Sauvegarde - Œuvre du Marin Breton

Transcription

Sauvegarde - Œuvre du Marin Breton
Almanach 1903 : P. 113
LES VICTIMES DE LA MER BRETONNE
en 1901-1902 sur nos côtes.
Ah ! il ne réfléchit pas, le
terrien, que c’est la faim qui
force les pêcheurs à sortir et à
lutter contre les tempêtes.
Il faudra que je sacrifie 50
francs de plus pour faire un
compartiment étanche à mon
prochain bateau neuf...
De temps à autre, on entend quelque terrien traiter nos marins pêcheurs d’« insouciants », de « risque-tout ». Ah ! il ne réfléchit pas, le terrien, que c’est la faim
qui force les pêcheurs à sortir et à lutter contre les tempêtes. Que de fois, l’hiver, les
bateaux sortent malgré un temps menaçant et une apparence de coup de vent !... Ils
savent bien pourtant, les marins, à quoi ils s’exposent en allant ainsi dehors ! Mais ils
n’ont pas le choix : il n’y a plus de sous à la maison et le boulanger ne veut plus continuer un crédit désastreux... Il faut donc que les hommes se risquent en mer, surtout
s’il y a des filets à sauver ; ces filets dont la perte serait la ruine complète des pauvres
ménages... - Aussi, puisque les milliers de bateaux de pêche bretons continueront à
affronter ainsi les gros temps et les brisants, il est nécessaire que ces bateaux s’installent un peu mieux en prévision des accidents qui les menacent. Chaque patron doit
se dire : « Hier, c’était mon voisin qui a sombré, ce sera peut-être mon tour demain
; mon voisin a péri corps et biens, quoique près de terre, parce que le bateau et les
hommes ont coulé de suite ; il faut que, moi, je prenne quelques précautions de
sécurité ; il faut que j’aie à bord des flotteurs en liège... il faudra que je sacrifie 50
francs de plus pour faire un compartiment étanche à mon prochain bateau neuf...
Comme chaque année, nous allons rapidement énumérer les navrants sinistres de
l’hiver écoulé. Cela est nécessaire pour rappeler aux patrons, aux équipages, qu’ils
ont le devoir de prendre quelques précautions de sauvetage. Suivez cette douloureuse
liste des martyrs de la côte bretonne :
Le trois-mâts Chanaral, perdu avec 21 bretons ;
La goélette Mutine, perdue avec 6 hommes ;
Le Lougre perdu avec 4 hommes ;
Le Pilote N° 3, de Sein, perdu avec 4 hommes ;
Le sloop Étoile-de-la-Mer, perdu avec 2 hommes ;
Le chalutier à vapeur Héron, perdu avec 11 hommes ;
Le 404, de Douarnenez, perdu avec tout l’équipage ;
Le Deux-Frères, de Sauzon, perdu avec 1 homme ;
Sainte-Hélène, de Plogoff, perdu avec ses 4 hommes ;
Notre-Dame-de-Rumengol, de St-Guénolé, perdu avec ses 6 hommes ;
Arménie de Pleurian, perdu avec 4 hommes ;
Le caboteur, M.S A., de St-Nazaire, perdu avec ses 2 hommes ;
Léonie, du Conquet, perdu avec son équipage ;
Affranchie, d’Etel, perdu avec ses 4 hommes ;
Bénoni, de Larmor, perdu avec ses 8 hommes ;
Un bateau de Lomener, perdu avec tout l’équipage ;
Le canot perdu avec 3 hommes près du Portzic, le 7 septembre.
Mais, en outre, que de marins ont vu la mort de près dans des naufrages, abordages, échouages, et coups de côtes !... Nous allons énumérer les principaux : et, si
ces lignes tombent sous les yeux de quelques-uns de ces marins, nous les supplions
de se rappeler les angoisses de leur naufrage, et de fabriquer, pour eux ou pour des
camarades, des flotteurs de sauvetage. L’exemple est une si puissante chose !...
Voici les principaux accidents de mer, survenus sur nos côtes d’octobre 1901 à
octobre 1902.
Le 241, de Concarneau, 4 hommes sauvés ;
Providence, de Quiberon, 2 hommes sauvés ;
6 hommes d’un bateau de Concarneau, sauvés par le 145 et le 2272 ;
Les 6 hommes du Libre-Penseur, de Concarneau, sauvés par le 1687 et le 2303 ;
L’équipage du Georges-Marie ;
4 hommes du dundée Fraternité ;
L’équipage du dundée Cinq-Mai ;
L’équipage du dundée Marie-Louise ;
L’équipage du dundée Actif ;
Les 4 hommes du lougre Alexandre ;
Les 3 hommes du dundée Marthe ;
L’équipage du sloop Marthe-Francine ;
L’équipage du 1685, sauvé par le 2308 ;
Les 2 hommes du sloop Yves-Marie ;
Les 3 hommes de l’A.-L. ;
3 hommes du sloop Étoile-de-la-Mer ;
L’équipage du Notre-Dame-de-Becquerel ;
Les équipages audiernois de St-Antoine-de-Padoue et de Revanche ;
Les 4 hommes du dundée Rolland ;
Les 3 survivants de l’Anna-Eugène de Plougastel ;
Les 5 hommes de la Trinité, d’Auray ;
Les 3 hommes du Marie Josephe, de Pempoul ;
L’équipage de la Bonne-Clotilde ;
L’équipage de l’Inconnue ;
L’équipage du dundée Charles-Alexis-Henry ;
Les 7 hommes du Saint-Gilles 73 de Concarneau ;
L’équipage du dundée Maurice ;
Les 3 hommes de la Ville-de-l’Ile, de l’Ile de Sein ;
L’équipage de Lelia 1301 ;
Les 6 hommes du A.-A., du Croisic ;
Les 7 hommes du Brennus, de Lesconil ;
Les 4 hommes du dundée Eugénie-Ancilla-Nérida ;
Les 3 hommes du Galilée ;
Les 8 hommes de cette barque de pêche coulée près d’Euzam, à Molène et l’équipage de celle qui a chaviré près des Tas de Pois ;
Les 10 hommes du Saint-Joseph, du Guilvinec ;
Les 2 hommes du Maria, de Larmor ;
Les 5 hommes du 145, de Concarneau...
Et bien d’autres encore, dont les noms nous échappent...
Persuadez à vos collègues
d’avoir toujours à bord
quelques flotteurs, bon marché,
en liège (20 sous, pour sauver
la vie d’un homme !).
Marins qui avez failli périr, chers amis, nous vous supplions de nous aider : persuadez à vos collègues d’avoir toujours à bord quelques flotteurs, bon marché, en liège
(20 sous, pour sauver la vie d’un homme !)... Et, pour mieux persuader, faites-en
vous-même un ou deux !... Vous verrez, qu’ensuite, beaucoup de collègues feront
comme vous !... Alors, vous serez fiers, à juste-titre, d’avoir donné ce bon exemple,
et d’avoir ainsi contribué sans aucun doute à sauver la vie de plus d’un de vos frères.