LE CHANGEMENT CLIMATIQUE EN BOURGOGNE (1961
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LE CHANGEMENT CLIMATIQUE EN BOURGOGNE (1961
LE CHANGEMENT CLIMATIQUE EN BOURGOGNE (1961-2040) Yves RICHARD et Thierry CASTEL Biogéosciences / Centre de Recherches de Climatologie Unité Mixte de Recherche -- 6282 CNRS / Université de Bourgogne L’ADEME et Alterre Bourgogne copilotent le projet régional 2010 – 2012* « Adaptation au changement climatique : contribution à l’élaboration des stratégies d’adaptation régionale et territoriale ». Pour la Bourgogne, afin de mieux connaître l’évolution du climat à l’échelle des territoires, le Centre de Recherches de Climatologie (CRC) a analysé des séries observées (1961-2009) et a effectué des simulations avec un modèle climatique (1970-1979 et 2031-2040). L’étude porte sur des valeurs quotidiennes de températures (maximales et minimales) et de précipitations. Des indices simples sont proposés, tels que les moyennes mensuelles, le nombre de jours chauds ou gélifs et le nombre de jours de pluies selon diverses intensités. Les résultats permettent de rendre perceptible et compréhensible, pour les différents acteurs territoriaux, les évolutions déjà observées, à savoir les différences entre le climat actuel (19882009) et un climat désormais révolu (1961-1987). Les simulations issues du modèle de climat ont ensuite été validées par confrontation avec les observations (1970-1979), permettant de conforter les projections effectuées dans le cadre du scénario SRES-A2 du GIEC (2031-2040). Des cartes des évolutions probables des températures saisonnières sont proposées et une géographie infra-bourguignonne se dessine. Les observations ont été obtenues dans la cadre d’une convention entre l’Université de Bourgogne et Météo France. Le climat projeté selon le scénario SRES-A2 a été mis à la dispostion du CRC par le Centre National de la Recherche Météorologique (CNRM/Météo France). La régionalisation climatique à été conduite avec le support des méso-centres de calcul de l’Université de Bourgogne (CCUB) et de la région Haute-Normandie (CRIHAN). Contacts ADEME : Franck DUMAITRE – 03 80 76 89 66 – [email protected] www.bourgogne.ademe.fr Alterre : Hélène TOUSSAINT – 03 80 68 42 60 – [email protected] www.alterre-bourgogne.fr Biogéosciences / Centre de Recherches de Climatologie : Yves RICHARD – 03 80 39 38 22 – [email protected] Thierry CASTEL – 03 80 39 38 23 – [email protected] http://climatologie.u-bourgogne.fr * Projet financé dans le cadre du Programme Energie Climat Bourgogne 1 Température moyenne annuelle en Bourgogne (1961 – 2009) 1 En Bourgogne, le réseau de stations Météo France relevant la température est suffisamment dense depuis 1961 pour calculer une moyenne régionale. Les stations de Bourgogne sont à dominante rurale et très peu d’entre elles ont été influencées par la croissance urbaine entre 1961 et 2009. L’information fournie par la moyenne régionale est donc avant tout à interpréter en termes climatiques, elle est peu influencée par les évolutions des ilôts de chaleur urbain ou des conditions de mesure. Jusqu’en 1987, la moyenne régionale témoigne de températures pouvant varier d’une année à l’autre de plus ou moins 1°C autour d’une moyenne dépassant à peine 10°C. Une année sur deux, à quatorze reprises, la température annuelle est inférieure à 10°C. Lors des années les plus froides (1962, 1963 et 1980), elle est à peine supérieure à 9°C. Deux années seulement (1961 et 1982) ont vu la température dépasser 11°C. Les cinq années les plus froides depuis 50 ans (1962, 1963, 1978, 1980 et 1985) sont intervenues avant 1987. Depuis 1988, les températures sont toujours supérieures à 10°C. Elles dépassent 11,5°C, température jamais atteinte avant 1987, à six reprises (1994, 2000, 2002, 2003, 2006 et 2007). Elles culminent à 12,1°C en 2003. Les cinq années les plus chaudes (1994, 2000, 2002, 2003 et 2006) sont enregistrées depuis 1988 et quatre d’entre elles appartiennent aux années 2000. Second changement, les températures ne sont pas stationnaires. Elles augmentent au cours de la période. Au début des années 2010, la température est supérieure d’environ 1,5°C à celle observée entre 1961 et 1987. La tendance au réchauffement est attribuée au forçage radiatif d’origine anthropique (augmentation des concentrations en gaz à effet de serre), tandis que la variabilité interannuelle et décennale est d’origine naturelle. En Bourgogne, la variabilité décennale s’est essentiellement manifestée par un saut (1987/1988) que l’on retrouve au sein de la circulation de l’Atlantique Nord, résumée par l’indice NAO (North Atlantic Oscillation). Moyenne calculée sur les stations Météo France en Bourgogne °C 12,5 2003 1994 12,0 2002 2000 2006 11,5 11,0 10,5 10,0 1978 9,5 1980 1963 1962 1985 9,0 1960 1970 1980 1990 2000 Années 2010 2 Température minimale 2 Nombre de jours de gel, de forte gelée et de très forte gelée Pour travailler sur des seuils de température, en l’occurence des gelées d’intensité variable, il est prudent de ne sélectionner que les stations les plus fiables. Sur un territoire donné, il ne gèle pas partout de manière synchrone. Une journée est qualifiée de «jour de gel» si la température minimale (ou nocturne) descend à moins de 0°C dans 2, 3 ou 4 des stations suivantes : Mâcon, Châtillon-sur-Seine, Château-Chinon et Auxerre. De 1961 à 1987, en moyenne, 89 jours par an connaissent le gel ainsi défini. Depuis 1988, ce nombre tombe à 63, soit 26 jours de gel en moins par an. Les résultats concernant les fortes gelées (T<-5°C) et très fortes gelées (T<-10°C) sont du même ordre. Les très fortes gelées restent possibles de décembre à février, mais deviennent très rares (1 par an contre 5 auparavant). Le graphique montre également que la saison où les gelées sont à craindre est plus courte. De 1961 à 1987, les gelées tardives affectent régulièrement la Bourgogne en mai (mois comprenant les fameux Saints de glace), ce n’est plus le cas depuis 1988, tout du moins de manière régulière. De même, les gelées précoces (intervenant dès septembre) tendent à disparaître. En mars, les fortes gelées (T<-5°C), fréquentes avant 1987, sont rares depuis 1988. Les risques de gel au printemps et en automne sont moindres. Le calendrier est modifié avec des printemps plus précoces et des automnes plus tardifs. Nombre de jours par an (cadre bleu) et par mois (courbes) avec température minimale inférieure à X°C dans au moins 2 des 4 stations principales Météo France de Bourgogne (Châtillon-surSeine, Château-Chinon, Mâcon et Auxerre) fonctionnant sans interruption ni changement de site depuis 1961 Jours Lignes continues : 1961-1987 Lignes hachurées : 1989-2009 25 20 T < 0°C 15 10 Gelées précoces T < -5°C 5 0 Gelées tardives T < -10°C 1 2 3 4 5 6 7 8 9 Évolution (1961-1987 1988-2009) du nombre moyen de jours par an : - de gel (T<0°C) : 89 63 - de gorte gelée (T°<-5°C) : 23 12 - de très forte gelée (T°<-10°C) : 5 1 10 11 Mois 12 3 3 Température maximale Nombre de jours doux, chauds et très chauds La même méthode est adoptée pour les jours où la température maximale (ou diurne) dépasse 10°C (valeur nécessaire à la croissance de nombreuses plantes), 20°C (valeur importante en termes de chauffage des bâtiments) et 30°C (température devenant inconfortable pour les hommes comme pour certaines plantes qui réduisent leur activité). L’évolution du nombre de jours doux (T>10°C), de 262 à 274, se traduit surtout par une plus grande précocité printanière. C’est donc un démarrage plus précoce de la végétation (dès le mois de mars) qui peut être une des principales conséquences. L’automne est moins affecté. L’évolution du seuil 20°C présente des caractéristiques similaires : le printemps est le siège des principales évolutions. Les besoins de chauffage en mai deviennent moindres. En revanche, une montée en température trop rapide peut constituer un handicap pour le bon remplissage de grains de plusieurs cultures (blé, orge, pois, féverolles...). Les jours très chauds (T°>30°C) restent cantonnés aux quatre mois d’été (juin à septembre). Mais ils deviennent plus fréquents, en particulier en août. Cet élément, cumulé à l’îlot de chaleur urbain (comme en témoigne l’été 2003) interroge sur l’adaptation de nos villes et de leur architecture face aux canicules. L’expérience d’août 2003, et son impact sanitaire, ont montré que notre société n’était pas préparée face à une canicule. La canicule, définie comme un épisode de températures élevées, de jour comme de nuit, sur une période prolongée, était en effet inconnue en Bourgogne. Sur la période 1961-1987, Météo France enregistre une seule nuit, en juin 1961, une température dépassant 20°C sur au moins 2 de ses 4 stations principales de Bourgogne. Et on note en moyenne une nuit par an avec une température supérieure à 18°C. De 1988 à 2009, 36 nuits ont connu une température supérieure à 20°C. En général, il s’agit d’épisodes courts, d’une à deux nuits consécutives. On ne peut donc pas réellement parler de canicule. Août 2003, avec 10 nuits supérieures à 20°C, apparaît donc comme un événement climatique nouveau, totalement inconnu. C’est, au sens strict du terme, la première canicule en Bourgogne. Depuis, il y en eu une autre en juillet 2006. Avec 6 nuits dépassant 20°C, la canicule de juillet 2006 fut moins forte que celle d’août 2003, mais elle fut plus longue (16 nuits supérieures à 18°C contre 13 en août 2003). Son impact sanitaire a été largement moindre, non pas en raison de ses caractéristiques propres (plus longue mais moins intense), mais du fait d’une meilleure préparation. Août 2003 versus juillet 2006 montre l’importance de l’adaptation. Une société mettant en place des stratégies d’adaptation est beaucoup moins vulnérable qu’une société non préparée. Nombre de jours par an (cadre bleu) et par mois (courbes) avec température maximale supérieure à X°C dans au moins 2 des 4 stations principales Météo France de Bourgogne (Châtillon-surSeine, Château-Chinon, Mâcon et Auxerre) fonctionnant sans interruption ni changement de site depuis 1961) Lignes continues : 1961-1987 Lignes hachurées : 1989-2009 Évolution (1961-1987 1988-2009) du nombre moyen de jours par an : - doux (T>10°C) : 262 274 - chauds (T°>20°C) : 117 126 30 Jours T > 10°C 25 T > 20°C Saison végétative + précoce 20 - très chauds (T°> 30°C) : 11 18 Premières chaleurs printannières + précoces 15 10 Fortes chaleurs estivales + fréquentes T > 30°C 5 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 Mois 12 4 Précipitations Hauteur mensuelle et intensité quotidienne 4 Le réseau de pluviomètres de Météo France est assez dense. Sur la période 1961-1987, 72 stations sont utilisées pour calculer les précipitations mensuelles moyennes en Bourgogne, ou «indice Bourgogne». Le réseau s’est encore amélioré ces dernières décennies. Ainsi, pour 19882009, l’indice Bourgogne a pu être calculé avec 128 stations. Le fait que l’indice Bourgogne ne soit pas établi sur le même jeu de stations incite toutefois à la prudence dans les interprétations. La lame d’eau annuelle moyenne en Bourgogne serait passée de 723 à 796 mm, soit une progression de l’ordre de +10%. Cette augmentation des précipitations est partagée par l’ensemble des mois, excepté le mois de mai. Mais elle est principalement due à une augmentation des pluies automnales (octobre-novembre). Nous avons également étudié l’évolution de l’intensité des pluies. En Bourgogne, il ne pleut pas partout de manière synchrone. Est considéré comme jour avec précipitations un jour où des précipitations sont enregistrées dans la moitié au moins des stations. Ainsi défini, le nombre de jours avec précipitations a augmenté, il est passé de 111 à 121 (attention, dans chacune des stations considérée individuellement le nombre de jours avec précipitations est nettement plus élevé). Cette augmentation concerne l’ensemble des catégories d’intensité. On assisterait donc à des précipitations plus abondantes en raison de deux facteurs combinés : des précipitations plus fréquentes et plus intenses. Notre étude de la pluviométrie confirme et étend à l’ensemble de la Bourgogne les conclusions de travaux antérieurs réalisés par Météo France sur la série Dijon normalisée, représentative du dijonnais. Cela permet donc d’avoir confiance dans ces résultats, malgré les précautions liées à l’évolution du jeu de stations. L’absence d’augmentation des sécheresses météorologiques (période prolongée de précipitations en dessous de la moyenne) peut surprendre. En effet, ces dernières années, sécheresses hydriques et hydrologiques semblent être plus fréquentes. Les sécheresses hydriques, qui concernent l’eau dans le sol, ne sont pas une fonction simple des sécheresses météorologiques. Elles prennent également en compte l’évaporation et l’évapotranspiration (via les plantes). Dans un contexte plus chaud, ces processus sont renforcés. Pour les sécheresses hydrologiques, qui concernent les nappes phréatiques, on doit également considérer l’intensité des prélèvements anthropiques (irrigation, eau à usage urbain…). Ainsi, même si les sécheresses météorologiques ne sont ni plus fréquentes ni plus intenses depuis 1988, les sécheresses hydriques et hydrologiques, du fait du réchauffement et des besoins accrus, sont plus préoccupantes qu’auparavant. Moyennes sur l’ensemble des stations complètes (72 sur 1961-1987, puis 128 sur 1988-2009) 80 70 Bleu (augmentation ) : hauteur mensuelle atteinte uniquement sur la période récente (1988-2009) Rouge (diminution) : hauteur mensuelle atteinte uniquement sur 1961-1987 mm 60 50 Blanc (stabilité) : hauteur mensuelle atteinte sur les deux périodes 40 Évolution des précipitations annuelles moyennes (1961-1987 1988-2009) : 723 mm 797 mm 30 Intensité des précipitations quotidiennes (1961-1987 1988-2009) : évolution du nombre moyen de jours par an avec précipitations supérieures (dans au moins 50% des stations) à : - 1 mm : 111 121 - 10 mm : 12 15 - 5 mm : 41 45 - 20 mm : 1 2 20 10 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 Mois 12 5 Évolution des températures 5 Évolution probable dans 20-30 ans des maximales et minimales en été et en hiver Les températures moyennes sur la période 2031-2040, à défaut de pouvoir être mesurées, sont simulées par modélisation. Cette modélisation comporte plusieurs étapes : La première consiste à choisir un scénario d’émission de gaz à effet de serre. Le GIEC travaille sur 40 scénarios. Chaque scénario relève de choix politiques, énergétiques et économiques. Il ne s’agit pas de climatologie et tous sont possibles. Les fortes émissions de gaz à effet de serres des dernières années nous ont incité à retenir le scénario A2. Il s’agit d’un scénario que le GIEC (2007) a qualifié de pessimiste. Il correspond en effet à une augmentation des émissions, années après années. Mais c’est bien sur cette trajectoire que nous sommes depuis (et malgré) le protocole de Kyoto (1997). Dans la deuxième étape, nous choisissons un modèle global (ou planétaire) de climat. Nous avons retenu le modèle ARPEGE développé par Météo France, l’un des 23 à avoir été pris en compte, pour ses qualités, par le GIEC (2007). Ce modèle est forcé par les concentrations en gaz à effet de serre générées par les émissions du scénario A2. La troisième étape, afin de zoomer sur une région (la Bourgogne), nécessite de travailler avec un modèle de climat régional (ou à aire limitée). Nous avons retenu le modèle de climat WRF, développé aux États-Unis et très employé dans le monde de la recherche. Ce modèle régional (WRF) est forcé latéralement par le modèle global (ARPEGE). Il ne peut donc, sauf dérive interne traduisant un mauvais réglage, s’éloigner du climat du modèle global. L’emploi d’un modèle régional permet de mieux prendre en compte des éléments du territoire de taille modeste (comme le Morvan, la plaine de Saône, les forêts, cultures, prairies...) à l’échelle du globe. Différences (2031-2040) - (1971-1980) simulées par modélisation au CRC (scénario A2) a) Température maximale d’été (JJA) b) Température maximale d’hiver (DJF) 48,5 °N 48,5 °N °C 2,4 48,0 48,0 2,2 47,5 47,5 47,0 47,0 46,5 46,5 2,0 1,8 1,6 1,4 46,0 2,5 3,0 3,5 4,0 4,5 5,0 5,5 °E 46,0 2,5 c) Température minimale d’été (JJA) 3,0 3,5 4,0 4,5 5,0 5,5 °E 1,2 d) Température minimale d’hiver (DJF) 48,5 °N 48,5 °N 48,0 48,0 47,5 47,5 47,0 47,0 46,5 46,5 1,0 0,8 0,6 0,4 0.2 0,0 46,0 2,5 3,0 3,5 4,0 4,5 5,0 5,5 °E 46,0 2,5 3,0 3,5 4,0 4,5 5,0 5,5 °E Entre les périodes 1971-1980 et 20312040, les températures simulées sont toutes en augmentation (jour et nuit, été et hiver) et partout. Le réchauffement est de l’ordre de +2°C. Cela concorde avec l’augmentation observée depuis 1988. Ces simulations permettent de décomposer saisonnièrement et géographiquement le réchauffement à venir. L’été devrait se réchauffer plus que l’hiver, et les températures maximales (jours) plus que les minimales (nuits). A noter que cela est conforme avec ce qui est déjà observé. La modélisation offre enfin la possibilité de spatialiser les variables climatiques. En été, c’est la plaine de la Saône, et plus généralement le sud et l’est de la région, qui se réchaufferaient le plus. En hiver, à l’opposé, c’est l’Yonne et le Chatillonnais, et plus généralement le nord de la Bourgogne, qui connaîtraient la plus forte évolution. Ces résultats positionnent la Bourgogne dans une situation charnière entre les évolutions simulées par plusieurs équipes de recherche sur l’Europe du Nord (à laquelle appartiendrait le nord de notre région) et du sud (à laquelle se rattacherait la moitié sud de la Bourgogne).