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Economie
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Des entrepreneuses en mal
Typhaine Lebègue, docteur en Sciences de gestion, professeur à l’Escem, est l’auteur de la première
thèse en France sur l’entrepreneuriat au féminin. Source d’épanouissement et d’équilibre entre
sphère familiale et professionnelle, la création d’entreprise au féminin représente également un
levier économique important pour l’Hexagone.
E
Typhaine Lebègue,
enseignant-chercheur
à l’Escem, est l’auteur
de la première thèse
en France sur
l’entrepreneuriat
au féminin.
n France, seulement 30 % des
chefs d’entreprise sont des
femmes, contre 48 % aux
Etats-Unis, et seulement 29 % d’entre
elles se lancent dans l’entrepreneuriat alors qu’elles composent 50 % de
l’auditoire lors des réunions d’informations, selon une étude récente.
« Pourtant, l’entrepreneuriat féminin représente un formidable réservoir de croissance, a rappelé Hervé
Novelli, ancien secrétaire d’Etat aux
PME. Les femmes représentent 46 %
de la population active alors qu’elles
ne représentent que 28 % des entrepreneurs dans les TPE-PME.»
C’est dans ce contexte que Typhaine
Lebègue, docteur en Sciences de gestion, professeur en entrepreneuriat à
l’Escem, est allée durant quatre
années à la rencontre de 107 femmes
en France, au Canada et en Belgique,
afin de les interroger sur leur parcours, leurs difficultés, leurs doutes,
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leur organisation... « Sans aucun postulat de départ, je souhaitais étudier ce qui se passe durant la phase
de conception et de création de leur
entreprise. Il n’existait aucune étude
française spécifique aux entrepreneuses », explique-t-elle. Typhaine
“
tecte d’intérieur pour qui il était primordial d’apporter d’abord du bienêtre à ses clients. Autre motivation
récurrente, l’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle, même si
ces entrepreneuses « ne travaillent
pas moins. L’entreprise leur apporte
CES VOCATIONS ENTREPRENEURIALES
AU FÉMININ REPRÉSENTENT UN LEVIER
ÉCONOMIQUE FONDAMENTAL ”
Lebègue a suivi plus particulièrement
une dizaine de femmes en France (5
en projet et 5 en début de création),
à travers des entretiens mensuels.
Les résultats ont montré des motivations singulières à la création :
« L’entreprise doit être un vecteur
d’épanouissement pour elle mais
aussi pour les autres », rapporte
Typhaine Lebègue qui cite une archi-
une liberté dans la gestion de leur
emploi du temps, tout en étant responsables à 100 % de leurs choix, ce
qui peut engendrer de la culpabilité par rapport à leur famille ». De
plus en plus de créations interviennent après une remise en question,
qui peut être liée à un récent licenciement comme à une période comme le congé maternité. Baptisées les
« mom’preneurs », ces femmes qui
lancent leur activité suite à la naissance de leurs enfants sont toujours
plus nombreuses. Autre spécificité
de ces chefs d’entreprise au féminin:
« Beaucoup veulent limiter les risques par rapport à leur famille et
se lancent en fonds propres, sans
prêt, ce qui limite le développement
de leurs activités », souligne l’auteur:
4,1 % seulement des femmes font
appel aux business angels. Et 87 %
des entreprises créées en 2008 ne
comptent aucun salarié, contre 75 %
en 1993.
Typhaine Lebègue s’est aussi intéressée à tous les freins à la création,
qui pourraient expliquer la déperdition de vocations (29 % de créatrices
contre 50 % intéressées). Outre la
de légitimité
non-viabilité du projet ou le manque
de soutien de leur entourage, les
femmes rencontrent un problème
de légitimité. « C’est lié à la notion
de self efficacy : est-ce que je vais être
assez solide ? Car l’entrepreneuriat
est un métier qui demande une
capacité d’apprentissage », rappellet-elle.
D’autres difficultés sont récurrentes : communiquer avec les banques,
réseauter pour avoir une visibilité
commerciale et ne pas rester cantonnées à leur territoire de proximité. « Ces femmes ont du mal à se
sentir légitimes, à développer une
stratégie commerciale pour se vendre et vendre leurs produits. Pour
elles, il y a souvent une connotation
péjorative dès que l’on parle de prix,
de financement », commente Typhaine Lebègue qui souligne le manque de réseaux ouverts ou dédiés
aux femmes, pourtant indispensables
à leur développement (voir encadré).
« En Bretagne, seuls 16 % des réseaux sont mixtes. Il faut que ces
femmes d’affaires réussissent à mettre en œuvre une véritable stratégie
marketing, afin de s’ériger en modèles de chefs d’entreprise de TPEPME auxquels chacune puisse
s’identifier. » Dernier intérêt à motiver les vocations entrepreunariales
chez les femmes, la courbe démographique : « 75 % des femmes entrepreneuses actuelles ont plus de 50
ans. Cela signifie que dans les prochaines années, un nombre important d’entreprises détenues par les
femmes seront à reprendre. Si l’on
ajoute les transmissions d’entreprises – tous sexes confondus – que
l’Insee estime à 700 000, on ne peut
nier que les femmes représentent un
potentiel de développement entrepreneurial dont la France ne peut
plus se passer ». Une réalité démographique qui renvoie à la problématique plus globale de la parité.
Malgré les nombreuses initiatives
menées par les entreprises comme
par l’Etat pour favoriser l’emploi des
femmes, les résultats sont encore
insuffisants. Or, selon une étude du
cabinet Mc Kinsey, « si le taux d’emploi des femmes reste constant, une
pénurie de 24 millions de personnes
actives est à prévoir en 2040 en Europe ; en revanche, si le taux d’emploi des femmes atteignait celui des
hommes, cette pénurie pourrait être
ramenée à 3 millions d’actifs ».
Elise Pierre
Des réseaux dédiés aux « working girls »
A Bourges, le centre de ressources Solen (Service d'optimisation et de
lancement pour l'entrepreneuriat) a décidé de s'engager activement
pour « favoriser l'insertion des femmes dans le monde de l'entrepreneuriat et renforcer leur représentation dans la hiérarchie organisationnelle »,
résume Anne-Lucie Clausse, directrice. Adossé à l’Association des femmes chefs d’entreprise de France, la structure a pour ambition de « répondre aux problématiques rencontrées par les femmes dirigeantes et,
plus largement, par toutes celles qui exercent des responsabilités dans
les instances politiques et juridiques ou dans les organisations publiques et
privées ». Tutorat, séminaires, accompagnement de projets citoyens,
mais aussi réseautage pour s'identifier à un groupe, partager ses préoccupations, trouver des mentors vers lesquels s'identifier ou tout simplement booster sa carrière. Autant d'outils spécifiques qui participent
à renforcer le potentiel de leadership des femmes et à lever les freins à
leur évolution professionnelle.
A Tours, le réseau « Working girls » propose de réunir des chefs d’entreprise indépendantes d’Indre-et-Loire pour partager leurs expériences, leurs idées et leurs contacts professionnels. Les savoirs sont
mutualisés dans trois pôles de compétences : l'assistance juridique ou
commerciale pour les entreprises, les services aux particuliers et les
métiers de la création.
La délégation Touraine du réseau Femmes 3000 a été lancée en 2006 à
l’initiative de Stéphanie Gherissi. La fédération a pour mission de donner de la visibilité aux femmes et à leurs projets.
Solen : 02 46 47 02 18/19
Working girls : http://www.facebook.com/WorkingGirlsRegionCentre
Femmes 3000 : 02 47 21 99 30 et http://femmes3000touraine.blogspirit.com/
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