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Médiapart Serge Dassault sèche le procès de son homme de main 10 MAI 2016 | PAR YANN PHILIPPIN L’avionneur et ancien maire de Corbeil-Essonnes a prétexté un voyage à l’étranger pour ne pas honorer la convocation de la cour d’assises de l’Essonne, qui juge son principal agent d’influence à Corbeil pour tentative d’assassinat sur fond d’achats de voix présumés. Serge Dassault ne viendra pas à la barre défendre Younès Bounouara, son ami de trente ans de la cité des Tarterêts, jugé depuis ce matin aux assises pour tentative d’assassinat. L’avionneur et ancien maire de Corbeil-Essonnes, qui était le témoin le plus attendu de ce procès, n’a pas répondu à sa convocation. Son avocat a fait savoir par courrier qu’il est retenu à l’étranger pour cause d’obligations professionnelles qu’il n’a pas pu chambouler car la convocation aurait été « trop tardive ». À moins que ce voyage fort opportun ne soit pour l’avionneur un moyen de s’assurer qu’il ne comparaîtra pas, le président de la cour n’ayant pas le pouvoir d’aller le faire chercher hors de France… « Je le regrette, monsieur le président, car j’estime que ce témoignage était essentiel », a déploré Me Marie Dosé, l’avocate de la victime, Fatah Hou. Le 19 février 2013, il était grièvement blessé par balles par Younès Bounouara, peu après avoir piégé Serge Dassault avec une caméra cachée au sujet de la corruption électorale présumée à Corbeil-Essonnes, et des 2 millions d’euros que l’avionneur avait versés à son agent d’influence Bounouara. Dassault, Bounouara et l’actuel maire de Corbeil, Jean-Pierre Bechter, sont d’ailleurs tous trois mis en examen pour « achats de votes » ou « complicité » pour les élections municipales de 2008, 2009 et 2010. Bechter, qui était d’ailleurs lui aussi convoqué comme témoin, a pour sa part justifié son absence par un certificat médical. S’il a bien été hospitalisé durant trois mois à l’été 2015, il a pourtant repris ses fonctions trois mois plus tard, et présidait le conseil municipal du 2 mai dernier. On peine donc à comprendre qu’il ne puisse pas s’exprimer devant une cour d’assises… Bref, Dassault et Bechter n’ont manifestement pas envie de s’expliquer, alors que toute l’affaire tourne autour des millions déversés par l’avionneur dans les cités de Corbeil, lesquels ont engendré des règlements de comptes sanglants. Lors de l’exposé des faits, le président de la cour a rappelé que Fatah Hou « avait attesté début 2009 devant le Conseil d’État d’un système d’achats de votes, notamment dans le quartier populaire des Tarterêts, dont Younès Bounouara était un maillon essentiel ». Ce témoignage avait contribué à faire invalider Dassault, qui avait alors fait élire à sa place son salarié Jean-Pierre Bechter. Le président a également rappelé que, peu après que Fatah Hou, lui aussi issu des Tarterêts, a coréalisé une vidéo très compromettante pour Dassault et Bounouara, l’avionneur a sollicité, cinq jours avant la fusillade, le numéro de l’ambassade du Maroc, apparemment pour qu’il l’aide à régler le problème Fatah Hou. Malgré cette« corrélation certes troublante », la piste d’« hypothétiques commanditaires » de la tentative d’assassinat présumée « était abandonnée » par les enquêteurs, a glissé le président. En attendant d’aborder les faits, la cour s’est penchée sur la personnalité de l’accusé. « Je n’ai jamais voulu tuer cette personne », lance-t-il, avant de résumer sa ligne de défense. Il aurait « craqué » car il aurait été constamment harcelé depuis des années par une« équipe » comprenant Fatah Hou, qui aurait voulu lui extorquer de l’argent ainsi qu’à Serge Dassault. « Je voulais qu’ils arrêtent, je n’arrivais plus à vivre, je m’enfuyais dès que possible en Algérie dès que j’avais un problème. Je ne pouvais même plus aller au McDo avec mes enfants sans avoir peur. » Plusieurs témoins, dont son frère et même la policière qui a dirigé l’enquête, ont attesté ces menaces subies par Bounouara. Le problème, c’est que l’homme de main de Dassault n’a pu reprocher aucun fait précis à Fatah Hou. Surtout, il n’a jamais porté plainte à l’époque. C’était à cause la « peur », a soutenu son frère. L’avocate de la victime souligne au contraire qu’il n’a porté plainte pour racket que plusieurs mois après avoir tiré sur Fatah Hou, alors qu’il était en cavale en Algérie et qu’il « préparait sa défense ». Svelte, visage taillé à la serpe, cheveux soigneusement tirés en catogan : à 43 ans, Younès Bounouara, n’a plus rien à voir avec le gamin obèse, surnommé « gros lézard », qu’il était lors de sa jeunesse aux Tarterêts. Issu d’une famille algérienne, il perd son père à sept ans. Sa mère, illettrée et ne parlant pas le français, doit s’occuper seule de Younès, de son frère et de ses cinq sœurs. Il décroche un BEP d’électricien, arrête l’école sans obtenir son bac pro, et enchaîne les petits boulots. L’enquêtrice de personnalité explique que tout le monde le décrivait, dans les années 1990, comme un jeune « très attachant ». Un garçon « extrêmement sympa, vif, intelligent, jovial, avec une grande gueule, qui se mêlait de tout, qui avait l’ambition de se rendre utile et de rendre service aux autres ». Il est proche des jeunesses communistes et de son chef de file Bruno Piriou, qui deviendra par la suite l’opposant numéro un à Dassault. Il manifeste pour la libération de Nelson Mandela et contre les dealers, après qu’une série d’overdoses a ravagé les Tarterêts. Arrive « la rencontre qui a changé votre vie, votre rencontre avec Monsieur Dassault », lui lance le président, qui projette aux jurés une photo d’époque de Bounouara, posant, tout sourire, avec l’avionneur dans son jet privé. Grâce à Dassault, il devient éducateur et chef d’entreprise en contrat avec la ville. Ses proches le décrivent là encore avec le cœur sur la main, et la volonté de réinsérer par le travail les jeunes en difficulté des Tarterêts. Tout en devenant, grâce à son mentor, un homme fort prospère. Il est surtout décrit comme l’un des « patrons du quartier », dont l’influence a rendu bien des services à Dassault pour calmer les jeunes de la cité. Bounouara est ravi de ce portrait de bon samaritain dressé par ses proches. Un tableau toutefois obscurci par le détail de son casier judiciaire, qui comporte onze condamnations pour détention de fausse monnaies et divers petits délits, dont des outrages à agents et une affaire de violences dans le bar qu’il possédait. Il se trouve que, dans ce dernier dossier, l’une des victimes (laquelle n’était pas non plus un enfant de chœur) déclarait avoir été menacée par deux individus à la sortie de l’hôpital pour l’inciter à ne pas porter plainte, car Bounouara était « le petit protégé de Serge Dassault » et qu’un coup de fil suffirait pour le protéger. Le « protégé » a démenti à la barre. Il a par contre reconnu avoir menacé ses victimes de mort s'il ne « sortait pas », mais en assurant qu’il s’était seulement « excité ». Bounouara traverse un passage à vide à la fin des années 2000. Grâce à une opération chirurgicale, il maigrit de 100 kilos. Mais il dit avoir perdu au passage une bonne partie de son autorité. C’est à partir de là qu’on aurait commencé à le racketter. D’autant que Serge Dassault lui a donné 2 millions d’euros, officiellement pour monter une entreprise en Algérie. Mais l’enquête judiciaire, résumée à la barre par deux policiers de la brigade criminelle de Versailles, a mis au jour une autre explication. Bounouara est décrit par plusieurs témoins comme l’un des chefs du réseau présumé d’achats de votes qui auraient permis de faire réélire Serge Dassault et Jean-Pierre Bechter. Et il n’aurait pas redistribué les 2 millions d’euros de Dassault aux agents de terrain. Quoi qu’il en soit, l’ambiance devient irrespirable. En janvier 2013, un lieutenant présumé du système, Rachid Toumi, fait l'objet d’une tentative d’homicide par balles après avoir été harcelé par des agents électoraux présumés qui réclamaient leur dû. Tandis que Fatah Hou, dont le beau-frère aurait lui aussi été arnaqué, piège Serge Dassault avec une caméra cachée au sujet de la corruption électorale présumée. Le milliardaire y avoue qu’il a « réglé Younès », et que si Bounouara n’a pas redistribué,« c’est son problème ». C’est à la suite de la révélation de cette vidéo par Le Canard enchaîné que Younès Bounouara a tiré sur Fatah Hou.