L`euro, monnaie internationale

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L`euro, monnaie internationale
L'euro, monnaie internationale ?
L'euro, monnaie internationale ?
Sommaire
La nature d'une monnaie internationale et ses fonctions
Quelques leçons de l'histoire
Les concurrents à la pesée
De la sphère réelle...
... à la sphère monétaire et financière
La place de l'euro, dix-huit mois après
Vers un certain régionalisme monétaire
Vers une politique de " bienveillante négligence "
Penser la concurrence monétaire internationale
Des conditions nécessaires à une plus grande diffusion
internationale
La puissance des marchés financiers
Le développement d'instruments financiers de référence
Un important potentiel d'absorption des capitaux
Un rôle de " prêteur en dernier ressort "
Pour en savoir plus
par Jacques Le Cacheux.
L'euro dispose de nombreux atouts pour devenir une monnaie internationale. Le
poids économique et commercial de la zone euro, l'augmentation du nombre de
pays - notamment à l'Est de l'Union européenne - adoptant des politiques
d'ancrage à la devise européenne et la diversification des avoirs de réserve des
différentes Banques centrales constituent quelques-uns de ces éléments favorables.
En revanche, la puissance du dollar, monnaie bien installée pour assurer nombre
d'échanges internationaux et la plus grande partie des opérations financières
internationales, représente une sérieuse limite au développement de l'euro comme
monnaie internationale. Jacques Le Cacheux analyse ici la question de la
puissance de l'euro dans le monde, notamment sous l'angle de la concurrence
monétaire.
La guerre de Troie n'a pas eu lieu. Le choc titanesque des grandes devises que certains
anticipaient ou appelaient de leurs voeux à la veille de la création de l'euro a tourné court, et
apparemment au détriment du challenger, dont la dégringolade semble signer l'indiscutable
défaite. Introduit au taux de change de 1,17 dollar le 4 janvier 1999, l'euro a enregistré une
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dépréciation importante au cours de sa première année d'existence, passant durablement au
dessous de la parité par rapport au dollar au début de décembre 1999, puis sous le " seuil
psychologique " de 0,9 dollar pour un euro au printemps 2000, pour osciller ensuite autour
de 0,95 dollar en juillet 2000 : soit une dépréciation d'environ 20 % ! Faut-il rappeler que la
plupart des analystes craignaient, à la veille de l'introduction de l'euro, que la monnaie
européenne fût trop forte et s'appréciât, en raison d'une demande soutenue liée notamment à
son internationalisation ? Au lieu de quoi l'euro s'est déprécié tant et si bien que les mêmes
crient à la trahison, dénonçant sa " faiblesse " et son manque de " crédibilité ". Est-ce là le
signe de l'incontestable suprématie du dollar américain dans le système monétaire
international et faut-il ranger l'ambition internationale de la monnaie européenne au rayon
des vieilles lunes, des utopies hors d'atteinte ?
La nature d'une monnaie internationale et ses fonctions
Évaluer le potentiel de l'euro comme monnaie internationale, donc ses atouts et ses
faiblesses dans la concurrence avec le dollar, dont tous s'accordent à reconnaître qu'il
demeure, près de trente ans après l'effondrement du Système monétaire international fondé
en 1944 à Bretton Woods et consacrant l'hégémonie de la monnaie américaine, la monnaie
internationale, suppose d'avoir, au préalable, défini les attributs d'une telle monnaie. En
dépit des efforts militants de certains - dont Keynes, qui représentait le gouvernement
britannique à la conférence de Bretton Woods -, il n'existe pas en effet de monnaie purement
internationale, au sens où elle serait émise par une instance internationale et circulerait
librement dans tout l'espace économique et financier mondial. A la fin du XIXe siècle, l'or
avait cette qualité ; en créant les Droits de tirage spéciaux (DTS) émis par le Fonds
monétaire international (FMI), à la fin des années 60, on faisait un pas dans cette direction,
qui n'a pas été suivi d'effets.
Dès lors, c'est en réalité une devise nationale - le dollar américain -, émise et gérée par une
Banque centrale nationale - la Réserve fédérale ou Fed -, qui fait office de monnaie
internationale, en ce sens qu'elle remplit les fonctions traditionnelles de la monnaie (que,
depuis Aristote, on résume au triptyque unité de compte, intermédiaire des échanges et
réserve de valeur) dans l'économie internationale, en dehors donc de son espace monétaire
national. Le dollar, il est vrai, est presque universellement accepté ; il sert de monnaie de
facturation et de règlement de bon nombre d'échanges commerciaux, même entre deux
agents sans rapport avec l'économie américaine - c'est une monnaie véhiculaire - ; et de
nombreux actifs financiers, représentant des montants considérables, sont libellés en dollar,
y compris lorsqu'ils sont émis ou détenus par des agents économiques non-américains. En
outre, le dollar sert souvent de référence aux autorités monétaires des autres pays, comme
c'était le cas dans le système de Bretton Woods, à la fois parce que bon nombre de monnaies
sont " ancrées " au dollar - leur taux de change par rapport à la monnaie américaine est fixé,
de manière plus ou moins rigide - et parce que les Banques centrales de la majorité des pays
choisissent de détenir une part prépondérante de leurs réserves de change en dollars.
Tels sont, en fait, les fonctions et les domaines dans lesquels l'euro est susceptible de
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concurrencer, voire, qui sait ?, de détrôner un jour la devise américaine.
Quelques leçons de l'histoire
Bien que l'on ne puisse guère trouver de précédent à l'unification monétaire européenne et à
la création, à partir de onze monnaies nationales, d'une monnaie nouvelle les remplaçant du
jour au lendemain dans les transactions financières, l'histoire monétaire des deux siècles
passés présente quelques épisodes de concurrence entre grandes devises pour la position de
monnaie de référence internationale.
Ainsi peut-on considérer que la coexistence entre les deux grands systèmes d'étalon
métallique, l'argent et l'or, jusqu'aux années 1870, relève d'une telle concurrence, tournant
finalement à l'avantage de ce dernier après la défaite de la plus grande des nations
bimétalliques, la France, face à la Prusse qui, grâce au paiement d'indemnités de guerre en
or par le pays vaincu, a choisi de basculer sur l'étalon-or. De même, quelques décennies plus
tard, l'entre-deux-guerres a vu monter progressivement la concurrence entre la livre sterling,
référence incontestée du système d'étalon or dominant entre 1870 et 1914, et le dollar, étoile
montante après la création, en 1913, de la Réserve fédérale américaine. Le mouvement s'est
accentué au lendemain d'une guerre dans laquelle l'intervention tardive des États-Unis en
Europe s'était révélée décisive. Le dollar ne s'est pourtant imposé réellement qu'au terme de
la Seconde Guerre mondiale, et la monnaie britannique a continué déjouer un rôle certain
sur la scène internationale jusque dans les années 50. La domination du dollar elle-même
n'est plus sans partage, son usage dans les différentes fonctions de monnaie internationale
ayant connu, dans les années 70 et 80, une érosion sensible au profit d'autres devises
nationales, le yen, le mark et le franc suisse notamment.
Sans préjuger des conclusions de l'analyse qui suit, retenons de ces exemples historiques
que la puissance, économique mais aussi sans doute militaire, est intimement liée à la
suprématie monétaire internationale, même si le rôle non négligeable de la monnaie
nationale d'un " petit " pays comme la Suisse, et à l'inverse, celui somme toute modeste de
monnaies telles que le yen ou le mark, suggèrent que d'autres ingrédients entrent dans le
processus d'internationalisation d'une monnaie. Notons également que la concurrence entre
grandes devises pour l'hégémonie monétaire est un processus long, les pratiques des
différents agents concernés ne se modifiant que lentement et la domination monétaire
internationale présentant, à l'évidence, une grande inertie. Il faut enfin rappeler qu'au cours
des dernières décennies, le taux de change du dollar, en yen ou en mark, a fluctué dans des
proportions considérables, sans que sa position dominante sur la scène monétaire
internationale soit remise en cause dans les phases de dépréciation : en fait, les deux
phénomènes - internationalisation et " force " d'une monnaie - n'ont guère de lien direct.
Les concurrents à la pesée
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De la sphère réelle...
En termes de poids relatif, les deux concurrents ont des atouts similaires. Avec une
population d'environ 290 millions pour l'Euroland actuel (à 11 membres), contre 265
millions pour les États-Unis, les deux zones monétaires affichent des produits intérieurs de
taille comparable (chacun représentant un peu plus de 19 % du PIB mondial à la veille du
lancement de l'euro). En matière d'échanges commerciaux internationaux, toutefois,
l'avantage est nettement dans le camp européen, l'Euroland assurant un peu plus de 18,5 %
du commerce mondial, contre 16,5 % pour les États-Unis, ce qui reflète un degré
d'ouverture commerciale (ratio des exportations au PIB) de l'UE-11 (11,6 % en 1998) plus
élevé que celui des États-Unis (9,5 %). Ainsi donc, si les parts relatives des monnaies dans
les différentes fonctions monétaires internationales devaient refléter le poids respectif des
économies qui les émettent, l'euro ferait jeu pratiquement égal avec le dollar selon les
critères habituels de mesure de l'activité économique réelle.
... à la sphère monétaire et financière
Il n'en va pas du tout de même lorsque l'on considère le rôle des monnaies dans la banque et
la finance, nationales et internationales. Pour appréhender ces dimensions, il convient de
distinguer deux grandes catégories d'opérations et d'agents concernés : les Banques
centrales, qui gèrent les taux de change et détiennent, pour ce faire, des réserves en devises
étrangères ; les autres agents, privés et publics, qui détiennent ou émettent des actifs
financiers et effectuent des transactions sur les marchés correspondants et sur les marchés
des changes.
Concernant le rôle des monnaies dans les régimes de change et les réserves des Banques
centrales, la domination du dollar est écrasante. En premier lieu, bien que le Système
monétaire international soit, officiellement, un régime de changes flottants, la plupart des
pays choisissent en pratique une devise de référence et un " ancrage ", plus ou moins rigide
( 1 ), à cette devise ; or le dollar est, de très loin, la monnaie de référence la plus utilisée,
seule ou dans des paniers de devises où elle a une part prépondérante, non seulement par les
Banques centrales des pays d'Amérique latine, mais également par celles de nombreux pays
asiatiques - la crise asiatique de 1997 ayant illustré les dangers d'un tel choix -, voire du
Moyen-Orient, d'Afrique ou d'Europe. En second lieu, et sans que la relation entre les deux
soit nécessairement étroite, le dollar occupe également une place prépondérante dans les
réserves de changes détenues par les Banques centrales : fin 1999, le montant total des
réserves officielles atteignait environ 1750 milliards de dollars, dont près de 80 % en
dollars ! Ce rôle considérable de la devise américaine dans les transactions et les réserves
officielles trouve son pendant sur les marchés des changes, où près de 80 % des transactions
sont des échanges contre dollar. L'avantage de la monnaie américaine n'est guère moindre
lorsque l'on évalue les ordres de grandeur des flux et des stocks sur les autres marchés
financiers. Sur les marchés boursiers, par exemple, la capitalisation totale des marchés
américains atteignait 16 773 milliards de dollars fin 1999, et le nombre de sociétés cotées
7 300, tandis que les chiffres correspondants pour la zone euro étaient respectivement 5 500
milliards de dollars et un peu moins de 3 900 sociétés cotées ; de même, le volume annuel
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des transactions boursières était-il, en 1999, de 19 400 milliards aux États-Unis, et de 4 300
milliards de dollars dans la zone euro( 2 ) Quant aux marchés obligataires, nationaux et
internationaux, qu'ils concernent les instruments de dettes publiques ou ceux des émetteurs
privés, les encours en dollars sont, eux aussi, nettement supérieurs à ceux en euros,
notamment ceux des instruments de dette internationaux, dont près de 50 % (sur un encours
total de 5 365 milliards de dollars fin 1999) sont libellés en dollars, contre moins de 30 % en
euros.
La place de l'euro, dix-huit mois après
Après cette comptabilité des forces en présence, on peut tenter d'établir un état provisoire
des lieux au terme de plus d'un an d'existence de l'euro. Globalement, le constat n'est guère
triomphal et conforte l'idée d'une inertie considérable des processus de concurrence entre
grandes devises. Dans la fonction d'unité de compte et de facturation des échanges, tout
d'abord, la part de l'euro n'a, semble-t-il, pas progressé ; et les prix des produits pour
lesquels il existe des marchés mondiaux, notamment les grandes matières premières,
continuent d'être presque exclusivement exprimés en dollars. De même, sur les marchés
financiers, et notamment les marchés des changes et les marchés boursiers, la suprématie
américaine demeure pratiquement intacte, même s'il convient de noter que dans les flux de
nouvelles émissions obligataires internationales de l'année 1999, l'euro a fait jeu
pratiquement égal et même légèrement mieux que le dollar.
Vers un certain régionalisme monétaire
Dans le domaine monétaire officiel, la monnaie américaine demeure la référence dominante
et la devise de réserve préférée des Banques centrales de toutes les régions du monde, même
si certaines, dont celles de Chine et de plusieurs pays d'Asie - qui détiennent aujourd'hui les
stocks de réserves les plus importants du monde -, ont entrepris une opération, encore
modeste et progressive, de diversification de leurs avoirs en devises étrangères( 3 ). Pourtant,
l'émergence de l'euro laisse entrevoir une tendance à la régionalisation du monde en matière
de régimes de change et de choix de la monnaie d'ancrage : un nombre croissant des pays
commerçant intensément avec la zone euro, et singulièrement les pays d'Europe centrale et
orientale (PECO), candidats à l'adhésion prochaine à l'Union européenne, adoptent des
politiques d'ancrage sur la devise européenne, de sorte que des " blocs monétaires ", dont les
contours correspondent approximativement à ceux des " blocs commerciaux " existants (UE
et ses partenaires privilégiés d'Europe centrale et orientale, du Bassin méditerranéen et du
Proche-Orient, ALENA et sa zone d'influence), semblent devoir se constituer. Comme il est
peu probable - et sans doute pas souhaitable - que les nouveaux adhérents et les nombreux
pays associés à l'UE puissent, dans un avenir proche, devenir membres à part entière de
l'Union monétaire européenne, ce rôle d'ancrage de l'euro devrait prendre encore davantage
d'importance, notamment au sein du SME-bis qui associe à la monnaie européenne, dans un
système de change fixe mais ajustable avec marges de fluctuation, les devises des pays
membres de l'UE qui ne sont pas membres de la zone euro( 4 ).
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L'euro, monnaie internationale ?
Vers une politique de " bienveillante négligence "
Toutefois, en dépit de cette ébauche de " régionalisme monétaire ", l'émergence de l'euro n'a
pas jusqu'à présent permis d'amorcer le rééquilibrage du Système monétaire international
que beaucoup jugent nécessaire, pas plus qu'elle n'a engendré une plus grande stabilité des
relations de changes entre les grandes devises ou entre les zones. En fait, les autorités
monétaires européennes pourraient, au contraire, et en dépit de leurs dénégations, être
tentées de pratiquer en matière de gestion du taux de change de l'euro, notamment à l'égard
du dollar, la politique de " bienveillante négligence " (benign neglect) qu'elles ont si
longtemps reprochée à la Banque centrale américaine : la zone euro est, en effet, désormais
une " grande économie ", commercialement assez peu ouverte sur le reste du monde - guère
plus que les États-Unis -, de sorte que des fluctuations, même amples, de son taux de change
n'ont que des effets internes limités( 5 ).
Penser la concurrence monétaire internationale
Au-delà des constats et des conjectures sur les forces à l'oeuvre dans la diffusion
internationale d'une devise, l'analyse monétaire traditionnelle ne constitue pas un guide
particulièrement éclairant de ce type de processus. Pour mieux en comprendre les logiques
complexes et la dynamique, il conviendrait sans doute d'explorer des raisonnements tenant
explicitement compte du caractère hybride de la monnaie et du système monétaire, à la fois
bien privé et bien collectif, puisque sa valeur et l'utilité que chacun peut tirer de son usage
dépendent du nombre d'usagers qui l'acceptent et l'utilisent. En cela, la monnaie
internationale s'apparente à la langue internationale, ou encore aux " biens réseaux ", tels
que les réseaux de télécommunications, qui présentent notamment de fortes externalités de
demande. Son adoption, sa diffusion sont également comparables à celles des standards
technologiques, par exemple dans le domaine des ordinateurs - la longue rivalité entre PC et
MacIntosh -, de la vidéo domestique - la concurrence entre VHS et Bétamax, au début des
années 80 -, de la télévision couleur - la lutte entre Pal et Secam -, etc.
La concurrence entre monnaies dans l'environnement monétaire international peut ainsi être
pensée à l'aide des outils analytiques développés par l'économie industrielle de la
compétition entre standards technologiques( 6 ). Parmi les enseignements que suggère une
transposition à la question monétaire internationale de ces analyses d'économie industrielle,
il y a tout d'abord l'inertie qui caractérise ces processus : le lancement d'un nouveau
standard, concurrent du standard en place, n'engendre généralement qu'une érosion lente des
positions acquises, même si - ce qui est loin d'être évident dans le cas d'espèce - le nouveau
standard est techniquement supérieur à l'ancien ; lorsque deux standards se disputent la
suprématie, l'un des deux finit par l'emporter, mais ce n'est pas nécessairement le meilleur,
techniquement, et celui qui a perdu la bataille ne disparaît pas complètement - il se
maintient sur des " niches technologiques ".
Pour que ce raisonnement analogique soit vraiment fructueux, encore faut-il pouvoir
préciser ce que serait l'équivalent de la " qualité " d'une technologie dans le contexte
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monétaire. Alors que l'analyse monétaire classique et monétariste met en exergue le rôle du
pouvoir d'achat, donc de la stabilité monétaire, dans l'appréciation par les usagers de la
qualité des monnaies( 7 ), il semble que, notamment dans le contexte mondial actuel de
faible inflation, la liquidité et les performances des instruments, intermédiaires et marchés
financiers opérant dans chacune des monnaies soient des déterminants plus décisifs de leur
pouvoir d'attraction.
En revanche, et à la différence de ce que suggèrent les parallèles avec les langues ou les
standards technologiques, bien qu'il apparaisse souvent des synergies entre les différentes
fonctions internationales de la monnaie, l'environnement mondial contemporain, caractérisé
notamment par la globalisation financière, dont la liquidité des différents marchés, et
singulièrement des marchés des changes des principales monnaies, autorise, semble-t-il,
plus que dans le passé, la coexistence de plusieurs monnaies internationales, les coûts du
passage de l'une à l'autre étant faibles parce que les coûts d'information et de transactions
sont eux-mêmes faibles.
Des conditions nécessaires à une plus grande diffusion internationale
D'où proviennent la liquidité des marchés d'actifs libellés dans une monnaie et la force
d'attraction qui en découle pour les divers usagers de cette devise, notamment les
investisseurs et, peut-être plus encore, les débiteurs non résidents, qui choisissent d'investir
ou de s'endetter dans cette devise ? L'analyse monétaire traditionnelle cerne mal cette notion
de liquidité, dont les composantes sont multiples et complexes. Certaines conditions
apparaissent toutefois nécessaires, à défaut d'être suffisantes, au succès international d'une
monnaie.
La puissance des marchés financiers
En premier lieu, l'existence de marchés financiers et d'intermédiaires efficaces et
performants, capables d'offrir à des coûts faibles des instruments de dette, de placement et
de couverture des risques attrayant est, évidemment, au nombre de ces conditions
nécessaires. De ce point de vue, la zone euro souffre d'un certain handicap, dans la mesure
où les marchés financiers sont encore segmentés et où les intermédiaires bancaires et
financiers ne sont pas parmi les plus performants. Cependant, les restructurations, fusions,
acquisitions, alliances et regroupements en cours devraient permettre de lever en partie cet
obstacle. Que le Royaume-Uni ne soit pas membre de la zone euro ne semble pas devoir
constituer à cet égard une difficulté supplémentaire, puisque la place financière de Londres
est, d'ores et déjà, partie prenante dans ces restructurations et assure déjà une fraction
importante des transactions financières en euros.
Le développement d'instruments financiers de référence
En outre, le développement de marchés financiers profonds, amples et liquides suppose
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notamment que des emprunteurs, publics ou privés, décident d'émettre des montants
importants d'instruments pouvant servir de supports ou de référence aux placements et aux
transactions des investisseurs, ainsi qu'aux émissions des emprunteurs non résidents. Or les
pays membres d'Euroland se sont engagés, avec le Pacte de stabilité, dans des politiques
budgétaires orthodoxes, visant à limiter les déficits et, à terme, à réduire les montants de
dette publique, tandis que le gouvernement fédéral américain est parvenu de son côté à
dégager, depuis quelques années, des excédents budgétaires et prévoit d'annuler, à l'horizon
de 2010-2015, la dette publique américaine. Ces évolutions remettent en cause le statut de
référence des instruments de dette publique sur les marchés obligataires et obligent à
s'interroger sur l'avenir de ces marchés, dès lors que les compartiments d'obligations d'État
risquent de n'être plus guère alimentés par des émissions nouvelles aux États-Unis ni, peutêtre, en Europe. Certes les débiteurs privés peuvent, dans une certaine mesure, prendre le
relais des secteurs publics, dont les besoins de financement pourraient d'ailleurs croître à
nouveau à l'avenir ; mais la manière dont la liquidité serait assurée sur des marchés
entièrement dominés par des titres de dette privée n'est pas évidente et fait aujourd'hui
l'objet de nombreuses réflexions.
Un important potentiel d'absorption des capitaux
La liquidité et la stabilité des marchés financiers internationaux dépendent de plusieurs
manières des politiques menées par les autorités du ou des pays qui émettent et gèrent la ou
les monnaies internationales. Tout d'abord, il importe qu'en période " tranquille ", c'est-àdire en l'absence de crise financière, les marchés financiers soient suffisamment alimentés
en instruments de placement attrayants pour les investisseurs, notamment ceux des pays qui,
tel le Japon actuellement, enregistrent un important excès d'épargne nationale : c'est
aujourd'hui l'économie américaine qui joue ce rôle " d'emprunteur en dernier ressort ",
tandis que la zone euro, dont le vieillissement démographique est rapide et qui n'est pas
économiquement très dynamique, ne semble pas susceptible de l'assumer ; les pays qui ont
un important potentiel d'absorption de capitaux, notamment les pays émergents,
souhaiteront-ils s'endetter davantage en euros ?
Un rôle de " prêteur en dernier ressort "
Enfin, dans les périodes de turbulences financières, la liquidité des marchés financiers et la
confiance des investisseurs sont, on le sait, assurées par l'existence d'une institution disposée
à jouer le rôle de " prêteur en dernier ressort ", voire, dans certaines conditions, " d'assureur
ultime ", injectant les liquidités ou organisant le sauvetage d'établissements menacés
d'insolvabilité. Or, comme l'ont souligné certains observateurs à propos de la dépréciation
de l'euro, alors que la Réserve fédérale américaine a largement démontré, notamment au
cours des crises financières les plus récentes, sa capacité et sa détermination à assurer ces
fonctions et à en assumer les coûts éventuels, l'incertitude entoure les possibilités et les
intentions de la BCE sur ces questions essentielles pour l'internationalisation de l'euro.
Pour en savoir plus
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Banque centrale européenne (BCE) : Bulletin mensuel, différents numéros.
Banque des règlements internationaux (BRI), 2000 : 70ème Rapport annuel, Bâle, 5 juin.
Bourguinat Henri, 1999 : Finance internationale, 4ème édition revue et refondue, Coll. "
Thémis ", Paris, PUF.
Commissariat général du Plan, 1999 : Le gouvernement économique de la zone euro,
Rapport du groupe de réflexion présidé par Robert Boyer, Paris, La Documentation
française.
Les Cahiers français, 1997 : La monnaie unique, n° 282, Paris, La Documentation
française.
Fitoussi Jean-Paul, dir., 1999 : Rapport sur l'état de l'Union européenne, Paris, Fayard et
Presses de Sciences-Po.
Hayek Friedrich von, 1976 : Denationalization of Money, Hobart.
HypoVereinsbank : Euro !, Lettre économique, différents numéros.
Le Cacheux Jacques, 1998 : " La diffusion internationale de l'euro ", Revue de l'OFCE, n
° 65, avril.
Pauwels J.-P. et Y. Windelincx, 1999 : L'Europe, l'euro et le commerce mondial, Paris,
Vuibert.
( 1) Les modalités d'ancrage vont des plus souples, telles que les " parités glissantes ", aux plus rigides, telles que les
régimes de change fixe avec marges de fluctuations, comme le Système monétaire européen (SME) ou les régimes de
bureau d'émission (Currency Boards), dont la vogue se répand (dans les Pays baltes, en Argentine, en Bulgarie, etc.). Ces
derniers, qui consistent à régler l'émission de monnaie nationale strictement sur les réserves de changes, impliquent un
abandon complet de l'autonomie monétaire nationale.
( 2) Il est vrai que tous ces montants, tirés du dernier rapport annuel de la BRI, sont exprimés en dollars au taux de change
courant, de sorte que la dépréciation de la monnaie européenne a eu tendance à les minorer.
( 3) Bien que souvent associées dans les analyses, la référence d'ancrage et la devise dans laquelle sont détenues les réserves
de change de la Banque centrale d'un pays ne coïncident pas nécessairement, et singulièrement pas dans le contexte
financier actuel, dans la mesure où les Banques centrales détiennent, en réalité, des titres rémunérés et non de la monnaie
stricto sensu, et où les marchés financiers et les marchés des changes sont suffisamment liquides pour qu'il soit aisé et peu
coûteux de changer, quand c'est nécessaire, des réserves en monnaie d'intervention.
( 4) Ces pays sont, en août 2000, au nombre de deux : la Grèce, qui ne remplissait pas les critères de participation au
moment de la création de l'euro, mais dont l'adhésion est programmée pour janvier 2001, et le Danemark, qui ne souhaitait
pas participer à l'euro, mais organise, à l'automne 2000, un référendum sur ce choix. Le nombre de pays dans le SME-bis
augmentera avec les nouvelles adhésions, notamment celles des PECO prévues à partir de 2003-2004. Rappelons que le
Royaume-Uni et la Suède, membres de l'Union européenne, ont choisi de ne pas participer à l'union monétaire et ont des
taux de change flottants à l'égard de l'euro.
( 5) La Banque centrale européenne (BCE) a souvent insisté sur les conséquences néfastes de la dépréciation de l'euro sur
l'inflation européenne, notamment l'inflation importée. Il est vrai que les prix des matières premières, notamment du pétrole,
sont exprimés en dollar, ce qui accentue leur renchérissement récent. Mais la dépréciation de l'euro a, pour compenser,
l'avantage de rendre les produits européens plus compétitifs, stimulant ainsi les exportations des pays de la zone euro.
( 6) Voir Le Cacheux (1998) qui contient aussi quelques références bibliographiques explorant cette piste de réflexion.
( 7) Voir, notamment, Hayek (1976).
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L'euro, monnaie internationale ?
Les cahiers français, n° 297 (07/2000)
Page 75
Auteur : Jacques Le Cacheux (Professeur à l'Université de Pau et
des pays de l'Adour, Directeur du Département des études, OFCE,
Paris) .
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