Philosophie(s) de la critique musicale : le monde germanique en

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Philosophie(s) de la critique musicale : le monde germanique en
Philosophie(s) de la critique musicale : le monde germanique en
perspective.
Journée d’Etudes organisée par Julien Labia (post-doctorant, Université
Sorbonne-Nouvelle, Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Espace
Germanophone), en collaboration avec Jean-François Candoni (ERIMIT) et
Timothée Picard (CELLAM) de l’Université Rennes II, dans le cadre du
programme « la Critique musicale au 20e siècle » de l’Institut Universitaire de
France, le 6 novembre 2013.
« Le cerveau du critique est un magasin, un grand magasin. On y trouve
tout […]. Le critique sait tout, voit tout, dit tout, entend tout, touche à tout,
remue tout, mange de tout, confond tout, et n’en pense pas moins.1 »
Erik Satie.
Si l’esthétique philosophique de la musique a connu d’importantes réussites
passées (V. Jankélévitch, B. de Schlœzer, Adorno) ou plus récentes (B. Sève) sur le
continent, et jouit actuellement d’un grand succès outre-manche et outre-Atlantique (J.
Levinson, A. Ridley, P. Kivy, L. Goehr, S. Davies), la critique musicale n’a pas retenu
pour le moment l’attention des philosophes.
Le caractère hybride du genre, entre le journalisme, l’essayisme et une réflexion
plus systématique, ainsi que les compétences très diverses auxquelles il fait appel
peuvent certes expliquer cette réserve. Ils n’en constituent pas moins des éléments
stimulants, pouvant donner lieu à une réflexion originale et stimulante.
D’importants travaux de recherche et d’édition attestent du récent regain
d’intérêt pour la critique musicale, qu’ils s’attachent à un style, à une période précise
(E. Reibel, R. Campos) ou à de grandes figures de la critique comme Boris de
Schlœzer (T. Picard) ou Romain Rolland (A. Corbellari). Cette mise en avant de la
critique musicale ouvre un terrain propice aux recherches plus philosophiques.
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Erik Satie, Eloge des critiques, dans « Mémoires d’un amnésique et autres textes », éditions Ombres, « petite
bibliothèque », n°177, 2010, p. 80-81.
1
D’importants critiques musicaux eurent de réelles ambitions philosophiques,
couronnées de succès, comme Eduard Hanslick ou Boris de Schlœzer ; d’autres grands
théoriciens, comme C. Dahlhaus, furent également critiques musicaux. L’un des points
que nous aimerions retenir aura trait à la dissociation de leurs activités, et aux ponts
existant indéniablement entre leurs théories plus abstraites et la pratique de la critique
confrontée à un objet plus concret. La mise au jour fertile de moments de conjonction
ou de disjonction entre un discours théorique et une pratique de la critique sera
bienvenue. Si l’Allemagne reste au cœur de nos préoccupations, nous sommes
particulièrement intéressés par la perspective d’une lecture croisée mettant en regard
les discours critiques en France et en Allemagne.
Nous souhaitons en effet insister sur la nécessité d’un ancrage historique pour
interroger la question de la critique d’un point de vue philosophique, en l’abordant à
partir de moments et d’endroits précis plutôt que de définitions arbitraires. Même dans
le mot d’esprit de Satie, la question de savoir ce que pourrait bien être la « pensée » du
critique musical reste posée.
Certains philosophes récents, comme Noël Carroll, se sont pourtant bien
attachés à réfléchir sur la critique. Mais une prise en considération précise de la
critique musicale manque toujours. La spécificité de l’objet auquel s’attache le
discours du critique musical justifie amplement que sa pratique soit étudiée
séparément. Des travaux mettant en question la différence et la spécificité de la
critique musicale, distinguée de la critique d’art, procédant à partir d’exemples et de
corpus précis, seront bienvenus. Des questions comme celle du problème de
l’ineffabilité de la musique ou de son sens, la difficulté de traiter à la fois de l’œuvre et
du rôle de l’interprète, pourront être retenues. Nous serons particulièrement intéressés
par des interventions mettant au jour une certaine conception de la musique ou de la
critique musicale, en la confrontant à la réalité des textes de critique musicale.
Si l’idée d’une musique suivant sa propre Histoire à l’écart de celle des autres
arts, soulignée par Schopenhauer, doit sans doute être nuancée, les problématiques
propres à la musique comme celle de l’autonomie de son sens ou de sa division entre
création et interprétation n’ont pas manqué de se traduire dans la critique musicale
même. La question des relations entre musique et politique, et celle de la place précise
que la critique musicale occupe dans cet équilibre, pourront également retenir notre
attention. La difficulté de proposer directement des exemples comme en arts
plastiques, la difficulté d’évoquer une œuvre que le public n’a pas encore rencontrée
directement, ou de proposer un jugement original sur un répertoire méconnu ou soumis
à un jugement arrêté et injuste, retiendront également notre attention.
Il s’agirait donc de penser la musique à partir des écrits de critique musicale,
mais également de retrouver ce que peut être pour un critique la tâche de penser la
musique et d’écrire cette pensée. La critique se présente en effet à nos yeux comme
une activité plurielle et démultipliée par les nouveaux médias, d’un côté, et de l’autre,
comme un corpus vaste et complexe légué par le passé. Nous retiendrons des études
comparatives portant sur cet objet que pluralisent, d’un côté de l’axe du temps, la
diversité des organes de presse et d’importants conflits, et de l’autre, les nombreux
plans offerts par les nouvelles formes de communication, abordées sous l’angle
philosophique.
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L’autorité de la parole du critique sur cet art confronté à plusieurs siècles de
dilettantisme, devra également être questionnée. Face aux assauts de certains
compositeurs, comme Schoenberg ou Satie, il semble encore nécessaire de se poser la
question du savoir qu’un critique doit posséder, et d’insister notamment sur la partie
philosophique du spectre de ses compétences. Les connaissances philosophiques d’un
certain nombre de compositeurs récents ne font que renforcer l’importance de cette
question.
Ceci renvoie naturellement à cet autre aspect de la pratique de la critique qu’on
ne saurait négliger, celui du jugement appréciatif porté sur l’œuvre, et avec lui la
difficulté de sa justification et de sa fondation, notamment pour les œuvres appartenant
à la musique « pure » ou « absolue » (concepts qu’une étude de la critique pourrait
naturellement questionner). Il s’agirait d’aller au-delà d’études précises (N.
Slonimsky) qui laissent ouverte la réflexion sur ce qu’est ou ce qu’a pu être cet
impératif du jugement hasardeux.
Nous attacherons un intérêt prononcé aux interventions qui permettront de
construire un parallèle ou une lecture croisée entre la France et l’Allemagne, deux pays
dont les traditions nationales en matière de musique et de critique pourront être
questionnées. Les vastes corpus des textes issus de ces deux pays partagent en effet,
avec ses plus grands accomplissements, le problème de la critique. Une étude des
différences, des échanges, voire des transferts entre les pays germanophones et
l’espace francophone serait bienvenue.
Nous accordons une grande importance aux perspectives transdisciplinaires,
croisant en particulier les discours philosophiques et ceux des sciences humaines ou de
la musicologie.
Nous souhaitons également ajouter à l’attention accordée à l’historique et à la
diversité réelle de la critique le respect de l’aspect concret du métier de critique : nous
accueillerons volontiers des intervenants capables d’articuler, le cas échéant, leur
activité de critique à des travaux de recherche.
Les grands corpus de textes critiques légués par le passé, les indéniables succès
du genre n’ont pas encore éveillé de la part des philosophes l’attention qu’ils
méritaient. L’objectif de cette journée, centrée sur des problématiques philosophiques
mais non réservée aux philosophes, serait de remédier à cette injuste absence. Car les
grandes Œuvres léguées par les critiques musicaux, qu’ils aient souffert de leur
effacement, de leurs jugements intempestifs ou excessifs, n’ont rien à envier à celles
auxquelles les arts plastiques ont donné jour.
Les communications pourraient aborder les thématiques suivantes, sans restriction :
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les définitions de la musique présentes dans l’activité de la critique musicale,
leur étude comparée ou leur confrontation.
la pensée de la presse et du discours des médias sur la musique.
un travail comparatif, dans une optique philosophique, sur les différentes
stratégies mises en œuvre pour répondre à un genre ou un objet, pour penser et
donner une forme littéraire à l’expérience d’un objet esthétique.
les transferts méthodologiques ou conceptuels entre les critiques françaises et
germaniques.
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la question de l’ontologie de la musique employée dans les discours critiques
d’un moment précis.
l’usage, explicite ou implicite, de concepts ou de doctrines philosophiques pour
analyser les œuvres ou le jeu des interprètes.
l’analyse des effets physiques ou moraux de la musique dans le discours
critique, sa portée et ses implications.
les regards croisés sur les répertoires nationaux ou les types d’œuvres
étrangères auxquels les critiques français ou allemands sont ou ont été
confrontés. L’idée n’est pas forcément de rechercher « l’autre », mais d’être
attentif à ce que pourrait nous apprendre dans ce contexte la présence du
« même ».
le thème inépuisable des grands auteurs, artistes, compositeurs, cinéastes ou
dramaturges envisagés dans leur travail critique et leur éventuelles différences
vis-à-vis du travail des critiques professionnels : comment penser cette
différence ?
ce que peut nous enseigner l’état actuel et comparé de la critique musicale par
rapport à son état passé (style, volume, nature, importance symbolique) ; peuton définir des paradigmes de la critique, en faire des typologies ?
l’évolution comparée de la critique à partir des nouveaux médias, sous l’angle
de la philosophie de la communication
la place de la critique musicale au sein des théories politiques de la musique,
envisagées d’un point de vue philosophique.
d’un point de vue esthétique, les différences entre les discours critiques portant
sur les arts plastiques et ceux qui portent sur la musique.
l’héritage ou les vestiges du formalisme esthétique dans la critique musicale
d’aujourd’hui
des travaux sur la philosophie de la musique la plus récente seront également
bienvenus, s’ils peuvent poser la question de la critique sans la détacher des
œuvres même auxquelles le critique se confronte.
Les communications pourront s’intéresser à la presse musicale de ses débuts à
aujourd’hui, en privilégiant autant que possible l’analyse et non la simple
dimension historique.
Les propositions (titre, esquisse d’une page et bref cv) pourront être envoyées avant le
22 août à l’adresse suivante : [email protected].
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