mis en ordre les écrits issus des visions de ces lettrés du Jiangnan 江南.
C’est une forme du taoïsme qui insiste sur les pratiques individuelles (qigong 氣功) et
les pratiques de visualisation des divinités du corps humain. Tao Hongjin 陶弘景 a vécu à
l’époque de Liang Wudi 梁武帝, empereur d’un royaume du sud, certainement l’empereur le
plus bouddhiste de l’histoire des six dynasties. Cet empereur allait régulièrement dans les
monastères, se vendait aux monastères pour que les ministres le rachètent et donnent de
l’argent aux communautés. Liang Wudi 梁武帝 a édicté en 517 un édit de proscription du
taoïsme. Mais comme Tao Hongjin 陶弘景 était très lié à LiangWudi 梁武帝, son courant du
Maoshan 茂山 a échappé en grande partie à la proscription. Ce courant du Maoshan 茂山
continue à se développer et deviendra l’école taoïste la plus influente à l’époque des Tang 唐,
avec des maîtres taoïstes proches de l’Empereur, et influent sur certains d’entre eux au point
qu’à plusieurs reprises, le taoïsme sera déclaré religion d’Etat.
Un autre courant, répandu dans toute la Chine, mais essentiellement dans le nord, a eu
une doctrine messianique et apocalyptique. Les mouvements taoïstes ont souvent été des
mouvements de révolte contre l’invasion barbare.
4/ Le panthéon taoïste
La religion taoïste s’est formée en faisant un choix d’écrits de base, en établissant des
règles et en élaborant un panthéon qui s’enrichit au fur et à mesure du temps. Sous l’influence
du bouddhisme, les institutions taoïste ont ressenti la nécessité de former un canon (daozang
道葬) à l’image du canon bouddhique. Il y a eu plusieurs éditions du Daozang 道葬, la
dernière édition augmentée étant celle des Ming 明 de 1444. Ce canon comprend des textes
des différentes écoles, de différentes nature (géographie sacrée, textes de pratiques, rituels,
talismans, etc.)
Le panthéon taoïste se développe sur le modèle du panthéon bouddhique, tout en
intégrant des esprits ou divinités des régions ou des divinités qui faisaient l’objet d’un culte
impérial officiel. De même qu’on a souvent une tension entre pouvoir central et pouvoir local,
on observe une tension et des compromis entre les grandes formes religieuses et les
expressions religieuses plus populaires ou plus locales, qui tantôt s’associent aux taoïstes,
tantôt aux bouddhistes, ou tantôt se démarqueront de ces courants officiels. On continue dans
cette religion populaire à parler de chamanes. Les grandes religions organisées, dont le
taoïsme, veulent absolument se démarquer des chamanes. Pourtant, les pratiques exorcistes de
l’école des maîtres célestes sont semblables à celles des chamanes. Les panthéons taoïstes et
bouddhistes sont cependant bien définis, et ils n’acceptent pas n’importe quelles divinités
locales dans leurs système.
On considère en général que tout est fait d’énergie qi 氣. Il y a d’abord le souffle de
l’un, puis toutes sortes de souffles divers de qi 氣, qui donnent soit des divinités, soit des êtres
humains, soit des animaux, etc…Le monde est conçu comme trois sphères de souffle pur, les
sanqing 三清, les trois purs. Ces trois purs ont été personnifiés sous forme de dieux à formes
humaines, qui résident dans les trois cieux purs en haut du ciel. C’est en général cette triade
de dieux que l’on trouve représentés dans les temples. Ensuite se trouvent les divinités
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stellaires : étoiles et astres qui ont une influence sur le monde des vivants. Il y a quatre
constellations qui reviennent souvent, celles des quatre orients : à l’ouest le dragon vert,
qinglong 青龍, à l’est le tigre blanc, baihu 白虎, au nord le guerrier sombre, xuanwu 玄武, et
au sud l’oiseau rouge, zhuque 朱雀. Le dragon bleu et le tigre blanc étaient déjà représenté
dans des tombes Zhou 周. Ensuite, on trouve les divinités naturelles, de la terre, des cours
d’eau, puis les divinités personnifiées, qui sont les chefs de ce panthéon : l’empereur de Jade
玉帝 et la Reine mère de l’Ouest 西王母, qui règne sur les immortels. On trouve encore les
personnages divinisés : Laozi 老子(Taishang laojun 太上老君), les Trois Augustes 三皇,
Guanggong 關公, devenu dieu de la guerre, mais aussi la Princesse de nuées bigarrées, Bixia
Yuanjun 碧霞元君 ou la Dame qui donne des fils, Songzi niangniang 送子娘娘… Enfin, on
trouve aussi les baxian 八仙, huit immortels, souvent représentés dans les peintures, au nouvel
an, qui sont des personnages historiques devenus immortels.
C/ Le Bouddhisme
Il y a plusieurs légendes associées à l’introduction du bouddhisme en Chine. On dit
que sous Qin Shihuangdi 秦始皇帝, un groupe de moines bouddhistes étrangers seraient
arrivés en Chine et que Qin Shihuangdi 秦始皇帝 les aurait fait jeter en prison. La date fiable
du point de vue historique est celle de 65 de notre ère, où l’on sait qu’un demi frère de
l’empereur Xiao Ming 孝明 des Han 漢, Liu Ying 劉英, qui vivait à Pengcheng 彭城, dans
l’actuel Shandong 山東, au carrefour de routes terrestres et maritimes, vénérait l’Empereur
jaune 皇帝, Laozi 老子 et Bouddha. Ainsi, au premier siècle de notre ère, on a un témoignage
d’un culte rendu aux trois principales religions.
La capitale de l’époque était Luoyang 洛陽. Ce n’est qu’en 148 que le bouddhisme y
est attesté, avec la construction du plus ancien monastère, le Baimasi 白馬寺, Temple du
cheval blanc, et avec l’arrivée en 148 des premiers traducteurs de textes bouddhiques. La
légende veut que l’Empereur Xiao Ming 孝明 ait rêvé d’un homme volant à la peau dorée. Un
de ses ministres lui ayant dit qu’il avait rêvé de Bouddha, l’empereur envoya des émissaires
s’enquérir vers l’ouest à la recherche de renseignements sur ce sage. Ces émissaires seraient
revenus avec deux indiens, Matanga et Zhu Falan, et c’est pour eux que le Temple du Cheval
blanc aurait été fondé. Les monastères bouddhiques s’appellent Si 寺, parce que les premiers
monastères étaient sous l’autorité du Honglusi, département du ministère des rites chargé
d’accueillir les étrangers. Il est donc probable que les premiers monastères n’étaient que des
lieux de culte pour étrangers.
On a parfois une idée de la provenance de ces personnes parce que certains des leurs
noms sont précédés d’un caractère indiquant leur origine : An 安 indique l’origine Parthe (安
息), Zhi 支, les Indo-scythes, Zhu 竺, les Indiens et Kang, les Sogdiens. Ce n’est que vers la
fin du 4ème siècle que les règles monastiques sont traduites en chinois et que de véritables
communautés bouddhistes s’installent dans les monastères. Avant cela, on ne connaît que
deux cas de chinois dans l’équipe de traduction d’An Shigao 安世高(148-170), premier
traducteur des textes en Chine. Le bouddhisme s’introduit par deux voie, par l’Asie centrale et
par le Tonkin.
Le bouddhisme s’introduit par l’intermédiaire de traductions de textes, et par les
pèlerins qui dans un sens ou dans l’autre font la navette entre la Chine, l’Inde et l’Asie
centrale. Pendant toute cette période de morcellement de la Chine, les populations barbares du
nord étaient plutôt pro bouddhistes, alors qu’au sud et à l’est, les dynasties chinoises ont tour
à tour soutenu bouddhisme, taoïsme ou aristocratie lettrée.
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En 402, un Chinois qui avait pour nom bouddhiste Huiyuan 慧遠 fonde au Lushan 廬
山, montagne de la province du Jiangxi 江西, une communauté qui mêle moines et laïcs,
d’environ 500 personnes, qui font le vœu d’observer comme pratique essentielle l’invocation
du bouddha Amitâbha (Amituofo 阿彌陀佛), qui est le bouddha le plus populaire en Chine
encore à l’heure actuelle. Cette communauté est considérée comme à l’origine d’une école
chinoise du bouddhisme : l’école de la terre pure. En quelques siècles, les monastères
évoluent donc de simples lieux de cultes pour étranger à des lieux où se côtoient moines et
laïcs.
Au 5ème siècle, le bouddhisme est bien implanté en Chine, et dans la région de Nankin
南京, des monastères deviennent non seulement des lieux de rencontre entre moines et laïcs,
entre cultures étrangère et chinoise, mais aussi des lieux intenses d’activité littéraire et
d’éducation. On y apprend les textes confucéens à côté des textes bouddhiques.
La diffusion du bouddhisme s’est donc faite par l’implantation de communautés, avec
des institutions hiérarchisées, mais aussi avec la traduction des textes canoniques. Cette
traduction s’est étalée de l’an 160 au 10ème siècle. Au départ, la plupart des missionnaires
venant de l’étranger ne connaissaient pas le chinois et inversement. Les traductions se sont
donc faites par l’intermédiaire d’équipes de traducteurs mêlant étrangers, chinois, et
personnes qui connaissaient plus ou moins les deux langues, et dont on ignore le statut. La
traduction se faisait par la récitation orale du texte dans la langue indigène par les étrangers.
Une interprétation était ensuite effectuée par les intermédiaires, puis une mise par écrit d’un
texte par des lettrés chinois. Le texte écrit était ensuite révisé et on en polissait le style. Ces
traductions furent d’abord exécutées par des communautés privées, mais les équipes ne
tardèrent pas à être contrôlées officiellement, d’abord par les dynasties barbares du Nord et du
Nord Ouest, puis par les dynasties nationales après les Tang 唐.
1/ La traduction des textes bouddhiques
Il n’y a jamais eu Chine, comme au Tibet, une terminologie normative pour les
traductions. Le contrôle s’exerçait sur les choix des textes et sur les modes de financement des
équipes de traduction. La traduction était conçue comme un acte religieux : dans le
bouddhisme, le fait de copier, réciter, diffuser et transmettre les textes est une attitude qui
permet d’acquérir des mérites, et donc d’avoir un bon karma. On a remarqué que la plupart
des traductions s’effectuaient les jours de cérémonies religieuses bouddhique de jeûnes,
devant une assistance qui pouvait regrouper des centaines ou des milliers de personnes.
C’était ainsi aussi le lieu de débat des textes.
On distingue trois périodes principales de traduction. La première est celle des
traductions archaïques, guyi 古 譯 , de la fin des Han 漢 au 4ème siècle. Elles furent
essentiellement le fait d’un équipe constituée autour d’An Shigao 安世高, qui a été actif à la
capitale de Luoyang 洛陽, entre 148 et 170. Il serait arrivé en Chine aux alentours de 148. On
attribue à An Shigao 安世高 et son équipe un nombre de textes qui augmente au cour des
siècles. Il en a en fait vraisemblablement traduit peu. Les premiers qu’il aurait traduits sont
des textes sur les techniques de méditation et de concentration, sur le souffle. Il s’agit des
techniques Chan 禪, ou Dhyana. Le style est gauche et on trouve dans ces traductions un
certain nombre de termes empruntés du taoïsme. Ainsi, le concept de nirvana a été traduit par
le concept de Wuwei 無為, les moines par le terme de daoren 道人, etc.
La seconde période est la période dite des traductions anciennes, jiuyi 舊譯. Il s’agit
des plus belles traductions, effectuées par l’équipe de Kumarajiva (Gumuoluoshe 鶻摩羅什 344-413), qui arriva en Chine, à Chang’an 長安, en 402. Il arriva dans le royaume des Yaoqin,
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ou Royaume des Houqin 後秦, Qin postérieurs, qui était aux mains des barbares. Il était
d’origine Cachemiri, mais il avait passé une partie de son enfance à Kachgar et à Kuça, et il
n’était pas venu de son plein gré en Yaoqin : il avait été fait prisonnier. C’est pour des raisons
politiques que le souverain des Yaoqin, lui-même bouddhiste, l’a fait venir pour développer sa
religion dans le nord de la Chine. Cette équipe a réalisé des centaines de traductions, grâce à
des spécialistes qui connaissaient beaucoup mieux les langues étrangères. Des progrès avaient
été fait sur la connaissance de la phonétique et de la grammaire. C’est la même année, en 402,
dans le Sud, Huiyuan 慧遠 fondait sa communauté de moines sur le Lushan 廬山. Huiyuan
慧遠 et Kumarajiva ont eu des échanges épistolaires, et les textes sont progressivement
arrivés dans le sud par des missionnaires. Dans le même temps, dans le sud, où régnaient les
Jin orientaux 東晉, établis à Nankin 南京, Buddhabhadra (359-439) traduisit aussi une œuvre
considérable.
La troisième période est celles des traductions nouvelles, xinyi 新譯, par Xuanzang 玄
奘 (645-664). C’est la première fois qu’une équipe de traducteurs était dirigée par un Chinois.
Xuanzuang 玄 奘 voulait essentiellement traduire les textes d’une école particulière du
bouddhisme : le Vijñânavada, ou école idéaliste, qui est une des formes les plus
philosophiques du bouddhisme. C’est une école qui analyse en détail les différents
phénomènes du monde, les différents constituants de la conscience et de l’esprit humain, et le
rapport entre ces différentes connaissances et le monde extérieur par l’intermédiaire des
organes des sens. Le système est fondé sur le raisonnement et la logique, ce qui a fasciné
Xuanzang 玄奘 et d’autres lettrés de son époque, mais qui a été difficilement compris par les
Chinois en général. L’école aura donc une influence limitée, sauf auprès des intellectuels et
des lettrés. C’est une école qui intéressera à la fin du 19ème siècle les intellectuels chinois qui
face au problème de la confrontation avec l’occident cherchent des moyens de faire rentrer la
Chine dans la modernité sans avoir recours au modèle occidental.
Ces différentes traductions ont fait l’objet de catalogues qui recensaient les textes
traduits, les noms des traducteurs, les dates et qui les classifiaient. Parallèlement à ces
activités de traduction, il y a eu en Chine des créations de textes bouddhiques chinois
apocryphes, souvent anonymes. C’est par ce biais que la Chine s’approprie certaines notions
du bouddhisme, les sinise et se sert de ces textes pour, à l’aide d’un habit bouddhique,
défendre des positions culturelles et traditionnelles de la Chine. Ainsi, dans ces apocryphes,
un textes qui s’appelle Sutra des rois bienveillants 仁王經 insiste sur l’importance de la
compassion (valeur importante chez les bouddhistes), mais dit en même temps que la
personne la plus compatissante en Chine est le souverain (ce qui remet à l’honneur l’image du
souverain comme centre du système politique). Ces apocryphes sont parmi les plus beaux
textes chinois.
Ces traductions et ces textes ont mené à l’établissement d’un canon bouddhique,
Tripitaka, ou trois corbeilles. Les textes ont en effet été classés en trois catégories : les sutras
(textes de l’enseignement direct du bouddha), les commentaires et les traités, et les textes du
vinaya (règles de conduites et de discipline).
2/ Les pèlerins
Si ces traductions ont pu se faire, c’est aussi grâce aux pèlerins et aux voyageurs. Ces
voyageurs, qui étaient envoyés en mission, ont voyagé dans les deux sens : de l’Inde vers la
Chine et inversement. Vers la fin du 3ème siècle, il y a eu plusieurs pèlerins qui sont partis vers
l’occident, dont un des plus connus est Dharmaraksa, d’origine Indo scythe, et dont la famille
était établie depuis plusieurs générations à Dunhuang 敦煌, carrefour commercial important
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à l’époque. Il revient en Chine peu avant 265, rapportant un grand nombre de textes qu’il
passe le restant de sa vie à traduire.
Le début de ces grands voyages se situe cependant surtout aux alentours de l’an 400.
Avec l’appui des dynasties barbares qui s’étaient établies dans le nord de la Chine, les
communautés bouddhiques chinoises se développent ainsi quantitativement et qualitativement.
Les traductions et prédications de Kumarajiva, l’école fondée par Huiyuan 慧遠 sur le Lushan
廬山, qui envoya plusieurs de ses disciples chercher des textes, sont à l’origine du grand
mouvement de pèlerinages qui se développe alors. Aussi bien dans le nord que dans le sud, on
envoie des missionnaires en Inde ou en Asie centrale pour chercher des textes précis. Cette
vague de voyages ne constitue plus seulement des ambassades, mais prend l’allure de
véritables pèlerinages : les voyageurs voulaient non seulement recueillir des textes, mais aussi
se rendre sur les lieux saints, apprendre le sanscrit et recueillir des traditions orales auprès des
maîtres.
Un de ces pèlerins, le plus célèbre, est Faxian 法顯, qui quitta la Chine. Son nom est
resté parce qu’il a écrit ses relations de voyages. Né dans le Shanxi 山西, il avait été donné
très tôt à un monastère par ses parents qui voulaient lui éviter le sort de ses trois frères morts
de maladie. Il a quitté Chang’an 長安 à l’âge de 60 ans, il a été à Dunhuang 敦煌, Khotan,
Kachgar pour arriver vers 402 dans l’Uddiyâna au nord de l’Inde. Il descend ensuite en Inde
du centre, atteint Calcutta, Ceylan et Java et est revient par la voie maritime pour débarquer
en 412 dans le Shandong 山東, d’où il gagne Nankin 南京. Son voyage en Inde avait pour but
essentiel de recueillir des textes sur la discipline et les préceptes (vinaya).
Le mouvement de pèlerinage s’est ralentit aux 5ème et 6ème siècles, mais a repris au 7ème
siècle, avec Xuanzang 玄奘, et un autre moine, Yijing 義淨, qui s’est rendu en Inde par la
voie maritime. Progressivement, à partir du 5ème siècle, les communications sont développées
entre l’Inde et la Chine.
3/ Les principales écoles du Bouddhisme
On distingue en Inde deux expressions différentes du bouddhisme : un courant dit du
« petit véhicule », fondé sur un canon d’écrits rédigés en pali au premier siècle de notre ère à
Ceylan. C’est cette forme du bouddhisme qui s’est répandue et a perduré jusqu’à nos jour en
Asie du Sud est. Le second courant est celui du « grand véhicule », fondé sur un canon
d’écritures en sanskrit ou en langues d’Asie centrale, attestées au premier siècle en Inde.
Les principales écoles indiennes sont l’école de la vacuité, formée autour de textes
exposant la vertu de sagesse (prajñâpâramitâ), force de l’esprit qui permet de voir que la
nature réelle de toutes choses est vide ; l’école du Milieu (Mâdhyamika), qui développe un
système de logique et d’analyse intellectuelle pour parvenir à l’éveil de la vacuité de toute
chose, y compris de la notion de vacuité ; l’école des préceptes, qui insiste sur le respect des
règles comme méthode permettant de développer la concentration : l’école Yogâcâra,
décrivant les étapes de progression du bodhisattva dans son cheminement vers l’éveil et les
procédés de concentration qu’il utilise.
Lors de l’introduction du bouddhisme en Chine, on a d’abord traduit les textes du petit
véhicule, notamment avec An Shigao 安世高, mais très vite les textes du grand véhicule ont
pris de l’importance, et dès le 3ème siècle, la plupart des équipes de traductions s’attèlent à ses
textes. Progressivement, le bouddhisme se sinise. Le phénomène prendra toute son ampleur à
l’époque des Tang 唐. Déjà sous les six dynasties, cette sinisation est perceptible, avec la
constitution d’écoles chinoises du bouddhisme, souvent associées à un lieu, comme le
bouddhisme Chan 禪, lié au mont Shaolin 少林 (河南), ou le bouddhisme Tiantai 天臺, du
mont Tiantai 天臺山 au Zhejiang 浙江.
71
4/ Le panthéon bouddhique
Avec ces courants apparaît en Chine un panthéon nouveau, qui entre en compétition
avec les divinités taoïstes, les divinités de la religion officielle et les dieux locaux.
Dans le panthéon bouddhique, on distingue tout d’abord les bouddhas (fo 佛). Dans le
bouddhisme primitif (jusqu’aux Han 漢), toute représentation du bouddha était interdite. On
pouvait éventuellement trouver des représentations de ses pieds ou de l’empreinte des ses
mains. C’est donc sous les Han 漢 qu’apparaissent les premières représentations du Bouddha.
Un témoignage rapporte l’érection d’une première statue par un fonctionnaire en 193. Le
Bouddha historique s’appelait Sakyamuni (Shijia mouni 釋迦牟尼). C’est le bouddha auquel
se réfèrent les textes du petit véhicule. Dans le grand véhicule, il n’y a plus un seul bouddha,
mais des milliers. Il ne s’agit plus de la personnes historique, mais de la nature d’éveillé, qui
peut prendre des qualités multiples. On ajoute ainsi à Sakyamuni des séries d’autres bouddhas,
dont les bouddhas des trois temps (passé, présent futur) et Amitâbha (阿彌陀佛), qui règne
sur le paradis de l’ouest. Il suffisait d’invoquer son nom pour finir au paradis. On trouve aussi
Vairocana (Dari rulai 大日如來) et Maitreya (Milefo 彌勒佛), bouddha du futur, dont l’une
des représentations est celle du bouddha avec un gros ventre et des enfants autour.
On distingue ensuite les bodhisattva (pusa 菩薩). C’est un idéal du bouddhisme du
grand véhicule. Il désigne tout adepte qui veut observer le bouddhisme du grand véhicule pour
obtenir l’éveil, et qui chemine jusqu’à l’éveil en faisant le vœu de sauver tous les êtres des
mondes infinis dans les temps infinis avant de rester dans l’éveil. Il désigne aussi les êtres qui
sont parvenus à l’éveil, mais qui y renoncent pour sauver les autres. Ces derniers sont les
grands bodhisattvas, qui sont vénérés. On en compte quatre principaux, dont le principal et
Guanyin 觀音 ou Avalokitésvara, homme, féminisé en Chine sous les Tang 唐, qui peut
prendre toutes les formes pour sauver les être vivants. Les autres sont Samantahadra (Puxian
普賢), Ksitigarbha (Dizang 地藏) et Mañjusrî (Wenshu 文殊).
Une troisième catégorie est composée des Arhat, ou Luohan 羅漢, disciples les plus
célèbres du bouddha, qui sont souvent représentés dans les temples sur les côtés, par double
rangée de 8 ou de 9. Il s’agit de saints selon le petit véhicule.
Une quatrième catégorie est composée de divinités mineures, qui sont souvent des
divinités domptées, ou converties, comme les quatre gardiens de quatre orients 四天王, qui
étaient à l’origine des rois célestes qui ont été convertis et sont ainsi devenus gardiens de la
doctrine. On trouve aussi des divinités du monde indien, comme Indra, qui se serait convertit
au bouddhisme. De même pour la déesse dévoreuse d’enfants, qui a renoncé à manger les
enfants, mais en est aussi devenue la protectrice.
C/ La religion des fonctionnaires
C’est un aspect de la religion chinoise mal étudié pour cette période. Il s’agit des
cultes, cérémonies et rituels célébrés par les fonctionnaires dans le cadre de l’Etat : culte au
dieu du ciel et ses cultes associés (dieu du millet, dieu du territoire). Il s’agit aussi des trois
grands sacrifices du Livre des rites, du rituel de prise de fonction des fonctionnaires (au cours
desquels ils rendaient un culte soit à un divinité locale soit au dieu de la littérature), du culte
des ancêtres, célébré dans le cadre de la famille. Les rites devaient être observés en accord
avec le système de correspondance des cinq agents wuxing 五行.
On trouve tous ces renseignements sur ces cultes dans la monographie sur les rites des
histoires officielles. Elles continuent d’être observé principalement par les royaumes chinois,
mais aussi par certains royaumes barbares. La liste des divinités était officiellement fixée par
les empereurs.
72
D/ Les rapports entre les religions et la politique
Durant la période des trois royaumes, sous le royaume de Wei 魏, tout le nord de la
Chine était occupé par les rebelles taoïstes, dont les Turbans jaunes (le jaune/terre s’opposant
au rouge/feu des Han 漢), soumis par Cao Cao 曹操. 3000 adeptes des Turbans jaunes se sont
ainsi rebaptisés « soldats de Qingzhou 青州 » et se sont mis au service de ce dernier. La
famille de Cao Cao 曹操 était très intéressée par la recherche de l’immortalité. L’époque est
de façon générale une période trouble, pendant laquelle famines et guerres déciment la
population, qui, selon les estimations, diminue des 4/5 entre 157 et 280.
Plus tard, à l’époque des Jin 晉, les souverains essaient d’établir des débats entre
bouddhistes, taoïstes et lettrés. Cela aboutit aux mouvements philosophiques du bouddhistes
玄學 (étude du mystère) ou du Qingtan 清談 (mouvement des causeries pures), qui discutent
de la notion de vide. Il existe une ambiance de débat chez les lettrés, qui adoptent soit le
bouddhisme, soit le taoïsme.
C’est après les Jin 晉, quand la Chine est de nouveau morcelée, notamment entre le
nord et le sud, que l’importance de ces religions s’accroît comme élément d’assise du pouvoir
des différents souverains. Les royaumes du Nord sont aux mains des « barbares » Tuoba 拓跋
et Xianbei 鮮卑, qui se sinisent en adoptant les structures administratives et les systèmes
gouvernementaux chinois et en mettant en avant les rites. Pour maintenir l’hégémonie, ils
ressentent le besoin d’une orthodoxie soutenue par un réseau d’institutions à travers le pays.
Clergés bouddhistes et taoïstes présentent cet avantage. Ils assoient ainsi leur puissance en se
servant du bouddhisme. Cette sinisation se poursuit sous les Zhou du Nord 北周 (557-581), et
l’un des souverains, Yu Wenyong 宇文邕 (561) déclare : « je ne suis pas un de ces cinq
barbares, dont le cœur ignore le respect ». Parmi les 16 royaumes, les royaumes de Zhao 趙,
ou le royaume de Yaoqin, vont alors s’appuyer sur le bouddhisme qui leur donne une
légitimité. Chang’an 長安 est à l’époque un centre bouddhique important.
La situation n’est pourtant pas simple, et la rivalité entre bouddhisme et taoïsme fait
rage dès le 4ème siècle. Cette rivalité a pour but de gagner des adeptes, mais aussi d’augmenter
les richesses et de bénéficier de la reconnaissance et du soutien de la Cour, voir des
fonctionnaires locaux. Le premier coup important porté au bouddhisme a lieu en 446, sous
l’Empereur Wu (423-452) des Wei du Nord 北魏, où un lettré très influent Cui Hao 崔浩 veut
rétablir l’aristocratie confucéenne, tandis qu’un taoïste du nom de Kou Qianzhi 寇謙誌,
réformateur de l’école des maîtres célestes, veut élever le taoïsme au rang de religion d’Etat.
Ces deux personnages font tant qu’en 458, à la suite d’une rébellion, l’Empereur Wen (r. 452465) émet une proscription du bouddhisme, qui n’eut cependant pas beaucoup d’effet.
De 567 à 577 continue la rivalité entre les trois doctrines et la persécution du
bouddhisme. Le mouvement commence par un mémoire présenté en 567 par Wei Yuansong
魏元嵩 et s’achève par les persécutions de 577. Le souverain veut annexer les Qi 齊, et pour
renforcer son armée et enrichir le pays, il cherche des soldats parmi les moines et confisque
des terres aux monastères. Il proscrit bouddhisme et taoïsme, 40 000 monastères sont détruits,
3 millions de moines et moniales doivent s’inscrire à nouveau sur le registre des corvées et du
service militaire. Les Zhou 周 règnent alors sur un territoire qui comprend le Shaanxi 陜西, le
Gansu 甘肅, le Sichuan 四川, le Hubei 湖北.
A la même époque, les royaumes du sud, comme Qi 齊 (autour de Nankin 南京), Chen
陳 ou Liang 梁, alternent entre religion d’inspiration confucéenne défendue par l’aristocratie
et bouddhisme (l’Empereur Wudi – r.502-557- des Liang 梁 fut le plus fervent bouddhiste de
l’époque) ; le taoïsme atteint peu l’aristocratie et les souverains.
73
E/ Les controverses
Toutes ces rivalités sont accompagnées de débats idéologiques, de controverses qui se
poursuivent jusqu’au 7ème siècle. Ils n’en continuent pas moins aux époques postérieures, et
l’on peut dire d’une certaine façon que le néoconfucianisme est issu de ces différentes
controverses, malgré le caractère moins polémique des débats à l’époque des Song. La
virulence de ces affrontements reprendra sous les Yuan, au milieu du 13ème siècle.
La première phase de débats commence au début du 4ème siècle. Elle reprend le thème
de Laozi 老子 partit convertir les barbares. Un certain Wangfu 王符 écrit en vers 300 un texte
qui s’appelle Laozi convertit les barbares (Laozi huahu jing 老子化胡經). Les bouddhistes
répliquent que Laozi 老子 est Mahâkâsyapa, un éminent disciple du Bouddha, envoyé en
Chine pour apporter le Livre de la Voie et de sa Vertu (Daodejing 道德經). Le débat autour de
ce thème durera jusqu’aux Yuan 元, époque ou les mongols brûleront le texte.
Au 5ème et 6ème siècle, la controverse prend pour argument principal le fait que le
bouddhisme est d’origine barbare, et donc qu’il ne convient pas aux chinois. Ce débat prend la
forme de lettres et de traités écrits par l’aristocratie. Il y a une véritable querelle de rites, pour
savoir si les moines doivent s’agenouiller devant l’Empereur ou non. Il y a des discussions
philosophiques, sur l’immortalité de l’âme et sur la réincarnation. Les bouddhistes essayent de
se présenter comme des sympathisants du confucianisme.
Un traité représentatif de cet esprit, écrit en 467 par le taoïste Gu Huan 顧歡 (420-483),
est le Yixialun 夷夏論, les Chinois et les barbares. L’argument est de dire que bouddhisme et
taoïsme sont égaux quant à leur sagesse, mais sont différents quant à leur expression
matérielle : là où le taoïsme vient de Chine, a été créé par des chinois, là où les taoïstes
portent des habits de Cour, saluent comme les fonctionnaires de Cour, enterrent leurs morts,
vouent un culte à leurs ancêtres, pratiquent la piété filiale, cherchent à ne plus mourir et
cherchent le bien, le bouddhisme est né en Asie centrale, chez des barbares, de langue barbare,
à la tête rasée, qui saluent par des prosternations au sol, qui incinèrent leur morts, ne rendent
pas de cultes aux ancêtres, ne pratiquent pas la piété filiale, cherchent à ne plus renaître et
seulement à limiter le mal. Les pratiques taoïstes sont ainsi représentées comme concrètes,
pratiques et subtiles, là ou le bouddhisme a des pratiques étranges et grossières.
Un certain nombre d’éléments du bouddhisme choquent en effet les Chinois : la vie
monacale (devenir moine se dit en chinois « sortir de la famille » chujia 出家), l’interruption
de la descendance (wuzi 無子), l’errance des moines, l’atteinte au corps (mutilation par les
tonsures et le rasage du crâne), le végétarisme, le fait que les moines échappent à l’autorité du
souverain (en Inde, les communautés monacales étaient souveraines), qu’il n’y ait pas de culte
aux ancêtres (rapidement, les bouddhistes accepteront cependant que les fidèles rendent un
culte aux ancêtres et aux divinités locales).
La troisième phase de ces controverses est celle qui précède la proscription de 577, qui
commence en 567-568. Régulièrement, le souverain des Zhou du Nord 北周 organisait des
débats entre les représentants des trois grands enseignements, entre autres par le biais de
textes argumentaires, d’échanges de lettres, et à l’issue de ces débats, un enseignement était
considéré comme supérieur. La proscription de 577 n’a pas cependant d’origine idéologique,
mais politique : les Zhou du Nord 北周 veulent annexer le royaume de Qi 齊, et ont besoin de
renforcer leur armée et d’enrichir leur pays ; ils enrôlent donc des soldats parmi les moines et
confisquent les terres des monastères.
74
III/ Les religions sous les Tang 唐 et les Song 宋
C’est une période de grande diversité, et d’introduction de nouvelles religions venues
de l’Ouest et d’Asie centrale. La période des Tang 唐 fait perdurer l’habitude d’organiser des
débats entre des représentants des trois enseignements le jour anniversaire de l’empereur. La
coutume avait commencé sous les Wei du Nord 北魏. Elle connaît une interruption sous le
règne du premier empereur Tang 唐, pour reprendre tout de suite après sous Gaozong 高宗
(650-684), s’interrompre de nouveau pendant le règne de Wu Zetian 武則天 (r.684-704), qui
favorisa exclusivement le bouddhisme, et pour ne cesser définitivement qu’à la fin des Tang
唐.
A/ Le taoïsme
On observe une synthèse des différents éléments des taoïsmes du nord et du sud,
fondée, pour les aspects religieux et rituels sur le courant Lingbao 灵宝, courant du joyau
magique, très influencé par le bouddhisme (textes calqués sur le modèle des sutras, intégrant
un grand nombre de notions bouddhique), en fait pendant du courant bouddhique du grand
véhicule dans le taoïsme. C’est sur cette base que s’effectue une synthèse, avec le courant
Shangqing 上清, de la « pureté supérieure », qui privilégiait les techniques individuelles de
méditation. Ces deux courants forment une synthèse qui devient un taoïsme d’aristocrates, qui
pénètre profondément dans la classe des lettrés, chez les fonctionnaires, et qui a beaucoup de
succès auprès des empereurs. Le taoïsme est à l’honneur au début de la dynastie : les
empereurs étaient de la famille Li 李, et Laozi 老子 s’appelait lui-même Li Er 李耳. Le
taoïsme est ainsi associé à la religion officielle de la famille impériale, sous forme de culte des
ancêtres. C’est une source de rivalité, puisque les factions d’eunuques et de fonctionnaires s’y
opposeront parfois.
Il y a à l’époque des Tang 唐 un grand nombre de textes écrits, de belle facture
littéraire. Le Livre de la Cour Jaune 黃庭經, écrit fondamental du Shangqing 上清, est
tellement connu des lettrés à la fin des Tang 唐 que des références à ce texte apparaissent dans
les copies d’examen. Les rituels par Li Hanguang 李 含 光 (683-769) sont des liturgies
standards qui intègrent politique et société aux forces profondes du cosmos. Le taoïste le plus
important de ce courant est Du Guangting 杜光庭 (850-933), fonctionnaire de cour qui
composa des biographies, des recueils de faits étranges, des textes liturgiques et une
anthologie d’hagiographies féminines. Les taoïstes sont donc des lettrés, avec des fonctions
officielles : au palais, certains d’entre eux ont été très influents auprès des empereurs.
L’Empereur Xuanzong 玄宗 est certainement celui qui a été le plus sensible à ces influences,
notamment en la personne de Sima Chengzhen 司馬承真, taoïste Shangqing 上清.
La synthèse du taoïsme à l’époque laisse donc de côté le courant des Maîtres célestes,
qui régulièrement a été considéré comme une forme populaire du taoïsme, faite de
communautés laïques qui pouvaient avoir des activités subversives. Le courant a souvent été
écarté par le pouvoir, au moins jusque sous les Ming 明. A partir du nouveau taoïsme
d’aristocrates se forment aussi deux nouvelles tendances. La première est le développement
d’un courant d’alchimie intérieure, 內丹 neidan (dan 丹 désigne le cinabre), qui utilise les
substances du corps (sang, qi 氣, pensée…), par opposition au waidan 外丹. Ce courant
d’alchimie interne reprend les anciennes techniques du courant Shangqing 上 清 et les
présente dans un habit nouveau, en intégrant ses pratiques dans une vision cosmologique de
processus de transformation de l’individu. Il s’agit de développer ses pouvoirs spirituels et
parvenir à l’immortalité spirituelle et non plus extérieure. Tous ces processus sont exprimés
75
en termes symboliques et hermétiques, dans un langage caché qui devait être décrypté par la
transmission orale de maîtres. Le corps est comme l’athanor, et les transformations
s’effectuent en suivant le cycle de la lune. Les méthodes sont intégrées à plusieurs courant du
taoïsme et vont pouvoir être utilisée en même temps que l’alchimie externe, en combinant
pilules d’immortalité et techniques de yoga). Ce courant de neidan 內丹 se développera sous
les Song 宋 pour devenir une expression majeure du taoïsme. L’action rituelle y est
importante : elle rejoindra les formes tantriques qui venaient d’Inde et allaient atteindre le
Japon.
La seconde tendance marquante de l’évolution du taoïsme sous les Tang 唐 est le
développement du taoïsme féminin, avec une prédominance dans le panthéon de la
Xiwangmu 西 王 母 , reine mère de l’Ouest, patronne pour les femmes comme pour les
hommes. Les poètes des Tang 唐 n’ont cessé d’écrire à la gloire de la celle-ci. Le
développement de ce taoïsme féminin se traduit pas l’existence d’un recueil de hagiographies
d’immortelles, les Annales des immortelles de la cité de Yong (yongcheng jixian lu 庸成集仙
录), dont un cinquième seulement sont des divinités, les autres étant des humaines ayant
atteint l’immortalité. Ce taoïsme féminin se développe aussi avec l’accroissement du nombre
de temples pour femmes, dont l’apogée se situe sous le règne de Xuanzong 玄宗. Deux des
sœurs de l’Empereur, Yuzhen 玉真公主 et Jinxian 金仙公主 sont en effet devenues des
nonnes taoïstes réputées, qui se partageaient entre le palais impérial et un temple de la capitale.
Un texte décrit les cérémonies d’intronisation de ces princesses, qui ont duré sept jours, au
palais, dans un faste inouïe. Il existe des mémoires, écrits par les ministres, pour protester
auprès de l’Empereur devant cette dilapidation des biens du pays pour ces motifs religieux et
pour ces princesses. On a beaucoup de témoignage de femmes de la société, qui une fois
veuves ou répudiées se faisaient nonnes et entraient au monastère. Les monastères n’étaient
pas clos, mais des lettrés y venaient, y séjournaient et y écrivaient des poèmes. Ainsi, Li Bai
李白, grand poète de l’ère Xuanzong 玄宗, a écrit quelques poèmes sur ces femmes.
B/ Le Bouddhisme
La doctrine continue à croître, par l’intermédiaire des traducteurs et des pèlerins. Il
s’agit de la troisième période de traductions, celle des « traductions nouvelles », traduisant
essentiellement de manière phonétique les termes, accomplies par l’équipe de Xuanzang 玄奘
(602-664), à la fois traducteur et pèlerin. Xuanzang 玄奘 est parti en Inde par voie terrestre.
C’est le plus important pèlerin du 7ème siècle, qui a traduit les textes de l’école idéaliste.
scythe (Bukong 不空) et Vajrabodhi (Jingang zhi 金剛智) traduisent, eux, des textes de
l’école ésotérique et développent celle-ci en Chine. Un contemporain, Yijing 義静 (635-713),
lui, est allé en Inde par la voie maritime. Les pèlerinages vont surtout être importants pendant
la première période des Tang 唐 et déclineront après la révolte d’An Lushan 安祿山. Outre les
traductions, la Chine continue à créer des textes apocryphes. Ces textes sont parmi les plus
beaux du bouddhisme chinois. Ils sont lus et connus par la majorité des lettrés.
La caractéristique fondamentale du bouddhisme sous les Tang 唐 est la sinisation de la
religion, qui atteint son apogée avec la constitution d’écoles chinoises. Traditionnellement, on
compte dix écoles chinoises, trois écoles du petit véhicule et sept du grand véhicule. Le petit
véhicule disparaîtra complètement après les Tang 唐.
La sinisation des écoles chinoise se fait par la reconnaissance d’un écrit canonique
fondamental (jing 經), comme chez les confucéens. Ces écoles se traduisent par des lignées de
transmission de maîtres à disciples, qui rappellent les lignées des ancêtres dans la famille. Le
bouddhisme originel choquait les chinois parce que le moine sortait de la famille. Avec la
76
sinisation, la famille se reconstitue en fait autour du maître. C’est ainsi que beaucoup de noms
de famille de noms bouddhiques de moines sont Shi 釋, en référence à la transcription
chinoise du nom de Sâkyamuni. Lorsqu’on parle des lignées de maîtres, on compte ceux-ci en
disant 初祖, 二祖,comme pour les ancêtres.
Certains apocryphes de l’époque resteront les plus beaux textes du bouddhisme
chinois, connus et lus par la majorité des lettrés. Tel est le cas du Sutra de l’éveil parfait
(Yuanjue jing 圓覺經) ou du Traité de la naissance de la foi dans le Grand véhicule
(Dasheng qixin lun 大乘起信論), sans compter de petits textes moraux pour soigner les
maladies que l’on a retrouvé à Dunhuang 敦煌.
1/ L’école de la Terre pure
Une de ces grandes écoles est l’école de la Terre pure (jingtu zong 淨土宗), créée par
Huiyan 惠遠, fondateur en 402 d’une communauté sur le Lushan 廬山. Cette communauté
invoquait le nom des bouddhas, et principalement du bouddha scythe 阿彌陀佛, qui règne sur
le royaume du paradis de l’Ouest, terre de félicité.
L’écrit de base de cette école est le Sutra scythe (Amituo jing 阿彌陀經), qui décrit ce
paradis, et cette pratique qui consiste à commémorer scythe 阿彌陀佛 en récitant son nom
avec foi et dévotion. Cette seule pratique permet au fidèle de renaître très facilement dans le
paradis de l’Ouest. Cette école est une de celles qui furent introduites au Japon sous les Tang
唐.
2/ L’école Tiantai 天臺宗
Une seconde école importante est l’école Tiantai 天臺宗, du nom d’une montagne de
la province du Zhejiang 浙江, où le premier patriarche de cette école, Huiwen 慧文 (550-577),
et ses successeurs, Huisi 慧思 (514-577) et Zhiyi 智 (538-597), ont établit cette doctrine
autour du Sutra du Lotus (fahuajing 法華經). Le Sutra du Lotus est aussi un texte populaire,
parce qu’il présente une méthode d’accès à l’éveil, rapide et simple, qui est aussi fondée sur la
dévotion, et qui a pour caractéristique d’accorder l’éveil à tous et de se présenter comme la
doctrine du véhicule unique. Cette école du Tiantai 天臺宗 et le Sutra du Lotus ont été très
répandus à l’époque des Tang 唐. Dans les grottes de Dunhuang 敦煌, on trouve beaucoup de
représentations d’histoire du Sutra du Lotus et scythe 阿彌陀佛.
3/ L’école Yogâcâra
Une troisième école est celle des Yogâcâra (Faxiangzong 法相宗) et Vijñânavada, qui
se développent en Inde au début du 5ème siècle. Celles-ci reconnaissent comme patriarches
deux moines indiens, et se constituent autour d’un écrit de base, le Traité des terres du sage
qui pratique le yoga, Yogâcâryabhûmisâstra (Yuqie shidi lun 瑜伽師地論). Ce terme de
« yoga » désigne l’union de l’esprit de l’adepte avec l’absolu. Le texte décrit la carrière de
l’adepte qui passe par dix ou dix-sept étapes successives de l’esprit pour parvenir à l’éveil.
L’école développe beaucoup la psychologie, c'est-à-dire les réactions de l’individu avec son
entourage, personnes ou phénomènes vécus. Il s’agit d’un bouddhisme plus philosophique que
les deux premières écoles. L’école a été développée grâce à Xuanzang 玄奘, puisque c’était
pour les textes de celle-ci qu’il était parti en Inde. Cette école disparaît rapidement sous les
Tang 唐, en tant qu’école avec des monastères, mais elle va se perpétuer dans les milieux
77
lettrés qui y trouveront matière à réflexion sur les grands thèmes philosophiques. Ainsi, à la
fin du 19ème siècle, lorsque les intellectuels chinois doivent faire face au problème de la
modernisation de la Chine face à l’occident, et qu’ils ne veulent pas adopter le système
occidental, ils font appel à ce système du bouddhisme qu’ils prétendent chinois. Les textes
sont alors comparés à des notions scientifiques et modernes.
4/ L’école Chan 禪
Une quatrième école est l’école du dhyâna, chan 禪 en chinois, ou zen en japonais.
C’est une des écoles chinoises les plus chinoises. Elle insiste beaucoup sur l’expérience
mystique individuelle, à travers la méditation. Elle utilise des méthodes autres que le langage
(coups de bâton…) pour susciter une expérience qui fasse sortir le disciple de ses habitudes
ordinaires. Cette école s’oppose à la précédente en ce qu’elle est moins intellectuelle, mais
elle dispose aussi d’un sutra fondamental. Elle insiste cependant plus sur les expériences que
sur la pensée. L’école a eu beaucoup d’influence sur la poésie et la peinture.
Bodhidharma (damo 達摩), fondateur de l’école, serait arrivé en Chine depuis l’Inde
en 520, où il aurait rencontré l’empereur. Bodhidharma, après avoir vexé l’empereur, se serait
réfugié au nord, où il aurait fondé le temple de Shaolin 少林, premier temple Chan 禪. Six
patriarches lui auraient succédé. Huineng 慧能(638-713) et Shenxiu 神秀 (605-705) sont
respectivement les patriarches des branches du sud (école subitiste) et du nord (école
gradualiste). Les stèles des moines Chan 禪 ont été rédigées par des fonctionnaires du palais,
dont le célèbre poète Wang Wei 王維 (701-761).
5/ L’école de l’ornementation fleurie
L’école de l’ornementation fleurie, ou Avatamsaka (Huayanzong 華嚴宗) a pour
lignée de maîtres Dushun 杜順 (558-640), Zhiyan 智嚴 (602-668) et Fazang 法藏 (643-712).
L’écrit fondamental est le Sutra de l’ornementation fleurie (Huayanjing 華嚴經).
6/ L’école ésotérique
L’école tantrique, Mizong 密宗, s’est développée en Chine à partir de l’Empereur
Xuanzong 玄宗, qui trouvait dans cette forme de bouddhisme beaucoup de similitudes avec le
taoïsme (utilisation de rituels magiques). Ses premiers textes furent traduits dès le 4ème siècle.
L’écrit fondamental est le Sutra de Mahâvairocana (Darijing 大日經). Cette école tantrique
décline très rapidement sous les Tang 唐. Elle est assimilée par certaines formes du taoïsme.
L’école aura beaucoup d’importance sous les dynasties étrangères : sous les Yuan 元, alliés
des Tibétains, qui reconnaissent le bouddhisme tantriques, et sous les mandchous, qui en font
la religion officielle.
C/ La religion des fonctionnaires
Les lettrés des Tang 唐 ont une culture à la fois taoïste et bouddhiste. Dans les
discussions entre les représentants des trois doctrines, chacun essayait de montrer la
supériorité de son courant, mais aussi de trouver la complémentarité entre tous. La plus
fréquente des conclusions est de dire que pour la culture de soi, le bouddhisme est une
excellente doctrine ; pour entretenir sa vie et rester en bonne santé, c’est le taoïsme, et pour
établir l’ordre dans la société, le confucianisme. Les lettrés appliquaient eux même cette
78
complémentarité en mélangeant les trois dans leurs pratiques. Le mélange était d’autant plus
facile à faire que sous les Tang 唐 s’est construit un important réseau de temples bouddhistes
et taoïstes, et qu’à l’époque, les fonctionnaires bannis et déchus s’y réfugiaient. Ce fut ainsi le
cas de Bai Juyi 白居易, qui s’était construit une petite chaumière dans le Lushan 廬山, où il
fréquentait les moines, écrivait des poèmes avec eux.
Il y avait donc des échanges culturels entre les trois doctrines, et les montagnes et les
monastères sont souvent devenus des lieux de culture, prémisses des académies privées qui se
développeront sous les Song 宋. Malgré l’influence importante du bouddhisme et du taoïsme,
les cultes officiels représentant la tradition confucianiste étaient toujours pratiqués
régulièrement. C’est ainsi que Taizong 太宗 (626-649) fait rédiger un nouveau Cérémonial et
rituel de la grande dynastie des Tang (Datang yili 大唐儀禮) en 100 juan 卷, qui lui fut
présenté en 637, et que se développe en 731 le culte aux cinq pics sacrés.
D/ Les nouvelles religions en Chine
De nouvelles religions entrent aussi en Chine, en provenance d’Iran et d’Asie centrale.
La première d’entre elles est le nestorianisme, forme de christianisme iranisé,
condamné au concile d’Ephèse en 431 comme une hérésie. Il apparaît dans la Chine des Tang
唐 sous le nom chinois de jingjiao 景教, religion de lumière. Le nestorianisme aurait été
introduit en Chine par un Persan du nom chinois de Aluoben 阿羅本 en 631. En 638, la Cour
autorise la construction d’églises nestoriennes, mais les nestoriens sont attaqués sous
l’impératrice Wu Zetian 武則天, alors qu’ils seront à nouveau soutenus par Xuanzong 玄宗.
On ne sait pas très bien qui était nestorien. Vraisemblablement, ce serait essentiellement des
Sogdiens. Quand les jésuites sont arrivés en Chine au 17ème siècle, ils ont été heureux de
trouver une stèle de 781, à Xi’an 西安, rédigée en syriaque et en chinois.
La seconde religion étrangère fut le Manichéisme, aussi originaire d’Iran.
Paradoxalement, elle fut autorisée par Wu Zetian 武則天 en 694. La religion s’est surtout
implantée parmi les Ouigours, dans les oasis d’Asie centrale. La religion sera persécutée lors
de la proscription du bouddhisme en 845.
Le Mazdéisme, de Zarathoustra, religion d’adorateurs du feu, a pénétré dans la Chine
du Nord dans la seconde moitié du 6ème siècle. Au 7ème siècle, on sait qu’il y avait des temples
mazdéens à Chang’an 長安, à Luoyang 洛陽 et à Dunhuang 敦煌.
Le contact entre la Chine et le monde islamique était établit depuis la fin du 6ème siècle.
La révolte d’An Lushan 安祿山 avait ainsi été maîtrisée grâce à une alliance entre arabes et
Chinois. L’Islam entre en Chine par les marchands, essentiellement par le Sud. C’est Canton
廣州 qui sous les Tang 唐 abritait le plus de mosquées en Chine.
E/ Les rapports entre la religion et la politique sous les Tang 唐
Les empereurs soutiendront tantôt le bouddhisme, tantôt la taoïsme, tantôt la religion
officielle, par des décrets, des soutiens politiques, des soutiens financiers, des changements
dans les rituels, les préséances dans les cérémonies, ou par l’établissement des lignées de
maîtres. Le bouddhisme Chan 禪 n’aurait ainsi jamais existé sans le soutien de Wu Zetian 武
則天. Les empereurs désignaient aussi les cultes officiels par décret. On voit alors s’établir
une géographie sacrée sur tout l’Empire. sous Xuanzong 玄宗 décida ainsi que tous les
districts devaient avoir un temple bouddhique du nom de Kaiyuansi 開元寺.
Sous le premier empereur, Gaozu 高祖 (r. 618-626), le souverain établit son pouvoir
grâce aux taoïstes, ceci sous l’influence d’un astrologue formé au Dongdao Guan 通道觀 sous
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les Zhou du Nord 北周, Fu Yi 敷毅, qui présente au trône un mémoire contre le bouddhisme
en 621. Gaozu 高祖 réprime alors le bouddhisme. Fu Yi 敷毅 reprenait en sept points dans
son mémoire les arguments des dynasties précédentes contre les moines. Gaozu 高祖 ordonna
aux préfectures de ne conserver qu’un seul monastère bouddhique, avec au maximum trente
moines par monastère. Le taoïsme est déclaré première doctrine, suivit du confucianisme, par
un édit de 621. L’année d’avant, il y avait encore 100 monastère dans la capitale. Entre 621 et
626, Fu Yi 敷毅 a écrit sept mémoires contre le bouddhisme.
L’Empereur suivant, Taizong 太宗 (r.626 à 649) sent le danger de ne pas avoir les
bouddhistes comme alliés et abolit alors l’édit de son père. Il invite les moines au palais. En
629, un décret ordonne aux moines de Chang’an de réciter chaque mois le Sutra des rois
bienveillants (Renwang jing 仁王經) pour protéger l’Etat des calamités. C’est l’époque ou
Xuanzang 玄奘 est en Chine, et l’Empereur se montre ouvert envers lui. En 648, Xuanzang 玄
奘 lit à l’Empereur sa traduction du traité de l’école Yogâcâra. A la suite de cela, l’Empereur
proclame que le bouddhisme est supérieur au taoïsme.
L’empereur Gaozong 高宗 (r. 649-683), lui, ne soutient que modérément Xuanzang 玄
奘. A partir de 660, paralysé, il se tourne vers le taoïsme et va en 666 au taishan 泰山 où il fit
les sacrifices fengshan 封禪. Il émet un décret constituant un réseau de temples taoïstes et
bouddhiques (un par préfecture) recevant le soutien de l’Etat. La même année, il va à Qufu 曲
阜, lieu d’origine de Confucius et donne un nouveau titre au sage. En 668, après un débat au
palais, l’Empereur ordonne que l’on brûle le Laozi huahu jing 老子化胡經.
Wu Zetian 武則天 (r.684-704), soutient sans condition le bouddhisme. Sous son règne,
plus de trois cents sculptures ont été accomplies dans les grottes de Longmen 龍門 (de 618 à
655 avaient été réalisées 70 représentations, alors que sous son seul règne, 380). En 690, son
entourage lui présente le Sutra des Grands nuages (Dayunjing 大雲經), un apocryphe, qui
contient des prédictions selon lesquels l’impératrice serait une incarnation de Maitreya 彌勒
佛, Bouddha du futur, et que le mandat céleste lui était confié. Deux mois après cette
présentation, l’impératrice annonce la fondation de sa propre dynastie, les Zhou 周. En 691,
elle déclare que ce sont les moines bouddhistes qui ont la préséance dans les cérémonies.
C’est grâce à Wu Zetian 武則天 que les écoles du Chan 禪 et l’école Huayan 華嚴 se sont
développées.
Xuanzong 玄宗 (r. 712-756) a été assez libéral envers les trois religions mais a
clairement préféré le taoïsme. Il essaie de contrôler de façon plus stricte le phénomène
religieux. En 729, il décrète que tous les trois ans, il fallait recenser le nombre de moines et de
nonnes de l’empire. Xuanzong 玄宗 a été entouré par des taoïstes du Shangqing 上清, comme
Sima Chengzhen 司馬承真 (646-735) et Wu Yun 吳筠, qui ont utilisé toutes sortes de
prédictions pour diriger la politique de l’Empereur. Celui-ci a été de plus en plus pris par ces
conseils, et c’est certainement ce qui le mena à sa fin. Les taoïstes lui rapportaient toutes
sortes de miracles (découvertes de signes célestes, de talisman…). En 741, l’empereur donne
l’ordre d’établir une école des études taoïstes dans les deux capitales et dans chaque
préfecture. Il devait y avoir cent élèves dans chacune des écoles des deux capitales, et on crée
un examen d’études taoïstes qui devait avoir la même importance que l’examen sur les
classiques confucéens. En 742, un taoïste rapporte à l’Empereur que Laozi 老子 lui aurait fait
parvenir un talisman caché. A la suite de ceci, Xuanzong 玄宗 a changé le nom des ères et a
créé une nouvelle ère, l’ère Tianbao 天宝, joyaux céleste. Xuanzong 玄宗 a aussi créé en 742
un Institut d’études taoïstes, et les trois écrits principaux du taoïsme sont devenus des canons
(jing 經) et ont changé de nom : le Laozi 老子 est devenu le Classique de la Voie et de sa
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vertu, Daodejing 道德經, le Zhuangzi 庄子 est devenu le Classique véritable de la fleur du
sud, Nanhuazhengjing 南華真經 et le Liezi 列子 est devenu le Classique véritable de l’accès
au vide, Chongxu Zhengjing 沖虛至德真經. L’Empereur favorisa aussi les écoles Chan 禪,
Huayan 華嚴 et ésotérique du bouddhisme.
Après An Lushan 安 祿 山 , le soutien des empereurs oscille entre les différentes
religions. Leurs règnes sont caractérisés par les rivalités entre fonctionnaires et les eunuques,
qui s’appuient chacun sur une doctrine ou l’autre.
L’Empereur Wenzong 文 宗 (r.826-840) lutte contre les abus du taoïsme et du
bouddhisme. Un mémoire de 830 propose de redonner le contrôle au département des
sacrifices : les autorités locales doivent fournir une liste des monastères sous leur juridiction
et tous les petits ermitages doivent se placer sous la juridiction des grands monastères locaux.
En 833, il est déclaré que l’habitude d’inviter des membres du clergé bouddhiste et taoïste le
jour anniversaire de l’Empereur est interrompue.
L’Empereur Wuzong 武宗 (r. 840-846), fasciné par les élixir d’immortalité et les
rituels du taoïsme, mène progressivement à la grande proscription du bouddhisme qui s’étale
de 842 à 845. L’Empereur, soutenus de ses deux ministres Li Deyu 李德裕 et Li Shen, veut
éliminer le bouddhisme. Un évènement précipite les chose : un rebelle est accusé de se cacher
dans un monastère, et en 842, l’Empereur expulse des monastères tous les moines qui ne sont
pas enregistrés. Les bouddhistes ont cent jours pour appliquer les décisions impériales. Il rend
à la vie laïque les moines indésirables (qui s’immolent par le feu, qui pratiquent la magie, qui
ne respectent pas le vœu de chasteté, les condamnés qui se réfugient dans les monastères…).
Il confisque aussi leurs biens, ceux-ci étant censés avoir fait vœux de pauvreté. En 843, 3491
moines de la capitale retournent ainsi à la vie laïque. La même année, le manichéisme est
aussi interdit, et les prêtres exécuté. En 844, un taoïste du nom de Zhao Guizhen 趙帰真,
instigateur principal de cette proscription, devient chef de l’église taoïste à la capitale. En 845,
un décret précise que les propriétés des monastères doivent être rendues aux autorités
séculières et utilisées pour payer les salaires du gouvernement. Un second édit rend à la vie
laïque les moines et nonnes de moins de quarante ans, puis de moins de cinquante ans.
En 846, quand l’Empereur meurt, Xuanzong 宣 宗 , son successeur, abolit
immédiatement les édits de son prédécesseur et se montre favorable au bouddhisme.
Contrairement à une idée reçue, la proscription de Wuzong 武宗 n’est pas le point de départ
du déclin du bouddhisme, qui en fait se relèvera et sera florissant sous les Song 宋. La
proscription est en effet moins importante que celle des Zhou du Nord 北周. On a cette fausse
idée parce que le bouddhisme sous les Song 宋 a été moins étudié, mais aussi parce que les
écoles chinoises du bouddhisme disparaissent à l’exception de quatre d’entre elles. Mais ces
quatre (Chan 禪, Huayan 華嚴, Terre pure, Tantra) se développent, de façon telle que sous les
Song 宋, le nombre de monastères et de moines est plus important qu’avant la proscription.
Ce qui sera nuisible au bouddhisme sous les Song 宋 fut l’apparition du néoconfucianisme,
qui assimile des éléments du bouddhisme et du taoïsme, mais qui est la doctrine des lettrés
avant tout.
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