Du rififi dans la pop music - Iowa Research Online

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Du rififi dans la pop music - Iowa Research Online
Department of Communication Studies Publications
1-1-2008
Du rififi dans la pop music: une histoire oubliee du
droit d'auteur
Kembrew McLeod
University of Iowa
Copyright © Presses Universitaires de France, 2008. Posted by permission of the publisher.
Rue Descartes, 60, 2, 2008, pp. 105-113. http://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2008-2.htm
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toute une jeunesse américaine». Et l’article de
conclure que «[le rock] est aujourd’hui une
musique classique (au bon sens du terme). Et
qu’il soit “hard” ou “punk”, c’est le même rythme
qu’Elvis avait dans les hanches 57 . » Ce rythme
que les Rolling Stones, malgré toutes leurs contradictions, n’auront jamais autant incarné, aux yeux
des camarades, qu’un certain jour d’octobre 1 9 7 3. Dans les années soixante-dix, au
mépris de la géographie la plus élémentaire, la
route de Memphis passait par Bruxelles.
K EMBREW MCLEOD *
Du rififi dans la pop music : une
histoire oubliée du droit d’auteur
Atteintes au droit d’auteur, dégradation de
panneaux publicitaires, une obscure société
se crè t e : les I l l u m i n a t i , une légende de la cou n try :
Tammy Wynette, et l’incinération d’un million de
l ivres sterling en espèces – ces expédients disparates ont tous été employés par Bill Drummond et
Jimmy Cauty, un très britannique duo anarchiste et
pop dissimulé derri ère divers pseudonymes : The
Ti m e lords, The Justified Ancients of Mu Mu, The
JAMS, et The KL F (pour Kopyright Liberation Fron t ,
e n tre autres sens répertoriés). Entre 1 98 7 et 1 9 9 2 ,
ils ont réussi à entrer à sept reprises dans le Top 1 0
anglais et à s’imposer sur le marché américain avec
des titres comme 3 A.M. Etern a l ou Justified And
A n c i e n t – ce dernier parvenant au premier rang des
ventes dans pas moins de dix-huit pays1 ! Ces
57 . « E l v i s e s t mo r t , v i v e l e r oc k ! » , AG , s e p t e mb r e 1 9 7 7 .
* P r o f es s eu r a ssoc i é au dépa r t emen t d ’ É t ude s de
c ommun i ca t i on de l ’ un i ve r s i t é d ’ I owa . I l t i en t à
r e me r c i e r so n a s s i s t a n t e E v e l yn Bo t t ando pou r
s on a i de dans l a r éda c t i on de ce t a r t i c l e .
1 . I n Pau l S i mp son , The Rough Gu i de t o Cu l t Pop ,
Rough Gu i de s , Lond r e s , 200 3 , p . 199 . | 2 . E l l e e s t
si ngl es, d’un kitsch extrême, restent la principale
raison de se souvenir d’eux – pour autant que ce
soit le cas – comme d’un groupe t e c h no-pop f a n t a isiste (l’antienne « KLF is gonna rock ya ! » est
i n crustée à jamais dans les synapses de millions
d ’ e n tre nous 2).
Leur extrême popularité, brève mais ubiquitaire, a
sensiblement oblitéré leur contestation des industries culturelles, radicale et parfois hilarante –
émules fantomatiques d’un Théodore Adorno de
pacotille dont la praxis aurait su exploiter les
ressources d’une boîte à ryt h m es ! Dans cet esprit,
The KLF a pratiqué une manière de plagiat tout à la
fois agressif et créatif – qu’on appelle sa m p l i ng ou
« é c h a n t i l lon n age » – qui a anticipé sur les incursions précoces de Public Enemy dans le débat sur
le droit d’auteur 3, mais également sur les espiègleries activistes d’un groupe comme Negativland
(lequel a été traîné en justice dès 19 91 pour avoir
osé sampler et caricaturer des superstars du roc k
comme U 2). Leur premier album, 1 9 8 7 (What The
Fuck Is Going On ?) 4 sorti sous leur nom de The
Justified Ancients of Mu Mu, a fait un usage extensif et délibéré du sa m p l i ng avec des extraits des
Monkees, des Beatles, de Whitney Houston, ou
d’Abba – les notes de pochette portant reve n d i c ation d’avoir affranchi la musique « de toutes restri ctions liées au copyrigh t ». À cet égard, The KLF
peut être considéré comme le premier groupe de
musique pop à avoir élaboré une idéologie de l’« art
i l l éga l », bien que ses membres fussent assez peu
enclins à se laisser cataloguer comme de vulgaires
con trevenants au droit d’auteur.
« Pour ce qui est du sampling, écrivit Drummond
dans un de leurs nombreux bulletins intitulés KLF
Communications Info Sheets, je suis sûr que nous
e x t r a i t e d e 3 A . M . E t e r n a l , KL F Commun i c a t i on s ,
1989 . | 3 . Dans «Caugh t , Can I Ge t A W i t n ess ? » , i n
I t t a kes a na t i on o f m i l l i ons t o ho l d us bac k , De f
Jam , 1988 , Chu ck D . r appa i t : Caugh t , now i n Cou r t
’ cause I s t o l e a bea t / Th i s i s a samp l i ng spor t ! – «E n
é t a t d ’ a r r es t a t i on , me vo i l à au t r i buna l pa r ce que
j ’ a i vo l é un r y t hme / Ce n ’ e s t pou r t an t qu e du s am p l i n g ! » | 4 . KLF Commun i ca t i ons , 1987 .
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allons continuer à le pratiquer et probablement à
être inquiétés pour cela, mais il n’a jamais constitué qu’une partie de l’ensemble du processus de
production de nos disques, et non pas leur véritable raison d’être 5 . » Ce qui ne les a cependant
pas empêchés de balancer des vannes comme :
« Les lois sur la propriété intellectuelle ont été
inventées par des avocats, non par les artistes 6 . »
Drummond et Cauty font figure de « m egast ars »
comparativement à ce collectif étiqueté « c u l t e »
de colleurs de sons nommé Negativland – dont le
de facto port e-p arole a pu observer : « Nous n’avons
jamais eu de chanson phare, mais nous avons eu
un procès phare ! » Comparativement aussi à
d ’ a u tres hors-la-loi musicaux comme John Oswald,
dont le P l u n d erp hon i cs de 1 98 8 provoqua l’ire des
avocats de Michael Jackson.
Vu l’amplitude de la renommée de The KLF, on peut
s’étonner que des artistes relativement peu connus
comme Negativland aient pu laisser des traces bien
plus profondes qu’eux dans l’histoire du sa m p l i ng
ou des collages sonores et autres transgressions
acoustiques. Mais s’il est vrai que The KLF n’est en
aucune façon l a f igure centrale de cette histoire, il a
toutefois été le premier relais, efficace et prol i f i q u e ,
auprès d’un très large public, d’une authentique
critique du droit d’auteur, de l’auctorialité, de la
propriété intellectuelle. Dans son périple musical, le
groupe se laissa « i n t erpol er» dans le «sp e c t a c l e» ,
pour re pre n dre une expression de Guy Debord, puis
il prit la tangente et disparu t .
Les Illuminati contre The KLF : hackers et autres mécréants
Les œuvres de Negativland et de JohnOswald sont à
coup sûr et de manière délibérée plus « d i ff i c i l es»
5 . KLF I n f o She e t : 22 Jan 1988 . The L i b r a r y o f Mu .
h t t p : / / www . l i b r a r y o f mu . o r g | 6 . B en Bu t l e r .
« I n t e r v i ew :
Th e
KL F ’ s
J a me s
Cau t y . »
Ro c k n e r d . o r g , 18 j u i n 2003 . h t t p : / / r oc kne r d . o r g
7 . « Oh Wh i t ne y , s ’ i l - t e - p l a î t , v i ens r e j o i nd r e
l e s JAMS ! » | 8 . « T ’ a s vu l e s a r t i c l e s qu i nous
conce r nen t , nan…? » | 9 . « Ahhhhh Wh i t ney a r e j o i n t
l es JAMS ! » | 10 . The KLF f ea t u r i ng t he F i r s t Lady
que la musique de Drummond et Cauty. Mais ces
d erniers savaient « f a ire du boucan », au propre
comme au figuré. Ainsi leur si ngl e de 19 87 intitulé
Whitney Joins the JAMS : son objet était de
« k i d n a p p er» la voix de la diva pop Whitney Houston
pour la forcer à «re joi n dre » le groupe. « Oh Whitney,
please please please join the JAMS ! 7 » hurlait
Drummond sur la musique de M ission : Impossible,
accompagné d’une boîte à rythmes et de divers
extraits sa m p l és ; et d’ajouter : « You saw our
reviews, didn’t ya ? 8 ». Puis, après quelques délicatesses du même genre émergeait d’un eff ara n t
collage cacophonique, et par la grâce de l’échant i l lon n e ur, un court extrait de « I Wanna Dance Wi t h
Som e body » de Whitney Houston. Drummond assenait alors un sans appel : « Ahhhhhhh, Whitney
Houston joins the JAMS ! 9 »
Maintenant, à vrai dire, une collaboration simulée
avec Whitney Houston est une chose, mais c’en
est une tout autre, et autrement plus étrange, que
d’associer la légende de la country Tammy
Wynette au morceau Justified And Ancient (stand
by the JAMS) 10 . Sidérante prestation de musique
« pop», où l’on entend Wynette chanter des
paroles telles que: « They’re Justified and
Ancient, and they drive an ice-cream van 11 » ; et
assurer les auditeurs que: «nous sommes tous en
route pour Mu Mu Land». À l’époque de cette
collaboration, Wynette put candidement dire à un
journaliste: «Mu Mu Land semble bien plus intéressante que le Tennessee, mais je n’aimerais pas
y vivre 12. » Il est important de se rappeler que The
Justified Ancients of Mu Mu – une des multiples
identités de The KLF – étaient des personnages
clés de la saga culte intitulée Illuminatus! Une
o f Coun t r y T ammy Wyne t t e , KL F Commun i c a t i ons ,
1 991 . | 11 . « I l s son t Jus t i f i é s e t An c i ens , e t
c ond u i s e n t une c am i o nn e t t e d e ma r c h a nd d e
g l a c e s . » | 12 . Robe r t Webb , « Po p : I t ’ s i n t he M i x
- Tammy Wyne t t e and t he KLF Jus t i f i ed and Anc i en t
( S t a nd by t he J ams ) ; t he I nd ependen t ’ s Gu i d e t o
P op ’ s Un l i k e l i e s t
Co l l abo r a t i on s . » T h e
I nd e p e nd e n t , Lond r e s , 3 n o v e mb r e 2 0 0 0 .
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Trilogie de Robert Shea et Robert Anton Wilson 13 .
Ce qui ne constituait pas une référence fortuite.
La trilogie servit en effet à élaborer une espèce de
cosmologie cryptée traversant l’ensemble des
projets de Drummond et Cauty.
De nombreux h a c k ers et activistes anti-copyrigh t
a dop t èrent plus tard à leur tour le côté contestat a ire de la trilogie. I l l u m i n a t us! attirait tous ceux
qui entendaient résister aux systèmes – social,
technologique, juridique – qui imposent des
restrictions aux manières de jouer avec – ou de
h a c k er – le code informatique, la musique, les
textes diffusés par les médias de masse, et même
ce qu’on appelle la réalité. « The Justified Ancients
Of Mu Mu, écrivait The KLF dans un de ses
nom breux bulletins, sont une organisation (ou
d ésorganisation) au moins aussi antique que les
I l l u m i n a t i . Ils représentent la puissance primitive
du Chaos 14 . » Mêlées aux paroles de The KLF, on
trouve des références aux épiques batailles opposant dans le roman les I l l u m i n a t i à l’ordre révolut ion n a ire de Mu Mu. Selon la trilogie de Shea et de
Wilson, les membres de Mu Mu adoraient la déesse
grecque du Chaos, É ris , en Latin D iscord i a.
Pour ce qui concerne les I l l u m i n a t i, un cert a i n
Adam Weishaupt en fonda la société secrète le
1 er mai 1 7 7 6, contraignant le gouvernement de
B avi ère à l’interd ire en même temps que les
Francs-Maçons. C’est tout ce qu’on sait sur le plan
historique, mais les choses se compliquent assez
rapidement jusqu’à la confusion – selon le chemin
qu’on fait dans l’abîme des théories conspirationnistes accompagnant le phénomène. Selon les
uns, George Washington et quelques autres figures
emblématiques de la Révolution américaine fure n t
m e m bres des I l l u m i n a t i, supposés avoir fomenté
aussi bien la Révolution américaine que la
Révolution française, sans compter à peu près tout
ce que le monde compte d’événements notables
depuis le XVI I Ie siècle. Drummond et Cauty argu èrent de manière assez convaincante que la vraie
raison pour laquelle les grandes compagnies de
disques produisaient une si mauvaise musique
était qu’elles servaient de façade aux I l l u m i n a t i –
raison pour laquelle The KLF monta sa propre
maison de prod u c t ion !
Or en une espèce de boucle de Möbius,
I l l u m i n a t us! Une Tri logi e a emprunté une bonne
p art de sa mythologie à une farce religieuse baptisée « D iscord i a n ism e » – qui comptait The KLF au
nom bre de ses fidèles ! Le Discordianisme était en
son fond une mystification émanée de la contrec u l t ure u n d ergrou n d des années soixante, et ses
tendances contestataires présentaient un attrait
tout particulier pour le mouvement tout juste naissant des h a c k ers des années soixante-dix et quatrevingt, ainsi que pour un certain nombre d’autres
opposants au droit d’auteur. Quoique décédé,
Rob ert Anton Wilson, l’un des deux auteurs
d ’ I l l u m i n a t us!, faisait figure de héros aux yeux de
nom breux h a c k ers. Il y a également des références à
Wilson dans de nombreuses versions du Jargon File ,
un glossaire d’argot h a c k er continuellement mis à
jour en ligne depuis environ 19 75 15. Le
D iscordianisme a du reste inspiré une autre re l igion
canulée, l’Église du Subgénie, qui a entretenu des
liens avec Negativland – son Révérend Père
F on d a t e ur, Ivan Stang, ayant participé au chefd'œ uvre du groupe, Escape From Noise 16. Le Jargon
F i l e , finalement publié sous le titre The New
H a c k er’s Dictionary 17, contient également un
c ertain nombre de références à l’Église du
Subgénie, au Discordianisme, et à un cert a i n
nom bre d’autres thèmes associés.
13 . Rob e r t An t o n W i l s on e t Ro be r t She a , T h e
I l l um i na t us t r i l ogy ! , De l l Pub l i s h i ng co , New
ad r e s s e s Web : h t t p : / / www . c a t b . o r g / j a r g on / e t
h t t p : / / www . cc i l . o r g / j a r gon / | 16 . SST Re co r ds ,
1 9 87 . | 17 . E r i c Ra ymo nd , The N ew H a c k e r ’ s
D i c t i o n n a r y , M I T P r e s s , Camb r i d ge (MA ) , 1996 ;
t r ad u c t i o n f r an ç a i s e s o u s l e t i t r e L e
C y b e r l e x i s : D i c t i onna i r e du j a r gon i n f or ma t i que ,
Dunod , Pa r i s , 1997 .
Yo r k , 19 84 . T r a du c t i o n f r a nç a i s e pa r G i l l e s
Fo u r n i e r , L i b r a i r i e de s Ch amps - É l y sé es , Pa r i s ,
1998 .
| 14 . S t u a r t Yo ung , « Th e KL F &
I l l um i n a t u s ! » h t t p : / / e a s y w e b . e a s y n e t . c o . u k /
? s t ue y / k l f / 23 . h t m | 15 . Vo i r no t amme n t d e s
108 | KEMBREW MCLEOD
Bien que Drummond et Cauty fussent économiquement bien plus puissants que des artistes
comme Negativland, ils partageaient avec eux de
nombreux traits communs, parmi lesquels un goût
immodéré pour les calembours conceptuels. Un
bon exemple en est leur traitement de l’affaire
Abba, après qu’ils eurent samplé le hit mondial
« Dancing Queen » sur leur premier album.
Lorsque le groupe suédois eut engagé une action
en justice contre la «libération» de sa musique, le
duo diabolique se rendit à Stockholm à la fin de
1 9 8 7. On raconte que The KLF se mit à brûler de
nombreux exemplaires de son disque au pied de
l’immeuble abritant les bureaux de Polar Music, la
maison de production d’Abba, tandis qu’une prostituée habillée comme une de leurs chanteuses
recevait un album d’or factice sur lequel figurait
l’inscription: « Ventes supérieures à zéro ». Et Jim
Cauty de commenter alors: «Nous savions que
personne ne nous prêterait attention. Mais nous
avons pensé que si nous allions au Tribunal en
ayant tout fait pour faire valoir notre côté du
problème, cela nous aiderait un peu. Et ça a fini
par marcher, puisque Abba a accepté de laisser
tomber le procès en dommages et intérêts, pourvu
que nous arrêtions pour notre part de fabriquer et
de diffuser notre album 18 . » Évidemment Cauty
n’explique pas en quoi brûler des albums et utiliser des prostituées pouvait plaider en leur faveur !
Un autre de leurs si ngl es, tru ffé d’extraits sa m p l és
de l’époque – All You Need Is Love 19 , leur
pre m i ère production sous le nom de The Justified
Ancients of Mu Mu – n’était ni plus ni moins
qu’une critique politique part i c u l i èrement acerbe
des médias des années quatre-vingt et de leur trai-
tement de l’épidémie de SIDA. Tout comme
Negativland avec Escape From Noise et Public
E nemy avec Fear Of A Black Planet 20 , The KLF
mixait alors des bandes sonores tirées des actualités avec des extraits sa m p l és d’airs populaires
pour prod u ire des déclarations politiques. Dans la
chanson citée, Drummond «ra p p a i t » : « With this
killer virus who needs war?/ Immanentize the
eschaton/ I said shag shag shag some more 21 ». A l l
You Need Is Love était tru ffé de sons venus des
B eatles – on devine aisément de laquelle de leurs
chansons – mais incluait également des extraits du
groupe proto-punk MC5 – connu pour son Kick Out
The Jams que The KLF a souvent sa m p l é – ainsi
que des airs moins connus de la ringarde danseuse
pop des années quatre-vingt, Samantha Fox.
Morceau littéralement hip-hop, en raison principalement des boîtes à rythmes, des sa m p l es, ainsi
que du f low suraccentué de Drummond, par quoi
ce si ngl e peut aisément passer pour une version
punk du hip-hop, description que Dru m mon d
reprit à son compte quelque temps après.
Dans un autre registre, il existe un document de
K LF Communications daté de juillet 1 9 9 0 port a n t
sur l’« usage illicite mais efficace des graffitis sur
les panneaux publicitaires et les bâtiments
p u b l i cs ». « Le but re c h erché, y lit-on, était de
complètement subvertir la signification originale
de la publicité présentée 22. » Drummond et Cauty
faisaient référence au fait qu’ils avaient en 19 87
d é tourné des panneaux publicitaires du quotidien
pop u l a ire Tod ay représentant le Chef de la Police
du Grand Manchester, le Commissaire James
A n d erton, qui avait tenu des propos infamants sur
la communauté gay et le SIDA 23 . Par-dessus l’ac-
18 . I n Ma t Sm i t h , The G r ea t TUNE r obbe r y , Me l ody
Ma k e r , 12 dé c emb r e 1987 , c i t é i n The L i b r a r y o f
s e z en co r e ! ” » | 22 . KLF Commun i ca t i ons . « The KLF
B i og r a phy a s o f 20 t h Ju l y 1990 ( KLF B I OG 012 ) » ,
The L i b r a r y o f Mu . | 23 . « I l e s t ma n i f e s t e q u e
b e a u c o up p a t a u g e n t d a n s u n e f o s s e s e p t i q u e
d e l e u r p r op r e f a i t . I l f a u t s e d ema n d e r
p ou r qu o i l e s homo s e x u e l s p r a t i q u e n t l a s o do m i e e t b i en d ’ a u t r e s ho r r e u r s a l o r s qu ’ i l s
c onn a i s s e n t l e s d a ng e r s e n c ou r u s . »
Mu . h t t p : / / www . l i b r a r y o f mu . o r g / d i s p l a y - r e s o u r
c e . p h p ? i d = 5 2 | 19 . KL F Commun i c a t i on s , 1987 .
| 20 . De f Jam , 1990 . | 21 . « Ave c ce v i r us mo r t e l ,
qu i a b eso i n de gue r r e ? / I mmane n t i s e z l ’ e scha t on
( v e r s i on d i s c o r d i a n i s t e de : Qu ’ A r ma g e ddon
a r r i ve ) / J e vous l e r épè t e : “Ba i se z , ba i se z , ba i -
PÉRIPHÉRIES | 109
croche originale qui était Halo Halo Halo, The KL F
inscrivit Shag Shag Shag – « Baisez Baisez Baisez »
– tout contre le visage du Commissaire principal,
et fit de cette nouvelle image l’illustration de
pochette d’un des pressages d’ All You Need Is
Love . La transformation de la publicité dans une
perspective critique est un des aspects de ce qu’on
appelle cultural jamming ou « déglingage culture l »
– où artistes et activistes s’efforcent de répliquer
au «sp e c t a c l e » en créant les conditions d’un
dialogue là où il n’existe initialement qu’un monologue. L’ expression vient de Negativland et de leur
disque Over The Edge, Vol. 1 : JAMCO N’8 4 24 où
un personnage fictif du nom de Crosley B endix
pontifie autour de cette pratique : « Le studio dans
lequel opère le déglingueur culturel est le monde
dans son immensité. Ses outils lui sont fournis par
les autres, ce qui en fait un art à grands risques. »
Durant la pre m i ère Guerre du Golfe, The KLF s’en
prit ainsi à un panneau publicitaire du S u n d ay
Ti m es qui disait : The Gulf : the coverage, the
analysis, the facts 25 , en remplaçant le groupe de
l e t tres Gu par la lettre K .
À une autre occasion, quand les procès autour de
leur album 1 9 8 7 commençaient à se multiplier,
The KLF en sortit une nouvelle version – comme si
l’ensemble de l’affaire avait été planifié d’avance,
ce qui du reste est probablement le cas. La
nouvelle version de 1 9 8 7 ne comportait plus les
samples jugés illicites, mais comportait des
instructions sur la manière de recréer la version
originale de l’album à partir de vieux disques facilement disponibles. «Si vous suivez les instructions ci-dessous, vous parviendrez, avec un peu
d’entraînement, à reproduire le son de notre
24 . SST Re co r d s , 1985 , r é éd . Se e l a nd Re co r d s ,
1994 . | 25 . « Le Go l f e : t ou t ce qu ’ i l f au t s av o i r ,
d es ana l y se s , de s f a i t s . » | 26 . « How t o r e c r ea t e
t ha t au t hen t i c 1987 sound » , no t e d e poche t t e de
19 87 – The Ed i t s , KLF Commun i c a t i ons , 1987 .
| 27 . B i l l Dr ummond e t J i mmy Cau t y , The Manua l :
How t o H ave a Numbe r One H i t t he Easy Way , London ,
E l l i ps i s , 2e éd . , 1999 , p . 121 . | 28 . KLF Commun i -
album original. À cet effet, vous aurez besoin de
trois platines tourne-disque interconnectées,
d’une pile de disques sélectionnés, d’un appareil
de télévision, et d’un magnétoscope jouant une
cassette du best-of des dernières émissions de
Top of the Pops 26 . » De nos jours, l’ordinateur
fournissant des technologies d’échantillonnage
bon marché, il est possible de mettre facilement
en œuvre ces instructions – ce qui n’était pas du
tout le cas à la fin des années quatre-vingt, et
accuse d’autant la malice d’alors !
L’assassinat de l’Auteur
Les membres du KLF étaient très conscients de la
m a n i ère dont le développement de la technologie
allait dans les décennies suivantes changer le cours
de la musique populaire. « Il est évident qu’à brève
échéance les Japonais auront réduit le coût de la
technologie pour vous perm e t tre de tout réaliser par
vous-même à domicile 27. » Ils entre prirent donc à
de nombreuses reprises d’« assassiner l’Auteur»,
autant par leur musique que par leurs «m issives»
destinées au public. La critique par le duo du mythe
du génie individuel était part i c u l i èrement flagrante
sur la pochette d’un disque bénéficiant alors d’un
grand succès, Doctorin’ the Tard is 28, lancé sous
leur nom de The Ti m e lords 29. Ils y alléguèrent en
e ffet que leur automobile, une voiture de police de
m arque Ford utilisée dans le film S u p erm a n I I I ,
s’ a dressait à eux en ces term es : « S a l u t ! Je m’appelle Ford Ti m e lord. Je suis une voiture, mais j’ai
réalisé un disque. J’ai mixé et ajusté certains airs
que nous connaissons et aimons tous, j’ai rameuté
quelques copains, et j’ai fait le disque. Ça va être un
sacré h i t , à mon avis 30 !»
ca t i ons , 1 988 . | 29 . Le s T i m e Lo r ds – ou «Ma î t r e s
du Temp s » – é t a i e n t un e r a c e d ’ e x t r a t e r r e s t r e s
du f e u i l l e t on d e s c i enc e - f i c t i on de l a BBC i n t i t u l é D oc t o r Who , don t The KLF a s a mp l é l a ba nd e
o r i g i n a l e en l a mê l an t à « Rock ’ n ’ Ro l l (Pa r t 2 ) »
de Ga r y G l i t t e r , a i ns i qu ’ à d ’ au t r es mo r ce aux de
l a c u l t u r e pop b r i t a nn i qu e . | 30 . P o ch e t t e d u
s i ng l e i n t i t u l é Doc t or i n ’ t he Ta r d i s .
110 | KEMBREW MCLEOD
La manière dont The KLF abordait le sa m p l i ng
constituait en soi une attaque contre l’idée même
d’originalité, mais leur prétention à faire d’une
machine – une voiture ! – l’auteure d’une chanson
enfonça complètement le bouchon de la dérision et
de l’absurdité. Comme le dit Mark Rose dans
Authors and Owners 31, l’idée du «génie original »
est issue du mouvement romantique du début du
XIXe siècle, qui considérait qu’un grand auteur ne
pouvait créer une œuvre qu’à partir de rien. Or
l’idée selon laquelle un auteur est le se u l responsable de tous les aspects de son œuvre est un tour
de passe-passe idéologique, une fiction que
c ertains philosophes et critiques littéraires contemporains – sans parler de The KLF – ont essayé de
d é non c er. Leurs objections concernent évidemment la notion d’auctorialité, qui n’a rien de « n a t ure l » ni n’existe de toute éternité. Eff e c t ive m e n t ,
dans l’Angleterre du début du XVI I I e siècle, l’auctorialité associait deux concepts-clés hérités de la
Renaissance, à savoir (a) l’h a b i l e t é de l’homme qui
suit des règles, manipulant mots et grammaire pour
sa t isf a ire les mécènes de la Cour ; et (b) un vé h ic u l e capable de porter quelque chose de «su p éri e ur» ou de « tra nsc e n d a n t », dont on attribuait la
responsabilité à la Muse ou à Dieu. Mais le vieux
paradigme de l’auctorialité s’effrita peu à peu et
des contradictions du capitalisme naissant il en
surgit un nouveau. Les écrivains anglais – et
quelques décennies plus tard allemands – re n contraient en effet des conditions de vie de plus en
plus difficiles, dans la mesure où le système du
mécénat se disloquait tandis que dans le même
temps ne leur était off ert aucun système de prot e ction du droit d’auteur susceptible de les aider à
survivre sur le marché émergent des mots. En réaction à cette situation, les écrivains et philosophes
des Lumières entre prirent de redéfinir la façon de
concevoir l’écriture, l’auctorialité, et la propri é t é
intellectuelle. Nombre de joutes juridiques qui
dans l’Angleterre du XVI I Ie siècle conduisirent à une
législation sur le droit d’auteur étaient traversées
par ces notions nouvelles au temps des Lumières –
et même du Romantisme naissant – d’originalité,
d’auctorialité, de propriété – la notion de «propri é t é
i n d ivi d u e l l e » chère à Locke notamment 32 . Au fur et
à mesure que se déroulait le siècle, la source de
l’inspiration auctoriale bascula de l’extériorité,
Muse ou Dieu, à l’intériorité, où la grandeur
poétique pouvait sourdre du génie original d e
l ’ A u t e ur. L’existence de l’œuvre pouvant désorm a is
ê tre attribuée à l’écrivain et auteur, le système
é m ergent du droit d’auteur pouvait à son tour être
légitimé sur tous les plans, juridique, économique,
et philosophique 33.
Or il se trouve que les technologies d’enregistrement numérique, et tout part i c u l i èrement les
échantillonneurs, rendent extrêmement complexes
les questions de propriété et d’auctorialité, et
donnent à « la mort de l’auteur» une nouvelle
dimension. Et c’est d’autant plus vrai pour ce qui
con c erne les assauts du KLF contre l’auctorialité –
comme dans leur revendication que c’était une
automobile qui était l’auteure authentique de
Doctorin’ the Tard is ! Commentant le succès de ce
si ngl e , Bill Drummond a pu dire : « On s’est dit,
“Ça va être géant, allons-y !” Et on y est allés à
fond. Le plus petit dénominateur commun, à tous
égards 34 ! »
Leur « assassinat de l’Auteur» était par ailleurs en
ra p port avec la dénonciation d’un capitalisme
rendu « sp e c t a c u l a ire », et tout part i c u l i èrement de
celui qui régit les industries culturelles. Après être
très rapidement devenus les chouchous de la
critique, Drummond et Cauty concentrèrent leurs
piques sur la presse musicale britannique, atterré e
31 . Ma r k Rose , Au t ho r s and owne r s : The i nven t i on o f
c o p y r i g h t , Ha r va r d Un i v e r s i t y Pr e s s , Camb r i d ge
(MA ) , 1993 . | 32 . Ma r k Rose , op . c i t . , p . 115 . | 33 .
Ma r t ha Woodmans ee e t Ma r k Os t een , The new econom i c
c r i t i c i sm s t ud i es a t t he i n t e r sec t i on o f l i t e r a t u r e
and econom i cs . Econom i cs as soc i a l t heo r y . L o n d o n ,
Rou t l edg e , 1999 . | 34 . A l i x Sh a r ke y , « T r ash Ar t &
K r e a t i o n » The Gua r d i an , 21 ma i 1994 , c i t é i n The
L i b r a r y o f Mu . h t t p : / / www . l i b r a r y o f mu . o r g / d i s
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| 111
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J e r emy De l l e r , H i s t o r y o f t he Wor l d , 1996 . Co l l ec t i on F r ac No r d - Pas de Ca l a i s , Dunk e r que .
© J e r emy De l l e r . Ex pos i t i on « Sound o f Mus i c » , cu r a t eu r H i l de Te e r l i nck , Ma as t r i ch t ,
j anv i e r – ma r s 2 0 0 8 .
112 | KEMBREW MCLEOD
par le caractère crassement commercial de leur
d ernier titre. À sa parution, l’hebdomadaire musical
Melody Maker qualifia Doctorin’ the Tard is d e
« p ure et simple agonie », et son concurrent Sou n ds
prophétisa qu’il s’agissait d’un disque « si nocif
qu’une place dans le Top 10 ne pouvait qu’être son
unique destinée. » Le titre atteignit effectivement la
pre m i ère place ! Et c’est l’année suivante que The
KLF publia le satirique The Manual : How to Have a
Number One Hit the Easy Way 35 .
Purification par le feu
Toute cette dynamique s’écrasa contre un mur en
19 92. Quand The KL F fut élu « Meilleur grou p e
britannique de l’année » aux Brit Awards – la plus
prestigieuse cérémonie de l’industrie musicale au
Royaume-Uni – il décida de mordre la main qui le
nourrissait. Et profondément encore ! Durant la
cérémonie officielle, le duo donna une version de 3
A.M. Etern a l à faire exploser les tympans, accompagné d’un groupe de gri n d core metal du nom
d ’ E xtreme Noise Terror – un nom part i c u l i ère m e n t
bien adapté à la form a t ion 36 ! Alors qu’ils assommaient l’audience à coup de décibels assourd issants et d’un usage appuyé de la distorsion,
Drummond tira sur la foule avec un fusil-mitrailleur
c h argé de cartouches à blanc. « The KLF vient de
quitter l’industrie musicale », annonçaient à la fin
du spectacle les haut-parleurs disposés dans la
salle. Plus tard dans la nuit, après la réception, une
c arcasse de mouton fut abandonnée sur le tapis
rouge de la salle de cérémonie, aspergée d’une tre ntaine de litres de sang. Autour du cou de la bête, un
é cri t e a u : « I died for you 37 – Bon appétit».
Après avoir essayé de subvertir le monde de la pop
de l’intérieur, Drummond et Cauty avaient finalement compris que l’entreprise était irréalisable et
dénuée de sens. «Nous avons ces cinq dernières
35 . Le Manue l ou Commen t pr odu i r e un h i t sans pe i ne
( p as de t r aduc t i on f r anç a i se à ce j ou r ) . | 36 . I l
s i g n i f i e à l a l e t t r e : « T e r r e u r [ p a r vo i e d e ]
Br u i t Ex t r ême » . | 37 . « Je su i s mo r t p ou r vous . »
| 38 . W i l l i am Sh aw , « Who k i l l e d Th e KL F ? » ,
années suivi un chemin inhospitalier et difficile,
mélancolique et glorieux, merdique mais
brillant», disait un de leurs bulletins daté du
1 4 mai 1 9 9 2. «Les deux dernières nous ont
conduits dans les sentiers éthérés du succès
commercial – nous en sommes arrivés à un point
où il nous paraît nécessaire de quitter ces hautes
sphères ensoleillées pour sombrer dans nous ne
savons quoi.» Peu après la cérémonie des Brit
Awards , The KLF rendit indisponible la totalité de
son catalogue musical, un exploit que rendait
possible le fait que, dans l’esprit bricoleur du
punk, ils dirigeaient leur propre maison de
disques. Scott Piering, un promoteur ayant
travaillé avec le duo, expliqua par la suite que l’incident du fusil-mitrailleur et de la carcasse de
mouton avait été une tentative de torpiller leur
succès apparemment sans limite. «Ils voulaient
vraiment se purifier de tout et se faire ostraciser
par l’industrie musicale 38 . »
L’amour de Drummond et de Cauty pour la
musique «pop» n’avait d’égale que leur haine
pour l’ industrie de la musique – mais ils ne se
sont jamais laissés prendre au piège de la rhétorique de l’infiltration du système et de sa destruction de l’intérieur. «Je n’y ai jamais cru, dit
Drummond. La seule chose qui arrive, c’est qu’on
se laisse corrompre. Nous sommes tous fondamentalement faibles, et susceptibles de nous laisser séduire, et donc de nous haïr nous-même 39 . »
Leur seule issue était donc la négation et l’implosion. Après la dissolution de The KLF, ils se transform èrent en The K Foundation, et se spécialisèrent
dans l’éructation obscène à l’encontre des professionnels de l’Art. Ainsi l’année qui suivit les Brit
Awards , ils s’en prirent au Turner Prize , un prix
très prestigieux destiné aux jeunes artistes branchés mais «admis» par l’establishment artistique.
Se l e c t , j u i l l e t 1992 , c i t é i n The L i b r a r y o f Mu .
h t t p : / / www . l i b r a r y o f mu . o r g / d i s p l a y - r e s o u r c e .
p hp? i d=315 | 39 . Ben Wa t son , « K i ng Boy D» , T h e
W i r e , ma r s 199 7 , c i t é i n T he L i b r a r y o f Mu .
h t t p : / / www . l i b r a r y o f mu . o r g / d i s p l a y - r e s o u r c e .
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PÉRIPHÉRIES | 113
En 1 9 9 3, The K Foundation décerna le «Prix du
plus mauvais artiste de l’année», doté d’une
récompense de quarante mille livres sterling, à la
gagnante du Turner Prize , Rachel Whiteread.
Le Prix de The K Foundation fut annoncé sur la
chaîne de télévision Channel 4 à l’occasion d’un
intervalle publicitaire pendant la retransmission
en direct du Turner Prize ! Tandis que le public se
rassemblait à la Tate Gallery de Londres, où se
déroulait la cérémonie du Turner , The K
Foundation faisait transporter quelque vingt-cinq
critiques et personnalités dans des limousines
noires bariolées d’or sur un espace vert à proximité. Sans surprise, la gagnante/perdante refusa
le prix de The K Foundation, alors même que son
montant était double de celui du Turner – de
2 0 0 0 0 livres seulement… Drummond et Cauty
furent donc sur le point de brûler les 4 0 0 0 0 livres
en espèces, mais Whiteread finit par accepter le
prix, clamant qu’elle allait en distribuer le
montant à dix artistes dans le besoin.
Suivant le conseil de Neil Young, aux termes duquel
« il vaut mieux se consumer que rou i l l er» 40 ,
Drummond et Cauty mirent littéralement le feu au
reste de l’argent – un million de livres sterling –
qu’ils avaient gagné en tant que « pop stars » (ce
qui, incidemment, les rendit responsables du plus
grand retrait de liquidités de l’histoire bancaire
britannique). En 1 99 4, ils s’envolèrent pour une île
écossaise isolée, accompagnés du journaliste Jim
Reid et de leur roa d i e Gimpo, qui filma le brasier.
Dans un article pour The Observer, Reid expliqua
sobre m e n t : « Le million fut flambé sans cérémonie
dans un cabanon abandonné de l’île de Jura, dans
les Hébrides Intérieures, entre 0h45 et 2h4 5 le
m ardi 23 août. La nuit était froide, venteuse et
pluvieuse. L’ argent, pratiquement tout ce qui rest a i t
au duo à la suite de ses succès commerciaux, fit un
40 . C f . sup r a , «B ac k To No Fu t u r e » , p . 41 , no t e 24 .
| 41 . J i m Re i d , « Mo n e y t o bu r n » , The Ob se r ve r ,
2 5 sep t emb r e 1994 .
beau feu.» Décrivant l’impression que cela
provoque de voir flamber un million de livres, Reid
é criva i t : «Je pourrais dire qu’on commence par se
laisser envahir par la culpabilité, mais ensuite,
p e u t-ê tre après une dizaine de minutes, l’ennui
s’installe. Puis le feu s’éteint, et il reste le froi d 41.»
Com m e n t a ire éclairant sur l’essence spectaculaire
de la musique pop. Et du consumérisme en général.
Traduit et adapté par P. Mathias
Entretien avec LOU I S PH I L I PPE *
De la musique dématérialisée
Louis Philippe: L’idée qui traverse la prob l é m a t i q u e
de la musique dématérialisée, c’est que la valeur
de la musique tend vers zéro. C’est une idée qui
c ircule dans l’industrie du disque depuis quelques
années maintenant et qui a été inscrite noir sur
blanc dans une enquête commandée par les
éditeurs de musique qui commençaient à avoir
peur de cette évolution. On y expliquait très clairement la relation entre les changements au niveau
des ventes et la montée en puissance du peer to
p e er. Avant la dématérialisation, si l’on traçait une
ligne entre les gros et les petits vendeurs – de l’artiste plus populaire au 1 0 0 0 0ème de ce classement, en la faisant passer par tous les art ist es
i n t erm é d i a ires – on obtenait une courbe descendante relativement progressive. Maintenant, cela
tient plus de la piste noire. Le marché de la
* Au t eu r - c ompos i t eu r - i n t e r p r è t e , a r r ang eu r e t
p r od uc t eu r f r a nç a i s i ns t a l l é à Lond r e s depu i s
1987 . P i l i e r du l abe l é l . Une v i ng t a i ne d ’ a l bums
pub l i és sous son nom , p l us de mu l t i p l e s co l l abo r a t i o n s ( B e r t r a n d B u r ga l a t , S t u a r t Mox h am ,
Ma r t i n Newe l l , Se a n O ’ Ha g a n ) . C o - a u t e u r d u
D i c t i onna i r e du Roc k , é d . Rob e r t L a f f o n t .
A l ancé en 2004 s on p r op r e l abe l , Wonde r Re co r ds ,
don t l e s so r t i es son t f i nanc ées de A à Z pa r sous c r i p t i on de f ans . www . l ou i sph i l i ppe . co . u k