Chansons, poèmes et rires
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Chansons, poèmes et rires
L'ÉPAVE Tous les jeunes gens, tous les mousses, voudront apprendre ce beau drame de François Coppée... Devant la mer, assis au seuil de leur maison, La veuve du marin et son jeune garçon Sont en grand deuil. Hélas ! l'équinoxe d'automne A fait d'affreux malheurs sur la côte bretonne ; Et c'est pourquoi, rêveurs devant le ciel du soir, Cette femme et son fils sont habillés de noir. Ah! dans ce lac paisible où, sous la brise fraîche, Viennent de s'éloigner les fins bateaux de pêche Dont les voiles, là‐bas, blanchissent dans le ciel, Nul ne reconnaîtrait cet Océan cruel Qui, l'an dernier, pendant la grande marée haute, Eu un jour, a broyé vingt barques sur la côte, Et, parmi tant de deuils dont le pays est plein, A navré cette femme et fait cet orphelin. Le ciel peut être pur, la mer peut être belle, La veuve du marin est sombre et se rappelle L'effroyable tempête où son homme a péri. ‐ C'est aussi de sa faute, à mon pauvre mari, Dit‐elle en soupirant à son fils qui l'écoute, Il faut porter secours aux malheureux, sans doute, Et nul ne l'a fait que mon brave Mathieu. Mais affronter ainsi la mort, c'est tenter Dieu !... On n'avait jamais vu de pareille marée. Ton père était chez nous ; sa barque était rentrée ; Il disait, en mangeant sa soupe : « Il faut qu'on soit Maudit pour être en mer par ce vent de noroit ! » Après dîner, Mathieu prend sa pipe et l'allume Et va fumer dehors, comme il avait coutume. Là, malgré le gros temps, ils étaient quelques‐uns Qui regardaient sauter et mousser les embruns, Quand, tout à coup, voilà que mon homme remarque, Du côté des rochers Saint‐Pierre, un trois‐mâts barque... Doux Jésus ! Ce ne fut pas long. En un clin d’œil Le malheureux navire échoua sur l'écueil. ‐ Un canot ! » dit Mathieu... J'étais épouvantée ; Les autres lui montraient cette mer démontée Et la lame en fureur qui crachait des galets. ‐ « Un canot ! » répétait ton père. « Sauvons‐les ! » « Un canot à la mer, ou nous sommes des lâches ! « Le mien, si vous voulez ; car aux plus rudes tâches « Il est bon ; il ne craint ni le flot ni le vent, « Lui que j'ai baptisé du beau nom : En avant !... Ah ! les hommes sont fous, mon Tiennot !... Ils partirent... Et tous ont péri, tous... A l'heure où se retirent Les vagues, tu m'as vue aller, tout cet hiver, Chaque jour, aussi loin que va la basse mer. Mais l'Océan qui meurt à mes pieds et les lave N'a jamais rejeté la plus petite épave, Pas plus du grand trois‐mâts que du pauvre canot... O mon mignon chéri ! Pauvre petit Tiennot ! Ne va pas à la mer... tu sais, j'ai ta promesse... Monsieur le recteur t'aime et tu lui sers sa messe ; Il t'apprend l'écriture... Eh bien, c'est ton destin, Tu deviendras un prêtre et parleras latin. Et puis, loin de ces flots dont le bruit m'épouvante, Quand tu seras curé, je serai ta servante. Ne te fais pas marin !... D'ailleurs, tu m'as promis... L'enfant se tait. Il songe à ses petits amis, A ces gamins qu'il voit, dès que le matin brille Courir dans les canots, jouter à la godille, Tandis qu'il n'ose plus, le craintif orphelin, Pousser un aviron ni nouer un grelin. Il a promis, il veut obéir à sa mère. Mais, lorsque le curé, refermant sa grammaire, Lui dit : « Va‐t‐en jouer ! », et qu'il est libre enfin, Troussé jusqu'au genou et sur le sable fin Marchant pieds nus, il court bien vite vers la grève, Et le fils du marin cherche à tromper son rêve. Mais sentir l'âpre vent souffler dans ses cheveux Et l'eau froide monter sur ses mollets nerveux, Voir au loin le gros coup de la lame mauvaise Eclater en couvrant d'écume la falaise, Remplir tout un panier de crevettes, chercher Quelque hideux homard tapi sous un rocher, Ou saisir le lançon dans sa fuite rapide, Cela ne suffit pas à l'enfant intrépide. Non, son ardent désir, c'est le bateau mouvant Avec sa voile ronde et ses deux focs au vent Et le lest de galets humides qui le charge, C'est la course au lointain horizon, c'est le large Avec sa forte houle et son grand souffle amer, C'est l'ivresse d'aller sur cette vaste mer, Dont le parfum le grise et le rythme l'attire... Et voilà de longs mois que dure ce martyre ! Mais le temps passe. Encore un équinoxe affreux ! Et les marins du port, un jour, causant entre eux, Tout comme l'an dernier, sur la mer en délire, Viennent de signaler un malheureux navire, ‐ Un brick, cette fois‐ci, ‐ qui touche le récif. A chaque lame, il fait ce sursaut convulsif Qu'on pourrait appeler le râle du naufrage. ‐ « Un canot à la mer ! des hommes de courage ! » Dit quelqu'un. Aucun d'eux n'a pu, certes oublier Las camarades morts de l'automne dernier. Mais voilà qu'on entoure une barque et qu'on l'arme. La mère de Tiennot est là, pleine d'alarme, Elle étreint son garçon et lui redit tout bas : ‐ « Tu sais, tu me l'as bien promis... tu n'iras pas ! » Et les yeux dilatés et se mordant la bouche, L'enfant ne répond rien et regarde, farouche, Les braves compagnons qui parent le bateau. Tout à coup, une lourde et sombre masse d'eau S'écroule avec fracas, couvrant tout de sa bave, Et devant l'orphelin elle jette une épave, Une planche pourrie et rongée où l'enfant A déjà distingué ces deux mots : En axant ! L’Atlantique a tiré du fond de son repaire Ce débris de bateau. C'est un ordre du père ! Les sauveteurs sont prêts ; ils poussent leur canot; Et s'arrachant des bras de sa mère, Tiennot Saute auprès d'eux, saisit à la hâte une rame... Et les voilà partis contre l’énorme lame ! Comme on les suit des yeux ! Hardi, là ! Comme ils vont ! Sainte Vierge ! Voyez cette lame de fond... Ils ont chaviré... Non, le canot se redresse... Il va toucher, il touche au navire en détresse... Il était temps le brick se penche à faire peur... Ils reviennent déjà !...Voilà des gens de cœur Qu'ils sont chargés, ils ont de l'eau jusqu'au bordage... ‐ Combien en avez‐vous sauvé`? ‐Tout l'équipage ! ‐ Hurrah ! – Vite ! jeter une corde... Aidez‐nous... Et, tandis que, joyeux, sautent sur les cailloux Sauveteurs et sauvés, parmi l'écume amère, Le brave enfant Tiennot dit â sa pauvre mère Qui de ses bras brisés, l'entoure en sanglotant : ‐ « Maman, ne gronde pas... Le père est si content !. François Coppée Publié avec l'autorisation de l'auteur, de l'éditeur et de la Société des Gens de Lettres. L’HAMEÇON ET LE POISSON Jolie fable, due à la plume d’une dévouée amie des marins Un vieux pêcheur madré, le père Bouguennec, Descendait vers le port. Il ventait un peu sec ; « Bonne brise », dit‐il ; puis, détachant sa barque, Il navigue au plus près pour gagner une marque Où les bars, aujourd'hui, devaient donner en plein. Par vingt mètres de fond, il lance son engin ; Mais lui, toujours heureux, tendit en vain sa ligne Rien ne mordait, hélas ! Poursuivi par la guigne, Quand il la relevait, au bout de l'hameçon, L'appât restait entier... pas le moindre poisson ! Dans les bas‐fonds, pourtant, ils s'agitaient en masse. (Car chacun sait qu'ils sont de nature vorace.) Plus d'un restait troublé par ces friands appâts Mais un vieux bar malin criait : « N'approchez pas « Sous ces morceaux de choix, un hameçon vous guette, « Et si quelqu'un de vous se montrait assez bête « Pour se laisser tenter, il trouverait la mort ! « Naguère, je faillis subir ce triste sort : Je ne pus m'en tirer, amis, que par miracle ». Un d'eux lui répondit : « 'Tu n'es pas un oracle, « Si, glouton, tu voulus jadis tout avaler, « On peut, sans t'imiter, autour batifoler, « Mordre un petit morceau, tout en demeurant sage ! « Si, croyant nous tenir, Le Bouguennec enrage « De ne rien relever... comme on rigolera ! « Rira bien, dit le vieux, qui le dernier rira »... Lors, sans plus écouter cette parole austère, Croyant être très fort, le jeune téméraire Vint, dans l'appât tendu, donner un coup de dent ; Aux amis inquiets, le déclare excellent, Et poursuit, enchanté, sa besogne funeste, S'enhardissant toujours !... Vous devinez le reste... Comment de ses succès semblant suivre le cours Il s'enferra pourtant, malgré ses beaux discours ! Pour combien de marins l'appât de la bouteille Entraîne chaque jour aventure pareille ! Sourds aux avis donnés (et par plus d'un ami), « L'alcool est un poison », on ne croit qu'à demi. Ah bah ! l'on ne meurt pas pour prendre un petit verre, Quand on est sûr de soi, que diable ! on sait bien faire La nique à la bouteille... et s'arrêter à temps ». Combien dirent cela ?... Les pauvres imprudents ! Ainsi que le poisson dont j'ai conté l'histoire. Ils « s'amusent » d'abord, puis « se mettent à boire », Comme on dit au pays. Malgré tous leurs serments, Oubliant chaque jour leur femme, leurs enfants. La faim rentre au logis que l'ivrogne délaisse. C'était l'aisance hier, aujourd'hui la détresse. Dans les yeux des petits, on voit souvent des pleurs ; C'est ce maudit alcool, cause de ses malheurs, Qui du fier matelot a fait de chute en chute L'homme sans volonté, l'être sans cœur, la brute, Dont on a trop souvent prédit le triste sort, Disant avec dégoût : Pouah ! il est ivre‐mort ». R. G. Nuit de Noël Complainte vraie sur l'air : « La Ferme aux Fraises » Drame du 24 décembre 1901 : collision du Navigateur et du Vélox; belle conduite du capitaine Coadou. I La nuit brumeuse étend son voile Le vingt‐quatre du mois très noir : Sous le ciel anglais sans étoile On a doublé Long‐Ship, ce soir. Petite goélette paimpolaise, Au fier nom de Navigateur, Veille bien dans ces eaux anglaises ! Défie‐toi : crains les grands vapeurs ! A bord, cinq gâs d'humeur joyeuse ; Trois matelots aux bras puissants, Un mousse‐apprenti, le p'tit Jean, Pour cap'tain Coadou ‐le‐Vaillant ; Tous, un brave cœur sous la vareuse. II Au bossoir. Botcazou qui veille Relève un feu vert par tribord ; On ouvre l’œil on le surveille : Il passera non loin du bord. Pourquoi trembler, ô ma goélette `? Ne crains rien, tes trois feux sont clairs... Mais, quoi, Capitaine, tu t'inquiètes : Ton regard jette un vif éclair : V'la son feu rouge bien visible ! ‐ « Il vient droit sur nous ! Ah bandit ! « Not'feu blanc... Gueulons !... C'est fini !... « Monter dans ses chaînes – Le maudit Broie la goélette... (O choc horrible !) III Coupé, brisé, le navire sombre, (Adieu pauvre Navigateur ! ) Trois hommes ont grimpé sans encombre Aux chaînes qui pendent du vapeur ; Sur le pont qui craque et s'enfonce, Fou de peur, hurle petit‐Jean... Ciel, entends le nom qu'il prononce ! « Ma Doué, Oh maman ! Maman !... » Coadou bondit sauver son mousse Le croche, l'enlace d'un bras, Grimpe aux haubans de son grand mât, Attrape la chaîne de l'autre bras, La chaîne du vapeur... qui mousse. IV Oui, la mousse écume sous l'étrave : Le grand Bourreau n'a pas stoppé ; Toujours il entraîne l'épave A toute vitesse, le meurtrier Coadou, cramponné sur la chaîne, Sent bouillir son sang valeureux : II hisse, (énergie surhumaine,) Petit Jean, et grimpe furieux Sitôt su'l'pont, vite, il s'élance Vers la passerelle tout ému : Pousse l'homme de quart saoûl‐perdu Et commande d'un ton résolu : « Machine arrière ! Et Vive la France ! »... V Plus rien de la goélette neuve, Plus rien sur l'eau : tout englouti !, Ma femme a manqué d'être veuve », Murmurait Le Pape tout saisi. Torrés répétait : « Quelle chance, A not'place cent se s'raient noyés Petit‐Jean, toujours dans les transes, Sanglotait : « J'veux plus naviguer ! Et lorsqu'on vint offrir à boire, L'mat’lot Botcazou cria : « Non ! « C'est pas d'l'eau‐d'‐vie, c'est du poison ! « Vous voulez not'peau, nom de nom ! « A ç'bord je n'veux manger ni boire ! » VI Un quart d'heure après l'abordage, Tandis qu'en bas rient les buveurs Le vapeur aveugle et sauvage Manque faire un nouveau malheur : Soudain se dresse une grande ombre Un voilier presque bord à bord ! L'ivrogne, aux yeux toujours plus sombres, Gouvernait en semant la Mort ! ‐ « Va te coucher: j'gouverne et j'veille ! » S'écrie Coadou énergiqu'ment.. Prit la barre, et bien tranquill'ment A Brest il entra l'bâtiment... En bas, l'on cuvait les bouteilles... VII Terriens, quand on viendra vous dire Que les ivrognes sont bretons, Lorsqu'on jurera qu'ils sont pires Que tous les autres, en fait d'boisson, Faites le récit du naufrage De la goélette de Paimpol L'ivresse a causé l'abordage, Les ivrognes étaient Espagnols ! Et c'est un fils de la Bretagne Qui s'est conduit là en héros, En homm' de grand cœur, en mat'lot! (Est‐il au monde un plus fier mot ?) Que toujours l'Honneur l'accompagne !... TAILLEVENT Yann = la = Goutte et son cochon Sur l'air de : Allons, chasseur, vite en campagne ». Par Théodore BOTREL, I Yann‐la‐Goutte au fond d'son étable Possède un goret‐ ben mignon Tonton, tonton, tontaine et tonton C'est vraiment un'bête admirable : Pas Yann‐la‐Goutt' ... mais son cochon ! Tonton, tontaine et tonton ! VI L'un d'eux n'peut pas souffrir ses mioches Ni ses fillett's, ni son garçon Tonton, tonton, tontaine et tonton Ce qu'il leur en f...ich' des taloches !!! Pas le cochon... mais son patron ! Tonton, tontaine et tonton ! II L'un d'eux a mauvais caractère : Il est sournois, brutal, grognon, Tonton, tonton, tontaine et tonton Un rien vous le fiche en colère ! Pas le cochon... mais son patron ! Tonton, tontaine et tonton ! VII L'Autre n'est pas une canaille On le class' parmi les gens bons Tonton, tonton, tontaine et tonton Il adore ses petit's gourailles Pas Yann‐la‐Goutt'... mais son cochon ! Tonton, tontaine et tonton ! III L'Autre est d'humeur très guillerette, Il a‐z‐un nez tout drôlichon, Tonton, tonton, tontaine et tonton Il rit, chante et gueule à tue‐tête... Pas Yann‐la‐Goutte... mais son cochon ! Tonton, tontaine et tonton ! VIII Lorsque l'un des deux sans vergogne S'en revient ivre à la maison Tonton, tonton, tontaine et tonton Il grogne après sa femme... et cogne ! Pas le cochon... mais son patron ! Tonton, tontaine et tonton! IV L'un d'eux, qué hont' pour sa famille ! Mange et boit tant et tant, dit‐on, Tonton, tonton, tontaine et tonton Qu'à tout ses r'pas il dégobille : Pas le cochon... mais son patron ! Tonton, tontaine et tonton ! IX Quand l'autre voit sa p'tit' cochonne Il roule un œil tout folichon T'en as un œil, tontaine et tonton ! De joie sa queue se tirebouchonne ! PasYann‐la‐Goutt'... mais son cochon ! Tonton, tontaine et tonton ! V L'Autre se régale au contraire Avec des patat's et du son Tonton, tonton, tontaine et tonton Il dédaign' l'eau‐d'vi' pour l'eau claire Pas Yann‐la‐Goutt' ...mais son cochon ! Tonton, tontaine et tonton ! MORALITÉ Comm' la comparaison l'embête Yann‐la‐Goutt' veut vendr' son cochon Tonton, tonton, tontaine et tonton J'donn'rais ben deux cents francs d'la bête J'donn'rais pas deux sous du patron !!! Tonton, tontaine et tonton ! Théodore BOTREL LE « VA DE L’AVANT » A LA PÊCHE AU THON I Quand ils s'en vont nos gais thoniers Là‐bas, sur l'immense Atlantique Pêcher les poissons azurés, Ah !qu'ils sont beaux et magnifiques Avec leurs voiles pleines au vent, Au vent de Nord‐Est qui les pousse !... ..Sur‐le Va d'l'Avant chante un mousse, Ecoutons ses refrains touchants Vaillant dundée, cours sur les eaux profondes ; Vaillant dundée, entre le ciel et l'onde ; Vaillant dundée, va, que la pêche abonde Et, dans huit jours, que tu sois de retour. II Sur la ligne de Bilbao L'patron donn'un ordre; on arrête, Car le poisson saute sur l'eau. En un instant les lign's sont prêtes. Chacun espère anxieusement Quand, le patron, tournant la tête « Ber en ahuil, qu'on se dépêche: Ber olinde, courage, mes enfants ! » Tirez à bord, tirez, tirez mes frères, La quatrième, le plomb et la première, Sur la sabaille, le bonhomme à: l'arrière, Du thon, le sang Rougit le Va d'l'Avant. III Le soir, la pêche est terminée. Le Va d'l'Avant en a sa charge, Le vent de Nord‐Ouest est tombé. De suite il faut quitter le large, On met le cap sur l'île de Groix; Le mousse aux joues roses et prospères Joyeux en veillant sa chaudière, Chante et murmure à demi‐voix Vent de Suroît, fraîchis, fraîchis sans cesse ! Vois l'équipage rempli d'allégresse ! Va, conduis‐nous, mais sans trop de rudesse, A Port‐Tudy Voir nos parents chéris. EMILE PAJOT, Marin‐pêcheur â la Chaume