Le Parlement dans la Constitution Jean

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Le Parlement dans la Constitution Jean
Le Parlement dans la Constitution
Jean-Raphaël GIULIANI
Le Révolution tunisienne, qui a provoqué la fuite de l’ancien Président Zine El Abidine
Ben Ali le 14 janvier 2011 puis mené à la transformation profonde du système
institutionnel tunisien, avait pour mot d’ordre le rétablissement de la « dignité ».
La contestation populaire se fondait sur des considérations d’ordre économique
et social, et visait à la remise en question d’un modèle de société marqué par de
profondes disparités géographiques, économiques, sociales, et générationnelles. Les
revendications ont cependant rapidement pris une tournure plus institutionnelle :
le peuple tunisien, et notamment sa jeunesse, ne voulaient plus rester à l’écart de
décisions l’affectant directement. Il souhaitait pouvoir contribuer à la direction du
pays, et surtout disposer des outils lui permettant de remettre en question l’action du
pouvoir politique. Celui-ci ne devrait ainsi plus jamais être accaparé par un individu
seul, ou une élite demeurant à l’écart de tout contrôle populaire.
Les discussions envisageant la modification des institutions tunisiennes, au début
de l’année 2011, eurent ainsi pour objectif, outre d’assurer l’éradication du système
généralisé de corruption et de supprimer la mainmise d’un petit nombre de privilégiés
sur les richesses et l’économie du pays, d’établir un régime équilibré permettant
l’existence de contre-pouvoirs efficaces, ainsi que d’instaurer des mécanismes
permettant d’imposer aux institutions de l’Etat de rendre des comptes au peuple.
La Constitution promulguée le 27 janvier 2014, reconnue à l’extérieur pour sa nature
éminemment moderne et démocratique, rétablit ainsi le peuple tunisien comme
source de légitimité unique de l’exercice de tout pouvoir politique. Comment ? Tout
d’abord, à travers ses représentants. La Tunisie exprime son attachement profond
au principe de la démocratie représentative, même si, ça et là, quelques touches de
démocratie directe émergent, conformément à l’air du temps. Le nom du parlement
monocaméral institué, « l’Assemblée des représentants du peuple », en rappelle le
principe à chaque instant. Ainsi, dès l’article 3 de la constitution, il est affirmé que
« le peuple est le dépositaire de la souveraineté et la source des pouvoirs, qu’il exerce
à travers ses représentants ou par référendum ». L’ordre même des chapitres de la
constitution rappelle que le constituant a voulu insister sur la primauté accordée
au Parlement : le chapitre III sur le pouvoir législatif vient directement après ceux
consacrés aux « principes généraux » et aux « droit et libertés », avant ceux traitant des
autres pouvoirs, et notamment du pouvoir exécutif.
Quel est donc le mandat de ce nouveau parlement créé par la Constitution de 2014 ?
Quelles sont ses fonctions précises et quels sont les outils à sa disposition selon la
norme fondamentale tunisienne ? Comment doit-il fonctionner en application de
celle-ci ?
Une constitution est un instrument éminemment dynamique ; son analyse ne prend
souvent un sens qu’à la lecture de la pratique qui en est faite par les principaux acteurs
institutionnels du pays. Or, la IIème République tunisienne est jeune, et sa mise en
application connaît une évolution rapide. La compréhension du texte constitutionnel
tunisien se développera ainsi au cours du temps, et avec elle, celle du rôle du parlement.
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LA CONSTITUTION DE LA TUNISIE - Processus, principes et perspectives
Cet article vise en premier lieu à présenter comment le parlement est défini par le texte
constitutionnel, et quels principes peuvent se dégager de celui-ci. Il passera donc
largement sous silence les éléments de la pratique déjà connus de l’Assemblée des
représentants du peuple, et notamment la substance des dispositions du règlement
intérieur de la Chambre, ou encore l’interprétation, elle-même en devenir, de la
Constitution que feront les différentes juridictions.
Par ailleurs, les différentes étapes du processus d’élaboration du texte constitutionnel,
notamment les crises politiques et leurs modes de résolution, essentiels pour
comprendre le processus dans son ensemble, ne seront qu’évoqués à des fins
d’explication. Enfin, « l’économie générale » de la Constitution, et l’analyse des autres
pouvoirs constitués ne sera envisagée dans cet article qu’à travers le prisme du
Parlement. D’autres articles du présent recueil y sont consacrés.
Nous verrons donc tout d’abord comment le processus constitutionnel a consacré
le Parlement comme l’institution centrale de la démocratie dans la IIème République
tunisienne (I), ensuite comment la Constitution de 2014 a institué une Assemblée
des représentants du peuple forte, autonome et disposant des moyens nécessaires
à l’exercice de son mandat (II), enfin comment elle permet au parlement d’assurer la
représentation des citoyens, contrôler l’exécutif, légiférer et voter le budget (III).
***
I. Le processus constitutionnel consacre l’Assemblée comme le pivot
institutionnel de la démocratie en Tunisie
Le fonctionnement de l’Assemblée nationale constituante entre 2011 et 2014 (1), ainsi
que le débat au sein de celle-ci sur la nature du régime institutionnel et sur le rôle du
parlement (2), ont permis le développement d’un parlement fort, au cœur du système
institutionnel tunisien.
I.1. Le développement d’une pratique parlementaire démocratique et moderne:
le fonctionnement de l’Assemblée nationale constituante (2011-2014)
Lorsque la question de définir les modalités du processus constitutionnel se posa
dès les premiers mois de l’année 2011, deux options procédurales furent un moment
considérées : celle d’une simple modification de la Constitution de 1959, ou celle d’une
nouvelle constitution rédigée par un groupe d’experts. Ces deux scenarios présentaient
l’inconvénient majeur de ne pas symboliser suffisamment le changement attendu par
les Tunisiens. De fait, sous la pression populaire, et particulièrement à la suite des deux
sit-in dit de la « Kasbah »1, la revendication d’une constitution entièrement nouvelle,
tâche qui incomberait à une Assemblée nationale constituante élue au suffrage
universel direct, s’est rapidement imposée comme seule susceptible de voir se réaliser
les objectifs de la Révolution.
Fin février 2011, quelques jours avant la démission du gouvernement de Mohamed
Ghannouchi et la formation du premier gouvernement de Beji Caïd Essebsi, une
première ébauche de scenario de transition est entérinée. Une Assemblée constituante
sera élue en juillet de la même année, avec pour tâche de donner au pays une nouvelle
1 Pour une description des mouvements de la Kasbah et de leurs revendications, voir notamment Éric Gobe,
« Tunisie an I : les chantiers de la transition », L’Année du Maghreb, VIII | 2012, 433-454.
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norme fondamentale. Cette élection est finalement repoussée à octobre 2011 afin de
garantir son organisation technique et logistique dans des conditions optimales2.
L’Assemblée nationale constituante (ANC) élue le 23 octobre 2011, a certes pour objectif
premier la rédaction d’une nouvelle constitution. Mais elle est aussi, aux termes de
la loi constituante n° 2011-6 du 16 décembre 20113, le Parlement de transition de la
Tunisie. Son article 2 dispose ainsi que l’ANC « a aussi, notamment les attributions de
l’exercice du pouvoir législatif et (…) du contrôle de l’action du gouvernement ».
Cette double fonction a eu, durant la période de fonctionnement de l’ANC, un impact
notable sur le fonctionnement de l’Assemblée, notamment sur la gestion de son
calendrier de travail. Chacune de ces tâches était considérable et ce cumul a contribué
en partie à la durée du processus constitutionnel, qui s’est poursuivi au-delà du délai
d’un an originellement imparti4. Le fait que l’ANC ait fonctionné comme un parlement
à part entière a en outre eu pour effet de permettre le développement d’une nouvelle
pratique parlementaire démocratique en Tunisie, qui a nourri le développement du
nouveau système institutionnel.
Politiquement tout d’abord, le mode de scrutin proportionnel, choisi pour l’élection de
l’Assemblée nationale constituante, fut à l’origine d’un éclatement de la représentation
politique au sein de l’ANC, exigeant la formation d’une coalition permettant d’appuyer
la constitution d’un gouvernement susceptible de recueillir la confiance de la
Chambre5. Ce phénomène a contribué à conférer un rôle important aux groupes
parlementaires. Trois des quatre premiers partis à l’issue des élections du 23 octobre
2011, Ennahdha, le Congrès pour la République (CPR) et Ettakatol, ont ainsi formé la
coalition gouvernementale de la « Troïka », et ont, chacun, obtenu la présidence de
l’une des trois institutions principales de la période transitoire. La Présidence de la
République fut ainsi attribuée au Président du CPR, Moncef Marzouki, la présidence
du gouvernement au secrétaire général du mouvement Ennahdha, Hamadi Jebali, et
la présidence de l’ANC au Président du parti Ettakatol, Moustafa Ben Jaafar.
Cette distribution des rôles, ainsi que les divergences politiques et idéologiques
entre les partis composant la Troïka – un parti islamiste (Ennahdha), un parti de
centre gauche adhérant à l’internationale socialiste (Ettakatol) et un parti composite
rassemblant des éléments issus essentiellement de la gauche nationaliste arabe (le
CPR), a poussé au développement de trois pôles institutionnels devant collaborer
et se contrôler mutuellement, au risque par ailleurs de se neutraliser en cas de crise
institutionnelle. Ce système, souvent qualifié de celui des « trois présidences », a eu
pour effet de renforcer le rôle et l’importance du Parlement vis-à-vis des deux autres
« pôles » de l’exécutif, phénomène éminemment nouveau en Tunisie.
Institutionnellement et administrativement ensuite, le choix naturel qui fut fait
d’installer l’Assemblée nationale constituante au sein du Palais du Bardo, l’ancien
2 Pour une analyse de la phase de la période transitoire précédant l’Assemblée nationale constituante, voir
« La Révolution tunisienne dans ses manifestations constitutionnelles », Y. Ben Achour, au sein de ce même
ouvrage.
3 Loi sur « l’organisation provisoire des pouvoirs publics » ou OPPP.
4 Pour une brève présentation du débat sur la légalité de la durée du mandat de l’ANC, qui fut important
au cours du processus constitutionnel, voir notamment Jean-Philippe Bras, « Le peuple est-il soluble dans la
constitution ? Leçons tunisiennes », L’Année du Maghreb, VIII | 2012, 103-119.
5 Le gouvernement devant obtenir la confiance de la majorité des membres de l’ANC aux termes de l’article
15 de la loi constituante sur l’OPPP du 16 décembre 2011.
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LA CONSTITUTION DE LA TUNISIE - Processus, principes et perspectives
palais du Bey, siège de la première Assemblée constituante tunisienne de 1956 à 1959,
mais aussi de l’Assemblée nationale puis de la Chambre des Députés de 1959 à 2011,
et de lui adjoindre l’administration de cette dernière, a eu pour conséquence d’assurer
une certaine continuité institutionnelle dans le fonctionnement du Parlement. Cela
a nécessité de surmonter le défi relatif au rétablissement de la confiance entre les
Constituants et les fonctionnaires de l’administration – la majorité d’entre eux ayant
occupé les mêmes fonctions sous l’ancien régime – mais a permis à l’institution de ne
pas connaître de « temps-mort », puisqu’une structure administrative existait déjà et
pouvait donc appuyer le travail de l’Assemblée d’un point de vue juridique, technique
et logistique.
Par ailleurs le secrétariat de l’Assemblée, et particulièrement les « conseillers
des commissions », ont pleinement contribué aux travaux menés sur le régime
institutionnel, notamment ceux concernant les attributions du Parlement. Cela lui a
permis d’être opérationnel dès les premiers jours de l’établissement de l’Assemblée
des Représentants du Peuple, le nouveau parlement de la deuxième République.
I.2. Le débat constitutionnel sur la nature du régime et le rôle du Parlement
L’autre dimension du travail de l’Assemblée nationale constituante qui a eu un impact
direct sur la place du Parlement dans la nouvelle Constitution est, bien entendu, le
débat qui s’y est déroulé sur la nature du régime et les prérogatives constitutionnelles
des différentes institutions. Ces questions furent au cœur des discussions en raison
des divergences de conception entre les différents acteurs politiques représentés
au sein de l’ANC, y compris entre ceux composant la coalition gouvernementale. Les
différentes positions exprimées furent le produit complexe d’un ensemble de facteurs
mêlant considérations idéologiques, positionnement vis-à-vis du régime institutionnel
de la 1ère République, et raisonnement plus prosaïque sur l’équilibre politique au sein
du pays au moment de la rédaction de la Constitution.
Certains acteurs politiques, et en premier lieu le mouvement Ennahdha, se sont
ainsi exprimés très tôt en faveur de l’inscription dans la Constitution d’un régime
parlementaire pur, au sein duquel la légitimité politique résulterait exclusivement
de l’Assemblée, le pouvoir exécutif n’étant qu’une émanation de celle-ci. Cette
position, très tôt formulée par le parti6 doit être considérée à travers le prisme de
son histoire, et notamment sa défiance profonde à l’égard d’un régime, celui de la
première République, qui l’a combattu et au sein duquel, dès l’origine, le Président
de la République concentrait l’essentiel du pouvoir. Par ailleurs, un certain nombre de
cadres du mouvement, à commencer par Rached Ghannouchi, passèrent une partie
non-négligeable de leur exil en Grande Bretagne et développèrent ainsi une réelle
attirance pour le modèle institutionnel de Westminster.
D’autres partis, tout en se démarquant clairement des détournements présidentialistes
de la première République, se sont prononcés en faveur d’un régime mixte, souvent
appelé « présidentiel », au sein duquel la légitimité électorale serait partagée entre
le Parlement et un Président de la République, tous deux issus du suffrage universel.
L’équilibre des pouvoirs aurait alors été assuré par un système de contre-pouvoirs
garantissant contre le présidentialisme, l’instabilité et l’inefficacité d’un régime
d’assemblée. L’on a pu y percevoir en filigrane une certaine inspiration de systèmes
6 Programme politique du mouvement Ennahdha présenté au Palais des Congrès à Tunis, 14 septembre 2011.
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institutionnels continentaux européens, et notamment des systèmes portugais ou
français de la Vème République.
Enfin, la réalité du contexte politique et partisan en Tunisie durant le processus de
rédaction a joué un rôle important. Chacun poursuivait ses buts propres. Ainsi
Ennahdha, tout en estimant pouvoir s’appuyer sur un large soutien de la population lors
d’élections législatives7, ne s’est pas directement intéressé à l’élection présidentielle;
alors que d’autres, notamment le CPR, Ettakatol et Al Joumhouri, se sont largement
construits comme des forces politiques dont l’un des objectifs déclarés était d’appuyer
la candidature de leur chef à la magistrature suprême8.
Les acteurs politiques tunisiens, afin de surmonter leurs différences et de préserver
la nature pacifique du processus de transition démocratique, ont largement eu
recours au consensus durant la rédaction de la Constitution. C’est d’ailleurs, pour
de nombreux observateurs, l’une des caractéristiques principales et l’un des grands
succès de l’expérience tunisienne9. Le régime mis en place par la constitution de 2014,
compromis reprenant des éléments désirés par les uns ou les autres des acteurs, est
ainsi largement original. Conformément au souhait révolutionnaire de ne plus voir
un système institutionnel s’éloigner trop vite – et trop loin – du contrôle populaire, le
parlement monocaméral, élu au suffrage universel direct au scrutin proportionnel, jouit
d’un rôle central. L’exécutif bicéphale ne dispose que d’outils limités d’encadrement du
Parlement, essentiellement dans le cas où le parlement ne parviendrait pas à s’accorder
sur la confiance à accorder au gouvernement. Pour autant, même très encadrés, ces
outils de contrôle existent. De plus, l’ARP devra partager avec le président la légitimité
démocratique issue de l’élection au suffrage universel : le régime n’est ni présidentiel,
ni parlementaire, et emprunte des modes de fonctionnement propres à ces deux
systèmes : il est résolument « mixte ».
*
Dans la Constitution tunisienne de 2014, le centre de gravité institutionnelle se
rapproche ainsi clairement du parlement après plusieurs décennies de limitations de
son rôle au profit du pouvoir exécutif, ce que l’étude des moyens mis à dispositions de
l’Assemblée des représentants au sein de la constitution permet de mettre en évidence.
II. L’Assemblée des représentants du peuple : une Assemblée forte qui dispose
des moyens de son action
L’Assemblée des Représentants du Peuple de la deuxième République tunisienne
est une Assemblée résolument forte, à laquelle le constituant a pris soin de donner
les moyens d’exercer son mandat dans le respect du principe de la séparation des
pouvoirs. L’ARP doit pouvoir en effet, continuant en cela la pratique de l’Assemblée
nationale constituante, se démarquer fortement du parlement bicaméral de la
7 Le mouvement Ennahdha a obtenu 37,04% des voix aux élections de 2011 à l’Assemblée nationale
constituante ; le parti arrivé second aux élections, le Congrès pour la République, a obtenu 8,71% des voix.
Données Instance Supérieure Indépendante pour les Elections, 2011.
8 Lors des élections présidentielles de décembre 2014, ces trois partis (CPR, Ettakatol et Al Joumhouri)
présentèrent ainsi un candidat, ce qui ne fut pas le cas d’Ennahdha.
9 Voir notamment Éric Gobe et Larbi Chouikha, « La Tunisie politique en 2013 : de la bipolarisation
idéologique au « consensus constitutionnel » ? », in L’Année du Maghreb, 11 | 2014, 301-322 ; ou encore The
Carter Center, « Le processus constitutionnel en Tunisie – Rapport final 2011-2014 », p. 12.
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LA CONSTITUTION DE LA TUNISIE - Processus, principes et perspectives
première République, dont le rôle s’est souvent cantonné à celui d’une « chambre
d’enregistrement » de décisions prises en dehors de ses enceintes.
II.1. Un représentant du peuple indépendant et intègre
La Constitution fixe tout d’abord les règles relatives à l’élection et au mandat des
représentants du peuple. Elle leur garantit l’indépendance et la liberté nécessaire à
leur action politique, tout en exigeant d’eux l’exemplarité.
La durée du mandat parlementaire est de cinq ans (arti. 56). Pour être élu membre
de l’Assemblée, il faut être citoyen tunisien depuis dix ans au moins, être âgé d’au
moins vingt-trois ans et jouir de ses droits civiques (art. 53). La Constitution permet
donc aux citoyens naturalisés ayant prouvé leur intention durable de s’intégrer dans
le pays de se présenter aux élections législatives. Celles-ci se déroulent au « suffrage
universel, libre direct, secret, honnête et transparent ». Le corps électoral est composé
de tous les citoyens âgés de plus de 18 ans (art. 54). En outre, la Constitution prend
soin de mentionner spécifiquement les membres de la diaspora tunisienne, en leur
garantissant le droit de vote et une représentation. Elle institue donc l’obligation pour
l’Etat de maintenir des circonscriptions électorales à travers le monde.
Fidèle en cela à une conception classique de la séparation des pouvoirs, la Constitution
garantit en son article 68 au député tunisien une immunité judiciaire absolue pour
toute prise de position, toute opinion ou proposition formulée, ou encore tout acte
effectué dans le cadre de l’exercice de ses fonctions parlementaires. En revanche, la
Constitution encadre étroitement l’immunité pénale dont bénéficie le parlementaire10
pour ses autres activités. Celui-ci devra faire valoir son immunité pénale par écrit s’il
veut pouvoir en bénéficier. Seule l’Assemblée peut décider de la lever. En cas de flagrant
délit, un parlementaire peut être arrêté. Dans ce cas le Président de l’Assemblée est
immédiatement informé, le bureau de l’Assemblée pouvant requérir sa libération.
Cette inversion de la procédure – ce n’est dans ce cas pas au juge de demander la levée de
l’immunité mais au parlementaire voire en dernière extrémité à l’Assemblée de la faire
valoir – peut sembler surprenante au regard de la volonté de garantir l’indépendance
du député, particulièrement dans un contexte de transition démocratique succédant
à un régime policier. Il faut cependant replacer cette mesure dans le contexte de la
Tunisie postrévolutionnaire, au sein de laquelle prime la volonté d’empêcher tout
détenteur d’un mandat politique à se prévaloir de celui-ci pour s’écarter du droit. C’est
encore cette intention d’introduire l’exemplarité au sein du personnel politique que
l’on retrouve à l’article 11 de la Constitution, qui dispose que le représentant, au même
titre que les autres titulaires de toute « haute fonction », devra déclarer ses biens à sa
prise de fonctions. Le parlementaire est ainsi largement protégé, mais non pas exempt
de suivre les règles d’intégrité s’imposant à tous.
Le représentant, une fois élu et après avoir prêté serment11, devra régulièrement se
10 Article 69 : « Si un député fait prévaloir son immunité pénale par écrit, il ne peut ni être poursuivi, ni arrêté
durant son mandat parlementaire, dans le cadre d’un procédure pénale, tant que son immunité n’a pas été
levée. Toutefois, en cas de flagrant délit, il peut être procédé à son arrestation. Le Président de l’Assemblée
est immédiatement informé et l’arrestation prend fin si le bureau le requiert. »
11 Article 58 de la Constitution : « Lors de sa prise de fonctions, chaque membre de l’Assemblée des Représentants
du Peuple prête le serment suivant : « Je jure par Dieu Tout-Puissant de servir la patrie avec dévouement, je
m’engage à respecter les règles de la Constitution et d’être d’une loyauté sans faille envers la Tunisie » ».
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rendre dans la capitale, la Constitution prévoyant que son vote au sein de l’Assemblée
est personnel et ne peut pas être délégué (art. 60).
II.2. Une Assemblée autonome et dotée des moyens de son action
L’Assemblée jouit de l’autonomie administrative et financière, le constituant ayant pris
soin de rappeler à la fois que celle-ci s’exprime « dans le cadre du budget de l’Etat »,
et que ce dernier doit mettre « à la disposition de l’ARP les ressources humaines et
matérielles nécessaires au député pour la bonne exécution de ses fonctions » (art.
52). Cette autonomie constitutionnalisée est une grande avancée qui, là encore,
garantit que l’institution n’est pas soumise à l’exécutif dans le cadre de la gestion de
son fonctionnement interne, et qu’elle disposera des moyens nécessaires à l’exercice
de son mandat. Il s’agit notamment des ressources matérielles et techniques dont
les parlementaires, mais aussi les groupes constitués par ceux-ci, doivent disposer. Il
s’agit encore d’une fonction publique parlementaire dédiée, qui n’existait pas sous la
première République, mais dont le développement est seul à même de garantir que
l’administration de la chambre n’est pas soumise à l’influence du pouvoir exécutif, qui
contrôle la fonction publique d’Etat.
L’ARP, fixe elle-même son règlement intérieur à la majorité absolue de ses membres,
celui-ci étant soumis au contrôle obligatoire, de la Cour constitutionnelle (art. 120).
La Chambre dispose ainsi d’une grande latitude dans son organisation (Bureau, vicePrésidents, Conférence des Présidents, groupes parlementaires) mais la Constitution
énonce quelques règles obligatoires.
Son Président doit impérativement être élu au cours de la première séance plénière
(art. 59). Celui-ci joue un rôle particulier dans l’architecture institutionnelle développée
par la Constitution. L’existence d’un « bureau de l’Assemblée » est par ailleurs évoquée
à l’article 69 concernant l’immunité pénale des députés, la Constitution ne s’exprimant
ni sur sa composition ni sur la nature de son mandat. L’article 59 exige, de plus, la
création de commissions permanentes et de commissions spéciales, en prenant le
soin d’évoquer que leur composition et le partage des responsabilités en leur sein
seront répartis en application du principe de la représentation proportionnelle. Cette
disposition doit être précisée par le règlement intérieur, et traduit le rôle important
attribué aux groupes parlementaires – expression organique de la diversité politique
au sein de la chambre.
Si le Règlement intérieur devra définir le nombre de commissions parlementaires
permanentes et spéciales, et quel sera le mandat de chacune, certaines d’entre-elles
sont d’ores et déjà constitutionnalisées : ainsi, la « Commission chargée des finances » et
la « Commission chargée des Relations extérieures », dont la présidence de la première
et la fonction de rapporteur de la seconde sont attribuées de droit à l’opposition
parlementaire (art. 60); ou encore une « commission spécialisée » chargée des contrats
d’investissement relatifs aux ressources naturelles (article 13 de la Constitution), ainsi
qu’une « commission compétente » pour discuter du budget du Conseil supérieur de
la magistrature (article 113).
L’ARP siège chaque année en une session ordinaire unique, qui se déroule d’octobre
à juillet (art. 57), le détail précis de son calendrier étant laissé à la discrétion de
la Chambre. L’Assemblée peut par ailleurs se réunir en session extraordinaire à la
demande du Chef de l’Etat, du Chef du Gouvernement ou du tiers de ses membres.
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LA CONSTITUTION DE LA TUNISIE - Processus, principes et perspectives
En dehors de circonstances exceptionnelles, l’Assemblée des représentants du peuple
siège à Tunis (art. 51).
II.3. Une opposition parlementaire consacrée par la Constitution
Dans la perspective de se démarquer des pratiques autoritaires du passé, la Constitution
consacre le rôle de l’opposition parlementaire. Il s’agit de l’un des grands acquis du
processus de transition démocratique en Tunisie, l’un de ceux qui furent âprement
discutés et réclamés par la population tunisienne au cours du processus constitutionnel12.
L’opposition devient ainsi, aux termes de l’article 60 de la Constitution « une composante
essentielle de l’Assemblée des représentants du peuple » ; sa représentation « adéquate
et effective dans toutes les instances de l’Assemblée ainsi que dans ses activités internes
et externes » est garantie. Cela impose notamment d’inclure au moins un député de
l’opposition dans chacun des organes de l’ARP et dans chaque délégation parlementaire
qui sera envoyée sur le territoire tunisien ou à l’étranger. L’opposition aura de plus la
possibilité de former et présider une commission d’enquête par an. Par ailleurs la
fonction de Président de la Commission des finances, ainsi que celle de rapporteur de la
Commission des relations extérieures, lui sont réservées.
Ce que la Constitution en revanche ne dit pas, c’est comment l’opposition sera
définie. Ceci revient au règlement intérieur. Dans une Assemblée relativement
diverse car élue au scrutin proportionnel, et qui ne connait donc pas le phénomène
bipartisan, la question peut s’avérer complexe. L’opposition est-elle composée
des députés qui n’appartiennent à aucun groupe parlementaire composant la
majorité gouvernementale ? Quid alors des indépendants, ou des parlementaires
élus sur la liste d’un parti ayant rejoint le gouvernement, mais membres d’un autre
groupe parlementaire ? Ou bien le statut d’opposant doit-il être déduit du vote contre
la confiance au gouvernement ? Il s’agit bien sûr de trouver un compromis entre une
définition trop restrictive, réduisant l’opposition à la portion congrue, et une autre
trop large, rassemblant des parlementaires appartenant à des horizons politiques
différents, sans objectif commun au sein de la chambre.
Le rôle de l’opposition parlementaire est en effet essentiel en cas de « majorité
concordante », c’est à dire lorsque le parti dont est issu le Président de la République
est aussi le parti majoritaire en sièges au Parlement. Il reviendrait alors à l’opposition
parlementaire de garantir le contrôle effectif de l’exécutif à travers notamment l’usage
des questions parlementaires, des auditions ou des commissions d’enquête. Rempart
contre le retour de l’autoritarisme, l’opposition pourra alors s’appuyer sur son statut
constitutionnel et les droits qui lui sont attribués. Parmi ceux-ci figure notamment la
possibilité ouverte en application de l’article 120 de la constitution à trente membres
de l’ARP de saisir la Cour constitutionnelle pour se prononcer sur la constitutionnalité
d’un projet de loi, et ce, jusqu’à sept jours après son adoption par l’ARP.
12 Voir notamment à ce sujet les comptes rendus des réunions décentralisées qui se sont tenues dans le
cadre du Dialogue national sur le projet de constitution entre décembre 2012 et mars 2013, « Dialogue
National sur le projet de la Constitution : rapport général », Programme des Nations Unies pour le
Développement, mars 2013, p. 35.
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II.4. Une Assemblée au cœur de l’équilibre institutionnel
Seule institution au sein de laquelle l’opposition politique est obligatoirement
représentée, l’Assemblée des représentants du peuple s’inscrit donc résolument au
cœur de l’architecture constitutionnelle. Caution démocratique, elle est impliquée
dans de nombreux processus institutionnels et les pouvoirs de l’Exécutif à son encontre
sont limités.
II.4.1 Le Parlement, caution démocratique du système institutionnel
L’Assemblée des représentants du peuple est directement impliquée dans la formation
ou la composition des institutions de l’Etat où le pluralisme doit être garanti.
Ainsi, l’ARP doit approuver à la majorité absolue de ses membres la nomination du
gouverneur de la Banque centrale par le Président de la République, et peut le révoquer
à la demande d’un tiers de ses membres, après un vote à la majorité absolue de ses
membres (article 78). Par ailleurs, l’ARP élit à la majorité qualifiée quatre membres (soit
un tiers) de la Cour constitutionnelle (article 120), ainsi que l’ensemble des membres des
cinq instances constitutionnelles indépendantes du chapitre VI (article 125). Enfin, les
membres de l’ARP peuvent parrainer les candidats à l’élection présidentielle (article 74).
II.4.2 Le Président de l’Assemblée des représentants du peuple : un rôle de coordination
Le Président de l’ARP dispose d’un rôle particulier au sein de la Constitution
tunisienne, qui le mentionne plus de vingt fois. En dehors de ses fonctions au sein de
la Chambre, qui seront identifiées et précisées par le Règlement intérieur, le Président
de l’ARP, « primus inter pares », se voit attribuer des fonctions, qu’il exerce au nom de
l’Assemblée, de « coordination » garantissant une certaine fluidité des relations interinstitutionnelles. Le Président transmet les informations institutionnelles entre le Parlement et les
autres pouvoirs. C’est à lui que le Président de la République transmet la décision
d’inconstitutionnalité d’un projet de loi par la Cour constitutionnelle (art. 66) ; c’est lui
qui est chargé de transmettre le règlement intérieur de l’ARP à la Cour pour contrôler sa
conformité avec la Constitution (art. 120). C’est encore lui qui est informé de l’arrestation
d’un membre de l’ARP en cas de flagrant délit (art. 69), informé de la délégation
provisoire des pouvoirs du Président de la République au Chef du gouvernement (art.
83) ou de la démission du Chef du gouvernement (art. 98) ; à lui que sont transmis les
rapports annuels produits par la Conseil supérieur de la magistrature (art. 114), la Cour
de Cassation (art. 115), le Tribunal administratif supérieur (art. 116), ou la Cour des
Comptes (art. 117). C’est de nouveau au Président de l’ARP que reviendra la charge de
soumettre les propositions de révision de la Constitution à la Cour constitutionnelle
pour vérifier que celles-ci ne portent pas sur les matières déclarées intangibles par la
Constitution (art. 144). Enfin, la motion de censure du gouvernement, ou celle visant
au retrait de la confiance à l’un des membres du gouvernement, est déposée auprès
du Président de l’ARP (art. 97).
Outre ce rôle, certaines tâches qui lui sont attribuées relèvent d’une logique plus active,
dans le cadre de la garantie de l’équilibre des pouvoirs. Ainsi, au-delà de trente jours
après le début des « circonstances exceptionnelles » de l’article 80 de la Constitution,
période durant laquelle l’Assemblée est déclarée en état de réunion permanente,
le Président de l’ARP peut saisir la Cour constitutionnelle afin de contrôler que les
circonstances exceptionnelles perdurent. Il partage cette capacité avec les membres
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LA CONSTITUTION DE LA TUNISIE - Processus, principes et perspectives
de l’Assemblée, dès lors que deux tiers d’entre eux en expriment le souhait.
Le Président de l’ARP est aussi membre de droit du Conseil de sécurité nationale, et
doit donner son accord (ainsi que le Chef du gouvernement) lorsque le Président de
la République décide d’envoyer des troupes à l’étranger (art. 77). Si la déclaration de
guerre doit être approuvée par trois cinquièmes des députés cette disposition revêt
un sens particulier dans le contexte actuel, où l’essentiel des interventions militaires
prend la forme d’interventions ponctuelles et limitées souvent décidées loin de
l’enceinte parlementaire. Le Président de la République ne pourra donc pas en prendre
la décision sans l’approbation du Président du parlement.
Par ailleurs, en cas de vacance définitive de la présidence de la République, le Président
de l’ARP sera immédiatement investi des fonctions de Président de la République de
manière provisoire, au titre de l’article 84 de la Constitution. C’est, enfin, au Président
de l’Assemblée sortante que revient le devoir de convoquer la première réunion de
la nouvelle Assemblée, dans les quinze jours suivant la proclamation définitive des
résultats des élections législatives (article 57).
II.4.3 Les limites posées à l’influence de l’Exécutif sur le Parlement
Afin de conserver au Parlement ce rôle central tout en limitant la capacité de l’Exécutif
à influer sur lui, la Constitution organise la protection de ses prérogatives. Ainsi la
possibilité qu’a le Président de la République de dissoudre l’Assemblée en application
des articles 89 et 99 de la Constitution est-elle très étroitement encadrée, et limitée
au cas où le Parlement ne parviendrait pas à accorder sa confiance à un nouveau
gouvernement. Par ailleurs, cette dissolution est impossible dans les six mois suivant
le vote de confiance au premier gouvernement issu des élections législatives, ou dans
les six derniers mois de la législature ou du mandat présidentiel (article 66), ainsi que
dans les circonstances exceptionnelles de l’article 80. Dans les faits, les conditions de
la dissolution seront donc rarement remplies.
Enfin, la possibilité donnée par l’article 65 à l’Exécutif d’émettre exceptionnellement
des normes règlementaires dans le domaine réservé de la loi au moyen des décretslois est elle aussi très étroitement encadrée. Des conditions temporelles et matérielles
strictes sont imposées et un contrôle a posteriori du législateur lui-même est instauré.
*
L’Assemblée des représentants du peuple est donc un parlement résolument fort.
L’indépendance du député est garantie, l’autonomie administrative et financière de
l’institution constitutionalisée. En outre, la Constitution garantit une implication pleine
et entière de la Chambre au cœur du système institutionnel, tout en la protégeant des
pressions de l’Exécutif. Le Parlement dispose ainsi des outils nécessaires à l’exercice de
son mandat, qu’il convient de préciser.
III. Le mandat de l’Assemblée des représentants du peuple
L’Assemblée des représentants du peuple est le Parlement de la deuxième République
tunisienne. Elle est, à cet égard, investie des fonctions de représentation des citoyens,
de contrôle de l’Exécutif et d’élaboration de la loi. Elle dispose par ailleurs du pouvoir
budgétaire.
III.1. Une Assemblée qui représente les citoyens
La Constitution de la IIème République exprime le profond attachement du constituant
492
à la démocratie représentative. Ce principe est exprimé dès l’article 3, qui, tout
en indiquant que « le peuple est le dépositaire de la souveraineté et la source des
pouvoirs », rappelle aussi qu’il « les exerce à travers ses représentants élus ». La fonction
de représentation est ainsi tout à la fois la source de légitimité et le fondement de
l’existence des différentes fonctions parlementaires, et, au-delà, des autres pouvoirs
constitués. La notion de représentation est à ce point consubstantielle à celle de
l’existence du Parlement que l’on n’en trouve pas une énonciation unique dans la
Constitution. Elle se retrouve dans l’ensemble du texte.
La fonction de représentation est celle autour de laquelle s’articule la relation entre
les citoyens et le Parlement : « les parlements tiennent leur autorité du peuple, et la
préservation de cette autorité les oblige à évoluer et à s’adapter constamment aux
attentes du peuple13 ». La conception moderne du parlementarisme s’est clairement
distanciée de la notion de mandat impératif. Le constituant de 2014 a donc pris soin de
fixer certaines règles permettant de garantir l’indépendance des parlementaires, en se
prononçant notamment pour un vote personnel du député qui ne peut être délégué,
et en consacrant son immunité civile et pénale pour les positions qu’il exprime dans
le cadre de son mandat. Cependant, le parlementaire exerçant son mandat au nom
du peuple, il est essentiel qu’il maintienne et développe ses liens avec les citoyens
au cours du temps au-delà de la période d’échange et de débat qui est celle de la
campagne électorale.
La représentation des citoyens peut se concevoir selon deux perspectives : celle,
individuelle, du député, ainsi que celle, collective, de l’institution parlementaire prise
dans sa globalité.
A titre individuel, le parlementaire interagit avec les citoyens, tout particulièrement
au sein de sa circonscription. Il s’y rend régulièrement, s’implique dans la vie de
la communauté, recueille les opinions et les doléances des citoyens vis-à-vis de la
politique mise en œuvre par le gouvernement. Il informe par ailleurs les citoyens sur
les orientations prises par les institutions. Ces moments privilégiés, qui sont rendus
possibles par des « semaines de circonscription » établies par le règlement intérieur
de l’Assemblée, sont par ailleurs l’occasion pour le député de présenter son action
personnelle au sein du Parlement.
A titre institutionnel, la représentation des citoyens revêt différentes formes, toutes
aussi importantes dans le fonctionnement du Parlement. Afin de renforcer les liens entre
l’institution et les citoyens, il est tout d’abord essentiel que ceux-ci en comprennent le
rôle. L’existence d’une information claire, précise et concise sur le rôle institutionnel et
le fonctionnement de l’Assemblée, ainsi que sur son travail quotidien, sera un facteur
décisif de la confiance que les citoyens porteront à l’institution. Cette information doit
pouvoir s’appuyer sur un ensemble d’outils mêlant campagnes de sensibilisation, usage
des technologies de l’information et de la communication (existence d’un site internet,
présence sur les réseaux sociaux), outils de communication classique (communiqués,
conférences de presse), l’organisation de l’ouverture des locaux parlementaires, de
manière permanente (participation des citoyens aux sessions plénières et aux sessions
des commissions) ou ponctuelle (visites, journées portes ouvertes), etc. Le Parlement,
institution de l’Etat, est soumis aux obligations constitutionnelles de transparence
et d’accès à l’information qui s’appliquent à toutes les administrations de l’Etat,
13 Voir « Rapport parlementaire mondial : l’évolution de la représentation parlementaire », Programme des
Nations Unies pour le Développement et Union Inter-Parlementaire, avril 2012, p. 25.
493
LA CONSTITUTION DE LA TUNISIE - Processus, principes et perspectives
en application des articles 15 et 32 de la Constitution. Le Règlement intérieur de
l’Assemblée veillera par ailleurs à établir des mécanismes permettant l’établissement
d’un dialogue avec les citoyens et la société civile, afin d’organiser des échanges
réguliers et d’alimenter le travail parlementaire par les considérations et les attentes
de la société tunisienne, dans ses différentes composantes. Ces mécanismes peuvent
notamment prendre la forme de consultations sur des thèmes généraux ou des projets
de loi spécifiques, ou encore d’auditions, organisées par exemple dans le cadre du
travail des commissions parlementaires.
Enfin, il est une dimension qui se retrouve en filigrane dans le texte constitutionnel, dès
le quatrième alinéa du préambule de la Constitution14, il s’agit du fait que l’Assemblée
représente le pluralisme du peuple tunisien, et donc sa diversité politique. L’une des
conditions de la confiance que portera le peuple à l’institution parlementaire, tout
particulièrement à l’issue d’une transition démocratique qui a jeté à bas un système
autoritaire fondé sur la toute-puissance d’un parti unique, sera sa capacité à structurer
durablement la représentation des différentes tendances politiques en son sein.
La Constitution pose ainsi les bases de ce principe lorsqu’elle consacre le statut de
l’opposition (article 60), et impose la répartition de la composition et des responsabilités
au sein des commissions parlementaires à la représentation proportionnelle (article
59). Le Règlement intérieur de l’ARP a ainsi la tâche essentielle de déterminer le statut,
le rôle et le fonctionnement des groupes parlementaires, qui sont l’expression de la
structuration de la diversité politique au sein de l’Assemblée.
III.2. Une Assemblée qui contrôle le pouvoir exécutif
Si la fonction de représentation repose sur l’articulation des relations entre les citoyens
et le parlement, elle dispose d’un corollaire, qui repose lui sur l’articulation des
relations entre le Parlement et le pouvoir exécutif : il s’agit du contrôle parlementaire.
L’Assemblée, vecteur privilégié de transmission des attentes de la population, exerce en
effet un contrôle de l’action de l’Exécutif, de son administration et des politiques qu’il
met en place. Dans la Constitution tunisienne, ce contrôle s’exerce à l’égard des deux
« têtes » d’un Exécutif bicéphale, le Président de la République et le gouvernement.
III.2.1 Formation et contrôle de l’action du gouvernement par l’Assemblée
Le gouvernement est directement issu de la majorité parlementaire : au termes de
l’article 89 de la Constitution, « le Président de la République charge le candidat du parti
politique ou de la coalition électorale ayant obtenu le plus grand nombre de sièges au
sein de l’Assemblée des représentants du peuple, de former le gouvernement ».
Cependant, d’un point de vue organique, le gouvernement se détache de l’Assemblée
après sa formation. Il doit, certes, lui présenter un « bref exposé de son programme
d’action », et obtenir la confiance de la Chambre à la majorité de ses membres. Mais,
il prête serment devant le Président de la République (article 89) et les fonctions de
membre du gouvernement et de représentant ne pourront être cumulées – ce qui
14 Alinéa 4 du préambule de la Constitution : « En vue d’édifier un régime républicain démocratique et
participatif, dans le cadre d’un Etat civil dans lequel la souveraineté appartient au peuple, par l’alternance
pacifique au pouvoir à travers des élections libres et sur le fondement du principe de la séparation des
pouvoirs et de leur équilibre, un régime dans lequel le droit de s’organiser reposant sur le pluralisme,
la neutralité de l’administration et la bonne gouvernance, constitue le fondement de la compétition
politique », […].
494
limite théoriquement les échanges de personnel politique entre les deux institutions.
Tout en garantissant des rapports étroits entre gouvernement et le Parlement, ces
dispositions éloignent ainsi le système mis en place par la Constitution tunisienne de
2014 d’un régime parlementaire « pur », ce dernier conservant un lien organique fort
entre parlement et gouvernement.
Une fois formé et tout au long de son action, le gouvernement est responsable devant
l’Assemblée des représentants du peuple (article 95). Cette responsabilité politique
s’exprime dans le cadre de la reddition des comptes, c’est à dire notamment à l’occasion
de l’exercice, par les parlementaires, de leur droit constitutionnel à questionner le
gouvernement (article 96) sur l’orientation de sa politique et les moyens mis en œuvre
pour y parvenir. Si le gouvernement, ou son administration, ignore les questions, les
mises en cause ou orientations des parlementaires, ceux-ci peuvent faire tomber le
gouvernement dans son ensemble - c’est la « motion de censure » – ou provoquer
la démission d’un membre du gouvernement uniquement – il s’agit du « retrait de
confiance ». Un tiers des parlementaires peut ainsi présenter une motion motivée au
Président de l’Assemblée, recourant à l’une ou à l’autre de ces procédures (article 97).
Afin d’affirmer sa légitimité auprès du parlement, le Chef du gouvernement lui-même
peut solliciter le renouvellement de la confiance de l’ARP. Le gouvernement sera réputé
démissionnaire en cas d’échec du vote de confiance, qui s’exerce aussi à la majorité
absolue de la Chambre. Le Président de la République peut, lui aussi, demander à
l’ARP de renouveler sa confiance au gouvernement, dans des conditions qui seront
évoquées plus loin.
III.2.2 La destitution du Président de la République par l’Assemblée
Le Président de la République, Chef de l’Etat, est garant de sa continuité et « veille
au respect de la constitution » (article 72 de la Constitution). Il dispose d’une relation
particulière avec l’Assemblée des représentants du peuple, relation qui participe
étroitement à l’équilibre des pouvoirs mis en place par la norme fondamentale. Après
son élection, il prête ainsi serment devant l’Assemblée15. Il peut par ailleurs, au cours
de son mandat, s’adresser à la Chambre aux termes de l’article 79 – sans que ne soit
précisée la nature, orale ou écrite, de ces communications.
Le président de la IIème République tunisienne n’est pas, loin s’en faut, le chef de l’Etat
impuissant d’un régime parlementaire : un certain nombre de responsabilités lui
échoient directement aux termes de la Constitution. C’est le cas, notamment, de la
déclaration sur l’existence de « circonstances exceptionnelles », décrites à l’article 80,
et qui permettent de déroger à la normalité constitutionnelle en attribuant à l’Exécutif
des pouvoirs accrus.
La Constitution a cependant prévu un ensemble de dispositions permettant un contrôle
du Chef de l’Etat par le Parlement. Si le texte dispose formellement que le Président
ne peut répondre politiquement devant la chambre de ses actes accomplis dans le
cadre de ses fonctions, elle prévoit en revanche une procédure de destitution dans
les cas les plus extrêmes de « violation de la Constitution » (article 88) : une initiative
motivée doit être présentée par une majorité des membres de l’ARP, puis adoptée par
les deux tiers de ses membres. Si l’initiative est adoptée, la décision ultime de destituer
15 Article 76 de la Constitution : Le Président de la République élu prête devant l’Assemblée des représentants
du peuple le serment suivant : « Je jure par Dieu Tout-Puissant de sauvegarder l’indépendance de la Tunisie
et l’intégrité́ de son territoire, de respecter sa Constitution et ses lois, de veiller à ses intérêts et lui être loyal ».
495
LA CONSTITUTION DE LA TUNISIE - Processus, principes et perspectives
le Président reviendra à la Cour constitutionnelle qui tranchera à la majorité des deux
tiers de ses membres.
Cette procédure, proche de l’« impeachment » existant au sein du système présidentiel
des Etats Unis d’Amérique, est une forme de contrepartie à l’immunité garantie à
l’article 87 de la Constitution. C’est en quelques sorte un garde-fou juridique érigé par
le constituant, qui garde en mémoire les dérives présidentielles de la Ière République.
III.2.3 Les outils constitutionnels de rationalisation du parlementarisme
Afin de limiter les excès éventuels de l’usage par le Parlement de ses outils de contrôle,
dont pourrait résulter une forte instabilité gouvernementale, un ensemble de
dispositions constitutionnelles vient l’encadrer, instaurant un régime équilibré au sein
duquel chaque pouvoir dispose de moyens d’agir sur l’autre.
Tout d’abord, la motion de censure à l’encontre du gouvernement ne peut être adoptée
par la Chambre que si, lors du même vote, elle s’accorde sur le nom d’un nouveau chef
de gouvernement. La Constitution tunisienne instaure ainsi un système de censure
dite « constructive », similaire à celui mis en œuvre par la constitution de la République
fédérale d’Allemagne. La Tunisie ne peut donc être privée de gouvernement en raison
d’une motion de censure parlementaire. En outre, aucune motion de censure ne peut
être présentée au cours des six mois suivant l’échec d’une première motion (article 97),
ou bien durant la période très particulière d’une présidence de la République exercée
par interim (article 86) durant laquelle la stabilité des institutions doit être préservée.
Par ailleurs, le Président de la République peut demander à l’Assemblée de renouveler
sa confiance au gouvernement, et ce, à deux reprises au maximum durant son
mandat. Si le gouvernement n’obtient pas la confiance de l’Assemblée, et que le
nouveau gouvernement composé par la personnalité désignée par le Président de la
République n’obtient pas la confiance dans les trente jours suivants, le Chef de l’Etat
peut dissoudre l’ARP et provoquer des élections législatives anticipées. Cette mesure
permet à l’Exécutif de conserver un moyen de pression sur le Parlement, notamment
dans les cas où l’Assemblée pourrait exprimer une tendance à entraver l’action
gouvernementale, sans pour autant aller jusqu’à la censure. Le Président peut ainsi
forcer l’ARP à s’engager politiquement, soit en affirmant son soutien au gouvernement
actuel, soit en le forçant à la démission et en acceptant ainsi la formation d’un nouveau.
Cet outil mis à la disposition du Président de la République est cependant à double
tranchant, et le titulaire de la Présidence devra l’utiliser avec parcimonie. En effet, si la
confiance de l’Assemblée au gouvernement est renouvelée à deux reprises selon ces
modalités, c’est lui qui doit démissionner (article 99 de la Constitution).
III.3. Une Assemblée qui légifère et approuve les traités
« Le peuple exerce le pouvoir législatif à travers ses représentants à l’Assemblée des
représentants du peuple ou par voie de référendum » (article 50 de la Constitution).
Fonction parlementaire classique s’il en est, la discussion et le vote de la loi occupent
une place centrale dans le travail de l’ARP. La Constitution distingue entre proposition
de loi, présentée par au moins dix députés, et projets de loi qui émanent du Président
de la République ou du Chef du gouvernement (art. 62). Bien que ces derniers
soient examinés en priorité, la Chambre conservera le contrôle de son ordre du jour,
selon les règles qui seront définies par son règlement intérieur. Enfin, seul le Chef
496
du gouvernement est compétent pour présenter des projets de loi concernant la
ratification des traités internationaux ou les projets de loi de finances.
III.2.4 Lois ordinaires, lois organiques : le domaine de la loi
La Constitution distingue entre lois ordinaires, qui seront votées à la majorité des
membres présents, à condition que celle-ci ne soit pas inférieure au tiers des membres
de l’ARP, et lois organiques, pour lesquelles la majorité absolue des membres de
l’Assemblée est requise (art. 64). Tout en garantissant ainsi que les sujets considérés
comme les plus délicats par la Constitution disposent d’un large appui du Parlement,
et ne souffriront ainsi pas d’une remise en cause de leur légitimité, cette disposition
permet à la Chambre de réunir une majorité simple dans le cadre de son travail sur les
lois ordinaires, même en cas d’absentéisme parlementaire.
L’article 65 de la Constitution présente une liste des matières relevant du domaine
de la Loi, en précisant celles qui prennent la forme d’une loi ordinaire, et celles
qui doivent être adoptées comme lois organiques. Les matières qui ne sont pas
mentionnées relèvent du pouvoir règlementaire. Si le recours à ce procédé pourrait
théoriquement contribuer à limiter le champ législatif (puisqu’il s’agit d’une liste finie),
la forme prise par l’énumération paraît assez large et devrait donc plutôt, en pratique,
contribuer à restreindre les incursions règlementaires. On y retrouve en effet, aux
côtés de dispositions classiques – relatives aux libertés publiques et individuelles, à la
nationalité, à la détermination des crimes et délits et des sanctions afférentes, à l’impôt
et au budget, à la mise en œuvre de dispositions institutionnelles, à la décentralisation,
l’organisation de l’armée, un certain nombre de mentions beaucoup plus vastes qui
pourraient contribuer à élargir le champ d’action du législateur16.
16 Article 65: Sont adoptés sous forme de lois ordinaires, les textes relatifs à:
- La création des catégories des établissements et des entreprises publics et les procédures organisant leur
cession ;
- La nationalité ;
- Les obligations civiles et commerciales ;
- Les procédures devant les différents types de juridictions ;
- La détermination des crimes et délits et des sanctions leur correspondant, ainsi que les infractions
entraînant une privation de liberté ;
- L’amnistie générale ;
- La délimitation de l’assiette de l’impôt, de ses taux et de ses procédures de recouvrement, sauf
délégation accordée au Chef du Gouvernement en vertu des lois de finances ou des lois à caractère fiscal ; - Le régime d’émission de la monnaie ;
- Les crédits et les engagements financiers de l’État ;
- La détermination des hautes fonctions ;
- La déclaration du patrimoine ;
- Les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires ;
- Le régime de ratification des traités ;
- Les lois de finances, la clôture du budget et la ratification des plans de développement ;
- Les principes fondamentaux du régime de propriété, des droits réels, de l’enseignement, de la recherché
scientifique, de la culture, de la santé publique, de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de
l’urbanisme, de l’énergie, du droit du travail et de la sécurité sociale.
Les textes qui prennent la forme de lois organiques sont ceux relatifs à :
- La ratification des traités ;
- L’organisation de la justice et de la magistrature ;
- L’organisation de l’information, de la presse et de l’édition ;
- L’organisation des partis, des syndicats, des associations, des organisations et ordres professionnels et de
leur financement ;
- L’organisation de l’armée nationale ;
- L’organisation des forces de sécurité intérieure et des douanes ;
497
LA CONSTITUTION DE LA TUNISIE - Processus, principes et perspectives
La Constitution prévoit certes, en son article 70, la possibilité d’intervention du pouvoir
règlementaire dans des secteurs relevant normalement du domaine législatif en usant
de « décrets-lois », mais cette éventualité est strictement encadrée et limitée à deux
cas de figure : lorsque le pouvoir législatif ne siège plus car l’ARP a été dissoute et dans
ce cas les décrets-lois pris par le président de la République uniquement seront soumis
à l’approbation de la Chambre lors de la session ordinaire suivante, ou lorsque l’ARP a
elle-même délégué au chef du gouvernement le pouvoir de promulguer des décretslois relevant normalement du domaine de la loi. La double condition est cependant
que l’objet de la délégation soit circonscrit et que la durée de cette délégation n’excède
pas deux mois. Dans ce cas encore, les textes promulgués par le gouvernement sont
soumis à l’approbation de la Chambre à l’expiration de cette période.
Cette exception qui permet au pouvoir exécutif de se substituer au pouvoir législatif
doit ainsi être perçue comme la volonté du constituant d’éviter l’incapacité de produire
de nouvelles normes, que ce soit en raison de l’absence temporaire du pouvoir législatif
ou en raison de l’encombrement de celui-ci, tout en conservant la procédure sous un
contrôle ultime a posteriori du législateur.
Par ailleurs, de nombreux articles de la Constitution précisent expressément que
certaines matières relèvent du domaine législatif. C’est le cas de nombreux domaines
évoqués par les articles du chapitre I sur les principes généraux de la Constitution, du
chapitre II réservé aux droits et libertés, ou encore du chapitre V sur le pouvoir judiciaire.
C’est enfin le cas de l’article 49, qui détermine le régime général des restrictions qui
pourront être appliquées seulement par la loi aux droits et libertés constitutionnelles,
« sans porter atteinte à leur essence ». Celles-ci ne pourront être décidées que dans
les cas de « nécessité exigée par un état civil et démocratique, et dans l’objectif de
protéger les droits d’autrui, la sécurité publique, la défense nationale, la santé publique
ou la morale publique, en respectant le principe de la proportionnalité des restrictions
à l’objectif recherché », sous le contrôle des instances juridictionnelles, et en premier
lieu de la Cour constitutionnelle.
Enfin, et bien que le Parlement dispose par ailleurs du mandat d’approuver la loi
de finances, cette dernière s’impose à toutes les institutions une fois adoptée: la
Constitution précise ainsi que les « propositions de lois et d’amendements présentés
par les députés ne sont pas recevables s’ils portent atteinte aux équilibres financiers
arrêtés dans la loi de finance ».
III.2.5 L’approbation des traités internationaux par l’Assemblée
L’Assemblée des représentants du peuple approuve la ratification des traités
internationaux (article 92). Cette approbation consiste en l’adoption d’un projet de loi
- La loi électorale ;
- La prorogation de la législature conformément aux dispositions de l’article 56 ;
- La prorogation du mandat présidentiel conformément aux dispositions de l’article 75 ;
- Les libertés et les droits de l’Homme ;
- Le statut personnel ;
- Les devoirs fondamentaux de la citoyenneté ;
- Le pouvoir local ;
- L’organisation des instances constitutionnelles ;
- La loi organique de budget.
Toutes les matières qui ne relèvent pas du domaine de la loi sont du domaine du pouvoir réglementaire
général.
498
présenté par le Chef du gouvernement, qui a la responsabilité de conclure « les traités
internationaux à caractère technique ». Le traité ainsi approuvé par le Parlement entre
en vigueur après ratification par le Président de la République (art. 77) et publication
au Journal officiel, a une valeur supérieure à la loi et inférieure à la Constitution dans la
hiérarchie des normes tunisiennes (art. 20).
III.2.6 L’encadrement constitutionnel du pouvoir législatif
Le Parlement, au cours de l’exercice du pouvoir législatif, doit composer avec les
autres pouvoirs dans le cadre d’un système institutionnel établissant un ensemble de
contrôles et de contre-pouvoirs.
- Le contrôle de constitutionnalité
Ainsi en va-t-il tout d’abord du contrôle de constitutionnalité des lois par la Cour
constitutionnelle. La Cour peut être saisie par le Président de la République, le Chef du
gouvernement ou trente membres de l’ARP dans un délai de sept jours après adoption
d’un texte de loi (art. 120). Dans le cas où la Cour dispose d’un délai de quarante cinq
jours pour rendre sa décision (art. 121) et renvoie le texte au Président de la République,
qui le transmet à l’Assemblée pour modification (art. 122).
- Le renvoi à l’Assemblée pour seconde lecture avant promulgation
Le Président de la République promulgue la loi adoptée, et ordonne sa publication au
Journal officiel de la République tunisienne. Cependant, l’article 81 de la Constitution
lui attribue aussi la capacité de renvoyer un texte de loi adopté par l’Assemblée devant
celle-ci pour une seconde lecture, dans un délai de cinq jours après expiration du délai
de recours pour inconstitutionnalité. La décision du renvoi doit être motivée. Le renvoi
a pour effet d’exiger un nouveau vote – avec ou sans modification du texte originel –
qui se fera avec des règles de majorité plus contraignantes qu’en première lecture, soit
la majorité absolue pour les projets de lois ordinaires et une « super-majorité » des trois
cinquièmes pour les lois organiques. On notera cependant que l’Assemblée pourra
passer outre l’avis du Chef de l’Etat, qui ne dispose donc pas d’un droit de veto et devra
impérativement promulguer une loi adoptée après deux lectures de la chambre.
- Le recours au référendum populaire
L’article 3 de la Constitution le mentionne d’emblée, « le peuple est le dépositaire de
la souveraineté et la source des pouvoirs qu’il exerce à travers ses représentants ou
par référendum ». Le principe du partage du pouvoir législatif entre le peuple et le
Parlement est rappelé à l’article 50 consacré au pouvoir législatif. Au cours du délai
de renvoi d’un texte de loi, c’est à dire treize jours maximum après son adoption par
l’Assemblée des représentants du peuple (soit sept jours pour le délai du recours en
inconstitutionnalité auxquels s’ajoutent les cinq jours du délai de renvoi), le Président
de la République a ainsi la capacité de soumettre le projet de loi au vote populaire, s’il
concerne l’approbation des traités internationaux, les droits de l’Homme et les libertés
ou le statut personnel (art 82). L’usage du référendum est ainsi très étroitement encadré
dans le temps, dans la substance et dans le « moment institutionnel » – puisque le texte
soumis au référendum doit d’abord avoir été discuté et voté par les représentants. Tout
en introduisant ainsi une part de démocratie directe, le constituant semble ainsi avoir
voulu écarter le risque d’une utilisation plébiscitaire du référendum : s’il permet en
quelque sorte de vérifier la conclusion d’un débat parlementaire directement auprès
du peuple, il ne permet en aucun cas au Président de la République de court-circuiter
499
LA CONSTITUTION DE LA TUNISIE - Processus, principes et perspectives
le parlement.
III.2.7 La révision de la Constitution
Il est un type d’activité législative qui revêt une signification particulière : la
modification de la Constitution. Le chapitre VII de la Constitution lui est réservé. Aux
termes de l’article 143, l’initiative d’une proposition de révision appartient à la fois au
Président de la République et à un tiers des membres de l’Assemblée des représentants
du peuple, celle du président ayant priorité. L’article 144 encadre de manière très
stricte la procédure afin que celle-ci ne puisse être détournée pour modifier ce qui a
été déterminé par le constituant comme élément fondamental du contrat social.
Tout d’abord, le Président de l’ARP devra soumettre la proposition à la Cour
constitutionnelle afin de contrôler que celle-ci ne porte pas sur les matières intangibles
du texte et en premier lieu, les articles 1 et 2 sur la nature de l’Etat, et les articles du
chapitre II concernant « les acquis en matière de droits de l’Homme et de libertés »,
conformément à l’article 49. Un double vote est ensuite prévu au sein de l’ARP ; tout
d’abord sur le principe d’une révision, qui doit être approuvé à la majorité absolue
(le texte ne le dit pas, mais on suppose, en raison de l’importance de la procédure,
qu’il s’agit de la majorité des membres de l’Assemblée, et non seulement des membres
présents) ; ensuite sur le contenu de la proposition elle-même, qui requiert cette fois
l’approbation des deux tiers des membres de l’ARP. Toute proposition de révision
aura donc besoin d’un large soutien au sein de la Chambre pour avoir une chance
d’être approuvée. Le Président de la République pourra certes soumettre la révision
au référendum populaire, mais il ne pourra le faire qu’après un vote de l’Assemblée.
III.4. Une Assemblée qui vote le budget et contrôle son exécution
Suivant en cela une conception classique du rôle du parlement, la Constitution
tunisienne attribue à l’Assemblée des représentants du peuple la fonction de discuter
et voter le budget de l’Etat. La chambre vote les lois de finances initiales et rectificatives,
ainsi que la clôture du budget. L’article 66 encadre la procédure, notamment en termes
de délais, tout en se référant à la loi organique du budget qui devra venir préciser les
conditions d’exercice de cette fonction.
III.4.1 Le vote du budget
La fluidité de la transmission des informations par le pouvoir exécutif est essentielle
au bon exercice de la fonction budgétaire ; par ailleurs, l’existence d’un budget
validé en début d’année conditionne le fonctionnement normal des institutions de
l’Etat. Les délais formulés par l’article 66 sont donc à la fois très précis, et plus courts
que ceux réservés au processus législatif habituel. Le projet de loi de finances doit
ainsi être présenté au plus tard le 15 octobre à l’ARP, qui dispose de moins de deux
mois (jusqu’au 10 décembre) pour l’adopter. De même, pour ce texte, procédure de
renvoi pour deuxième lecture par le Président de la République, comme procédure de
recours devant le conseil constitutionnel sont accélérées17. Ultime précaution, l’article
17 Le Président dispose de deux jours pour renvoyer le texte en deuxième lecture, et l’ARP disposera de
trois jours pour le second examen du texte ; le délai de recours en inconstitutionnalité sera de trois jours et
la Cour devra se prononcer dans les cinq jours de la date de recours (article 66 de la Constitution).
500
66 établit que « dans tous les cas de figure, la promulgation [de la loi de finances] se fait
au plus tard le 31 décembre », et précise que si cela ne pouvait être le cas, il est possible
de l’exécuter par tranche de trois mois renouvelable par décret présidentiel.
III.4.2 Le contrôle de l’exécution du budget
La fonction budgétaire de l’Assemblée va, bien sûr, bien au-delà du travail sur la loi de
finances annuelle. Dans une démocratie représentative moderne, le rôle du parlement
est essentiel pour garantir la bonne gouvernance en matière de finances publiques.
Plus encore, à travers son rôle de détermination des recettes et des dépenses de l’Etat,
le parlement oriente les politiques publiques, contrôle leur bonne exécution au fur et
à mesure de leur réalisation, et examine les résultats au terme de l’année budgétaire.
La fonction budgétaire représente ainsi, en quelque sorte, un « fil conducteur » pour
les autres fonctions parlementaires que sont celles de la représentation et du contrôle.
C’est à travers elle que le parlement dispose d’une capacité d’influence directe et
régulière pour orienter l’action du pouvoir exécutif.
Le contrôle budgétaire constitue un outil d’autant plus important qu’il s’exerce dans
un pays en transition démocratique à la suite d’un soulèvement populaire traduisant
l’attente de résultats concrets en matière de développement économique à l’échelle
nationale, mais aussi dans les territoires. Le constituant évoque d’ailleurs la ratification
des plans de développement comme relevant du domaine de la loi, au même alinéa
que la loi de finances.
Certes, la Constitution ne s’étend pas sur les modalités du contrôle budgétaire exercé
par l’Assemblée des représentants du peuple. L’article 117 mentionne, parmi les rôles
attribués à la Cour des comptes, celui d’ « aider les pouvoirs législatifs et exécutifs à
contrôler l’exécution de la loi de finances et la clôture du budget ». Le Parlement peut
donc compter sur la Cour et devra renforcer sa collaboration avec elle, notamment
afin d’obtenir les informations nécessaires à l’exercice de son contrôle. La Commission
des finances, l’une des rares évoquées par la Constitution, occupe un rôle central à cet
égard, en coordination avec les autres commissions parlementaires dans leur domaine
spécifique. L’article 113 de la Constitution sur le Conseil supérieur de la magistrature
évoque ainsi le rôle de la « commission compétente » de l’ARP, devant laquelle le
Conseil doit discuter son budget. L’Assemblée, à travers notamment ses différentes
commissions parlementaires, peut faire usage de l’article 95 de la Constitution18
pour exiger le partage des informations nécessaires, et convoquer ministres ou
fonctionnaires des différentes institutions de l’Etat pour venir justifier, lors d’auditions,
de l’utilisation des crédits publics. Les députés peuvent, par ailleurs, faire usage des
droits personnels que constituent les questions parlementaires orales ou écrites de
l’article 96.
Conclusion
L’Assemblée des représentants du peuple, le Parlement monocaméral de la IIème
République tunisienne, est ainsi une ssemblée forte et moderne, disposant à la fois
des instruments nécessaires à son bon fonctionnement et de la capacité d’influer sur
les autres pouvoirs constitués.
L’ARP est au cœur du système institutionnel tunisien. Elle dispose des fonctions de
18 Article 95 : « Le gouvernement est responsable devant l’Assemblée des représentants du peuple ».
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LA CONSTITUTION DE LA TUNISIE - Processus, principes et perspectives
représentation des citoyens, de contrôle du pouvoir exécutif, d’élaboration de la loi,
de vote du budget de l’Etat et du contrôle de son exécution. L’Assemblée est le lieu
dans lequel se matérialise la diversité politique de la Tunisie, l’institution au sein de
laquelle l’opposition politique dispose d’un rôle et d’un statut constitutionnels. Les
représentants du peuple possèdent les garanties leur permettant d’exercer leurs
fonctions en toute quiétude, protégés – mais non sans contrôles – des pressions
extérieures. La Constitution prévoit par ailleurs des limitations des outils institutionnels
dont dispose le pouvoir exécutif pour influer sur le Parlement. Enfin, la Constitution
donne à l’Assemblée un rôle général de facilitateur voire de caution démocratique
dans l’architecture institutionnelle du pays.
La Constitution tunisienne de 2014 marque ainsi, à bien des égards, une rupture. Tout
d’abord, en raison bien sûr des conditions de son élaboration, à la suite d’une révolte
populaire contre un régime autoritaire, inégalitaire et dysfonctionnel. Mais aussi d’un
point de vue substantiel : elle consacre de nombreux droits et libertés individuels, et
redonne le rôle central au parlement dans un système institutionnel, qualifié de mixte,
dont les évolutions durant la seconde moitié du XXème siècle ont plutôt eu tendance
à limiter le rôle de l’institution parlementaire au profit de celui de l’Exécutif.
Remettre le Parlement au cœur des institutions, c’est avant tout remettre le peuple
et les citoyens au centre de celles-ci. C’est donc une volonté de mieux répondre aux
attentes et revendications croissantes, exprimées par les Tunisiens dans un contexte
général de défiance croissante à l’égard du personnel politique.
La Tunisie, son peuple et ses institutions, sont en effet confrontés à des défis multiples.
Celui de la mise en œuvre du texte constitutionnel, de sa pratique et de l’interprétation
qui en sera faite ; mais aussi un contexte économique et social difficile, et un
environnement international complexe.
La Tunisie, qui a déjà suscité l’admiration pour la manière dont elle a su conduire
la première phase de sa transition démocratique, doit trouver les ressources lui
permettant de les relever avec succès. Sa Constitution promulguée le 27 janvier 2014,
et les institutions que celle-ci instaure, le lui permettent.
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