Laurent Maire - Septembre Musical
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Laurent Maire - Septembre Musical
EDITO Laurent Maire 1 © Yunus Durukan D ans le cadre des célébrations de son 70ème anniversaire, la Fondation du Septembre Musical a notamment décidé d’offrir à son public un magazine exceptionnel retraçant le parcours unique de ce Festival, qui a vu le jour au lendemain de la seconde guerre mondiale pour traverser sept décennies avant de présenter l’édition jubilée qui se déroulera entre le 26 août et le 4 septembre 2016 sur la Riviera. Cette initiative s’inscrit dans la suite logique du dynamisme qui caractérise le Festival du Septembre Musical depuis que celui-ci s’est lancé de nouveaux défis, permettant de rajeunir à la fois son image et son public. Soutenu par les principales personnalités politiques et économiques de la Confédération, du canton et de la région, le Septembre Musical, résolument tourné vers l’avenir, a lancé des projets innovants, dont notamment le village musical, qui permet aux entreprises de la région d’offrir à leurs clients et leurs partenaires une soirée musicale dans des conditions idéales ; il y a également le Festival OFF, qui se veut à la fois simple et porteur d’émotions, et dont l’objectif est de tisser un lien entre les artistes d’exception et le public des rues de Montreux et de Vevey qui peut assister gratuitement à des événements musicaux de grande qualité. Mais il y a surtout le magazine, dont la parution symbolise ce nouveau souffle d’un festival qui ambitionne d’agrandir sa renommée, d’augmenter son public et d’intensifier son souvenir. Dans ce cadre, le positionnement du magazine s’inscrit, tout comme le festival, dans la durée, et ambitionne à la fois de devenir la vitrine du festival, mais également la mémoire de ses éditions, tant chacune d’elle est un évènement à la fois unique et éphémère. Au cœur d’une convergence de talents composant les orchestres les plus prestigieux du monde, tel le prestigieux Royal Philhamornic Orchestra, le sublime orchestre de Perm ou encore l’émouvant orchestre des jeunes de Bahia, au Brésil (Youth Orchestra of Bahia – YOBA), la passion est le fil conducteur de ces musiciens qui donnent, l’espace d’une représentation, le meilleur d’eux-mêmes pour faire découvrir leur art. Rien dès lors de plus naturel que de rappeler quelques notes de cette partition qui se joue depuis 70 ans et qui méritait, au-delà de la reconnaissance de son public et de sa région, un témoignage écrit, sous la forme de ce magazine. La musique classique est universelle et transcende les âmes quelques soient leurs âges et où qu’elles se trouvent. Ainsi, des incroyables jeunes artistes du YOBA, dont la moyenne d’âge oscille autour de 20 ans à la sérénité magique du Royal Philhamornic Orchestra qui célèbre cette année ses 70 ans, tout comme notre festival, et dont l’irremplaçable chef d’orchestre, Charles Dutoit célèbre quant à lui ses 75 ans, plus d’un demi-siècle sépare des artistes qui se retrouveront pourtant réunis au même moment, dans un même festival, pour partager leur amour commun pour le 4ème Art. 70 ans séparent la naissance du festival de celle de son magazine et le premier aura 140 ans lorsque le second aura atteint son âge, en 2086. Cela peut paraître utopique ou donner le vertige, mais n’est est-ce pas utopique de parier, il y a 70 ans, que le festival du Septembre Musical fêterait en 2016 son 70ème anniversaire ? Et si 2086 peut donner le vertige, cela n’est rien comparé à ceux suscités par l’émotion que peut offrir un orchestre symphonique au sommet de son art. Puisse le magazine s’inspirer de la longévité de son festival. Longue vie au festival et longue vie au magazine ! Laurent Maire, Président du Conseil de Fondation Septembre Musical PRÉFACE Chères Amies et Amis mélomanes, E n 1946, lorsque les premières notes du Festival de Musique Classique Montreux-Vevey, Septembre Musical résonnèrent – quelques années après celles de son pendant suisse alémanique, le Festival de Lucerne en 1938 – la Suisse romande pouvait enfin être fière de disposer d’une plateforme internationale dédiée aux concerts de musique classique. La toile de fond que forme la Riviera vaudoise surplombant le lac Léman majestueux, associée à une infrastructure hôtelière de premier plan, une gastronomie réputée, sans oublier un nombre impressionnant de magnifiques salles de concert se prêtant à toutes les formes de répertoire musical, offrait ainsi au cœur de l’Europe des conditions idéales et une attractivité rare à la fois pour les artistes de niveau international et le public. Pourtant ce sont avant tout les habitants du bassin lémanique qui ont constitué, hier comme aujourd’hui, le noyau des spectateurs du Festival. En 2016, à l’occasion du 70e anniversaire du Festival, les plus grands artistes de la scène internationale actuelle ont répondu avec enthousiasme à notre invitation. Pour ouvrir les feux de cette édition spéciale, nous recevrons lors de trois concerts de gala, le Royal Philharmonic Orchestra de Londres – également fondé en 1946 – avec Charles Dutoit à la baguette, en compagnie des pianistes Martha Argerich et Daniil Trifonov, et du violoniste Leonidas Kavakos. Parmi les nombreux temps forts du festival, le violoniste canadien James Ehnes jouera lors d’une soirée marathon l’œuvre intégrale de J.S. Bach pour violon solo et le pianiste Mikhail Pletnev – l’un des plus grands interprètes de notre temps – donnera un récital le 30 août avec des œuvres de Bach, Grieg et Mozart. La deuxième semaine de notre festival sera largement consacrée à YOBA, un orchestre composé de formidables jeunes artistes brésiliens et organisé selon le modèle « El Sistema » créé par le 5 © Yunus Durukan Tobias Richter pianiste, pédagogue et économiste vénézuélien José Abreu. C’est la deuxième fois que nous avons le plaisir d’accueillir cet orchestre au Septembre Musical. Soulignons que le programme « El Sistema » offre une opportunité exceptionnelle de sauver des jeunes en situation d’extrême pauvreté des dérives liées à l’abus de drogues et à la délinquance. Son objectif est d’utiliser la musique comme moyen de formation, de réadaptation et de prévention des comportements délictueux. Pour conclure cette édition, nous recevrons le 3 septembre le jeune et déjà exceptionnel orchestre et chœur musicAeterna originaire de Perm en Russie, avec un programme consacré à la musique du compositeur Jean-Philippe Rameau. Le jeune chef charismatique de cette phalange, Teodor Currentzis, a créé en quelques années un ensemble dont le niveau est en tout point remarquable. Cet ensemble, invité aujourd’hui dans les salles de concert les plus prestigieuses, suscite à chaque apparition un tonnerre d’applaudissements de la part du public. Enfin, le 4 septembre, deux concerts seront proposés, l’un gratuit dans le cadre du « Off » sous le marché couvert de Montreux pour le public local et l’autre, l’après-midi au légendaire Château de Chillon pour clore cette édition 2016. À travers cette programmation musicale exigeante, tel un prisme aux multiples facettes qui mélange jeunes musiciens soigneusement sélectionnés parmi les meilleurs talents de leur génération et artistes réputés de la scène internationale, le Septembre Musical signe inlassablement un festival hors normes durant le fameux « été indien », la plus belle saison qui soit, au cœur d’un panorama grandiose que l’on appelle la Riviera Vaudoise. Tobias Richter, Directeur du Septembre Musical FOREWORD Dear friends and music lovers I n 1946, when the first notes of the Montreux – Vevey Classical Music Festival, Septembre Musical resounded - a few years after those of its German-speaking Swiss counterpart, the Lucerne Festival in 1938 - French-speaking Switzerland could finally be proud of having an international platform dedicated to classical music concerts. The backdrop formed by the Vaud Riviera overlooking the majestic Lake Geneva associated with leading hotel facilities, reputed gastronomy, not to mention an impressive number of beautiful concert halls suited to all forms of musical repertoire, therefore offered ideal conditions and a rare attractiveness for international artists and the public in the heart of the Europe. Yet it is above all the inhabitants of the Lake Geneva region who, then like now formed the core of the Festival’s spectators. In 2016, to mark the Festival’s 70th anniversary, the world’s current finest artists have responded enthusiastically to our invitation. To launch this special edition, we are hosting for three gala concerts, the London Royal Philharmonic Orchestra - also founded in 1946 – under the baton of conductor Charles Dutoit, accompanied by pianists Martha Argerich and Daniil Trifonov, and violinist Leonidas Kavakos. Among the many highlights of the festival, the Canadian violinist James Ehnes will play the complete works of J.S. Bach for solo violin during a marathon evening and pianist Mikhail Pletnev - one of the greatest performers of our time - will give a recital on 30th August with works by Bach, Grieg and Mozart The second week of our festival will be largely devoted to the YOBA, an orchestra comprised of wonderful young Brazilian artists and organized according to the «El Sistema» model created by the Venezuelan pianist, educator and economist José Abreu. It is the second time that we have the pleasure of welcoming this orchestra to the Septembre Musical festival. It should be emphasised that the «El Sistema» programme offers an outstanding opportunity to save young people in extreme poverty from the dangers of drug abuse and delinquency. Its goal is to use music as a means of education, rehabilitation and prevention of criminal behaviour. To conclude this edition, on 3rd September we will welcome the young and already outstanding musicAeterna orchestra and choir from Perm in Russia, with a programme devoted to the music of the composer Jean-Philippe Rameau. The young charismatic leader of the phalanx, Teodor Currentzis, has in just a few years created an ensemble whose level of performance is nothing short of remarkable. This ensemble, invited today to the most prestigious concert halls, prompts thunderous applause from the audience each time it performs. Finally, on 4th September, two concerts will be scheduled, a free one as part of the ‘Off’ festival under the roof of the covered market in Montreux for the local public and the other one, in the afternoon at the legendary Castle of Chillon to close the 2016 edition. Through this demanding musical programme, like a prism with many facets which blends young musicians carefully selected from among the best talent of their generation and internationally renowned artists, Septembre Musical is over and over again an extraordinary festival which stands out during the famous ‘Indian summer’, the most beautiful season there is, at the heart of a grandiose panorama called the Vaud Riviera. LES PASSIONS MARTHA ARGERICH L a pianiste Martha Argerich ne se présente plus, elle qui parcourt le monde et les plus grandes scènes de concert depuis plus de soixante ans. Enfant prodige du piano, elle s’est distinguée dès son plus jeune âge par une aisance impressionnante et une manière d’habiter la musique qui annonçait déjà l’apparition d’une interprète de génie. Née à Buenos Aires en 1941, elle a révélé ses dons musicaux dès l’âge de 3 ans, et a commencé à prendre des leçons de piano à 5 ans avec Vincenzo Scaramuzza. Pourquoi le piano? Parce que, dit-on, un petit garçon l’avait mise au défi d’en jouer, ce qui l’avait incitée à reproduire une berceuse qu’elle avait entendue. Trois ans plus tard, elle se produisait déjà en récital en interprétant le Concerto en ré mineur de Mozart et celui en ut majeur de Beethoven… et commençait à cumuler les prix et les récompenses. Elle a à peine 14 ans lorsque, en 1955, elle quitte l’Argentine avec sa famille pour poursuivre ses études musicales en Europe auprès de Madeleine Lipatti et Nikita Magaloff, à Genève, ainsi que chez Friedrich Gulda à Vienne, qui jouera un rôle essentiel dans son existence en la révélant à elle-même. Bien des années plus tard, elle confiera en interview l’anecdote suivante, très significative de sa vision personnelle. Un jour, Paul, le fils de Friedrich Gulda a demandé à son père : «Papa, que faut-il faire pour bien jouer ?» Il a répondu : «Il faut entrer dans le piano.» Une réflexion dont la justesse ne lui a visiblement pas échappé… Son travail et son talent ne tarderont pas à être reconnus puisqu’à 16 ans, elle décroche le premier prix du Concours Busoni, à Bolzano, et le Premier prix du Concours international de Genève. Deux concours d’une exigence extrême qu’elle remportera en l’espace de deux semaines. Mais c’est neuf ans plus tard que sa virtuosité sera magistralement couronnée avec l’obtention de trois prix lors du Concours international de piano Frédéric-Chopin, à Varsovie, considéré comme le plus prestigieux. Elle sera gratifiée du Premier prix, du Prix du public et de celui de la meil- leure interprétation des Mazurkas. Ce triple hommage marquera le véritable point de départ d’une carrière internationale au cours de laquelle elle enchaînera les récitals. Une suprématie reconnue Depuis les années soixante, Martha Argerich s’est imposée comme étant l’une des reines incontestées en son domaine. Ses tournées l’ont entraînée à travers le monde, des Etats-Unis au Japon en passant par l’Europe où, partout, critiques et public sont unanimes à saluer son talent, sa sensibilité et sa maîtrise technique. Comparée à Euterpe, la muse de la Musique dans la mythologie grecque, elle s’adonne à son art avec un instinct et un naturel fascinants. Aux yeux des mélomanes, elle représente la musique incarnée, déjouant les pièges des œuvres les plus complexes qu’elle exécute avec une expressivité maximale. Femme charismatique à la personnalité affirmée, atypique et indépendante, Martha Argerich a toujours voulu être libre de ses choix, évitant les contrats d’exclusivité, fuyant interviews et publicité, et n’hésitant 45 Verbier Festival © Aline Paley pas à mettre sa carrière entre parenthèses à certaines périodes de sa vie. Est-ce le fait d’avoir été très tôt confrontée au feu des projecteurs? Toujours est-il qu’elle a constamment tenté d’échapper à la notoriété, préférant se réfugier dans un anonymat réconfortant, ce qui a contribué à lui forger une aura de mystère, à nourrir les curiosités et à amplifier le désir du public à son égard. Contre son gré, elle est devenue une légende vivante… Cette artiste flamboyante et passionnée, reconnaissable par la fluidité hors du commun de son toucher et de son phrasé musical, captive et cumule les honneurs. Elle a réalisé des enregistrements majeurs, dont plusieurs ont également été récompensés par des prix aussi illustres que les Grammy Award. En 2010, le journaliste Oliver Bellamy lui a consacré un livre dans lequel il explique que, afin de conserver sa fraîcheur d’âme, Martha Argerich préfère ne jouer qu’une partie de la composition en répétition et non pas son intégralité pour réserver au moment du concert la substantifique moelle de l’œuvre qu’elle choisit d’interpréter. Aujourd’hui, elle se produit en concert de manière plus parcimonieuse. Chacun d’eux est donc un événement très attendu, explorant un vaste répertoire avec cette puissance sensible et dénuée de violence et cette vélocité équilibrée qui lui sont propres. * «’L’enfant et les sortilèges» Olivier Bellamy, chez Buchet-Chastel. T he pianist Martha Argerich doesn’t need any introduction. She has been travelling the world and the largest concert halls for over sixty years. As a child prodigy of the piano, she distinguished herself from a very early age with an impressive ease and a way of inhabiting music which already heralded the emergence of a uniquely talented performer. Born in Buenos Aires in 1941, she revealed her gift for music at the age of 3, and started taking piano lessons at the age of 5 with Vincenzo Scaramuzza. Why the piano? Because, we are told, a little boy challenged her to play it, which prompted her to play a lullaby she had heard. Three years later, she was already performing in recital playing the Concerto in D minor by Mozart and Beethoven... and beginning to win prizes and awards. She was barely 14 years old when, in 1955, she left Argentina with her family to continue her music studies in Europe with Madeleine Lipatti and Nikita Magaloff, in Geneva, as well as Friedrich Gulda in Vienna, who was to play a key role in her life by revealing her talent to herself. Many years later in an interview, she mentioned the following, very significant anecdote of her personal vision: One day, Paul, the son of Friedrich Gulda asked his father: “Daddy, what does it take to play well?” He replied: “You must enter the piano.” A reflection the relevance of which clearly did not escape her notice... © Olya Runyova for Gorchitsa Magazine © Anton Zavialov TEODOR CURRENTZIS C ertains disent de lui qu’il est l’enfant terrible du classique. Et il est vrai que ce chef d’orchestre grecorusse né en 1972 à Athènes est aussi brillant qu’atypique. Sous des dehors excentriques appuyés par une apparence de dandy gothique et un visage d’adolescent, il cultive une rigueur et une précision extrêmes dans son travail, proposant une production conservatrice et pure des partitions qu’il aborde. Sous le soleil de la Méditerranée où il a grandi, Teodor Currentzis a été baigné par les œuvres de Mozart. Ce dernier était l’un des compositeurs que sa mère pianiste enseignait aux élèves qu’elle recevait chez elle tout au long de la journée. Là où d’autres auraient pu se lasser, le petit garçon développe un amour de la musique qui le conduit à étudier le solfège et les instruments à cordes, violon et piano, au Conservatoire national grec, dans sa ville natale. C’est là et à l’Académie d’Athènes qu’il sera formé au chant avant qu’il ne se tourne vers la direction d’orchestre. Une vocation qui l’a happé sans qu’il l’ait vraiment souhaité même s’il reconnait aujourd’hui qu’il a tou- jours été très bon musicien et qu’il tenait naturellement le rôle de leader dès qu’il s’intégrait à un groupe. Une qualité remarquée par son entourage et ses professeurs qui l’ont encouragé à persévérer dans cette voie. Teodor Currentzis est donc parti pour la Russie afin d’y poursuivre ses études au Conservatoire d’Etat de Saint-Pétersbourg auprès de Ilya Mussin, notamment mentor de Valery Gergiev. En 1999, pour le jeune diplômé, pas question de débuter sa carrière à Moscou ou à Saint-Pétersbourg. Si la Russie est devenue sa terre d’adoption, c’est à ses yeux en province que fourmillent les courants novateurs. Il accepte le poste de directeur musical et chef d’orchestre de l’Opéra Ballet de Novossibirsk durant six ans, et fonde l’orchestre MusicAeterna dont il est le directeur musical. En 2010, il est invité à reprendre le poste de directeur artistique de l’Opéra Ballet d’État de Perm. Proposition qu’il accepte, sous condition de pouvoir amener MusicAeterna avec lui. Cette ville de l’Oural, devient son «monastère musical» où il travaille 51 loin des grandes métropoles, sans limitation d’horaire, en s’entourant de musiciens partageant sa passion et sa vision. Dans la sphère de la musique classique, Teodor Currentzis ne laisse personne indifférent. Son approche de Mozart et d’autres compositeurs est adorée et parfois décriée. Mais s’il en déstabilise certains, le chef d’orchestre confie ne pas le faire délibérément. Il met un point d’honneur à être d’une fidélité absolue aux partitions, comme il l’a encore prouvé récemment avec Les Noces de Figaro parues chez Sony Classical, dans une version très précise enregistrée en studio. Il s’en explique sans détour: «Comment traduire ce livre des anges dans une langue qui n’a jamais été parlée? Là est le problème. (…) Je veux vraiment découvrir et percevoir comment l’oeuvre a été écrite, voir la gravure de la voix telle qu’elle a été conçue. Quand, dans un enregistrement, l’intonation n’est pas concrète, que la voix possède trop de vibrato, cela devient vraiment chaotique et je ne comprends plus la mélodie. On se perd alors dans une sorte de beauté, comme une rivière de miel… et c’est saoulant.» Avec ses chanteurs et ses musiciens, Teodor Currentzis sillonne le monde et charme le public par sa rigueur et son savoir-faire charismatique, ouvrant des voies jusqu’alors inexplorées en remettant les interprétations authentiques au goût du jour. Il refuse que les oeuvres soient lissées, préférant une production complexe et cultivée, servie par des musiciens qu’il pousse à aller jusqu’au bout d’eux-mêmes. Son travail a été récompensé en février 2016 avec l’attribution du Prix Kairos, décerné par la Fondation Alfred-Toepfer de Hambourg en Allemagne. Ce prix distingue un artiste ou un théoricien européen dans le domaine des arts. Et ce sont ses interprétations de Mozart basées sur des recherches historiques qui ont valu à Teodor Currentzis d’être primé. S ome say he is the enfant terrible of classical music. And it is true that this Greek-Russian conductor born in Athens in 1972 is also as brilliant as he is atypical. Beneath his eccentric exterior supported by a gothic dandy appearance and a teenage face, he cultivates extreme rigour and precision in his work, offering a conservative and pure production of the scores he approaches. Under the sun of the Mediterranean where he grew up, Teodor Currentzis was bathed by the works of Mozart. The latter was one of the composers that his pianist mother taught the students she welcomed at her home throughout the day. Where others might have got bored, the little boy developed a love of music which led him to study music and string instruments, the violin and piano, at the Greek National Conservatory in his hometown. It is there and at the Academy of Athens that he was trained as a singer before he turned to conducting. A calling that swept him up without him really wanting it to even though he now recognizes that he has always been a very good musician and that he naturally took the leading role as soon as he joined a group. This was a quality which was noticed by his entourage and his teachers who encouraged him to persevere along this path. Teodor Currentzis therefore left for Russia to continue his studies at the Saint Petersburg State Conservatory with Ilya Mussin, who was notably a mentor of Valery Gergiev. In 1999, it was out of the question for the young graduate to begin his career in Moscow or St. Petersburg. Although Russia became his new homeland, in his opinion it was the provinces that were teeming with innovative trends. He accepted the post of music director and conductor of the Novosibirsk Opera and Ballet Theatre for six years, and founded the MusicAeterna Orchestra of which he is the music director. In 2010, he was invited to take over the position of artistic director of the Perm State Opera and Ballet