Compétition internationale de longs métrages

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Compétition internationale de longs métrages
Fe s t i v a l i n t e r n a t i o n a l d e c i n é m a j e u n e s p u b l i c s e n V a l - d e - M a r n e
Compétition internationale de longs métrages
13
TIR
Ruxandra Zenide
De nationalité
suisse et
roumaine,
Ruxandra Zenide
est née en 1975 à
Bucarest. Après
une
licence en
Relations
Internationales à
Genève, elle suit le
programme d'une
année à la FAMU,
l'école de cinéma
de Prague où elle
réalise et produit
le court métrage
Dust. A l'image de
son premier film,
Green Oaks, son
deuxième court
métrage, remporte
de nombreux prix
à travers le
monde. Ryna est
son premier long
métrage.
A
PA R
Suisse/Roumanie / 2005 / 1h33 / 35 mm / couleur /VOSTF
DE
Ryna
Delta du Danube, une petite ville isolée. Ryna, 16
ans, fille unique, est élevée comme un garçon.
Mais ce travestissement ne peut plus durer. La
jeune fille se dresse contre l'autorité paternelle
et suit ses propres aspirations. Elle apprendra à
ses dépens le prix de la liberté dans une société
ancrée dans ses traditions.
▼Point de vue
Réalisation
Ruxendra Zenide
Scénario
Marek Epstein
Directeur photo
Marius Panduru
Montage
Jean-Paul
Cardinaux,
Ioachim Stroe
Musique
Antoine Auberson
Interprètes
Dorothea Petre,
Valentin Popescu,
Mathieu Rozé,
Nicolae Praida,
Aura Calarasu,
Theodor Delciu
Production
Pacific Films,
Strada Film,
Navarro Films,
Elefant Films
Association Cinéma Public - Festival Ciné Junior - www.cinejunior94.org - [email protected] - 33 (0)1 42 26 02 06
Compétition internationale de longs métrages
Ryna
Point de vue
écrit par Clément
Graminiès
Ce premier long métrage de la réalisatrice roumaine Ruxandra Zenide est avant tout un filmportrait, celui d'une adolescente de seize ans, Ryna, à qui l'on refuse le droit d'être une femme.
Employée par son père dans un modeste garage d'une campagne reculée près du delta du
Danube, la jeune fille n'a pas le droit de laisser transparaître sa féminité. Vêtue d'une salopette
de travail, les cheveux courts et l'air renfrogné, elle passe aisément pour un garçon, écrasée par
son père dès qu'elle tente de s'affranchir de ce rôle. Mais à son âge, Ryna devrait découvrir ses
premiers émois avec les garçons plutôt que de plonger ses mains dans le cambouis. Du jeune
postier à l'étudiant français rencontré au détour d'une panne, le désir des hommes se fait de
plus en plus précis. L'adolescente doit alors se partager entre le souhait intime de devenir une
femme et s'accommoder du machisme banalisé.
L'adolescence est un thème qui a inspiré bon nombre de cinéastes. Rien qu'en France, des films
comme Mouchette de Robert Bresson ou L'Effrontée de Claude Miller ont marqué durablement
les esprits. Si le cadre spatio-temporel variait sensiblement d'une œuvre à l'autre pour expliquer
les tourments de cette période de l'existence, Ryna prend également en compte toute une
dimension sociale, celle d'une campagne roumaine en perte de repères depuis la chute du régime communiste, tiraillée entre les vestiges poussiéreux de l'ancien régime et la nouvelle donne
européenne. Cette période transitoire l'est aussi symboliquement pour Ryna qui passe progressivement de l'enfance - où la distinction
fille/garçon n'est pas forcément déterminée par des signes visibles - à l'âge
adulte.
Cette dualité, la réalisatrice l'exprime
dès les premiers plans de son film. A un
long panoramique sur la campagne roumaine succède brutalement un plan fixe
sur le garage du père de Ryna. La rupture dans le mouvement de caméra et
dans la bande-son matérialise d'emblée
cette absence d'harmonie entre l'intériorité de Ryna, rêveuse et solitaire, et le
quotidien qui est le sien où la crasse des
moteurs et l'autorité de son père viennent continuellement contrecarrer son
désir de révéler au grand jour ce qu'elle est. Car, en dépit des avances du jeune postier régulièrement éconduit par le père, Ryna n'a pas le droit de laisser transparaître sa féminité. Les cheveux courts, elle dissimule son corps et ses formes naissantes derrière une large salopette. Elle
ne rencontre d'ailleurs que très peu de difficultés lorsqu'il s'agit de s'introduire dans le bar voisin où son père retrouve les hommes du village pour boire de l'alcool. Presque asexuée, elle se
meut dans un environnement relativement hostile avec cette « invisibilité » que son « déguisement » lui confère. Mais il n'y a probablement que son père pour refuser de voir les changements qui s'opèrent. A seize ans, Ryna voit son corps se transformer sensiblement. Les seins
qu'elle tente honteusement de cacher lorsque son père lui coupe maladroitement les cheveux
attirent le regard et attisent le désir de jeunes garçons venus l'observer. Même le maire du village, pourtant ami de la famille, n'est pas insensible aux charmes naissants de la jeune fille.
Mais lorsque Ryna rencontre un jeune étudiant français dont la voiture est tombée en panne, elle
est confrontée au regard d'un étranger pour qui ce travestissement n'a aucune justification. Ce
désir qui va peu à peu naître entre les deux personnages encourage l'adolescente à se réapproprier ce corps qu'on lui imposait de nier. Progressivement va donc se poser la question du choix
mais aussi du courage de s'affranchir des volontés de son père. Pour marquer cette lente évolution, Ruxandra Zenide s'en tient à quelques signes particulièrement subtils, jamais exagérément
mis en valeur par une caméra qui sait toujours prendre la bonne distance pour observer cette
éclosion. L'économie de dialogues qui caractérise très clairement cette œuvre sobre et pudique
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Compétition internationale de longs métrages
Ryna
donne à l'image et donc au geste une valeur inédite. Que ce soit lorsque Ryna tente de se percer
l'oreille à l'aide d'une aiguille ou lorsque, désobéissant à son père, elle se rend à la fête foraine
vêtue d'une jupe et d'un foulard lui cachant ses cheveux courts, chaque attitude prend sens et
témoigne d'une volonté de devenir enfin soi-même. Le piège aurait probablement été d'associer
féminité et artifice féminin mais là aussi, la réalisatrice évite le cliché. Si Ryna se coiffe un court
instant d'une longue perruque colorée, c'est aussitôt pour l'abandonner et se coller d'un air
amusé une petite moustache. Devenir une femme ne se résume donc pas à en arborer les artifices, c'est avant tout un cheminement personnel que la réalisatrice matérialise ici avec rigueur.
Ce désir d'émancipation, dans une culture aussi machiste que celle de la campagne roumaine,
n'est pas sans danger. Les grands espaces désertiques et plats que la réalisatrice filme lors des
échappées de l'adolescente sont tout autant le signe d'une quête d'une liberté que de l'isolement et d'une absence de barrières protectrices. Outre l'opposition véhémente du père qui s'obstine à refuser l'évidence, Ryna apprend que devenir une femme, c'est aussi s'exposer à la
mainmise des hommes peu scrupuleux. Si le maire représente clairement une menace en
demandant à l'adolescente de répondre à ses faveurs sous peine de refuser le renouvellement
de la licence à son père, l'attitude du jeune postier révèle aussi l'archaïsme des relations hommes/femmes, notamment lors de la scène de la fête foraine où, jaloux de l'intrusion de l'étudiant français, il tente de prouver sa supériorité au stand de tir. La métaphore est osée mais la
jeune fille est en quelque sorte un gibier que le maire se fera un malin plaisir de piéger pour
commettre un viol. Dans ce drame traumatisant, la réalisatrice évite l'écueil de la dénonciation
et de la condamnation des coupables car ce qui l'intéresse avant tout, c'est l'acharnement de
Ryna à quitter cette vie qui l'opprime, comme dans cette très belle scène finale où l'adolescente,
dos à la caméra, débarrassée des artifices qui la rendaient trop soumise aux désirs des hommes, quitte la maison familiale pour rejoindre sa mère à Bucarest, un monde urbain où il lui
sera enfin possible d'être elle-même.
Piste de
lecture
écrit par Clément
Graminiès
Une des scènes clés du film est très certainement celle où l'adolescente est sexuellement abusée par le maire du village dans son camion. Cette scène est au carrefour de tous les enjeux
scénaristiques posés par le film : l'acceptation de sa féminité au milieu des hommes et l'aveuglement d'un père possessif devant l'évidence. Un viol est toujours délicat à traiter et sa représentation varie selon la démarche du réalisateur : soit il s'agit d'agresser le spectateur (G. Noé
dans Irréversible), de le dégoûter (K. Pierce dans Boys Don't Cry) ou simplement de suggérer (E.
Kazan dans Un tramway nommé Désir) voire, dans des cas exceptionnels, de susciter l'empathie
(P. Almodovar dans Parle avec elle). La démarche de la réalisatrice s'inscrit ici dans la suggestion mais sa représentation n'en est pas moins forte. Lorsque la scène débute, le spectateur
imagine de quoi est capable le maire, personnage pourtant dépositaire de l'autorité. Le fait qu'ils
se retrouvent tous les deux dans son camion en pleine nuit, accompagnés du père de Ryna dont
l'état d'ivresse accentue forcément son aveuglement pour tout ce qui concerne sa fille, est alarmant. Dès que ce dernier descend du camion, l'espace se scinde en deux avec d'une part le
champ (Ryna et le maire à l'intérieur du véhicule) et d'autre part le contrechamp (le père, seul
capable de protéger sa fille, à l'extérieur). Et c'est sur lui que la caméra se fixe lorsqu'au loin,
les cris de Ryna laissent deviner le pire. L'interdépendance des actions des personnages va
même jusqu'à figurer la rupture dramatique qui s'opère pour la jeune fille lorsque son père perd
subitement connaissance. Le lendemain matin, après une ellipse au noir, le père réunit apparemment les deux espaces en regagnant le camion. Pourtant, sa fille et le maire n'y sont plus.
En hors champ, la main du père touche le tissu du fauteuil, découvre les traces du viol et regarde vers le bord droit du cadre, vers cet espace désormais lointain où sa fille a choisi de partir.
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