JDD 27.04.2014
Transcription
JDD 27.04.2014
Page 2 Titre Proximité(s), un nouveau regard sur la ville Quatre exemples de lieux Numa, l’incubateur convivial parisien A mbiance détendue au rez-de-chaussée du 39, rue du Caire au cœur de Paris (2e). Autour du bar, on échange sur des projets et on imagine l’avenir. Au fond, rivés sur leurs ordinateurs, les co-workers s’activent. Dans le quartier du Sentier, Numa accompagne le développement de start-up et projets innovants. Répartis sur six étages, ses 1.500 m² regroupent, depuis novembre dernier, La Cantine, un espace de co-working créé en 2008, installé au premier étage, et Le Camping, premier accélérateur de start-up numériques, né en 2011, qui occupe le 3e niveau. L’espace gratuit au rez-de-chaussée permet à toute personne de venir s’installer pour travailler tandis qu’au 2e étage, étudiants et entreprises expérimentent. Porté par l’association Silicon Sentier, Numa accueille environ 300 personnes. De nombreux événements (conférences, work Autant d’espaces que de façons de travailler au Numa, dans le quartier du Sentier à Paris. Eric BAUDET/DIVERGENCE POUR LE JDD shops) viennent alimenter les coworkers sur des sujets très divers. « Il s’agit un concept hybride, explique Marie-Vorgan Le Barzic, directrice de Silicon Sentier. C’est un lieu mixte avec différents types de programmes et chacun de ces dispositifs a vocation à évoluer au gré des besoins. » Contraction de « numérique » et « humain », Numa peut ainsi se définir comme un incubateur convivial. « Nous accueillons un public large, continue la directrice. Étudiants, entrepreneurs, directeurs marketing… Cette diversité crée de la richesse et des opportunités. Les gens qui viennent ici ne veulent pas simplement trouver du travail, mais aussi s’inventer un destin, contribuer à un monde qui change. C’est la ville et la société entière qui sont en train de se réinventer. Numa n’est que l’un des symptômes de cette transformation. » Dans un contexte de précarisation du travail, le modèle traditionnel fordiste vole en éclats. « Nous assistons à une mutation radicale, avec une part de plus en plus importante d’indépendants, constate Bruno Marzloff, sociologue et auteur de Sans bureau fixe (FYP Éditions, 2013). Ces tiers-lieux témoignent de la nécessité de réfléchir à de nouvelles formes d’hébergement et d’organisation du travail. Ils sont aussi une réponse à la distance travail-maison qui ne cesse de croître, surtout dans les grandes métropoles. Ces personnes loin leur entreprise sont très enclines à trouver des solutions à distance. » Et les projets fleurissent à grande vitesse. Dernier en date : la future pépinière d’entreprises du Crédit agricole. Des lieux d’impulsion urbaine et économique qui dessineront la ville de demain. c Marie Molinario Conciergerie solidaire, le cœur de l’écoquartier Ginko à Bordeaux C oncilier services de proximité, citoyenneté et respect de l’environnement, c’est le but que s’est fixé la conciergerie solidaire. Quoi de mieux qu’un écoquartier en plein essor pour y parvenir ? À Ginko, sur les bords du lac de Bordeaux, les premiers habitants sont arrivés en novembre 2012. Dans cet ensemble urbain mixte de 32 ha qui sera achevé en 2017, Bouygues Immobilier a eu la bonne idée d’intégrer cet acteur en accord avec les valeurs de l’écoquartier : la conciergerie solidaire. Ouverte de 17 à 20 heures en semaine, cette structure, déjà connue des entreprises, propose gratuitement de nombreuses prestations pour faciliter la vie quotidienne, en partenariat avec les commerçants locaux : cordonnerie, pressing, livraison de produits frais, demande de carte grise, baby-sitting, aide à domicile en tout genre… la liste est longue. Les habitants y disposent d’un casier pour récupérer leurs commandes. Mais son rôle va encore plus loin. « Nous avons des valeurs sociales et environnementales fortes, explique Sylvain Lepainteur, fondateur de la conciergerie solidaire. En plus de l’offre de services, nous mettons en place différentes actions de sensibilisation aux démarches citoyennes et environnementales. Nous essayons également de créer du lien social entre les habitants en organisant des concertations ou des apéritifs, d’être un catalyseur dans ce lieu où il n’y avait rien avant. » L’entreprise emploie par ailleurs des salariés en insertion et les accompagne dans leur retour vers l’emploi. Jamais encore expérimentée à Le modèle i-Road de Toyota qui va équiper la cité grenobloise. YOSHIKAZU TSUNO/AFP/IMAGE FORUM Grenoble va tester l’autopartage L Les berges du lac de l’écoquartier Ginko à Bordeaux. DR l’échelle d’un quartier, la conciergerie solidaire évolue en même temps que se remplissent les 2.200 logements prévus et attend avec impatience l’installation des commerces et bureaux. Sur un peu plus d’un millier d’habitants aujourd’hui, 30 % à 40 % l’utilisent. Un bilan positif pour Sylvain Lepainteur : « La mayonnaise est en train de prendre, une association des habitants du quartier est même déjà créée. Nous avons beaucoup d’idées pour l’avenir. » Avec la multiplication des écoquartiers en France, la conciergerie de Ginko pourrait bien faire école. c M.M. a capitale des Alpes mise sur la mobilité douce. En partenariat avec la communauté d’agglomération, le constructeur Toyota, Cité Lib et EDF, la ville de Grenoble va tester, à partir de la fin de l’année, un dispositif innovant d’autopartage. Positionnés en différents points stratégiques, 70 véhicules 100 % électriques permettront aux utilisateurs de réaliser le premier ou dernier kilomètre. « Beaucoup d’utilisateurs, en France et ailleurs, se trouvent confrontés à un problème de déplacement du domicile à la gare de départ ou de la gare d’arrivée jusqu’au lieu de travail, et cela malgré un système de transport en commun performant, constate Philippe Boursereau, directeur de la communication chez Toyota France. Quantité de voitures circulent aujourd’hui pour ces raisons avec une seule personne à bord, ce qui n’est pas très rationnel. » Pour tenter de pallier ce problème, deux types de véhicules électriques seront proposés : le Coms, un quatre-roues monoplace avec coffre, et le tout nouveau mo- dèle du constructeur japonais, le i-Road. Ce tricycle à 2 places en tandem, de 85 cm de largeur, se faufile facilement dans les embouteillages. Parallèlement, Toyota a développé un système de gestion informatique qui permet de gérer les réservations et d’optimiser la distribution des véhicules dans les différentes stations de recharge. À l’aide de son smartphone, l’utilisateur pourra effectuer les réservations, vérifier la localisation et la disponibilité des véhicules. « Le but de l’expérimentation sera, avant d’envisager un déploiement à plus grande échelle, d’identifier les besoins des usagers, explique Philippe Boursereau, comment vont-ils les utiliser, les associer à leurs habitudes de déplacement dans l’agglomération et comment ces véhicules vont-ils s’inscrire dans le paysage urbain ? L’idée est de se positionner dans une démarche zéro émission et d’aider à la mobilité individuelle en association à un transport public. » Une solution innovante pour faciliter la mobilité urbaine et répondre aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. c M.M. Proximité(s), un nouveau regard sur la ville Page 3 partagés K’Hutte, fleuron de l’autopromotion à Strasbourg L es travaux ont démarré dans l’écoquartier de la Brasserie à Strasbourg. L’an prochain, l’immeuble K’Hutte, le plus grand projet d’autopromotion en France, sortira de terre. Réunir un groupe de personnes prêtes à s’investir dans la construction de leur logement collectif, c’est le principe de l’autopromotion. Les futurs propriétaires deviennent les maîtres d’ouvrage d’un projet d’habitat participatif « à la carte ». Premier avantage : la transparence des coûts. Accompagnés par des professionnels, ils sont en lien direct avec les entrepreneurs et savent où va leur argent. Les habitants profitent d’une personnalisation des logements et de l’aménagement des locaux. Ils ont l’opportunité aussi de rencontrer leurs futurs voisins bien avant la cohabitation. « Cela laisse du temps pour construire des liens et préparer un voisinage de qualité, souligne Bertrand Barrere, cofondateur d’Unanimm qui a lancé et accompagne ce projet depuis trois ans. L’autopromotion change quelque chose de fondamental dans le processus de base de la construction, c’est là que tout se joue. » K’Hutte sera composé de dix-huit appartements, deux locaux d’activités, un gîte urbain, deux logements adaptés pour personnes handicapées ainsi que d’une terrasse partagée de 200 m². « Cette diversité va audelà de nos espérances, assure Bertrand Barrere. C’est assez exceptionnel dans l’immobilier. Nous sommes également ravis d’avoir réuni une majorité de personnes qui n’avait jamais entendu parler d’habitat participatif. Cela montre qu’il y a une attirance générale pour les démarches coopératives. » Pionnière, l’Alsace reprend une pratique longtemps délaissée en France. Une dizaine de projets y sont en cours mais déjà, d’autres régions s’y mettent. c M.M. Vue d’artiste de K’Hutte, le projet d’habitat participatif strasbourgeois. Unanimm « Il faut penser le Grand Paris à différentes échelles » Pour l’architecte et urbaniste Christian Devillers, membre du comité éditorial de l’Observatoire de la Ville, instaurer de la proximité sera une condition de réussite de la métropole. Il suggère de développer un nouvel échelon d’organisation, en phase avec le quotidien des citoyens : le bassin de vie Parler de proximité dans le Grand Paris, n’est-ce pas contradictoire ? Non puisque le Francilien est à la fois habitant d’un quartier, d’une commune, d’un territoire et de la métropole. Il est donc essentiel de penser le Grand Paris à ces différentes échelles, de leur permettre de coexister et de réfléchir à l’aménagement de l’espace en fonction de chacune d’elles. Aujourd’hui, le niveau de la commune et celui, à l’autre extrême, de la métropole existent bien, mais l’échelon intermédiaire fait défaut. Cela aurait pu être les départements mais ils n’ont jamais su imposer leur identité. La tendance actuelle est plutôt à la simplification de l’organisation territoriale. En quoi un niveau supplémentaire est-il nécessaire ? Aujourd’hui, la mégapole représente une masse critique idéale aux yeux des économistes, notamment en terme de compétition internationale. L’Île-de-France génère le tiers du PIB français et forme un immense bassin de main-d’œuvre. étudié les déplacements domicileMais elle est aussi synonyme de travail des Franciliens et les trajets temps de trajets longs, d’accès inégal qu’ils effectuent pour leurs loiaux équipements, aux commerces sirs ou leurs achats et nous avons ou aux services. De plus, le déséidentifié des territoires où une grande partie de quilibre est patent entre Paris et la péla population vit, riphérie. Il existe « Nous avons travaille, sort et bien quelques découpé consomme. C’est par exemple le centres-villes animés, mais la l’Île-de-France cas de l’ensemble capitale demeure en 40 bassins de vie, Versailles-Saintjusqu’ici la seule Quentin-en-Yvequi jouissent vraie centralité de lines (350.000 hala métropole. Équi- d’un certain degré bitants, 460.000 ave c l e s c o m pements culturels d’autonomie.» munes environde prestige, établisn a n t e s ) . No u s sements scolaires avons ainsi découpé l’Île-ded’excellence, réseau dense de transports etc. Paris concentre tout ce que France en 40 bassins de vie, qui la métropole peut offrir de meilleur, jouissent d’un certain degré d’auce qui explique d’ailleurs la hausse tonomie. des prix de l’immobilier. Il y a un problème d’équité territoriale. Ces bassins de vie doivent-ils Quelle échelle intermédiaire permettrait de mieux répartir les forces métropolitaines ? Cette échelle existe déjà dans les faits. Dans le cadre des recherches de l’Atelier International du Grand Paris (AIGP), mon équipe s’est penchée sur les « bassins de vie ». Leur cartographie est difficile à dessiner car ce sont des zones imbriquées qui, en réalité, ne se définissent pas par leur périmètre mais par les flux qui les sillonnent. Nous avons en effet absolument avoir une existence officielle ? Cette échelle doit être reconnue et dotée d’une gouvernance propre qui serait un moyen puissant d’améliorer le territoire et d’instaurer un nouveau lieu de débat démocratique. Ainsi, la communauté d’agglomération PlaineCommune, en Seine-Saint-Denis, a fait du territoire de Saint-Denis et de ses communes riveraines le deuxième pôle économique de l’agglomération parisienne. Certes, la récente loi concernant la métropole L’architecte et urbaniste Christian Devillers, membre du comité éditorial de l’Observatoire de la Ville. DR a supprimé les intercommunalités mais elles peuvent devenir des territoires dotés d’un statut juridique, de moyens et de compétences propres. Ces territoires seront, par exemple, mieux à même d’organiser les transports de proximité qui manquent aujourd’hui : il est partout plus rapide de se rendre à Paris en transport en commun que dans la commune voisine. Cette échelle intermédiaire pourrait aussi avoir des prérogatives en matière d’aménagement, de logement, d’équipements, de développement économique, de lutte contre l’exclusion sociale et de développement des services de centralité. c Propos recueillis par Marie-Douce Albert