Rapport d`une mission en France d`une semaine à l`Espace éthique

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Rapport d`une mission en France d`une semaine à l`Espace éthique
Rapport d'une mission en France d'une semaine à l'Espace éthique de
l'Assistance publique et Hôpitaux de Paris (AP-HP) 1
effectuée le 14 mars 2005
par Jocelyne Saint-Arnaud, Ph.D.
Professeure titulaire d'éthique
Chercheuse au Centre de recherche en éthique de l'Université de Montréal et au
Centre de recherche de l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal
Membre de l'IIREB
Le but de cette mission était de d'examiner l'histoire, la structure et le fonctionnement
de l'Espace éthique rattaché à l'Assistance publique et Hôpitaux de Paris (AP-HP)
pour répondre à la quête d'éthique présente dans les milieux de santé. Cette initiative
nous apparaissait comme une alternative ou un complément à nos comités d'éthique
cliniques (CEC) québécois qui, selon nous, ont peu d'impacts sur les pratiques
hospitalières où se présentent de nombreux problèmes d'éthique. Dans ce rapport,
nous allons dresser un portrait des comités d'éthique québécois en nous servant de
notre propre expérience de ces comités et des résultats d'une étude effectuée par
Marie-Hélène Parizeau en 1998. Puis, nous étudierons les caractéristiques de l'Espace
éthique à partir 1) du programme de l'année 2004-2005 de l'Espace éthique; 2) de
quatre entrevues semi-dirigées, deux effectuées sur place (guide d'entretien en annexe
I), l'une avec son directeur Emmanuel Hirsch, l'autre avec son adjoint, Marc Guerrier,
et deux autres entrevues effectuées à l'extérieur, l'une auprès de la professeure Anne
Langlois de l'Université de Paris 12, l'autre auprès de Véronique Fournier,
responsable du centre d'éthique clinique de l'Hôpital Cochin (AP-HP); 3) de
l'observation effectuée sur les lieux de l'Espace éthique, notamment dans le cadre de
trois cours suivis durant la semaine du 14 mars et de quelques visites effectuées au
Centre de documentation de l'Espace éthique. Enfin, nous tenterons de comparer les
structures des comités d'éthique clinique québécois et de l'Espace éthique, de même
que leurs fondements philosophiques réciproques, pour conclure sur l'opportunité de
retenir et d'intégrer certains aspects de l'expérience française à notre structure
d'éthique clinique.
I-Les comités d'éthique clinique québécois
Les premiers comités d'éthique clinique québécois datent de 1978. Ils se sont
multipliés à la fin des années 1980, notamment après la publication par l'Association
des hôpitaux du Canada en 1986 et de l'Association des hôpitaux du Québec en 1987,
de documents décrivant la composition et les fonctions d'un comité d'éthique. En
1989, ils sont au nombre de 53; 15 d'entre eux sont à la fois des comités d'éthique
clinique et des comités d'éthique de la recherche. En 1998, il y a 98 comités d'éthique
clinique, dont 10 sont à la fois des comités d'éthique clinique et des comités d'éthique
de la recherche. Les principaux thèmes abordés en ordre du plus grand nombre de
mentions sont: abstention et arrêt de traitement (13), niveaux de soins et ordonnance
de non-réanimation (12) consentement (8), inaptitude et rôle de la famille (8), relation
entre un usager et un intervenant (7), acharnement thérapeutique (5), refus de
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Je remercie l'IIREB pour l'obtention de la bourse qui m'a permis de réaliser cette mission. Je remercie
aussi le Professeur Emmaneul Hirsch, directeur de l'Espace éthique, et son sdjoint, le Dr Marc Guerrier,
pour leur accueil et leur disponibilité à répondre à mes nombreuses questions. Enfin, je remercie
Monique Audet pour la transcription des entrevues réalisées durant cette mission.
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traitement (4), alimentation et hydratation artificielles (4), comportement sexuel (4),
contention (2), allocation des ressources (2), usage de drogues à l'hôpital (2), sécurité
et droits des patients (2), immigration et racisme (2), stérilisation (1), pédophilie (1),
intensité des soins à domicile (1) et sida (1) (Parizeau, 1999).
Les tâches des CEC québécois s'inspiraient de celles des premiers CEC américains.
Ces derniers ont évolué au cours des ans et leurs tâches peuvent être maintenant
décrites de la manière suivante:
♦Formation du personnel hospitalier sur les principes et enjeux
éthiques dans les processus décisionnels (praticiens et
administrateurs)
♦Discussions pluridisciplinaires: clarification des valeurs,
priorisation et résolution de conflits
♦Recommandations d’allocation des ressources intra-hospitalière
♦Implication institutionnelle: expression de la position de l’hôpital
en lien avec sa mission, sa philosophie, son identité (lié au
caractère privé ou public, religieux ou non, etc..)
♦Formulation de politiques et de lignes directrices
♦Consultation: aide à la décision médicale (en regard de décisions
difficiles) pour les cas où les enjeux éthiques sont complexes
(Thomasma & Monagle, 1998)
Comme le tableau 1 l'indique, les activités des CEC québécois étaient plus limitées à
la même époque. En 1999, une majorité de comités effectuait de la formation et de la
consultation et environ le tiers proposait des recommandations ou des lignes
directrices.
Tableau 1- Rôle des CEC au Québec selon un Rapport d'enquête de 1999
(Parizeau, 1999)
Rôle
Formation
Consultation
Recommandations et lignes directrices
Résultats d'enquête
57/72
54/72
27/72
Bien que l'enquête de 1999 n'en fasse pas état, nous savons pertinemment que
plusieurs comités d'éthique clinique ont publié des lignes directrices sur différents
thèmes comme la réanimation cardio-pulmonaire, la dysphagie, l'alimentation
parentérale, le soin adapté, etc. Cependant, il avait peu ou pas d'implication des CEC
québécois au niveau institutionnel et peu d'entre eux étaient consultés ou avaient
travaillé sur le problème épineux de la répartition des ressources rares. Dans le
Rapport Parizeau (1999), deux comités avaient mentionné avoir travaillé sur cette
thématique.
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En fait, l'enquête de 1999 donnait peu d'indications sur les CEC qui menaient des
réflexions sur des thématiques sans que cette démarche ait été reliée à une demande
de consultation ou n'ait abouti à des recommandations ou à des lignes directrices. Or
plusieurs comités se donnaient pour mission de réfléchir à des thématiques éthiques,
selon les intérêts des membres ou après consultation des professionnels soignants et
administratifs de leur centre hospitalier.
Les problèmes reliés au fonctionnement des comités d'éthique clinique concernaient
en 1999 la formation des membres, la proportion des membres internes par rapport
aux membres externes, la rémunération des membres externes et le fait qu'environ le
tiers des CEC (27/72) étaient inactifs (Parizeau, 1999). Le problème majeur des CEC
québécois a été d'assurer leur pérennité. Il semble en effet qu'une fois que les
promoteurs se soient retirés, les membres internes ne soient plus en mesure d'assurer
un fonctionnement régulier des CEC. Selon La professeure Anne Langlois, une
situation similaire existe en France. De plus, l'impact de la rareté des ressources,
notamment en termes de personnels médical et infirmier durant les dix dernières
années aurait compromis le fonctionnement de certains comités (Entretien personnel
avec J. Fortin). Ces circonstances expliquent en partie le peu d'impacts qu'exercent les
comités d'éthique clinique dans le milieu hospitalier. Cependant, de nouvelles
formules s'implantent graduellement qui tiennent plus de l'accompagnement que du
counselling dans certains hôpitaux francophones, parallèlement à la pratique de
consultant qu'exercent des diplômés en éthique, particulièrement dans les hôpitaux
anglophones. De plus, au Québec actuellement, les conditions de renouvellement de
l'agrément des centres hospitaliers imposent l'existence sur place d'une structure en
éthique hospitalière. Les administrateurs des hôpitaux insistent donc pour que les
activités des CEC soient réactivées. Plusieurs des CEC inactifs sont donc à se
reconstruire.
II- L'Espace éthique de l'Assistance publique et Hôpitaux de Paris (AP-HP)
1- Historique
Dans l'histoire de la bioéthique en France, la loi de 1988, loi Hurriet, visant la
protection de sujets de recherche, marque une étape importante, puisqu'elle imposa la
création de comités indépendants pour l'examen des projets de recherche. Cette loi
définissait aussi la composition des nouveaux comités. Auparavant, il y avait des
comités composés surtout de médecins qui examinaient les projets de recherche. Il
s'agissait d'un processus d'autorégulation. Quand la loi fut promulguée, certains de ces
comités ont disparu, d'autres ont poursuivi des activités-conseils pour les soignants
rédigeant des protocoles de recherche, d'autres encore ont continué à se réunir pour
discuter de certains thèmes d'éthique hospitalière. La mission de ces comités n'a
jamais été clairement définie.
L'Espace éthique a été créé en 1995 par le directeur général de l'AP-HP Alain Cordier
qui souhaitait une structure institutionnelle encadrant la réflexion éthique dans la
quarantaine de sites hospitaliers de Paris et ses environs que regroupe l'AP-HP, ce qui
supprimait les petits comités devenus caducs depuis la loi de 1988. Deux autres
personnes ont été associées à la création et la mise en place de cette structure: il s'agit
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de Didier Sicard, l'actuel président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE)
et chef du service de médecine interne de l'Hôpital Cochin, et Emmanuel Hirsch,
philosophe impliqué de longue date dans des réflexions philosophiques sur l'éthique
du soin, notamment auprès des personnes atteintes de sida et des personnes en fin de
vie. À l'époque de la constitution de l'Espace éthique, ce dernier était investi dans une
carrière médiatique, notamment à France Culture où il produisait des émissions de
télévision liées aux questions de santé. Il s'est d'abord impliqué bénévolement dans
l'Espace éthique, puis en est devenu le directeur, poste qu'il occupe toujours. La
philosophie de base de l'Espace éthique a été grandement influencée par sa conception
de l'éthique hospitalière.
2- Philosophie de base
Les trois instigateurs de ce projet étaient d'accord sur le fait qu'un Réseau aussi
important que l'Assistance publique et Hôpitaux de Paris devait se doter d'une
structure, d'un lieu de réflexion se préoccupant de la question éthique. Ils ne
souhaitaient pas un comité réunissant des experts qui donnent des avis ou des conseils
selon la formule américaine, mais plutôt un lieu encourageant au partage et à la
discussion d'idées, d'expériences et de connaissances sur une base démocratique.
L'appellation Espace éthique traduit cette volonté de se démarquer de l'éthique
médicale traditionnelle pour favoriser l'éclosion d'une éthique hospitalière ouverte à
tous les intervenants de la santé et prenant source dans la réflexion des intervenants
sur leur propre pratique.
Comme l'écrit E. Hirsch:
La démarche éthique ne peut se concevoir que dans la perspective
d'une réflexion en situation, portant sur des pratiques considérées
comme un engagement singulier, continu, et nécessairement partagé
par les professionnels de la santé dans le cadre d'une collégialité. Cette
perspective n'est ni compatible avec l'idée d'un assujettissement des
décisions à des processus interventionnistes, ni avec l'idée selon
laquelle l'éthique professionnelle se réduirait à l'examen assisté de
situations spécifiques en contexte de crise (Hirsch, 2004, p. 4).
Dans la philosophie de l'Espace éthique, ce sont les soignants qui sont habilités à
réfléchir aux questions d'éthique se posant dans leur pratique et à trouver leurs propres
solutions. C'est la responsabilité morale de chaque acteur hospitalier qui est la base
légitime d'une démarche éthique dans la structure de l'Espace éthique. Comme tout
recours à l'expertise éthique est rejeté, de même que tout dispositif normatif, la
responsabilité éthique étant remise aux soignants, aux administrateurs et aux
personnes oeuvrant en milieux hospitaliers, le rôle de l'Espace éthique est de fournir
des outils, notamment des outils conceptuels pour réfléchir à la manière de répondre
adéquatement aux exigences d'une pratique éthiquement responsable. Les besoins des
intervenants de la santé sont reliés à une formation adéquate, à des structures facilitant
cette formation, à des soutiens méthodologiques, logistiques ou documentaires, qui
leur permettront de se donner leurs propres normes.
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3- Formation
Pour remplir la mission de formation, une entente fut finalisée entre le directeur,
Emmanuel Hirsch, et le Centre de formation continue à l'interne (CF). Ce fut un
premier partenariat, qui fut suivi par d'autres, notamment avec l'université de Marnela-Vallée en vue d'offrir une formation en philosophie éthique aux professionnels de la
santé. Marc Guerrier et Emmanuel Hirsch ont souligné comment il était très novateur
d'introduire l'enseignement de l'éthique en France, où nombreux étaient ceux qui
considéraient que l'éthique ne s'enseigne pas (Entretiens avec Marc Guerrier et
Emmanuel Hirsch). Par la suite, un partenariat avec l'université de Paris-Sud 11, a
permis à l'Espace éthique de l'AP-HP d'offrir des programmes de formation en éthique
s'adressant aux professionnels de la santé en exercice et conduisant à l'obtention de
certificats, d'un diplôme d'université (DU) intitulé Éthique et pratiques de la santé et
des soins ou d'une maîtrise (Master) intitulée Éthique, science, santé et société.
Actuellement, il y a 60 étudiants inscrits au Master et 40 inscrits au DU. La demande
est plus grande, mais le nombre de places a dû être limité. Aux étudiants inscrits dans
un programme, s'ajoutent des auditeurs libres.
L'originalité de la formation offerte réside dans sa multidisciplinarité et dans son
approche thématique. Des professeurs éminents viennent entretenir les étudiants d'un
philosophe qui a traité un thème pertinent à l'éthique hospitalière, comme la douleur,
la mort, la souffrance; des experts de différentes disciplines ou d'organismes reconnus
pour leurs travaux en éthique de la santé viennent exposer leur approche, la méthode
utilisée, le contenu de Lignes directrices ou leurs résultats de leur recherche en éthique
de la santé. Les personnes inscrites à ces diplômes sont des professionnels de la santé,
surtout des médecins, des infirmières et des aides soignantes. Il y a aussi du personnel
cadre, des bénévoles et des personnes qui sont tout simplement intéressées à réfléchir
au sens de leur pratique. Pour avoir assisté à trois des cours donnés durant la semaine
du 14 mars, ils monopolisent une forte assistance et les questions posées indiquent un
intérêt manifeste de la part de l'auditoire. Pour bon nombre d'étudiants, l'inscription
dans des programmes d'étude en éthique a changé la perception qu'ils ont de leur
pratique.
3.1- Contenu des enseignements
Le programme des activités de l'Espace éthique et les cours offerts sont présentés sur
le site web de l'Espace éthique: www.espace-ethique.org.
Les cours offerts sont les suivants:
Philosophie
Philosophes et histoire de la philosophie
Fondements philosophiques et histoire de la démocratie
Fondements de la philosophie anglo-saxonne
Éthique et doctrine philosophique de l'Antiquité
Philosophie: lecture de grands textes
Éthique
Origine et développement de l'éthique
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Fondements philosophiques de l'éthique médicale
Éthique et sagesse stoïciennes
Éthiques orientales
Philosophie morale
Concepts de la philosophie morale
Approche pratique de la morale
Anthropologie et sociologie de la santé
Anthropologie de la douleur et de la maladie
Anthropologie de la maladie
La mort aujourd'hui
Sociologie hospitalière et du soin
Éthique des pratiques de la santé des soins et de l'institution hospitalière
Éthique et pédiatrie
Autonomie, droits et soins du grand âge
Épistémologie
Histoire, éthique et politique de la médecine et des sciences biomédicales
(XIXième et XXième siècle)
Épistémologie du raisonnement scientifique
Épistémologie, philosophie des sciences
Éthique, science et recherche
Approches pratiques de l'éthique de la recherche
Éthique, science et démocratie
Éthique, science et communication scientifique
Socio-anthropologie de la recherche
Implications éthiques des avancées conceptuelles de la biologie
Éthique et biotechnologies
Droit, déontologie, législation
I. Éthique et droits de l'Homme
II. Approches pratiques de l'éthique du droit
Approches législatives et juridiques des pratiques hospitalières et du soin
Les enseignements universitaires s'effectuent dans le cadre des champs énumérés plus
haut. Les grandes thématiques et les cours qu'elles incluent correspondent à des
programmes menant à des certificats. Le programme de diplôme d'université (DU)
définit des unités d'enseignement (UE) obligatoires et d'autres optionnelles parmi les
cours offerts. Les étudiants peuvent poursuivre ensuite au niveau d'une maîtrise selon
quatre profils: Éthique des pratiques de la santé, des soins et de l'institution
hospitalière; Éthique des pratiques de la recherche scientifique; Recherche en éthique;
Éthique, déontologie et responsabilités médicales. Une filière Éthique des pratiques en
psychologie et psychopathologie clinique est aussi offerte.
À ces cours, s'ajoutent des Séminaires universitaires de recherche, incluant 1)
Introduction aux questions d'éthique à l'hôpital, 2) Communication, technique et
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éthique, 3) Processus décisionnels dans les pratiques médicales, 4) Approches de la
réflexion éthique du CCNE 5) Staffs d'éthique hospitalo-universitaire.
S'ajoutent aussi des ateliers de réflexion. Au programme 2004-2005, trois ateliers sont
inscrits: 1) Pratiques hospitalières et valeurs démocratiques, 2) L'enfant atteint de
cancer: enjeux éthiques, 3) Éthique et mucoviscidose.
4- L'Observatoire éthique et soins hospitaliers
4.1- Groupes de réflexion
Parallèlement à la formation, des groupes de réflexion se sont formés pour réfléchir
sur des thèmes. Ces groupes proviennent d'initiatives des milieux de soins. Des
personnes se préoccupent de certains problèmes d'éthique, comme par exemple
l'annonce d'un diagnostic d'atteinte sévère ou la pratique de la trachéotomie chez les
enfants, et l'Espace éthique les encourage à regrouper des personnes intéressées à
mener une réflexion sur le sujet, à trouver des références pertinentes, à inviter des
personnes ressources, à produire des documents. Certains de ces thèmes donneront
lieu à des colloques, à des publications écrites ou informatisées. Dans cette démarche,
l'Espace éthique apporte un soutien. Le directeur accompagne certains groupes de
réflexion et le centre de documentation offre aux étudiants et aux professionnels qui le
veulent des références appropriées. Outre des ouvrages classiques en éthique, on peut
y trouver des ouvrages de référence en éthique de la santé, des ouvrages de bioéthique,
des publications pertinentes au domaine d'étude, des revues scientifiques, des
mémoires et des thèses en éthique de la santé.
Un premier groupe de réflexion avait réuni des personnes de différentes disciplines en
position d'autorité dans leur domaine pour travailler autour d'une problématique avec
un ou deux experts. Des discussions avaient suivi les exposés des experts. Ce groupe
se réunissait tous les deux ou trois mois. Les entretiens étaient enregistrés et ont été
publiés dans Espace éthique. Éléments pour un débat. Travaux 1995-1996, 1997.
D'autres groupes multidisciplinaires plus restreints, réunissant 7 à 15 personnes, se
sont créés sur des sujets plus spécialisés comme éthique et pédiatrie, éthique et
citoyenneté, éthique du soignant en chambre funéraire…Cette année quatre ou cinq
groupes sont en marche. Cette manière de faire de l'éthique était très innovante dans le
contexte français. Non seulement elle enrichit l'enseignement en exposant la
perception que les intervenants avaient des enjeux éthiques reliés à leur pratique, mais
encore elle ouvrait des pistes pour la recherche en éthique de la santé.
Cette initiative se définit comme un observatoire des pratiques en milieux hospitaliers.
Ainsi conçu l'hôpital n'est plus un vase clos. Des réflexions de groupes sont nées de
véritables collaborations non seulement entre hôpitaux et universités, mais aussi entre
différents domaines intéressés à des thématiques communes. Ainsi, des travaux ont été
amorcés depuis trois ans avec le tribunal de première instance de Paris, notamment sur
l'euthanasie, qui ont donné lieu à un débat ouvert au public et à une publication:
Médecine et justice face à la demande de mort sous la direction de E. Hirsch et J.C.
Magendie.
7
4.2- Recherche
Le terme recherche dans le cadre des activités de l'Espace éthique ne se limite pas à la
recherche empirique. Il regroupe les réflexions et recherches d'ordre conceptuel
menées par les groupes de réflexion et dont un grand nombre a abouti à des
publications (voir au paragraphe 5 du présent rapport). Dans le domaine de la
recherche empirique, plusieurs études ont été effectuées. L'enquête nationale 2003
Éthique et pratiques hospitalières mérite d'être mentionnée. Elle a été réalisée par
l'Observatoire éthique et soins hospitaliers de l'Espace éthique AP-HP avec la
collaboration du Département universitaire de recherches en éthique Paris-Sud 11, la
Fédération hospitalière de France, le Laboratoire d'éthique médicale, de droit de la
santé et de santé publique de la faculté de médecine Necker et, finalement, de l'Espace
éthique méditerranéen de l'Assistance publique et Hôpitaux de Marseille (AP-HM),
avec l'appui de la Commission européenne. Les résultats de cette enquête auprès de
745 répondants du domaine de la santé (taux de réponses de 15%), particulièrement
des médecins (45%), ont permis de dresser un tableau des perceptions de l'éthique
hospitalière par les répondants, de la diversité des approches de l'éthique dans le
contexte hospitalier public, de constituer un Répertoire national des ressources
régionales en éthique. Les résultats ne prétendent pas à la représentativité pour
l'ensemble des professionnels du soin en France, mais par leur richesse, ils donnent
des indications précieuses sur la pratique de l'éthique en milieux hospitaliers publics.
Parmi les répondants, 27 % participent aux activités d'une instance en éthique, ce sont
majoritairement des administrateurs; 35 % ont suivi une formation en éthique, ce sont
majoritairement des médecins. De plus, 16,1% des répondants sont des formateurs
dans le domaine de l'éthique et 74,2 % d'entre eux ont reçu une formation en éthique.
Parmi ceux qui ont reçu une formation en éthique, 60% ont un diplôme (DIU, DU
DEA ou doctorat) et 21% ont été formés par des conférences, colloques ou autres
modules. Les professionnels oeuvrant en soins palliatifs sont les plus formés en
éthique. Selon les répondants, le contenu du diplôme devrait idéalement être en
philosophie (27,6%), en droit (17,3%), en sciences humaines (13,8%), en bonnes
pratiques cliniques (10,9%) et en études multidisciplinaires (6,6%). Une question
ouverte portait sur ce qu'on attend idéalement d'une personne compétente en éthique.
Les résultats apparaissent au tableau suivant:
8
Tableau 2- Compétences en éthique
Attentes d'une personne compétente en éthique
Capacités relationnelles (écoute, échange, disponibilité)
Facultés de conceptualisation(démarche rationnelle, objectivité,
généralisation)
Qualités parmi les suivantes: bon sens, sagesse, avoir les pieds sur terre,
adaptabilité à la société, avoir de l'humanité
Connaissances
Application à la pratique hospitalière des principes éthiques,
aide à la décision dans des cas difficiles
Expérience
Capacité à former, sensibiliser, diffuser des connaissances
Apport de type normatif
Compétence intuitive de chacun
%
71,6
37,6
26,8
26,7
19,9
12,9
8,3
6,1
5,5
D'après le tableau 14, Enquête nationale 2003 Éthique et pratiques hospitalières,
Hors-série/1, Espace éthique. Collection, AP-HP, 2004, p. 20
En termes de textes de référence, on cite par ordre d'importance: les règles
professionnelles et la déontologie (39,4%), des textes provenant de la philosophie, de
l'épistémologie, de la sociologie, des sciences humaines (Aristote et Kant sont souvent
cités) (35,9%), des textes légaux (32,1%), la Chartre du patient hospitalisé (17,4%),
des textes relatifs aux traditions religieuses (13%) et les recommandations des
instances consultatives (7,5%). Il est intéressant de constater que les recommandations
ou lignes directrices sont jugées de moindre importance par les répondants.
Pour savoir pourquoi l'éthique hospitalière s'avère nécessaire, 16 items étaient
mentionnés dans une question fermée. Les items mentionnés le plus souvent figurent
dans le tableau suivant:
Tableau 3- Nécessité de l'éthique hospitalière
Ce qui rend l'éthique hospitalière nécessaire
Recherche médicale et innovation thérapeutique
Prise en charge des personnes lors de situations extrêmes
Difficulté de la décision au quotidien
Cadre de bonnes pratiques
Nature de l'exercice du soin
Difficultés relatives à la communication, l'information et l'annonce des
diagnostics
Importance des préoccupations juridiques et judiciaires
%
92,2
91,9
91,0
87,2
85,8
85,1
77,9
9
Ce tableau est tiré du tableau 16, Enquête nationale 2003 Éthique et pratiques
hospitalières, Hors-série/1, Espace éthique. Collection, AP-HP, 2004, p. 22.
La principale difficulté identifiée par les répondants pour la mise en œuvre d'une
éthique hospitalière est le manque de temps et de motivation (28,8%), suivi du manque
de communication, de consensus, de sens commun, de repères et la présence de
conflits de valeurs (27,6%). Les solutions les plus souvent mentionnées sont des
formations en éthique (29,3%) et la promotion des instances locales (15,8%).
Les résultats de cette enquête constituent une première phase de repérage et d'étude
des diverses approches en éthique. Ils ont permis de consolider certaines orientations
déjà présentes à l'Espace éthique en termes de recherche et d'enseignement et ils
donnent des indications précieuses sur les besoins des soignants et du personnel
hospitalier. Une autre enquête est en cours et porte sur l'enseignement de l'éthique dans
les instances universitaires et les écoles d'infirmières.
5- Publications
Éditions Espace éthique/AP-HP-Doin
Espace éthique. Éléments pour un débat. Travaux 1995-1996, 1997.
Droits de l'Homme et pratiques soignantes, 1998 (2ième édition 2001)
La relation médecin/malade face aux exigences d'information
L'Annonce du handicap, avec la Mission Handicaps/AP-HP, 1999
Pratiques hospitalières et lois de bioéthique, 1999
Éthique et soins hospitaliers, Travaux 1997-1998, 2001
Annonces anténatale et postnatale du handicap, avec la Mission Handicaps/AP-HP,
2001
Collection Espace éthique/AP-HP
Santé publique et droits de l'homme sous la dir. du Pr Jonathan Mann, 1997
Greffe de moelle osseuse en pédiatrie. Approches éthiques, 2002
Mon enfant va recevoir une allogreffe de moelle, 2003
Information et cancer. Premier atelier de réflexion éthique et cancer
Enquête nationale annuelle 2002-2003, éthique et pratiques hospitalières
Transplantation pulmonaire avec donneurs vivants: quels enjeux aujourd'hui?
Vieillesses méconnues. Enjeux éthiques de la crise d'août 2003
Médecine et justice face à la demande de mort
Soigner après la mort. Pratiques en chambres mortuaires
L'annonce du handicap à l'adolescence, 2005
Les publications tirées à 3000 exemplaires sont effectuées maintenant par l'éditeur
Vuibert. À titre d'exemple, la publication de juin 2004 intitulée Face aux fins de vie et
à la mort. Éthique et pratiques professionnelles au cœur du débat, regroupe 80
présentations provenant en très grande majorité des professionnels de la santé et
présente un véritable état des lieux sur la fin de la vie en milieux hospitaliers 2 .
2
E. Hirsch (sous la dir. de) (2004). Face aux fins de vie et à la mort. Éthique et pratiques
professionnelles au cœur du débat. Paris: Vuibert, 304 p.
10
6- Structure et rayonnement de l'Espace éthique de l'AP-HP
L'espace éthique a un lien administratif et financier avec l'AP-HP. En fait, son
fonctionnement est assuré par des fonds provenant de l'AP-HP. Les locaux, c'est-àdire quelques bureaux, un centre de documentation et une salle de cours pouvant
contenir environ 75 personnes, constituent le lieu physique de l'Espace éthique qui se
trouve dans les anciens bâtiments sur le site de l'Hôpital St-Louis. Peu de personnes y
ont un poste administratif: un directeur, un adjoint, une personne à la coordination des
enseignements, notamment des inscriptions, et des bénévoles. Les réussites de
l'Espace éthique en matière d'enseignement et d'initiatives provenant du milieu de la
santé sont évidentes. Le nombre d'inscription à la hausse et des entretiens avec
quelques étudiants indiquent leur très grande satisfaction. Quant aux groupes de
discussion, ils ont permis à différents professionnels de la santé de mieux s'impliquer
dans leur milieu et, dans certains cas, de faire changer certaines pratiques et de
promouvoir la recherche en éthique. L'Espace éthique partage des projets de recherche
avec la Communauté européenne et l'Afrique. Le succès de l'Espace éthique est
confirmé par la nouvelle loi du 6 août 2004 recommandant la création d'Espaces
éthiques régionaux qui seront chapeautés par le CCNE. Les conditions d'application
de la loi seront précisées dans un décret.
7- Limites de l'Espace éthique
Les limites de l'Espace éthique sont liées à sa mission et à sa philosophie de base qui
s'appuient essentiellement sur la responsabilité des personnes en matière de
normativité. Selon cette approche, il est inconcevable pour une instance comme
l'Espace éthique de faire de la consultation et d'aider à la décision, particulièrement en
situations de crise. Il ne s'agit pas d'un centre d'expertise, mais essentiellement d'un
centre de formation, de recherche et de réflexion. Dans cette conception de l'éthique,
les véritables experts sont ceux qui sont investis dans les milieux et c'est à eux à
prendre leur responsabilité à l'égard des questions éthiques. Il en ressort une
conception de l'éthique hospitalière différente et plus large que l'éthique clinique,
dépassant, sans nécessairement inclure, la perspective décisionnelle du cas par cas,
chère aux approches casuistiques américaines. L'Espace éthique se refuse en effet à
prodiguer des conseils et à intervenir en situation de crise. Son approche est l'envers
de celle du consultant en éthique au profit d'un investissement personnel des
intervenants dont la formation est la clé de voûte. Comme l'écrit Marc Guerrier (2005),
«L'enseignement de l'éthique ne doit pas être confondu avec l'enseignement de
l'éthique clinique comme méthode. L'apprentissage d'une méthode décisionnelle ne
représente en effet qu'une surface, dont la compréhension implique que l'on connaisse
ses fondements».
L'entretien avec Emmanuel Hirsch laisse entrevoir des limites à la reproductibilité du
modèle original qui a été créé il y a maintenant dix ans. Selon la loi d'août 2004, six
Espaces éthiques régionaux doivent être mis en place, mais d'après Emmanuel Hirsch,
l'Espace éthique de l'AP-HP n'est pas reproductible, parce que se sont les personnes
qui le font. Il se refuse à reconnaître un caractère institutionnel à l'Espace éthique.
III- Le Centre d'éthique clinique de l'AP-HP
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Une autre instance éthique a été mise en place en 2002 à titre de projet pilote à
l'Hôpital Cochin qui fait aussi partie du Réseau de l'AP-HP. Il s'agit du Centre de
consultation en éthique clinique sous la direction de Véronique Fournier, cardiologue
et médecin de santé publique. Cette dernière s'est formée à l'éthique clinique auprès de
Mark Siegler à Chicago et elle utilise une méthode casuistique pour répondre à des
demandes d'aide à la décision. Des partenariats avec des équipes de sciences
humaines ont été finalisés, notamment avec le département en droit médical de
l'Université de Paris V, le Centre de recherche CNRS en sociologie et la Chaire de
philosophie des sciences biologiques et médicales du Collège de France.
Ce projet se reconnaît une double filiation: d'une part, l'éthique médicale,
préoccupation toujours présente dans la pratique, d'autre part, une demande de la
population, exprimée dans les États généraux de la santé (1998-1999) pour une
reconnaissance du malade comme personne et comme partenaire dans la décision de
soin (Fournier, 2003). L'instance actuelle répond à des demandes d'aide de toute la
France, traitant chaque cas au mérite. Après un an d'exercice, les demandes
provenaient, pour un tiers, des patients ou des proches et, pour les deux tiers, des
médecins. Les sujets traités ont été : la fin de vie: euthanasie, stratégie thérapeutique
ou acharnement thérapeutique, l'accès à l'assistance médicale à la procréation, la
transplantation à partir d'organes de donneurs vivants, l'accès aux tests génétiques…La
structure prend la forme d'une unité hospitalière et la démarche conduisant à la
formulation des avis s'effectue selon le modèle de l'intervention clinique. La demande
de consultation est recevable 24 heures sur 24 et s'effectue généralement par
téléphone. Conscients que certains avis sont attendus dans des délais très courts, une
équipe de consultants va instruire la demande sur place. La première étape consiste à
recueillir les éléments essentiels à la construction de l'observation éthique du cas. Elle
s'effectue en rencontrant les parties prenantes à la décision et en soumettant les
données recueillies à une grille d'analyse validée. Les consultants identifient les
éléments et arguments avancés de part et d'autre, de quel ordre ils sont, leur poids du
point de vue des protagonistes et s'attachent à clarifier les motivations. Ces éléments
seront examinés par le staff d'éthique clinique, réunion bimensuelle, voire
hebdomadaire, qui réunit pour moitié des soignants (soins palliatifs, réanimation
néonatale, cancérologie, transplantation, psychiatrie), pour moitié des experts en
sciences humaines et sociales (philosophes, juristes, sociologues, psychanalystes,
économistes de la santé, historiens de la médecine, membres pour la plupart des
structures partenaires du Centre). La rencontre se déroule en trois temps: 1) exposition
des éléments d'observation, tels que recueillis par les consultants, 2) identification des
questions éthiques soulevées par les éléments précédents, 3) tour de table où chacun
expose sa position éthique, en utilisant notamment les principes d'éthique biomédicale.
Les membres du staff sont invités à des formations en éthique sous forme de
séminaires d'une durée de 3 jours à tous les deux mois. Chacun des séminaires
comporte deux volets, un volet clinique et un volet éthique, approfondis selon des
approches théoriques et pratiques, sur des sujets comme la responsabilité éthique,
l'éthique de la fin de vie, les éthiques de la justice. Les membres du staff doivent
obligatoirement suivre ces formations pour participer aux réunions bimensuelles.
IV- Des approches complémentaires
Selon le directeur de l'Espace éthique, les deux approches, celle de l'Espace éthique et
celle du Centre d'éthique clinique sont inconciliables. En effet, l'une se fonde sur la
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responsabilité éthique des soignants et administrateurs, leur fournissant des outils pour
que ces derniers se donnent leurs propres normes. L'autre ( aide à la prise de décision
et formulation des avis) suppose l'implication d'experts qui auront un impact normatif
sur la prise de décision. La première approche mise sur le long terme et sur l'initiative
des principaux acteurs hospitaliers, la deuxième intervient dans des situations critiques
pour lesquelles un avis doit être produit dans un cours laps de temps. On constate
cependant que ces approches ont en commun de considérer essentielle la formation en
éthique, tant pour les professionnels de la santé et les cadres que pour les membres
d'instances en éthique clinique. Les instances françaises insistent sur la nécessité d'une
formation en éthique et prennent les moyens pour combler les besoins en cette matière.
De manière générale et dans le cadre de l'aide à la décision en éthique clinique, on
ouvre la porte aux sciences humaines, sans se restreindre à l'adjonction d'experts en
droit et en éthique comme dans le modèle anglo-saxon. De plus, l'Espace éthique (APHP) fait une place importante à la réflexion et à la formation philosophiques comme
fondement de la décision en éthique de la santé. En ce sens, l'approche française
rejoint les aspirations de Rensselear van Potter, l'oncologue qui a revendiqué la
paternité du terme bioéthique et qui envisageait une nouvelle discipline réunissant
science et philosophie. Suivant van Potter, la bioéthique concerne la «compréhension
des relations établies par notre cerveau pensant entre le savoir biologique (entendu au
sens large comme le savoir sur le vivant) d'une part, et la conscience sociale et
philosophique, d'autre part» (Potter, 1975). Il s'agissait d'un programme ambitieux et
pourtant nécessaire pour répondre aux problèmes que posent les avancées scientifiques
et technologiques dans le domaine biomédical. Potter (1975) entrevoyait cette visée
en terme cybernétique comme le savoir portant sur l'utilisation du savoir pour la survie
humaine et pour l'amélioration de la condition humaine.
Certains résultats d'enquête sur les compétences en éthique effectuée par l'Espace
éthique de l'AP-HP, notamment le fait que la compétence la plus haut cotée est celle
de capacités relationnelles d'écoute, d'échange et de disponibilité, indiquent que les
connaissances ne sont pas ce qui est jugé primordial, mais plutôt des qualités humaines
relationnelles qui peuvent être rattachées aux approches de caring développées en
sciences infirmières ou aux approches humanistes en psychologie et qui devraient être
cultivées par tout soignant. En fait, les approches rationnelles développées en éthique
clinique sont nécessaires pour apporter des solutions aux problèmes d'éthique en
cause, mais elles ne sont pas suffisantes. Ainsi, l'approche par principes, qui fait la
promotion, notamment du respect de l'autonomie de la personne, est utile, mais ce
n'est pas ce qui peut révolutionner un système de santé qui ne place pas toujours le
patient au centre de la relation de soin. D'une part, une éthique hospitalière s'adressant
à tous les professionnels de santé s'avère une option de plus en plus valorisée tant en
France qu'aux États-Unis si on se réfère aux plus récentes publications dans le
domaine. D'autre part, une plus grande ouverture aux sciences humaines et surtout à la
philosophie, permet de mieux intégrer la perspective humaniste et transdiciplinaire
dans la réflexion, sachant que la nature des problèmes à résoudre incite à une approche
qui ne saurait se limiter aux faits d'ordre scientifique et aux normes établies.
En fait, tant les sciences de la santé que les sciences humaines sont nécessaires à une
réflexion sur les enjeux éthiques présents dans la pratique hospitalière (ou autre
pratique de la santé, notamment en santé communautaire). Et, jusqu'à l'avènement de
la médecine expérimentale au XVIIème, la philosophie avait été la discipline synthèse
de toutes les sciences. C'est à une nouvelle forme de synthèse qu'appelle la réflexion
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philosophique et éthique dans le domaine de la santé. Cette nouvelle synthèse sera
transdisciplinaire, c'est-à-dire qu'elle tiendra compte à la fois des expertises
disciplinaires de type scientifique et des valeurs, normes et principes éthiques, pour
préserver la dignité humaine dans les processus d'intervention et de recherche en santé.
V- Conclusion et recommandations
Nous en concluons que les approches développées par l'Espace éthique et le Centre
d'éthique clinique de l'AP-HP sont nécessaires et que l'importance qu'elles accordent
toutes deux à la formation selon différentes formules devrait inspirer le Québec
puisque le manque de formation des membres des comités d'éthique constituait une
des principales failles des CEC québécois en 1999 et rien ne nous indique que les
choses auraient changé depuis. Nous recommandons donc une combinaison des deux
approches dans la création de nouvelles instances en éthique hospitalière. Ces
nouveaux centres viseraient à une meilleure intégration de l'éthique aux pratiques
sanitaires et administratives. Parallèlement à la consultation, des discussions de cas
types et des journals clubs alliant les aspects cliniques et éthiques, pourraient faire
avancer la réflexion sur des enjeux éthiques récurrents dans les pratiques et inciter à la
formulation par les équipes de soin de lignes directrices portant sur les pratiques en y
incluant la dimension éthique. Des personnes ressources pourraient accompagner les
équipes qui souhaiteraient réfléchir à des problèmes d'éthique dans leur pratique. Ces
démarches devraient être appuyées par la création de centres de documentations en
éthique intégrés aux bibliothèques hospitalières que les professionnels pourraient
consulter sur place; s'ajouteraient à cela des sites web où il pourrait y avoir des
échanges et des textes de références essentiels aux discussions. Des fins de semaines
de formation devraient être offertes durant lesquelles des experts du droit de la santé,
de l'éthique et des relations humaines animeraient des séminaires au cours desquels les
participants, soignants de toute discipline et administrateurs, apporteraient leur propre
expertise. Enfin, le département de philosophie de l'Université de Montréal devrait
être sollicité pour la création de certificats en épistémologie des sciences de la santé,
en éthique de la santé et en étude des grands textes philosophiques portant, entre
autres, sur la mort, la souffrance, la maladie.
De cette mission à l'Espace éthique de l'Assistance publique et Hôpitaux de Paris, nous
retenons principalement l'importance d'une étude des fondements philosophiques à la
prise de décision et la nécessité d'une meilleure intégration de l'éthique à la pratique de
la santé. Pour cela des formations en éthique est essentielle pour les soignants et
administrateurs. Sans cela, l'éthique décisionnelle aura tendance à se restreindre à
l'application des normes imposées par lois et le droit de la santé.
Références
Espace éthique AP-HP. Servir les valeurs du soin. Programme 2004/2005.
Espace éthique AP-HP (2004). Enquête nationale 2003. Éthique & pratiques
hospitalières. Hors série/1
Fournier V. (2003). Les enjeux éthiques d'un centre expérimental d'éthique clinique.
La revue du praticien 53, 2209-2212.
14
Guerrier M. (2005). L'éthique clinique en débat. Médecine/Sciences 21, 330-333.
Hirsch E. (2004). Une certaine conception du bien commun. Éditorial. dans Espace
éthique: Servir les valeurs du soin Programme 2004-2005, AP-HP, 3-5.
Hirsch E. (sous la direction de) (2004). Face aux décisions de fin de vie et à la mort.
Éthique et pratiques professionnelles au cœur du débat. Paris: Vuibert.
Parizeau M.-H. (sous la direction de) (1995). Hôpital & Éthique. Rôles et défis des
comités d'éthique clinique. Sainte-Foy (Qc): Les Presses de l'Université Laval.
Parizeau M.-H. (1999). Rapport d'enquête concernant les activités des comités
d'éthique clinique et des comités d'éthique de la recherche au Québec. Ministère de la
santé et des services sociaux (MSSS), Gouvernement du Québec.
Thomasma D.C. & Monagle J.F. (1998). Hospital ethics committees: Roles,
memberships, structure, and difficulties. Health Care Ethics. Critical Issues for the
21st Century. Gaitherburg (Maryland): An Aspen Publication, 460-470.
van Potter R. (1971). Bioethics Bridge to the Future. Englewood Cliffs: Prentice Hall.
van Potter R. (1975). Humility with responsibility – A bioethic for oncologists:
Presidential address. Cancer Research 35: 2297-2306.
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Annexe I
Guide d'entretiens
Structure et fonctionnement de l'Espace éthique
-
-
Y a-t-il une permanence administrative?
Comment est-elle assurée?
De qui est-elle composée? Un directeur, un adjoint…
Quel est le rôle de chacun?
Quelles ont les principales fonctions assumées par l'Espace éthique? Grands
pôles de ses activités: formation, réflexion, consultation, politiques, ressources
rares
Quels sont ses objectifs?
Quelle est la philosophie de l'Espace éthique?
Quels sont ses partenaires? Hôpitaux, universités, groupes communautaires
Comment est-elle financée? État et autres
Qui participent aux différentes activités? Médecins, infirmiers, public?
Qu'est-ce qui fonctionne très bien?
Qu'est-ce qui fonctionne moins bien?
Planifiez-vous des modifications dans l'avenir? Lesquelles et pourquoi?
Origine
-
-
À quels besoins répondait la création de l'Espace éthique? Nouveaux
problèmes liés à l'avancement des sciences et des techniques dans les choix
s'offrant en début de vie, obstination déraisonnée dans l'utilisation des
techniques, euthanasie, limites de ressources, meilleure considération du
patient…..
Quels étaient les objectifs de départ?
Quelle était la philosophie qui a servi de fondement à l'élaboration de l'Espace
éthique?
Quelles ont été les barrières rencontrées?
Ces barrières sont-elles toujours présentes?
En dix ans, cette approche (fonctionnement, objectifs et philosophie) a-t-elle
été modifiée?
Quels sont les objectifs que vous considérez avoir atteints?
Quelles sont les limites de cette approche?
Quels sont les avantages et les inconvénients de cette approche par rapport à
l'institution de comités d'éthique clinique?
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