Florence Portraits à la cour des Médicis par Nicolas Sainte Fare
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Florence Portraits à la cour des Médicis par Nicolas Sainte Fare
Florence Portraits à la cour des Médicis par Nicolas Sainte Fare Garnot « Quand les portraits offrent à la fois ressemblance et beauté, on peut dire que ce sont des oeuvres exceptionnelles et que leurs auteurs sont de grands peintres. » Vasari, Les vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, 1568 1494-1512 La République de Florence De l'austérité à l'âge d'or du portrait Avec la mort prématurée de Laurent le Magnifique, le 4 avril 1492, une page de l’histoire de Florence et des Médicis se tourne. Pour ces marchands à qui la chance a apporté argent et pouvoir pendant plus d’un siècle, les décennies 1490-1510 seront noires. Pierre, fils du Magnifique fuit la ville en 1494 et Savonarole s’empare du pouvoir. Les Médicis ne seront autorisés à revenir qu’en 1512. Florence est en pleine mutation politique et culturelle. À cette époque, les jeunes artistes représentent leurs modèles sur un fond uni ou devant un paysage, telle la Dame au voile de Ridolfo del Ghirlandaio. Qu’ils soient figurés de trois-quarts ou de profil, à l’image des Portraits d’homme de Franciabigio et de Rosso Fiorentino, les modèles sont graves, affichant une simplicité, voire une certaine sévérité, tant dans leur attitude que dans leur costume. La rigueur et la sobriété alors de mise expriment le retour à des valeurs morales en lien avec les vertus antiques républicaines. § Fra Bartolomeo (Baccio della Porta, dit), Portrait de Savonarole 1499-1500, Huile sur bois, 53 x 37,5 cm Florence, Istituti museali della Soprintendenza Speciale per il Polo Museale Fiorentino, Museo di San Marco Derrière ce visage austère se détachant nettement sur un fond noir, se cache une personnalité majeure de l’histoire florentine au tournant du 16e siècle : le prédicateur et frère dominicain Jérôme Savonarole. Le peintre Fra Bartolomeo, lui-même entré dans l’ordre dominicain en 1500, avoue réaliser ce portrait « par affection » envers celui qu’il décrit comme un « prophète » dans l’inscription qui orne le parapet, au premier plan. En le présentant vêtu de l’habit dominicain, la capuche noire relevée sur la tête, le peintre met en avant le physique charismatique du prédicateur, ainsi que son intense spiritualité. Pour ce faire, il s’inspire de la tradition du portrait à l’antique et reprend à son compte l’usage du profil, fréquemment employé dans les médailles et les camées anciens. Ce portrait témoigne de l’extraordinaire attachement de toute une partie de la population florentine à l’égard de celui qui tenta un temps de s’ériger contre le luxe et la corruption de la famille Médicis. Entré en conflit contre Laurent le Magnifique, qui lui reprochait de vouloir s’ingérer dans le gouvernement de la ville, Savonarole joua de fait un rôle décisif dans l’avènement de la République à Florence, après la mort de ce dernier en 1492. Accusé d’hérésie, Savonarole sera finalement excommunié par le pape Alexandre VI, et brûlé vif en plein cœur de Florence. Sa mort fit de lui un martyr et donna lieu à un véritable culte, d’où le nombre important de commandes de son portrait. Il demeura longtemps le symbole d’une République florentine libre et affranchie de la tutelle des Médicis. § Ridolfo del Ghirlandaio (Ridolfo Bigode, dit), Dame au voile (La Monaca) 1510-1515, Huile sur bois, 65 x 48,1 cm Florence, Istituti museali della Soprintendenza Speciale per il Polo Museale Fiorentino, Galleria degli Uffizi Au début du 16e siècle, le portrait florentin est souvent présenté devant un paysage en arrière-plan, selon une convention héritée de Léonard de Vinci et de Raphaël. Proche de ce dernier, le peintre Ridolfo del Ghirlandaio serait l’auteur de cette Dame au voile dit aussi la Monaca. Ses talents de dessinateur transparaissent à travers la douceur des lignes du buste de la jeune femme, et les traits fins de son visage. À l’instar de La Joconde, la jeune femme se tient dans une loggia, son bras droit reposant sur un parapet, tandis qu’elle tient dans la main gauche un livre de prières. La pose tournée de trois quarts vers le spectateur compense la raideur de son vêtement de drap de laine noire. Ses épaules dégagées sont néanmoins recouvertes par un voile transparent, qui complète la coiffe en satin blanc, enserrant sa chevelure. La qualité de l’œuvre tient aussi à la poésie émanant du paysage inscrit de part et d’autre du modèle. Au-delà du fleuve Arno au premier plan, plusieurs monuments des environs de Florence se détachent paisiblement sur les montagnes bleutées. Quelques rares individus occupés à des tâches quotidiennes animent l’ensemble. La Dame au voile était autrefois dotée d’une tirella, cette « couverte» -sorte de couvercle amovible- était destinée à protéger la peinture, et devait être retirée pour pouvoir l’admirer. Dessus, des grotesques en faux relief à la mode florentine encadrent un cartouche antique, où figure une inscription en latin, qui se traduit par « À chacun son masque ». Une sorte d’avertissement pour le spectateur, car lorsque le couvercle était en place, le masque au centre de la composition venait se superposer presque trait pour trait sur le visage de la Monaca. § Franciabigio (Francesco di Cristofano, dit), Portrait d homme Vers 1510, Huile sur bois, 76 x 60 cm Paris, Musée du Louvre L’engouement pour le portrait parmi les citoyens de Florence atteste de l’extrême vitalité de la vie sociale qui s’y déroule. Accoudé à un parapet, ce jeune homme vêtu et coiffé de noir affiche une élégance retenue, éloignée de toute recherche de somptuosité. Dans son Livre du courtisan, célèbre manuel de savoir-vivre en son temps, le gentilhomme Baldassare Castiglione confesse d’ailleurs son penchant pour cette couleur : « Il me plaît aussi que toujours les habits tendent un peu plus vers le grave et le sérieux que vers le vain ; c’est pourquoi il me semble que la couleur noire a meilleure grâce dans les vêtements que toute autre. » Quant à l’arbre à moitié mort et à moitié vivant sur la gauche, il incarne le thème de la régénérescence, et peut se lire ici comme un signe de l’attachement de ce jeune homme au renouveau de la République florentine. En son temps, l’auteur de ce tableau, Franciabigio, se fait déjà remarquer. Le peintre et écrivain Giorgio Vasari, dans son précieux recueil sur la vie des peintres, évoque ses « très beaux portraits d’après nature ». On peut remarquer, dans le réalisme nordique du paysage à l’arrière-plan, l’influence de Raphaël. § Pontormo (Jacopo Carucci, dit), Double Portrait Vers 1522-1523, Huile/bois, 88,2 x 68 cm Venise, FondazioneCini Les protagonistes de ce double portrait semblent interpeller le spectateur : que cherchent donc à dire ces deux jeunes hommes avec ce document qu’ils tiennent entre leurs mains ? Le double portrait serait une tradition d’origine vénitienne. Derrière la simplicité apparente du motif, l’auteur du panneau avait des intentions sans doute plus politiques. À y regarder de plus près, en effet, le document entre leurs mains est un extrait du Traité sur l’Amitié rédigé par Cicéron en 44 av J-C. Comme le suggère leur attitude et leur mise comparables, ces jeunes gens sont probablement des artistes, des lettrés ou des patriciens florentins, unis par un sentiment d’amitié. L’amitié est l’un des sujets de prédilection de l’humanisme, vaste courant littéraire et philosophique apparu à Florence au 15e siècle. Toujours en vogue parmi les cercles florentins les plus érudits au début du siècle suivant, l’humanisme célèbre la valeur de l’amitié, érigée au rang de vertu, et garante d’une République libre et stable. Dans la réflexion menée sur les fondements d’un bon gouvernement, l’amitié apparaît indispensable à la bonne marche de toute République. L’auteur de ce double portrait, Pontormo, est un élève d’Andrea del Sarto. Dans son atelier, il perpétue l’art de Raphaël, dont l’influence est encore vivace après son départ pour Rome. 1530-1537 – la reconquête des Medicis Les hommes en armes Au terme d’une terrible année de siège, Alexandre de Médicis récupère l’administration de Florence, qui capitule à contre cœur, en août 1530. Mais il sera sauvagement assassiné sept ans plus tard. La dynastie parvient toutefois à se maintenir. Ayant conscience de la nécessité de créer un nouveau mode de représentation, de sa personne mais également de son statut et de son pouvoir, Alexandre engage plusieurs artistes pour mener à bien une campagne de réhabilitation par l’image. En découle une série de portraits héroïques, en armure, véritables instruments politiques de propagande qui affichent sa récente prise de pouvoir, à l’image du Portrait d’Alexandre de Médicis devant la ville de Florence de Vasari (Florence, Galleria degli Uffizi). Cosme Ier conçoit lui aussi une habile politique de légitimation dans laquelle il cultive non seulement sa propre image, mais également celle de son père, Jean dit des Bandes Noires. Célèbre chef de guerre dont il fait un second pater patriae après Cosme l’Ancien et dont il commande toute une série de portraits, notamment à Francesco Salviati (Florence, Galleria Palatina). Les Médicis ne reculent devant rien et n’hésitent jamais à s’imposer par la force ! § Giorgio Vasari, Portrait d Alexandre de Médicis devant la ville de Florence Vers 1534, Huile sur bois, 157 x 114 cm Florence, Istituti museali della Soprintendenza Speciale per il Polo Museale Fiorentino Galleria degli Uffizi Avec ce portrait d’Alexandre de Medicis, le jeune Giorgio Vasari invente un vocabulaire visuel inédit. Le contexte politique est alors particulièrement délicat : le sac de Rome mené en 1527 par les troupes de Charles Quint, a entraîné l’expulsion des Médicis hors de Florence, et l’instauration d’une seconde République florentine. Neveu de Laurent le Magnifique, le pape Clément VII obtient toutefois que Florence redevienne le fief de sa famille. Les Médicis reprennent alors les rênes du pouvoir en 1532, et l’administration de la ville est confiée à Alexandre de Médicis, qui devient duc, le premier de l’histoire de Florence. Face à l’hostilité persistante d’une grande partie des Florentins à l’encontre des Médicis, le peintre conçoit ce portrait allégorique comme une campagne de réhabilitation du souverain. Le visage de profil, mais le buste tourné de trois quarts, Alexandre de Médicis semble contempler et dominer Florence, dont on distingue au loin les monuments caractéristiques. Muni d’un bâton de pouvoir en or, Alexandre se tient en armure sur un trône à trois pieds en forme de pattes de lion, symbole de Florence. Derrière lui, la colonne et l’édifice ruiné rappellent le siège dressé par les Florentins pour défendre leur République. Le drap rouge sur lequel Alexandre est assis symbolise le sang versé par les citoyens -près de la moitié de la population !- qui se sont révoltés contre les Médicis, mais aussi le tribut payé par sa famille, avec l’assassinat de Julien de Médicis, frère de Laurent. À ses pieds, le casque posé représente la paix éternelle, ultime allusion aux événements sanglants qui ont précédé la paix. Bien plus que le portrait du duc, Vasari confiera avoir eu les plus grandes difficultés à peindre l’armure, dont les reflets devaient rassurer le peuple et prouver l’amour du duc envers sa patrie. § Francesco Salviati (Francesco de’ Rossi, dit), Portrait de Jean des Bandes Noires 1546-1548 , Huile/bois, 65 x 45 cm Florence, Istituti museali della Soprintendenza Speciale per il Polo Museale Fiorentino, Palazzo Pitti, G. Palatina En 1537, le duc Alexandre de Médicis est assassiné par un lointain cousin, ce qui fait une nouvelle fois vaciller le destin de la dynastie. Cosme Ier est alors rapidement proclamé second duc de Florence. Jeune et inexpérimenté, il comprend qu’il devra lutter pour affirmer sa légitimité. C’est à cette fin qu’il cultive l’image de son célèbre père, Jean des Bandes Noires, valeureux condottiere mort sur le champ de bataille. Ce dernier tire son nom des fameux drapeaux noirs hissés par ses fidèles en signe de deuil. Cette couleur restera d’ailleurs le symbole emblématique des partisans de l’unité italienne jusqu’au mouvement du Risorgimento, au 19e siècle. Cosme Ier sollicite Francesco Salviati afin qu’il réalise un portrait de son père à partir du masque mortuaire de ce dernier. Le peintre relève le défi, qui revient en quelque sorte à sublimer une relique. À partir de ce seul masque, il redonne vie aux traits de Jean des Bandes Noires : le teint rose de ses joues s’accorde avec les touches rouges qui rehaussent l’armure, et les poils de la moustache sont rendus avec un véritable souci de réalisme. S’éloignant du portrait en pied imaginé par Vasari pour Alexandre, Salviati reprend ici la formule conçue par Bronzino pour le Portrait de Cosme Ier, que vous pouvez découvrir dans cette salle. Cette pose de trois quarts met en valeur la cuirasse et isole le regard du sujet, entérinant un modèle qui va connaître un vif succès. Le faste des Portraits - Les Médicis En épousant Eléonore de Tolède en 1539, Cosme Ier achève de sceller son alliance avec Charles Quint. En mai 1540, la famille s’installe au Palazzo Vecchio, et les premiers travaux sont effectués dans l’appartement de la duchesse. Concepteur du nouveau langage pictural du duché, Bronzino est l’artiste phare de la cour ; il est partie prenante de l’évolution des codes de représentation à l’œuvre dans les effigies du duc, totalement démilitarisées à partir des années 1560, à l’image de son Cosme de Médicis à 40 ans (Newark, Delaware, The Alana Collection) récemment redécouvert. Une telle évolution fait écho à la consolidation du régime médicéen promu au rang de grand duché de Toscane en 1569. Collectionneur avisé, Cosme Ier se passionne surtout pour les projets monumentaux. Baccio Bandinelli est son artiste de prédilection. Avec d’autres sculpteurs et architectes, il transforme la cité florentine en véritable théâtre du pouvoir. Après s’être symboliquement installé au Palazzo Vecchio, où Vasari conçoit un décor grandiose à la gloire des Médicis dans le salon dit « dei Cinquecento », Cosme fait élever à proximité un grand bâtiment administratif, le palais des Offices. Tous deux furent de grands mécènes, à travers la construction du palais Pitti et la commande d’une galerie de peinture à Giorgio Vasari, appelée à devenir le Musée des Offices de Florence. § Bronzino (Agnolo di Cosimo, dit) Portrait de Cosme Ier de Médicis à l’âge de quarante ans 1560, Huile sur bois, 82,5 x 62 cm The Alana Collection, Newark, Delaware, Etats-Unis Sa légitimité étant maintenant établie, Cosme Ier de Médicis se devait de contracter un mariage de qualité, susceptible de servir au mieux ses intérêts politiques. Cosme Ier de Médicis est représenté à quarante ans, désormais assez sûr de son pouvoir pour s’autoriser une tenue civile. Cosme tient un simple mouchoir dans la main droite, son imposante carrure affirmant sa stature. § Bronzino (Agnolo di Cosimo, dit), Portrait d’Eléonore de Tolède 1522, Huile/bois, 59 x 46 cm, Prague, NárodnÍ Gal En tant que fille du vice-roi de Naples, assujetti à Charles Quint, Éléonore de Tolède semble un parti idéal. Destiné à sceller la solide alliance des deux souverains, le mariage est célébré par des fêtes fastueuses. Par son ascendance espagnole et sa richesse, Éléonore contribue à introduire le raffinement de la cour espagnole à Florence. Bronzino est chargé à plusieurs reprises de réaliser son portrait, seule ou avec ses enfants. Témoignant du développement d’un art de cour, ces portraits s’emploient à magnifier la nouvelle ère de paix, d’harmonie et de prospérité. Inspiré par l’œuvre sculptée de Michel-Ange, le peintre décrit la jeune femme dans des vêtements somptueux, en satin rouge serti de perles, avec une extraordinaire minutie dans la restitution de ses bijoux et de sa coiffe. À l’arrière-plan, un bleu outre-mer intense obtenu en broyant du lapislazulis révèle l’emploi de pigments précieux, tandis que le visage impassible de la duchesse affiche une nette distance avec le spectateur. Sa main droite posée sur le cœur est un signe de fidélité conjugale. Le faste des Portraits - Les héritiers Contrairement à son père Cosme Ier qui a le goût du monumental, François Ier préfère les oeuvres raffinées et les arts décoratifs, peut-être du fait de son éducation soignée, mêlant sciences, arts et lettres. Entre 1570 et 1572, il confie à Vasari et Borghini le soin d’aménager son cabinet (studiolo) à l’intérieur du Palazzo Vecchio. À partir de 1580, François installe également au sein des Offices un espace, appelé Tribune, dédié à sa collection – de sculptures antiques, petits bronzes, pierres dures, orfèvreries et autres joyaux – dans un décor faisant dialoguer trésors de la nature et merveilles de l’art. Dans la Florence de la seconde moitié du Cinquecento, l’art du portrait atteint son apogée. Bronzino tient toujours le haut du pavé comme l’atteste l’étonnante série de vingt-neuf petites effigies familiales qu’il peint sur étain dans les années 1550 pour orner le bureau de Cosme Ier. Plus précieux que jamais, les portraits se déclinent dans des matériaux coûteux : or, argent, lapis-lazuli et autres pierres précieuses, affichant une dimension somptuaire grandissante, doublée d’un soin attentif aux détails et au rendu des textures. Un tel raffinement est aussi souvent synonyme de miniaturisation, induisant parfois des performances techniques. Rien n’est trop beau pour célébrer le prince. § Bronzino (Agnolo di Cosimo, dit), Portrait de Côme Ier de Médicis en armes 1544-1545, Huile/bois, 75 x 58 cm CP Fils de Jean des Bandes Noires, le jeune Cosme Ier a pour mère Maria Salviati, appartenant à une branche mineure des Médicis. Ce qui explique pourquoi Cosme se montre si soucieux d’établir une continuité avec la figure historique de son père. Il se fait donc régulièrement représenter sous l’aspect d’un condottiere, afin de consolider son pouvoir ducal. Maintes fois reprise, cette composition imaginée par Bronzino met en valeur les reflets métalliques de l’armure, présentée de trois quarts, grâce à un éclairage implanté en haut à gauche du panneau, tandis que le regard détourné du modèle tente d’asseoir son autorité. L’armure de Cosme, que l’on retrouve sur le portrait de son père, se rapproche de celle de Charles Quint, une manière subtile de rappeler le soutien du souverain au nouveau grand-duc de Toscane. Ce prototype de représentation ducale inaugure une longue série de portraits de membres de la famille ducale, qui feront d’Agnolo Bronzino le peintre officiel des Médicis. Ses portraits se caractérisent souvent par des traits raffinés et gracieux, qui n’excluent pas un grand souci de réalisme. Formé auprès de Pontormo, Bronzino lui préfère une manière neutre et moins passionnée sur le plan émotionnel. La distance instaurée avec le sujet met en scène une peinture de cour grandiose et froide, qui sied parfaitement à l’autorité politique que les membres du nouveau gouvernement souhaitent incarner. § Bronzino (Agnolo di Cosimo, dit) et atelier, Portrait de François, fils de Cosme Ier de Médicis 1555-1565, Huile sur étain, 16 x 12,5 cm Florence, Galleria degli Uffizi Fils aîné d’Éléonore de Tolède et de Cosme Ier, François de Médicis succède à son père en 1564, lorsque ce dernier abdique en sa faveur. Réalisé bien avant le début de son règne, ce petit tableau peint sur étain fait partie d’une série de vingt-neuf portraits des principaux membres de la famille des Médicis. Bronzino les aurait réalisés avec l’aide de son atelier, à partir des portraits conservés au Palazzo Vecchio. Contrairement à son père Cosme, François reçoit une éducation artistique et scientifique approfondie, à l’origine de son intérêt marqué pour les arts décoratifs. Grand voyageur, il séjourne même quelque temps à la cour d’Espagne. Régnant en despote, le souverain rêve de laisser une trace tangible de son mécénat, un souhait qui trouve sa réalisation à travers la construction de la villa de Pratolino. L’engagement et l’intérêt de François pour l’architecture transparaissent dans des petits médaillons en or et améthyste. Réalisées par le sculpteur maniériste Giambologna – dit aussi Jean de Bologne –, ces plaquettes retracent les principaux actes de son règne, sous le nom de François Ier. Elles devaient décorer un cabinet en ébène, destiné à abriter la collection de numismatique du grand-duc. Un bas-relief, agencé autour d’une perspective qui converge vers le souverain sur son trône représente François de Médicis assistant à la lecture du décret impérial qui fait de lui le nouveau grand-duc de Toscane. Le faste des Portraits - Les courtisans Tout autant que les effigies médicéennes, celles de leurs courtisans sont savamment composées. Rien n’est laissé au hasard, ni la composition, la disposition et le cadrage du modèle, ni sa posture, son expression – ou plutôt son absence d’expression –, ni encore ses costumes et accessoires. Chaque détail rivalise de luxe et de raffinement sans cependant outrepasser les privilèges princiers. La finalité de tels portraits d’apparat à la facture naturaliste est autant de retranscrire la physionomie et le caractère des modèles que d’afficher leur statut social, parfois jusqu’en précisant leur rang au sein d’une société de cour strictement hiérarchisée. Ce qui se joue dans ces portraits, c’est l’essor de la société de cour grand-ducale et l’affirmation de la noblesse de ceux qui la composent. Les images traduisent cette transmutation des codes bourgeois en précis aristocratiques, indispensable au rayonnement de la grandeur princière de la cour des Médicis. § Bronzino (Agnolo di Cosimo, dit), Portrait d’une dame en rouge Vers 1525-1530, Huile sur bois, 89,8 x 70,5 x 2,6 cm Francfort-sur-le-Main, Städel Museum Une dizaine d’année avant d’entrer à la cour des Médicis, Agnolo Bronzino signe ici son premier portrait d’apparat. Encore sous l’influence de son maître Pontormo, le jeune peintre s’attache à représenter son modèle avec la plus grande authenticité. Ainsi déploie-t-il des trésors de délicatesse pour restituer la broderie de son encolure, ses cheveux enserrés dans un filet ou encore les franges qui ornent l’accoudoir de sa chaise. On note d’ailleurs que le col boutonné de la robe se plisse pour accompagner le mouvement de la tête du modèle. Si le petit chien est également traité avec naturalisme – c’est un épagneul, une race répandue en Italie centrale–, la robe semble en revanche avoir été traitée avec plus de distance. Au lieu de rechercher un effet de volume sculptural dans les manches bouffantes, Bronzino use d’un rouge abstrait, qui se démarque par son intensité, et vient souligner, par contraste, l’expression du sujet. Au 16e siècle, à Florence comme dans les autres États de la péninsule italienne, la mode et les manières tentent de s’adapter peu à peu aux modèles prestigieux, offerts par les grandes monarchies européennes, et notamment par les cours française, espagnole et anglaise. Les membres de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie florentine prennent goût à se faire représenter sous leurs meilleurs atours, avec leurs animaux de compagnie. § Francesco Salviati (Francesco de’ Rossi, dit) Portrait d un jeune homme accompagné d une biche Vers 1545-1548, Huile sur bois, 88,5 x 68,5 cm Vaduz-Vienne, Liechtenstein, Les collections princières Francesco Salviati regagne Rome, où il va achever sa carrière. C’est à cette époque qu’il réalise cet étrange portrait. La mise du jeune garçon est particulièrement élégante : il porte un beau pourpoint de cuir sur un justaucorps rouge, dont les manches tailladées laissent entrevoir sa chemise de corps. De sa main droite, il enlace délicatement le cou d’une jeune biche, qui lui lèche le dos de son autre main. De plus en plus présents dans les portraits, les animaux sont un artifice qui permet d’affirmer la personnalité du modèle. La biche apprivoisée symbolise la timidité, la douceur et la vulnérabilité, autant de qualités reflétées par la douceur des traits du jeune homme, et que souligne leur entente manifeste. Représentées avec un soin particulier, les mains sont un autre détail ajoutant à l’expressivité du portrait. Francesco Salviati appréciait la pose de trois quarts, qu’il met ici en valeur grâce à un arrière-plan monochrome, dont la présence n’est perceptible qu’à travers un jeu d’ombres et de lumières. Cette approche du portrait, qui affiche sa prédilection pour les mains et les visages, est dite « vénitienne ». Elle est poussée par Salviati jusqu’au maniérisme, à travers la pose légèrement affectée, ainsi que la figure allongée et idéalisée du modèle. L’ensemble séduit par son sens achevé de la sophistication. Le portrait maniériste, miroir des arts : Poésie et musique Mécène avisé, Cosme Ier de Médicis n’a pas manqué de soutenir la toute jeune Académie florentine des belles lettres, dédiée à la langue toscane. De même, il contribue à fonder avec Vasari l’Académie des arts du dessin. Au-delà du cadre strict de ces académies, les artistes se retrouvent au sein de compagnies laïques dites « de plaisir » dévolues au divertissement et aux joutes artistiques. Une saine émulation naît de cette confrontation des arts, où la plupart des artistes sont polyvalents. Instrument ou partition, les références musicales sont récurrentes, et les effigies de musiciens pléthore, reflets de la place centrale qui est celle de la musique dans la culture florentine. Emblématique de la musique de cour, introduit à Florence par le père de Galilée, le luth est l’instrument privilégié des musiciens professionnels ainsi que l’évoquent les effigies de Pontormo et de Salviati. Les hommes et femmes peints par Bronzino et Andrea del Sarto sont quant à eux munis d’un livre. L’art du portrait florentin est en effet fermement enraciné dans la tradition poétique en langue vernaculaire, et ne saurait s’envisager sans référence aux poètes fondateurs de l’identité et de la culture florentines, Dante (1265-1321), Pétrarque (1304-1374) et Boccace (1313-1375). Le succès du portrait de l’être aimé, hérité des deux premiers, est alors considérable, décliné à l’envi par les peintres et les poètes, dans un dialogue fécond entre peinture et poésie, à l’instar de Bronzino (Portrait de Laura Battiferri, Florence, Palazzo Vecchio) ou Vasari. L’artiste qui évolue dans le contexte érudit de la cour, se doit aussi d’être lettré, et s’adonne bien souvent à l’écriture. Peinte ou chantée en vers, la dame aimée se distingue généralement par sa beauté idéale et éternelle, à l’image de la facétieuse jeune femme au livre d’Andrea del Sarto (Florence, Galleria degli Uffizi). § Andrea del Sarto (Andrea d’Agnolo, dit), Portrait d’une jeune femme au recueil de Pétrarque Vers 1528, Huile/bois, 87 x 69 cm Florence, Istituti museali della Soprintendenza Speciale per il Polo Museale Fiorentino, Galleria degli Uffizi Le portrait de cette jeune femme et celui de Laura Battiferri à ces côtés, ont un point commun : elles tiennent toutes deux le même ouvrage entre leurs mains. Le texte est lisible : il s’agit de sonnets extraits du célèbre recueil du Canzoniere – ou Chansonnier – de Pétrarque, dédié à son amour intemporel pour sa bien-aimée, Laure. Andrea del Sarto reprend ici la formule du portrait de trois-quarts. Vêtu de blanc et de bleu, le modèle porte dans les cheveux et sur la poitrine quelques brins de violettes, fleurs printanières, symboles du renouveau et de l’amour secret. Le regard insistant de la jeune femme, qui semble émerger de l’obscurité, rappelle un des fondements du Pétrarquisme, qui voit dans le regard la fenêtre de l’âme. Appris par cœur, recopiés et édités tout au long du 16e siècle, les sonnets du Chansonnier sont l’un des monuments littéraires de la Toscane. Par son doigt tendu vers le texte et par son regard, la jeune fille nous invite à nous identifier aux tourments de l’écrivain. § Bronzino (Agnolo di Cosimo, dit), Portrait de Laura Battiferri Vers 1555-1560, Huile sur bois, 83 x 60 cm Florence, Musei Civici Fiorentini, Museo di Palazzo Vecchio, Donazione Loeser Si le second portrait, réalisé par Bronzino, semble adopter la même formule, il s’en distingue nettement : d’abord parce que le modèle est ici connu. Il s’agit de Laura Battiferri, femme de lettres et épouse de l’architecte et sculpteur Bartolomeo Ammannati. Ensuite, son visage est tourné de manière à suggérer un profil de médaille. Pour beaucoup, ce profil évoque à dessein le visage de Dante, autre grand auteur florentin du 13e siècle. Il suffit pour cela de se référer au fameux portrait de ce dernier peint par Botticelli. Cette pose peut aussi être interprétée comme une volonté de la jeune femme de se soustraire au regard de l’observateur. Instaurant ainsi une distance, elle affirme une certaine effusion de son âme, qui fait écho aux thèmes du dédain et de la compassion décrits dans les sonnets qu’elle présente. § Francesco Salviati, (Francesco de’ Rossi, dit), Portrait d’un joueur de luth Vers 1529-1530, Huile sur bois, 96 x 77 cm Paris, Musée Jacquemart-André – Institut de France Parvenu en Europe à travers l’Espagne musulmane, le luth est un instrument à cordes pincées très en vogue à l’époque, joué par des musiciens professionnels comme par l’élite cultivée. Ce portrait de luthiste traduit l’importance de cet instrument, et de la musique en général, dans la culture florentine du 16e siècle. Les nombreux portraits de musiciens témoignent du prestige de ces artistes, courtisés avec assiduité par les princes. Ainsi le jeune luthiste représenté par Francesco Salviati est un musicien français, Jacquet du Pont, placé sous la protection du cardinal Giovanni Salviati, ce dont témoigne le décor princier qui l’entoure. Dans un riche intérieur orné de lambris et d’une tenture verte, le jeune homme porte un béret noir et un pourpoint sombre, dont les manches crevées révèlent une doublure rouge. Il joue, et la partition ouverte devant lui, reconnaissable aux liens dénoués sur le côté, représente une tablature de luth. Concentré, le musicien est en train de réaliser un accord difficile, en sol majeur en seconde position, de son luth ténor ou basse aux dimensions imposantes. Réservé à un public érudit, cet instrument aristocratique est intimement lié aux premières expériences de musique polyphonique abstraite. La noblesse du grand portrait La cour des Médicis suit les modèles des grandes monarchies européennes, d’autant plus après que deux de ses représentantes soient devenues reines de France. D’abord la fille de Laurent duc d’Urbin, Catherine, qui épouse Henri II en 1533. Puis Marie, fille de François Ier, mariée à Henri IV en 1600 comme l’officialise son portrait par Santi di Tito (Florence, Galleria Palatina). Cette effigie officielle insiste à la fois sur son statut de reine de France et de princesse toscane, ambassadrice de l’état florissant, des finances médicéennes, d’épouse et de future mère. Prompt à saisir l’air du temps, l’art du portrait s’est plié aux principes de convenance et aux exigences de dignité, de magnificence et de luxe toujours croissants à la cour de Florence. En particulier après l’arrivée d’Eléonore de Tolède en 1539, qui a durablement imposé la mode espagnole. Le portrait d’État est strictement codifié en termes rituels et répétitifs, insistant surtout sur les insignes du rang. Costumes, coiffures, et accessoires sont autant d’armures nécessaires pour endurer les batailles feutrées mais néanmoins cruelles de la diplomatie internationale. Les portraitistes actifs à la cour dans la seconde moitié du siècle étaient priés d’apporter un soin méticuleux à la figuration des détails somptuaires, comme l’atteste l’importante production de l’atelier de Santi di Tito. Dépourvus des codes de la représentation visuelle aulique et officielle qui s’imposent aux détenteurs du pouvoir, les portraits de courtisans se révèlent moins figés et dotés de références à leur personnalité, voire à leurs goûts et à leurs sentiments. Par ailleurs, 2 tendances se dessinent dans les effigies des dernières décades. D’une part l’affirmation du langage allégorique, et d’autre part le retour à une certaine simplicité dans la représentation des modèles et de leurs sentiments, à la faveur d’un certain naturalisme. C’est particulièrement vrai dans les portraits d’enfants, dont les Tito se font une spécialité. Enfin, l’art du portrait continue à se diffuser, y compris auprès de la bourgeoisie et de familles plus modestes. § Santi di Tito (et atelier) Portrait de Marie de Médicis 1600, Huile sur toile, 193,5 x 109 cm Florence, Istituti museali della Soprintendenza Speciale per il Polo Museale Fiorentino, Palazzo Pitti, Galleria Palatina Née en 1573, Marie de Médicis est la troisième fille de François Ier de Médicis et de Jeanne d’Autriche. Lorsque son père meurt empoisonné en 1587, la jeune orpheline est placée sous la tutelle de son oncle, le grand-duc Ferdinand Ier, et passe une enfance solitaire au Palais Pitti. Lorsque vient le temps de penser à ses noces, nul parti ne semble pouvoir rivaliser avec le roi de France Henri IV, qui vient fort opportunément d’obtenir l’annulation de son mariage avec la reine Margot. Cette toile de Santi di Tito et son atelier a été réalisée entre la signature du contrat de mariage en 1600 et la célébration des noces quelque temps plus tard à Florence, par procuration, en l’absence du roi de France. Ce portrait d’apparat se devait donc d’afficher l’envergure princière de la cour des Médicis, tout en confirmant la stature de reine de la jeune femme. Marie de Médicis est représentée dans un riche décor, aux côtés de la couronne des rois de France, décorée de fleurs de lys. Sur son somptueux manteau de velours noir, des lys blancs côtoient des œillets, référence explicite au mariage, tandis que quelques grenades mûres composent un symbole de fécondité, la nouvelle reine de France ayant pour mission suprême d’assurer une descendance au souverain français. La préciosité de sa mise doit par ailleurs illustrer sa richesse, Ferdinand Ier ayant alloué 600 000 ducats de dot à sa nièce. En ce début du 17e siècle, la Contre-Réforme catholique gagne du terrain, et le décolleté longtemps admis dans les cours d’Italie n’est plus de mise : une fraise en dentelle le remplace, tandis que le vertugadin soutenant la robe lui apporte sa raideur. Autour de la taille, Marie de Médicis porte un collier incrusté de pierres précieuses et de perles. Les dimensions monumentales du portrait achèvent de signer le statut élevé du modèle. § Santi di Tito , Portrait de Lucrezia (Emilia), fille de Niccolò di Sinibaldo Gaddi Vers 1565, Huile sur bois, 116.2 x 90.4 cm Collection particulière NL À partir de la seconde moitié du 16e siècle, la peinture florentine connaît une grande diversification de ses sujets. Les portraits d’enfants, autrefois représentés aux côtés de leurs parents, deviennent alors un genre à part entière. Cette évolution offre un prétexte à la description du monde rassurant de l’enfance, à travers la présence d’animaux de compagnie, de jouets, ou d’une gouvernante bienveillante. Appréciés de la famille grand-ducale comme de l’aristocratie florentine, les peintres Santi di Tito et son fils Tiberio se sont tôt fait une spécialité de ce « sous-genre ». La fillette représentée sur ce panneau a été identifiée comme la fille de Niccolo’ Gaddi, ambassadeur de Cosme Ier à Mantoue, considéré comme l’un des plus importants collectionneurs d’art de son temps. La sculpture sur piédestal, que l’on aperçoit derrière, laisse penser que ce portrait a été réalisé dans le célèbre jardin du Palazzo Gaddi, aujourd’hui détruit, à proximité de la galerie d’art du propriétaire. Selon les codes de l’aristocratie éclairée du 16e siècle, les collections de Gaddi comprenaient aussi des animaux exotiques, comme le perroquet que la fillette nourrit d’une grappe de raisin, ou encore la gerboise du désert, peinte sur la gauche, rongeur originaire d’Afrique du Nord. Les trois enfants de Gaddi – Lucrezia, Emilia et Sinibaldo – étant tous morts en bas-âge, la présence de ce rongeur a toutefois une connotation négative, et pourrait indiquer qu’il s’agit d’un portrait posthume. La fillette est d’ailleurs représentée dans une tenue d’apparat, sa coiffure délicate rappelant celle que Macchietti peindra plus tard dans sa Dame au bouquet de fleurs. Peut-être faut-il aussi y voir l’influence de la cour d’Espagne, à travers les célèbres portraits d’infantes de Velázquez.