les grands banquiers allemands sont pour la monnaie commune

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les grands banquiers allemands sont pour la monnaie commune
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ÉCONOMIE
LES GRANDS BANQUIERS
ALLEMANDS SONT POUR
LA MONNAIE COMMUNE
Ulrich Cartellieri et Jürgen Sarrazin comptent parmi les dirigeants les plus
en vue du monde bancaire allemand. L'un et l'autre se sont récemment prononcés très nettement en faveur d'une monnaie unique pour l'Europe. Alors
que certains hommes politiques exploitent en Allemagne la crainte d'un avenir
inconnaissable qui se fixe sur le symbole que constitue le Deutsche Mark, ces
hommes du métier rappellent qu'il n'y a pas d'alternative à la monnaie commune (quel que soit le nom, ou quels que soient les noms) dont on la revêt.
PAS D’ALTERNATIVE
À UNE MONNAIE EUROPÉENNE(1)
ULRICH CARTELLIERI
M
algré l'arrêt de la Cour constitutionnelle, malgré les déclarations
politiques volontaristes, les chants d’adieux au projet d’Union
monétaire se multiplient. Au doute et au désarroi générés par la
crise se mêlent des tendances nationalistes – et pas seulement
en Allemagne. John Major a donné à la critique une dimension politique, en
déclarant que le SME avait échoué, que dès le départ le concept d’Union
monétaire était irréaliste et que l’Union économique et monétaire n’était pas
réalisable à l’heure actuelle. Le nouveau Gouverneur de la Banque centrale
britannique s’est exprimé dans le même sens, affirmant qu’une politique
convergente de stabilité – qui tienne compte, toutefois, des données nationales – était suffisante à moyen terme pour éviter d’importantes fluctuations
de cours entre les différents pays.
(1) Texte de son intervention à la Verwaltungs-und Wirtschafts Akademie Baden (Académie d'administration
et d'économie) à Karlsruhe le 27 octobre 1993.
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Entre les arguments de ceux qui ont toujours su que le SME ne pourrait pas
fonctionner et le changement de cap politique de certains autres, il y a un dénominateur commun : tous se réfèrent aux crises monétaires qui se sont succédé
depuis septembre 1992 et à la suspension de facto, l’été dernier, du Système
monétaire européen.
Où en sommes-nous ? Comment en est-on arrivé à cette situation ? Quelle
voie devons-nous prendre ?
Nul doute que la crise du SME et son issue provisoire nous ont rejetés loin en
arrière sur la voie de l’intégration monétaire. Comme dans les années soixantedix, il nous faut vivre à nouveau avec des cours extrêmement instables. Depuis
sa sortie du SME, la livre sterling a évolué entre 2,33 et 2,60 DM ; dans l’ancien
bloc des monnaies fortes du SME, l’écart entre la monnaie la plus forte et la
monnaie la plus faible (le florin et la couronne danoise) a atteint par moments
plus de 8,5 %. Personne ne peut prévoir si demain, la semaine prochaine ou
dans un mois cet écart aura diminué ou augmenté.
La réévaluation du DM accentue la pression de la concurrence sur l’industrie
allemande, même par rapport aux autres pays à monnaie forte – dans lesquels,
depuis un certain temps déjà, l'on travaille de toute façon avec des coûts de
travail moins élevés. Après avoir connu jusqu’à 20 % d’augmentation face à
la livre sterling et à la lire depuis l’automne 1992, le DM a été, depuis août dernier, réévalué aussi par rapport au franc belge, au franc français et à la couronne danoise.
Depuis la décision prise pour répondre à la crise de juillet dernier d’élargir les
bandes de fluctuation à l’intérieur du dispositif d'interdépendance du SME à
plus ou moins 15 %, c’est-à-dire en tout à 30 %, on se trouve devant un flottement des monnaies presque entièrement libre. Cette bande super-élargie
pourrait tout aussi bien inclure le dollar et ses amples variations. L’ancienne
bande de fluctuation du SME, qui était de 2,25 % seulement, ne s’applique
plus qu’entre le DM et le florin. A l’heure actuelle, même en comptant
l’Autriche, 13 % seulement des échanges extérieurs de l’Allemagne se font
sur la base d’un taux de change stable ; avant la crise du SME, ce chiffre était
d’environ 65 %.
Pour les entreprises – chez nous et dans les pays voisins – ceci signifie davantage d’aléas dans les études prévisionnelles sur le Marché unique, des répercussions négatives sur le commerce et l’investissement, sans parler des
conséquences souvent lourdes sur le bilan des entreprises de certaines firmes
multinationales. Grâce aux instruments modernes de garantie, on peut, il est
vrai, limiter en partie les risques commerciaux – mais avec des frais considérables, compte tenu d’un retour à présent toujours possible à des valeurs volatiles. Pour des investissements à long terme, de toute façon, de telles assurances sont généralement calculables. On investit donc moins, il y a moins de
créations d’emplois, la croissance économique est réduite, la récession
s’accentue et se prolonge, les problèmes structurels pèsent encore plus lourdement et sont encore plus difficiles à résoudre.
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La crise de 1992 (2)
Comment en est-on arrivé à l’explosion du SME ?
Nous attendons toujours de ceux qui prétendent que le SME était dès le départ
voué à l’échec des preuves convaincantes de leurs critiques. Il est vrai qu’elles
sont difficiles à trouver, car les faits établissent le contraire : jusqu’en 1992, la
limitation des fluctuations nous a procuré des années très riches en succès.
Le but fixé en 1979 lors de la création du SME, à savoir mettre en place en
Europe une zone de stabilité monétaire (dans le contexte d’alors, c’est-à-dire
avec de grandes fluctuations du dollar), était atteint depuis 1987 – qui fut
cependant l’année du krach boursier international.
Auparavant, dans la phase dite d’adaptation, jusqu’en 1983, il y avait encore
eu de fortes divergences dans le développement économique des différents
pays, et on avait connu en tout sept réajustements des taux de change. Pour
cette raison notamment, l’idée finit par s’imposer qu’une croissance économique durable n’est possible que sur la base de prix stables, que seuls des
taux de change stabilisés peuvent garantir la stabilité des prix sur le marché
intérieur et briser le cercle vicieux : dévaluation destinée à reconquérir la compétitivité des prix sur les marchés étrangers, puis poussée inflationniste.
Avec le changement de politique économique de la France au printemps 1983
débuta la phase dite de consolidation. La competitive devaluation avec laquelle, auparavant, certains pays avaient flirté plus ou moins ouvertement, disparut
de l’arsenal de la politique économique. Nos partenaires passèrent à une politique de competitive disinflation ; de plus en plus, on accepta le deutschemark
comme point d’ancrage de la stabilité. En France, en Belgique et au Danemark, le taux d’inflation fut ramené et maintenu à un niveau proche de celui
de l’Allemagne. La stabilité plus grande des taux de change obtenue de la
sorte – il n’y eut plus que trois réajustements – s’accompagna d’une plus forte
croissance économique de l’Europe de l’Ouest clairement visible, et donna un
nouvel essor au projet d’un Marché unique.
Dans la troisième phase – du début de 1987 jusqu’en septembre 1992 – nous
avons connu, plus de cinq années durant, des taux de change parfaitement
stables, sans un seul réajustement. Un bloc de monnaies fortes se constitua,
qui comprenait, à côté du DM, le franc français, les monnaies du Bénélux, la
couronne danoise et la livre irlandaise. Même les pays ayant des taux d’inflation relativement élevés, comme l’Italie, l’Espagne ou la Grande-Bretagne,
obtinrent des succès non négligeables dans la stabilisation des prix sur leur
marché intérieur. Il s'ensuivit, là aussi, une diminution des taux d’intérêt profitable à la croissance économique.
Cette cohésion à l’intérieur du SME fut favorisée, à partir du début des
années quatre-vingt-dix, par la perspective d’une Union monétaire qui réduisit encore, aux yeux des marchés financiers, les risques d’instabilité des
(2) Les intertitres sont de la Rédaction.
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cours qui pouvaient subsister, et permit une importante convergence des
taux d’intérêt, dans le sens d’un alignement sur les faibles taux de la monnaie
allemande. Ceux qui aujourd’hui veulent dénigrer ces succès de toute une
décennie dans l’histoire du SME font preuve d’une piètre mémoire et d’arguments insuffisants.
Avec le processus de ratification des accords de Maastricht commencèrent les
difficultés que l’on sait. Il y avait à cela deux causes essentielles : d’une part,
le manque de préparation de l’opinion publique par les gouvernements
européens – c’est-à-dire le manque d’explications sur le but recherché, et
d’autre part le bouleversement du contexte économique et financier, dû aux
suites de la réunification allemande.
L’effort entrepris par les instances politiques allemandes pour appliquer à l’Allemagne de l’Est pour ainsi dire uno actu, par un tour de force dont les dimensions ont été largement sous-estimées, les structures et le niveau de prestations de l’État social ouest-allemand nécessite – à l’heure actuelle encore –
des transferts financiers de l’ordre de 150 à 170 milliards de DM par an. Ceuxci auraient pu être compensés en réalisant des économies du même ordre –
principalement par une réduction d’environ 130 milliards du volume des subventions accordées par l’Allemagne de l’Ouest. Au lieu de cela, ils sont venus
se rajouter à ces dépenses, ce qui ne pouvait que conduire à gonfler artificiellement la demande, avec les conséquences inflationnistes qui en résultent.
Chez nos partenaires du SME, on ressentit de plus en plus comme une charge
inacceptable le fait que la Bundesbank, abandonnée à elle-même sans aucun
soutien par la politique fiscale, cherchait par les seuls moyens d’une politique
monétaire, c’est-à-dire par des taux d’intérêt élevés, à combattre les excès du
financement de l’unification allemande et la remontée du taux d’inflation –
conséquence aussi d’une politique salariale qui s’envolait, entraînée ellemême dans le tourbillon du boom de l’unification. Ceci exigeait de la part de
nos voisins qui, comme la Grande-Bretagne, se trouvaient déjà en récession
et avaient de faibles taux d’inflation, de faire face à des taux réels d’un niveau
exagérément élevé. D’autant plus que leurs propres taux se trouvaient en partie encore largement au-dessus des taux allemands, reflétant les doutes des
marchés sur la persistance des bons résultats de convergence et sur leur fidélité à Maastricht au vu d’échéances électorales proches.
La crise du SME était donc programmée : en septembre 1992, alors qu’en
juillet la Bundesbank venait une nouvelle fois d’augmenter ses taux directeurs,
la lire et la livre sortirent de l’alliance (c'est-à-dire du SME) sous la pression
d’une spéculation massive. La peseta et l’escudo furent dévalués plusieurs
fois, la livre irlandaise subit le même sort en janvier 1993. Fin juillet 1993,
même la parité franc-mark, noyau dur du SME, ne put être maintenue plus
longtemps. Les énormes interventions pour soutenir les cours – plus de 300
milliards de vente de devises par la Banque de France, dont 150 milliards
représentent des prêts des banques centrales, et des achats de francs d’un
volume équivalent par la Bundesbank – ne servirent à rien. Pour les marchés
financiers, il n’était devenu que trop évident que, même en France, on ne pouvait plus supporter la politique allemande des taux élevés.
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La crise du SME démontre la nécessité d'une monnaie
commune
Une grande part de la critique s’est concentrée sur les carences de la gestion
commune de la crise par les banques centrales : sens du marché insuffisant
lors de leurs opérations et de leurs interventions sur les taux et sur la politique
monétaire, manque de concertation – les banques d’émission soumises à
pression pour dévaluer leur monnaie ayant été laissées exposées de façon
trop unilatérale –, manque de crédibilité de leur volonté de défendre sans restriction les marges de fluctuation convenues.
Aussi justes que soient ces critiques, elles ne touchent pas à la raison essentielle de la crise, qui est la disparition de la convergence des politiques économiques des principaux partenaires depuis la réunification allemande, remplacée au contraire du côté allemand par une politique de divergence extrême.
Il est possible que, dans une communauté solidaire, une telle politique soit passagèrement soutenable en principe pour assainir une zone sinistrée. Elle ne
l’est pas dans un système monétaire communautaire, dont la stabilité suppose
précisément et en premier lieu une orientation commune de la politique économique – et surtout pas dans le cas où ce système a fait de la liberté des
mouvements de capitaux et de la libre circulation de l’argent la base de son
fonctionnement en s’exposant ainsi sans protection à la dynamique des marchés financiers actuels.
Dans le contexte actuel des marchés financiers en effet, le SME, même en cas
de convergence de la politique des pays à monnaie forte, ne pourrait subsister
à la longue sous la forme actuelle d’un système de politiques économiques
distinctes, menées sous la responsabilité nationale de chacun des États
nation. La circulation globale des capitaux, libéralisée dans les années quatrevingt, y compris dans la Communauté européenne, avec son énorme potentiel
d’investissement, se fait sur la base des changements spéculatifs sur le marché du journalier – et non sur la base de données comparées à long terme
des économies nationales, et met en mouvement des masses qui dépassent
de loin les possibilités d’actions des banques centrales, fussent-elles concertées. En 1979, l’année du démarrage du SME, le chiffre d’affaires mondial du
marché des changes était d’environ 75 milliards de dollars par jour non férié.
Aujourd’hui les marchés réalisent, les jours moyens, un chiffre de plus de 1 000
milliards de dollars. Dans ce chiffre, la part des transactions ayant une base
économique réelle n’est plus que de 3 à 5 %.
Quelles conclusions tirer de ces expériences ? Ceux qui critiquent le SME et
l’Union monétaire dénoncent l’absence, selon eux, de conditions préalables à
une démarche monétaire commune de l’Europe. Ils plaident contre les taux
fixes, pour ôter à de telles turbulences la possibilité même de se former. Ils
oublient en l’occurrence qu’en 1979 le SME a précisément été créé pour mettre
un terme aux crises monétaires jusqu’alors nullement rares à une époque de
forte instabilité des cours. Les partisans d’une Union monétaire argumentent
évidemment à l’inverse : si le projet avait été assez avancé, disent-ils, il aurait
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été impossible d’en arriver à de telles turbulences. Et la situation de l’Europe
serait aujourd’hui meilleure, également sur le plan économique.
Pour savoir si cette supposition est plausible, il nous suffit de nous demander
ce qui serait arrivé si, peu de temps avant l’unification allemande par exemple,
les pays à monnaie forte (Allemagne, France, Benelux, Danemark et Irlande)
avaient constitué une Union monétaire. Depuis 1987, ces pays formaient une
zone de stabilité en matière de politique monétaire. Dans cette quasi-Union
monétaire, les taux de change étaient de facto immobilisés. Une monnaie commune à ces pays eût donc signifié dès ce moment-là que :
– il n’aurait plus existé entre ces pays ni taux de change, ni les risques qui leur
sont liés, ni spéculation sur les changes ;
– les partenaires sociaux allemands auraient été contraints, lors des augmentations de salaires négociées entre 1990 et 1992, de faire davantage attention
aux retombées négatives de très fortes hausses sur la compétitivité de l’économie allemande, et certainement ils l’auraient fait. Car même sans être expert,
on comprend que des augmentations de salaires disproportionnées dans l’un
des territoires composant une Union monétaire se font au détriment de la compétitivité des entreprises installées sur ce territoire ;
– ce que l’on a appelé le « boom de l’unification » aurait profité davantage
encore à tous les États de cette Union monétaire. Par ailleurs, la zone sinistrée qu’est l’Allemagne de l’Est et les mesures à prendre la concernant
auraient été l’objet d'une politique économique européenne, et non plus seulement allemande.
Avant toute chose, cependant, une politique monétaire commune – avec une
banque centrale commune – aurait pris en compte, pour déterminer ses orientations, la configuration économique de l’ensemble du territoire du Marché
Commun, pas seulement de l’Allemagne. Les pays voisins de l’Allemagne
n’auraient pas eu à supporter le risque des augmentations de leurs taux d’intérêt à court et à long terme. Leurs taux réels seraient sensiblement moins élevés – de même que la pression qui s'exerce sur leur économie nationale. Les
pays dont la situation fondamentale est maintenant meilleure que celle de
l’Allemagne n’auraient pas à vivre avec des taux réels nettement plus élevés
que les siens. Car c’est bien de là que vient pour une large part la faiblesse
économique persistante dans les pays voisins du nôtre, et c’est de cette faiblesse que souffre maintenant pour une large part le secteur de l’exportation
en Allemagne.
Un double danger : course à la dévaluation, retour au protectionnisme
Comment est-il désormais possible de continuer ? Quelles sont les perspectives pour ce qui reste du SME ? Comment surmonter les incertitudes et les
risques du moment ?
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Jusqu’à présent, les gouvernements et les banques d’émission des pays de
l’ancien bloc des monnaies fortes, pays particulièrement concernés par les
décisions de Bruxelles (3), avaient grand soin d’éviter des dévaluations importantes par rapport au DM et au florin. Ils continuent de maintenir leur politique
monétaire et leurs taux directeurs dans le sillage de la Bundesbank. Les buts
ainsi recherchés sont multiples :
– favoriser le flux des devises dont ils ont besoin pour reconstituer leurs
réserves et rembourser les dettes contractées auprès de la Bundesbank pour
cause d’interventions ; il s’agit en même temps pour ces pays de traiter aussi
doucement que possible les créanciers étrangers de leurs emprunts d’État
(27 % dans le cas de la France) ;
– montrer qu’ils sont durablement décidés à mener une politique de stabilité
et manifester leur volonté politique d’aboutir à l’Union monétaire.
C’est pourquoi jusqu’à maintenant les partenaires du SME n’ont guère pu
considérer ni utiliser les résolutions de Bruxelles, comme le grand instrument
de libération en vue d’une politique monétaire davantage axée sur les besoins
nationaux, que vantent certains. Même la Bundesbank, tout en assouplissant
sa démarche pour l’adapter à la situation de l’Allemagne, ne peut négliger les
répercussions possibles sur les taux de change extrêmement élevés et sur la
partie de capitaux étrangers sur le marché allemand.
Pour la plupart de nos pays partenaires, en dépit de cette réserve observée
de toutes parts, l’augmentation des taux d’intérêt sur le marché financier par
rapport au DM s’est de nouveau accentuée. Les marchés financiers envisagent le risque que ces pays, cédant aux pressions de politique intérieure et
suivant l’exemple britannique, aillent chercher leur salut dans une baisse forcée des taux d’intérêt – avec les conséquences que cela impliquerait, surtout
de la part des investisseurs de capitaux étrangers. Le danger d’une course à
la dévaluation et, par voie de conséquence celui d’un retour au protectionnisme n’est pas écarté. Il s’accroît au contraire à mesure que dure l’état de flottement et d’incertitude – officiellement présenté comme solution transitoire. Cet
état des choses bloque la confiance des entreprises dans un avenir un tant
soit peu calculable. Il entrave aussi la relance durable des investissements et
du commerce, l’emploi et la consommation des ménages telle que nous
l'avons connue dans la deuxième moitié des années quatre-vingt, grâce surtout à la stabilité monétaire.
Combien de temps encore les gouvernements, dans cette situation critique,
pourront-ils s’abstenir d’une action commune en matière de politique monétaire ? Et quelles sont les possibilités d’action qui s'offrent à eux ?
(3) Ces décisions prévoient l'augmentation de 15 % des marges d'intervention dans le système monétaire européen.
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Quelles alternatives ?
A ce titre les alternatives suivantes sont continuellement présentées :
– retour durable au flottement,
– retour au contrôle des mouvements de capitaux et au contrôle des changes,
– retour à un système plus strict de limitation des fluctuations, avec diverses
variantes.
Une prolongation délibérée et durable du flottement des monnaies du SME
aurait des conséquences telles que ses partisans ne les ont probablement pas
sérieusement examinées. Elle entraînerait nécessairement la fin rapide du
Marché unique, et avec elle la décomposition de l’Union européenne. Les
conséquences politiques pour l’Allemagne et l’Europe seraient imprévisibles,
les conséquences économiques tout à fait claires. L’Allemagne,
– qui, plus que tout autre grand pays industriel, dépend du commerce extérieur,
– dont la compétitivité fortement entamée, sur le plan des coûts aussi bien que
de la technologie, la rend plus dépendante que jamais des débouchés sur ses
marchés européens habituels (70 % de l’ensemble de ses exportations),
– qui doit encore maîtriser la crise dans ses zones sinistrées de l’est, et la crise
de son système de protection sociale qui, elle, n’apparaît pas encore nettement à tous,
cette Allemagne ne peut se permettre, ne fût-ce qu’en pensée, une autre
option que celle de l’intégration dans une communauté économique et monétaire européenne.
Toutefois l’approche choisie par certains hommes politiques européens, qui
veulent ouvrir la voie vers cette communauté par des mesures administratives,
est erronée. On énonce à ce propos :
– des mesures fiscales, par exemple une taxe sur le chiffre d’affaires en
devises,
– des instruments de politique monétaire comme, par exemple, un cautionnement en espèces pour les postes budgétaires en devises,
– des mesures renforcées en matière de droit de contrôle, telles que des
dépôts de capitaux dans les opérations de change,
– mais surtout le contrôle direct sur les mouvements de capitaux et des limitations les concernant.
Toutes ces propositions d’interventions ne peuvent cependant procurer la
sécurité à un système liant entre elles les monnaies en Europe. Non seulement
de telles mesures bureaucratiques, utilisées comme instruments d’une politique des taux de change, sont en contradiction avec le principe du Marché
unique libre, mais il s’est surtout avéré que dans la pratique, elles ne fonctionnent pas. La possibilité de les imposer et de contrôler efficacement leur fonctionnement au plan international se heurte à l’état actuel de l'interconnexion
des réseaux électroniques mondiaux de traitement des opérations financières,
et au fait qu’il n’est presque plus possible d’établir la limite entre banques et
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établissements non bancaires, qui traitent pourtant une part croissante des
transactions financières internationales.
Un retour à la stabilité des cours en Europe ne peut donc pas se faire par des
interventions sur les marchés, contraires aux règles du marché, mais uniquement par la stabilisation des attentes que nourrissent ces marchés.
Ce serait là aussi la condition d’un retour à la limitation des fluctuations, avec
des marges d’oscillation plus étroites. Une telle démarche ne serait envisageable que si la conjoncture, l’inflation et les taux d’intérêt des pays partenaires
en venaient à nouveau à une concordance plus étroite, et si l’on mettait en
chantier les mesures structurelles partout nécessaires en matière de politique
financière et de politique du marché de l’emploi. Cela concerne plus particulièrement l’Allemagne, puisque au DM, à cause de la taille de notre économie
nationale et de la liquidité des marchés DM, revient aujourd'hui comme hier
la fonction de point d’ancrage des politiques monétaires.
D’après les dernières expériences, on peut douter toutefois qu’il soit possible
de ressusciter le SME purement et simplement en reprenant ses anciennes
règles. A la première occasion – l’approche d’élections par exemple – les marchés testeraient à nouveau les nouvelles bandes de fluctuation, faisant
renaître les risques de turbulences. Car il s’est finalement avéré que même le
bloc des monnaies fortes n'a pu être soutenu jusqu'au bout par les banques
centrales contre l’avis du marché.
Comme alternative l'on met en cause la dépendance unilatérale d'autres devise comme le DM. Cela a fait ses preuves dans le cas des économies nationales de pays plus petits qui dépendent dans une large mesure de l'évolution
en Allemagne. Cela vaut pour l'Autriche qui – à cause de ses intrications économiques avec la République fédérale – a conservé sa stabilité au cours de
change du Schilling vis-à-vis du DM tout en orientant sa politique monétaire
sur cette stabilité. La même chose vaut pour le lien bilatéral du florin au DM,
tel qu'il a encore été confirmé au début d'août 1993 à Bruxelles.
Cependant ce n'est pas par des pratiques de ce genre que nous nous rapprochons de la Communauté monétaire européenne car une subordination
aussi unilatérale de son économie nationale sous les hauts et les bas de la
politique monétaire et économique de l'Allemagne sans disposer d'un droit
de co-décision propre ne pourrait être attendue ; si l'on a une position tant
soit peu réaliste, de la part d'un pays partenaire tel que la France – ou plus
tard l'Italie.
C’est pourquoi une autre approche est nécessaire pour modifier le SME. Ce
qui importe avant tout, c’est de consolider la coopération en matière de politique monétaire, de la rendre transparente pour les marchés, et donc crédible. Les dispositions pour la défense des parités doivent être considérablement renforcées. Il faut pour cela créer des instruments tels que
l’extension du mécanisme d’intervention, la coordination des politiques en
matière de taux d’intérêt et l’institutionnalisation de tels dispositifs de direction dans un nouveau système monétaire. L’Institut Monétaire Européen, qui
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doit commencer ses travaux au début de 1994, pourrait jouer en l’occurrence
un rôle important.
L’attente d’une reprise économique et l'augmentation des chiffres du chômage
continueront, et pas seulement en France, à faire monter la pression en faveur
d’une baisse des taux – avec comme conséquence de nouvelles agitations
sur les marchés des changes. La pression sur le gouvernement français, pour
qu’il dissocie « à l’anglaise » sa politique économique et sa politique monétaire, va s’accroître et laisse présager de nouvelles crises et de nouvelles turbulences. Cependant la politique peut agir préventivement contre de telles
spéculations. Pour des managers de crise avisés et prévoyants, c’est l’occasion de poser ensemble les points d'ancrage d’une coordination plus étroite
entre la politique économique et monétaire de la France et celle de l’Allemagne, condition nécessaire à un premier pas que serait la baisse concertée
des taux d’intérêt, et devrait être rapidement suivi d’autres, en vue de préparer
l’Union monétaire.
Car sans la perspective crédible de la proximité d’une Union monétaire, un dispositif de limitation des fluctuations, même ainsi renforcé, finira tôt ou tard par
se rompre à nouveau. C'est là une leçon à tirer des crises récentes.
Aller de l'avant avec l'union restreinte
Il n’y a pas – à moins de préjudices pour l’Europe, pour son économie, c’està-dire pour nous tous – d'alternative à l’Union monétaire. Le noyau de cette
Union, seules l’Allemagne et la France peuvent le former. Qu’est-ce qui peut
donc faire progresser la jonction monétaire entre la France et l’Allemagne ?
Le premier pas est déjà fait : les deux pays ont depuis plusieurs années une
conception de la politique monétaire qui va fondamentalement dans le même
sens. Ils considèrent que l’inflation est la source des problèmes, et non pas
leur solution secrète. Le deuxième pas – fixer des objectifs presque identiques
de limitation de la masse monétaire – a été franchi lui aussi, il y a un an déjà.
L’expérience montre toutefois que, dans un dispositif de limitation des fluctuations, cela ne suffit pas. Car à chaque spéculation contre le franc, la Bundesbank est contrainte, pour stabiliser les cours, à des interventions d’une telle
ampleur qu’elle ne peut plus atteindre son objectif de limitation de la masse
monétaire et qu’elle met en cause sa crédibilité.
C’est donc là que devrait commencer le pas suivant : la définition d’un objectif
commun de limitation de la masse monétaire, ce qui veut dire que l’objectif fixé
engloberait la masse monétaire en francs et en DM. Si par exemple la Bundesbank était contrainte à intervenir, c’est-à-dire à acheter des francs, la masse
monétaire en DM augmenterait et la masse monétaire en francs diminuerait.
Toutefois, s’engager à des interventions illimitées signifie dans le même temps
que toutes les mesures de politique monétaire prises par l’autre pays – concernant par exemple les taux d’intérêt – doivent être acceptées sans examen. Et
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cela la Bundesbank, pas plus que les hommes politiques français d’ailleurs,
ne pourraient l'accepter.
Nous touchons là le point critique de toute coopération monétaire approfondie,
à savoir la nécessité, en même temps que l’on fixe en commun un objectif de
limitation de la masse monétaire globale, de faire le pas suivant qui est d’introduire des décisions communes, c’est-à-dire de créer et d’accepter des institutions communes de politique monétaire. Ceci représente l’aspect politique
de l’Union économique : il faut le vouloir.
Les autres pays qui constituent jusqu’à maintenant le bloc des monnaies
fortes – les États du Bénélux, le Danemark et éventuellement l’Irlande –
devraient être inclus dès le départ dans ce dispositif, et ils peuvent l’être. On
augmenterait ainsi le volume, et par là même la stabilité de la zone de politique monétaire commune. En l’état actuel des choses, l’Italie, important pays
fondateur de la Communauté Européenne, ne pourra se joindre à cette avancée précoce vers l’Union monétaire. On y soutient pourtant dès maintenant
l’idée d’une Union monétaire rapide entre les pays à monnaie forte. On n'y
considère plus aujourd'hui une telle union restreinte comme une discrimination, mais comme une incitation à développer les efforts propres de l'Italie pour
devenir elle-même membre de l'Entente des pays à monnaie forte. Au terme
d’une analyse réaliste, l’Espagne devrait aussi pouvoir surmonter son aversion contre un processus à deux vitesses. D’ailleurs, tous les partenaires doivent naturellement avoir accès, le moment venu, à un bloc qui serait d’abord
restreint.
Ici, je voudrais dire un mot du changement de cap manifeste qu'effectue la
politique britannique. Il s’agit au fond à l’évidence – et nous ne devrions pas
contourner cette évidence – du fait qu’une tendance politique semble
reprendre le dessus, qui, suivant en cela un vieil instinct politique, ne veut pas
se laisser enfermer dans les structures communautaires de l’Europe continentale – en abandonnant sa propre liberté d’action –, mais qui cherche au
contraire à les entraver autant que faire se peut, pour poursuivre la politique
insulaire traditionnelle de la moindre dépendance possible envers l'extérieur.
John Major parle de la nécessité d’une autre Europe, d’une Europe nouvelle,
d’une Communauté pour toute l’Europe. La question est de savoir en quoi
devrait consister une telle Europe, si l’Europe occidentale, comme le voudraient les Britanniques, ne devrait même pas mener à terme la communauté
restreinte en gestation depuis plus de quarante ans. Dans quelle sorte de
communauté devrait-on donc intégrer les Européens de l’Est, si une communauté économique et monétaire européenne n’est « pas réalisable », comme
l’affirme Major ?
L'article-programme de John Major, paru dans The Economist, était accompagné d’une carte de l’Europe qui montrait les quelque vingt États désireux
de retrouver leur indépendance, de territoires balkaniques aux Républiques
baltes. Quelles perspectives d’avenir John Major voit-il pour ces pays, dont
le revenu par habitant représente le dixième de celui des Européens de
l’Ouest ? Leur association ne peut avoir de sens qu’avec une Communauté
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Européenne forte. Seule une Communauté forte peut ouvrir son Marché
unique à leurs produits, seule une Communauté forte peut empêcher les
guerres entre eux.
Que l’actuel gouvernement britannique ne veuille plus d’une telle Communauté, voulant croire et faire croire à la population – hypothèse à courte vue – que
le sursaut de relance amorcé par la dévaluation de la livre est une preuve du
bien-fondé de cette politique, cela ne devrait pas empêcher les Européens du
continent, forts de leur expérience historique de peuples voisins vivant tout
près les uns des autres, de tendre de toutes leurs forces vers cette Communauté. Il faut pour cela des signaux politiques explicites – aussi les gouvernements devraient-ils dès maintenant faire avancer résolument l’Union monétaire, au lieu de demeurer dans l’incertitude en attendant d’être à nouveau mis
à mal par des marchés financiers prêts à exploiter ce genre d’incertitude. Dans
un espace économique de plus en plus étroitement imbriqué, il ne peut à la
longue y avoir des territoires séparés, avec plusieurs monnaies ne dépendant
que des spéculations du marché. L’interpénétration économique entre Milan
et Munich, entre Strasbourg et Fribourg est aujourd’hui déjà plus forte qu’entre
la Bavière et la Frise.
Maastricht, une solide base de travail
Comme cadre institutionnel de l’Union monétaire, le concept de Maastricht, qui
repose sur une adhésion des pays échelonnée dans le temps, offre une solide
base de travail. Il introduit la nécessaire étape d’une transition vers une politique monétaire unitaire de l’Europe, une politique dont la responsabilité devrait
être, ensuite, assumée par une banque centrale européenne indépendante.
Pour établir la base nécessaire à une gestion monétaire reposant sur la stabilité, on a fixé à Maastricht des conditions d’entrée sous la forme de critères
de convergence. Dans la perspective actuelle, la stabilité des prix requise dans
les pays à monnaie forte ne devrait pas être un handicap, même si sur ce point
l’Allemagne doit redresser un certain nombre de choses.
Ce qui pose davantage problème, c’est l’état des finances publiques… Ici il faut
réduire pas à pas le taux d'endettement après en avoir stoppé la progression.
Cette réduction pourra se faire dès que la conjoncture en Europe aura retrouvé
la croissance. Il faut donc se soucier surtout des déficits structurels élevés, qui
signifient l’absence de perspective d’une réduction durable, même en des
temps meilleurs. C’est surtout en Allemagne que se pose le problème. Si l’Allemagne veut se joindre à d’autres pays pour former une Union monétaire tout
en représentant la monnaie d’ancrage européenne et le modèle en matière de
politique monétaire, il lui faut remettre de l’ordre chez elle, dans sa politique
de finances, il faut que les objectifs à moyen terme concernant les budgets de
l’État tendent vers la consolidation. Il s’agit en l’occurrence aussi de réformer
le système de protection sociale qui a atteint la cote d’alerte, et de ramener
les déficits dans des proportions qui, avec le temps, permettent de les financer
et soient supportables pour la compétitivité internationale de l’Allemagne.
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DOCUMENTS
La cohabitation dans une Union monétaire restreindra considérablement la
marge de manœuvre pour une politique budgétaire nationale laxiste. Car les
règles de convergence en matière de politique financière ne sont pas valables
uniquement pour la période d'avant l’Union monétaire, mais elles le seront
aussi une fois que celle-ci sera atteinte, et des sanctions seront alors possibles
en cas de manquement. Il n’y aura pas d’Union monétaire dans laquelle un
État pourrait mener une politique d’endettement irresponsable et contraindre
les autres États à partager avec lui la charge de son endettement. Dès janvier
1994, date de démarrage de la deuxième étape de l’Union monétaire européenne, le financement direct du budget par crédits accordés par la banque
centrale ne sera plus possible. En outre, l’observation critique par les marchés
financiers forcera à la discipline. Même avec une monnaie unique, les États
fortement endettés auront à payer davantage d’intérêts que les États financés
de manière plus sûre. Ceci devrait conduire – et on en observe déjà les prémices à l’intérieur du SME – à l’obligation salutaire d’adopter en matière de
budget une attitude de discipline.
Redisons-le : la création d’une Union monétaire a nécessairement une dimension politique. Il faut la vouloir. Cependant, ce n’est pas une volonté politique
préétablie – l’union politique que réclament certains, par exemple, comme
condition soi-disant nécessaire, c’est l'alternative de la contrainte politique
résultant des contraintes économiques – c’est-à-dire la nécessité de créer une
dynamique européenne de la croissance, et non ces armées nationales de
chômeurs – qui forcera l'ouverture de la voie de l’Union monétaire. La question
qui demeure, c’est de savoir si la France et l’Allemagne peuvent encore pour
ce faire attendre jusqu’en 1997.
■
(Traduction : Catherine Weinzorn)
Ulrich Cartellieri est né en 1937 à Erfurt. Docteur en droit, il travaille pendant longtemps aux États-Unis. Il entre à la Deutsche Bank en 1970 dont
il devient porte-parole du Directoire en 1977.
Depuis 1987 il est membre du Directoire de la Deutsche Bank.
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DOCUMENTS
ÉCONOMIE
SOLIDARITÉ EUROPÉENNE
POUR LA RECONSTRUCTION
DE L’ALLEMAGNE ORIENTALE
ET DE L’EUROPE DE L’EST (1)
JÜRGEN SARRAZIN
«D
epuis quatre ans, depuis que le système communiste s’est
écroulé en Europe de l’Est et en Union soviétique, le rôle
de l’Allemagne à l’intérieur de l’Europe a fondamentalement changé. D’un côté, l’Allemagne unifiée a joué un rôle
décisif dans le processus d’intégration européen, mais d’autre part les changements en Europe de l’Est la concernent aussi directement ».
J. Sarrazin est d’avis que les autres pays d’Europe de l’Ouest n’ont pas encore
pris conscience de l’ampleur de la tâche qui consiste à intégrer l’Allemagne
de l’Est et à accompagner les pays d’Europe centrale et d’Europe de l’Est dans
leur développement. « Il nous faut comprendre désormais que l’Italie du Sud,
certaines régions de la Grèce et du Portugal, ou encore que l’agriculture française ne sont plus les seuls domaines en Europe dont les problèmes nous
concernent. La charge économique du soutien aux anciens États du bloc de
l’Est doit être elle aussi portée en commun, cela n’est aucunement une affaire
purement allemande. »
Selon Jürgen Sarrazin, on ne pourra à coup sûr réaliser au profit de l’Europe
de l’Est un transfert de ressources d’une ampleur même de loin comparable
à celui qui a eu lieu des anciens vers les nouveaux Länder fédéraux – où ont
afflué, dans la période de 1990 à 1993, 750 milliards de DM. Par contre, l’Allemagne peut jouer un rôle important dans les transferts de savoir-faire et dans
la mise en place de structures économiques adaptées. « En tant que
banquier », a-t-il dit, « je pense là avant tout au développement de marchés
financiers performants. Avec leurs ressources financières, leur « know how »
dans le domaine de la finance et par leur expérience, les banques occidentales
peuvent y contribuer d'une manière importante. Le marché bancaire et finan-
(1) Présentation par le Service de Presse de la Dresdner Bank des déclarations faites par le Porte-parole du
Directoire de la grande banque allemande au Club international à Genève le 13 octobre 1993.
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cier est le noyau de toute économie nationale. Il détermine et oriente la formation de l’épargne et l’investissement, c’est-à-dire la production et la consommation de demain. Un marché financier performant favorise la restructuration
des entreprises, nécessaire pour le renouveau véhiculé par l’économie de marché, il est un catalyseur de l’intégration du pays concerné dans l’économie
mondiale. »
Différentes hypothèses pour l'Union monétaire
Pour Jürgen Sarrazin, la Communauté Européenne se trouve actuellement
dans une phase critique de transition. Si l’on devait assister à une renationalisation renforcée, il ne pourrait y avoir d’Union monétaire. « Mais si nous continuons dans le sens de l’Union Européenne, il faudrait aussi qu'il y ait la force
politique nécessaire pour organiser en commun davantage de secteurs de
l’action politique, que nous ne l’avons fait jusqu’ici. Le but ambitieux fixé à
Maastricht pourrait en ce sens avoir été le moteur lancé au bon moment pour
faire avancer le processus d’intégration. Et les expériences que nous avons
faites récemment avec le SME devraient justement nous inciter comme autant
de défis à prendre encore plus au sérieux les difficultés liées au respect des
critères de convergence. »
Pour le président de la Dresdner Bank, il ne fait aucun doute que la nécessaire
convergence économique des pays européens en vue d’une union monétaire
prendra du temps. « Si, au terme de 1999 fixé à Maastricht, les pays membres
devaient encore se trouver trop éloignés sur ce plan – ce qui est prévisible –
il ne pourrait être question de concessions qualitatives – c’est-à-dire de céder
sur les critères d’entrée sur lesquels l'on s'était mis d'accord à Maastricht. A
mon sens, il n'y aura alors que deux solutions économiquement acceptables :
ou bien l’Union monétaire démarrera dans le cadre d'un cercle restreint, avec
les pays qui répondent aux critères, ou bien on devra allonger le calendrier
antérieurement fixé. »
La première solution semble à Jürgen Sarrazin la plus réaliste. La différenciation, l’adaptation aux cas particuliers, ne l'oublions pas est inscrite dans les
accords de Maastricht. Il ne faudra pas oublier chemin faisant que le Traité est
par principe ouvert à l'accession de nouveaux États membres, en sorte que,
pour la fin des années 90, il ne faut plus selon lui raisonner sur la base d’une
Europe des Douze, mais à partir d’une Communauté de plus de douze ans.
« Or je pense qu’il est totalement improbable », a dit encore Sarrazin, « que
l’intégration de tous ces pays se fasse au même rythme et qu’ils parviennent
dans le même temps au degré de convergence exigé pour l’Union monétaire.
Dans ces conditions, la formule « tous ou aucun » repousserait probablement
la possibilité d’une telle union au prochain millénaire. »
Un ordre monétaire réaliste et prometteur de succès pour l’Europe, a-t-il
poursuivi, devrait garantir que l’intégration progressive et modulée de chaque
pays soit accompagnée d'une coopération échelonnée en matière de politique
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monétaire. Cet ordre monétaire devrait obliger tous les participants à discipliner leur politique économique, mais il faudrait en même temps qu’il puisse être
accepté par tous. Jürgen Sarrazin conclut son exposé par la formule suivante :
« Dans ce cas, l’élargissement de la Communauté ne signifierait pas, pour
l’Allemagne et quelques-uns de ses voisins, l’obligation de renoncer à une
étroite collaboration en matière de politique monétaire allant jusqu’à la réalisation de l’Union, ni la nécessité de repousser indéfiniment cette dernière. Un
tel « noyau dur » de l’Union monétaire introduirait au contraire davantage de
stabilité dans toute la Communauté. Et personne ne sera exclu ! »
■
(Traduction : Catherine Weinzorn)
Jürgen Sarrazin est né en 1936 à Freiberg en Saxe. Après des études
de droit aux États-Unis et en Allemagne (Heidelberg) il entre en 1960 à
la Dresdner Bank dont il devient membre du Directoire en 1983. Depuis
mai 1993 il est porte-parole du Directoire.
FORUM DE L'ÉCOLE SUPÉRIEURE DE GESTION
GROUPE E.P.G.
28 et 29 mars 1994
Lundi 28 mars
de 13h30 à 18h00 - Les nouvelles relations économiques avec
l'Allemagne
Exposés et débats
sous le haut patronage de M. Gérard Longuet, ministre de l'Industrie,
des Postes et Télécommunications et du Commerce extérieur.
Mardi 29 mars
de 18h00 à 20h30 - Conférence-débat sur le management
interculturel : La France, l'Allemagne et l'occidentalisation de
l'Europe de l'Est
Pour tout renseignement :
ESG - Nadine Lazard
25, rue Saint-Ambroise - 75011 PARIS
Tél.: 43 38 74 89 et 43 55 44 44
Fax : 43 55 73 74
Entrée libre
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