salafisme et militarisation, unis pour la
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salafisme et militarisation, unis pour la
SALAFISME ET MILITARISATION, UNIS POUR LA DEPERSONNALISATION DE LA KABYLIE Kader Sadji Journaliste indépendant Décembre 2014 Cet article est un texte de réflexion sur le phénomène du salafisme en Kabylie. Il s’appuie pour l’heure sur quelques faits précis pour formuler un point de vue personnel sur la question. Ce texte fera l’objet d’un développement ultérieur en raison du danger que représente l’insidieuse propagation du salafisme qu’instrumentalise le pouvoir. A l’aube du troisième millénaire, dès l’intronisation de Bouteflika par les hiérarques militaires, le pouvoir inaugure une nouvelle stratégie politique de dépersonnalisation de la Kabylie en inoculant dans ses veines, à dose homéopathique, le poison mortel du salafisme, par le biais duquel il cherche à l’anesthésier jusqu’à la fin des temps. Ce changement de stratégie, savamment concocté dans les laboratoires du régime, intervient après l’échec des méthodes brutales vainement utilisées pour la soumettre : répression, prison, terrorisme… Ayant constaté que le village constitue un lieu de résistance politico-culturel et un fondement de la référence à l’autochtonie, comme cela fut prouvé lors du Printemps noir 2001, le pouvoir décida alors de s’en prendre méthodiquement aux référents culturels de la société villageoise, autant dire s’attaquer insidieusement à l’âme de la communauté kabyle. Si, durant des décennies, la politique d’arabisation de la Kabylie, destinée à l’acculturer en l’arrimant à l’idéologie officielle arabo-islamique fondée par l’association des Ulémas des années 1930-40, n’a pu donner le résultat escompté, la langue étant un élément fondamental de l’identité berbère, il n’en sera pas de même pour le cas du projet mortifère de la salafisation de la Kabylie. Le cas d’une commune rurale des environs de la ville de Bejaïa, Toudja en l’occurrence, illustre bien cette tendance. C’est en effet depuis plus d’une décennie que débuta l’affectation de nouveaux imams issus de l’université islamique de Constantine vers les mosquées de plusieurs villages de cette commune (comme cela aurait pu être le cas d’autres villages) pour prêcher cette nouvelle religion, version wahhabite. Pour se faire accepter sans préalable par la population locale, ces imams sont tous originaires de Kabylie. Briser le lien social Rappelons au passage que depuis fort longtemps, tous les imams de cette région, peut-être de toute la Kabylie même, sont issus des écoles coraniques traditionnelles de rite malékite. Les nouveaux imams mènent une constante campagne de prosélytisme pour mettre la population sous le joug du dogmatisme religieux. Leur objectif principal est de délégitimer au nom du salafisme tous les rites et pratiques sociales constituant les référents culturels des entités villageoises. Leurs méthodes privilégient plutôt le discours persuasif aux injonctions péremptoires. La société villageoise étant toujours patriarcale et gérontocratique, ces imams s’adressent donc souvent aux plus vieux qui sont généralement pieux et naïfs, jouissant toutefois d’une respectabilité établie, pour exercer quelque influence sur eux en matière de pratique religieuse. C’est ainsi que, peu à peu, ces apôtres du salafisme persuadèrent nombres de villageois d’abandonner de plus en plus leurs pratiques sociales ancestrales, telles que tatayaft (offrande), comme celle de Sidi-Metref, consistant à sacrifier des bœufs à l’approche de la cueillette des olives pour invoquer la prospérité. Ce rituel est couronné par un repas collectif convivial rassemblant toute la communauté. La fête de Mouloud, naissance du prophète Mohamed, a toujours été célébrée par la visite de femmes s’en allant en procession, bougies allumées à la main, vers la mosquée d’Aghbalou (Toudja). Cette pratique aussi a disparu récemment, comme celle d’une autre visite de femmes de plusieurs villages vers un autre lieu mythique : la grotte aux sept plateaux (ifri bu sebaâ iyensan). Ce rite, durant lequel les femmes chantaient en formulant des vœux de prospérité, entrecoupé d’un grand goûter champêtre, est frappé du sceau de l’interdit religieux. Pendant le ramadhan, à la rupture du jeûne, les femmes avaient l’habitude de se regrouper le soir à la mosquée d’Aghbalou pour partager un moment de rencontres conviviales entre elles. Mais, cette pratique aussi est mise au cachot suite à la même sentence religieuse. Islam : un instrument politique Tous les référents culturels propres à cette communauté sont ainsi frappés de discrédit et délégitimés, non seulement par les salafistes, mais aussi par le pouvoir lui-même qui utilise la religion pour dompter les esprits, rendre docile les populations et asseoir plus efficacement son hégémonie sur elles. « L’Islam est sollicité comme instrument politique pour exercer une pression et un contrôle social sur le comportement des gens », reconnaissait un sociologue algérien. Des habitants de cette région, conscients des incidences politico-idéologiques de cette sourde agression contre la culture villageoise de Kabylie, sont profondément convaincus que ces référents culturels sont méthodiquement ciblés parce qu’ils maintiennent le lien social et renforcent le sentiment d’appartenance communautaire. « Sans ses référents culturels, la Kabylie est comme un corps qui a perdu son immunité », se plaint un poète de la région. En ayant comme objectif suprême la dislocation de ce lien social, le pouvoir et ses alliés intégristes connaissent bien son extrême importance pour les Kabyles, comme l’explique aussi un autre sociologue algérien en le définissant comme un « lien qui unit des individus au-delà des groupes familiaux et qui leur donne le sentiment d’appartenance à une même communauté partageant les mêmes valeurs. » Le processus sournois de la rupture de ce lien social a pour conséquence l’isolement de l’individu et la perte de ses repères. L’action salafiste va même au-delà de la dépersonnalisation des communautés villageoises. Elle veut amener celles-ci à se conformer servilement à une pratique religieuse rétrograde, obscurantiste, tout en appelant l’Etat à veiller à son application stricte, en d’autres termes, à institutionnaliser ce contrôle social d’un âge décadent, dégradant. Toutefois, il faut admettre que la propagation du salafisme, rapide ou lente selon les régions, n’est pas uniquement le fruit du prosélytisme de ses adeptes. D’autres facteurs l’ont également, favorisée, à travers l’enseignement dogmatique de la religion à l’école, les prêches intégristes dans les mosquées et les chaînes satellitaires, le vide culturel, le système patriarcal, l’oppression sexuelle, l’attrait de la rente, la propulsion d’une mafia local, l’exil des élites intellectuelles, le verrouillage des espaces d’expression, le recul du combat démocratique…Tous ces facteurs sont favorisés ou entretenus par le pouvoir pour créer un environnement hostile à la promotion des idées et valeurs de progrès et de modernité dans la société. Combattre le défaitisme L’endoctrinement religieux de nos enfants à l’école a bien sûr pour but de faciliter l’adhésion des masses juvéniles à la rhétorique salafiste. Le recul de la pensée rationaliste, de l’esprit critique et l’énorme retard dans l’affirmation de l’autonomie de la conscience individuelle comme prélude à la citoyenneté, sont la résultante directe de ce programme gouvernemental visant l’asservissement mental des populations. Ce climat délétère, s’alimentant quotidiennement du sentiment défaitiste de nos concitoyens, rend largement possible une telle politique d’anéantissement de l’individu. Comme toute politique rétrograde et liberticide a besoin de la force brute pour s’imposer, le pouvoir a aussi installé dans pratiquement chaque région rurale et urbaine, un cantonnement militaire ou un barrage de gendarmerie, pour créer et alimenter un sentiment de peur et de soumission des citoyens envers l’armée. Celle-ci est omniprésente même là où l’on s’attendait le moins ou pas du tout à la rencontrer comme au motel des Cimes au cap Bouak, surplombant majestueusement la mythique baie des Aïguades. L’immense caserne des Quatre-chemins, qui devait être libérée après la réalisation de l’école de génie-militaire d’Aboudaou pour dégager des terrains d’habitation afin de résorber la crise du logement, fait l’objet d’un accaparement en bonne et due forme au mépris du développement urbanistique harmonieux et des dizaines de milliers de citoyens attendant désespérément d’être enfin logés chez eux. N’oublions pas aussi la gigantesque école de gendarmerie de Remila, la plus grande en Algérie, peut-être même en Afrique, en phase de finalisation. Elle est là pour rappeler les intentions véritables du pouvoir. Cette militarisation grandissante de notre société obscurcit encore plus l’avenir de la Kabylie et l’Algérie dans son ensemble. Mais, au-delà de ce constat ahurissant, y a-t-il encore un espoir à ce que la situation change et prenne un jour le chemin du progrès et de la liberté ? Il n’y a aucun doute là-dessus, car l’aspiration à la liberté est peut-être le sentiment le plus puissant qui ait pu animer l’être humain. Mais, point de salut pour ce dernier s’il n’accepte pas de consentir lucidement des sacrifices dans sa lutte pour sa propre libération, une lutte à plusieurs dimensions : politique, idéologique, intellectuelle et culturelle. Il faut créer et multiplier partout des organisations citoyennes autonomes, auto-financées, solidaires, sans autres ambitions que de se mettre au service, et de manière totalement désintéressée, des causes justes, et de promouvoir la quête de liberté chez le citoyen. L’action de l’élite intellectuelle est primordiale. Elle doit non seulement s’exprimer sur les questionnements qui préoccupent le citoyen sur ses problèmes réels, présents, et sur le devenir de sa société, mais aussi, elle peut et doit créer des espaces de rencontre permanents, susceptibles de recréer le lien social, et où des thèmes sociétaux seront librement débattus, impliquant le citoyen afin que celui-ci redevienne un acteur averti, conscient, agissant et apte à façonner son devenir, son histoire. Kader Sadji Journaliste indépendant Décembre 2014