Serviteurs de la Parole 2012
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Serviteurs de la Parole 2012
Célébration de la Parole Lecture de la lettre de Saint Paul aux Romains : Rm 10, 8-18 Psaume : 18 A Evangile de Jésus-Christ selon Saint Luc : Lc 1, 26-45 (Annonciation et Visitation) Homélie : « Comme il est beau de voir courir les messagers de la Bonne Nouvelle ! » Frères et soeurs, cette exclamation du prophète Isaïe retentit d’une manière joyeuse dans cette basilique de Pontmain tandis que nous vivons notre grand rassemblement des Serviteurs de la Parole. Oui, « il est beau de voir courir les messagers de la Bonne Nouvelle ! » Il n’est pas anodin que cette parole, reprise par l’apôtre Paul dans sa lettre aux Romains, nous la réentendions en ce lieu béni où Marie, la Mère de Dieu, s’est adressée à nous il y a 141 ans. Marie en effet est la première des messagères de la Bonne Nouvelle. Elle qui nous a dit ici même que son Fils se laissait toucher par la foi n’a de cesse que d’introduire les hommes dans cette relation vivante et personnelle avec lui. Elle qui, par grâce, a donné naissance au Verbe de Dieu, la Parole incarnée, aspire à réenfanter spirituellement ce même Verbe dans le coeur de tous les hommes. C’est ainsi que saint Luc nous la montre courant sur les montagnes de Juda pour visiter sa cousine Elisabeth. « Marie se mit en route rapidement », nous dit-il. Elle est comme habitée par cette impatience de l’amour qui la pousse à ne pas garder sa joie pour elle. Cette Parole de Dieu qui a pris chair en son sein, elle veut la proclamer avec toute la force de sa foi, elle veut la transmettre à son entourage. Elle est la Mère qui vient combler l’attente des hommes en leur donnant ce bonheur de rencontrer enfin leur Seigneur et leur Dieu. La Vierge de la Visitation, en ce sens, est bien l’icône de l’Église en marche, cette Église de Pentecôte dont la mission aujourd’hui comme hier est de porter, dans le souffle puissant de l’Esprit, la Bonne Nouvelle aux pauvres, de faire retentir cette Bonne Nouvelle dans le coeur de celles et ceux qui ne la connaissent pas encore. Prenons donc le temps de regarder Marie. Voyons comment saint Luc, dans ce récit de l’Annonciation et de la Visitation que nous venons d’entendre, nous rend attentif à ce double mouvement d’intériorisation et de proclamation de la Parole qui doit porter et accompagner l’élan missionnaire de notre Église. Si Marie en effet se fait messagère de la Bonne Nouvelle, c’est pour l’avoir accueillie préalablement dans son coeur. Souvenons-nous de ces versets de l’Écriture que nous entendons en particulier au temps de l’Avent : « La pluie et la neige qui descendent des cieux n'y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l'avoir fécondée et l'avoir fait germer, pour donner la semence au semeur et le pain à celui qui mange ; ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce que je veux, sans avoir accompli sa mission » (Is 55,10-11). Marie est cette bonne terre qui a accueilli la semence de la Parole, qui l’a laissé germer dans son coeur jusqu’à ce qu’elle devienne ce pain savoureux, unique et vraie nourriture pour les hommes. Impossible donc d’être missionnaire de l’évangile sans avoir d’abord accueilli la Parole en nos coeurs, sans avoir laissé cette Parole féconder notre vie. C’est dans cette double dynamique que je voudrais vous inviter à devenir, à la suite de Marie, des Serviteurs de la Parole. La première attitude, le préalable indispensable à toute démarche missionnaire consiste à ouvrir nos coeurs à la Parole, à la laisser se répandre en nos vies comme une pluie de printemps. C’est la phase d’intériorisation de la Parole qui est l’oeuvre en nous de l’Esprit. Si cet accueil est rendu possible, c’est parce qu’en Jésus, précisément, la Parole s’est frayée un chemin jusqu’à nous. C’est ce qui fait dire à saint Paul citant le livre du Deutéronome : « La Parole est près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton coeur pour que tu la mettes en pratique». Ce que nous dit l’apôtre est la vérité absolue : la Parole est près de nous parce qu’elle est descendue du ciel sur la terre ; elle est près de nous parce qu’elle a consenti à se laisser traduire par des mots humains, les pauvres mots de notre langage humain, notre langage à nous ; elle est près de nous parce que, dans les gestes et les mots de Jésus, à travers sa vie tout entière, sa vie donnée par amour, elle nous a rejoints personnellement de façon concrète. C’est ce que Jean affirme à son tour lorsqu’il dit dans le prologue de son évangile : « Le Verbe s’est fait chair ». Le Verbe s’est fait chair, cela veut dire : la Parole s’est faite « nous ». Elle a épousé la chair, elle s’est liée pour toujours à notre humanité. Et pourquoi s’est-elle faite chair ? Pour nous transformer en elle. Pour que toute notre humanité, notre existence d’hommes et de femmes puisse parler le langage de Dieu, puisse dire le message de Dieu, le message de son amour. « Qu’il me soit fait selon ta Parole ». C’est la réponse de foi qu’offre la Vierge à l’ange de l’Annonciation. Cette réponse signifie au fond : « Que tout s’accomplisse en moi selon ce que tu as dit ». Ces mots nous disent la connaturalité de Marie avec la Parole. « Dans la Parole de Dieu, écrit Benoît XVI, Marie est vraiment chez elle : elle en sort et elle y rentre avec un grand naturel. Elle parle et pense au moyen de la Parole de Dieu ; la Parole de Dieu devient sa parole, et sa parole naît de la Parole de Dieu ». Parce qu’elle méditait la Parole et la repassait sans cesse dans son coeur, Marie est parvenue à « faire la Parole », c’est-à-dire à faire passer la Parole dans tous les évènements de sa vie. Il doit en aller de même pour nous. C’est toute notre vie en définitive qui doit devenir « Parole », c’est notre vie transformée en Dieu, transformée dans la puissance de son Amour qui doit devenir parlante, qui doit faire signe. Plus nous méditons la Parole, plus nous la faisons descendre dans les profondeurs du coeur et plus l’Amour de Dieu qu’elle contient nous transforme jusqu’à nous rendre saint comme Dieu est saint. Seul le saint peut comprendre et interpréter véritablement l’Écriture parce qu’il connaît Dieu qui est Amour. D’où l’importance de lire régulièrement l’Écriture, d’apprendre des versets par coeur pour laisser la Parole agir en nous et permettre à l’Esprit Saint d’opérer dans nos vies des merveilles d’amour. « En celui qui garde fidèlement la Parole, nous dit saint Jean dans sa première épître, l’amour atteint vraiment sa perfection » (2,5). La sainteté, nous le savons, c’est la perfection de l’amour ; la sainteté, c’est quand la Parole de Dieu prend vie dans l’existence d’un chrétien, quand elle devient la mesure de son agir, la norme de sa vie ; la sainteté, c’est quand la Parole de Dieu réalise en lui ce qu’elle porte en elle ; la sainteté, c’est quand Dieu rend vraie sa Parole en celui qui la lit, quand cette vérité se manifeste à travers ses actes. « On ne comprend vraiment la Parole, disait saint Grégoire le Grand, que lorsqu’on commence à la mettre en pratique ». C’est ainsi que la Parole est comme un aiguillon pour notre foi. « La Parole me réveille chaque matin, nous dit encore le Serviteur d’Isaïe, chaque matin elle me réveille pour que j’écoute comme celui qui se laisse instruire » (50,4). C’est à cette expérience que sont conduits par l’Esprit tous ceux qui deviennent des familiers de la Parole, l’expérience d’une renaissance, d’une libération, d’un renouveau permanent dans la foi et dans l’amour. « La Parole me réveille », nous dit Isaïe, littéralement elle me « ressuscite » ; elle me délivre de l’inertie, de la paresse ; elle m’arrache à la médiocrité d’une vie encore trop repliée sur moi-même pour me mettre en état d’explosion oblative et me faire entrer ainsi dans le bonheur d’une existence tournée vers Dieu et vers les autres. Frères et soeurs, à la suite de Marie, le Seigneur nous appelle à nous laisser transformer au contact de la Parole pour en devenir ensuite les témoins et les serviteurs. Cela suppose que nous prenions chaque jour les moyens de l’accueillir dans la prière. Cela suppose que nous laissions à notre tour la Parole nous « réveiller chaque matin » ; cela suppose que, dès le début de notre journée, dans un moment substantiel de prière, nous nous mettions docilement à l’écoute du Seigneur qui veut nous instruire. C’est seulement dans la prière et par la prière que la Parole peut réellement prendre racine en chacune de nos existences. Regardons Jésus : c’est parce qu’il passait des nuits entières à prier avant d’instruire les foules qu’il parlait avec autorité, que sa Parole faisait mouche, qu’elle était en mesure de transpercer le coeur de ses auditeurs. C’est aussi l’expérience qu’on faite les apôtres envoyés en mission après la Pentecôte : c’est dans la prière de la première communauté que ces hommes ont puisé le courage d’annoncer la Parole avec assurance, sans craindre les menaces et les persécutions. Et leur parole touchait les coeurs avec une force extraordinaire ! Et si, à notre tour, nous invitions la Parole de Dieu dans nos assemblées chrétiennes, dans nos rencontres de services ou de mouvements, dans nos réunions de prière ou de travail ! Et si nous commencions par accueillir cette Parole tous ensemble, si nous consentions à nous placer sous son éclairage puissant, à la faire circuler simplement entre nous, à nous dire la joie qu’elle suscite d’être partagée ! Je vous en fais la promesse : c’est tout le climat de la rencontre qui s’en trouvera transformé, et nous serons alors habités d’un élan nouveau pour porter l’évangile au monde. C’est ainsi que la Parole intériorisée dans un premier temps appelle ensuite à être proclamée. Impossible en effet de la garder pour soi. C’est ce qu’exprimait l’apôtre Paul lorsqu’il disait : « Malheur à moi si je n’annonce pas l’évangile » (1 Co, 9,16). Aux évêques réunis à Rome pour leur célébration jubilaire en l’an 2000, Jean-Paul II disait justement : « Lorsque nous relisons les Actes des Apôtres, nous sommes impressionnés par la ferveur avec laquelle la première cellule apostolique semait à pleines mains la semence de la Parole. Nous devons retrouver l’enthousiasme propre à la Pentecôte ». Et il ajoutait : «L’annonce de l’Évangile est l’acte d’amour suprême à l’égard de l’homme, de sa liberté, de sa soif de bonheur ». Vivre l’annonce de l’évangile comme un acte d’amour, comme « l’acte d’amour suprême » : voilà, frères et soeurs, le défi que je vous appelle à relever avec moi. Ce défi est immense car nous voyons bien que la Parole est loin d’avoir achevé sa course. Depuis l’évènement de la Pentecôte, certes, elle s’est répandue dans le monde, portée par des missionnaires qui la transmettaient d’autant mieux qu’ils étaient habités par elle. Mais ils sont si nombreux les peuples qui n’ont pas encore accueilli la Parole. Ils sont si nombreux ceux et celles qui, faute d’avoir entendu la Parole, ne peuvent goûter la joie de croire. Inutile d’ailleurs de porter nos regards au loin : chez nous, en Mayenne, des hommes et des femmes en grand nombre aimeraient, comme Élisabeth, connaître ce bonheur que la Mère du Seigneur vienne jusqu’à eux. Chez nous en Mayenne, des hommes et des femmes en grand nombre attendent que la Parole leur soit transmise pour être introduits, par la foi, dans une rencontre vivante et personnelle avec Dieu. Chez nous en Mayenne, des hommes et des femmes en grand nombre aimeraient, comme Jean-Baptiste, tressaillir de joie à l’annonce de la Parole. Et à qui cette mission peut-elle être confiée sinon à nous ? C’est dans cet esprit que, pour conclure, je voudrais vous envoyer publiquement et solennellement en mission. Car « comment proclamer sans être envoyé », se demandait saint Paul ? Frères et soeurs, vous qui êtes rassemblés ce soir dans cette basilique, vous qui voulez devenir les Serviteurs de la Parole de Dieu, je vous envoie aujourd’hui proclamer l’Évangile. Je vous envoie comme messagers de la bonne Nouvelle. Je vous envoie comme acteurs et coopérateurs de la nouvelle évangélisation dont notre monde a un urgent besoin. Je vous envoie dans vos quartiers, dans vos villages vers celles et ceux qui sont enfermés dans la tristesse et le désespoir. Je vous envoie dans les groupes de catéchèse, dans les rencontres d’aumônerie vers les enfants et les jeunes qui n’ont jamais – ou si peu – entendu parler de Jésus. Je vous envoie, par vos engagements caritatifs, vers les pauvres, les blessés de la vie, les personnes vulnérables qui sont les premiers destinataires de la Bonne Nouvelle du Salut. Je vous envoie vers les malades qui ont tant besoin du réconfort de la Présence de Dieu. Je vous envoie par les mouvements d’Action Catholique vers les agriculteurs, les ouvriers, les milieux indépendants. Je vous envoie avec cette conviction que seule une évangélisation prophétique peut secouer le monde. Et l’évangélisation ne peut être prophétique que si la Parole de Dieu s’est concrétisée dans l’existence personnelle de celui qui la proclame. Je compte par conséquent sur le dynamisme de votre foi et la vigueur de votre élan missionnaire. N’ayez pas peur ! L’Esprit que vous avez reçu au jour de votre baptême et de votre confirmation est votre guide et votre force. Lui seul peut faire de chacun de vous des chrétiens brûlants capables de réallumer le feu que Jésus est venu allumer sur la terre. À la suite de Marie et de saint Paul et de tous les apôtres, à la suite de tous les missionnaires de notre Église, avec tous ceux qui ont accueilli la puissance de la Parole dans leur vie, je vous dis ce soir : « Allez, Partez, n’attendez pas plus longtemps pour proclamer à la face du monde les merveilles de Dieu. Oui, comme il est beau de voir courir les messagers de la Bonne Nouvelle !» Thierry SCHERRER Evêque de Laval