Les caractéristiques démographiques et sociales des meurtriers et

Transcription

Les caractéristiques démographiques et sociales des meurtriers et
Les caractéristiques démographiques
et sociales des meurtriers
et de leurs victimes
Une enquête sur un département de la région
parisienne dans les années 1990
Laurent MUCCHIELLI*
Les homicides disent beaucoup sur les fractures des sociétés
où ils se produisent. Les dossiers criminels ne contiennent pas
seulement des indications sur les circonstances des meurtres ; ils
informent très largement sur les caractéristiques biographiques
des meurtriers, même s’ils sont peu prolixes sur les victimes.
À partir d’une étude exhaustive des dossiers criminels jugés dans
le département français des Yvelines dans les années 1990,
Laurent MUCCHIELLI montre qu’appartenant dans leur quasitotalité aux classes populaires, les meurtriers sont des hommes
marqués par de lourds handicaps familiaux, scolaires et sociaux,
qui dans leur majorité sont inactifs et n’ont pas de vie conjugale
au moment des faits. Les victimes appartiennent aux mêmes catégories sociales mais sont, plus souvent que les meurtriers, de sexe
féminin. Certaines histoires de vie, dans lesquelles les individus
ont peu reçu dans le passé et n’ont rien à perdre dans le présent,
poussent ainsi à accorder moins de prix à la vie des autres aussi
bien qu’à la sienne.
Au cours des années 1990, un peu moins de 2 000 homicides, tentatives d’homicides et coups mortels ont été, en moyenne, enregistrés annuellement par la police et la gendarmerie françaises. À quelles réalités
sociales correspond ce phénomène dans notre société ? Cette recherche est
née du constat qu’il était difficile de répondre à la question posée en l’état
actuel des connaissances. Les recherches sur le sujet sont en effet rarissimes en France. Les plus anciennes sont liées au développement de la criminologie juvénile à partir des années 1960, autour notamment du centre
* CNRS, Cesdip (Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions
pénales), Guyancourt, France.
Population-F, 59(2), 2004, 203-232
204
L. MUCCHIELLI
de recherche de Vaucresson (par exemple : Henry et Laurent, 1974, p. 7187). En 1976, la thèse de J.-C. Chesnais sur Les morts violentes en France
depuis 1826 établit les principales caractéristiques historiques, géographiques et sociales des homicides. Il faut attendre ensuite la thèse
d’État de J.-M. Bessette en 1984 et des publications tardives tirées de cette
recherche (notamment Bessette, 1994) pour avoir de nouveau quelques
données sur les homicides, mais sur la base d’un matériel empirique remontant aux années 1960 et 1970. Enfin, la thèse de B. Michel (1991),
consacrée au meurtre, réalise une intéressante revue de travaux juridiques,
historiques et de sciences humaines, mais n’apporte en guise de matériel
empirique que quelques dizaines d’articles de presse français et suisses
datant également des années 1970. En réalité, dans l’espace intellectuel
français, c’est surtout vers l’école historique que le chercheur en sciences
sociales peut se tourner pour s’imprégner d’un corpus de travaux nombreux et instructifs au double plan empirique et méthodologique.
Aux États-Unis, la situation est toute différente. Dans les années
1950, les livres d’Albert Morris (1955) et surtout de Marvin Wolfgang
( 1 9 5 8 ) , u n é l è v e d e T h o r s t e n S e l l i n , d ev i e n n e n t r a p i d e m e n t d e s
« classiques » suscitant de nombreuses recherches basées le plus souvent
sur des analyses de grandes séries d’affaires criminelles traitées par la police. Depuis cette date, les recherches empiriques se comptent par centaines et alimentent chaque année les nombreuses revues de sociologie et
de criminologie américaines. À tel point que ce qui n’était au départ qu’un
objet de recherche tend à devenir un sous-champ à part entière, ainsi qu’en
témoigne le lancement en 1997 de la revue Homicide Studies . Un article
de revue ne suffirait pas à dresser un bilan de cette littérature scientifique.
Signalons cependant quelques grandes problématiques qui la traversent.
La première – et la plus nourrie – est la recherche des facteurs permettant
d’analyser les comportements, tant sur le plan des individus (auteurs et
victimes) que sur celui des contextes urbains dans lesquels ils se signalent
par des fréquences particulièrement élevées. Ensuite, l’analyse des relations entre auteurs et victimes fait l’objet de travaux plus rares mais
d’autant plus intéressants qu’ils fournissent généralement le socle des tentatives de construction des typologies des homicides. La recherche des circonstances et des contextes (situationnels, matériels, relationnels, etc.)
des passages à l’acte criminel donne lieu à des travaux moins nombreux.
Enfin, l’importante variation des taux d’homicides d’un pays à l’autre et
au sein même des pays constitue une problématique classique qui continue
à faire l’objet de recherches historiques, anthropologiques et sociologiques.
Dans cet article, nous retenons la définition générale selon laquelle
les homicides sont des comportements qui résultent d’interactions entre
des auteurs et des victimes, dans des situations données et dans des
contextes historiques, sociaux et culturels donnés (Mucchielli, 2002,
p. 148). Le présent article aborde un aspect de cette réalité complexe : il
LES MEURTRIERS ET LEURS VICTIMES
205
présente les caractéristiques démographiques et sociales des auteurs et des
victimes à partir d’un échantillon local et en discute la portée sociologique
générale.
I. Problèmes méthodologiques de l’enquête
Nous parlerons désormais de façon générique et par commodité des
homicides, regroupant dans cette catégorie l’ensemble des coups portés
volontairement par une ou plusieurs personnes à l’encontre d’une ou plusieurs autres personnes et ayant eu pour effet de la (les) tuer ou de la (les)
blesser très gravement . Retenir ces critères matériels permet de contourner la notion d’« intention de donner la mort » dont on verra la forte
dépendance à l’égard des processus de reconstruction judiciaire et qui est
par ailleurs souvent difficile à établir, compte tenu notamment des circonstances du passage à l’acte et du fréquent état de grande ivresse des protagonistes. Le champ de l’étude est par ailleurs limité aux situations mettant
aux prises des personnes dans la sphère de la vie privée, par opposition
aux violences mortelles volontaires liées à des actes de terrorisme, des situations de guerre (militaire ou civile), ou encore des violences policières.
Soulignons enfin que cette définition laisse provisoirement ouverte la
question de la frontière entre ce que la justice qualifie de tentative de
meurtre et ce que la réalité sociale donne à voir comme des coups volontaires ayant gravement blessé une personne sans toutefois la tuer.
1. L’échantillon, son intérêt et ses limites
Nous présentons les caractéristiques de l’échantillon étudié dans ce
travail avant de discuter sa représentativité (1).
— L’enquête a porté sur les affaires traitées par la cour d’appel de
Versailles. Même s’il ne s’agit pas d’une enquête d’ambition nationale, le
ressort de cette juridiction – qui correspond au département des Yvelines,
et comptait au recensement de 1990 un peu plus de 1,3 million
d’habitants – présente l’intérêt d’avoir une structure sociale très contrastée. Certes, sous cet aspect, la physionomie du département n’est pas re(1) En France, durant les dix années sur lesquelles porte cette enquête, environ 15 000 homicides ont été jugés par les 33 cours d’appel réunies en assises (on parlera par la suite de cours
d’assises), dont 30 sont situées en métropole et 3 dans les départements d’outre-mer
(Guadeloupe, Martinique et La Réunion). La cour de Versailles, lieu de l’enquête, se situe au troisième rang du classement selon le volume des affaires jugées. Environ 80 % des procès sont
ouverts contre un ou plusieurs auteurs identifiés (sur le problème de l’élucidation, cf. Mucchielli,
2004). Les qualifications pénales retenues sont le « meurtre » (soit la mort donnée volontairement) dans deux affaires sur trois, l’« assassinat » (soit la mort donnée volontairement et avec
préméditation) dans une affaire sur cinq, le « coup mortel » (soit le coup ayant entraîné la mort
sans intention de la donner) dans une affaire sur dix, le reste étant constitué essentiellement par
des infanticides et un parricide.
206
L. MUCCHIELLI
présentative du pays (elle l’est cependant à l’échelon de la région Île-deFrance), en raison principalement de la proportion particulièrement élevée
de cadres et professions intellectuelles supérieures (Iaurif-Insee, 19911992, vol. 2, p. 89 sqq ). Mais ceci ne fait qu’accroître la distance sociale
entre les zones peuplées essentiellement de cadres moyens et supérieurs et
celles peuplées essentiellement par les classes populaires, jusqu’aux zones
post-industrielles les plus pauvres comme certaines villes de la vallée de
la Seine qui ont défrayé régulièrement la chronique policière et médiatique ces deux dernières décennies.
— Les faits ont été commis au cours d’une période de dix ans,
entre 1987 et 1996.
— Nous avons étudié 102 affaires impliquant au total 122 accusés.
En effet, une affaire peut mettre en cause plusieurs auteurs ainsi que des
complices. La quasi-totalité des affaires dans lesquelles sont impliqués
des coauteurs et la plupart de celles qui mettent en cause des complices
sont constituées par les meurtres.
— La seule façon de procéder conforme aux principes exposés cidessus est d’écarter toute sorte de sélection dans les dossiers. Nous avons
donc analysé l’intégralité des dossiers archivés concernant cette période.
La population enquêtée ne saurait ainsi constituer un échantillon
représentatif de la population française. Elle peut cependant prétendre à
une forte représentativité au sein de la population pénale, au regard des
trois indicateurs démographiques (l’âge, le sexe et la nationalité) que mentionnent les statistiques judiciaires (2).
2. Ce que les sources disent
et ce qu’elles ne disent pas
Un dossier criminel jugé par une cour d’assises est constitué par une
série de pièces de fond et de forme. Sur le fond, l’essentiel est le dossier
d’instruction comprenant notamment les enquêtes, les auditions et interrogatoires, les expertises psychiatriques, la reconstitution lorsqu’elle a eu
lieu, cahier photographique à l’appui et expertises balistiques le cas
échéant. Il peut parfois être complété par les rapports des personnels
médico-sociaux exerçant en prison (où les inculpés sont détenus avant le
jugement). C’est à partir du dépouillement systématique de ces pièces
qu’ont été constitués et alimentés la grille d’analyse et le système de codage qui sous-tendent les résultats présentés ci-dessous (3) . Le tout est
d’épaisseur variable en fonction du nombre de personnes impliquées mais
(2) Une divergence apparaît certes en ce qui concerne la nationalité, mais qui tient d’abord
à l’inégale répartition des étrangers sur le territoire national, en l’occurrence à leur surreprésentation en région parisienne Au recensement de 1990, 18,8 % de la population française métropolitaine résidait dans la région Île-de-France, mais la proportion était double (38,3 %) parmi les
étrangers (Iaurif-Insee, 1991-1992, vol. 2, p. 70). On détaillera infra les données au niveau du département étudié.
LES MEURTRIERS ET LEURS VICTIMES
207
aussi de la complexité de l’affaire et de la qualité du travail d’enquête et
d’instruction.
De manière plus générale, quant à la critique des sources, distinguons deux interrogations : sur ce que disent les sources et sur ce qu’elles
ne disent pas.
C’est sur ce que disent les sources que se concentre habituellement
une critique dont le maître-mot est « reconstruction ». Nous nous trouvons
face à « un “discours sur”, c’est-à-dire une reconstruction de la matière
première – personnes ou faits – qu’on [l’institution] lui a apportée afin de
la rendre utilisable dans le cadre tracé par la logique institutionnelle et par
sa fonction sociale » (Robert, Lambert et Faugeron, 1976, p. 2). Le sociologue n’observe pas des faits, mais un récit institutionnel des faits, une reconstruction policière et judiciaire. De fait, le réquisitoire définitif qui
clôture l’enquête criminelle est constitué par un double récit : le récit des
faits criminels, certes, mais aussi le récit de l’enquête criminelle ellemême, qui permet de souligner les éléments les plus crédibles de l’enquête
et ceux qui le sont moins (Macchi, 2001, p. 181-182).
Cette critique n’est pas à prendre à la légère, mais elle ne doit pas
non plus constituer une fin de non-recevoir pour une étude sociologique
des comportements. Certes, l’erreur judiciaire existe et consiste précisément en une reconstruction erronée des faits. Au terme de l’étude, le phénomène semble néanmoins rarissime (une affaire sur les 102 étudiées a
semblé en partie discutable). Du reste, les accusés contestent très rarement
l’acte qui leur est reproché. Deux fois sur trois, l’auteur n’a pas tenté de
dissimuler son geste et a été arrêté (ou même s’est livré) sans résistance
(Mucchielli, 2004). Dans presque tous les cas, les auteurs avouent rapidement et leur défense consistera le plus souvent à nier non pas le geste criminel mais l’intention de donner la mort.
Enfin, même si la reconstruction judiciaire est une nécessité, l’image
qu’elle fournit des faits n’est pas pour autant le produit d’un imaginaire
qui trahirait la réalité sociale. En dehors du cas rarissime où le magistrat
instructeur et ses enquêteurs se tromperaient sur la personne, les éléments
des dossiers qui sont les plus utiles pour analyser ce qui s’est passé ne
semblent pas fondamentalement faussés ou travestis par le traitement institutionnel dont ils ont fait l’objet.
En réalité, les problèmes posés par la source ne se situent pas essentiellement dans ce qu’elle dit mais plutôt dans ce qu’elle ne dit pas. Les
principaux biais ne se trouvent pas dans le contenu du récit judiciaire mais
en dehors : dans ses silences ou dans ses points aveugles . Et parmi ces si(3) Notre démarche ne se référant à aucune théorie sociologique ou criminologique a
priori, la grille d’analyse a visé à saisir la totalité des facteurs entrant en jeu (concernant aussi
bien les auteurs et les victimes que les circonstances des passages à l’acte). Les difficultés de codage en ce qui concerne certains aspects de la vie sociale seront indiquées infra. La question des
catégories psychologiques mobilisées dans les expertises a fait l’objet d’une réflexion dans un
autre travail (Mucchielli, 2001b).
208
L. MUCCHIELLI
lences, il en est un d’assourdissant : celui sur la victime. Dans leurs travaux
pionniers, von Hentig (1948), Morris (1955) puis Fattah (1971) l’avaient
déjà souligné. Les dossiers d’homicide n’indiquent souvent de la victime
que les nom, prénoms, dates de naissance et de décès. C’est à travers
l’auteur et son environnement humain (famille, voisinage, relations de travail) que l’on est généralement renseigné partiellement sur la victime, sachant qu’auteur et victime se connaissaient dans plus de 80 % des cas.
II. À la recherche du profil
sociodémographique des auteurs(4)
1. Une affaire d’hommes
La répartition très inégale des auteurs d’homicides selon le sexe est
fort ancienne et résiste au temps. Dans l’échantillon, 85 % des auteurs
sont des hommes, 15 % des femmes, tandis que le rapport des sexes dans
notre société est équilibré (49,4 % d’hommes et 50,6 % de femmes dans le
département des Yvelines au recensement de 1990). Cette répartition est
conforme aux données policières et judiciaires nationales. Les statistiques
de police et de gendarmerie indiquent en effet que, pour l’ensemble des
homicides, des tentatives d’homicides et des coups mortels, la part des
femmes parmi les auteurs s’élevait à 15,7 % en 1990 (5) . Quant aux statistiques issues des poursuites des parquets pour la période 1986-1990, elles
indiquent un rapport légèrement plus élevé : 87 % d’hommes et 13 % de
femmes (Laroche, 1994, p. 13) (6) . Cette répartition serait encore plus inégale si l’on mettait de côté le cas spécifique de l’infanticide (7).
Femmes et hommes commettent-ils les mêmes crimes ? La surreprésentation masculine dans l’échantillon rend délicate l’interprétation de
certaines liaisons présentées dans le tableau 1. Il apparaît toutefois que les
hommes sont davantage impliqués dans les meurtres (par opposition aux
(4) Les analyses statistiques présentées dans ce texte consistent essentiellement en une
batterie de tris croisés. Une analyse factorielle a été réalisée mais n’a été d’aucun secours, en
raison sans doute de la faible taille (n = 122) et de la forte homogénéité sociale de la population
enquêtée.
(5) Nous utiliserons fréquemment à titre comparatif l’année 1990 qui se situe au milieu de
la période étudiée.
(6) On observe des proportions semblables dans les autres pays occidentaux. En Suisse,
dans le canton de Zurich (où le taux d’homicide est le plus élevé de ce pays), les hommes constituaient également 87 % des meurtriers dans les années 1976-1988 (Massonnet, Wagner et Kuhn,
1990, p. 82). La proportion est identique au Canada pour la période 1961-1983 (Silverman et
Kennedy, 1987, p. 286).
(7) Soulignons cependant que l’infanticide n’est pas aussi typiquement un crime de
femmes que l’on a encore souvent coutume de le dire. Dans l’échantillon étudié ici, on trouve
autant d’hommes que de femmes ayant tué leur nouveau-né. Ici encore, notre constat est relativement proche des données nationales : en 1990, la police et la gendarmerie ont enregistré
29 infanticides commis par des femmes sur le territoire national, contre 20 commis par des
hommes.
Variables
Activité de l’auteur
Type de domicile de l’auteur
Famille d’origine de l’auteur décomposée
Antécédents judiciaires de l’auteur
Catégorie pénale
Relation auteur/victime
Lieu du crime
Mobile apparent : punir
Ancienneté du conflit auteur/victime
Notoriété du conflit
Modalités
Alternance emploi/chômage
Conjugal
Oui
Pas d’antécédent ni de mauvaise réputation
Meurtre
Infanticide
Ne se connaissaient pas
Relations familiales
Relations conjugales ou para-conjugales
Domicile conjugal
Voie publique
Oui
Pas d’ancienneté
Supérieure à 5 ans
Pas de tiers au courant
Hommes
58
29
25
42
65
5
28
10
16
16
43
5
37
5
54
Proportion (en %)
Femmes
Ensemble
11
56
59
67
39
28
6
28
39
72
11
25
6
28
28
51
33
30
46
62
8
25
12
20
24
38
8
33
8
50
Significativité (1)
**
*
**
*
*
***
*
*
*
***
*
**
**
***
*
LES MEURTRIERS ET LEURS VICTIMES
TABLEAU 1.– LES AUTEURS D’HOMICIDES : PRINCIPALES VARIABLES MARQUANT SIGNIFICATIVEMENT LA DIFFÉRENCE ENTRE LES SEXES
Le niveau de signification est fondé sur un test de χ2 : * correspond à un seuil de 10 %; ** à un seuil de 5 %; *** à un seuil de 1 %.
Source : enquête de l’auteur sur les homicides commis dans le département des Yvelines de 1987 à 1996.
(1)
209
210
L. MUCCHIELLI
tentatives et aux simples coups mortels) qui sont commis sur la voie publique, à la suite d’un conflit dont le mobile n’est pas très consistant (il
s’est forgé dans les circonstances immédiates et non dans la durée), entre
un auteur et une victime qui ne se connaissaient pas. Sous réserve de la
faiblesse des effectifs, l’analyse permet de faire l’hypothèse générale d’un
type du crime assez différent chez les femmes. Outre les infanticides, elles
sont plus souvent impliquées que les hommes dans des crimes commis sur
le conjoint, au domicile commun, dans une intention de punir l’autre (de
sa traîtrise, de sa lâcheté, de son abandon, etc.).
Ce contraste entre les crimes masculins et féminins tient donc, en
première analyse, à des modes de sociabilité et des styles de vie en partie
différents (l’espace public, les débits de boisson, la vie nocturne caractérisent davantage ceux des hommes), ce qui vaut du reste plus largement
pour l’ensemble des agressions physiques autres que sexuelles (Pottier,
Robert et Zauberman, 2002, p. 56). Lorsque les crimes sont commis non
plus dans l’espace public mais dans le huis clos familial, la part des
femmes parmi les auteurs augmente nettement, sans toutefois atteindre la
parité avec les hommes. Ce contraste renvoie aussi, au-delà des comportements et des styles de vie, à des représentations sociales, des identités de
genre, qui favorisent chez les hommes le recours à la violence physique.
Et le fait que, en matière criminelle, la répartition par sexe des auteurs
n’évolue pas au cours du temps – malgré les transformations profondes du
statut social des deux sexes que connaissent les sociétés occidentales –
témoigne à sa façon de la force des représentations et des identités en
question. C’est là un sujet important sur lequel notre enquête devra se
poursuivre.
2. Une affaire d’adultes
Les statistiques judiciaires ventilent par groupe d’âges les personnes
condamnées pour homicide volontaire et pour coups mortels. En 1990,
dans la France entière, sur 911 condamnés, aucun n’avait moins de 13 ans,
16 avaient de 13 à 16 ans (soit moins de 2 %) et 35 de 16 à 18 ans (soit
moins de 4 %). Les très jeunes majeurs n’étaient guère plus nombreux
(6,5 % dans le groupe 18-20 ans). Environ les deux tiers des condamnés
avaient entre 20 et 40 ans.
La population enquêtée dans les Yvelines a une structure par âge
comparable à celle de l’ensemble des personnes condamnées pour homicide au niveau national (figure 1). En France, le plus jeune auteur
condamné en 1990 avait 15 ans au moment des faits, le plus âgé 62 ans.
Mais il s’agit de cas singuliers. La répartition par âge est conforme à celle
observée dans les autres pays européens, par exemple la Suisse
(Massonnet, Wagner et Kuhn, 1990, p. 88) et les Pays-Bas (Smit, Bijleveld
et Van der Zee, 2001, p. 304-305). L’homicide commis par un mineur est
LES MEURTRIERS ET LEURS VICTIMES
211
donc très rare ; dans l’échantillon, le crime est presque neuf fois sur dix
l’affaire d’hommes âgés de 18 à 50 ans, et presque quatre fois sur dix le
fait d’hommes âgés de 18 à 30 ans.
25
P. 100
Ined 242 04
20
Condamnés (France)
15
Échantillon (Yvelines)
10
5
0
< 18
18-19
20-24
25-29
30-39
40-59
60 et +
Âge
Figure 1.– Comparaison entre la répartition par âge de l’ensemble
des personnes condamnées pour homicide en France en 1990
et celle de la population enquêtée
Note : les surfaces sont proportionnelles aux effectifs.
Sources : statistiques judiciaires nationales et enquête de l’auteur sur les homicides
commis dans le département des Yvelines de 1987 à 1996.
Par rapport à l’ensemble de la population, les auteurs d’homicides
sont cependant plutôt jeunes. La comparaison avec la répartition par âge
de la population totale du département au recensement de 1990 indique
que les criminels sont nettement plus nombreux parmi les moins de 35 ans
et moins nombreux au-delà. Les tranches d’âges les plus nettement surreprésentées dans l’échantillon sont les 20-24 ans et les 30-34 ans. L’homicide est bien avant tout une affaire de jeunes adultes.
3. Une surreprésentation apparente des étrangers
Ainsi que l’indique le tableau 2, 23 % des auteurs d’homicides sont
étrangers. Il est difficile d’évaluer avec précision sur ce point la représentativité de la population enquêtée au regard des données judiciaires nationales. En 1985, les étrangers constituaient 26,6 % des personnes mises en
cause par la police pour homicide ou tentative d’homicide, contre 16,6 %
dix ans plus tard. Le chiffre de 23 % se situe donc dans la fourchette. Il
212
L. MUCCHIELLI
constitue par ailleurs une proportion environ deux fois supérieure à la part
de la population étrangère dans le département au recensement de 1990
(10,2 %) (8) . Comment interpréter cette surreprésentation des étrangers ?
On doit noter d’abord un effet d’âge. Ainsi que l’indique le tableau 3, les
jeunes de 15 à 24 ans sont surreprésentés parmi les étrangers de la population enquêtée (36 % de l’effectif contre 19 % de l’ensemble des étrangers
du département).
TABLEAU 2.– NATIONALITÉ DES PERSONNES
CONDAMNÉES POUR HOMICIDE
Nationalité
Effectifs
Répartition (en %)
94
28
122
77
23
100
Française
Étrangère
Ensemble
Source : enquête de l’auteur sur les homicides commis dans le département des Yvelines de 1987 à 1996.
TABLEAU 3.– COMPARAISON DE LA RÉPARTITION PAR ÂGE DES FRANÇAIS
ET DES ÉTRANGERS AU RECENSEMENT LOCAL (YVELINES)
DE 1990 ET DANS L’ÉCHANTILLON
Population du département
Français
Étrangers
Effectifs
%
Effectifs
%
15-24 ans
25-39 ans
40-59 ans
60 ans ou plus
Total
182 934
275 806
299 920
164 884
923 544
19,8
29,9
32,5
17,8
100,0
19 046
35 089
38 665
7 653
100 453
19,0
34,9
38,5
7,6
100,0
Auteurs d’homicides
Français
Étrangers
Effectifs
%
Effectifs
%
29
43
20
2
94
30,9
45,7
21,3
2,1
100,0
10
10
7
1
28
35,7
35,7
25,0
3,6
100,0
Sources : Insee, recensement de la population de 1990 dans les Yvelines et enquête de l’auteur sur les homicides commis dans le département des Yvelines de 1987 à 1996.
Ensuite, les étrangers de la population enquêtée sont surreprésentés
parmi les ouvriers, en emploi ou au chômage, de ce bassin post-industriel
du sud-ouest de la région parisienne : un tiers des étrangers condamnés
pour homicide sont ouvriers (contre 12 % des Français) et 21 % sont
chômeurs (contre un peu moins de 10 % des Français). Ces écarts sont très
importants (de 1 à 3 pour le premier, de 1 à 2 pour le second). Il s’agit
donc d’une population davantage touchée par la précarité (9) , et qui est
largement concentrée dans les quartiers d’habitat social des villes situées à
proximité des anciens sites industriels (10).
Enfin, indiquons deux résultats de l’analyse statistique : primo , les
étrangers ne commettent pas des crimes racistes (ils en sont par contre
parfois les victimes) ; secundo , dans des situations de conflit équivalentes,
(8) Parmi les étrangers concernés, les ressortissants des pays du Maghreb et du Portugal
sont les plus nombreux ; ce sont aussi les nationalités les plus représentées dans le département.
(9) L’analyse du type de logement confirme que les étrangers se trouvent nettement plus
souvent dans des conditions de vie précaires.
LES MEURTRIERS ET LEURS VICTIMES
213
les étrangers agissent plus souvent que les Français sous l’emprise de la
panique, ce qui traduit peut-être une plus grande fragilité à tout point de
vue, c’est-à-dire non seulement économique mais aussi sur les plans juridique, relationnel et émotionnel. Il s’agit en effet fréquemment de personnes dont les conditions de vie sont dans l’ensemble marquées par une
grande précarité. Répétons que ces considérations ne sont à ce stade que
des hypothèses, corroborées cependant par d’autres analyses portant sur la
délinquance des étrangers (Mucchielli, 2003).
4. Des familles de milieux populaires
Parmi la centaine d’auteurs d’homicides dont on connaît l’origine sociale, 55 avaient un père ouvrier, 17 un père employé, 9 un père artisan ou
commerçant, et 1 avait un père inactif (tableau 4). Quant aux professions
intermédiaires, il s’agit ici de métiers tels que policier, contremaître et petit représentant de commerce, liés à des niveaux de revenu qui situent la
plupart d’entre eux dans les fractions supérieures des classes populaires.
TABLEAU 4.– ORIGINE SOCIALE DES AUTEURS D’HOMICIDES
CSP du père
Effectifs
Agriculteur exploitant
Artisan, commerçant, chef d’entreprise
Dont artisan, commerçant
Cadre, profession intellectuelle supérieure
Profession intermédiaire
Employé
Ouvrier
Inactif
Connue
Inconnue
Total
8
10
9
5
4
17
55
1
100
22
122
Répartition (en %)
Total
CSP connue
6,6
8,2
7,4
4,1
3,3
13,9
45,1
0,8
82,0
18,0
100,0
8,0
10,0
9,0
5,0
4,0
17,0
55,0
1,0
100,0
Source : enquête de l’auteur sur les homicides commis dans le département des Yvelines de 1987 à 1996.
Dans 18 % des cas, il n’est pas possible de connaître formellement le
métier qu’exerçait le père. C’est notamment le cas lorsque les parents sont
inconnus ou décédés et que les enfants ont été placés par la DDASS
(Direction départementale de l’action sanitaire et sociale) dès leur plus
jeune âge, généralement suite à un abandon. Cela étant, dans la plupart des
cas, la mention d’un métier, d’un niveau de vie et/ou d’un mode de logement, au détour d’un document judiciaire, d’une audition ou d’un rapport
(10) Par contre, les étrangers auteurs d’homicides se trouvent un peu moins souvent dans
les situations de « grande exclusion » qui caractérisent une partie des Français de l’échantillon
(profil que l’on repère le plus souvent au cumul de ruptures anciennes avec la vie active, d’histoires familiales particulièrement déstructurées, de mauvaise santé physique et mentale et parfois
d’alcoolisme profond).
214
L. MUCCHIELLI
d’enquête de police, permet de déduire que l’on est également en présence
d’une famille de milieu populaire. Au vu de l’ensemble du dossier, on peut
même penser que le père était le plus souvent ouvrier agricole ou encore
petit artisan (11).
Globalement, ces résultats sont donc particulièrement nets : les
quatre cinquièmes environ des individus composant la population enquêtée sont issus de milieux populaires. Dans la mesure où, on le verra, ils ont
massivement reproduit à leur tour cette position sociale générale, on peut
dire que l’une des caractéristiques de l’histoire sociale de la famille des
auteurs d’homicides est la reproduction d’une position sociale inférieure.
On pourrait aussi parler d’une « pauvreté héritée » (Chambaz et Herpin,
1995, p. 124).
5. La sortie de l’école :
un mauvais départ dans la vie sociale
Plus de deux auteurs d’homicides sur trois (68 %) n’ont aucun
diplôme et sont donc sortis du système scolaire en situation d’échec. À
peine un sur cinq (18 %) a atteint seulement le niveau du CAP. Moins de
7 % sont titulaires du baccalauréat ou d’un diplôme de l’enseignement supérieur et avaient donc effectué une carrière scolaire conforme à la norme
valorisée par l’institution. Ainsi, le profil de loin le plus fréquent est celui
d’une personne bien « mal partie » dans la vie sociale puisqu’elle l’a commencée par un échec scolaire. D’où, notamment, d’importantes difficultés
d’insertion économique.
6. Une surreprésentation
des inactifs et des ouvriers-employés
Les données du recensement de 1990 dans les Yvelines ne permettent
de réaliser la comparaison avec l’échantillon que pour la population ayant
un emploi et non pour les inactifs (majoritaires dans l’échantillon). Cette
comparaison est donc très limitée. Ainsi que l’indique le tableau 5, elle
souligne cependant la surreprésentation des ouvriers et des employés
(celle de la catégorie « artisan, commerçant, chef d’entreprise » est due
uniquement aux artisans-commerçants).
Au vu de leur niveau scolaire et compte tenu de la période étudiée
(les années 1987-1996) marquée par un très fort taux de chômage, en particulier de chômage ouvrier, on est peu surpris de ne rencontrer que 39 %
d’actifs ayant un emploi parmi les auteurs d’homicides. On l’est toutefois
(11) Dans deux affaires nous présumons par contre qu’il s’agit d’individus davantage fortunés qui « sont dans les affaires » selon une formule rencontrée dans certains témoignages et qui
semble signifier dans ce contexte qu’ils exercent des activités commerciales en partie illicites.
LES MEURTRIERS ET LEURS VICTIMES
215
davantage en constatant que les autres sont beaucoup moins souvent
chômeurs (à peine plus de 10 % de l’ensemble des auteurs) que simplement inactifs (près de quatre fois sur dix). À l’examen des dossiers, on
peut indiquer en outre la forte proportion de personnes sans domicile fixe
(S.D.F.) parmi ces inactifs (plus d’un sur trois), proportion qui doublerait
sans doute sans les solidarités familiales dont certains bénéficient (12). Les
autres situations sont relativement marginales (deux retraités, six lycéens
ou étudiants, quelques femmes au foyer et un jeune homme effectuant son
service militaire).
TABLEAU 5.– COMPARAISON ENTRE LA CATÉGORIE SOCIOPROFESSIONNELLE
DE LA POPULATION DU DÉPARTEMENT DES YVELINES EN 1990
ET CELLE DES AUTEURS D’HOMICIDES
CSP
Population du
département
Effectifs
Agriculteur exploitant
Artisan, commerçant,
chef d’entreprise
Cadre, profession
intellectuelle supérieure
Profession intermédiaire
Employé
Ouvrier
Total
%
Auteurs d’homicides
Actifs
Ensemble
Effectifs
%
Effectifs
%
2 388
0,4
0
0,0
0
0,0
35 112
5,6
6
12,5
6
4,9
4,2
4,2
37,5
41,6
100,0
2
2
18
20
1,6
1,6
14,8
16,4
72
59,0
15
7
2
48
2
122
12,3
5,7
1,6
39,4
1,6
100,0
132 348
21,2
2
150 044
24,0
2
177 506
28,4
18
127 844
20,4
20
625 242
100,0
48
Total inactifs
Dont :
Chômeurs
Lycéens, étudiants ou militaires
Retraités
Autres inactifs
Inconnu
Total de l’échantillon
Sources : Insee, recensement de la population de 1990 dans les Yvelines et enquête de l’auteur sur les homicides commis dans le département des Yvelines de 1987 à 1996.
Parmi les 48 auteurs d’homicides actifs, l’immense majorité appartient aux milieux populaires et se range dans la catégorie des plus bas salaires (13) . Les ouvriers et les employés représentent à eux seuls près des
quatre cinquièmes (79 %) de l’effectif. Nous retrouvons là les détenteurs
d’un CAP ou d’un baccalauréat, ainsi qu’une partie des personnes sans
(12) L’information n’est pas déterminante en soi mais nous indiquons tout de même ce que
nous savons des conditions de logement des auteurs. Seuls 42,5 % ont un domicile personnel (la
plupart du temps conjugal), 25 % habitent chez des parents, 15 % habitent chez un tiers et 16,5 %
vivent dans des conditions très précaires (dans des foyers d’accueil, à l’hôtel ou dans des meublés, quand ils ne sont pas purement et simplement sans domicile fixe comme c’est le cas pour
plus de 8 % des individus composant notre échantillon).
(13) Malgré le dépouillement systématique des dossiers, il n’a été possible de connaître le
revenu exact des personnes que dans environ la moitié des cas. Pour les autres, nous déduisons
donc le niveau de revenu du type d’emploi.
216
L. MUCCHIELLI
diplôme. On peut y ajouter les six artisans, commerçants ou chefs d’entreprise qui sont en réalité tous de petits artisans-commerçants (deux petits
restaurateurs, un vendeur de fruits et légumes sur les marchés, un électricien, un propriétaire d’une petite « casse » automobile, un ferrailleur). Il
s’agit donc essentiellement d’emplois peu ou pas qualifiés et peu rémunérateurs. À l’opposé, en tout et pour tout, seuls un cadre administratif et
l’un des restaurateurs (qui dirige en fait une exploitation de taille
moyenne) appartiennent manifestement à un milieu social supérieur (auxquels on peut ajouter un chef d’entreprise retraité). On trouve enfin deux
membres des professions intermédiaires : un enseignant au collège et un
informaticien employé dans une banque (auxquels on pourrait peut-être
ajouter un chef de petite surface de vente). En définitive, près de 90 % des
auteurs d’homicides ayant un emploi appartiennent aux milieux populaires
et se situent pour beaucoup d’entre eux dans les plus basses tranches de
salaires. Et si l’on ajoute les inactifs, cette proportion dépasse 95 %.
Revenons à présent sur l’opposition entre actifs et inactifs. Cette opposition a-t-elle du sens malgré le fait que l’inactivité est souvent temporaire et que beaucoup de jeunes hommes alternent en réalité emploi et
inactivité ? Des calculs, il ressort deux éléments :
— l’inactivité des auteurs d’homicides est fortement liée au fait de
n’avoir jamais vécu en couple, de vivre dans une grande précarité du point
de vue du logement, d’être en mauvaise santé physique (les 7 toxicomanes
de l’échantillon étaient inactifs), d’entretenir avec la victime des relations
d’hostilité sans lien conjugal ou familial et, par ailleurs, d’avoir usé d’une
arme blanche dans le geste criminel ;
— les auteurs d’homicides en activité présentent en partie des caractéristiques inverses : ils vivaient le plus souvent en couple dans le logement conjugal au moment des faits et la victime est généralement leur
conjoint, ils sont le plus souvent en bonne santé physique (rarement alcooliques, jamais toxicomanes), ils n’ont pas d’antécédents judiciaires ni de
mauvaise réputation, ils sont d’âge intermédiaire (entre 25 et 49 ans) et,
enfin, ils ont utilisé dans la majorité des cas une arme à feu.
On voit donc combien cette variable « activité » est loin d’être négligeable. Elle est par ailleurs étroitement liée au statut conjugal et à la santé
générale.
7. Histoire de la relation au travail
L’analyse de l’activité au moment des faits offre une photographie à
un moment donné. Mais dans la mesure où c’est la trajectoire biographique qui nous intéresse, nous avons cherché à collecter le plus d’informations possible sur l’histoire de la relation au travail. Il en ressort
plusieurs constats. D’abord, seuls environ 20 % des actifs ont toujours occupé un emploi. À l’opposé, un quart des inactifs sont des jeunes qui n’ont
LES MEURTRIERS ET LEURS VICTIMES
217
jamais travaillé. Entre les deux, environ la moitié des inactifs sont des personnes dont la relation au travail est marquée du sceau de la précarité, emploi et non-emploi se succédant tout au long de leur vie. Cet important
bloc central peut à son tour être divisé en deux catégories. La première,
dans laquelle on peut ranger un individu sur six au total, est constituée par
ceux qui ont travaillé à un moment de leur vie mais qui ont rompu de façon durable avec l’activité à la suite de problèmes divers : séparation, maladie, accident, licenciement, entrée en alcoolisme chronique ou en
toxicomanie lourde, détention. Nous retrouvons là pratiquement tous les
S.D.F. et les très mal logés de l’échantillon. Une seconde catégorie plus
importante (regroupant près d’un individu sur quatre au total) est constituée par les personnes qui, en réalité, alternent périodes d’emploi et périodes de non-emploi (14) . Il s’agit ici de jeunes hommes qui, parfois
travaillent régulièrement, parfois demeurent longtemps sans travail régulier. Nous soupçonnons que la part de ceux qui vivent du travail au noir
et/ou de la délinquance est importante, mais ne pouvons l’affirmer que
lorsque le casier judiciaire en témoigne. Du point de vue psychosociologique, il s’agit de personnes dont l’attitude semble indiquer que la relation au travail légal ne constitue pas un élément majeur dans leur vie. En
ce sens, ils ne sont pas très éloignés de la dernière catégorie qui regroupe
ceux qui n’ont jamais travaillé : il s’agit là aussi principalement de jeunes
hommes de milieux populaires dont, comme dans la catégorie précédente,
une partie tire probablement quelques revenus du travail au noir et/ou de la
délinquance.
III. Les principales caractéristiques
familiales des auteurs
En ce qui concerne le mode de vie dans l’enfance et les relations
familiales, il faut d’emblée insister sur les difficultés de classification et
de codage rencontrées. En effet, les histoires familiales sont souvent
complexes voire instables. À nouveau, on ne fera donc pas des données
présentées des arguments en soi et l’on s’attachera principalement aux
commentaires.
1. Mode de vie dans l’enfance et relations familiales
Le tableau 6 montre tout d’abord que, contrairement au préjugé courant qui incrimine la monoparentalité et le divorce dans la genèse de la
délinquance et ce, malgré les démentis réguliers de la recherche
(14) Nous ne rangeons pas dans cette catégorie les chômeurs indemnisés dont les déclarations témoignent du fait qu’ils cherchent effectivement du travail et qu’ils ont pratiquement toujours travaillé au cours de leur vie.
218
L. MUCCHIELLI
(Mucchielli, 2001a), le mode de vie dans l’enfance n’apparaît pas déterminant. Près de deux fois sur trois, les meurtriers ont été élevés durant la majeure partie de leur enfance par un couple parental originel ou recomposé
(cette dernière situation étant très nettement minoritaire dans l’échantillon). À l’inverse, les cas de monoparentalité pratiquement constante
(durant toute l’enfance de l’auteur) sont très rares (moins de 5 % des cas).
Ceci rappelle qu’une famille monoparentale à un moment donné est souvent une famille qui se recomposera par la suite.
TABLEAU 6.– MODE DE VIE DANS L’ENFANCE DES AUTEURS D’HOMICIDES
L’auteur a été élevé principalement par
Effectifs
Répartition (en %)
Les deux parents(a)
Un seul parent
D’autres membres de la famille
Une famille d’accueil ou un foyer choisi par la DDASS
Plusieurs situations successives
Dont au moins une fois DDASS
Total
79
5
3
1
34
19
122
64,7
4,1
2,5
0,8
27,9
15,6
100,0
(a) Il peut s’agir des parents biologiques ou de parents adoptifs; ensuite, il s’agit aussi bien d’un seul couple
parental stable tout au long de l’enfance que de plusieurs couples parentaux successifs (généralement deux
couples parentaux, l’un des parents s’étant remis en ménage ou remarié). Dans ce dernier cas, nous n’avons
retenu que les cas de recompositions familiales « rapides » (dans un délai inférieur à deux ans) durant
l’enfance de l’auteur. Lorsque, au contraire, la période de monoparentalité a été très longue, on considère
que l’auteur a été élevé par « un seul parent » ou bien a connu « plusieurs situations successives ».
Source : enquête de l’auteur sur les homicides commis dans le département des Yvelines de 1987 à 1996.
Constatons ensuite la fréquence – rarement remarquée dans la littérature scientifique spécialisée – des cas d’éducation hors de la présence
des parents (même d’un seul), ou bien avec un rapport très distant et épisodique avec les parents. Une spécificité de la population enquêtée réside
dans la forte proportion de situations familiales particulièrement déstructurées. Dans près de 20 % des cas, les auteurs ont été durant plusieurs années élevés par des tiers (tels les grands-parents), par des familles
d’accueil de la DDASS ou bien par des éducateurs dans des foyers d’accueil. C’est une donnée importante car l’analyse statistique permet de
repérer certaines conséquences de cette histoire familiale sur le profil psychologique des auteurs : carences affectives, immaturité et tendance à la
dépression sont fortement liées au fait de ne pas avoir été élevé par son ou
ses parents. Cette analyse indique en outre que les auteurs d’homicides qui
ont vécu ce type d’enfance sont plus souvent passés à l’acte au terme
d’une bagarre individuelle pour un motif lié aux circonstances immédiates
(par opposition à un conflit lourd et ancien). Globalement, ce facteur familial constitue donc un handicap individuel et un risque social non négligeable.
Confirmant là encore un fait largement établi (Mucchielli, 2001b), un
autre facteur va également dans le sens d’une forte fragilisation des individus mais se cache pourtant derrière des formes familiales d’apparence
stables : c’est le conflit familial. Tentons, dans la limite des informations
LES MEURTRIERS ET LEURS VICTIMES
219
recueillies, de caractériser la nature des relations entretenues par les
auteurs avec leurs parents. Dans 18 % des cas, il est impossible de le savoir. Et même pour les autres cas, les données du tableau 7 ne peuvent
constituer qu’un ordre de grandeur qui se situe probablement en deçà de la
réalité. Les violences intra-familiales sont en effet des phénomènes classiquement sous-déclarés (n’étant parfois pas même perçues comme telles
par les victimes). Malgré cela, certaines tendances sont très nettes. Dans
les cas où la nature des relations est connue, les rapports entre parents et
enfants sont le plus souvent de nature conflictuelle, ce conflit se traduisant
par de la violence physique plus d’une fois sur deux (34 cas sur 59). Il
s’agit dans au moins 18 cas de la violence du père (ou du beau-père) sur la
mère, dans au moins 18 cas également de la violence du père (ou du beaupère) sur les enfants, et dans 4 cas au moins de la violence de la mère (ou
de la belle-mère) sur les enfants (certaines situations se cumulent).
TABLEAU 7.– RELATIONS PARENTS-ENFANTS DANS LA FAMILLE
D’ORIGINE DES AUTEURS D’HOMICIDES
Relations familiales
Relation apparemment paisible(a)
Dont systèmes pathologiques(b)
Relation conflictuelle(c) avec violence physique
Relation conflictuelle sans violence physique
NSP(d)
Total
Effectifs
Répartition (en %)
41
4
34
25
22
122
33,6
3,3
27,9
20,5
18,0
100,0
(a) D’après les déclarations des intéressés. Toutefois, plusieurs de ceux qui ont déclaré à l’expert psychiatre
avoir des relations « normales » avec leurs familles évoquent aussi une éducation « stricte » ou « sévère »
qui signifie peut-être une froideur affective et un fort recours à la punition de la part de leurs parents.
Notons aussi que des relations paisibles peuvent s’accompagner de diverses souffrances psychologiques
(suite à des deuils précoces, par exemple). Plusieurs cas de dépression semblent en témoigner.
(b) Nous présumons l’existence d’un système relationnel pathologique dans certaines familles d’après des
expertises psychiatriques et/ou médico-psychologiques. Le chiffre indiqué dans cette ligne est donc certainement inférieur à la réalité.
(c) Nous avons considéré comme des relations familiales conflictuelles uniquement celles qui ont caractérisé toute l’enfance des individus. Ceci exclut les classiques conflits d’autorité et les mésententes entre
parents et enfants qui surviendraient seulement au moment de la « crise d’adolescence ».
(d) Ceci inclut les cas d’enfants confiés à la DDASS, élevés en foyer ou dans des familles d’accueil.
Source : enquête de l’auteur sur les homicides commis dans le département des Yvelines de 1987 à 1996.
Nous avons voulu mesurer l’impact de ces relations conflictuelles sur
les autres variables. On constate d’abord que le fait d’avoir été élevé dans
un climat familial conflictuel apparemment sans violence physique est
d’une part très fréquemment lié à un profil psychologique marqué par une
forte émotivité, d’autre part assez fréquemment associé à l’inactivité et à
l’instabilité professionnelle. Ensuite, le fait d’avoir été élevé dans un climat familial conflictuel accompagné de violence physique est très fréquemment lié à un profil psychologique marqué par l’immaturité et des
carences affectives ainsi – peut-être – que par des tendances psychotiques
(les 3 cas enregistrés dans cette catégorie sont aussi les 3 seuls dans
l’échantillon). C’est également un élément présent dans l’histoire des
3 seuls cas où le conflit entre l’auteur et la victime est d’une durée supé-
220
L. MUCCHIELLI
rieure à 10 ans, comme si la violence subie amenait à tolérer à son tour
une relation conflictuelle – le plus souvent conjugale ou para-conjugale –
de longue durée qui, un jour, s’est traduite par une violence plus prononcée qu’à l’accoutumée.
2. La fratrie
Concernant la composition des fratries, le premier constat est la part
très importante des auteurs d’homicides ayant vécu dans des familles
nombreuses (22 % des auteurs ont 3 ou 4 frères et sœurs) et surtout très
nombreuses (43 % des auteurs ont au moins 5 frères ou sœurs) (15) . Nous
retrouvons là une caractéristique des milieux populaires et des familles
étrangères. Le second constat est la particularité des enfants élevés seuls,
au regard non pas de leur proportion dans l’échantillon (16 %) mais de
leur histoire familiale. L’analyse statistique indique en effet que le fait
d’avoir été élevé seul est fortement lié non seulement à l’instabilité familiale (ce qui est logique) mais aussi souvent à l’absence de famille, ainsi
qu’en témoigne le fait que la moitié des enfants uniques ont été placés par
la DDASS et que, plus largement, plus des deux tiers d’entre eux ont été
élevés par plusieurs personnes ou institutions différentes. Ce deuxième
constat est sans doute le plus important. Cet isolement précoce semble en
effet constituer chez les sujets, dans les contextes sociaux étudiés ici, un
indice de grande fragilité familiale ; c’est aussi un facteur qui ressort dans
les crimes liés à des situations de conflits conjugaux ou para-conjugaux.
3. L’histoire conjugale
Sortons à présent de l’enfance des individus pour aborder leur vie affective d’adultes. Ici encore, la prudence s’impose : les dossiers ne mentionnent généralement que les relations de couple qui se sont concrétisées
par le partage d’un domicile commun. Sauf indication contraire, la « vie
en couple » désigne donc ici la vie en commun dans un domicile indépendant de celui des parents.
L’échantillon peut ici se partager grosso modo en deux. D’un côté,
une moitié des auteurs ont un profil de « solitaires », qu’il s’agisse d’individus n’ayant jamais vécu en couple (32 %), d’individus étant séparés ou
divorcés sans enfant (9 %) ou ayant eu des enfants mais qu’ils ne fréquentent pas (9 %). De l’autre côté, on trouve d’abord des couples avec enfants
vivant à leur domicile (25 %) ou hors du domicile (3 %), puis des couples
sans enfant (11,5 %) ou des individus séparés ou divorcés mais continuant
à fréquenter leurs enfants (10,5 %). Si l’on ajoute cette dernière catégorie
au premier groupe, on peut dire qu’une nette majorité (environ 60 %) des
(15) Ou
demi-frères et demi-sœurs lorsqu’ils ont été élevés ensemble.
LES MEURTRIERS ET LEURS VICTIMES
221
individus composant l’échantillon n’ont pas de vie conjugale au moment
des faits (16).
IV. Quelques données sur le profil
sociodémographique des victimes
1. Le sexe des victimes
Dans l’échantillon, si les femmes ne constituent que 15 % des
auteurs de crimes, elles représentent par contre 34 % des victimes
(tableau 8). C’est la principale différence entre auteurs et victimes. Cette
proportion est comparable aux résultats de recherches françaises plus anciennes (Bessette, 1994, p. 162) et, là encore, de recherches internationales (par exemple au Canada : Wilson et Daly, 1996, p. 49-50) (17) . On
observe aussi qu’elles sont plus souvent victimes de tentatives de meurtres
et de meurtres que de coups mortels, ce qui est lié au fait qu’elles sont très
rarement impliquées dans des bagarres individuelles ou collectives. Elles
sont davantage victimes (mais aussi, dans des proportions certes moindres,
les auteurs) de crimes conjugaux que d’autres types d’homicides.
TABLEAU 8.– LE SEXE DES VICTIMES
Meurtres
Tentatives de meurtres
Infanticides
Coups mortels
Total
Total en %
Hommes
Femmes
Nouveau-nés
Total
38
7
3
15
63
61,8
20
8
3
4
35
34,3
0
0
4
0
4
3,9
58
15
10
19
102
100,0
Répartition
(en %)
56,9
14,7
9,8
18,6
100,0
Source : enquête de l’auteur sur les homicides commis dans le département des Yvelines de 1987 à 1996.
La répartition par âge des victimes correspond grosso modo à celle
des auteurs, les mineurs étant moins nombreux parmi les victimes, tandis
que les plus de 50 ans le sont davantage. Près de 85 % des victimes ont
entre 20 et 50 ans.
Enfin, l’examen de la profession des victimes (tableau 9) renforce ce
constat de grande proximité sociale des auteurs et des victimes. On y retrouve la très nette surreprésentation des inactifs et des ouvriers-employés
(l’inversion du rapport entre ouvriers et employés étant liée à la plus forte
(16) Soit une proportion identique à celle que l’on observe dans l’ensemble de la population carcérale (Cassan et Mary-Portas, 2002).
(17) Pour un état des lieux sur les recherches anglophones, voir le numéro spécial
« Femicide » de la revue Homicide Studies (1998, n° 4).
222
L. MUCCHIELLI
TABLEAU 9.– LA CATÉGORIE SOCIOPROFESSIONNELLE DES VICTIMES
CSP
Agriculteur
Artisan, commerçant, chef d’entreprise
Cadre, profession intellectuelle supérieure
Profession intermédiaire
Employé
Ouvrier
Inactif
Inconnue
Total
Effectifs
Répartition (en %)
0
10
4
1
22
7
39
9
92
0,0
10,9
4,3
1,1
23,9
7,6
42,4
9,8
100,0
Source : enquête de l’auteur sur les homicides commis dans le département des Yvelines de 1987 à 1996.
féminisation du groupe des victimes). La proportion de victimes appartenant aux classes supérieures est certes très légèrement plus élevée, mais il
s’agit d’effectifs trop maigres (4 cas) pour en induire une hypothèse à ce
stade de la recherche.
2. Français et étrangers :
crimes intra et interraciaux
Ici encore, le profil des victimes diffère peu de celui des auteurs
puisque nous retrouvons la surreprésentation des personnes de nationalité
étrangère dans des proportions proches (18 % des victimes) (18) . La question qui peut se poser ici est celle, classique dans d’autres pays, de la partition entre crimes intra et interraciaux (19) . Croisant la nationalité des
auteurs et des victimes avec la nature de la relation auteur-victime, une
étude suisse indique par exemple que, dans la plupart des cas, les nationaux et les étrangers se tuent respectivement entre eux (Massonnet,
Wagner et Kuhn, 1990, p. 91). Elle renouvelle en cela un constat classique
aux États-Unis, analysé notamment par Garfinkel (1949), confirmé ensuite
par Wolfgang (1958, p. 223-224), au terme duquel il ressortait notamment
que les jeunes Noirs, qui étaient à la fois les principaux auteurs et les principales victimes, se tuaient essentiellement entre eux (20).
(18) On comptait certes 23 % d’auteurs étrangers, mais le pourcentage des victimes étrangères est sous-évalué du fait du manque d’informations permettant de déterminer la nationalité
dans 10 % des cas.
(19) Nous reprenons ici les expressions usuelles de la littérature scientifique anglo-saxonne
qui se fonde sur la couleur de la peau et sur l’origine géographique. Ces expressions nous paraissent nécessaires pour analyser des phénomènes que la simple coupure juridique entre Français et
étrangers ne permet pas de comprendre pleinement dans des pays d’immigration. En outre, ces
expressions sont employées de façon usuelle dans la population étudiée, au point que, en les refusant, on s’interdirait de comprendre un type de meurtre bien précis : le meurtre raciste.
(20) Pour un état des lieux récent sur les recherches menées outre-Atlantique, voir Parker et
McCall (1999).
LES MEURTRIERS ET LEURS VICTIMES
223
TABLEAU 10.– LA NATIONALITÉ DES VICTIMES
Meurtres
Tentatives
Infanticides
Coups mortels
Total
Français
Étrangers
Inconnue
Total
% d’étrangers
38
13
8
15
74
14
2
0
2
18
6
0
2
2
10
58
15
10
19
102
24,1
13,3
0,0
10,5
17,6
Source : enquête de l’auteur sur les homicides commis dans le département des Yvelines de 1987 à 1996.
Qu’en est-il en France ? En reprenant dans le détail les 58 affaires de
meurtre et leurs 75 auteurs, il apparaît que ce phénomène intra-racial s’observe également en France. Sur 75 auteurs, 51 sont des Français d’origine
française et 24 des étrangers ou des Français d’origine étrangère. Sur les
51 meurtriers français d’origine française, 39 (soit 76 %) ont tué d’autres
Français d’origine française, et sur les 24 meurtriers étrangers ou français
d’origine étrangère, 20 (soit 83 %) ont tué d’autres étrangers ou Français
d’origine étrangère. Au total, seul un cinquième des affaires (16 cas sur
75) met aux prises des Français d’origine française avec des étrangers ou
des Français d’origine étrangère. L’analyse qualitative de ces dossiers fait
ressortir aussi quelques spécificités permettant d’induire certaines hypothèses, même si l’on raisonne ici sur un tout petit nombre de cas. Les
quatre meurtres interraciaux dans lesquels la victime est française d’origine française correspondent à une affaire conjugale, une bagarre collective et deux règlements de compte entre délinquants. Les douze meurtres
interraciaux dans lesquels la victime est étrangère ou française d’origine
étrangère comportent également quelques bagarres et crimes conjugaux,
aucun règlement de compte mais recouvrent par contre trois crimes à forte
connotation raciste.
En définitive, à ce niveau de généralité, le profil des victimes ne présente qu’une seule spécificité par rapport à celui des auteurs : il est davantage féminin. En termes d’âge, de profession et de nationalité, auteurs et
victimes forment une population homogène, ce qui n’est pas surprenant
compte tenu du poids des crimes conjugaux et familiaux, de la grande
proximité géographique entre auteurs et victimes et de la concentration
des populations pauvres dans certains espaces urbains.
V. Récapitulatif et discussion générale
Revenons d’abord sur la représentativité de l’échantillon étudié. Elle
est très forte au regard des trois critères démographiques disponibles dans
la statistique judiciaire nationale (l’âge, le sexe et la nationalité des
condamnés). Un problème demeure toutefois entier : celui des homicides
échappant à toute poursuite. C’est d’abord le cas des crimes inconnus,
commis par des auteurs qui ont dissimulé les cadavres des victimes de
224
L. MUCCHIELLI
telle sorte qu’on ne les retrouve pas ou que l’on ne puisse pas les identifier. C’est ensuite le cas des victimes identifiées mais dont les meurtriers
demeurent inconnus. Sur un total de 7 536 affaires criminelles poursuivies
par les parquets en France entre 1986 et 1990, l’auteur était inconnu dans
20 % des cas (cette proportion s’élevant de façon exceptionnelle à 52,5 %
dans le ressort de la cour d’appel de Bastia) (Laroche, 1994, p. 12). C’est
enfin le cas des affaires dans lesquelles un auteur a été identifié mais n’est
pas poursuivi comme criminel, soit que la qualification pénale soit différente (c’est notamment le cas des violences mortelles qui sont correctionnalisées par la justice, c’est-à-dire qualifiées de délits et non de crimes,
par exemple lorsqu’un policier tue une personne au cours d’une interpellation, en dehors de l’état de légitime défense), soit que l’auteur décède au
cours de la procédure et que l’action de la justice s’arrête donc immédiatement. Sous ces réserves, la bonne représentativité nationale de l’échantillon autorise quelques réflexions générales.
1. Homicide et absence de ressources économiques
Le fait que les meurtres étudiés ont été dans 95 % des cas commis
par des personnes appartenant aux couches populaires, voire aux milieux
sociaux les plus défavorisés, peut surprendre. C’est pourtant la même proportion qu’avait trouvée Wolfgang (1958, p. 36-39) il y a près d’un demisiècle, à partir de l’examen de 620 homicides élucidés par la police à
Philadelphie. À partir du dépouillement de la rubrique « meurtres » du
New York Times entre 1955 et 1975, Green et Wakefield (1979, p. 175) estimaient vingt ans plus tard que cette proportion était même supérieure
dans la ville de New York. Et l’on pourrait citer de nombreuses autres
études locales américaines faisant état de proportions supérieures ou
égales à 95 %. Le lien entre la violence mortelle volontaire, l’appartenance aux milieux populaires et la faiblesse des ressources économiques
est donc particulièrement fort. La concentration géographique des violences mortelles volontaires est également un fait bien établi (21) . L’interprétation de ces constats a cependant donné lieu à un débat aux ÉtatsUnis. Les époux Blau (1982) d’une part, Messner (1982) d’autre part, ont
soutenu une thèse mertonienne en reliant les homicides aux inégalités et
aux frustrations accumulées dans les ghettos des grandes villes (cf. aussi
(21) Les deux communes du département que nous avons étudié où ont eu lieu le plus de
meurtres (13 cas sur les 102) sont deux communes d’une zone industrielle en crise, caractérisées
par des taux de chômage et de pauvreté très élevés, ainsi que par la forte concentration d’une population étrangère ou d’origine étrangère particulièrement touchée par ce chômage et cette pauvreté. Ceci confirme quantité d’études américaines (Sampson, 1985 ; Williams et Flewelling,
1988 ; Patterson, 1991 ; Wilson, 1987 ; Sampson et Wilson, 1995). Dans la plupart des autres
communes, il faudrait pouvoir affiner l’étude au niveau des quartiers, ce que nous n’avons pas pu
faire. La population étudiée est trop limitée numériquement pour permettre une quelconque
mesure de ce phénomène. Mais l’exemple américain est là encore assez impressionnant. Par
exemple, à Chicago, dans les années 1970 et 1980, les taux d’homicides pouvaient varier de 1 à
200 selon les quartiers, le maximum étant atteint dans certains ghettos (Block, 1986).
LES MEURTRIERS ET LEURS VICTIMES
225
Bailey, 1984). Reprenant des séries de données homogènes sur plusieurs
dizaines d’années, Williams (1984) a cependant soutenu que l’explication
la mieux validée empiriquement était celle par la pauvreté au sens absolu :
l’absence de ressources économiques. Au terme de la décennie, Land, McCall et Cohen (1990, p. 951-955) ont enfin montré que certains résultats
forts se dégageaient de cet ensemble et pouvaient être considérés comme
des acquis de la recherche. Trois d’entre eux nous intéressent ici :
— la liaison statistique la plus significative est bien celle qui relie
l’homicide à l’absence de ressources économiques ;
— l a c o n c e n t r a t i o n u r b a i n e e s t s y s t é m a t i q u e m e n t l i é e av e c
l’homicide ;
— des liaisons positives mais moins significatives relient les taux
d’homicides au taux de chômage et au pourcentage des jeunes âgés de 16 à
30 ans dans l’ensemble de la population.
Le débat n’est certes pas totalement clos dans la criminologie statistique américaine (22) , mais le lien entre l’homicide et l’absence de ressources économiques demeure un des résultats les plus massifs de la
recherche. Reste à comprendre la raison générale pour laquelle les pauvres
tuent aussi fréquemment lorsque les riches semblent s’en abstenir.
Wolfgang estimait que dans les classes supérieures, l’homicide était assez
nettement différent de celui des classes populaires, qu’il était beaucoup
plus souvent lié à une pathologie mentale ou à un calcul rationnel (la préméditation) de l’auteur. Les rares recherches ultérieures l’ont globalement
confirmé. La plus connue, réalisée sur une sélection de 119 affaires criminelles impliquant un auteur appartenant aux classes moyennes ou supér i e u r e s , a m i s e n é v i d e n c e d e s s c é n a r i o s d ’ h o m i c i d e s l a rg e m e n t
spécifiques. Green et Wakefield (1979, p. 175 sqq) estimèrent qu’environ
un quart des meurtriers appartenant aux classes supérieures tuaient pour
des motivations financières (assurances, propriété, héritage), ce qui est supérieur à la proportion des meurtres liés à des vols dans les milieux
pauvres. Une autre partie des auteurs semblaient avoir agi parce qu’ils
étaient très dépressifs (la plupart d’entre eux se sont du reste ensuite suicidés ou ont tenté de le faire). En sens inverse, le plus important type d’homicide dans les milieux pauvres, à savoir la querelle impromptue entre
jeunes hommes qui dégénère avec le concours fréquent de l’effet désinhibiteur de l’alcool, était quasiment absent dans les classes supérieures.
(22) Cf. par exemple Kovandzic, Vieraitis, Yeisley (1998) sur le débat entre inégalités et
pauvreté absolue aux États-Unis, ou encore Kapuscinski, Braithwaite et Chapman (1998) sur la
liaison entre l’homicide et le chômage en Australie. Une recherche récente de Matthews, Maume
et Miller (2001) apporte aussi une contribution très intéressante au débat en étudiant pour la première fois de façon systématique la liaison entre l’homicide et le contexte socio-économique dans
des villes petites et moyennes d’une grande région industrielle en crise aux États-Unis. Ses
conclusions soutiennent très fortement le modèle socio-économique dont les travaux de Sampson
et de Wilson constituent la version la plus achevée et dont nous nous trouvons de fait très proche.
Sur le débat américain autour de la notion d’Urban Underclass proposée par Wilson, cf. aussi
l’analyse de Herpin (1993), pour qui c’est d’un processus d’exclusion sociale et de pauvreté urbaine qu’il s’agit, non de la formation d’une nouvelle classe sociale au sens marxiste.
226
L. MUCCHIELLI
Ainsi, comme l’avait noté Wolfgang (1967, p. 7), le meurtre dans les
classes supérieures serait davantage lié au huis clos conjugal et familial, et
motivé principalement par l’appât du gain (d’où le fait qu’il est beaucoup
plus souvent prémédité) ou associé à l’état dépressif. S’il fallait formuler
une hypothèse générale au terme de cette recherche et de cette revue de la
littérature américaine, nous dirions donc ceci : dans l’immense majorité
des cas, les individus tuent d’autant plus facilement qu’ils n’ont rien à
perdre dans la vie sociale, pas de situation professionnelle ni de réputation
à conserver, pas de projets de vie personnels et familiaux, pas de réelles
perspectives d’avenir.
2. Le cumul de handicaps affectifs
et sociaux tout au long de l’histoire de vie
Ce tableau ne serait cependant pas complet si l’on n’insistait aussi
sur le poids des facteurs biographiques, familiaux et relationnels.
Durkheim (1897) avait montré que l’intégration passe notamment par les
liens familiaux et conjugaux. Quantité d’auteurs américains ont également
insisté sur le fait que, outre les facteurs économiques, l’instabilité conjugale (le taux de divorce), les ruptures familiales et la solitude sont des facteurs influençant fortement le niveau d’homicide dans un espace social
donné.
Entre absence de ressources économiques et fragilité des liens conjugaux et familiaux, ce profil macrosociologique du meurtrier ressemble
fort à celui de bien d’autres exclus (« disqualifiés », « désaffiliés »,
« désinsérés ») dans la société française, ainsi que l’ont souligné les
travaux de Castel (1995), Paugam (1991, 1993) et Gaulejac et Taboada
Léonetti (1994). Ces mêmes travaux ont progressé au fil du temps vers la
prise en considération des ruptures de liens sociaux survenues dès l’enfance des individus et qui les marquent sur le double plan social et psychologique tout au long de leur vie (Marpsat, Firdion et Meron, 2000 ;
Paugam et Clémencon, 2002) (23). Et c’est une piste que nous avions décidé
d’explorer dès la mise au point de cette recherche, en 1998, étant
convaincu de l’importance de l’approche biographique, aussi bien au plan
statistique avec les recherches longitudinales qu’au plan qualitatif avec les
histoires de vie (Bertaux et Léomant, 1987).
Certes, à un premier niveau d’analyse, la solitude de l’auteur est un
facteur corrélé à l’homicide. Dans l’échantillon, environ 60 % des individus n’ont pas de vie conjugale au moment des faits, qu’ils n’aient jamais
vécu en couple, qu’ils soient séparés ou divorcés, sans enfant ou avec des
enfants qu’ils fréquentent ou non. Quant au facteur économique, nous
(23) Une recherche de Ménahem (1992), fondée sur une enquête de la toute fin des années
1970, avait montré l’influence des conflits parentaux sur la santé physique et psychologique des
enfants, et ce tout au long de la vie de ces derniers. La recherche plus récente d’Archambault
(1998) sur les états dépressifs et suicidaires pendant la jeunesse l’a largement confirmé.
LES MEURTRIERS ET LEURS VICTIMES
227
avons vu qu’il est plus déterminant encore. Mais ce cumul de handicaps et
ces situations de désaffiliation se rencontrent de façon trop fréquente dans
la population générale pour suffire à caractériser macrosociologiquement
les auteurs d’homicides. Nous reprocherions volontiers aux travaux américains sur l’homicide (comme du reste à beaucoup d’études statistiques en
macrosociologie) de se situer sur un plan trop horizontal, autrement dit de
ne s’intéresser qu’à la situation présente des individus, au détriment de
leur trajectoire biographique ou, pour le dire plus simplement, de leur histoire. De notre étude ressortent en effet au moins trois autres résultats généraux qui semblent difficiles à contourner tant empiriquement que
théoriquement. Primo, nous avons vu que dans 60 % des cas où la nature
des relations est connue, les relations entre le meurtrier et ses parents durant l’enfance furent conflictuelles (ce conflit se traduisant par de la violence physique subie par le futur meurtrier dans au moins une bonne
moitié de ces cas). Secundo, nous avons enregistré le fait que moins d’un
meurtrier sur dix a effectué une carrière scolaire « normale » (c’est-à-dire
conforme à la norme valorisée par l’institution), plus des deux tiers ayant
quitté l’école sans diplôme, en situation d’échec complet. Tertio, nous
avons relevé que, une fois sur cinq environ, les meurtriers avaient vécu
une enfance particulièrement instable et carencée, en étant élevés par des
tiers (tels les grands-parents), par des familles d’accueil de la DDASS ou
bien par des éducateurs dans des foyers d’accueil. Et pour finir, nous
avons indiqué que ces carences et ces handicaps, qui ont marqué toute
l’histoire de vie des meurtriers, ont également un impact majeur sur leur
état psychologique. Ils déterminent en particulier la très forte proportion
d’individus marqués non seulement par une immaturité sur le plan affectif,
mais aussi par une anxiété, une émotivité et une tendance à la dépression
profondes. Et cette situation psychologique résultant de l’histoire familiale et sociale de l’individu peut être elle aussi considérée comme une des
données structurelles discutée ici. En effet, les meurtriers ne sont pas seulement – comme indiqué précédemment – des individus qui tuent d’autant
plus facilement qu’ils n’ont rien à perdre dans leur vie du moment et rien à
espérer de leur vie future ; ce sont aussi bien souvent des individus à qui la
vie (familiale et sociale) n’a jamais donné grand-chose par le passé.
Comme si l’on accordait d’autant moins de prix à la vie que celle-ci ne
nous avait jamais laissé penser que la nôtre pouvait en avoir un. Passé,
présent et futur, ce sont bien les trois segments de cette chaîne temporelle
qu’il convient de restituer. Une telle approche vaut du reste de façon plus
générale dans la sociologie de la déviance (24) , et certainement dans
d’autres domaines de la recherche sociologique.
Telles sont donc les conclusions générales sur lesquelles débouche
cette étude sur le plan macrosociologique. Ce plan d’analyse est certes in(24) Par exemple, l’étude des adolescents et jeunes adultes suivis par la Protection judiciaire de la jeunesse indique également l’importance centrale de ce cumul de handicaps familiaux, scolaires et sociaux, ainsi que ses conséquences sur la santé physique et mentale de ces
jeunes (Choquet et al., 1998).
228
L. MUCCHIELLI
suffisant et il appelle de nombreux développements ultérieurs sur un plan
microsociologique (s’agissant en particulier des relations entre auteurs et
victimes, puis des contextes et des situations concrètes du passage à
l’acte), qui seuls peuvent permettre de construire une typologie opérationnelle et de rendre compte de toute la complexité du réel. Mais s’il est insuffisant, ce plan d’analyse n’en est pas moins indispensable. Dans leurs
écrits sur l’homicide, certains criminologues refusent de prendre en considération ces résultats massifs de la recherche pour ne s’intéresser qu’aux
mobiles apparents des auteurs et aux circonstances du passage à l’acte (cf.
par exemple Cusson, 1998, p. 22-35). Cette façon d’écarter les contextes
sociaux est très contestable. Du point de vue statistique et macrosociologique, l’homicide ne se produit pas n’importe où, dans n’importe quel
milieu social et au terme de n’importe quel parcours. Il est un phénomène
social qui rappelle sans doute à une société qu’elle ne saurait accomplir
son processus de civilisation des mœurs en laissant se pérenniser des
poches de pauvreté où elle concentre des hommes et des femmes que leurs
histoires de vie inclinent à accorder peu de prix aussi bien à la vie d’autrui
qu’à la leur.
Remerciements. L’auteur remercie Lorène Haberzettel et Marie-Lys Pottier pour
leur aide à la présentation des données ainsi que les relecteurs anonymes de Population pour leurs commentaires.
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LES MEURTRIERS ET LEURS VICTIMES
231
M UCCHIELLI Laurent.– Les caractéristiques démographiques et sociales des meurtriers
et de leurs victimes. Une enquête sur un département de la région parisienne
dans les années 1990
À partir du dépouillement d’une centaine d’affaires criminelles jugées en cour d’appel
dans le sud-ouest de la région parisienne durant dix ans (1987-1996), cet article présente les
caractéristiques démographiques et sociales de 122 meurtriers et de leurs victimes. Il met
notamment en évidence la très forte surreprésentation des milieux populaires et même des
couches les plus pauvres de la population, tant dans la population des meurtriers que dans celle
de leurs victimes, ainsi que le poids de l’inactivité et du chômage. Il souligne aussi l’importance des déstructurations familiales (abandons, placements divers) et, plus encore, des
conflits familiaux. Sur le plan empirique, ces résultats sont comparés à ceux d’études réalisées
dans d’autres pays, notamment l’abondante production quantitative nord-américaine. Sur le
plan théorique, cet article rejoint les discussions initiées par des auteurs américains travaillant
sur les notions de désorganisation et de désagrégation sociale et par des auteurs français travaillant sur les notions de désaffiliation, de disqualification ou de désinsertion pour proposer
de dépasser la seule analyse des caractéristiques sociales et familiales des personnes au moment des crimes afin de considérer leurs histoires de vie et intégrer notamment les composantes familiales et scolaires qui ont marqué toute leur trajectoire.
M UCCHIELLI Laurent.– Demographic and Social Characteristics of Murderers and their
Victims: A survey on a Département of the Paris region in the 1990s
Based on about one hundred criminal cases which were tried by a Court of Appeal in
the southwest of the Paris region over ten years (1987-1996), this article presents the demographic and social characteristics of 122 murderers and their victims. It brings out the very
high proportion of individuals from the working classes or from the poorest strata of the population among the population of murderers as well as of victims, and the weight of economic
inactivity and unemployment. The importance of family disruption (desertion, various types
of foster care) and still more importantly, of family conflicts, is emphasized. On an empirical
level, those findings are compared with those of studies conducted in other countries, particularly the abundant quantitative literature from North America. On a theoretical level, this article takes its place among discussions initiated by American authors who have worked on the
notions of disorganization and social disintegration, and by French authors who have worked
on the notions of disaffiliation, disqualification and dis-insertion, and who suggest that researchers move beyond the mere social and family characteristics of the individuals at the time
of the crime and take into account their life histories and particularly the family and school
elements that left their marks on their entire life itinerary.
M UCCHIELLI Laurent.– Las características demográficas y sociales de los asesinos y de
sus victimas. Une encuesta en un departamento de la región parisina en los
años 1990
A partir del análisis de un centenar de asuntos criminales juzgados en tribunales de apelación del suroeste de la región parisina durante diez años (1987-1996), este articulo presenta
las características demográficas y sociales de 122 asesinos y de sus victimas. Este análisis
revela la sobre representación de los medios populares e incluso de las capas más pobres de
la población, tanto en lo que respecta a los asesinos como a las victimas, así como el peso de
la inactividad y del paro. Aparece también la importancia de la descomposición familiar
(abandonos...) y en particular de los conflictos familiares. Estos resultados son comparados a
los de estudios realizados en otros países, y sobre todo a los de numerosos trabajos norteamericanos. En el plano teórico, el articulo aborda las nociones americanas de desorganización y de desagregación social y las de autores franceses sobre la desafiliación, la
descalificación o la exclusión, a fin de sobrepasar el simple análisis de las características sociales y familiares de las personas en el momento del crimen y considerar sus historias de vida,
integrando en particular los componentes familiares y escolares que han marcado sus trayectorias.
Laurent MUCCHIELLI, CNRS-Cesdip, Immeuble Edison, 43 boulevard Vauban, 78280 Guyancourt,
France, courriel : [email protected]