Ubu Roi - biblio
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Ubu Roi Alfred Jarry Livret pédagogique Établi par Stéphane GUINOISEAU, agrégé de Lettres modernes, professeur en collège. HACHETTE Éducation Conception graphique Couverture et intérieur : Médiamax Mise en page Médiamax Illustration Harvey Stevenson Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes des articles L.122-4 et L.122-5, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et, d’autre part, que « les analyses et les courtes citations » dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite ». Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit, sans l’autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris), constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. © Hachette Livre, 2005. 43, quai de Grenelle, 75905 PARIS Cedex 15. ISBN : 978-2-01-169133-8 S O M M A I R E RÉPONSES Acte Acte Acte Acte Acte AU X Q U E S T I O N S I . II . III IV V. 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 Retour sur l’œuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 PROPOSITION E X P L O I TAT I O N DE SÉQUENCE DIDACTIQUE DU GROUPEMENT DE TEXTES BIBLIOGRAPHIE C O M P L É M E N TA I R E 3 44 46 48 RÉPONSES AUX QUESTIONS Les indications de pages accompagnant les numéros de chapitre renvoient aux questionnaires du livre de l’élève. AC T E I ( p p. 2 5 à 2 8 ) ◆ Q UE S ’ EST - IL PASSÉ ? 1. Les réponses sont : a) Venceslas – b) Bordure – c) Lithuanie – d) Père Ubu – e) tuer le roi. ◆ AVEZ - VOUS BIEN LU ? 2. C’est le Père Ubu qui prononce le « Merdre » initial. Ce mot est évidemment adressé à la Mère Ubu dans le dialogue, mais on peut en profiter pour faire une mise au point : si le texte théâtral, sous sa forme écrite, a une double destination (la lecture et la représentation scénique), les répliques prononcées sur scène lors d’un spectacle ont un double destinataire : l’acteur ou les acteurs présents qui participent à l’échange et les spectateurs réels dans la salle qui écoutent le dialogue des acteurs. Si le mot a eu une telle résonance, c’est aussi qu’il s’adresse directement au public… D’emblée, la représentation est placée sous le double signe de la provocation et de la déformation ludique des usages ou des conventions (ce « merdre » parasite le « merde » usuel). Pour certains critiques, l’adjonction d’une liquide a une fonction « euphémisante » : elle adoucirait la violence du mot. On peut aussi y voir une fonction inverse, comme le propose J.-H. Lévesque : « La lettre supplémentaire met en relief le mot qui résonne et surprend davantage en initiale de la scène… Le « r » accentuerait en quelque sorte la puissance d’un mot que l’usage a rendu assez banal. » Pour d’autres enfin (Lacan, par exemple, ou Henri Béhar), le mot serait une déformation ludique. Henri Béhar évoque « la valeur ludique de l’épenthèse ». On proposera, quant à nous, une autre piste : le mot « merdre » combine deux éléments. L’élément scatologique bien sûr, mais il est aussi une paronymie du mot « mordre » qui lance ainsi le registre de l’agressivité sadique que le reste de la scène confirme ainsi que la suite de la pièce. On trouve le mot « mordre », dans la scène 2 de l’acte I, employé par le Père Ubu : « Tiens, j’ai faim, je vais 4 Acte I mordre dans cet oiseau » (l. 71-72). Le mot acquiert alors une valeur « matricielle », si ce terme n’est pas déplacé ici ! Il serait à la fois l’indice premier de la dimension grotesque (celle du « bas corporel », chère à Bakhtine) et le premier signe de la violence sadique du personnage que l’on retrouve, par exemple, dans les invectives qu’il adresse à la Mère Ubu… Ce registre de l’agressivité sadique ne fera que se diversifier et s’amplifier au fil des scènes. 3. C’est la Mère Ubu (comme Lady Macbeth, dans la pièce de Shakespeare qui lui sert d’hypotexte, pour reprendre les catégories de Genette dans Palimpsestes) qui est à l’initiative du projet meurtrier. On peut faire une relecture de la scène 1 pour le vérifier. La scène s’engage visiblement sur une querelle de ménage déjà entamée (in medias res) au moment où le rideau se lève. Lorsque le Père Ubu menace la Mère Ubu et affiche ainsi ses intentions violentes, celle-ci saisit la balle au bond et avance une première fois l’idée qui a visiblement déjà germé dans son esprit (sans la préciser clairement en nommant directement le roi) : « Ce n’est pas moi, Père Ubu, c’est un autre qu’il faudrait assassiner » (l. 5-6). Le Père Ubu semble surpris et la Mère Ubu change rapidement de stratégie pour motiver en quelque sorte son projet : elle va essayer de susciter le désir de puissance chez un Père Ubu apparemment très satisfait de son sort (« De par ma chandelle verte, merdre, madame, certes oui, je suis content. On le serait à moins », l. 11-12). Tout l’intérêt du dialogue sera dans le décalage, ici, entre la trivialité grotesque de ces désirs qui peuvent alimenter l’ambition du Père Ubu (manger de l’andouille, avoir un caban ou une capeline…) et le projet politique digne des meilleures tragédies qui se profile : tuer le roi pour s’emparer de sa couronne. D’un côté les appétits les plus primaires et narcissiques, de l’autre la plus haute ambition politique… Comme si les deux coïncidaient ! La stratégie de la Mère Ubu est donc double : faire miroiter les bénéfices symboliques et réels que le Père Ubu peut obtenir grâce à son coup de force, montrer la médiocrité de la situation actuelle et remplacer l’autosatisfaction par une insatisfaction… (« Comment ! Après avoir été roi d’Aragon vous vous contentez de mener aux revues une cinquantaine d’estafiers armés de coupe-choux », l. 16 à 18). Devant les objections et les réticences du Père Ubu, la Mère Ubu doit se faire plus claire et plus offensive : « Qui t’empêche de massacrer toute la famille et de te mettre à leur place ? » (l. 27-28).Assassiner et massacrer : les deux mots clés sont prononcés par la Mère Ubu : c’est elle qui tire les ficelles du projet meurtrier et du grotesque Polichinelle. 5 RÉPONSES AUX QUESTIONS 4. Le Père Ubu jette sur le festin un « balai innommable » (l. 126), c’est-à-dire une balayette pour nettoyer les toilettes ! 5. Le Père Ubu craint une trahison et pense que le roi a eu vent de sa conspiration : il est immédiatement prêt à dénoncer ses acolytes et à leur imputer la responsabilité du projet. 6. Le Père Ubu offre au roi Venceslas un « mirliton » (l. 213), c’est-à-dire une petite flûte. ◆ É TUDIER LA GRAMMAIRE 7. On identifie en général quatre types de phrase : la phrase déclarative, la phrase interrogative, la phrase exclamative et la phrase injonctive. Ces différents types de phrase sont abondamment mêlés dans la conversation quotidienne ou dans le langage théâtral lorsqu’il imite l’oralité et les variations de construction qu’elle implique. Par exemple, dans la scène 6 : – une phrase déclarative : « Oh ! vous savez, ce n’est pas moi, c’est la Mère Ubu et Bordure » (l. 198-199) ou « Il a trop bu » (l. 201) ; – une phrase interrogative : « Qu’as-tu, Père Ubu ? » (l. 200) ou « Père Ubu, vous estes-vous fait mal ? » (l. 221) ; – une phrase exclamative : « De par ma chandelle verte, je me suis rompu l’intestin et crevé la bouzine ! » (l. 219-220) ; – une phrase injonctive : « Ne me remercie pas, Père Ubu, et trouve-toi demain matin à la grande revue » (l. 210-211). 8. Une interrogation rhétorique fait partie d’une stratégie argumentative : elle vise moins à obtenir une réponse à une question que l’on se pose, qu’à obtenir une confirmation ou à susciter la même interrogation chez le locuteur ou le lecteur (dans le cas d’un article de presse, par exemple). C’est donc une façon de presser l’interlocuteur et de lui imposer certains présupposés que l’on souhaite avancer plus ou moins discrètement. La stratégie de la Mère Ubu, dans la scène 1, passe par l’utilisation de ce type de questionnement et l’on devine la réponse qu’elle attend. C’est elle qui mène l’interrogatoire du Père Ubu et qui domine le dialogue (l. 9 à 28) : « Comment, Père Ubu, vous estes content de votre sort ? » ; « […] que voulez-vous de mieux ? » répond le Père Ubu ; « […] vous vous contentez de mener […] quand vous pourriez faire succéder sur votre fiole la couronne de Pologne à celle d’Aragon ? » (interrogation rhétorique qui introduit le présupposé de la prise du pouvoir) ; « […] n’a-t-il pas des 6 Acte I légions d’enfants ? » objecte le Père Ubu ; à quoi la Mère Ubu répond par une nouvelle interrogation pressante qui introduit le présupposé manquant : « Qui t’empêche de massacrer toute la famille et de te mettre à leur place ? » ◆ É TUDIER LE VOCABULAIRE 9. Un « palindrome » est, selon Le Petit Robert, un « mot ou groupe de mots qui peut être lu indifféremment de gauche à droite ou de droite à gauche en conservant le même sens ». Les deux exemples cités dans ce dictionnaire sont « ressasser » et « élu par cette crapule ». Observons au passage deux beaux exemples de palindromes : la ville natale d’Alfred Jarry, « Laval », ainsi que le nom « Ubu ». 10. Un « néologisme » est un mot nouveau inventé par un auteur. Le mot « merdre » est le premier néologisme de la pièce. Dans la scène 3, on trouve aussi le mot « rastron » (l. 103). 11. Le mot « ubuesque » est défini ainsi dans Le Petit Robert : « Qui ressemble au personnage d’Ubu Roi par un caractère comiquement cruel et couard. » L’apparition de l’adjectif est datée de 1922 en langue française. 12. L’argot : signalons en préambule que Marcel Schwob, à qui la pièce Ubu Roi est dédiée, s’est intéressé à la langue de Villon et de ses compagnons (Le Jargon des Coquillards en 1445, publié en 1890), et son Étude sur l’argot français (1889) reste un ouvrage important pour tous les amateurs de la « langue verte ». Il est fort probable qu’Alfred Jarry ait eu ces ouvrages dans les mains et qu’il ait enrichi sa connaissance de la langue argotique au contact de son ami. a) Définition de Richelet (auteur du premier Dictionnaire français de 1680) : « Langue des gueux et coupeurs de bourse qui s’expliquent d’une manière qui n’est intelligible qu’à ceux de leur cabale. » L’argot est initialement le langage codé des marginaux et des bandits (attesté dès le XIIIe siècle en français). C’est grâce au procès des Coquillards (bandes issues de la guerre de Cent Ans mélangeant des gens de diverses origines nationales au XVe siècle), qui portaient une coquille pour se faire passer pour des pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle, qu’ont été dévoilées les premières informations sur le langage secret des bandes organisées (plus de cinq cents personnes, en l’occurrence). Leur langue verte, à la fois brutale et savante, est « un mélange de mots étrangers, d’ancien français, de latin, de langue universitaire, d’expressions quotidiennes dévoyées de leur sens. 7 RÉPONSES AUX QUESTIONS Quelques-uns de ces termes sont entrés dans le langage courant (« dupe »), d’autres dans les langages argotiques : « quilles » pour « jambes », « lourdes » ou « serres » pour « mains » (article « Coquillards », Encyclopædia Universalis). b) Diffusion de l’argot au XIXe siècle : c’est notamment grâce à Vidocq (son ouvrage intitulé LesVoleurs, publié en 1837, contient un important lexique de l’argot qui sera la principale source de la littérature argotique), ancien bandit devenu policier, que l’argot va se diffuser hors des milieux de la pègre. Plusieurs écrivains vont par la suite y puiser et utiliser ce langage secret en littérature : Victor Hugo, Eugène Sue, Honoré de Balzac, Émile Zola. On peut y voir une double ambition : réaliste, notamment chez Balzac ou Zola, et poétique, chez Hugo fasciné par la créativité de cette langue des misérables : « L’argot n’est autre chose qu’un vestiaire où la langue, ayant quelque mauvaise action à faire, se déguise. Elle s’y revêt de mots masques et de métaphores haillons » (Les Misérables). c) Quelques caractéristiques de l’argot. – C’est une langue xénophile (d’immigrés) : clebs, flouze, toubib, se gourer, maboul, souk (de l’arabe), maquereau (du néerlandais), gonzesse (de l’italien gonzo), berge, surin, chouraveur (de la langue tsigane, le romani ), arnaquer, pioncer, roupiller (picard), loustic (de l’allemand). – Le vocabulaire est concret : effacer l’ardoise = payer sa dette, taper dans l’œil, piffer, blairer, l’avoir dans le nez, patate, plaque, brique (pour l’argent). – L’argot utilise des métaphores : tête = carafe, pomme, poire, cassis, cafetière ; jambes = cannes, quilles ; avocat = bavard ; postérieur = valseur. – Il emploie des suffixes argotiques : -ard, -oche, -aque, -if (calcif), -ingue (foldingue), -iche. – Il procède par troncations et déformations : prof ’, fric’ (fricot), champ’ (champagne), perpète ou perpette (perpétuité), etc. On peut donc faire une distinction assez nette entre le langage familier, qui se pratique couramment lorsque la contrainte individuelle et sociale semble moins pressante, et l’argot, jargon particulier pratiqué par un groupe marginal qui cherche à créer ainsi un code secret destiné exclusivement aux membres de sa communauté. Dans Ubu Roi, les deux registres (argotique et familier) sont mélangés à loisir. On peut utiliser le premier acte pour en donner un premier aperçu que la suite du texte confirmera. – Dès l’exergue, l’expression « hoscha la poire » peut être considérée comme d’origine argotique (avec un bel exemple de « métaphorisation »). 8 Acte I – Le mot « fiole » pour « tête » (« vous pourriez faire succéder sur votre fiole la couronne de Pologne », l. 18-19) est lui aussi d’origine argotique. – Le mot « cul » (l. 33), en revanche, peut être considéré comme familier. On en profitera pour rappeler au passage la référence à Montaigne qui constitue le probable hypotexte de ce passage : « C’est une absolue perfection, et comme divine, de savoir jouir loyalement de son être. Nous cherchons d’autres conditions, pour n’entendre l’usage des nôtres, et sortons hors de nous, pour ne savoir quel il fait. Si avons-nous beau monter sur des échasses encore faut-il marcher de nos jambes. Et au plus élevé trône du monde, si ne sommes assis que sus notre cul » (Essais, III, 13). L’utilisation du terme « chandelle » dans les expressions ubuesques renvoie elle aussi à un sens familier du mot (la morve). 13. Les expressions caractéristiques du Père Ubu dans l’acte I sont : merdre ! – de par ma chandelle verte ! – bougre de merdre ! merdre de bougre ! – ventrebleu ! – jarnicotonbleu ! – la bouzine – visiter mes poches. Remarquons que ce lexique volontiers grossier comporte bon nombre d’archaïsmes renvoyant directement ou indirectement à Rabelais et à la langue du XVIe siècle. Il est aussi de tonalité grotesque dans la mesure où il renvoie aux sécrétions du corps et aux fonctions digestives. 14. Le mot « conspiration » est formé de trois parties : le préfixe « con- », le radical « spir » (du latin spirare) et le suffixe nominal « -ation ». D’autres noms français sont formés à partir du même radical dérivé du latin : inspiration, respiration, aspiration, etc. ◆ É TUDIER L’ ORTHOGRAPHE 15. Le verbe « meure » dans « en admettant qu’il meure » (l. 25) est conjugué au subjonctif présent dans une subordonnée hypothétique à valeur concessive (= même si). Profitons-en pour rappeler la conjugaison du verbe « mourir » au subjonctif présent : que je meure, que tu meures, qu’il meure, que nous mourions, que vous mouriez, qu’ils meurent. 16. Formation et orthographe du mot « impudemment » : l’adverbe de manière est dérivé d’un adjectif en « -ent ». On peut rappeler, à cette occasion, la formation classique des adverbes en « -ment ». Ils sont habituellement construits sur l’adjectif féminin. À ce 9 RÉPONSES AUX QUESTIONS radical, on ajoute le suffixe adverbial « -ment » : long, longue, longuement ; grand, grande, grandement. On peut aussi rappeler alors que les adjectifs en « -ent » et « -ant » ont une construction différente : pour les adjectifs en « -ent », l’adverbe se termine par « -emment » ; pour les adjectifs en « -ant », l’adverbe se termine par « -amment ». Exemples : prudent, prudemment ; intelligent, intelligemment ; savant, savamment ; galant, galamment. ◆ É TUDIER UN THÈME : U BU 17. Pourquoi Ubu cède-t-il à la tentation ? a) Après avoir avancé l’idée du régicide et tenté de susciter l’ambition de son mari, la Mère Ubu doit affronter l’incompréhension et les réticences agressives du Père Ubu (« Ah ! Mère Ubu, vous me faites injure et vous allez passer tout à l’heure par la casserole », l. 29-30). Cette phase aboutit donc à un échec que le mot « cul », dénominateur commun minimal de l’humanité pour Ubu, symbolise : tous les hommes sont renvoyés à leur « fondement », comme dirait Rabelais. Il est donc inutile de vouloir s’approprier un pouvoir qui serait le déni d’une condition humaine universellement modeste (la référence implicite à Montaigne que l’on a rappelée confirme cette thématique). b) La Mère Ubu change donc de stratégie : puisque l’ambition politique ne taraude pas le Père Ubu, la tentation matérielle la plus triviale aura peut-être raison de ses scrupules. C’est ce changement de stratégie argumentative qui est enclenché par la phrase suivante : « Tu pourrais augmenter indéfiniment tes richesses, manger fort souvent de l’andouille et rouler carrosse par les rues » (l. 36 à 38). Si le pouvoir en soi n’intéresse pas Ubu, en revanche la satisfaction de ses désirs de richesses et de son appétit peut le motiver. La succession burlesque des objets dérisoires du désir ubuesque fait sourire : le Père Ubu rêve d’une grande capeline et, lorsque sa femme évoque un parapluie et un grand caban, il semble céder… (« Ah ! je cède à la tentation », l. 44). Mais cette ambition triviale est tout de suite contredite par un dernier relent de mauvaise conscience qui justifie un ultime assaut de la Mère Ubu. c) Cette dernière offensive procède en deux temps : le Père Ubu est d’abord comparé à un rat (« Ainsi tu vas rester gueux comme un rat, Père Ubu », l. 51-52) : cette phrase est prononcée sur le mode du constat navré, constat qui ne suffit pas à susciter l’ambition du Père Ubu, tout à fait disposé à accepter sa condition grotesque « emblématisée » par la comparaison dévalorisante. Puis 10 Acte I la condensation des gains symboliques dérisoires qu’il pourrait obtenir en renversant le roi (énoncés cette fois-ci sous une forme interrogative offensive : « Et la capeline ? et le parapluie ? et le grand caban ? », l. 56-57) suffit à troubler le personnage qui ne semble pas encore cependant tout à fait convaincu quand il quitte la scène. Lorsqu’il réapparaîtra et proposera à Bordure le duché de Lithuanie, le Père Ubu aura abandonné toute réticence. 18. Les relations entretenues par le Père Ubu et sa femme évoquent les scènes de ménage traditionnelles que l’on trouve abondamment dans les farces médiévales ou encore dans la commedia dell’arte. Les menaces et les invectives se succèdent, tandis que les grossièretés abondent. Dès le début de la pièce, le ton de la scène de ménage domine. Les trois premières répliques donnent le « la » ! 19. Ubu est marqué par trois traits psychologiques remarquables : – l’autosatisfaction : « De par ma chandelle verte, merdre, madame, certes oui, je suis content. On le serait à moins : capitaine des dragons » (l. 11 à 13) ; – l’avidité et la vanité : « Si j’étais roi, je me ferais construire une grande capeline comme celle que j’avais en Aragon et que ces gredins d’Espagnols m’ont impudemment volée » (l. 39 à 41) ; – la lâcheté : « Oh ! j’ai une idée : je dirai que c’est la Mère Ubu et Bordure » (l. 187-188). ◆ É TUDIER LE DISCOURS 20. Jeu des pronoms personnels dans la scène 1 : dans un premier temps, la conversation s’engage sur un vouvoiement conventionnel (« vous estes un fort grand voyou », l. 2-3 ; « que ne vous assom’je », l. 4) qui perdure jusqu’à la remise en question de la situation actuelle du Père Ubu par sa femme. L’aveu d’incompréhension du projet entraîne le tutoiement qu’introduit le Père Ubu : « Ah ! Mère Ubu, je ne comprends rien de ce que tu dis » (l. 21-22). Dès lors, une courte phase de tutoiement réciproque s’engage, que le projet de conspiration et de massacre présenté clairement par la Mère Ubu vient brutalement interrompre : tout se passe comme si le vouvoiement réintroduit par le Père Ubu traduisait une mise à distance de la Mère Ubu et de son discours qui est d’abord rejeté : « Ah ! Mère Ubu, vous me faites injure et vous allez passer tout à l’heure par la casserole » (l. 29-30). La suite du dialogue montre un déséquilibre, puisque la Mère Ubu continue à tutoyer son mari et à le bousculer tandis que le Père Ubu est acculé et n’invective plus brutalement et directement 11 RÉPONSES AUX QUESTIONS sa femme. Le discours du Père Ubu change d’orientation : les pronoms personnels de 2e personne disparaissent au profit des pronoms de 1re et de 3e personnes. 21. Un « aparté » désigne la réflexion qu’un personnage se fait à lui-même et au public en présence d’interlocuteurs dont il ne veut pas attirer l’attention. Dans l’acte I, on trouve un seul aparté dans la scène 1 : « PÈRE UBU. Oh non ! moi, capitaine de dragons, massacrer le roi de Pologne ! plutôt mourir ! » (l. 49-50) ; « MÈRE UBU, à part. Oh ! merdre ! (Haut.) Ainsi tu vas rester gueux comme un rat, Père Ubu ? » (l. 51-52). ◆ É TUDIER LE GENRE 22. L’indication de genre contenue dans le paratexte, page 8, est « ce drame est dédié à… ». Le mot « drame » est commenté dans le livre de l’élève, page 127. 23. On peut partir des remarques faites par les élèves qui seront certainement surpris par le langage (le registre familier et la langue verte) ainsi que par la thématique grotesque. On en profitera pour présenter quelques aperçus sur l’histoire du drame, de la tragédie et la relativisation des catégories du théâtre classique par les romantiques et les dramaturges « modernes ». On pourra réfléchir alors aux catégories présentées dans l’étude du genre (livre de l’élève, page 127). Ubu Roi peut donner l’occasion de parler de tous les genres théâtraux et de leur utilisation plus ou moins parodique. On peut ainsi faire une mise au point sur la farce et ses caractéristiques dans le théâtre médiéval, objet de la question suivante. 24. Alors que le théâtre du Moyen Âge naît dans les églises et comporte beaucoup de scènes liturgiques et bibliques (des scènes marquantes de la vie du Christ ou de la vie des saints, par exemple), plusieurs genres comiques apparaissent et fleurissent au XIVe siècle pour divertir le public et s’intercaler dans les grands spectacles religieux (les Mystères et les Miracles…). La farce est une pièce courte qui sert de pause, d’intermède dans le spectacle sérieux. Ces pièces médiévales courtes ont plusieurs caractéristiques. – Les personnages des farces appartiennent, en règle générale, au menu peuple du XIVe et du XVe siècle : artisans et boutiquiers, coquins demandant l’aumône, ou encore paysans qui se font rouler par leur femme, moines paillards, etc. Les personnages sont assez peu nombreux dans ce type de spectacle. 12 Acte I – Les ressources théâtrales que demandaient les farces étaient modestes : peu d’acteurs, quatre ou cinq, une mise en scène réduite, des meubles et des costumes ordinaires. Les thèmes des farces étaient tirés du quotidien : les heurts entre mari et femme, vendeur et client, procureur et défendeur, serviteur et maître. La farce est avant tout une pièce comique qui présente des situations et des personnages ridicules, où règnent tromperies, équivoques, ruses, mystifications : le marchand volé, le mari trompé, le voleur volé, l’étudiant ignorant, etc. L’intrigue est simple. – Les préoccupations des personnages de farce sont matérielles : manger, faire l’amour, se procurer de l’argent. Pour ce faire, toutes les tromperies sont bonnes et toutes les vengeances licites. – Le mécanisme de « l’arroseur arrosé » ou du « trompeur trompé » est le plus fréquent : c’est le renversement de la tromperie (cf. La Farce de Maître Pathelin, la plus célèbre des farces de l’époque, à la fin du XVe siècle). – Les auteurs de farces n’hésitent pas à utiliser des mots familiers, voire grossiers, et font de fréquentes allusions au corps. Ce genre théâtral amusait un public des plus étendus : bourgeois, étudiants, paysans, nobles. Plusieurs éléments d’Ubu Roi rappellent l’univers de la farce : l’utilisation du langage grossier ou les multiples références aux saints, les scènes de ménage ou les relations entre le Père Ubu et sa femme, les préoccupations triviales et matérielles du personnage principal, l’aspiration et l’inspiration grotesques de la pièce et ses références multiples au « bas corporel ». Mais il s’agit plutôt, là encore, d’une référence utilisée pour subvertir toute identification d’un genre établi et notamment pour parasiter la référence au « drame » ou au sérieux de la tragédie classique française. ◆ É TUDIER L’ ÉCRITURE 25. L’exergue de la pièce, page 8, est une citation imaginaire de Jarry imitant le style de Rabelais et ses fantaisies étymologiques. Il s’agit donc d’un pastiche. « Adonc » est une forme ancienne équivalente d’« alors » au XVIe siècle. L’expression « hoscha la poire » permet à la fois l’introduction d’un premier terme argotique (l’archaïsme et la familiarité sont donc posés d’emblée comme des registres de référence) et un jeu de mots grâce à une traduction assez cavalière de l’anglais : shakes the pear. Le Père Ubu serait donc Shakespeare ! On peut, au-delà de cette identification imaginaire risible, retenir plusieurs indications. 13 RÉPONSES AUX QUESTIONS – La référence à Rabelais est importante et elle joue comme hypotexte implicite ici puisque le nom de Rabelais n’est pas cité directement. C’est un des fondements de la culture de Jarry quand il retravaille Ubu Roi. – La seconde référence à Shakespeare est plus explicite puisque le nom est cité et un genre est avancé : celui de la « belle tragédie ». C’est le second hypotexte majeur d’Ubu Roi. Il faudrait sans doute préciser alors aux élèves que, contrairement aux classiques français, partisans d’une « pureté » des genres, un auteur comme Shakespeare n’hésite pas à mélanger des registres très divers et que le bouffon ou le grotesque s’associent allègrement chez lui au tragique ou au lyrique. Ce mélange constituera une référence majeure pour Victor Hugo et ses théories sur le drame romantique. – L’identification d’Ubu et de Shakespeare place aussi la pièce sous le signe du canular ou de la farce potache. 26. La liste des personnages est incongrue et surprenante. On pourrait consacrer une séance entière à l’analyser ! Quelques remarques pour synthétiser. – La piste du drame politique est confirmée en partie par les précisions de fonctions : capitaine, roi, reine, général, empereur, conjurés… – Elle est aussi contredite par les dénominations des deux premiers personnages de la liste dont la présentation, page 9, est pour le moins incongrue dans une pièce « sérieuse » : « PÈRE UBU, MÈRE UBU ». L’irruption de ces mentions fait davantage penser à l’univers de la farce : le mélange des registres donne d’emblée une tonalité burlesque à l’ensemble. – Certaines mentions généralisantes sont suffisamment vagues pour alerter le lecteur et poser quelques questions immédiates de mise en scène : comment représenter sur scène le peuple, les nobles, les magistrats, les conseillers, les financiers ? C’est l’humanité dans son ensemble qui semble convoquée sur scène. – Signalons enfin la présence de dénominations ou d’objets étranges, énigmatiques : les palotins, les larbins des finances, la machine à décerveler, le cheval à phynances. Quant à l’exotisme des noms polonais ou à la présence d’un ours, d’un équipage, de l’armée russe et de l’armée polonaise, ils programment un mélange pour le moins étonnant et détonant. 27. Une « énumération » est une succession de termes de même nature grammaticale, souvent destinée à détailler un ensemble, à le décrire. Dans la scène 3, la Mère Ubu détaille à plusieurs reprises le repas (sous forme d’énumérations). Voici un exemple : « MÈRE UBU. Soupe polonaise, côtes de rastron, veau, poulet, pâté de chien, croupions de dinde, charlotte russe… » (l. 103-104). 14 Acte II ◆ L IRE L’ IMAGE 28. Sur le dessin de Jarry qui figurait dans l’édition originale de 1896 au Mercure de France, plusieurs traits semblent remarquables. – La grosseur du personnage et sa rondeur lui confèrent la forme cylindrique d’une outre gonflée. – La stylisation de la tête est accentuée par la forme pointue du crâne. Cela correspond peut-être à une valeur symbolique agressive puisque le crâne est en forme de lame. La canne enfoncée en partie dans la poche peut aussi être interprétée comme un symbole « phallique » d’agressivité. Le personnage, comme l’indique Michel Arrivé dans l’édition de « La Pléiade » (Gallimard), est donc pourvu d’une certaine dualité que le dessin confirme. Goinfre et méchant. – Les quelques traits du visage peuvent prêter à confusion : citons Michel Arrivé : « Les deux petits triangles du bas du faciès sont la stylisation des moustaches hébertiques […]. Les deux petits traits perpendiculaires, surmontés de deux doubles traits, sont les yeux d’Ubu, surmontés de leurs sourcils. » – Le dessin « spiraloïde » qui caractérise le ventre désigne peut-être le centre de gravité « intestinal » du personnage. Ses pensées et ses désirs ont pour origine l’appétit le plus trivial et la recherche d’une satisfaction de cet appétit. AC T E I I ( p p. 4 1 à 4 4 ) ◆ Q UE S ’ EST - IL PASSÉ ? 1. Les réponses sont : a) Bougrelas – b) paraître à la revue qu’il a organisée – c) sa mère – d) payer les impôts – e) merdre. ◆ AVEZ - VOUS BIEN LU ? 2. La reine a fait un songe prémonitoire qu’elle rapporte dans la scène 1. 3. Ce rêve annonce l’assassinat du roi Venceslas et la prise du pouvoir par le Père Ubu. Le roi demeure tout à fait incrédule. 4. C’est Ladislas que Bordure coupe en deux comme une saucisse. 15 RÉPONSES AUX QUESTIONS 5. Avant de s’enfuir, Bougrelas « découd la boudouille » (l. 102) du Père Ubu d’un terrible coup d’épée. 6. Le capitaine Bordure propose au Père Ubu d’organiser une course. ◆ É TUDIER LA GRAMMAIRE 7. Une phrase nominale est une phrase dans laquelle le nom ou le groupe du nom constitue à lui seul un groupe sémantique cohérent (sans verbe, donc). Dans la scène 4 (comme dans d’autres, d’ailleurs) on peut voir quelques exemples de ce procédé très usuel au théâtre : « BOUGRELAS. Chenapans, sacs à vins, sagouins payés ! » (l. 92) ; « LA REINE. Et toi, mon fils, et toi ? (l. 96) ; « PÈRE UBU. […] Quant à toi, misérable… » (l. 99) ; « BOUGRELAS. Ah ! vive Dieu ! voilà ma vengeance ! » (l. 101). 8. Verbe conjugué au subjonctif : « prenez une pièce chacun jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus » (l. 217). Dans les subordonnées conjonctives de temps, le subjonctif indique la virtualité d’un procès avec « avant que », « jusqu’à ce que », « en attendant que ». Le verbe « avoir » est ici conjugué au subjonctif présent et l’on en profitera pour rappeler la conjugaison : que j’aie, que tu aies, qu’il ait, que nous ayons, que vous ayez, qu’ils aient. 9. Une interjection est un mot invariable pouvant être employé isolément pour traduire une attitude affective du sujet parlant. L’interjection offre une grande liberté d’interprétation et peut donner lieu à des variations d’intonation significatives, en fonction de l’interprétation que l’on veut transmettre. Les interjections sont nombreuses dans la scène 3 car les personnages réagissent au spectacle tragique qu’ils observent depuis le palais (l’indication scénique « Une effroyable clameur se fait entendre au-dehors », l. 61, le montre) : « BOUGRELAS. Ah ! » (l. 62) ; « LA REINE. Ô mon Dieu ! Sainte Vierge » (l. 64) ; « BOUGRELAS. Horreur ! Au secours ! » (l. 67) ; « BOUGRELAS. Eh ! » (l. 69) ; « LA REINE. Oh ! » (l. 71) ; « LA REINE. Ah ! Hélas ! » (l. 74) ; « BOUGRELAS. Oh ! » (l. 79). Elles traduisent ici la désolation et l’impuissance des deux personnages, spectateurs du massacre. ◆ É TUDIER LE VOCABULAIRE 10. Le mot « gentilhomme » signifie « noble », aristocrate. Il est formé de l’association d’un adjectif, « gentil », signifiant « noble de naissance » et du 16 Acte II mot « homme ». Ce terme est souvent utilisé dans la littérature, à partir du XIVe siècle. La comédie de Molière intitulée Le Bourgeois gentilhomme peut donner lieu à une double explication. Historique d’abord : l’absolutisme est marqué par l’association de la bourgeoisie la plus prospère au pouvoir traditionnellement aristocratique. L’ennoblissement est la voie de promotion pour cette bourgeoisie qui nourrit des fantasmes d’ascension politique. Sémantique ensuite : l’association des deux termes a une valeur oxymorique, en quelque sorte, puisque les deux mots sont en théorie incompatibles. Le regard ironique de Molière sur les ridicules de cette bourgeoisie en quête d’anoblissement semble renforcer l’opposition entre les deux notions. 11. Le mot « sagouin », utilisé abondamment dans la pièce avec sa valeur d’insulte, désigne d’abord un petit singe d’Amérique du Sud, à longue queue (le ouistiti). La langue tupi est une langue amérindienne du Brésil.Voici d’autres mots français ayant la même origine exotique : acajou, ananas, ara, cobaye, ipéca, jaguar, manioc, palétuvier, piranha, sapajou, tapir, tabou, toucan, urubu. 12. Le mot « sire » signifie « seigneur » dans le lexique féodal. 13. Le mot « chenapan » vient de l’allemand Schnapphahn qui signifie « voleur de grand chemin ». Dans L’Aventure des mots français (Robert Laffont, 1997), Henriette Walter explique que ce mot a été emprunté au vocabulaire des mercenaires (allemands et suisses) qui allaient combattre dans les armées du roi et des princes entre le XVe et le XVIIe siècle. Et elle ajoute : « Le mot “bivouac”, par exemple, qui désigne à l’origine une patrouille supplémentaire de nuit, est probablement venu d’un dialecte de Suisse. On peut y reconnaître une forme germanique où bi est une particule signifiant “auprès de” et wacht, “la garde”, “la veillée”. De même, il faut savoir que sous “chenapan”, il y a l’allemand Schnapphahn, “maraudeur” ; sous “reître”, l’allemand Reiter, “cavalier” ; sous “rosse”, l’allemand Ross, “cheval” ; sous “trinquer”, le verbe trinken, “boire”. » « Mouise », « loustic » ou encore « faire la bringue » semblent de même origine et Henriette Walter ajoute : « Toutes ces expressions semblent s’être propagées au cours de conversations détendues, entre soldats en veine de plaisanteries. » 14. Le mot « palotin » associe le radical « pal » et le suffixe à valeur souvent diminutive « -otin ». Le mot « pal » peut être compris de diverses façons. Il s’agit en effet d’un terme d’héraldique qui signifie « pièce honorable de l’écu, bande large qui le traverse du haut du chef jusqu’à la pointe ». Ce sens ne 17 RÉPONSES AUX QUESTIONS peut être écarté, vu le nom donné aux Palotins par Jarry. Mais le mot désigne aussi une longue pièce de bois ou de métal aiguisée par un bout, un pieu donc, qui a pu servir d’instrument de torture. Notons que, dans Ubu Cocu notamment, les Palotins sont spécialisés dans le maniement du pal et dans la torture. C’est donc en quelque sorte un symbole de cruauté et de sadisme qui convient parfaitement aux zélés serviteurs du Père Ubu. Le suffixe « -otin » est utilisé dans quelques mots français avec sa valeur diminutive : ballotin, cabotin, chevrotin, diablotin, fagotin, pilotin, tableautin, trottin, turbotin. ◆ É TUDIER UN THÈME : LA PRISE DU POUVOIR 15. La prise du pouvoir occupe plusieurs scènes : les scènes 2, 3 et 4. Elle montre : – l’ingratitude d’Ubu qui vient d’être récompensé par le roi Venceslas ; – l’avidité d’Ubu qui n’a rien à reprocher au roi, si ce n’est qu’il occupe une place convoitée qui permettra à l’« usurpateur » d’assouvir ses désirs ; – la cruauté des conjurés qui frappent ensemble le roi (« Tous frappent le roi », l. 53) ; – la lâcheté d’Ubu qui avoue sa peur (jouée ?) dans la scène (« Oh ! Bordure, j’ai peur ! Laissez-moi m’en aller », l. 85) ; – l’avarice d’Ubu, à partir de la scène 6, et son sadisme lors des « jeux » organisés avec Bordure. 16. Profitons-en pour rappeler l’étymologie et le sens du mot « démocratie ». On l’opposera à toutes les formes de tyrannie et de totalitarisme. Le Père Ubu peut symboliser tous les tyrans qui se placent sans vergogne au-dessus des lois, du droit et bien entendu des droits de l’homme. 17. La représentation du peuple est assez négative dans l’acte II. Il est évoqué d’abord dans la scène 6 par Bordure, après que le Père Ubu a visiblement rejeté tout égard pour ces « bouffres » : « CAPITAINE BORDURE. Mais enfin, Père Ubu, ne voyez-vous pas que le peuple attend le don de joyeux avènement ? », l. 152-153. Dans cette scène comme dans la suivante, le peuple apparaît avant tout guidé par son avidité qui le mène à se soumettre et à se rallier au pouvoir le plus généreux. On remarquera que, dans la scène 7, le peuple ne s’exprime que par des vivats ou des signes d’approbation qui aboutiront au triomphe final : 18 Acte II « Voilà le roi ! Vive le roi ! Hurrah ! » (l. 176) ; « Oui ! oui ! » (l. 181) ; « Vive le Père Ubu ! C’est le plus noble des souverains !» (l. 221-222). 18. Ubu cherche clairement à s’enrichir : seules l’avidité matérielle et la perspective de nouveaux biens assez dérisoires ont pu le motiver, comme on l’a vu dans l’analyse de la scène 1. Une phrase comme « Encore une fois, je veux m’enrichir, je ne lâcherai pas un sou » (l. 160-161) éclaire une nouvelle fois cette dimension. Remarquons tout de même une gradation de ses ambitions dans cet acte. 19. Le « sadisme » désigne le plaisir que l’on peut tirer du spectacle de la souffrance. La scène 7 rappelle les jeux du cirque et les jouissances sadiques que l’on peut en espérer. L’échange suivant montre bien cette dimension de la jouissance sadique associée au spectacle de la mort : « CAPITAINE BORDURE. Voyez, Mère Ubu, s’ils se disputent cet or. Quelle bataille ! » / « MÈRE UBU. Il est vrai que c’est horrible. Pouah ! en voilà un qui a le crâne fendu » / « PÈRE UBU. Quel beau spectacle ! Amenez d’autres caisses d’or » (l. 182 à 187). Notons au passage deux éléments intéressants : Bordure, qui semble dans cette scène dépasser les autres personnages dans le sadisme (c’est lui qui imaginera la « course »), s’adresse en priorité à la Mère Ubu dont il connaît sans doute l’influence sur son mari. C’est chez elle qu’il pressent davantage de prédispositions sadiques à jouir de ce spectacle. Mais la différence de réaction des deux personnages présage peut-être les développements de l’acte III. Désormais roi, Ubu peut libérer ses instincts sadiques, quelque peu limités par sa condition modeste auparavant. La Mère Ubu, en revanche, qui était davantage excitée par la perspective d’un pouvoir plus symbolique ou matériel, semble désormais tentée par un exercice plus modéré de la tyrannie. Elle semble plus lucide sur les dangers qui pourraient menacer une tyrannie absolue (cf. « Si tu ne fais pas distribuer des viandes et de l’or, tu seras renversé d’ici deux heures », l. 154-155 dans la scène précédente et sa réaction ici). ◆ É TUDIER LE DISCOURS 20. Le texte théâtral est constitué de deux discours différents. – Le discours tenu par les personnages de la pièce compose le « dialogue ». Les échanges sont constitués de « répliques ». De la longue tirade à l’interjection, le volume des répliques est très variable. 19 RÉPONSES AUX QUESTIONS – Le dialogue est complété par un second discours très différent : celui que tient l’auteur de la pièce en marge des échanges dans les indications scéniques ou « didascalies ». Les didascalies concernent la mise en scène et en voix du texte : elles signalent la théâtralité du dialogue et sa destination scénique.Alors que les répliques vont constituer l’action dramatique, les didascalies concernent la représentation de cette action et l’énonciation des répliques sur scène. Dans Ubu Roi, les didascalies sont très nombreuses. Elles peuvent avoir plusieurs fonctions. – Elles précisent le lieu de l’action, qui change à de multiples reprises dans cet acte : « Le palais du roi » (l. 1) ; « Le champ des revues » (l. 35), etc. – Elles signalent le destinataire d’une réplique (« Au soldat », l. 44 ; « aux siens », l. 38). – Elles indiquent les divers mouvements des personnages (« Les hommes d’Ubu entourent le roi », l. 40) ou des gestes particuliers (« Il lui écrase le pied », l. 49). – Elles précisent une intonation (« à la Mère Ubu, avec joie », l. 199). – Certaines enfin concernent les bruits et bruitages divers qui accompagnent le spectacle (« Une effroyable clameur se fait entendre au dehors », l. 61). 21. La situation de la scène 5 comme le registre adopté, celui de la déploration dramatique, semblent en faire une scène de tragédie plus que de comédie. D’un côté, la fuite et la mort de la reine, le motif de la vengeance, l’apparition des spectres et les attitudes démonstratives de Bougrelas sont plutôt des caractéristiques de la tragédie. Ces détails peuvent rappeler Hamlet, entre autres. Mais l’outrance des procédés et leur condensation peuvent aussi donner à cette scène une valeur caricaturale et comique. Il est assez facile de tirer l’ensemble du côté de la parodie assez grotesque : on peut en profiter ici pour évoquer avec les élèves les ressources offertes par la mise en scène qui permet une lecture, une interprétation du texte. 22. Le mot « burlesque » est ainsi défini dans le dictionnaire Le Petit Robert : « Parodie consistant à travestir, en les embourgeoisant, des personnages et des situations héroïques. » Le terme « burlesque », qui désigne un genre littéraire et un type de discours en vogue au XVIIe siècle, désigne, au sens strict, des parodies d’œuvres révérées, jouant sur le contraste entre la noblesse du sujet et la bassesse du ton adopté. Si l’on tente d’appliquer cette définition à Ubu Roi, on peut dire que la thématique politique digne des tragédies et des drames les plus classiques (conspiration, prise du pouvoir, renversement de ce pouvoir) est traitée sur un mode burlesque car la bassesse du ton (ou la 20 Acte II grossièreté du personnage éponyme) contraste fortement avec les enjeux dramatiques. La prise du pouvoir se fait ainsi de façon assez comique : – la question qui va lancer la rébellion porte sur un sujet tout à fait dérisoire (la propreté d’un soldat et sa formulation rappellent un peu les réprimandes d’internat… « Depuis combien de temps ne t’es-tu débarbouillé, ignoble drôle ? », l. 44-45) ; – le geste d’Ubu qui suit n’est guère plus digne de la tragédie (« Il lui écrase le pied », l. 49) ; – quant au mot qui est l’indice symbolique de la révolte politique, son caractère grotesque n’est plus à démontrer (« merdre », l. 51). ◆ É TUDIER LE GENRE 23. Dans la dramaturgie classique, l’action doit être représentée dans un lieu unique pour favoriser la vraisemblance du spectacle, ce qui entraîne le plus souvent l’utilisation d’un lieu « composite » (place, palais, ruelle). Il n’y a évidemment aucune unité de lieu dans Ubu Roi et l’on peut même dire que Jarry multiplie à l’envi les lieux les plus divers. L’acte II est, de ce point de vue, assez étonnant ; il comprend en effet sept scènes qui entraînent six changements de lieu : la scène 1 se déroule dans le palais du roi ; la scène 2 au champ des revues ; la scène 3 est située à nouveau dans le palais du roi ; la scène 4 est la seule qui se situe dans la continuité de la précédente ; la scène 5 se passe dans une caverne ; la scène 6 au palais du roi ; la scène 7 dans la cour du palais. 24. Le thème de la vengeance fait bien sûr penser à Hamlet de Shakespeare ou au personnage d’Oreste dans les tragédies antiques telles que Les Choéphores d’Eschyle, par exemple, ou l’Électre de Sophocle (voir la présentation du genre dans le livre de l’élève, page 127). 25. Les chevaliers deviennent, dans la littérature du Moyen Âge, des modèles de perfection virile et morale qui s’imposent à l’ensemble de l’aristocratie. Une éthique de l’honneur institue des règles de comportement et de convenances qui s’incarnent dans les chevaliers de la littérature au XIIe siècle : les qualités et vertus du bon chevalier sont la vaillance et le courage, la loyauté et la mansuétude, la largesse et la courtoisie. a) Vaillance et courage Le chevalier se distingue d’abord par sa valeur militaire : toute l’éducation du jeune et futur chevalier est une préparation au combat où il exerce sa force 21 RÉPONSES AUX QUESTIONS et son adresse. L’initié doit démontrer publiquement son adresse à cheval et dans le maniement des armes lors de la cérémonie de l’adoubement ou, plus tard, dans les tournois. Le chevalier démontre ensuite son habileté, à cheval, dans le maniement de la lance : il doit renverser des mannequins appelés « quintaines ». Lors des combats, il ne doit pas faire preuve de lâcheté et ne doit pas fuir, même s’il est en situation d’infériorité, ce qui arrive souvent dans les romans de chevalerie. Il doit être « sans peur et sans reproche »… Il doit mépriser la souffrance, la fatigue et la mort. b) Loyauté et mansuétude Le chevalier est au service d’un seigneur (celui qui l’a fait chevalier ou à qui il a prêté hommage) et de Dieu. Comme Gornemant l’enseigne à Perceval, le chevalier est aussi l’homme de Dieu. Il doit mettre son épée au service des plus nobles causes, défendre l’Église, les veuves, les orphelins, mettre les malfaiteurs hors d’état de nuire, ne pas tuer un homme sans défense. Il devient l’emblème du Christ, le représentant de la morale chrétienne (piété, repentir et charité), celui qui demeure au service de Dieu et combat pour imposer la foi chrétienne, dans les croisades notamment, guerres saintes catholiques. Il doit donc fidélité à Dieu et à son seigneur qui, lorsqu’il demande son aide, la reçoit immédiatement. La traîtrise (félonie) est une honte majeure. Dans le combat, le chevalier ne doit pas faire preuve de cruauté : il doit au contraire démontrer sa mansuétude (charité), sa générosité envers le vaincu. Un chevalier ennemi reste un « confrère » : on ne cherche pas à le tuer ou à l’humilier ; on préfère en tirer une rançon et l’échanger. c) Largesse et courtoisie Le chevalier doit faire preuve de générosité et mépriser le profit. Ce n’est pas un homme vénal ou matérialiste, intéressé par les gains financiers. Cette générosité peut aller jusqu’à l’insouciance et au gaspillage. Le noble redistribue les richesses et montre ainsi sa puissance. La vilainie, c’est l’avarice des marchands, leur esprit d’économie. Une opposition avec la morale économe du « bourgeois » se met en place, que l’on retrouvera sous d’autres formes chez les « bandits au grand cœur » ou bandits chevaleresques, de Robin des Bois jusqu’à Arsène Lupin… À partir du XIIe siècle, le chevalier devient plus raffiné. Il est souvent beau et élégant, attaché à son apparence. Il ne se consacre plus exclusivement aux combats, mais s’intéresse à la culture, aux divertissements (danse, chant, poésie) et aux femmes qu’il traite avec tous les égards qui leur sont dus. Dans 22 Acte II la société courtoise, la femme joue un rôle important : sous son influence, le chevalier se police et apprend la galanterie. Il doit respecter la femme et la protéger, lui montrer une certaine douceur et un raffinement qui sont l’envers de la rudesse guerrière. Évidemment, le Père Ubu est à l’opposé de cette morale chevaleresque : il suffit de reprendre chacun des éléments présentés… Le jeune Bougrelas pourrait incarner plus franchement ces valeurs de l’aristocratie chevaleresque dans la pièce. ◆ É TUDIER L’ ÉCRITURE 26. Les deux comparaisons présentes dans cet acte sont : – scène 1 : « LA REINE. […] et un aigle comme celui qui figure dans les armes de Pologne lui plaçant la couronne sur la tête ? » (l. 17-18) ; – scène 3 : « BOUGRELAS. C’en est fait de lui. Bordure vient de le couper en deux comme une saucisse » (l. 72-73). 27. Les expressions de la déploration tragique dans la scène 5 sont : – « LA REINE. […] Je n’en ai plus que pour deux heures à vivre » (l. 110-111) ; – « BOUGRELAS. Eh ! qu’as-tu ? Elle pâlit, elle tombe. Au secours ! Mais je suis dans un désert ! » (l. 129-130) ; – « L’OMBRE. […] Et que cette épée que je te donne n’ait de repos que quand elle aura frappé de mort l’usurpateur » (l. 145 à 147). ◆ L IRE L’ IMAGE 28. Le dessin de Pierre Fau intitulé L’Usurpateur (page 32) correspond à la scène 2 de l’acte II (« PÈRE UBU. Ah ! j’ai la couronne ! », l. 56). 29. Les deux personnages s’opposent : – par leur taille (le roi Venceslas est plus grand qu’Ubu) ; – par leurs gestes : le roi semble passif et surpris alors qu’Ubu impose sa force en tenant le bras d’un côté et en se saisissant de la couronne de l’autre ; – par leur physique : Ubu est gros et lourd,Venceslas est maigre et élancé (les nez et les yeux cristallisent ces oppositions) ; – par leurs costumes : d’une part, on retrouve la spirale originaire, présente dans le dessin de Jarry, sur le ventre d’Ubu ; d’autre part, les motifs sphériques qui ornent le pantalon d’Ubu s’opposent aux motifs linéaires du costume royal de Venceslas. 23 RÉPONSES AUX QUESTIONS AC T E I I I ( p p. 6 2 à 6 6 ) ◆ Q UE S ’ EST - IL PASSÉ ? 1. Les réponses sont : a) capitaine Bordure – b) Nobles – c) la Mère Ubu – d) paysans – e) Thorn. ◆ AVEZ - VOUS BIEN LU ? 2. Bougrelas a 14 ans. Cette information était déjà présente dans la scène 5 de l’acte II : « Ô mon Dieu ! qu’il est triste de se voir seul à quatorze ans avec une vengeance terrible à poursuivre ! » (l. 133-134). 3. Après avoir exécuté les Nobles, le Père Ubu veut réformer la justice. 4. Stanislas Leczinski demande la clémence d’Ubu : les paysans ont déjà payé l’impôt, ils ne peuvent payer davantage. 5. Stanislas Leczinski s’enfuit. 6. Le capitaine Bordure se rend au palais de Moscou, chez l’empereur Alexis. ◆ É TUDIER LA GRAMMAIRE 7. Les verbes conjugués à l’impératif présent dans la scène 2 sont : apportez – faites – modère-toi – amenez le premier Noble et passez-moi… – passe dans la trappe – commence par les principautés – passez les Nobles dans la trappe – dépêchez-vous ! – tiens ! – allons, tais-toi ! – ne crains rien. On rappellera les caractéristiques et les conjugaisons de ce temps et de ce mode (3 personnes, absence de pronom sujet dans la conjugaison). On remarquera aussi le nombre de verbes que l’on peut attribuer dans cette liste au Père Ubu, signe de sa position tyrannique sans limites désormais. 8. Les déterminants possessifs dans la scène 2 sont : « […] je vais faire périr tous les Nobles et prendre leurs biens » (l. 45-46) ; « De combien sont tes revenus ? » (l. 54) ; « Quels sont tes revenus ? » (l. 72) ; « Je vais faire lire MA liste de MES biens. Greffier, lisez MA liste de MES biens » (l. 82-83) ; « Ne crains rien, ma douce enfant » (l. 140). 24 Acte III La scène 2 est marquée par le transfert autoritaire des richesses et le massacre des Nobles ou des représentants des contre-pouvoirs. La tyrannie absolue est en marche active et forcée. Les déterminants possessifs marquent bien ce transfert des biens nobles à la seule personne du tyran : la liste de leurs biens devient, et la répétition de même que la typographie majuscule ont valeur d’insistance caricaturale, « MA liste de MES biens ». Le possessif de première personne symbolise l’égocentrisme du pouvoir et l’obsession fiduciaire du tyran. 9. Subordonnée de cause : « tu t’es révolté parce que je n’ai pas voulu » (l. 200-201). Subordonnée de conséquence : « le tour est si bien joué que tu dois toi-même le trouver fort à ton goût » (l. 202-203). 10. Subordonnée conjonctive de concession : « bien que les rats dansent ici une belle sarabande » (l. 214). ◆ É TUDIER LE VOCABULAIRE 11. L’antonyme du mot « bienfait » est « méfait ». Les deux préfixes sont ici antonymes. 12. Le verbe « cuire » est utilisé au sens figuré par la Mère Ubu : « Fais à ta tête, Père Ubu, il t’en cuira » (l. 30) ; il signifie alors « regretter ». Le Père Ubu reprend le mot implicitement en lui donnant son sens propre dans la phrase suivante : « Eh bien, tu seras avec moi dans la marmite » (l. 31). 13. Dans le mot « décerveler », le préfixe « dé- » signifie « ôter », « enlever ». Le radical « cervel » est formé à partir du mot « cervelle ». 14. L’antonyme du verbe « exhiber » est « cacher », « dissimuler ». 15. Un « pignouf » est une personne mal élevée. Le verbe « pigner » signifie « crier », « geindre ». 16. Le mot « sarabande » vient de l’espagnol zarabanda qui l’a lui-même emprunté au persan. Beaucoup de mots adoptés en français ont ainsi transité par l’espagnol, après avoir été empruntés à une autre langue (les mots aztèques, par exemple, comme « chocolat » ou « tomate »). Les mots d’origine persane sont assez nombreux en français. Signalons par exemple : aubergine, azur, babouche, bazar, caravane, carquois, chacal, derviche, divan, douane, écarlate, échec, jasmin, laque, lascar, lilas, limon, mage, musc, nigaud, safran, tambour, etc. 25 RÉPONSES AUX QUESTIONS ◆ É TUDIER L’ ORTHOGRAPHE 17. « J’aurai tous les biens vacants » (l. 93-94) : dans cet exemple, le mot « vacant » est un adjectif verbal ; il s’accorde en genre et en nombre avec le nom auquel il se rapporte. Il faut donc distinguer cette forme du participe présent en « -ant » du gérondif précédé de la préposition « en » qui, lui, ne s’accorde pas. Cette forme s’écrit « vaquant » (par exemple : « En vaquant à ses occupations habituelles, il a eu un malaise. ») Un certain nombre de formes en « -ant » ont la même variation orthographique en français. Le participe présent demeure souvent proche du radical infinitif, tandis que l’adjectif verbal opère une réduction. Exemples pour l’alternance « qu-c » : communiquant – communicant ; convainquant – convaincant ; provoquant – provocant ; suffoquant – suffocant. Pour l’alternance « gu – g » : déléguant – délégant ; divaguant – divagant ; extravaguant – extravagant ; fatiguant – fatigant ; fringuant – fringant ; intriguant – intrigant ; naviguant – navigant ; subjuguant – subjugant ; tanguant – tangant ; zigzaguant – zigzagant. ◆ É TUDIER UN THÈME : LA T YRANNIE 18. Face aux dérives tyranniques du Père Ubu qui veut gouverner comme le pire dictateur, la Mère Ubu tente de le modérer. Elle veut surtout inscrire la tyrannie dans la durée, alors que son mari est davantage préoccupé d’en tirer les bénéfices maximaux le plus rapidement possible. Cet excès et cette volonté de jouissance immédiate sont présents dans la première réplique du Père Ubu : la satisfaction de la nouvelle situation s’accompagne d’un excès alimentaire et de l’attente d’une récompense symbolique (la restitution de la capeline a aussi valeur de réparation, comme on l’a vu dans la scène 1 de l’acte I) : « je me suis déjà flanqué une indigestion et on va m’apporter ma grande capeline » (l. 2-3). Face à cette association entre le pouvoir et la dépense, la Mère Ubu réagit en rappelant des règles élémentaires de prudence : « nous avons beau être rois, il faut être économes » (l. 5-6). Remarquons au passage le jeu sur les pronoms personnels : Ubu revendique un pouvoir autocratique (« me voici roi », l. 1) tandis que la Mère Ubu associe les deux éléments du couple dans le pronom « nous » (l. 5). Ce qui lui vaut immédiatement un appellatif dévalorisant destiné à lui rappeler sa condition subordonnée, dans l’esprit du tyran : 26 Acte III « Madame ma femelle » (l. 7). Ce qui importe à la Mère Ubu, c’est la position nouvelle à laquelle le couple a pu accéder grâce à son coup de force. Cela lui semble plus important que la satisfaction immédiate des fantasmes que leur pouvoir permet désormais : « Voilà qui est beau, mais il est encore plus beau d’être rois » (l. 9-10). Elle joue alors le rôle de conseillère et relance le dialogue en évoquant la reconnaissance due à Bordure. Ce nouveau sujet permet de mesurer toute la différence d’accommodation au pouvoir entre les deux personnages : la Mère Ubu pense en termes politiques. Elle prévoit des alliances et songe aux combats futurs (« Eh ! crois-tu en avoir fini avec Bougrelas ? », l. 23). Le Père Ubu est dans la jouissance immédiate que lui offre son nouveau statut et l’absence de pensée politique à plus long terme. Il n’a que dédain pour ses ennemis. Il ignore leur menace. Il profite des plaisirs immédiats du pouvoir absolu. Dans la dernière partie de la scène 1, la conseillère se mue en Cassandre : elle avertit Ubu des dangers que son inconscience fait peser sur son propre pouvoir. Mais elle se trompe de discours en évoquant le « bon droit » (l. 33). Le Père Ubu n’est pas pourvu, en effet, d’une conscience et d’une épaisseur tragiques comme les personnages de Shakespeare qui sont tourmentés par leurs crimes (voir Macbeth, par exemple, ou Claudius dans Hamlet : il serait peut-être utile ici, pour que les élèves mesurent toute la différence, de leur faire lire, par exemple, la scène 3 de l’acte III de cette pièce…). Et la réponse d’Ubu synthétise le cynisme du personnage et son absence totale de conscience, en même temps qu’elle résume une vision résolument pessimiste et désespérément cynique du pouvoir : « Ah ! saleté, le mauvais droit ne vaut-il pas le bon ? » (l. 34-35). 19. Dans la première scène de l’acte III, le Père Ubu annonce : « Maintenant que je n’ai plus besoin de lui [Bordure], il peut bien se brosser le ventre, il n’aura point son duché » (l. 17-18). Belle preuve d’ingratitude ! 20. Les victimes d’Ubu dans cet acte sont : les Nobles – les magistrats – les financiers – les paysans. 21. Pour accroître ses richesses, le Père Ubu procède en trois temps : – il s’approprie les biens des plus riches en les massacrant ; – il crée quatre nouveaux impôts (sur la propriété, sur le commerce et l’industrie, sur les mariages, sur les décès) ; – il part en compagnie des « salopins de finance » (l. 174-175) récolter des impôts supplémentaires auprès des paysans. 27 RÉPONSES AUX QUESTIONS 22. Le Père Ubu n’est pas pourvu d’une conscience morale. Il est incapable de pitié et d’humanité car celles-ci supposent une empathie avec l’autre, une capacité d’identification et de compassion dont il est dépourvu. 23. Le czar Alexis peut incarner un pouvoir non tyrannique. En effet, il pardonne et semble respecter un code de l’honneur hérité des romans de chevalerie médiévaux. Il refuse, par exemple, le plan de Thorn. 24. Les accessoires du Père Ubu dans l’acte III sont : la caisse à Nobles – le crochet à Nobles – le bouquin à Nobles – le voiturin à phynances – la cuirasse et le petit bout de bois – le sabre à merdre – le croc à finances – le ciseau à oneilles – le croc à merdre – le couteau à figure – le cheval à phynances. En résumé, ces accessoires ont deux fonctions : récolter de l’argent, combattre ou torturer. ◆ É TUDIER LE DISCOURS 25. Les mots utilisés par le Père Ubu pour apostropher sa femme sont : – dans la scène 1, « Madame ma femelle » (l. 7), « Mère Ubu » (l. 11), « saleté » (l. 34) ; – dans la scène 2, « Mère Ubu » (l. 80), « bouffresque » (l. 120), « ma douce enfant » (l. 140) ; – dans la scène 7, « Madame de ma merdre » (l. 251), « madame la financière » (l. 263), « bouffresque » (l. 272), « mon amour » (l. 285) ; – dans la scène 8, « Mère Ubu » (l. 302). Remarquons ici le mélange des registres les plus extrêmes : de la tendresse assez douteuse dans la bouche du goujat (« ma douce enfant », « mon amour ») aux insultes les plus grossières. La Mère Ubu est traitée en personnage de farce et devient fréquemment un objet de mépris pour le Père Ubu. 26. Dans la scène 5, on apprend que Bordure est maintenu prisonnier et qu’il programme une vengeance que le Père Ubu dédaigne. 27. Entre la scène 5 et la scène 6, le capitaine Bordure s’est échappé : une phrase de la scène 6 permet de comprendre qu’une ellipse temporelle importante a eu lieu entre les deux scènes : « je suis parvenu à m’échapper et j’ai couru cinq jours et cinq nuits à cheval » (l. 223-224). 28 Acte III ◆ É TUDIER LE GENRE 28. Les procédés comiques sont nombreux dans cet acte. a) La description burlesque – L’arme dérisoire et inattendue : le « petit bout de bois » (l. 303). – Les armes incongrues : le « sabre à merdre » (l. 306), le « croc à finances » (l. 307), le « ciseau à oneilles » (l. 309). – La transformation des mots : « oneilles » (l. 309), « Ji tout tue » (l. 311), « Ji lon mets dans ma poche » (l. 333). – La comparaison dévalorisante : la « citrouille armée » (l. 314). b) Le comique gestuel – Les armes qui ne tiennent pas. – La chute de cheval (possible jeu) et l’énorme rosse sur laquelle Ubu a du mal à grimper. c) Le tyran dérisoire et grotesque – La lâcheté d’Ubu qui redoute le combat : « les Russes avancent et vont me tuer » (l. 308). – La maladresse d’Ubu : « Ah ! arrêtez ma bête » (l. 327). – Ses rodomontades : « je tuerai tout le monde » (l. 332). – Ses menaces sadiques : « torsion du nez et des dents et extraction de la langue » (l. 334), « enfoncement du petit bout de bois dans les oneilles » (l. 342-343). – Le regard de la Mère Ubu sur son mari : « Fi, le lâche » (l. 305), « imbécile » (l. 329), « gros pantin » (l. 345). 29. Une « parodie » est une imitation burlesque d’une œuvre littéraire célèbre. Ainsi, Jarry reprend un motif habituel du roman de chevalerie : celui du départ à la guerre du roi et de ses preux chevaliers. Mais ce passage devient ici burlesque par le traitement des détails convenus dans ce genre de scène (voir l’analyse précédente). ◆ É TUDIER L’ ÉCRITURE 30. Dans la scène 2, « les sous-sols du Pince-Porc et de la Chambre-à-sous » (l. 50-51) désignent sans doute les salles de torture du Père Ubu puisqu’il est question de « décerveler » les victimes. 31. « Cornegidouille ! Ouvrez, de par ma merdre, par saint Jean, saint Pierre et saint Nicolas ! » (l. 157-158). L’association des saints avec le mot « merdre » peut effectivement paraître burlesquement incongrue. 29 RÉPONSES AUX QUESTIONS 32. Comparaison burlesque dans la scène 8 : « MÈRE UBU. Comme il est beau avec son casque et sa cuirasse, on dirait une citrouille armée » (l. 313-314). ◆ L IRE L’ IMAGE 33. L’affiche du théâtre de l’Œuvre (page 4), lithographie de 24 ⫻ 32 cm, est assez riche pour susciter analyses et réflexions multiples. Elle fut publiée sous forme d’affiche pour la Première (et dernière !) d’Ubu Roi puis dans les exemplaires de luxe du programme de la représentation.Voici quelques pistes. – À gauche, deux personnages sont dans l’attitude de la prière ou de la supplication : cette scène correspond assez bien au déroulement de l’acte III. Il peut s’agir de nobles, de juristes, de financiers ou, comme le suggère Michel Arrivé (op. cit.), de deux paysans « dont les détails d’expression et d’habillement » seraient « inspirés de fresques médiévales ». – À droite, le Père Ubu est présenté comme un géant : on a déjà observé l’association entre la rondeur démesurée du ventre (indice de ses excès et de sa goinfrerie) et la structure triangulaire du crâne avec la stylisation assez abstraite des traits du visage. Les moustaches ressemblent à des feuilles d’arbre ainsi que la mèche qui surplombe le crâne ubuesque. Deux attributs complètent le portrait : le bras gauche, de taille improbable et démesurée tient un sac contenant sans doute, comme l’indique le chiffre, une fortune. Ce bras se termine par un « croc à phynances ». Le bras droit tient un objet (« sabre à phynances », « crochet à Nobles », « torche incendiaire » ?) d’aspect résolument agressif avec ses dents et des lames. Avidité fiduciaire, sadisme et violence, goinfrerie et démesure, bon nombre des caractéristiques du Père Ubu se retrouvent dans ce dessin. – L’attitude des personnages, à gauche, peut suggérer une piste métaphysique assez peu exploitée en général par la critique : Ubu pourrait être l’image d’un Dieu cruel, une sorte de métaphore de l’injustice profonde d’un monde abandonné à un Dieu malveillant, un monde absurde et grotesque soumis à sa toute-puissance et à son arbitraire. – Le centre de l’image présente deux éléments principaux : la maison en flammes, image de la destruction à l’œuvre dans la pièce qui peut renvoyer à l’indication scénique « Une lutte s’engage, la maison est détruite » (l. 196) ou à la déclaration d’Ubu « De tous côtés on ne voit que des maisons brûlées et des gens pliant sous le poids des phynances » (l. 255 à 257). Ubu est avant tout une 30 Acte IV puissance de mort et d’anéantissement. Ces forces négatives occupent le centre de l’image. Quant à la forme qui surplombe cet édifice en flammes, elle peut être diversement interprétée. Mais l’interprétation la plus probable que confirme le sac accroché et chiffré à la droite du personnage est donnée par Michel Arrivé (op. cit.) : « Un Palotin à ailerons enlève l’or d’une maison en flammes. » AC T E I V ( p p. 8 6 à 8 9 ) ◆ Q UE S ’ EST - IL PASSÉ ? 1. Les réponses sont : a) la Mère Ubu – b) la cathédrale de Varsovie – c) Giron – d) moulin – e) sur un rocher. ◆ AVEZ - VOUS BIEN LU ? 2. Bougrelas veut supprimer tous les impôts nouveaux établis par le Père Ubu. 3. La Mère Ubu est présente dans les deux premières scènes de l’acte IV. 4. Le Père Ubu veut inventer une « voiture à vent pour transporter toute l’armée » (l. 70-71). 5. Le Père Ubu demande à ses soldats « de faire leurs besoins et d’entonner la Chanson à Finances » (l. 114-115). 6. Le Palotin Cotice tue l’ours au moyen d’un coup-de-poing explosif. ◆ É TUDIER LA GRAMMAIRE 7. Les subordonnées relatives dans la scène 5 sont : – « j’ai massacré quatre ennemis de ma propre main, sans compter tous ceux qui étaient déjà morts et que nous avons achevés » (l. 241 à 243) ; fonction de « qui » : sujet du verbe « être » ; fonction de « que » : c.o.d. du verbe « achever » ; – « qui fauche impitoyablement leur pitoyable binette » (l. 248-249) ; fonction de « qui » : sujet du verbe « faucher ». 31 RÉPONSES AUX QUESTIONS 8. Verbes au futur simple de l’indicatif dans les scènes 1 et 2 : « fera » (l. 9), « prendrai » (l. 17), « reviendrai » (l. 18), « supprimerons » (l. 30). 9. Tournure restrictive dans la scène 2 : « il ne reste plus que la sorcière de Mère Ubu avec son Palotin » (l. 25-26). ◆ É TUDIER LE VOCABULAIRE 10. Une « lapidation » est l’acte de tuer ou de blesser quelqu’un en lui jetant des pierres. Le mot est formé à partir du radical latin lapis, lapidis qui désigne la « pierre ». Deux indications scéniques évoquent une lapidation dans la scène 2 de cet acte : « La foule lance des pierres » (l. 37) et « Coups de fusil et grêle de pierres » (l. 52-53). Plusieurs mots appartiennent à la même famille. – Un « lapicide » est un ouvrier qui grave dans la pierre une inscription, une ornementation. – Un « lapié » (var. « lapiez » ou « lapiaz »), en géologie, désigne une rainure superficielle de formes variées, creusée par les eaux en terrain calcaire ; le mot « lapilli », autre terme employé en géologie, désigne des petites pierres poreuses projetées par les volcans en éruption ; signalons enfin le « lapis » ou « lapis-lazuli ». – Le mot « lapidaire » peut être utilisé comme nom ; dans ce cas, il désigne un artisan qui taille, polit, grave les pierres précieuses, ou encore un commerçant qui vend des pierres précieuses autres que le diamant ; ce nom a un second sens plus récent et désigne une petite meule destinée au polissage des pierres précieuses, des verres, des pièces métalliques ; l’adjectif « lapidaire » désigne d’abord ce qui est relatif aux pierres avant de devenir un synonyme de « concis », « bref » ou « laconique ». – « Lapider » et « lapideur » renvoient à l’action désignée par le nom. – « Lapidifier » est un synonyme de « pétrifier » : le verbe veut dire « transformer en pierre ». 11. Le mot « dîner », utilisé dans la phrase du Père Ubu « Alors, nous allons dîner, car les Russes n’attaqueront pas avant midi » (l. 112-113), est employé avec sa signification classique de « repas de midi ». Dans le lexique classique, le « déjeuner » désignait alors le repas du matin, tandis que le « souper » était utilisé pour le repas du soir. 32 Acte IV 12. Une « harpie » désigne un monstre fabuleux, à tête de femme et à corps de vautour, aux griffes acérées. Les Latins assimilaient les harpies aux Furies, gardiennes du sombre Tartare. 13. Le mot « débandade » veut dire « débâcle », « déroute », « fuite désordonnée », « bérézina ». 14. Le mot « pitoyable » signifie au sens propre « digne de pitié ». Le mot « piteux » est lui aussi formé à partir du radical « pitié », mais il a une signification un peu différente : « qui suscite la pitié ». ◆ É TUDIER L’ ORTHOGRAPHE 15. « PÈRE UBU, descendant.Tu peux te flatter que si tu es encore vivant et si tu foules encore la neige de Lithuanie, tu le dois à la vertu magnanime du Maître des Finances, qui s’est évertué, échiné, égosillé à débiter des patenôtres pour ton salut, et qui a manié avec autant de courage le glaive spirituel de la prière que tu as manié avec adresse le temporel de l’ici présent Palotin Cotice coup-de-poing explosif. J’ai même poussé plus loin mon dévouement, car je n’ai pas hésité à monter sur un rocher plus fort pour que mes prières aient moins loin à arriver au ciel. » ◆ É TUDIER UN THÈME : LA LÂCHETÉ 16. Le plan de bataille exposé par Ubu dans la scène 3 se déroule en plusieurs étapes. – Le Père Ubu veut garder sa position dominante (sur la butte), ce qui est plutôt logique ici. Les Russes paraissent dans la plaine, il est prudent de garder sa position surélevée. Signalons au passage, dans le discours du Père Ubu, le pléonasme : « descendre en bas » (l. 94). – La phrase suivante, en revanche, traduit bien la stratégie profonde qui émerge dans la comparaison : « Je me tiendrai au milieu comme une citadelle vivante et vous autres graviterez autour de moi » (l. 94 à 96). Citadelle, d’une part, c’est-à-dire « bastion protégé » (le mot « citadelle » traduit l’expansion mégalomaniaque du personnage), tandis que les soldats sont renvoyés à leur condition réelle : celle d’un rempart humain destiné à protéger le monarque. La structure spéculaire de la phrase qui commence par « Je me » (l. 94) pour s’achever avec « moi » (l. 96) montre bien la motivation de ce discours en désignant l’objet unique à préserver ! La phrase suivante est un conseil de bon 33 RÉPONSES AUX QUESTIONS sens (charger les fusils), mais la fin du discours traduit, là aussi, la préoccupation réelle du Père Ubu, se protéger : « 8 balles peuvent tuer 8 Russes et c’est autant que je n’aurai pas sur le dos » (l. 98-99). – La dernière partie, au cours de laquelle le Père Ubu dispose ses troupes, est la plus riche d’enseignements : les troupes sont disposées, là encore, assez logiquement en trois groupes : les fantassins, les cavaliers et l’artillerie. Mais la finalité n’est pas de vaincre, elle consiste à protéger le moulin à vent dans lequel Ubu compte se retrancher. Les armes choisies par le Père Ubu montrent le caractère assez guignolesque de la bataille : on voit en effet réapparaître le « croc à merdre », le « bâton à physique » et le « pistolet à phynances », objets burlesques qui soulignent le caractère comique et grotesque de cette bataille. 17. L’héroïsme consiste à affronter le danger ou la douleur sans fuir ou sans se détourner à la première menace. La littérature guerrière des romans de chevalerie ainsi que la littérature épique présentent bon nombre d’exemples d’actions héroïques. Ubu est évidemment un antihéros, de ce point de vue, mais sa lâcheté prend parfois des dimensions si grotesques que le personnage devient une sorte de contre-modèle comique et exemplaire de couardise. On peut sans doute donner à cette dimension du personnage une valeur satirique, puisque les représentants les plus fiers de la volonté de puissance et les va-t-en-guerre aux discours héroïquement mobilisateurs pour les foules brandissent l’étendard du courage et du dévouement depuis les bureaux confortables d’où ils exercent le pouvoir… Face au danger, gageons que beaucoup de ces chefs aux propos exemplaires et à l’héroïsme délégué auraient l’attitude du Père Ubu ! Dans la scène 4 de l’acte IV, les preuves de lâcheté se multiplient. – Le plan de bataille est abandonné dans la panique suscitée par un boulet : « Ah ! je n’y tiens plus. […] Descendons… » (l. 127 à 129). Toute la stratégie développée dans la scène 3 est donc anéantie dans la précipitation… Le chef de guerre manque pour le moins de sang-froid ! Et la crainte apparaît clairement : « nous pourrions endommager notre précieuse personne » (l. 128-129) ! – L’épisode du coup de feu tiré sur Ubu est l’occasion d’un nouvel épanchement outrancier où le « je » d’Ubu (provisoirement dilaté dans un « nous » de majesté) réapparaît : « Ah ! Oh ! Je suis blessé, je suis troué, je suis perforé, je suis administré, je suis enterré » (l. 139-140). La phrase suivante d’Ubu poursuit ce registre de la plainte dérisoire en évoquant ses « bosses » (l. 146). 34 Acte IV – Dans l’épisode suivant, où la présence de son ennemi Bordure semble ragaillardir le Père Ubu, le tyran se dit victime d’un coup de canon et l’on voit resurgir le registre de la lamentation : « Oh ! Ah ! Oh ! Je suis mort. C’est au moins un coup de canon que j’ai reçu.Ah ! mon Dieu, pardonnez-moi mes péchés. Oui, c’est bien un coup de canon » (l. 166 à 169). Il s’agissait en fait d’un coup de pistolet. Mais Ubu en profite pour « déchirer » Bordure qui est tombé et encerclé. C’est l’acte héroïque du Père Ubu… – Le registre de la lamentation ubuesque s’amplifie alors : « Je n’en peux plus, je suis criblé de coups de pied, je voudrais m’asseoir par terre. Oh ! ma bouteille ! » (l. 174 à 176) et, stimulé par le général Lascy, Ubu attaque le Czar. Il est tout de suite mis en déroute et doit fuir de façon assez pitoyable. L’affolement et la mauvaise foi sont ensuite lisibles dans les justifications qu’apporte Ubu à sa fuite et dans la confusion qui le gagne : « Or donc, messieurs les Polonais, en avant ! ou plutôt en arrière ! » (l. 215-216). 18. L’attitude d’Ubu est marquée par : la surprise (« Un ours ! Ah ! l’atroce bête », l. 263) ; la peur (« Oh ! pauvre homme », l. 263-264) ; l’évocation d’une mort fantasmatique (« me voilà mangé », l. 264) ; l’appel à Dieu (« Que Dieu me protège », l. 264) ; la fuite (« Ubu se réfugie sur un rocher », didascalie l. 267-268) ; la dérobade (« Bernique ! Débrouille-toi, mon ami », l. 270). Ubu se préoccupe peu de ses compagnons, il tente de « sauver sa peau » et manque quelque peu de courage ou d’esprit solidaire… ◆ É TUDIER LE DISCOURS 19. Dans un monologue, un personnage seul sur scène prononce à haute voix des propos qui expriment des pensées plus ou moins secrètes. Cette convention correspond au monologue intérieur du roman qui n’extériorise pas sous forme de paroles prononcées les pensées du personnage. Il s’agit donc d’un cas particulier puisque la double énonciation disparaît : l’acteur ne s’adresse qu’aux spectateurs. Le monologue théâtral est souvent utilisé dans les pièces pour livrer quelques informations nécessaires à l’exposition ou à la bonne compréhension de l’intrigue (il a alors une fonction explicative). Il peut aussi dévoiler les intentions secrètes ou les réflexions intimes d’un personnage (c’est ce que l’on pourrait appeler sa « fonction dramatique »). L’acte IV est encadré par deux monologues situés symétriquement : celui de la Mère Ubu (interrompu par une voix !) qui confirme, s’il en était besoin, sa substantielle avidité et sa fourberie (scène 1) et celui du Père Ubu 35 RÉPONSES AUX QUESTIONS (scène 7), synthèse de ses angoisses multiples et condensation de la pièce jusque-là. La peur des deux personnages relie aussi ces deux scènes. 20. Cotice et Pile méprisent Ubu : « COTICE. Lâche bougre ! » (l. 276) ; « PILE. Révoltante bourrique ! » (l. 306) ; « PILE. […] entends-tu, goinfre ! » (l. 343). Lâcheté, bêtise et goinfrerie : trois des qualités d’Ubu ! 21. La scène 7 condense toutes les peurs d’Ubu. On y retrouve les personnages de la pièce : Sire Dragon russe, Bordure, Bougrelas, l’ours, Rensky, le Czar, la Rbue (la Mère Ubu), les Salopins. ◆ É TUDIER LE GENRE 22. Voir l’analyse proposée dans le livre de l’élève que cette question invite à lire et à prolonger avec l’étude du texte (voir les pistes complémentaires pour l’étude thématique, page 47 de ce livret). 23. Les références à une religion que l’on peut assimiler à de la superstition, dans le cas d’Ubu, se multiplient au cours de cet acte : « sire Dieu, je suis mort » (l. 120-121) ; « Ah ! mon Dieu, pardonnez-moi mes péchés (l. 168) ; « SainteVierge, cet enragé me poursuit ! » (l. 190) ; « Qu’ai-je fait, grand Dieu ! » (l. 190-191) ; « nous faisons notre Pater Noster » (l. 271). Dans la bouche du Père Ubu, qui reprend ici la rhétorique convenue des adresses désespérées que l’on peut aussi retrouver dans les romans de chevalerie, la référence religieuse correspond à des appels angoissés quand le personnage est gagné par la peur. Alors que les chevaliers s’engageaient à servir Dieu et à respecter une morale inspirée par les vertus religieuses, le Père Ubu réduit cette référence à une superstition assez grotesque. 24. La phrase prononcée par Ubu fait référence à l’Iliade d’Homère. ◆ É TUDIER L’ ÉCRITURE 25. On trouve une métaphore dans une didascalie de la scène 4 : « Ils disparaissent dans des torrents de fumée au pied de la colline » (l. 131). 26. L’expression « Maître des Finances » désigne le Père Ubu. Elle apparaît dans la scène 4 : « nous l’ici présent Maître des Phynances » (l. 210-211) ; puis : « fais attention, ou tu vas expérimenter la bouillante valeur du Maître des Phynances » (l. 220-221). Ensuite, dans la scène 5 : « il gèle à pierre fendre et la personne du Maître des Finances s’en trouve fort endommagée » (l. 227 à 229). Dans la scène 6 : 36 Acte V « vous le devez à la vertu magnanime du Maître des Finances » (l. 297-298) ; puis : « Ceci va procurer une indigestion au Maître des Finances » (l. 330-331). L’acte s’achève sur l’évocation du « bonheur du Maître des Finances » (l. 386-387). AC T E V ( p p. 1 0 5 à 1 0 9 ) ◆ Q UE S ’ EST - IL PASSÉ ? 1. Les réponses sont : a) caverne – b) l’ange Gabriel – c) Bougrelas et ses soldats – d) les Palotins – e) un navire. ◆ AVEZ - VOUS BIEN LU ? 2. Dans l’acte IV, les deux personnages étaient séparés. La dernière scène dans laquelle le Père Ubu et sa femme étaient ensemble est la scène finale de l’acte III (scène 8). 3. Selon la Mère Ubu, le Palotin Giron (qui s’est fait massacrer au début de l’acte IV) était amoureux d’elle. 4. La Mère Ubu a laissé son trésor à Varsovie. 5. Le Père Ubu lance l’ours sur la Mère Ubu. 6. Les fuyards voguent vers la France. ◆ É TUDIER LA GRAMMAIRE 7. Le premier temps utilisé est le présent de l’indicatif avec ici valeur de présent d’énonciation : « Je suis seule ici » (l. 3). Le passé composé qui suit est utilisé avec la valeur achevée et limitée dans le temps qui lui est attribuée généralement : « Tous les malheurs m’ont assaillie à la fois » (l. 5-6). Les présents qui suivent relatent les aventures de la Mère Ubu. Ce sont donc des présents de narration : « je vais » (l. 7), « je manque d’être » (l. 8), « je perds » (l. 9)… Ces présents de narration occupent une place importante dans tout le passage. L’imparfait explicatif apporte des précisions sur l’événement raconté : « était » (l. 9), « pâmait » (l. 10). Remarquons ici qu’un passé composé relate les propos : « m’a-t-on assuré » (l. 11), tandis que le dernier présent est un présent de vérité générale : « ce qui est le comble de la tendresse » (l. 12). Ce passage donne l’occasion d’une remarque au conditionnel présent, correspondant ici 37 RÉPONSES AUX QUESTIONS à un fait imaginaire avancé par la Mère Ubu : « il se serait fait couper en deux pour moi » (l. 12-13). Le présent de narration revient ensuite en force après une phrase de commentaire où l’on relate un événement passé au passé composé : « je pense », « je prends » (l. 15), « je quitte » (l. 16), « j’arrive » (l. 17). 8. Plusieurs indicateurs temporels scandent le discours de la Mère Ubu et permettent d’en dessiner la progression. – « Enfin » (l. 25) annonce la situation actuelle après toutes les péripéties. Le récit des aventures qui l’ont conduite à la caverne peut alors s’enclencher. On apprend que sa fuite a duré quatre jours. – « Aussitôt » (l. 6) : la première phase du récit relate la situation après le départ d’Ubu, correspondant à la scène 1 de l’acte IV : la Mère Ubu dans la crypte à Varsovie. – « Bientôt après » (l. 7-8) raconte la rencontre (scène 2 de l’acte IV) avec Bougrelas et ses troupes. L’amour de Giron, situation narcissiquement flatteuse, retient l’attention de la Mère Ubu qui s’attarde complaisamment sur cet épisode. Cette information est nouvelle. On remarquera au passage la rhétorique galante reprise ici avec un lexique peu habituel dans la bouche de la Mère Ubu (« mon cavalier », « amoureux », « attraits », « se pâmait d’aise », « tendresse », l. 9 à 12) et la chute assez grotesque de cette tirade sentimentale, que les interjections burlesques résument comiquement (« Pif paf pan ! », l. 14 ; il se serait fait couper en deux : résultat, il a été coupé en quatre !). – « Ensuite donc » (l. 15) lance la phase du récit qui n’est pas représentée sur scène dans l’acte IV : la fuite de la Mère Ubu solitaire après la mort du Palotin Giron. On y apprend quelques nouveaux détails sur cette fuite : poursuivie, la Mère Ubu a dû traverser la Vistule à la nage, échapper à une foule déchaînée, courir quatre jours dans la neige, avec Bougrelas à ses trousses. – « Enfin » (l. 25), qui fait écho au premier adverbe de temps présent dans le soliloque, permet de reprendre la dernière phase du récit (correspondant à l’arrivée dans la caverne). La Mère Ubu confirme là sa rapacité et nous apprend au passage que le cheval du Père Ubu a été quelque peu maltraité… ◆ É TUDIER LE VOCABULAIRE 9. Le mot « bourrique » désigne un âne ou une ânesse. Le mot est emprunté à la langue espagnole (borrico). Beaucoup de mots français ont été empruntés à la langue espagnole ; citons-en quelques-uns : adjudant, alcôve, alligator, banderille, barbecue, carapace… 38 Acte V 10. Le mot « Polichinelle » est emprunté à la commedia dell’arte italienne. D’autres noms de personnages comme Arlequin, Colombine, Pantalon ont la même origine. 11. Quelques suffixes familiers et argotiques : « -ard », « -oche », « -if », « -ingue », « -aille ». Dans la scène 2, la succession proposée par le Père Ubu reprend ce procédé de « suffixation parasitaire » avec quelques mots pour lesquels il n’a pas la même valeur : savoyard, hussard ou tartare, par exemple. 12. L’argent, en argot : blé, flouze, fric, galette, grisbi, oseille, pépètes, pèze, picaillons, pognon, radis, thune… 13. Le mot « vorace » signifie « glouton », « goinfre », ou encore « avide ». Le mot désigne ici les Palotins auxquels Ubu s’associe. 14. Un « champ lexical » désigne l’ensemble des mots qui, dans un texte, se rapportent à un même thème. Le champ lexical de l’argent est représenté notamment dans le monologue initial de la Mère Ubu (l. 1 à 33) : « m’enrichir », « finance », « volé des rixdales », « tiré des carottes », « cheval à finances », « mon trésor ». 15. En grec, hélios désigne le soleil. Quelques mots français sont construits sur le radical « hélio » : héliocentrique, héliographie, héliogravure, héliothérapie… ◆ É TUDIER L’ ORTHOGRAPHE 16. « Enfin, nous voilà à l’abri. Nous sommes seules ici, ce n’est pas dommage, mais quelle course effrénée : traverser toute la Pologne en quatre jours ! Tous les malheurs nous ont assaillies à la fois. Aussitôt partie cette grosse bourrique, nous allons à la crypte nous enrichir. Bientôt après, nous manquons d’être lapidées par ce Bougrelas et ces enragés. » ◆ É TUDIER UN THÈME : LA BÊTISE D ’U BU 17. Expressions et qualificatifs utilisés par la Mère Ubu pour désigner son mari, dans la scène 1 : « cette grosse bourrique » (l. 6-7), « mon gros polichinelle » (l. 27), « mon gros bonhomme » (l. 40), « il est encore plus bête que quand il est parti » (l. 46-47), « sot personnage » (l. 99), « bourrique » (l. 155), « sotte bourrique » (l. 169). Le registre de l’insulte et de la querelle domine : nous sommes dans l’univers de la farce conjugale. 39 RÉPONSES AUX QUESTIONS 18. Dans la première partie du dialogue, la Mère Ubu pensait être en position de force et pouvoir impressionner le Père Ubu en jouant les anges Gabriel. Elle a tout de même du mal à imposer un cadre autoritaire au dialogue et à impressionner le Père Ubu : elle doit le rappeler à l’ordre plusieurs fois et n’arrivera pas à le réduire au silence : « Ne m’interrompez pas ou je me tais et c’en sera fait de votre giborgne ! » (l. 63-64) ; « Taisez-vous, de par Dieu ! » (l. 70). Puis elle réussit à imposer sa voix pour présenter un visage flatteur de Mère Ubu. Mais chaque affirmation positive est immédiatement l’objet d’une réplique qui en inverse la portée ou qui l’annule : ainsi « femme charmante » (l. 75-76) devient « horreur » (l. 77), « Vénus de Capoue » (l. 81) donne « qui a des poux » (l. 82). Le parallélisme des répliques est souligné par le dernier échange portant sur la Mère Ubu : « Tout ceci sont des mensonges, votre femme est un modèle, et vous, quel monstre vous faites ! » (l. 107-108) devient dans la bouche du Père Ubu « Tout ceci sont des vérités. Ma femme est une coquine, et vous, quelle andouille vous faites ! » (l. 109-110). Le Père Ubu a donc, d’une certaine façon, le dernier mot dans cette évocation de la Mère Ubu et son portrait fort négatif semble plus convaincant que l’énumération des vertus fort problématiques du personnage féminin par lui-même. La stratégie de la Mère Ubu change brutalement alors et le ton se fait offensif et menaçant : « Prenez garde, Père Ubu » (l. 111). Puisque Mère Ubu n’a pas convaincu le Père Ubu de ses vertus, elle va s’attaquer aux méfaits de son mari. Premier assaut : « Vous avez tué Venceslas » (l. 114). Le Père Ubu adopte la même stratégie enfantine de dénégation coupable et lâche que dans l’acte I (quand il était convoqué par le roi Venceslas). Le vocabulaire est plus proche de celui qu’utiliserait un sale garnement pris en faute que de celui d’un héros shakespearien ou cornélien… « Ce n’est pas ma faute, moi, bien sûr. C’est la Mère Ubu qui a voulu » (l. 115-116). La seconde offensive de la Mère Ubu, qui reproche cette fois-ci la mort de Boleslas et Ladislas, se heurte à une dénégation du même type (sans report de la faute ici sur un tiers coupable !) : « Tant pis pour eux ! Ils voulaient me taper » (l. 118) C’est Guignol ! Shakespeare est revisité par des marionnettes et joué pour des enfants ! Enfin, quand la Mère Ubu reproche l’infidélité envers Bordure, la réplique du Père Ubu se fait embarrassée et contradictoire. La première phrase sonne comme un aveu du crime qui reprend le présupposé avancé par la Mère Ubu : « J’aime mieux que ce soit moi que lui qui règne » (l. 121) ; sous-entendu : « c’est pour cette raison que je l’ai tué ». « Pour le moment, ça n’est ni l’un ni l’autre. Ainsi, vous 40 Acte V voyez que ce n’est pas moi » (l. 122-123). La logique argumentative du Père Ubu a de nouveau sombré dans le ridicule avec ce faux syllogisme. 19. La fuite en bateau (scène 4) est l’occasion de retrouver quelques-unes des « vertus » essentielles du personnage ubuesque. – L’exagération grotesque et le calembour pitoyable que la remarque de Pile sanctionne immédiatement (« Quel triste imbécile », l. 266) : « Nous devons faire au moins un million de nœuds à l’heure, et ces nœuds ont ceci de bon qu’une fois faits ils ne se défont pas » (l. 262 à 264). – La peur et la lâcheté, dès qu’un danger se présente : « Ne vous mettez pas tous du même côté ! C’est imprudent, ça » (l. 272-273). – La bêtise et la vanité : « Si ! Si ! Arrivez […] Oh ! oh, mais je vais commander, moi, alors ! » (l. 277 à 280). – L’incompétence aveugle : « Hissez les voiles, serrez les voiles, la barre dessus, la barre dessous, la barre à côté » (l. 281 à 283). ◆ É TUDIER LE GENRE 20. Dans le discours de la Mère Ubu, on a signalé en note la parodie de Racine et le vers emprunté plus précisément à la pièce Andromaque. On peut en profiter pour rappeler l’histoire de ce personnage et signaler qu’il s’agit d’une tirade d’Oreste (dans la dernière scène de la pièce) qui sombre dans la folie. La transformation opérée relève du travestissement burlesque : en effet, le motif tragique de la mort sanglante (« Dieux, quels ruisseaux de sang coulent autour de moi ») est remplacé par la vision du Père Ubu endormi, spectacle que l’on peut imaginer pathétique aussi, mais pas vraiment pour les raisons qui poussent Oreste à s’apitoyer sur la mort de Pyrrhus et d’Hermione… Cette superposition des citations indique peut-être aussi que le Père Ubu est, à lui seul, le motif vraiment tragique de la pièce, comme la mort déplorée dans la pièce de Racine. 21. Le « combat des voraces contre les coriaces » (l. 43) fait allusion au combat antique des Horaces contre les Curiaces illustré par le tableau de David, Le Serment des Horaces ; c’est ici l’occasion d’analyser ce tableau et de lire la pièce de Corneille intitulée Horace (1640). 22. Le nom « Gabriel » signifie en hébreu : « Dieu est ma force ». C’est l’archange Gabriel qui est chargé d’annoncer à Marie qu’elle sera mère et que l’enfant sera le fils de Dieu (L’Annonciation, Luc, chap. 1). Signalons que 41 RÉPONSES AUX QUESTIONS l’épisode de l’Annonciation est l’un des plus représentés dans l’histoire picturale et que la représentation de la Vierge évolue sensiblement entre la période médiévale et la Renaissance. À cette époque, en effet, la Vierge devient le personnage principal et l’ange Gabriel prend une attitude d’humilité. On peut aussi inviter les élèves à faire des recherches sur ce sujet. 23. Avec l’exergue, le titre est l’une des données essentielles du paratexte. On peut le relire désormais à la lumière des différentes analyses déjà effectuées : le titre qui reprend l’association d’un nom propre et d’une qualification nominale (« Roi ») peut être lu comme un clin d’œil parodique à Œdipe Roi de Sophocle. D’un côté, donc, la référence à un titre de souverain qui lance la piste du drame politique ou de la tragédie (voir l’analyse sur le genre), de l’autre, un nom curieux qui peut évoquer d’autres univers très différents : l’abus, eut bu, obus, imbu… On peut proposer aux élèves toutes sortes d’associations paronymiques et de jeux de mots qui sont autant de pistes à explorer. Et l’on reviendra sur la complémentarité entre le titre et l’exergue : les références s’accumulent et indiquent déjà une « farce composite » aux ingrédients divers : la tragédie (Sophocle), le grotesque (Rabelais), le mélange des registres (Shakespeare), autant de repères et de fondements qui composent la culture « potachique » d’un élève de l’époque et l’intertexte premier et revendiqué d’Ubu Roi. ◆ É TUDIER L’ ÉCRITURE 24. Une « stichomythie » désigne un échange bref qui est limité à des répliques vers à vers, ou phrase à phrase. Le dialogue initial entre le Père Ubu et sa femme propose quelques échanges de ce type : « MÈRE UBU. Giron est mort et les Polonais m’ont chassée » (au passage, on remarquera l’alexandrin asymétrique 4/8) ; « PÈRE UBU. Et moi, ce sont les Russes qui m’ont chassé : les beaux esprits se rencontrent » ; « MÈRE UBU. Dis donc qu’un bel esprit a rencontré une bourrique ! » ; « PÈRE UBU. Ah ! eh bien, il va rencontrer un palmipède maintenant » (l. 151 à 157). 25. Dans la scène 2 de cet acte, Jarry s’amuse à dresser des listes énumératives d’insultes. Ces listes ont une fonction largement ludique et ménagent quelques surprises, comme on l’a déjà suggéré. On peut citer les trois énumérations majeures et s’attarder à loisir sur les mots proposés et les incongruités : « lâche, gueux, sacripant, mécréant, musulman ! » 42 Retour sur l’œuvre (l. 213-214) ; « polognard, soûlard, bâtard, hussard, tartare, calard, cafard, mouchard, savoyard, communard ! » (l. 215 à 217) ; « capon, cochon, félon, histrion, fripon, souillon, polochon ! » (l. 218-219). 26. « Grâce au ciel j’entrevoi », l. 38 (prononciation en synérèse de ciel : six syllabes, soit la moitié d’un alexandrin, c’est-à-dire l’équivalent d’un hémistiche). « Monsieur le Père Ubu qui dort auprès de moi », l. 39 : douze syllabes, soit un alexandrin (on peut rappeler, à cette occasion, l’origine du mot et son emprunt au Roman d’Alexandre, poème en vers du XIIIe siècle). R E TO U R S U R L’ Œ U V R E ( p p. 1 0 9 à 1 1 1 ) 1. a) vrai – b) vrai – c) vrai – d) vrai – e) faux : il s’agit de Michel Fédérovitch – f) vrai – g) vrai – h) vrai – i) faux : Ubu recommande à ses soldats de faire leurs besoins et d’entonner la Chanson à Finances – j) vrai – k) faux : la Mère Ubu se fait passer pour saint Gabriel – l) vrai. 2. garde du corps – soldat du corps de cavalerie – sabre court – petite flûte – spécialiste des insectes – avare – propos creux – ancienne monnaie d’or – ancienne monnaie d’argent en usage dans le nord et l’est de l’Europe – trépigner, pleurnicher – décapitation – abri enterré, protégé contre les obus, les bombes – cavalier de l’armée russe – mauvais cheval – coup porté à un adversaire avec le fleuret, l’épée – femme cruelle – plante à fleurs odorantes des régions chaudes et tempérées – unité de vitesse pour les navires correspondant à un mille marin (1 852 mètres) – voile basse du mât de l’avant du navire. 3. acte V – acte IV – acte I – acte I – acte III – acte IV – acte II – acte V – acte IV – acte IV – acte II – acte III – acte V – acte V – acte IV. 43 PROPOSITION DE SÉQUENCE DIDACTIQUE LECTURE SUIVIE EXPLICATION DE TEXTE Acte I : schéma narratif de l’acte. Le complot comme thème de tragédie ou de drame (romantique). Cf. livre élève, questionnaire, pp. 25 à 28. Étude de la scène 1 : la stratégie de la Mère Ubu et le registre de la farce. Acte II : schéma narratif de l’acte. Références tragiques (le spectre, passage de Hamlet). Acte III : schéma narratif de l’acte. La tyrannie en exercice. L’analyse de l’affiche du théâtre de l’Œuvre et des illustrations dans le livre. GRAMMAIRE EXPRESSION ET VOCAÉCRITE BULAIRE Le langage dans l’acte I : l’argot et le langage familier. Les différents types de phrase au théâtre. ACTIVITÉS DIVERSES Exercice de réécriture dans un autre registre de langue : scène 1, par exemple. Analyse en classe de la liste des personnages et comparaison avec la liste de personnages d’une tragédie classique. Étude de Interjections la violence et phrases dans cet acte : nominales. le coup de force, la poursuite, les « jeux du cirque » à la fin de l’acte et la jouissance sadique des nouveaux maîtres. Analyse, dans l’acte, des didascalies. Sujet avec un texte théâtral dont on aura retiré les indications scéniques. Travail : ajout de plusieurs didascalies dans cette scène. La biographie et l’œuvre d’Alfred Jarry : recherche de sites sur Internet. Étude de la scène 2 : le massacre des notables. Les objets utilisés, le langage, les procédés burlesques. Correction de l’exercice d’expression écrite. Bilan des recherches sur Internet. Impératif. Antonymes. 44 PROPOSITION DE SÉQUENCE DIDACTIQUE LECTURE SUIVIE EXPLICATION DE TEXTE GRAMMAIRE EXPRESSION ET VOCAÉCRITE BULAIRE Acte IV : schéma narratif de l’acte. Ubu en chef de guerre et en fanfaron. Comparaison avec une scène de théâtre de la commedia dell’arte où se trouve un Matamore. Étude détaillée du Père Ubu à la guerre : analyse de son discours préparatoire et de ses différentes attitudes pendant le combat. Orthographe : les différents exercices proposés dans les quatre premiers questionnaires. Étude de la subordonnée relative dans l’acte IV. Acte V : analyse finale. Synthèse sur le Père Ubu. Synthèse Contrôle final. Correction sur le langage du contrôle. théâtral et les différents genres parodiés dans la pièce d’Alfred Jarry. 45 Ubu retrouve la Mère Ubu : il décide de lui raconter ses exploits face à l’ours. Mais il est interrompu par les deux Palotins présents à ce moment-là. Imaginez cette scène sous la forme d’un dialogue (accompagné de didascalies). ACTIVITÉS DIVERSES Le contexte historique : exposé sur l’affaire Dreyfus ou débat sur la pièce Ubu Roi. E X P LO I TAT I O N DU GROUPEMENT DE TEXTES ANALYSE DES TEXTES, ACTIVITÉS ET EXERCICES D’EXPRESSION 1. Macbeth de Shakespeare a) Analyse du texte – Étude des métaphores et des comparaisons dans le passage. – Compréhension : quelle est la situation des personnages ? Quelles sont les raisons invoquées par Macbeth pour ne pas tuer Duncan ? Quel lexique utilise-t-il et à quelles valeurs se réfère-t-il ? Quels sont les arguments présentés par sa femme pour le convaincre de tuer le roi ? Comment envisage-t-elle de dissimuler le crime ? – Comparaison avec Ubu Roi. b) Autres activités – Lecture cursive de la pièce ou de l’acte I. – Étude des emprunts d’Alfred Jarry. – Exposé sur William Shakespeare. – Projection de la version de Macbeth proposée par Orson Welles ou de celle de Roman Polanski. 2. Macbett de Ionesco a) Analyse du texte – Étude des figures de style (énumération, métaphores, comparaisons, etc.). – Étude du champ lexical de la violence. – Quelle phrase fait directement allusion à Ubu Roi dans ce passage ? – Pourquoi peut-on dire que cette scène donne une fin pessimiste à la pièce ? Comparez-la avec la fin d’Ubu Roi ou celle du Macbeth de Shakespeare. – Quels sont les vices revendiqués par Macol ? Quelles sont les vertus qu’il rejette ? b) Expression écrite. Imaginez que l’évêque mentionné à la fin de la scène réponde à Macol. 3. Amorphe d’Ottenburg de Jean-Claude Grumberg a) Analyse du texte – Relevez les expressions empruntées à un lexique ancien, aujourd’hui désuet. – Relevez quelques détails qui peuvent rappeler Ubu Roi. – Étude de la comptine. 46 E X P LO I TAT I O N DU GROUPEMENT DE TEXTES – Le registre burlesque et le grotesque dans le passage. – Étude des temps dans le passage : relever une phrase utilisant un présent de vérité générale. – De quelle façon mettriez-vous en scène ce passage ? b) Expression écrite. Imaginez la suite immédiate de cette scène. 4. Hamlet de Shakespeare a) Analyse du texte – De quelle façon l’enfer est-il évoqué dans ce passage ? – La situation du dialogue : Hamlet sait-il que son père a été assassiné avant l’intervention du spectre ? Comparez la situation à celle qui est présentée dans Ubu Roi. – Étude des métaphores et des comparaisons dans le discours du spectre. – De quelle façon mettriez-vous en scène ce spectre ? – Étude des réactions d’Hamlet dans la scène. b) Compléments – On peut montrer aux élèves l’adaptation de cette scène, telle qu’elle est proposée par Peter Brook (tragédie de Hamlet, DVD Brook by Brook, Arte Vidéo, 2004). – Analyser le début du drame, tel qu’il est présenté dans ce DVD. – Voir le documentaire consacré au metteur en scène, tout à fait passionnant. – Étude du thème de la vengeance dans la tragédie. 5. La Princesse d’Élide de Molière a) Analyse du texte – La structure du monologue. – Les différentes adresses et le rôle des interjections dans ce passage. – Les types de phrase et l’utilisation des phrases nominales. – Étude des sentiments éprouvés par Moron dans le passage et des traits psychologiques du personnage. – Comparaison Moron-Ubu. – L’utilisation du présent de narration dans le passage. b) Compléments – Le symbolisme de l’ours. – Réflexions sur la mise en scène de cette scène. 47 BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE – Daniel Accursi, La Philosophie d’Ubu, PUF, 1999. – Maurice Agulhon, La République, 1880-1932, collection « Pluriel », Hachette Livre, 1990. – Noël Arnaud, Alfred Jarry, d’« Ubu Roi » au « Docteur Faustroll », La Table Ronde, 1974. – Henri Béhar, Jarry, le monstre et la marionnette, collection « Thèmes et textes », Larousse, 1973. – Henri Béhar, Jarry dramaturge, Publications de la Sorbonne, 1980. – Henri Béhar, Les Cultures de Jarry, PUF, 1988. – Patrick Besnier, Alfred Jarry, Plon, 1990. – François Caradec, À la recherche d’Alfred Jarry, Seghers, 1974. – Gérard Damerval, Ubu Roi, la bombe comique de 1896, Nizet, 1984. – Sylvain-Christian David, Alfred Jarry, le secret des origines, PUF, 2003. – Jean-Marc Defays, Le Comique, collection « Mémo », Éditions du Seuil, 1996. – Aurélie Gendrat, Ubu Roi, collection « Connaissance d’une œuvre », Bréal, 1999. – Gérard Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, collection « Poétique », Éditions du Seuil, 1982. – Gérard Gengembre, Le Théâtre français au XIXe siècle, Armand Colin, 1999. – Daniel Grojnowski & Bernard Sarrazin, L’Esprit fumiste et les rires fin de siècle, José Corti, 1990. – Dominique Iehl, Le Grotesque, collection « Que sais-je ? », PUF, 1997. – Alfred Jarry, Œuvres complètes, collection « La Pléiade », tome I, Gallimard, 1972. – Dominique Kalifa, L’Encre et le Sang. Récits de crimes et société à la Belle Époque, Fayard, 1995. – Claude Launay, Avez-vous lu Alfred Jarry l’unique ?, Siloë, 1996. – Jacques-Henri Lévesque, Alfred Jarry, Seghers, 1973. – Jean-Marie Mayeur, Les Débuts de la IIIe République, collection « Histoire », Éditions du Seuil, 1973. – Philippe Regibier, Ubu sur la berge (Alfred Jarry à Corbeil, 1898-1907), Les Presses du Management, 1999. – Tiphaine Samoyault, L’Intertextualité, Mémoire de la littérature, Nathan Université, 2004. – Roger Shattuck,Les Primitifs de l’avant-garde,collection « Champs »,Flammarion, 1997. – Revue Europe, « Alfred Jarry », mars-avril 1981.