De l`icône au portrait
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De l`icône au portrait
Parcours de visite De l'icône au portrait : représenter les personnes L’Homme au gant, Tiziano Vecellio, dit Titien Parcours réalisé par Eva Lando, Animatrice pédagogique, Service éducatif, Palais Fesch-musée des Beaux Arts Le portrait est une œuvre représentant une personne réelle ou fictive. Selon l’historien de l’art Tzvetan Todorov, le portrait est « une image représentant un ou plusieurs êtres humains qui ont réellement existé, peinte de manière à transparaître leurs traits individuels ». Représenter des personnes est une chose très ancienne (le portrait apparaît dès le Ve siècle avant J.C sur les monnaies des rois perses), mais les peindre afin qu’on les identifie physiquement et qu’on les reconnaisse, apparaît cependant assez tard dans l’histoire de la peinture, comme en témoignent les nombreux portraits du Palais Fesch, qui font l'objet de ce parcours. Peintures des Primitifs (second étage) : Au Moyen Age, il n’existe pas de portrait. A vrai dire, il n’existe pas de genres picturaux comme nous les connaissons aujourd’hui : le portrait, le paysage, la nature morte, la peinture historique et la scène de genre apparaissent et se développent à la Renaissance. Ainsi, au Moyen Age, on représente essentiellement des personnages saints dans des peintures à thèmes religieux. On parle alors d’icônes, c’est-à-dire d’images représentant des figures religieuses dans la tradition chrétienne. Contrairement au portrait, l’intérêt de l’icône n’est pas de représenter le personnage pour lui-même, mais d’illustrer les Écritures. Au Moyen Age, la majorité des personnes ne sachant pas lire, les peintures constituent un support pédagogique à part entière, qui permet de saisir ce qui ne peut être lu. L’histoire des personnages saints, leur dimension symbolique importent plus que leur personnalité, leur apparence physique ou leur richesse. Triptyque de Rimini, Francesco da Rimini (?) Par exemple, ce qui importe dans ce tableau peint un peu à la manière d’une bande dessinée, c’est bien de montrer les grandes étapes de la vie de Jésus : sa naissance, sa crucifixion, sa résurrection. Le réalisme des personnages importe peu ; c’est les faits qui comptent, comme on peut le constater avec la taille un peu surprenante des personnages (notamment Jésus), proportionnelle à leur importance dans l’histoire religieuse. Les fidèles comprennent d’un seul coup d’œil qui est le Christ et à qui ils doivent le respect. Un saint évêque (Saint Pierre ?), Bernardo Daddi Dans ce tableau, c’est l’attitude du personnage et le message qu’il souhaite faire passer qui compte : les deux doigts levés ont souvent été utilisés dans les représentations religieuses ; symbole de la bénédiction latine, ils montrent également que le personnage est détenteur de la parole divine. Par conséquent, les représentations de personnes ont surtout vocation à faire passer un message : le message divin. Mariage mystique de sainte Catherine, Niccolo di Tommaso Toutefois, toujours dans un souci de compréhension du message biblique, les personnages représentés doivent être clairement identifiables. Pour ce faire, ils sont généralement représentés avec des objets qui les caractérisent, nommés « attributs ». Peau de bête Index pointé Phylactère Fleur de lis Robe noire de dominicain Le livre, symbole de la grande érudition de sainte Catherine Par exemple, sainte Catherine est identifiable grâce au livre qu’elle porte, symbole de sa grande érudition, tandis que saint Dominique est reconnaissable à son habit noir de dominicain et saint Jean Baptiste à sa peau de bête. Peintures de la Renaissance (second étage) : On commence à réaliser des portraits avec des personnes identifiables à partir du XIVe siècle en Italie. On est alors en pleine Renaissance, période historique qui fait suite au Moyen âge et qui se caractérise par d’importants changements et de grandes découvertes dans différents domaines. L’Homme prend alors conscience de son individualité et de son importance au centre du monde. Les thèmes abordés en peinture se diversifient ; ils sont désormais plus proches des préoccupations humaines. De plus, le perfectionnement de la technique de la peinture à l’huile par les frères Van Eyck (1470), qui permet de peindre sur des supports moins lourds et plus maniables que le bois, comme la toile, permet également d’obtenir un rendu plus fin. Les personnages deviennent dès lors plus expressifs, plus humains, tandis que les progrès de la médecine, plus particulièrement de l’anatomie, permettent de peindre le corps de l’Homme avec plus de réalisme. C’est dans ce contexte que naît le portrait. Au début, les personnalités importantes de l’époque, qui commandent des œuvres religieuses, se font représenter comme des personnages à part entière de scènes de Nativité ou autre adoration des Rois mages. Puis, à partir du XVe siècle, le portrait devient un genre à part entière, la personne étant désormais le plus souvent représentée, seule, devant un décor. Vierge à l’enfant avec saint Jean Baptiste enfant et Portrait de femme, Cosimo Rosselli Il s’agit d’un panneau double sur bois, intéressant à deux niveaux. Marque de collectionneur N° d'inventaire recto verso Il semblerait que le peintre ait commencé à peindre un portrait de femme en buste, de trois-quarts, ce qui illustre l’apparition du portrait comme genre à part entière en Italie, dès la fin du XIVe siècle. Cependant, le portrait est resté inachevé ; il est devenu le verso du tableau, comme nous l'indiquent le numéro d'inventaire et la marque du collectionneur qui y sont inscrits. Le peintre est alors revenu à une représentation beaucoup plus classique de Vierge à l’Enfant, qui n’est pas sans suggérer la diversification des genres picturaux dans les années suivantes : la Vierge n’est plus peinte devant un fond d’or mais devant une fenêtre qui ouvre sur un paysage. De plus, le bouquet de fleurs fait penser aux natures mortes qui se développent beaucoup au XVIIe siècle. Ce verso porte donc en germe différents genres picturaux qui s’individualisent pendant la Renaissance, et dont le portrait fait partie. Peintures florentines (second étage) : Au XVe siècle, en Italie, les personnes se font le plus souvent représentées devant un décor (comme c’est le cas ici), alors que dans les Flandres elles sont placées dans leur cadre quotidien. Le portrait est un moyen pour les personnalités de l’époque de montrer leur importance et de laisser une trace dans l’histoire. C’est pourquoi l’art du portrait, au XVIe siècle, se transforme essentiellement en art de cour et se développe dans toute l’Europe pour connaître son apogée au XVIIIe siècle. Il existe plusieurs façons de portraiturer une / des personne(s) : en pied, en buste, de profil, de trois-quarts ; devant un décor ou pas ; portraits individuels ou de groupe …, suivant le message que l’on souhaite faire passer (grandeur, réalisme, psychologie, allégorie …) En effet, le portrait est souvent considéré, à tort, comme une image objective de la réalité. Or, le portrait est le plus souvent lié à une volonté de reconnaissance sociale. Par le portrait, on cherche à faire passer un message et à montrer son individualité. Ainsi, comme pour tous les autres genres picturaux, aucun détail n’est laissé au hasard : lumière, cadrage, couleurs, position … Tout est mis en œuvre pour donner au portrait un caractère particulier, unique et pour valoriser la personne, d’autant que les personnes sont le plus souvent représentées avec des objets qui les caractérisent, nommés « attributs ». Ainsi, l’intérêt du portrait est triple : il est d’abord une représentation réaliste et caractérisée d’une personne, mais est également une manière de s’inscrire dans le temps, de conserver un souvenir. L’ultime but étant de garder le meilleur souvenir qui soit, le portrait est souvent utilisé dans une optique de mise en valeur de la personne représentée. C’est ce que nous pouvons voir dans cette pièce avec des portraits réalisés par des peintres florentins. Pétrarque, Giorgio Vasari Pétrarque est un érudit et poète italien de la Renaissance. Il est peint ici de trois-quarts par Giorgio Vasari, le premier historien d’art de l’Histoire, avec des attributs qui le caractérisent comme le livre ou la couronne de lauriers, symbole des poètes. Portrait d’un religieux, Carlo Portelli Nous savons qu’il s’agit d’un religieux grâce à sa tenue, mais aussi parce qu’il tient un livre. Portrait d’un jeune homme, Carlo Portelli Le jeune homme est représenté selon un plan « à l’américaine » comme dans les western hollywoodiens (plan au-dessus de la ceinture). Le peintre fait ici montre de sa vitalité et de sa virilité de manière discrète. Peintures vénitiennes (second étage): L’Homme au gant, Tiziano Vecellio, dit Titien Si les Florentins sont très attachés aux contours et aux lignes, les Vénitiens jouent plus sur les contrastes entre l’ombre et la lumière, comme on peut le voir avec cette œuvre exceptionnelle de Titien. C’est à partir de 1520 que Titien commence à travailler pour les princes des cours italiennes et s’impose comme le portraitiste de cour par excellence. Ses portraits présentent notamment l’originalité de refléter la psychologie, la personnalité profonde du sujet et de mettre en valeur sa grandeur et sa majesté. Titien met un accent particulier dans le traitement du regard et l’expression, ce qui confère au personnage un aspect vivant et vibrant. Dans ce portrait, on a, ainsi, l’impression que les yeux du jeune homme nous suivent dans nos déplacements, et que l’homme pourrait presque sortir du tableau. La manière qu’a Titien de fondre les contours, de jouer avec la lumière, de renvoyer l’éclat du blanc de la chemise sur le visage permet de rendre l’œuvre très présente, presque vivante. Là encore, les objets, rares, nous apprennent beaucoup sur le personnage et la société à laquelle il appartient. Beaucoup d’hommes portraiturés par Titien portent le gant. Cet objet, anodin pour nous, possède à l’époque du peintre un symbole et un langage. Dès le XIVe siècle, le gant prend, en effet, beaucoup de significations, notamment celle de l’autorité. Le port du gant indique le rang auquel on appartient ; il convient particulièrement à la noblesse qui le porte de préférence à la main gauche (comme ici). Par sa couleur et sa forme, le gant peut avoir plusieurs significations et renseigne sur la fonction de celui qui le porte ; ici, on ne sait plus qui est le jeune homme, mais on devine, grâce au gant, qu’il occupe une position sociale importante. Le gant a aussi un langage : quand une personne enlevait ses gants devant une autre cela voulait dire qu’elle lui reconnaissait une supériorité ; lorsqu’une personne jetait son gant à une autre, elle le provoquait en duel ou lui lançait un défi. Peintures bolonaises (second étage) : Petite fille tenant un chien, Pier Francesco Cittadini Cittadini est apprécié pour l’élégance de ses compositions et pour son habileté à décrire les étoffes et les accessoires. Il est assimilé aux portraitistes européens les plus connus du siècle. Les portraits d’apparat, dont on a ici un exemple, se développent au XVIe siècle. Ils sont destinés à souligner la prestance du personnage et donner aussi l’occasion de mettre en valeur son vêtement et le décor dans lequel il évolue. Se faire représenter ainsi signifie que l’on exerce un certain pouvoir. En ce qui concerne les portraits d’enfants, ils cherchent à souligner la position sociale et les aspirations dynastiques d’une famille. Ici, la petite fille portraiturée en pied (les portraits en pied étaient réservés aux personnes de sang royal ou de l’entourage des rois et des reines) arbore un air très sérieux ; elle est vêtue d’une robe au tissu épais et rigide dans un décor dépouillé qui ne fait que renforcer l’aspect austère de l’œuvre. Tous ces éléments mettent en évidence l’importance de la destinée de l’enfant où la fantaisie n’a pas de place, ainsi que le suggère le cadrage très serré de la représentation, aussi étroit que l’éducation de la fillette. Seul l’animal, un petit chien blanc, portant un collier muni de grelots, pourrait repositionner le personnage dans son vrai rang : celui de l’enfance, du jeu et de l’insouciance. Ce portrait nous donne l’impression d’une enfant qui ne connaît qu’un seul jeu : feindre l’âge adulte. Peintures caravagesques 1 (second étage) : Portrait du cardinal Scipione Borghese, Ottavio Leoni Ce portrait fait partie d’un très vaste ensemble de représentations de cardinaux, dont était friand Joseph Fesch, oncle de Napoléon, et pour cause : il était lui-même cardinal. Il serait faux de croire que l’art de la Contre-Réforme n’a profité qu’à l’Église en tant qu’institution. En effet, si elle était le premier commanditaire, les peintures baroques firent l’objet de nombreuses commandes de la part de particuliers, laïques comme religieux. Le portrait du cardinal Borghese s’en fait le témoin. Il est ici représenté relativement jeune, probablement en 1605, l’année où il devint cardinal. Il figure assis, dans une position de trois-quarts, et nous regarde. Il tient dans sa main droite une lettre sur laquelle l’artiste a signé. Un grand soin a été apporté au traitement des vêtements : il y a un rendu tactile des étoffes. Même si le regard et les mains sont le résultat d’un travail très soigné, dans cette œuvre, rien ne nous renseigne sur la psychologie du personnage (contrairement au Titien) ; ce n’est pas son objet, c’est surtout le sérieux de la fonction et l’importance du personnage qu’il est important de mettre en avant. Portrait de jeune homme à la collerette, Simon Vouet Ce portrait est totalement différent de celui du cardinal Borghese. Il est peint dans une palette restreinte : du brun dans des intensités plus ou moins soutenues et du blanc qui vient rehausser et mettre en volume la collerette du personnage. L’éclairage est faible, sauf sur le front et la collerette. Ce genre de portrait est représentatif de l’activité romaine de Simon Vouet, où il suit la manière de Caravage. Le fond est très neutre. Largement brossé, il est aussi dans les tonalités de brun. Il ne laisse apparaître aucun décor, rien ne distrait le regard, on est attiré par ce personnage émergeant de l’ombre, presque vivant. Dans sa période romaine, Vouet semble vouloir donner vie aux personnages de ses portraits. Il représente ses sujets dans des pauses qui laissent suggérer leur psychologie. Ce jeune homme nous apparaît au travers d’une facture libre, dans une spontanéité naturelle et émouvante. Il nous regarde avec douceur, appuyé sur son bras gauche. Son visage est légèrement penché, entouré d’une chevelure décoiffée, ses lèvres sont entrouvertes, on s’attendrait presque à entendre sortir un souffle, un son de sa bouche. Aussi, le mouvement de sa collerette flottante ne fait-il qu’ajouter vivacité et réalisme à ce portrait. Ce jeune homme, pris sur le vif, est tout à l’opposé des portraits officiels. Peintures caravagesques 2 (second étage) : Femme tenant un enfant, Luca Giordano Ce portrait est réalisé par l’un des grands représentants de l’art baroque, ainsi qu’on peut le voir avec l’utilisation du clair-obscur. Luca Giordano réalise ici un portrait au caractère intimiste : on y voit une femme tenant un bébé complètement langé, à la mode de l’époque. La lumière est portée sur le visage de la femme ce qui accentue la tristesse de son regard ; elle semble vouloir attirer notre attention sur l’enfant. Il faut savoir que les portraits d’enfants sont très rares jusqu’au XVIe siècle, et les enfants ne sont pas tout de suite représentés seuls pour eux-mêmes, tout simplement parce que le sentiment de l’enfance n’existe pas jusqu’alors. Au Moyen Age, les enfants sont très rarement représentés, ou, lorsque les situations le demandent, les traits de l’enfant sont ceux d’un adulte en dimension réduite. En fait, c’est comme si le premier âge de la vie n’était pas pris en compte, ce qui s’explique sans doute par le taux de mortalité infantile élevé. Pour les historiens, en ces temps-là, il était impensable que l’on puisse éprouver une affection profonde pour « quelque chose » qui -pensait-on- était destiné à mourir. En outre, le nouveau-né n’était alors pas considéré comme un être humain, contrairement à ce que nous pensons aujourd’hui. Au cours du XIVe et du XVe siècle, le thème de l’enfance commence à peupler l’iconographie religieuse grâce à la représentation de l’enfance de Jésus. Entre la fin du XVe et le début du XVIe siècle, l’enfant commence à s’insérer dans l’iconographie laïque. Toutefois, il est souvent représenté en compagnie d’adultes dans des scènes de vie quotidienne. C’est au début du XVIIe siècle que l’enfant est enfin isolé de ce contexte pour vivre sa propre vie dans un portrait qui lui est entièrement consacré. C’est également à cette époque que l’art du portrait s’enrichit d’une autre expression, plus vaste, indissociable de l’intérêt pour l’enfance : le sens de la famille. Les scènes d’intérieur se font d'ailleurs plus fréquentes. Portrait de femme avec une petite fille, Pietro Paolini Ce double, voire triple portrait s’inscrit dans une série de peintures caravagesques aux caractères typiquement mélancoliques de l’art de Pietro Paolini. La composition s’élabore autour de la poupée, qui participe de manière capitale à tout le discours de l’œuvre. Le contraste tragique entre la gravité des personnages et la figurine aux attributs de comédie crée une ambiance presque angoissante. En raison du traitement pictural de Paolini, ce rapport discordant confère aux personnages des expressions particulièrement étranges ; le visage de la fillette est souligné par une déformation expressive. La poupée nous engage dans un parcours initiatique : la mère nous montre sa fille, et la fille sa poupée, comme dans un jeu de miroir. La petite fille joue à la maman, se préparant déjà à son rôle d’adulte. L’absence de décor recentre l’attention sur l’action : ce qui nous intéresse c’est avant tout ce qui se passe, ainsi que le symbolisme porté par la représentation. Peintures romaines XVIIe siècle 2 (premier étage) : Portrait du cardinal Felice Rospigliosi , Ludovico Gimignani Ce personnage était l’un des quatre fils de Camillio Rospigliosi, le frère du pape Clément IX. Devenu cardinal en 1673, il était le principal mécène de Ludovico Gimignani, l’auteur de ce portrait. On sait d’ailleurs que le cardinal finança le voyage de l’artiste afin qu’il séjourne à Venise pour se perfectionner dans la couleur. Felice Rospigliosi est représenté debout, de trois-quarts. Il nous regarde. Le fond est simple : une architecture sombre et un rideau. Le cardinal se détache de ce fond, dans un vêtement rouge puissant. Un grand soin a été apporté au rendu des matières : rehauts de blanc accentuant la noblesse de l’étoffe, tandis que la dentelle délicate aux manches vient souligner l’élégance raffinée du cardinal. Il tient dans la main une lettre sur laquelle l’artiste a laissé sa signature. Ce portrait nous renvoie donc une image simple, sans pour autant nous faire oublier la fonction du personnage. Nous ne connaissons aujourd’hui que ce portrait réalisé par l’artiste, à l’exception d’un autoportrait, conservé à Rome. Ludovico Gimignani peignait surtout des tableaux religieux ; la rareté de ses portraits ne fait donc qu’ajouter de la valeur à celui du Palais Fesch. Autoportrait, Pierre de Cortone Ce portrait a été identifié comme étant un autoportrait de Pierre de Cortone, qui occupe une place importante au sein de l’art romain du XVIIe siècle. Auteur de grands chefs d’œuvre, on lui doit notamment le décor du plafond du Grand Salon du Palais Barberini à Rome. Pierre de Cortone s’est représenté dans la tenue d’un gentilhomme de la cour de Rome : un vêtement noir sur un fond sombre. La lumière savamment utilisée donne cependant du volume à ce portrait en éclairant la partie droite du visage, la bordure du col, et l’accent est surtout mis sur la main et le parchemin qu’elle tient. Bien qu’on ait l’habitude dans la peinture baroque des fastes et des grandes mises en scène, on sait aussi qu’elle repose sur les contraires, notamment les contrastes clair-obscur, comme dans ce tableau. Qui est le plus expressif : le visage ou la main ? Si l’éclairage du visage nous donne d’abord le volume et nous fait découvrir un regard sévère, l’œil est très attiré par le dos de la main et le parchemin révélé par la lumière. Ce n’est pas un hasard, car l’artiste s’est volontairement représenté sans les attributs des peintres (pinceaux et palette) pour affirmer son statut d’artiste reconnu par la cour pontificale. Parmi la riche collection de portraits conservés au musée, on distingue d’autres autoportraits d’artistes tels que Corrado Giaquinto, Marcello Baciarelli et Mengs. Pendant le XVe siècle, l’artiste tend à s’éloigner du modèle artisanal organisé en des corporations aux règles strictes, pour entrer dans celui des intellectuels. Son statut social s’élève, et son habileté n’est plus un « art mécanique » pratiqué au cours d’un long apprentissage, mais elle devient l’expression de sa vocation. Il devient important pour les artistes d’affirmer leur identité à l’égard du pouvoir, même lorsqu’ils mettent leurs talents au service des seigneurs. En dépit de leur dépendance matérielle à l’égard des commanditaires, ils revendiquent leur indépendance intellectuelle. Célèbre et libre, l’artiste veut alors donner un signe tangible de son art et laisser des traces de son passage. C’est ainsi qu’il commence à « signer » ses œuvres et à insérer son portrait dans la composition picturale. Cabinet du levant (premier étage) : Dans cette pièce, un certain nombre de portraits, très typiques du Grand XVIIe siècle, représentant pour la plupart des nobles et des ecclésiastiques, toujours dans le souci d’affirmer sa puissance et la supériorité de son rang. C’est dans cette optique que nous trouvons un autoportrait : l’artiste cherche alors à s’émanciper sur le plan intellectuel et à affirmer son importance. Autoportrait, Sebastiano Ceccarini Autoportrait avec la médaille de Benoît XIV, Marcello Bacciarelli Salle Giaquinto (premier étage) : Autoportrait, Corrado Giaquinto Corrado Giaquinto est un peintre très important du XVIIIe siècle. Élève à Naples de Francesco Solimena, l’un des grands représentants de l’art baroque, Giaquinto eut réellement une carrière internationale. Il travailla, notamment, au décor de trois églises romaines, mais, c’est lorsqu’il fut appelé par le Roi d’Espagne que sa renommée atteint son apogée : chargé de peindre des décors au palais royal de Madrid, sa peinture a marqué la peinture espagnole du temps, et l’art du jeune Goya ne pourrait se comprendre sans l’influence de Giaquinto. Le musée Fesch conserve l’ensemble de peintures de Giaquinto le plus important de France. C’est pourquoi une salle lui est entièrement consacrée. Dans cet autoportrait, Giaquinto s’est représenté sous les traits d’un peintre avec pinceau et palette. Salle des peintres à Rome au XVIIIe siècle (premier étage) : Portrait d’homme et Autoportrait, Mengs Cette mise en parallèle de portraits est intéressante : tandis que Mengs peint sur le premier un anonyme, il réalise sur le second son propre portrait, se représentant sous les traits d’un homme de lettres, d’un poète. Galerie des sculptures (rez-de-chaussée) : Les bustes constituent des portraits à part entière. Bien que réalisés en trois dimensions au lieu de deux, ils ont également vocation à représenter les personnes sous leurs traits caractéristiques, dans un souci d’éternité, tout en permettant de légitimer l’importance des personnes représentées. Nous voyons ici un grand nombre de bustes des membres de la famille impériale, réalisés en marbre de Carrare. Ils revêtent une grande importance, dans la mesure où ils participent à la propagande de l’Empire, au même titre que les portraits peints. Réalisés généralement en plusieurs exemplaires, ces bustes ont inondé l’Empire, se retrouvant aux quatre coins de l’Europe et permettant de légitimer l’autorité des Bonaparte. Elisa, grande duchesse de Toscane, Bartolini En 1806, Élisa, première sœur de Napoléon, reçoit la principauté de Piombino et de Lucques avant de recevoir, en 1808-1809, l’intégralité de la Toscane, sous le titre de Grande duchesse. Véritable chef d’État au même titre qu’un homme, elle est surtout connue pour son rôle dans le domaine artistique. Elle est, en effet, à l’origine de la réorganisation de l’Académie et des carrières de marbre de Carrare. S’entourant de sculpteurs et d’artistes talentueux, dont au premier chef Bartolini, elle organise la production des carrières et multiplie les commandes d’effigies en marbre de toute la famille impériale. La majorité des bustes de la Galerie sont ainsi le fait d’Élisa (et de Bartolini). Chaque membre de la famille impériale eut son buste en marbre dont plusieurs répliques étaient à chaque fois tirées, généralement une vingtaine par buste. Élisa commanda son portrait officiel tout d’abord à Chinard, mais l’œuvre ne lui plut pas car, jugé trop réaliste, le buste trop nettement la physionomie plutôt disgracieuse de la duchesse. Elle demanda donc à Bartolini de réaliser un second portrait qui devint son effigie officielle. Elle en commanda six exemplaires. Élisa est représentée avec un air extrêmement sévère qu’accentuent la coiffure sans fioriture, la légèreté de son drapé et l’absence d’expression dans le regard. En fait, ce buste répondait à la volonté d’Élisa de se donner les allures d’un chef d’État. On voit très nettement l’influence de l’Antiquité romaine dans le traitement du buste, ce qui était légion sous l’Empire. Élisa était une femme de tête, celle qui ressemblait peut-être le plus à Napoléon par son caractère et son goût de l’organisation, et on voit comment le buste réussit à faire passer cette idée. Salle Fesch (rez-de-chaussée) : Napoléon Ier en costume de sacre, Baron François Gérard Ce portrait en pied a été réalisé par le baron François Gérard. Élève de David, Gérard fut sollicité à plusieurs reprises par Bonaparte dès 1800, avant de devenir le portraitiste attitré de la famille impériale, délaissant la peinture historique qui l’avait fait connaître auprès des Bonaparte. Qualifié de « portraitiste des rois et roi des portraitistes » par ses contemporains, il peignit toutes les figures importantes de l’Empire ainsi que les souverains étrangers. Sa grande maîtrise dans la représentation des atours officiels lui valut sa réputation. La version originale de ce portrait fut réalisée en 1805 pour Talleyrand, ministre des Relations extérieures. Des répliques furent réalisées comme pour tous les portraits officiels ; elles étaient destinées aux différentes résidences officielles, aux membres de la famille impériale ou aux représentants à l’étranger. Aujourd’hui, vingt exemplaires de ce portrait subsistent ; on en trouve au Louvre, à Fontainebleau, à la Malmaison, en Italie et en Allemagne. Souvent, la couleur du fond varie allant du vert au gris bleuté, et des différences apparaissent aussi dans le traitement du visage de l’Empereur qui est soit ombré, soit en pleine lumière. La réplique du Palais Fesch, réalisée en 1806, était destinée au cardinal Fesch, l’oncle de Napoléon. Le sceptre surmonté d'un aigle aux ailes éployées des légions romaines La couronne de feuilles de laurier des généraux romains victorieux La croix de la Légion d'Honneur La Main de Justice des Capétiens Le globe de Charlemagne L'abeille, symbole de l'Empire napoléonien Napoléon y est représenté en « grand costume », c’est-à-dire le costume porté durant la cérémonie du sacre, par opposition au « petit costume » porté avant et après. Ces deux costumes d’apparat ont été créés par Isabey, un autre peintre talentueux de l’époque. Napoléon porte un long manteau de velours pourpre (référence directe à la pourpre de l’imperium romain) semé d’abeilles d’or, bordé et doublé d’hermine. L’abeille fut choisie par Napoléon comme l’un des symboles de L’Empire, parce qu’elle véhicule des valeurs positives comme le labeur, la patience, le courage, l’intelligence et l’organisation (« elle [est] l’image d’une république qui a un chef ! »), mais aussi parce qu’elle permet de se rattacher scientifiquement et idéologiquement aux dynasties royales, notamment les Mérovingiens. Plus discrète que l’aigle, attaché à l’Empire romain et à Charlemagne, elle est cependant présente sur le grand manteau pourpre, les tentures des palais, des tribunaux, des administrations impériales et sur certains drapeaux. Les abeilles ainsi représentées sont toujours d’or et en semé comme autrefois les fleurs de lis des rois de France. Napoléon porte les « honneurs de l’Empire » : la couronne d’or à feuilles de laurier, le sceptre avec l’aigle impérial que portaient les légions romaines et qui tient dans ses serres la foudre, et le globe dits de Charlemagne. Il porte également la main de Justice utilisée par les Capétiens lors des sacres royaux. Napoléon porte, enfin, le collier la plaque de la Légion d’honneur. Créée en 1802 par Napoléon lui-même, elle récompense le mérite des militaires et des civils, ministres, savants, artistes qui forment le corps d’élite destiné à former la base d’une nouvelle société au service de la Nation. C’est d’ailleurs à cette date que Napoléon crée la noblesse d’Empire. Chaque membre de l’Ordre nouvellement créé reçoit une rente et doit prêter serment de fidélité à la République, puis à l’Empire dès 1804. On voit donc combien le costume de sacre est imposant parce que chargé de symboles qui devaient rattacher le nouvel Empire aux empires et royautés précédents, si imposant d’ailleurs qu’il fallait bien plus d’une heure à Napoléon pour le revêtir ! Napoléon veut en fait montrer qu’il est le fondateur de la « quatrième dynastie », celle des Bonaparte, après les Mérovingiens, les Carolingiens et les Capétiens, en même temps qu’il est le digne héritier de l’Empire romain. Par ce portrait, nous voyons donc comment Napoléon utilise son image pour créer un culte autour de sa personne. Le Cardinal Fesch, Jules Pasqualini Il s’agit d’un portrait posthume du cardinal Fesch, le demi-frère de Letizia et, donc, oncle de Napoléon. Ce portrait ressemble aux autres portraits de cardinaux qui auront été vus au cours de la visite. Le cardinal est assis dans un fauteuil qui appartient au mobilier du cardinal, dont quelques pièces sont conservées au musée du Salon napoléonien de l’Hôtel de Ville ; il porte sa croix pectorale, insigne de sa fonction ecclésiastique, ainsi que la croix et la plaque de la Légion d’honneur. A côté de lui se trouve un bréviaire, livre liturgique catholique, à la reliure de cuir estampillée « JF » (initiales du cardinal). Une lettre se trouve sous le bréviaire ; elle est signée « Fesch » et est située à « Rome ». Le cardinal Fesch est archidiacre, c’est-à-dire qu’il commence tout juste sa carrière dans les ordres quand éclate la Révolution française. Très rapidement, il quitte ses fonctions religieuses pour accompagner le jeune général Bonaparte dans ses campagnes militaires en Italie. Napoléon le nomme alors commis aux marchés de fournitures pour l’armée d’Italie. Ce n’est qu’en 1800 que le cardinal réintègre l’Église et devient, grâce à son neveu, archevêque de Lyon. Avant son sacre, Napoléon, afin d’obtenir la reconnaissance de l’Empire, envoie son oncle comme ambassadeur à la Cour de Rome où il le charge de négocier la venue de Pie VII pour son sacre, ce qui prouverait le caractère sacré de son pouvoir, à la manière des rois de France. Dès lors, le cardinal Fesch partage sa vie entre la France et l’Italie et se fixe définitivement à Rome lorsque l’Empereur abdique. Grand amateur d’art, le cardinal Fesch réunit plus de 16 000 tableaux dont il remplit le Palais Falconieri à Rome. Avant sa mort, il décide de faire envoyer 1200 tableaux à Ajaccio où il souhaite fonder « un grand institut des études » pour la formation des jeunes Ajacciens, ainsi qu’il le mentionne dans son testament en 1839. Quelques années plus tard, l'Institut devient le musée Fesch. Madame Mère, Baron François Gérard Ce portrait en buste représente Letizia Bonaparte, la mère de Napoléon, assise de trois-quarts vers la droite. Les tissus et matières précieuses qu’elle porte : diadème en or et collier à double rang de perles, nous suggèrent qu’il s’agit d’un portrait officiel de la mère de Napoléon. Il est à mettre en parallèle avec un autre portrait, beaucoup plus intimiste. Portrait de Letizia Bonaparte, Jacques Sablet Jacques Sablet est un autre grand peintre, dont le nom est étroitement attaché à Napoléon et, à plus forte raison, à la famille impériale. Avant de rencontrer Napoléon, Jacques Sablet est, en effet, en étroite relation avec ses deux frères : Joseph et Lucien. De la même génération que le peintre Jacques-Louis David, Sablet a fait de nombreux tableaux des membres de la famille impériale. Cependant, alors que le baron Gérard se spécialise dans les portraits officiels censés témoigner de la grandeur de l’Empire, Sablet fait des portraits plus intimistes, sans doute destinés à un usage beaucoup plus privé. Moins impériale que dans le portrait du baron Gérard, Letizia est ici représentée dans une robe toute simple, sous une coiffure tout aussi simple et somme toute un peu ridicule : un bonnet agrémenté d’une écharpe en turban qui lui donne une allure un peu provinciale. Elle est assise près d’une porte-fenêtre, éclairée par la chaude lumière d’une fin d’aprèsmidi, dans son intérieur d’une grande sobriété et néanmoins décoré de tableaux et d’un buste de Napoléon en uniforme ; la cheminée est, quant à elle, agrémentée de quelques objets de style égyptien qui rappellent la campagne d’Égypte. Tous ces objets montrent l’attachement des Bonaparte aux arts. Son serviteur, habillé très certainement à la mode égyptienne, lui apporte une légère collation. La simplicité du portrait, l’attitude comme « prise sur le vif » du serviteur, ainsi que la pose un peu abandonnée de Letizia pas trop assurée, que Sablet a très bien su retranscrire, font de cette œuvre l’un des portraits les plus sensibles et les plus vrais de la mère de Napoléon ; ils furent relativement rares. Salle Survilliers (rez-de-chaussée) : Marie-Laetitia Murat portant un buste de Napoléon Ier, Jeanne-Elisabeth Chaudet Les membres de la famille impériale ont souvent passé commande de tableaux représentant leurs enfants, posant parfois même avec eux. Ces représentations faisaient d’ailleurs l’objet d’une rivalité sans cesse accrue entre les membres de la famille impériale et encore alimentée par la stérilité du couple impérial. La surenchère d’intérêt pour le monde de l’enfance conduisit certains peintres à ne pas reculer devant des attitudes confinant à la familiarité, comme le montre ce portrait de la fille de Caroline et Jérôme Murat, réalisé par Madame Chaudet, spécialisée dans les portraits d’enfants. Dans cette scène, la fillette n’a pas ménagé les efforts pour ramener le buste de son oncle au premier plan : elle a, en effet, associé un repose-pied et une chaise, à la manière d’un escalier, afin de récupérer le buste juché sur une colonne pour aller ensuite le déposer sur une table qu’elle s’est confectionnée avec des livres. Elle a déjà posé sur cette table une paire de ciseaux qui lui ont permis de réaliser deux cocottes en papier, ainsi qu’un bilboquet. Réalisation : Parcours réalisé par Eva Lando, Animatrice pédagogique, Secteur éducatif, Palais Fesch-musée des Beaux Arts Photographies : ©Palais Fesch-musée des Beaux Arts / RMN-Gérard Blot Toutes les œuvres évoquées dans le présent parcours n'ont pas été reproduites dans le document. Cependant, afin de préparer au mieux votre visite, elles sont consultables en ligne, sur le site du Palais Fesch : www.musee-fesch.com.