Andalus 9
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Andalus 9
Patrimoine matériel et stratégie touristique dans l'Axarquía (Province de Málaga, Espagne) par Sébastien Patacq Aperçu du centre historique de Vélez-Málaga avec la Fortaleza en hauteur (cliché de l'auteur) En Espagne, beaucoup plus qu'en France, l'identité locale du pueblo (1) est très forte. Traditionnellement, toute la vie d'une personne se déroule au sein de sa communauté villageoise et il n'est question d'en sortir que sous certaines conditions. Pourtant, il ne faut pas être longtemps sur place pour comprendre que ce constat est grandement invalidé et que, partant, l'ethnographie menée sous le franquisme est devenue obsolète. De fait, l'Espagne a connu deux séries de transformations profondes dans le dernier demi-siècle qui, se recoupant, ont, dans bien des cas, casser les structures sociales traditionnelles. D'une part, le tourisme, introduit par le franquisme au début des années 1960, a transformé presque tous les littoraux espagnols et de très nombreuses villes. D'autre part, la démocratisation rapide, récompensée par l'entrée dans la C.E.E. en 1986, a accéléré la gestation d'une société capitaliste contemporaine. Et ce fut en grande partie un succès, lorsqu'on observe tous les grands travaux d'ouvrage entrepris depuis les années 1980 et le soin pris par les Espagnols pour embellir leurs villes. Mais localement, la réalité est différente et doit s'apprécier avec ses nuances. L'Axarquía est une comarca (division administrative espagnole) de taille moyenne de la province de Málaga. Située sur le littoral oriental de la ville de Málaga, la petite chaîne qui la borde à l'est (la Sierra Tejeda) dessine la frontière avec la province de Grenade. Bien qu'il y ait une controverse sur sa délimitation historique, son nom provient de l'appellation que ce territoire portait dans l'ancien royaume musulman de Grenade : Ash-Sharqiya (l'Orientale) de l'ancien territoire de Málaga (la Cora de Rayya). Sa capitale historique est Vélez-Málaga. L'intérêt de ce territoire disparate est qu'il constitue une interface entre plusieurs lignes de force : entre le littoral et l'intérieur de l'Axarquia, entre Málaga et Grenade, entre un tourisme de masse et/ou huppé sur la Costa del Sol occidentale et un tourisme plus culturel et rural en direction de Grenade. Aussi la question est-elle de savoir comment les acteurs locaux parviennent à se servir de leurs différences territoriales, sociales et culturelles pour construire une stratégie touristique cohérente et viable. La formation d'un territoire touristique en Andalousie Les premières mesures relevant d'une politique touristique espagnole furent prises sous la Dictature du général Primo de Rivera. La Seconde République lui emboîta le pas. Mais ce fut durant la seconde phase de la Dictature franquiste que se dessina une véritable politique orientée vers les classes moyennes européennes, à partir du début des années 1960. Le littoral de la Costa del Sol occidentale s'en trouva complètement transformée pour les besoins d'un tourisme dit " de sol y playa ". L'urbanisation se densifia sur toute la côte occidentale de Málaga jusqu'à Estepona. En suivant la côte orientale en direction du Levant espagnol, on entre dans l'Axarquia par Rincón de la Victoria. On longe la côte jusqu'à Torre del Mar, noyau urbain appartenant à la juridiction municipale de Vélez-Málaga, retirée à environ six kilomètres à l'intérieur des terres. De là, on entre dans l'Axarquia intérieure : le décor change beaucoup, les infrastructures et les mentalités aussi. Le gouvernement franquiste tenta de stimuler les acteurs locaux de la province de Málaga, dans les années 1960 et 1970, pour créer un véritable tissu touristique à la fois intégré et différencié. Les fonctionnaires locaux étaient chargés de certifier les fêtes traditionnelles des pueblos d'après des critères rigoureux les autorisant à les déclarer " Fête d'intérêt touristique ". Les critères retenus étaient autant la tradition, la pureté folklorique, la résonance populaire … sans oublier ceux démontrant l'importance du prisme touristique dans l'aménagement du territoire (2). De même, des concours d'embellissement des villages furent organisés tous les ans entre tous les différents pueblos de la province (3). La comarca de Vélez-Málaga, qui ne s'appelait pas encore officiellement Axarquia, fut particulièrement concernée par le IVème Plan de Développement Economique et Social. Dans ce plan touristique, la ville est intégrée dans deux itinéraires touristiques d'importance locale voire régionale (4) : d'une part, la Route des vins des Monts de Málaga, à un moment où la zone géographique de l'Axarquia courait jusque dans les montagnes au nord de la ville de Málaga, et de l'autre, la Route de la Pasa (le raisin sec), culture pour laquelle l'Axarquia est célèbre depuis l'époque musulmane au moins. Mais des disparités territoriales sont déjà palpables durant ces décennies à l'intérieur même de l'Axarquia. Le gouvernement central lance la formule des centres d'initiatives et de tourisme à partir de 1965. Ces centres ont pour objectif que " se dévoile et se développe l'esprit de coopération citoyenne au service désintéressé du bien commun, en collaboration constante, loyale et respectueuse, avec les Autorités " (5). Le cadre clairement franquiste essaie de favoriser l'effort de construction d'un tourisme à l'échelon local, non seulement pour induire une concentration des attractions touristiques et de l'effort marketing, mais aussi pour organiser une vie culturelle locale permettant de mettre en valeur et garantir l'authenticité du patrimoine local (6). Un centre d'initiative est attesté à Vélez-Málaga dès le 10 mai 1966. Au moins deux autres centres sont attestés dans les archives, à Competa et Periana, dans l'intérieur de l'Axarquia. Malheureusement, les archives en gardent trace à cause de leur inactivité constante depuis leur création en 1965 jusqu'à ce que le maire de Competa, qui confirme cette inactivité, demande l'autorisation de le relancer… en mars 1976 (7). Petit à petit, l'Axarquia se dote d'un réseau touristique complet. Cependant, il est clair que, dès les années 1960, la comarca a fait le choix d'un type de tourisme de " sol y playa " encourageant un urbanisme bétonné et spéculatif saturant le littoral. Dans un premier temps, les prix de l'immobilier restent bien en-deçà des prix de la Costa del Sol occidentale, mais très vite des noyaux urbains de l'Axarquia ressemblent de plus en plus à ceux de Torremolinos et de Marbella : Rincón de la Victoria, Torre del Mar et surtout Torrox et Nerja. Des projets urbanistiques monumentaux, parfois pharaoniques, sont proposés et soutenus par les administrations PSOE et PP majoritairement au pouvoir dans les différentes villes littorales de la comarca. Des projets de golf, masquant des opérations d'urbanisme de luxe et de spéculations, sont toujours à l'ordre du jour dans ces territoires urbanisés. Très vite, dès les années 1960, le territoire littoral de l'Axarquia intègre une vision du tourisme favorisant un urbanisme spéculatif. Ce modèle tentaculaire, dominant la Costa del Sol, a entraîné une saturation du littoral occidental qui déclencha mécaniquement la création d'une bulle immobilière sur le littoral de l'Axarquia, moins urbanisé mais se dirigeant vers un modèle touristique analogue. Au début des années 2000, l'Axarquia enregistrait la plus forte croissance de la province pour les résidences secondaires, voire principales, en raison de la grande proportion d'étrangers du troisième âge attirés par le soleil et le climat. Le prix du mètre carré sur le littoral atteignait 200 000 pesetas alors qu'il oscillait entre 150 et 170 000 pesetas dans l'intérieur des terres (8). Les institutions du tourisme sont très conscientes des problèmes causés par un modèle urbanistique spéculatif. Aussi, les plans de promotion du tourisme marquent un tournant vers la fin des années 1990 et le début des années 2000, afin d'essayer d'installer un nouveau modèle fondé sur la différence : différence géographique, culturelle et touristique. L'intérieur de l'Axarquia retrouve un intérêt dans ces plans. En 2000, le Plan d'Excellence Touristique permet l'investissement de 200 millions de pesetas (9) et, depuis 2005, un Plan de Dynamisation de l'Axarquia injecte plus de quatre millions d'euros sur quatre ans (10). A partir des années 1980, un Centre de Développement Rural (CEDER) stimule la création d'une offre touristique rurale de qualité : maisons d'hôtes, gîtes, restaurants typiques… L'Association de Promotion Touristique de l'Axarquia (APTA) insistait, par le biais de sa directrice Sara Sanchez, au début des années 2000, sur le besoin de marquer la différence de l'Axarquia dans la stratégie de développement touristique de la comarca. " L'offre d'une côte différente, moins saturée et avec la possibilité de combiner le tourisme de soleil et de plage avec le tourisme rural, l'amélioration des communications, permettant une connexion rapide avec les autres noyaux andalous, et la gastronomie et les produits typiques, sont quelques-uns des aspects sur lesquels l'intérêt est le plus manifeste " (11). Dorénavant, la stratégie est à l'intégration entre le littoral et l'intérieur, avec l'objectif implicite de s'inspirer d'une Axarquia plus traditionnelle pour ramener la culture dans le champ de la promotion touristique. A titre d'exemple, la ville de Torrox lance son programme culturel durant l'été 2000 avec le thème " Rafraîchis-toi avec la culture " (12). L'intégration progressive du patrimoine dans la stratégie touristique Une grande partie de la côte est complètement urbanisée, illustrant bien l'orientation clairement urbanistique de la stratégie touristique au détriment des considérations patrimoniales. Mais depuis les années 1960 jusqu'à la crise de 2008-2009, les projets ont bien évolué. A Torre del Mar, le premier hôtel se construisit à partir de 1962 et fut inauguré le 5 juillet 1965. L'hôtel Myriam fit entrer cette petite ville tirant ses ressources de l'agriculture et de la pêche dans l'ère du tourisme espagnol. L'hôtel Myriam prospéra durant une vingtaine d'années. Mais bientôt, la compétitivité du marché touristique local fit que la propriétaire dut engager des travaux d'agrandissement et de modernisation pour soutenir la concurrence. Malheureusement, le projet ne respectait pas le Plan Général d'Aménagement Urbain (13) et les travaux ne commencèrent jamais malgré les efforts de sa propriétaire. Si bien que l'hôtel dut fermer en 1988, fut vendu en 1994 et démoli l'année suivante (14). Dans les années 1990 et 2000, il est souvent question de modification des plans locaux d'urbanisme pour permettre la construction de projets de plus en plus grands et polémiques. Dans la presse, l'opposition s'allie souvent avec des associations de riverains concernés par ces projets pour demander des enquêtes et sous-entendre des actes de corruption. A Rincón de la Victoria, la porte de l'Axarquia en venant de Málaga, en 2000, la municipalité approuva un projet urbanistique appelé Huerta Julián. Ce macro-projet prévoyait la construction de 1200 logements sur une surface de 118 531 mètres carrés incluant des tours de seize étages, ce qui nécessitait une révision du PGOU de 1991. Le PSOE, alors dans l'opposition, cria au scandale et à l'opération spéculative. Il trouva par exemple très suspect que la période légale de débat fût ouverte durant les grandes vacances, en plein mois d'août (15). Pour presque tous les politiques en poste jusqu'à la crise actuelle, l'opération spéculative primait sur tout autre type de considération, sociale ou patrimoniale. Toujours à Rincón de la Victoria, un autre projet urbanistique fut à l'ordre du jour au même moment, dans la zone de El Cantal. Il était question de construire plus de cinq cents logements sur un terrain bien situé sur une hauteur de la ville, avec une vue imprenable sur la mer. Or, comme beaucoup de sites du littoral, El Cantal possédait en son sein des grottes et des peintures rupestres importantes que les travaux risquaient fort d'endommager. Dans un premier temps, la Junta de Andalucía avait bloqué les travaux pour protéger ces vestiges du Néolithique et avait inscrit le site dans la liste du patrimoine andalou en le certifiant de " Bien de Interés Cultural " (BIC). Pour autant, le projet refait surface à la fin des années 1990, sous l'administration du Partido Popular qui, avec l'accord du Partido Andalucista local, modifie le PGOU afin de rendre le projet opérationnel pour l'entreprise EDIPSA qui avait remporté le marché. A cette occasion, une association de riverains se constitua pour essayer de bloquer le projet : l'Association Culturelle El Cantal. L'ancien maire PSOE de Rincón, Clemente Caballero, dénonce une grave erreur due à l'absence de " sensibilité écologique et archéologique ". On trouve, dès les années 1960, la conscience que le patrimoine de l'Axarquia est un allié puissant du tourisme et qu'à ce titre, il doit recevoir tous les soins possibles de la part des institutions et des pueblos. Mais, pendant longtemps, ce souci n'est resté que verbal. Dans les années 1970, le pionnier de l'archéologie phénicienne en Espagne, l'hispano-allemand Hermanfrid Schubart, de l'Institut Archéologique Allemand de Madrid, se plaignit des mauvaises conditions de conservation dans lesquelles les fouilles étaient laissées d'une année sur l'autre, induisant des pertes à cause d'une exposition irresponsable à l'érosion rapide et à la négligence de la communauté villageoise locale (16). Plus de deux décennies plus tard, le message semble être passé car les institutions locales installent des infrastructures satisfaisant les besoins scientifiques et touristiques. La solution trouvée est de couvrir les fouilles littorales (souvent un peu dans l'intérieur des terres (17) et d'aménager un corridor par lequel les visiteurs peuvent voir les archéologues au travail et les vestiges déterrés. Grâce aux campagnes archéologiques du Docteur Schubart et d'autres spécialistes, l'archéologie phénicienne a longtemps dominé la recherche dans le territoire de l'Axarquia. Le secteur du tourisme s'est en partie adapté à ce patrimoine axarquico. Un Itinéraire des Phéniciens en Andalousie a été créé par la Junta d'Andalousie ; en 2000, par exemple, Rincón de la Victoria est incluse dans cette Ruta Fenicia de Andalucía (18). Une occasion pour réhabiliter une embarcation traditionnelle de l'Axarquia héritée des Phéniciens et en voie de disparition : la jábega. Déjà emblème de l'archéologie locale avec une revue provinciale portant son nom, la culture phénicienne sort officiellement de la culture savante pour s'introduire dans le secteur du tourisme. La célèbre FITUR (19) madrilène de 2001 fut l'occasion pour positionner l'Axarquia dans le segment du tourisme archéologique en Andalousie en insistant sur les legs techniques de l'Antiquité méditerranéenne. Une solution médiane fut trouvée en plusieurs sites archéologiques convoités par les promoteurs immobiliers : celle du parc archéologique. On compte plusieurs parcs archéologiques réalisés ou en projet dans l'Axarquia. Durant toutes les années 2000, un vaste projet de parc archéologique fut lancé par les autorités municipales du municipe veleño, sous la présidence de l'ancien maire PSOE de Vélez-Málaga, Antonio Souviron. En 2000, une commission technique fut chargée de rédiger un projet " Playa Fenicia " pour coordonner la gestion des différents sites archéologiques phéniciens de la zone du de l'embouchure du rio Vélez. Dans cette commission siégèrent différents membres de la Mairie de Vélez-Málaga, dont le responsable du patrimoine veleño Emilio Martín Córdoba, archéologue local spécialiste des Phéniciens, et des délégués provinciaux de la Junta dans le domaine de la Culture. Le projet concernait environ un million de mètres carrés regroupant un musée à l'air libre et un centre d'interprétation du monde phénicien. Il faut dire que cette zone regroupe plusieurs sites célèbres pour l'archéologie phénicienne comme le complexe phénicio-punique de los Toscanos-Alarcón, les restes de la cité de Mainake et de la ville punico-romaine de Maenoba, de même que les nécropoles de Jardín et de Cerro del Mar (20). A l'époque, la conseillère andalouse de la Culture Carmen Calvo soutenait le projet municipal de VélezMálaga en insistant sur sa capacité à protéger le patrimoine, en plus d'enrichir l'offre touristique et d'attirer des investisseurs. Pour le domaine institutionnel, l'objectif du parc est de " mettre en valeur " les restes phéniciens, non seulement vis-à-vis de la communauté scientifique mais surtout pour les visiteurs (21). Cependant, plus de dix ans après, le parc archéologique " Playa Fenicia " n'est toujours pas installé et le gouvernement espagnol demande à la Mairie de Vélez-Málaga de rembourser le prêt qui lui a été octroyé pour ce projet (22). Un arbitrage récent pour le patrimoine historique et artistique Durant les années 1990 et 2000, le patrimoine axarquico issu de la Préhistoire et de l'Antiquité était à l'honneur. A titre d'exemple, la fréquentation du site des grottes de Nerja est passée devant celle du Prado de Madrid, qui est ainsi devenu le deuxième site le plus fréquenté d'Espagne, juste après l'Alhambra de Grenade. Mais paradoxalement pour ce territoire de grande densité archéologique, la période médiévale a été la grande absente de ce renouveau patrimonial de l'Axarquia pendant longtemps. Le conseiller municipal andalucista de VélezMálaga Marcelino Mendes-Trelles Ramos estime que son potentiel est largement sousdéveloppé dans l'Axarquia (23), à l'inverse d'un autre territoire avec lequel elle possède beaucoup de points communs, les Alpujarras, dans la province voisine de Grenade. Une série d'initiatives touristiques sont lancées dans l'Axarquia à partir de la fin des années 1990 pour essayer de trouver un cadre de dynamisation des villages de l'intérieur grâce à la thématique andalusí (la période musulmane de l'Espagne). Ces fêtes s'organisent autour d'un marché médiéval de produits locaux, d'une scène et d'ateliers présentant les modalités de la transmission morisque dans l'Axarquia. La première fête de ce genre fut créée en 2001 à Salares par une initiative de la délégation de l'Environnement de la Junta d'Andalousie à Málaga en collaboration avec la Municipalité de Salares. A cette occasion, trente-sept stands étaient répertoriés dans les domaines les plus variés (24). La fête " Al-Andalus " propose chaque année, à la mi-septembre, une programmation musicale axée sur les musiques de l'Islam, des processions et saynètes costumées et des temps animés par des conteurs locaux. En 2003 naît une autre fête médiévale similaire dans le village de Cútar où la Municipalité installe, chaque année, une plaque commémorative de l'événement. Le 11 octobre 2003 eut lieu la première fête du Monfí (25), en référence aux hors-la-loi morisques du XVIème siècle, dont beaucoup participèrent à la Grande Révolte de 1568-1570, à l'issue de laquelle la population morisque fut entièrement déportée hors du royaume de Grenade. Une programmation similaire est proposée aux visiteurs durant deux ou trois jours au cours lesquels les artistes essaient de retrouver des airs d'un Orient plus fantasmé que réel. La Municipalité de Cútar mise beaucoup sur la thématique maure et morisque car un Musée du Monfí fut construit et inauguré à l'occasion de la dernière édition de la fête, en octobre 2012. En 2003 encore, cinq municipes de l'Axarquia prennent l'initiative de créer une " Communauté Andalusí dans l'Axarquia " : Rincón de la Victoria, Salares, Cútar, Comares et Alfarnate. Cette Communauté est " une coordination qui a pour finalité de récupérer le patrimoine et les traditions de la période andalusí tel qu'elle fut vécue dans la comarca de l'Axarquia " (26). Les cinq municipes insistent sur l'apport de cette période pour l'Axarquia en ce qui concerne la prospérité du territoire et la tolérance dont l'Espagne a tant manqué à l'époque moderne (27). La référence de Cútar à ce passé est renforcée en 2005 lorsqu'on retrouve trois manuscrits arabes du XVème siècle cachés dans les murs d'une maison dans laquelle le propriétaire faisait des travaux (28). Mais le plus grand succès dans cette catégorie est la Fête des Trois Cultures organisée chaque année à Frigiliana, durant plusieurs jours, depuis 2007 (29). Le village est parfaitement situé dans l'est de l'Axarquia, à proximité directe de Nerja et Torrox. La Fête met en valeur le dialogue des cultures dans le monde contemporain. Lors de la première édition, la fête mettait à l'honneur le peuple sahraoui luttant pour sa reconnaissance politique. Le patrimoine musulman reprend lentement la place réelle qu'il occupe dans le territoire. L'Axarquia est parsemée de vestiges de cette période, le plus souvent en ruines ou cachés au sein des constructions modernes. A Vélez-Málaga, la négligence dans laquelle a été maintenue la forteresse musulmane durant des décennies est patente. Tombant lentement en ruine depuis le début du XXème siècle, une toute petite partie a été restaurée au début des années 1970 d'après les plans effectués par Francisco Prieto Moreno, ancien architecte en chef de l'Alhambra de Grenade. Mais le site est resté dans un mauvais état général, envahi par les mauvaises herbes et les ordures des riverains. Ce n'est que très récemment que des ateliers de fouilles et de jardinage ont été mis en place pour l'organiser pour le tourisme. L'Initiative Urbaine " De Toda La Villa ", concernant la revitalisation des trois quartiers du centre historique, mise beaucoup sur l'aménagement touristique de ce site pour améliorer l'image de la ville et la convertir en un site clé pour le tourisme comarcal (30). Le cas de la ville de Vélez-Málaga est symptomatique du tournant vécu dans l'Axarquia dans le domaine du patrimoine. Le théâtre del Carmen, aujourd'hui centre culturel de la ville, fut au centre d'un grand débat sur la gestion du patrimoine. Le couvent del Carmen (ancien couvent de San José de la Soledad) était l'un des plus beaux monuments depuis sa construction à la fin du XVIème siècle. Mais, passé aux mains d'un propriétaire privé au XIXème siècle, suite au " désamortissement de Mendizábal " (1836), le couvent sécularisé tomba rapidement en ruine, si bien qu'on parla plusieurs fois de détruire la partie qui menaçait de s'écrouler. Ce débat refit surface dans les années 1970, déclenchant une levée de bouclier de l'intelligentsia veleña. Finalement, l'ancien cloître fut démoli en janvier 1982 et l'église transformée en théâtre depuis 1991. Cette transformation marqua non seulement l'image du centre-ville mais aussi son approche du patrimoine. Les impératifs de l'urbanisme prirent durablement le dessus sur une stratégie patrimoniale compétitive. Ce n'est qu'avec la crise actuelle que les autorités municipales changèrent le cap, notamment sous l'administration du Partido Popular aujourd'hui en poste. Il faut dire que l'immobilier ne représente plus un secteur moteur de l'économie locale, si bien que la nécessité d'une nouvelle stratégie investissant dans un tourisme de qualité se fait de plus en plus sentir. Plusieurs acteurs locaux de la culture ont contribué à ce changement de cap. Le principal organisme ayant fait pression sur la politique locale est la Société des Amis de la Culture (S.A.C.). Son ancien président, Manuel Berenguer, avait publié une lettre ouverte dans la presse locale qui dénonçait vigoureusement l'abandon de la Fortaleza et rappelait leurs devoirs aux autorités municipales (31). On assiste donc à une certaine redécouverte de son patrimoine par l'Axarquia depuis quelques années. Les domaines du patrimoine et de la culture disposent d'une marge de manœuvre accrue, après des décennies d'atonie quasi-générale, sauf lorsque le secteur du tourisme l'exigeait. D'où la multiplication des fêtes dans la comarca sur les thématiques les plus diverses et les plus improbables (l'olive, le raisin sec, l'âne…). Pourtant, il est clair que le tourisme commande les décisions et les réflexes des acteurs locaux, qui ne pensent qu'à travers ses catégories économiques et mentales. D'où le pessimisme des plus clairvoyants axarquicos qui agissent sans trop d'illusion dans ce secteur : l'identité andalouse est une espèce en voie de disparition sous l'effet conjugué du tourisme et de l'urbanisme, pourtant nécessaires. Ainsi Salvador Gutierrez, coordinateur de la culture de Vélez-Málaga, qui pense que la globalisation a complètement dilué l'identité locale et œuvre pour que des structures culturelles puissent la réanimer (32). La logique de la promotion touristique amène parfois à des élucubrations qui se donnent des allures de vérité. Ainsi, à Torrox, le " meilleur climat d'Europe " (33), où l'on commémore chaque année la naissance du grand chef arabe Al-Mansur autour d'un buste à son effigie, alors que le chef amiride est né dans une autre Torrox, près d'Algésiras. Ce discours, d'abord formulé sous la forme d'une hypothèse contestée par les historiens, a fini par pénétrer dans le marketing de la ville, qui ne se prive pas de rappeler un fait erroné (34). Ainsi donc, la question est de savoir de qui émane et à qui profite ce qu'on pourrait appeler le timide tournant patrimonial de l'Axarquia. Signalétique valorisant le patrimoine musulman du village de Comares (Qumaraysh), considéré comme le " Balcon de l'Axarquia " (cliché de l'auteur) Notes 1. Le pueblo désigne aussi bien le village que la communauté villageoise. Voir Pitt-Rivers, Julian, The people of the sierra, Chicago et Londres, The University of Chicago Press, 1971, p. 31 2. " En plus de la valeur intrinsèque des fêtes, il faudra tenir compte des facilités d'accès et d'hébergement de la localité où se déroulent ses festivités et la distance à d'autres localités importantes qui peuvent élargir l'offre touristique d'hébergement ", Archives Provinciales de Málaga, Section " Información y Turismo ", Propagande, carton 474, f. 3971, circulaire de la Direction Générale, 31 mai 1968 3. En 1961 est organisé le troisième Concours d'embellissement des pueblos de la province de Málaga. 4. Archives Provinciales de Málaga, Section " Información y Turismo ", Propagande, carton 474, Rapport des besoins du plan touristique, 8 février 1975 5. Archives Provinciales de Málaga, Section " Información y Turismo ", Propagande, carton 475, f. 8929, circulaire du 29 novembre 1968, p. 1 6. Ibidem, p. 2 7. Archives Provinciales de Málaga, Section " Información y Turismo ", Propagande, carton 475, f. 2121, lettre du maire Gabriel Cerezo Martín du 17 mars 1976 8. Informaciones de la Axarquia, jeudi 9 août 2001, p. 4, AMVM. 9. Informaciones de la Axarquia, jeudi 18 mai 2000, p. 4 10. http://www.axarquiacostadelsol.es/apta/pagina.asp?cod=522&idioma=esp&cabecera=arc_221.jpg 11. Informaciones de la Axarquia, jeudi 4 mai 2000, p. 6, " La comarca de la Axarquia es un mercado turistico en auge " 12. "Refrescate con la cultura", Informaciones de la Axarquia, jeudi 6 juillet 2000 13. Plan General de Ordenación Urbana (PGOU), le plan local d'urbanisme 14. Informaciones de la Axarquia, Antonio Anton, " La muerte del primer hotel ", jeudi 30 mars 1995, p. 19 15. Informaciones de la Axarquia, 31 août 2000 16. Archivo Municipal de Vélez-Málaga, Commission Locale Patrimoine Historique-Artistique, dossier 2.8.7.2., lettre de Hermanfrid Schubart du 12 mars 1976 à l'Inspection Technique des Fouilles Archéologiques de Madrid, 4 pages 17. Dans l'Axarquia comme ailleurs sur le littoral méditerranéen, la côte a gagné de l'espace sur la mer, parfois plusieurs kilomètres, depuis le Néolithique et la haute Antiquité. 18. Informaciones de la Axarquia, jeudi 26 octobre 2000, p. 12 19. Feria Internacional del Turismo 20. Informaciones de la Axarquia, jeudi 9 novembre 2000, p. 6. Voir aussi le projet sur Youtube : http://www.youtube.com/watch?v=pWo3X8E61ks 21. Informaciones de la Axarquia, jeudi 27 juillet 2000, p. 14. Les mots sont soulignés par nous et montrent bien que, dans l'esprit des institutions, le tourisme est prioritaire en dépit des efforts pour ne pas mécontenter la communauté scientifique. 22. La Opinión de Málaga, jeudi 30 août 2012, http://www.laopiniondemalaga.es/axarquia/2012/08/30/velez-pagara230000-euros-ejecutar-playa-fenicia/530320.html 23. Entretien personnel avec Marcelino Mendes-Trelles Ramos du 17 octobre 2012. Cette personne est également un ancien directeur-général de l'entreprise publique andalouse chargée du marketing touristique de l'Autonomie andalouse en Espagne et en Europe. 24. Informaciones de la Axarquia, jeudi 20 septembre 2001, p. 13 25. Informaciones de la Axarquia, jeudi 9 octobre 2003, p. 9 26. Informaciones de la Axarquia, jeudi 6 novembre 2003, p. 12 27. " Les cinq municipes reconnaissent dans leurs statuts que cette initiative contribuera activement à léguer aux générations postérieures la connaissance d'une étape de l'Histoire dans laquelle ces pueblos atteignirent une période de prospérité et de développement inégalés en leur temps ", ibidem 28. Informaciones de la Axarquia, jeudi 13 octobre 2005. Les trois manuscrits se trouvent maintenant aux Archives Provinciales de Málaga. 29. Informaciones de la Axarquia, jeudi 16 août 2007 30. Entretien personnel avec Angel Matas Martín, directeur de l'agence municipale pour l'Emploi et le Développement économique de Vélez-Málaga et coordinateur de l'Initiative Urbaine " De Toda La Villa ", du 29 octobre 2012 31. Informaciones de la Axarquia, mercredi 7 décembre 2005, p. 2 32. Entretien personnel avec Salvador Gutierrez du 9 octobre 2012 33. Slogan officiel de la ville de Torrox. 34. http://www.turismotorrox.es/home/index/2/es Remarque Sébastien Patacq est titulaire d'un master en Histoire (Paris, EHESS). Il est actuellement en première année de doctorat à l'EHESS et travaille sur les rapports sociaux au passé médiéval dans l'Axarquia.