Cuba et l`accès aux institutions financières
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Cuba et l`accès aux institutions financières
SERVICE ECONOMIQUE ET COMMERCIAL A LA HAVANE [email protected] Etude Février 2015 Cuba et l’accès aux institutions financières internationales 1. Introduction ………………………………………………………………………………………………………………… 2 2. Grandes lignes des réformes cubaines (2011) : Pourraient-elles soutenir le FMI et la Banque mondiale ? …………………………………………………………………………………………………….. 2 3. Le Nicaragua et le Vietnam: des précédents pertinents pour Cuba ? ………………………….. 3 3.1. L’expérience du Nicaragua avec les IFI …………………………………………………………………. 4 3.2. L’expérience du Vietnam avec les IFI ……………………………………………………………………. 5 4. Conclusions ………………………………………………………………………………………………………………… 6 1 1. Introduction Cuba occupe une position unique dans le monde du fait qu’elle n’appartient pas au Fonds monétaire international (FMI) ni à la Banque mondiale (quoique ce soit aussi le cas de la Corée du Nord qui se réunifiera censément un jour avec la Corée du Sud, qui est, elle, membre du FMI). Suite aux récentes annonces des Présidents Obama et Castro, l’Administration américaine (John Kerry) va revoir au cours des six premiers mois de 2015, la qualification de "soutien au terrorisme" de Cuba1, ces institutions financières internationales (IFI) pourraient s’avérer à nouveau pertinentes pour Cuba dans la mesure où l’île s’efforce de moderniser son économie et les IFI s’efforcent justement dans le monde d’aider les pays à devenir des membres plus compétitifs de l’économie internationale. Après avoir fait partie des fondateurs du FMI, Cuba s’en est retirée en 1964. Il n’existe toutefois aucune réclamation ni contre-réclamation entre eux, aucun contentieux au cas où Cuba voudrait y être réadmise. Aux yeux de nombreux Cubains, les IFI sont notées d’infamies, car ils croient qu’elles privent les nations de leur souveraineté, qu’elles exigent sans scrupule le démantèlement de l’État au profit de l’entreprise privée et d’autres réformes « néolibérales » et qu’elles insistent pour que ces réformes soient appliquées selon leur propre agenda. Ils craignent aussi que, malgré leurs apparences multilatérales, elles servent tout simplement de couverture à la puissance étasunienne. Or, aucune de ces craintes n’est solidement fondée à ce jour. Une majorité simple garantit l’accès de nouveaux membres aux IFI, si bien qu’aucun pays ne peut exercer de droit de veto. Certes, si les États-Unis, le plus gros actionnaire, font fortement objection, d’autres États membres pourraient hésiter et ne plus insister. Nous pouvons constater qu’il existe aujourd’hui un intérêt considérable pour que Cuba s’insère peu à peu dans les IFI, compte tenu du fait que, selon le calendrier, le Congrès peut parvenir à priver sa faction anticubaine de l’occasion de bloquer l’allocation de capitaux à celles-ci en représailles au dialogue avec l’île. Cuba compte de nombreux alliés parmi les membres des IFI, y compris dans des économies de marché émergentes et toujours plus influentes comme la Chine et le Brésil auxquelles elle pourrait recourir pour y trouver un appui et des conseils tactiques. 2. Grandes lignes des réformes cubaines (2011) : Pourraient-elles soutenir le FMI et la Banque mondiale ? Le FMI et la Banque mondiale (BIRD) ont évolué énormément depuis l’apogée du fondamentalisme mercantile des années 80. Les jumelles de Bretton Woods reconnaissent humblement, aujourd’hui, leurs erreurs du passé en ce qui concerne non seulement le jugement, mais encore le dogme. Le FMI affirme chercher à se débarrasser de l’accusation qu’on lui fait en matière d’octroi de crédits. Pour améliorer sa transparence et ses résultats, la BIRD a renforcé pour sa part ses procédés de révision internes et externes. Pour supprimer l’image qu’elles ont de clubs privés réservés à des élites, les deux institutions ont énormément renforcé leurs sites web et font rapidement connaître des documents détaillés sur des prêts qui étaient encore, tout récemment, camouflés jalousement sous la rubrique : « classé ». Ayant largement révisé en 2005 ses conditions de prêt, la Banque mondiale est parvenue à un certain nombre de conclusions et de recommandations politiques importantes, dont beaucoup coïncident avec les critiques émises depuis longtemps déjà par des milieux universitaires et des pays en développement2 : « Il n’existe pas de modèle de développement unique ». 1 La sortie de Cuba de cette liste de « pays soutenant le terrorisme » est fondamentale pour arriver à l’inclusion de Cuba dans les IFI (et à l’élimination de l‘embargo US). 2 World Bank, Review of World Bank Conditionality, 2005. 2 Les programmes doivent être taillés à la mesure des conditions spécifiques du pays et être concrets dans le temps. Le fait qu’un pays tienne les rênes des programmes s’avère vital pour leur succès. L’insistance dans le passé, sur la privatisation, avait déjà nettement diminué dès les années 90. La Banque mondiale doit maintenant insister sur l’amélioration d’un climat propice aux affaires. « Dans les secteurs non compétitifs, indépendamment de la structure de la propriété, le cadre institutionnel est devenu un facteur clef dans la conception des réformes. » Se démarquant de pratiques antérieures selon lesquelles même les pauvres devaient payer les services sociaux, la Banque mondiale a soutenu que, dans bien des circonstances, la gratuité de l’éducation et des services de santé était justifiée. Là où les contraintes fiscales les rendent impossibles, des subventions bien ciblées peuvent protéger les populations les plus vulnérables. Presque aussitôt après, en 2009, le FMI a annoncé une réforme en profondeur de ses pratiques en matière de prêt3. Une étude préalable de son bureau d’évaluation avait révélé : « Une quantité significative de conditions structurelles trop détaillées, parfois perçues comme une ingérence, risque d’empêcher les pays de maîtriser leurs programmes. » Pour encourager les pays à emprunter au FMI, les « questions structurelles » - telles que la réforme du système fiscal, l’amélioration de la transparence fiscale et le renforcement de la supervision des banques – cesseraient d’être des conditions pour l’octroi de prêts. Les critères « durs » en matière d’exécution seraient diminués et l’accent serait mis sur des conditions macroéconomiques telles que les déficits fiscaux, la dette publique et les réserves de la banque centrale. Compte tenu de ces ajustements en matière de politique, les IFI sont en mesure d’envisager avec un peu plus de sympathie l’esprit des réformes (Lineamientos) adoptées en avril 2011 par le Parti communiste de Cuba: Les IFI sont maintenant mieux disposées à voir avec sympathie la préférence du gouvernement cubain pour le gradualisme, pour des réformes exécutées pas à pas et modulées afin de minimiser leurs retombées sur les secteurs de la population les plus vulnérables. Le gouvernement cubain ne prévoit pas de privatisations immédiates des entreprises publiques, mais promeut le cubain moyen à devenir entrepreneur et soutient le secteur privé. Les Orientations du Gouvernement reconnaissent aujourd’hui qu’il faut créer un ensemble de politiques visant à accroître résolument l’efficience et la productivité. Les Orientations se proposent de protéger les conquêtes de la révolution en matière de services sociaux, tout en acceptant que les limitations fiscales obligeront à des réductions et exigeront que les subventions soient plus soigneusement ciblées. L’application des nouvelles instructions par les IFI variera assurément en fonction des penchants et des talents du personnel qui en sera chargé, de la réceptivité des gouvernements emprunteurs et des contreparties en matière d’objectifs, et ce dans des contextes caractérisés par des graves limitations de ressources. Certains fonctionnaires des IFI pourront continuer de concéder une plus grande priorité aux objectifs de la lutte contre l’inflation qu’aux objectifs visant l’emploi et la croissance, rester sceptiques en ce qui concerne l’efficacité des entreprises publiques et exiger une grande transparence des statistiques. D’autres pourront mettre l’accent sur l’interdépendance entre les variables économiques et préférer une approche plus globale et plus expéditive en matière de réformes. En tout cas, le FMI et la Banque mondiale ont appliqué avec succès leurs nouvelles approches des prêts au développement dans deux pays devant intéresser Cuba au plus haut point, le Nicaragua et le Vietnam. 3 3 “New Rules for Engagement for IMF Loans”, IMF Survey Online. 3. Le Nicaragua et le Vietnam: des précédents pertinents pour Cuba ? 3.1. L’expérience du Nicaragua avec les IFI Depuis que Daniel Ortega a retrouvé la présidence en 2006, les trois principales institutions financières multilatérales actives dans la région – le FMI, la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement (BID) – ont maintenu leurs vieux rapports de travail avec le Nicaragua et continué de s’acquitter des prêts concessionnels et non concessionnels préétablis, de signer de nouveaux accords et de concéder une aide technique. Leur maintien au Nicaragua prouve que les IFI font preuve de plus de souplesse – la nouvelle image – et qu’elles souhaitent, surtout le FMI, prouver qu’elles peuvent faire des affaires avec des gouvernements de différents préceptes politiques, ce qui a fait du Nicaragua une vitrine du pluralisme politique du Fonds. Le gouvernement « néolibéral » qui avait précédé Ortega avait travaillé de près avec le FMI. Peu après son investiture, le gouvernement Ortega a négocié pendant plusieurs années une Facilité élargie de crédit (FEC) d’un montant de 71,5 millions en Droits de tirage spéciaux (DTS). Tout au long de sa présidence, le FMI a maintenu d’une manière routinière ses consultations, ses révisions et ses crédits. Pour assurer la continuité durant la période électorale de 2011, il a prorogé la FEC au-delà du 14 décembre 2011. Dans le droit fil de ses nouvelles règles, le FMI a limité ses exigences « dures » - critères d’exécution quantitatifs – à seulement six variables (équilibre fiscal, équilibre budgétaire de la sécurité sociale, expansion monétaire, réserves internationales nettes, dette extérieure et retard de paiement de celle-ci). Il a laissé au Nicaragua une marge de choix considérable pour atteindre ces objectifs, soit en augmentant les revenus soit en réduisant les dépenses. Dans ses révisions de l’économie nicaraguayenne, le FMI ne cesse d’exhorter le gouvernement à faire un vaste train de réformes complémentaires qui aligneraient graduellement la pratique nicaraguayenne sur les normes du FMI et les normes internationales. Ces remarques ne sont pas toutefois des exigences « dures », mais plutôt des suggestions. Les autorités nicaraguayennes peuvent soit les écouter et apprendre, soit les écouter et les ignorer, selon leurs points de vue en matière d’intérêt national. En attendant, le FMI a continué d’octroyer des crédits au Nicaragua et d’approuver ses politiques, ce qui renforce la réputation du gouvernement aux yeux du secteur privé national et facilite l’accès à d’autres sources de financement internationales. Cette expérience du Nicaragua avec les IFI suggère plusieurs leçons pertinentes dans le cas cubain : Le FMI n’est pas foncièrement hostile au secteur public. Tout en centrant son intérêt sur l’équilibre fiscal et la gestion de la dette, il favorise souvent des mesures fiscales visant à augmenter les revenus. De nos jours, en coordination étroite avec la Banque mondiale, il suit aussi la piste des dépenses sociales qui concernent les populations les plus vulnérables et s’efforcent de protéger lesdites dépenses. Le FMI exercera des pressions en faveur de la transparence des statistiques et offrira une aide technique dans ce but, sans exiger ni attendre la perfection immédiate. Les politiques solides que soutiennent les IFI peuvent apporter des récompenses politiques, telle l’amélioration des relations avec le secteur privé. Bien qu’influent, le gouvernement étasunien n’est pas forcément dominant. Après des dénonciations de fraude électorale aux élections municipales de 2008, les États-Unis ont nettement réduit leur aide bilatérale au Nicaragua, mais les programmes des IFI se sont maintenus. 4 3.2. L’expérience du Vietnam avec les IFI La réforme économique vietnamienne a été un succès éclatant, au point de provoquer à deux reprises le doublement des revenus par habitant entre 1985 et 2010 et l’amélioration marquante des indicateurs sociaux. Dans la perspective du Parti communiste au pouvoir, les réformes Doi Moi (rénovation), lancées en 1986, ont permis de préserver le gouvernement à parti unique et un secteur public fort, bien que diminué (les entreprises publiques restent puissantes des points de vue politique et économique), tout en améliorant le niveau de vie de la population. Pour sa part, la Banque Mondiale considère le Vietnam comme l’un de ses plus grands succès, puisque le pays progresse vers le groupe des pays à revenu intermédiaire. Les rapports entre le Vietnam et les IFI n’ont pas toujours été paisibles. Les Vietnamiens ont parfois freiné brusquement ce qu’ils considéraient comme des conditions excessives et fleurant l’ingérence (2004), quoique le FMI conserve un bureau de représentation et que le Vietnam a continué d’en recevoir une aide technique. Malgré ces frictions avec le FMI et les abstentions du directeur exécutif étasunien lors des votes, la Banque mondiale a renforcé sa présence dans le pays, ses engagements passant de 325 millions de dollars durant l’exercice fiscal 1994 à 706 millions en 2004 et à 1,5 milliard en moyenne entre 2008 et 2010. Le bureau de la Banque mondiale à Hanoï compte aujourd’hui cent trente employés, dont vingt-trois étrangers. Les IFI ont appris par expérience qu’il faut persuader les facteurs locaux que le financement de projets et les conseils provenant de l’étranger sont utiles. Sinon, les gouvernements pourraient signer les documents de crédits, mais, le moment venu de les appliquer, ne pas exécuter ceux avec lesquels ils ne seraient pas d’accord. Pour garantir que ce soit le pays même qui maîtrise la situation, la Banque mondiale a rigoureusement aligné ses programmes de prêts sur les priorités vietnamiennes. La Stratégie d’association avec le pays, conçue pour les exercices fiscaux 2007-2011, visait à appuyer le Plan quinquennal 2006-2010 de développement socio-économique. De plus, les Rapports de développement du Vietnam ont été organisés autour des priorités du gouvernement, notamment la diminution de la pauvreté, la protection sociale, la gouvernance et des institutions modernes, l’amélioration du climat des affaires. Ceci ressemble incontestablement aux lineamientos (lignes politico-économiques) cubains. Cela dit, Il existe certaines différences entre les économies vietnamienne et cubaine. Le Vietnam a lancé sa Doi Moi dans une société majoritairement rurale, qui contraste avec la société éminemment urbaine de Cuba. Mais les deux économies doivent relever des défis communs : comment passer d’une économie à planification centrale à une société plus tournée vers le marché, ouverte au commerce mondial, et comment le faire aux moindres coûts pour la population et sans risquer l’instabilité politique ? 5 4. Conclusions Le cas du Vietnam, tout comme celui du Nicaragua, suggère que la communauté internationale peut, en matière de développement, offrir des ressources financières significatives et des précieux conseils techniques qui facilitent les changements économiques et atténuent les inévitables modifications de ressources. Si le Vietnam, fier et énergique, peut rejoindre l’économie mondiale et travailler avec succès, de concert avec les institutions financières internationales, pourquoi Cuba ne pourrait-il pas le faire ? À mesure que la réforme économique se poursuivra à Cuba, des problèmes apparaîtront auxquels les IFI ont déjà fait face bien des fois auparavant. Pourquoi les autorités cubaines devraient-elles répéter inconsciemment les erreurs commises ailleurs et parfaitement évitables ? Pourquoi le peuple cubain ne devrait-il pas tirer profit de l’aide internationale qui peut atténuer les coûts du changement ? Et si, malgré leur nouvelle image, les IFI insistaient sur l’application de politiques que le gouvernement cubain considérerait inacceptables, La Havane pourrait toujours dire non. Dans ce nouveau contexte de dégel des relations USA – CUBA qui devraient amener l’Administration américaine a éliminé Cuba de cette controversée liste de « pays soutenant le terrorisme » et après presque cinquante ans d’isolement de la part de Cuba et vu que les IFI et l’économie cubaine opèrent selon de nouvelles orientations, le moment n’a jamais été aussi propice à une reprise du dialogue. Jean-Serge R. Dias de Sousa La Havane Sources: Richard E. Feinberg, Reaching Out: Cuba’s new Economy and the International Response, Brookings Institution, 2011 World Bank, Review of World Bank Conditionality, 2005 “New Rules for Engagement of FMI Loans”, IMF Survey online Sources privées 6