Entretien avec Charlotte Brändström

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Entretien avec Charlotte Brändström
Entretien avec
Charlotte Brändström
Dom Attal et Dominique Baron
Suédoise née en France, Charlotte est diplômée de l’American Film Institute, la
Femis de Los Angeles. Elle a tourné en France, Grande-Bretagne, Portugal, Espagne,
Suède, Maroc, République tchèque, Thaïlande, Afrique du sud…
Plus de trente films ou séries avec des acteurs et actrices comme Christopher
Walken, Jonathan Pryce, Rosanna Arquette, Peter Weller, Jürgen Prochnow,
Carrie Fisher, Krister Henriksson, et bien entendu, de nombreux comédiens
français connus. Comme cela ne suffisait pas, Charlotte parle aussi trois langues.
Bref, une réalisatrice universelle et une femme du monde…
G. 25 I. : Commençons par la question qui nous démange et
qui porte en elle tous les thèmes que nous allons aborder :
comment expliques-tu l’incroyable succès de ta série
Disparue ? On a un élément de réponse évident : la qualité de
ta mise en scène... mais on a envie d’avoir ton avis !
marché en Espagne, elle sentait qu’on pouvait faire différent
et encore mieux.
C. B. : C’est un ensemble de choses... Des textes prenants, de
beaux personnages incarnés par des comédiens formidables
et une belle équipe technique, à commencer par mon chefopérateur Pascal Gennesseaux et mon chef-monteur JeanDaniel Fernandez. Il y a eu un très gros investissement de
chaque personne qui a travaillé sur cette série pour qu’elle
arrive à une telle qualité... Mais tout d’abord il y a eu la
volonté d’Iris Bucher, la productrice, qui l’a initiée. Et puis il y
a eu le travail et le talent de deux scénaristes, Marie Deshaires
et Catherine Touzet avec qui cela m’a été très agréable de
collaborer parce qu’elles ont été ouvertes d’entrée au fait que
je puisse, par ma mise en scène, continuer à faire évoluer le
scénario à partir du moment où je respectais l’esprit de ce
qu’elles avaient écrit.
G. 25 I. : Après la détection du sujet, elle a su créer un trio
avec les scénaristes et la réalisatrice ?
G. 25 I. : C’était l’une de nos questions : comment s’est
passée la collaboration entre les auteures scénaristes et
l’auteure réalisatrice ?
C. B. : C’est très important, une bonne collaboration. C’est la
base de tout le reste, car il y a un enjeu humain et créatif très
fort sur une telle série. C’est ainsi qu’on peut donner du style
à la mise en scène...
G. 25 I. : Alors, pour toi, c’était priorité au casting ?...
C. B. : Oui, parce que c’est l’histoire d’une famille et il y a eu
un phénomène d’identification très fort. Je tiens à dire que les
scénarios étaient très prenants dès le départ. Et ça c’est l’ABC :
avoir une belle histoire. Mais aujourd’hui en série, ça ne suffit
plus d’avoir juste un bon scénario et une belle histoire ; il faut
aussi une mise en scène, il faut donner un style visuel, il faut
amener l’ensemble encore plus loin. Parce qu’on ne peut plus
tourner à l’ancienne... Je crois que le public a envie, parce qu’il
voit énormément de séries, d’une identité particulière dans
chacune d’elles. Et le système du feuilletonnant crée une
addiction bien plus forte, avec du « cliffhanger » à chaque fin
d’épisode. Mais comme je le dis souvent, on n’a pas inventé
le feuilleton. Dickens, un de ses inventeurs au XIXe siècle,
disait ceci : « Faites-les rire, faites-les pleurer, et faites-les
attendre. ». C’est une formule à laquelle je pense souvent.
G. 25 I. : Et comment la productrice Iris Bucher (ndlr : Quad
Télévision) a-t-elle flairé le potentiel de cette série espagnole
Desaparecida ? On est allé sur internet voir un ou deux
épisodes et c’est quand même... assez différent et très en
dessous de l’adaptation française. Ce sont souvent les
adaptations qui ne sont pas au niveau de l’original, mais là
c’est vraiment l’inverse !
C. B. : Je n’ai regardé que les dix premières minutes du
premier épisode, et ça n’avait rien à voir avec ce que j’avais
envie de faire ; et comme je ne voulais pas être influencée, je
me suis arrêtée là. Mais les scénaristes, elles, ont été obligées
de regarder parce qu’elles ont quand même adapté la trame
narrative. Je ne sais pas comment elle a dégoté ça, Iris, il
faut lui demander. Elle m’en a parlé il y a longtemps et elle
trouvait surtout que c’était une bonne idée parce qu’il y avait
un enjeu humain très fort. Et même si ça avait très bien
© Etienne Chognard CCSP - Charlotte sur le tournage de Disparue
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G. 25 I. : C’est une bonne idée de productrice.
C. B. : Oui c’est une productrice très intuitive.
C. B. : Oui et il faut dire qu’Iris, c’est quelqu’un qui, pour un
metteur en scène, en tous cas pour moi, a été extrêmement
agréable. Toutes les idées un peu « folles » de mise en scène
dont j’ai eu envie, elle ne s’est jamais arrêtée dessus. Par
exemple dans le scénario, Alix Poisson faisait toujours des
joggings... et moi j’ai eu envie qu’elle nage. Et le fait qu’elle
nage, ça a entraîné bien sûr une demi-journée dans une
piscine, avec des plans sous-marins, un matériel sophistiqué,
un cadreur spécialisé et ce n’était pas anodin pour le budget
d’une productrice…
G. 25 I. : Il y a effectivement de très beaux plans dans la
piscine, avec des ralentis splendides...
C. B. : Ça fait partie de la force visuelle que j’ai eu envie
d’amener. Quand j’ai raconté à Iris les ralentis que je voulais
sous l’eau, que s’immerger allait être important, vital, pour
cette mère brisée, qu’elle aurait besoin de ça... Iris m’a
répondu aussitôt : « Oui, c’est génial, allons-y ! ».
G. 25 I. : C’est aussi beau que dans Trois couleurs : Rouge de
Kieslowski, avec Juliette Binoche, où la femme qui a perdu
son mari et son enfant dans un accident de voiture, nage
pour rester dans la vie.
C. B. : C’est vrai mais je pensais plutôt aux plans de la série
anglaise The Fall, où Gillian Anderson va nager de temps en
temps aussi. Je trouvais qu’une héroïne qui nage, ça avait
du sens.
G. 25 I. : C’est une double réussite parce que tu as eu une
belle idée et ça sort des habituels clichés de la jeune femme
en collant qui s’essouffle dans les bois avec des écouteurs...
C. B. : Elle n’a couru qu’une seule fois, sur le pont, parce
que je voulais ce plan de drone. J’en avais très envie... J’ai
fait beaucoup de plans aériens, ce n’est pas nouveau, mais
je voulais que mes plans de situations sortent des clichés
habituels, et je voulais aussi qu’elle soit toute petite dans
l’image, pour marquer sa solitude et son désespoir. Donc je
voulais absolument garder la première course à pied dans le
premier épisode, mais une seule ; et après je me suis dit que
j’attendrais le milieu de la série, la mort de Léa, pour faire
des scènes dans la piscine, plutôt que de la voir courir et
s’effondrer à chaque fois. Et là, les scénaristes auraient pu
me dire : « On préfère le jogging ! », mais elles ont trouvé ça
super. Ça a été très agréable avec Marie et Catherine, parce
que chaque fois que j’avais une idée pour emmener encore
plus loin leur scénario qui était déjà très bon, elles étaient non
seulement partantes mais très enthousiastes. Dans les séries
d’aujourd’hui on a évidemment besoin d’un « créateur de la
série ». Mais là ce n’est pas « une série créée par Charlotte
Brändström ». Ni « une série crée par Catherine et Marie ou
Iris » ! Non, c’est vraiment une série créée collectivement par
nous toutes... Le scénario est un élément très important,
fondamental, mais la mise en scène aussi.
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…entretien avec Charlotte Brandström…
G. 25 I. : On découvre dans l’école française de la série, que le
showrunner - un mot très moche -, que le directeur artistique
le plus légitime est à l’évidence le trio producteur-scénaristeréalisateur, comme sur le modèle du Village Français, avec
la confiance du diffuseur. Le réalisateur de série a été mis
en touche trop longtemps, notamment à cause du rapport
Chevalier, qui sacralisait le duo producteur-scénariste... Non ?
C. B. : Oui, je pense qu’il y avait une période où les chaînes le
voulaient ainsi, et on faisait venir les metteurs en scène le plus
tard possible dans un projet. On arrivait juste cinq semaines
avant le tournage pour préparer. Dans de telles conditions,
on n’a plus le temps d’intervenir sur les textes pour chercher
des solutions artistiques pour qu’ils puissent tenir dans le
plan de travail. Il y avait donc souvent des belles scènes que
la production nous faisait tout simplement supprimer parce
qu’on n’avait pas le temps ou les moyens de les tourner… Le
réalisateur n’a pas le temps d’adapter, ni de réfléchir, ni de
chercher un style, il n’a le temps de rien quand on l’engage
trop tard !
G. 25 I. : C’est pour ça que la « version tournage », qui fait
jaser, doit absolument intégrer le réalisateur.
C. B. : Bien sûr ! Ou alors on fait une série américaine avec un
showrunner de haut niveau : on arrive, on réalise un ou deux
épisodes et on s’en va. Pourquoi pas ? Mais si on attend, et ce
n’est pas toujours le cas, que le metteur en scène apporte une
empreinte visuelle, il faut qu’il participe au développement
du projet. Mais bien sûr, si je fais Disparue, ce n’est pas la
même chose que si je vais faire deux épisodes de Chérif. A ce
moment-là, ce n’est pas la peine que j’arrive beaucoup plus
tôt pour donner une empreinte qui est déjà là. Les épisodes
ont besoin de garder la cohérence visuelle du pilote.
G. 25 I. : En même temps, dans les séries américaines ou
scandinaves déjà installées, ça change souvent... Dans
Borgen, il y avait 4 ou 5 réalisateurs par saison de dix
épisodes, y compris dès la première.
C. B. : Oui mais c’est le réalisateur qui fait les deux premiers
épisodes qui installe le style et qui crée l’esprit que les autres
doivent suivre. C’est lui qui donne le ton. Et les autres le
respectent.
G. 25 I. : Et la France commence à le faire. Sur Candice Renoir,
les deux réalisateurs de la première saison ont vraiment
apporté un ton particulier d’image, de choix de décors, et
d’humour avec la complicité de la comédienne et en accord
avec la direction littéraire ?
C. B. : Oui, ils ont donné un style et co-créé la série. Je trouve
que c’est important de nous remettre, nous réalisateurs et
réalisatrices, à cette place légitime... Il faut des réalisateurs
forts, expérimentés, sur les premiers épisodes. En échange,
il faut aussi admettre que quand on entre dans une série
déjà bien installée, c’est un autre travail, on accepte d’avoir
un showrunner derrière l’épaule, mais ça ne doit pas nous
empêcher de bien réaliser les choses…
G. 25 I. : Dans les séries américaines ou canadiennes, on croit
que le réalisateur n’est qu’un prestataire, mais sur le tournage,
on lui fiche la paix. Ceux d’entre nous qui ont eu la chance
de tourner là-bas le savent. Nous sommes évidemment
favorables au directeur artistique, à condition qu’il soit
expérimenté. Comme dit Beau Willimon, le showrunner de
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House of Cards : « Ce n’est pas le poste qui rend compétent,
mais l’expérience de tous les autres postes ».
C. B. : Tout à fait d’accord !
G. 25 I. : En France, tu as parfois des soi-disant showrunners
qui viennent te déplacer la caméra et te fermer la porte
du montage. Les jeunes réalisateurs en souffrent... Et
artistiquement tu ne peux pas t’y retrouver ! Tu ne peux pas
apporter ta créativité si on te dicte tout…
C. B. : C’est vrai, c’est dur pour ceux qui démarrent dans
le métier, de subir ça, parce c’est très difficile de réaliser
dans ces conditions. On est tous différents et le texte passe
forcément par notre regard. On le met en images à notre
manière, même en respectant les codes. C’est vrai que j’ai eu
beaucoup de chance de travailler sur Disparue dans une vraie
liberté créative, et ça a été très agréable avec la chaîne. On
travaille en confiance avec Carole Le Berre.
G. 25 I. : C’est aussi la qualité de la mise en scène qui met la
chaîne en confiance ?
C. B. : Je pense que je suis quelqu’un qui sait bien s’entourer, et
j’ai des collaborateurs chefs-op, chefs-monteurs, et d’autres
autour de moi en qui je crois et avec lesquels je travaille
depuis longtemps. Et tous ensemble on cherche la qualité.
Je travaille en confiance avec mes techniciens comme ce fut
le cas avec les scénaristes. Par exemple, les scénarios, qui
étaient déjà vraiment bien, ont encore évolué un peu au cours
de lectures que j’ai faites seule avec mes acteurs, pour qu’ils
soient libres de ressentir les dialogues, sans contraintes...
G. 25 I. : C’est bien, parce que c’est parfois mal perçu par les
scénaristes de ne pas être à la lecture.
C. B. : Mais je leur ai annoncé franchement. Elles ne me
connaissaient pas encore très bien, mais elles m’ont dit :
« On ne l’aurait jamais mal pris ! ». Je les en ai remerciées
parce que les acteurs, quand les scénaristes sont là, ne disent
pas vraiment ce qu’ils pensent. Ils font une lecture, tout le
monde est gentil… et sur le tournage, ils me disent : « On n’a
pas voulu le dire ce jour-là, mais ça ne nous plait pas, cette
phrase-là ! ». Donc je préfère lire seule avec eux, et après je
reviens vers les scénaristes si ça ne va pas. Marie et Catherine
étaient d’accord. J’ai fait deux journées de lecture. Ensuite
elles sont repassées sur les dialogues et elles ne sont venues
qu’une seule fois sur le plateau en quatre mois et demi. Et on a
encore fait évoluer un peu le texte au tournage. Il y a toujours
des modifications en fonction des décors, des intempéries, des
idées de mise en scène etc. Et puis ça continue au montage,
il y a des séquences qu’on change de place, on reconstruit
encore. Catherine l’a dit quand elle est passée dans Un soir à la
Tour Eiffel : par exemple, dans le scénario à la fin du quatrième
épisode, les jeunes rament dans une barque, l’un d’eux passe
par dessus bord et tombe sur le corps de Léa. On a eu l’idée,
avec mon chef-op, des jeunes réunis au bord de l’eau et que le
corps soit déjà là dans les roseaux, invisible… sauf si l’un d’eux
rentre dans l’eau… Parce que ça nous arrangeait visuellement
aussi. Et puis je voulais faire un montage parallèle avec la fête
de l’école, je l’avais décidé très tôt, et je n’en avais pas parlé
aux scénaristes, parce que je voulais d’abord voir ce que ça
donnerait sur le tournage. Elles ont vu les rushes et elle m’ont
écrit toutes les deux des textos en me disant : « C’est génial,
ça marche très bien, bravo, super ! ».
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© Etienne Chognard CCSP - Tournage de Bleu Catacombes - Charlotte avec Pascal Gennesseaux et Nathalie Alquier
Ce sont des scénaristes intelligentes qui savent que le scénario
peut continuer à évoluer constamment, en harmonie avec
elles, et elles n’ont pas de problème d’égo. Et là je dois dire
que la réalisatrice n’est pas traumatisée car elle ne reçoit pas
tout le temps des textos disant : « Tu as encore changé ma
séquence ! ». (rires)
G. 25 I. : Rappelons leurs noms : Sophie Deshaires et
Catherine Touzet… C’est vraiment bien cette entente, mais
c’est aussi la personnalité du metteur en scène qui sécurise
les scénaristes, et qui fait qu’ils n’interviennent pas... Il y a
aussi des séries où les réalisateurs changent souvent, comme
Candice Renoir où la direction littéraire est assez présente sur
le tournage et assure la continuité dans l’harmonie.
C. B. : C’est normal sur les séries longues à épisodes
indépendants. Alors que Disparue, c’est comme un très long
film, un seul film, avec un début, un milieu et une fin. C’est
bouclé irrémédiablement, il ne peut pas y avoir de suite. Il y
a d’ailleurs eu des discussions entre nous, on peut le dire, en
raison des demandes du Groupe 25 Images, car je ne devais
en faire que quatre au début. Mais ce n’est juste pas possible
logiquement sur un feuilleton bouclé, parce qu’alors, on
double les décors, on double tout.
G. 25 I. : Bien sûr ! Et pour que les choses soient claires dans
notre microcosme, une petite parenthèse : contrairement à ce
que disent certains, le Groupe 25 images soutient totalement
le système à réalisateur unique de type Disparue ou Les
Témoins. En feuilleton, cela garantit l’équilibre artistique et
budgétaire. Notre seule demande, c’est que les séries longues
à épisodes bouclés assurent une rotation de réalisateurs tous
les 2 ou 4 épisodes en 52min et à chaque épisode en 90min.
Dans le dénuement professionnel actuel, il est indécent de
voir un scénariste fournir seul la moitié ou les trois quarts
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des épisodes et un réalisateur en réaliser « à la pelle ». En
plus, on voit bien sur certaines séries la chute de créativité
que cela entraîne.
C. B. : Oui, et sur les collections, le changement marche
parfaitement. Par exemple sur celle de Sophie Deloche, je
trouve bien et justifié que Sophie change de metteur en scène
à chaque fois, il y a eu Durringer sur Hiver Rouge, puis moi,
sur Bleu Catacombes et cela continue.
G. 25 I. : Oui et ça fonctionne bien aussi sur la collection
France 3 Meurtres à… Et ça évite aussi le cumul de certains
producteurs. Fin de la nécessaire parenthèse !… Revenons
à Disparue : est-ce que tu as tout fait en crossboard (ndlr :
séquences regroupées par décors) ou est-ce qu’il y a quand
même une logique américaine ou scandinave de continuité
par épisodes ?
C. B. : Non, trop cher… On a tout « crossboardé » ! Et pour
rejoindre la parenthèse ;-), c’est une mini-série qui aurait
certainement beaucoup pâti s’il y avait eu plusieurs metteurs
en scène. Parce que, forcément, on ne peut pas suivre les
personnages de la même manière dans un enjeu humain
et émotionnel aussi fort. Il y nécessité d’avoir aussi une
confiance et un partage sur la longueur avec les comédiens,
que cela rassure et renforce. Il faut savoir exactement où
on va. Au montage par exemple j’ai pris des séquences qui
étaient dans l’épisode 7 et je les ai mises dans le 6 ! Si ce
n’est pas le même metteur en scène comment on fait ? Je l’ai
dit, c’est un long film, découpé en huit morceaux, mais c’est
un long film unique ! J’étais la seule à avoir tout en tête, et je
crois qu’à un moment donné, plus personne ne savait où on
en était, sauf moi ! (rires).
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…entretien avec Charlotte Brandström…
et je n’ai pas besoin que ce soit le meilleur jeu de la terre dans
les essais. J’ai juste besoin de sentir que c’est le personnage.
Parfois j’ai eu très envie d’un comédien ou d’une comédienne,
et en faisant des essais, je me suis rendue compte que ce
n’était pas le rôle. Donc les essais, pour moi, c’est important,
je suis toujours là, et j’ai fait des essais avec tout le monde,
jusqu’au dernier petit rôle à Lyon. C’est-à-dire que j’ai passé
beaucoup de temps avec la directrice de casting lyonnaise
pour les rôles secondaires, qui m’a montré tous les acteurs à
qui elle avait pensé, et après on a fait ce que j’appelle « jouer
au Tétris », c’est-à-dire qu’on a distribué les rôles en fonction
de ce qu’on ressentait aux essais. Ils lisaient presque à chaque
fois la même chose.
G. 25 I. : Ce sont quasiment déjà des répétitions. Tu fais ces
essais par conviction personnelle, ou comme souvent en
série, pour convaincre la chaîne ?
C. B. : Les rôles principaux, je les ai montrés à la chaîne, j’ai
montré les essais d’Alix en disant que c’était mon choix. Pour
PEF, Pierre-François Martin-Laval, c’est Sylvie Brocheré qui
m’en a parlé. Il est arrivé et j’ai tout de suite été cueillie par
l’émotion qu’il dégageait. J’ai ensuite fait des essais avec
plein d’autres comédiens avec lesquels je n’ai pas ressenti la
même chose. Et là par contre, il a fallu que je réussisse à
convaincre un certain nombre de personnes qui avaient peur
que son image lui colle...
© Etienne Chognard CCSP - Charlotte et Pierre-François Martin Laval sur le tournage de Disparue
G. 25 I. : La grande force des séries modernes, c’est d’être
des long-métrages de six ou huit heures, où on a un tel
développement des personnages qu’on est pris à la gorge.
Mais autre question : ce n’est pas trop dur aussi, pour la
comédienne, de tourner à midi la maman heureuse du début
de l’épisode 1 avec sa fille qui part faire la fête, et de tourner
à 16h – ça n’a pas été le cas mais imaginons – le moment de
l’épisode 5 où elle apprend que sa fille est morte ?...
C. B. : Ça a pratiquement été le cas !
G. 25 I. : C’est là qu’il faut avoir des actrices fortes et très
bien dirigées !
C. B : On a fait cinq semaines dans l’appartement, et là, on a
tout crossboardé parce qu’on avait des problèmes avec Zoé
Marchal qui allait au lycée et qui n’était pas disponible tout le
temps. Donc elle faisait des allers retours, avec ses examens
de fin d’année et elle n’avait pas le droit pour la DDASS de
faire autrement ; et j’ai dû mélanger encore plus tous les
épisodes. Mais ça n’a pas été tellement compliqué parce
que, justement, j’étais la seule réalisatrice, j’avais beaucoup
travaillé en amont, et j’ai fait intervenir mon chef-monteur
très tôt. Tous les week-ends je regardais le montage, donc je
revoyais l’évolution de l’ensemble, et à un moment donné on
connaît tout par cœur quand on a bien préparé.
G. 25 I. : Mais ce qui est très compliqué c’est, par exemple,
les changements de maquillages ? Le HMC (ndlr : habillagemaquillage-coiffure) est sur les dents tous les jours ?
C. B. : C’est un cauchemar ! Parce que quand la mère avait
passé une nuit blanche douloureuse, elle n’était pas aussi
pimpante que quand elle rentrait de la mairie au début, donc
il fallait changer même le fond de teint entre deux séquences,
et ça c’était galère car ça prenait beaucoup de temps...
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G. 25 I. : Mais en même temps Alix Poisson a une puissance
de jeu qui masque tout, non ?...
C. B. : Il y a quand même eu un énorme travail de maquillage,
de préparation, de réflexion.
G. 25 I. : Tu as fait un casting exceptionnel, parce que comme
disait Chabrol, « c’est 80% du film ».
C. B. : 80% de la direction d’acteur, c’est le casting. Et c’est
là où ça peut parfois être compliqué avec les chaînes, de leur
expliquer nos choix.
G. 25 I. : Parce que tu as pris François-Xavier Demaison ou
Pierre-François Martin-Laval à contre emploi. Alix Poisson est
éblouissante, Alice Pol incroyable. Tous sont très attachants.
Et justement, comment les as-tu choisis ?
C. B. : J’ai tout de suite pensé à Alix Poisson. Quand je suis
arrivée sur Disparue, ça faisait longtemps que je l’avais
repérée dans La Disparition et dans L’Affaire Courjault, deux
films de Jean-Xavier de Lestrade, où elle était juste fabuleuse.
Alix, je la voulais absolument ; elle était un peu jeune pour le
rôle, mais je me suis dit que ça irait quand même. On a juste
rajeuni son fils de vingt trois à vingt ans. Mais c’est vrai que
normalement, comme elle a trente-cinq ou trente-six ans,
elle aurait eu son fils à seize ans… Pour Alix tout le monde
m’a suivi dès que j’ai eu l’idée, j’ai quand même fait des
essais avec d’autres comédiennes, mais elle crevait l’écran.
Personne ne s’est posé la question. Autant la chaîne que
la productrice, ou moi et les scénaristes, on a tous regardé
ensemble et on a été subjugués par Alix.
G. 25 I. : Tu as l’habitude de faire des essais, même quand tu
es sûre de toi ?
C. B. : Oui. Pour créer des couples et être sûre de moi aussi,
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G. 25 I. : Il nous fait très vite basculer dans l’émotion, il est
tellement émouvant d’ailleurs que l‘on passe trois ou quatre
épisodes à se dire : « Ah non, ça ne peut pas être lui le
coupable ! » Et heureusement, ce n’était pas lui !
C. B. : Pour Molina, le rôle de François-Xavier Demaison, je
savais que je voulais un flic pas trop torturé. J’ai cherché
quelqu’un qui soit un personnage vrai et fort et FrançoisXavier m’a paru une évidence dès que Sylvie Brocheré, ma
directrice de casting, me l’a présenté. G. 25 I. : Il s’impose physiquement et aussi parce que, comme
PEF, il est un peu à contre-emploi.
C. B. : Et Alice Pol aussi, son adjointe ; mais je la connaissais,
elle m’avait déjà fait des petits rôles dramatiques il y a
quelques années et je savais tout ce qu’elle pouvait faire.
C’est une comédienne formidable !
G. 25 I. : Il y a plein de bonnes idées sur son personnage,
comme la faire manger tout le temps ! C’est humain, c’est
drôle et ça sort aussi des clichés féminins habituels de la
clope, du texto et du jogging...
C. B. : Oui ! On s’est bien amusées en composant son
personnage.
DB. : Mais en plus, Martin-Laval et Demaison devaient bien
vous faire marrer à la cantine, ou le soir à l’hôtel ?...
G. 25 I. : François-Xavier, oui mais PEF, non. Il était
extrêmement concentré. Lui et Alix, ils n’avaient pas du tout
envie de se distraire sur le plateau. Je crois que PEF a dû
commencer à se concentrer avant le début du tournage et
qu’il n’a arrêté qu’après la fin. Il ne faut pas oublier non plus
qu’une série de quatre mois et demi, quatre-vingt huit jours,
c’est un peu un marathon, et qu’on ne sortait pas tous les
soirs non plus !
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G. 25 I. : Et le réalisateur le soir, en général, il prépare le
lendemain...
C. B. : Oui et tout me prenait huit fois plus de temps que
d’habitude parce qu’il y avait huit films. J’ai dû dîner une fois
avec chaque acteur en quatre mois et demi. Je les ai peu vus
en dehors.
G. 25 I. : Et malgré la grande fluidité de l’ensemble, on
voit bien qu’il y a un découpage sophistiqué, en fonction
des sentiments, des émotions et de la progression des
personnages. Comment as-tu réussi à maîtriser ça dans le
crossboarding, parce que c’est le plus dur quand tu tournes
quatre séquences de quatre épisodes différents dans la
journée ?
C. B. : Expérience… préparation… en travaillant le soir pendant
que les autres étaient au restau ;)... J’avais tous les soirs
une heure et demie à deux heures de boulot pour préparer
le lendemain. Et j’avais aussi une scripte exceptionnelle,
Nathalie Alquier, qui me préparait des continuités par
personnage, et par décor. Et c’est vrai que quand on tourne
quatre mois et demi on a le temps de continuer à préparer
pendant le tournage, de faire évoluer… Et puis je regardais
beaucoup le montage qui avait lieu en parallèle, et je me
rendais compte très vite quand il y avait un souci de transition
ou un problème de texte à un endroit ; il fallait le résoudre vite
et on rajoutait des éléments...
D. B : Ce qui nous a frappés, c’est cette puissance de
l’ellipse, qui n’est pas toujours très bien gérée dans les séries
françaises. Là il y a un beau travail d’ellipse et pas seulement
par les drones ou les time-lapses (ndlr : montages accélérés).
C. B. : C’était déjà là dans les scénarios, et on a continué
à pousser plus loin au tournage, et puis encore plus loin au
montage.
G. 25 I. : Tu fais beaucoup de répétitions au tournage ?
C. B. : Ça dépend des comédiens. J’aime par contre toujours
beaucoup parler des personnages avec mes comédiens en
amont.
G. 25 I. : Tu laisses du champ libre aux acteurs ?
C. B. : Je pense qu’il faut savoir, en tant que metteur en
scène, accepter quand c’est bien. J’ai lu une interview de
Sydney Pollack, à qui on demandait : « Quel est votre conseil
à un jeune metteur en scène ? », et il répondait : « Ne parlez
pas trop. C’est-à-dire n’en dites pas trop, n’embrouillez pas
les acteurs. Quand ils sont bons et quand c’est bien, ne dites
rien.»
G. 25 I. : Et c’est là toute la force du metteur en scène, et ce
qui est passionnant c'est que tu démontres très simplement
que ce n’est pas le même film en fonction de l'expérience. Ou
s’il n’est pas suffisamment impliqué en amont.
C. B. : Il faut impérativement être en amont, expérience ou
pas. Et il faut avoir un point de vue. C’est le plus important.
Un metteur en scène qui fait son tout premier film, avec un
point de vue fort, peut se tromper, faire des erreurs, mais son
film restera fort.
G. 25 I. : On l’a vu avec Xavier Dolan, qui a fait son premier
long-métrage à dix-neuf ans !
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• 13
…entretien avec Charlotte Brandström…
C. B. : Il faut toujours chercher à être inventif et pas juste
couvrir les scènes n’importe comment en attendant que ça
soit monté. Moi je tourne beaucoup à deux caméras, mais
chaque caméra signifie quelque chose. Je n’ai pas une caméra
qui filme n’importe quoi, au cas où… Avant de tourner une
scène, je sais ce qu’elle raconte sur deux axes cohérents.
Parce que je l’ai préparée avec précision.
G. 25 I. : C’est Roger Deakins, le directeur-photo des frères
Cohen et de Scorcese, excusez du peu, qui dit : « Le film
doit d’abord se faire sur le plateau. Je ne comprends pas ces
réalisateurs qui tournent avec plein de caméras et disent
qu’ils feront leur film au montage. Cela donne des films
totalement impersonnels. » A ce propos, ta collaboration
avec ton directeur de la photo Pascal Genesseaux, c’est de
longue date ?
C. B. : On a tourné ensemble pour la première fois en 1998 !
(Brigade Spéciale produit par Laurence Bachman) J’ai même
emmené Pascal quand j’ai tourné en Suède, où il a fait trois
de mes quatre films locaux, et sans parler suédois ! Quand
il cadrait une scène en suédois et qu’il devait panoter sur
l’un ou l’autre comédien, droite ou gauche, je lui tapais sur
l’épaule correspondante. (Rires).
G. 25 I. : Tu as fait les Wallander, là-bas ?
C. B. : Oui, et Johan Falk qui avait été projeté à La Rochelle.
G. 25 I. : A La Rochelle, où on avait fait un entretien avec toi,
à voir sur le site du Groupe 25 images ! C’est une série de
long-métrages ?
C. B. : Celui que vous avez vu ce n’était pas un long-métrage.
Mais l’autre est sorti au cinéma.
G. 25 I. : Et tu as tourné Occupied en Norvège ?
C. B. : Non, j’ai failli. Je devais faire deux épisodes. Mais
Disparue est arrivée, avec les problèmes de décors, les textes
denses, l’histoire longue qu’on racontait en huit épisodes,
des dates trop proches… Alors je me suis dit que j’allais mal
travailler si je faisais les deux et j’ai donc quitté Occupied…
G. 25 I. : Il y a une erreur dans ta bio, parce qu’ils disent que
tu l’as tourné l’automne 2014.
C. B. : Peut-être parce que ça a été annoncé dans Variety ?
G. 25 I. : C’est une série intéressante, où la Russie envahit la
Norvège pour récupérer tous ses forages pétroliers, sous le
nez de l’Europe qui ne bronche pas, comme d’habitude !
C. B. : C’est une très belle série pour Arte !
G. 25 I. : On sait que Disparue est une histoire bouclée,
terminée, qui ne peut avoir de suite. Mais est-ce que vous
avez envie de retravailler ensemble, la bande de filles ?
C. B. : Avec Iris, Catherine et Marie on va créer une nouvelle
série de six ou huit épisodes. On s’est déjà vues pour en parler.
Mais là, au mois de novembre, j’ai accepté, pour la Warner, de
faire un épisode d’une série américaine qui s’appelle Arrow.
C’est un super héros (des DC Comics) Je vais avoir huit jours de
préparation, neuf jours de tournage en journées américaines,
et quatre jours de montage. Là, c’est un autre exercice, et il
y a un metteur en scène différent à chaque épisode. C’est
normal, ça fait partie du concept. Un peu comme sur Candice
Renoir ou les séries scandinaves…
14 •
La Lettre des Réalisateurs n° 34
G. 25 I. : On est d’accord, on en a parlé en parenthèse !
Comme on en est aujourd’hui à plus de 80% de séries, c’est
indispensable d’assurer la rotation car c’est très difficile
aussi pour les équipes, pour les techniciens, comme pour les
compositeurs... Toute la chaîne de production souffre des
cumuls trop importants.
C. B. : Bien sûr ! Dans la série pure, il faut changer tous les
deux épisodes !
G. 25 I. : Oui c’est ce que nous avons dit aux diffuseurs. Si
un réalisateur fait des saisons entières de séries à épisodes
bouclés, ce n’est ni gérable ni déontologique par rapport à
nos professions ! En revanche, c’est normal et indispensable
sur Disparue que le même réalisateur fasse tous les épisodes.
C. B. : Sur Disparue, j’étais responsable artistiquement de
l’ensemble. Mais ça m’a pris un an…
G. 25 I. : Et ton compositeur Frans Bak, tu travailles aussi
beaucoup avec lui ?
C. B. : J’ai fait Bleu Catacombes avec lui. Il avait fait The Killing
et je l’avais contacté, parce qu’il y avait chez lui des sonorités
que l’on n’avait pas l’habitude d’entendre. Il amène un univers
qui donne une vraie atmosphère. Mais, j’ai eu de très bons
compositeurs en France aussi, je les rassure !
G. 25 I. : C’est ce qui est formidable dans The Killing ou aussi
un peu dans Les Revenants, c’est que ça va au-delà de la
musique, en fait, c’est une création sonore, qui passe par des
partitions, mais pas que…
C. B. : Ça vient en effet aussi de mon sound designer, JeanMarc Lentretien, qui a été responsable de toute la bande
son. Comme c’était une longue série, il avait deux excellents
monteurs sons qui travaillaient pour lui, mais il a tout
contrôlé. Il a également mixé la série. On avait trois jours de
mixage par épisode, mais beaucoup de séquences étaient
déjà pré-mixées pendant le montage son. En Suède, on
travaille beaucoup ainsi maintenant, parce qu’on n’a plus le
temps de mixer de façon classique, tout simplement.
G. 25 I. : C’est vraiment important que tu dises tout ça dans
une époque où justement, en série, de moins en moins de
réalisateurs ont accès au montage ! Et a fortiori à la postproduction, au travail de la bande son. Mais comme l’a dit
aussi Sydney Pollack, que tu citais tout à l’heure, il faut savoir
que le metteur en scène peut changer complètement une
scène en fonction de la musique qu’il choisit et du mixage
qu’il supervise.
C. B. : Complètement d’accord ! Dans la série de base à
épisodes bouclés, on ne le fait pas, mais dans une minisérie feuilletonnante comme Disparue, c’est essentiel que le
réalisateur soit partout. Et, je trouve qu’avoir son temps de
montage, et de ne montrer à personne avant qu’on ne soit
content de ce qu’on a fait, c’est essentiel. Mon chef-monteur
Jean-Daniel Fernandez adore le son. Une fois qu’il a monté
l’image, il place des sons, il met des musiques, il prépare
énormément le terrain au directeur son.
G. 25 I. : Parce qu’on parle beaucoup de l’identité visuelle,
mais l’identité sonore est tout aussi importante ?
C. B. : Bien sûr. Jean-Marc amène lui aussi un univers.
Et donc, lui et Frans Bak ensemble, ça a fusionné... Ils ont
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© Etienne Chognard CCSP - Charlotte explique un plan à Pierre Witzand, cadreur et steadicamer, sur le tournage de Disparue
apporté une vraie atmosphère. C’est pour ça que je répète
que c’est une famille, cette série. Frans a livré très tôt ses
musiques, et comme il a aussi l’habitude de travailler avec
les américains il nous livrait des stems (ndlr : pistes audio
qui peuvent être manipulées indépendamment les unes des
autres au mixage). Et Jean-Marc pouvait retravailler les stems
de Frans et réarranger les musiques en fonction des sons.
G. 25 I. : Ce qui suppose la confiance du compositeur.
C. B. : Oui. Frans est venu à Paris plusieurs fois, pour écouter
ce qu’on faisait et il était content. Et Jean-Marc est très bon
avec les musiques, il a une vraie oreille musicale. Il a fait
un travail exceptionnel. Il a travaillé jour et nuit, avec un
investissement personnel énorme...!
G. 25 I. : Et tu as eu combien de temps de montage ?
C. B. : Quatre semaines par épisode. Ça comprend aussi
toutes les projections pour la production et la chaîne ! Mais
c’est très peu par rapport à la Scandinavie ! Pour un épisode
comme ça, ils ont sept semaines. Alors, ils ne font pas les
heures qu’on fait avec Jean-Daniel ! On ne déjeunait pas
souvent…
G. 25 I. : Et combien de jours de tournage par épisode ?
C. B. : Onze jours de tournage par épisode. On a beaucoup
resserré le planning du commissariat et pris notre temps
pour les scènes d’émotion. On ne peut pas dire : « Action,
vous pleurez, là, tout de suite, dépêchez-vous... ».
G. 25 I. : Et tu avais aussi beaucoup de scènes de figuration ?
C. B. : Oui beaucoup de parcs, d’extérieurs, beaucoup de
décors. J’ai cinquante décors ! Donc onze jours c’était un
minimum quand même !
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G. 25 I. : Onze jours de huit heures, ce ne sont pas onze jours
à l’américaine. « Oui mais les américains y arrivent bien en
huit jours ! », nous disent certains producteurs qui devraient
se renseigner...
C. B. : Oui, sur Arrow, en novembre, ça va être très intéressant,
je vais faire l’expérience. Mais en huit ou neuf jours de seize
heures, dont douze ou quatorze de plateau, ça fait treize à
quatorze jours de plateau par épisode…
G. 25 I. : Revenons en France, est-ce que tu penses que ta
sensibilité de réalisatrice t’a permis d’augmenter, de mieux
maîtriser l’émotion générale de la série.
C. B. : Je ne sais pas. Il y a beaucoup de débats sur la femme
réalisatrice. Mais c’est tellement personnel que c’est difficile
à dire ! Parfois on vient me chercher parce que je suis une
femme. Parfois on entend qu’ils veulent un homme. Mais
quand on dit que les femmes ne tournent pas assez, c’est
vrai ! Quand on regarde les chiffres, on se dit qu’il n’y a pas
assez de commandes pour les femmes, mais en même
temps, à plusieurs reprises, on est venu me chercher, comme
l’a fait Sophie Deloche pour faire Bleu Catacombes parce que
j’étais une femme… Est-ce que c’est différent parce que je
suis une femme ? Oui, certainement. Il y a forcément des
choses distinctes. Mais je trouve qu’il y a des hommes qui
réalisent de manière plus féminine, et il y a des femmes qui
réalisent de manière plus masculine...
G. 25 I. : Complètement d’accord avec toi.
C. B. : Les a priori sont surtout en amont d’un projet, parce
qu’on me regarde entrer dans une pièce avec ma petite
silhouette et on se dit : « Jamais elle ne pourra faire un film
d’action celle-là ! ».
La Lettre des Réalisateurs n° 34
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…entretien avec Charlotte Brandström…
G. 25 I. : Mais ça, c’est aussi une vertu féminine, de tout
gérer. Parce qu’il y a beaucoup de réalisateurs hommes qui
n’hésitent pas à partir huit mois... et qui découvrent quinze
ans plus tard, que zut, ils ont des enfants adolescents et
qu’ils n’ont jamais été là ! (Rires).
C. B. : Pour Arrow que je tourne à Vancouver au mois de
Novembre j’ai fait des entretiens sur Skype. Le premier avec
une femme haut placée de la Warner qui m’a dit : « J’ai envie
qu’il y ait des femmes qui viennent sur notre série. ». Donc
j’ai été prise grâce au fait que j’étais une femme, pour faire
une série d’action.
G. 25 I. : Super ! Sur House of Cards, par exemple, il y avait un
tiers de réalisatrices…
C. B. : Dont des réalisatrices un peu connues quand même,
Jodie Foster et Robin Wright… Mais ça vient doucement, oui !
G. 25 I. : Charlotte, qu’est-ce qui t’a poussé à faire ce métier ?
C. B. : Au départ, je voulais faire des documentaires
animaliers...
G. 25 I. : Tu es passionnée d’équitation n'est-ce pas ?
© Etienne Chognard CCSP - Charlotte fait répéter François-Xavier Demaison et Zoé Marchal sur le tournage de Disparue
G. 25 I. : Tu ne sais pas tenir un revolver bien sûr ! Ils ont du
mal à confier des polars aux réalisatrices, alors qu’il y a des
Kathryn Bigelow dans tous les pays !
C. B. : Ça commence à changer, puisqu’on est venu me
chercher pour faire Arrow aux Etats-Unis, et qu’on m’a
proposé de faire des films d’action en France et en Suède...
J’aime beaucoup réaliser l’action, et je pense que je l’ai
cherché un peu au départ, justement pour ne pas être
cataloguée dans les films de femmes ! Il y a certainement de
ça aussi. Mais si on voit Les Démineurs de Kathryn Bigelow et
qu’on ne sait pas qui a réalisé, est-ce que ça se voit que c’est
un film de femme ? J’ai lu une interview d’Isabelle Huppert à
Cannes, très intéressante, où elle dit que, quand on lui confie
un scénario, ou qu’elle choisit de faire un film, elle ne regarde
pas si le metteur en scène est un homme ou une femme !
Elle dit oui ou non au film… Je pense qu’il y a des femmes
qui nous ont ouvert la route, qui ont beaucoup aidé ma
génération à pouvoir réaliser, et puis nous ouvrons la route à
d’autres femmes qui arriveront derrière et qui pourront faire
des films différents. Mais il faut casser les a priori tels que
« ça c’est mieux pour les femmes, et ça c’est mieux pour les
hommes ».
G. 25 I. : Bien sûr ! Mais c’est vrai que les producteurs et les
diffuseurs ont du mal à y venir...
C. B. : Quand on dit, « elle ne travaille pas parce que c’est une
femme », ce n’est pas vrai non plus ! Les producteurs disent
quand même de temps en temps : « Je veux une femme pour
ça », pour faire tel ou tel projet. Donc ça nous sert aussi.
Mais il y a des metteurs en scène masculins très sensibles
comme Jérôme Cornuau qui a réalisé C’est pas de l’amour
qui était à La Rochelle en 2013 sur l’histoire d’une femme
battue en zone rurale. Ce film est d’une sensibilité absolue.
Une réalisatrice aurait fait exactement la même chose, et on
16 •
La Lettre des Réalisateurs n° 34
aurait dit que c’était un film de femme ! Il faut faire attention
à ce discours et arrêter de dire qu’on est à plaindre parce
qu’on est des femmes. C’est plus difficile je pense, et il y a
certainement des a priori, parce que ce sont des hommes qui
décident. Mais on est parfaitement capables de faire ce que
font les hommes, et les hommes sont parfaitement capables
de faire ce que l’on fait ! Ce qui est amusant dans Disparue,
c’est qu’il n’y ait que des femmes aux commandes, même
si ça n’a pas été prévu comme ça. Il se trouve qu’Iris est
une femme, que les scénaristes sont des femmes, que moi
je le suis et que Carole Le Berre, la responsable à France 2
l’est aussi ! On est cinq femmes, mais ça aurait pu être cinq
hommes !
G. 25 I. : Mais peut-être aussi que la réussite de Disparue va
ouvrir des portes aux réalisatrices.
C. B. : Je l’espère. Mais j’entends aussi Isabelle Huppert dans
cette interview que j’ai bien aimée, où elle dit que les choses
doivent se faire naturellement. Il ne faut pas tout le temps se
prendre la tête là-dessus. Moi, on m’a déjà ouvert la porte. Je
pense que ça m’a certainement aidée, mais je n’ai jamais eu
trop de problèmes, ou l’impression d’en avoir parce que j’étais
une femme.
G. 25 I. : Oui parce que tu t’es très vite imposée, ta notoriété
est venue assez tôt. Mais il y a quand même une anomalie :
50% des diplômés de la FEMIS ou des écoles de cinéma, sont
des femmes, et seulement 18% arrivent à faire leurs films
d’auteurs, 7% des épisodes de séries prime time.
C. B. : C’est vrai que quand tu as des enfants, quand tu as
une famille, c’est plus difficile de partir longtemps sur un
tournage ! Une fois, j’ai dit non à une longue série qui devait
être tournée en Croatie parce que je ne pouvais pas être partie
pendant huit mois de chez moi !
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C. B. : Oui, j’aime bien les chevaux, j’aime bien les animaux
de manière générale. Quand j’avais quatorze ou quinze ans,
j’adorais les documentaires animaliers. Donc j’ai fait des
stages au Musée d’Histoire Naturelle, et puis je suis partie
aux Etats-Unis, où j’ai fait des études d’anthropologie à
UCLA, et ensuite j’ai postulé à l’American Film Institute où,
pour entrer, il fallait faire un court-métrage. J’en ai fait un
que j’ai écrit et réalisé et j’ai été acceptée. J’avais vingt et un
ans et je n’ai jamais arrêté depuis. C’est comme ça que ça a
démarré en tous cas.
G. 25 I. : Tu es née en France ? Et tu as grandi où ?...
C. B. : Je suis née en France mais je suis repartie très vite en
Suède, parce que mes parents n’étaient là que pour quelques
années, et je suis la seule de la famille à être née en France.
J’ai la double nationalité, et j’ai vécu en Suède jusqu’à l’âge
de douze ans, ensuite je suis revenue à Paris, où j’ai vécu
pendant huit ans, et puis je suis partie faire des études
aux États-Unis. Je suis restée là-bas très longtemps, pour
travailler, et je voyage toujours beaucoup entre les deux. Je
vis également un peu en Espagne.
G. 25 I. : Et c’est passionnant d’être une réalisatrice
mondiale ? De tourner aux Etats-Unis, en Afrique du Sud, en
Suède, en France, partout...
C. B. : Oui, c’est assez excitant. Par exemple, on m’a donné
un scénario à lire la semaine dernière pour une série, et les
scénaristes m’ont dit : « Mais on te l’a donnée en quelle
langue ? », et j’étais incapable de dire en quelle langue je
l’avais lu ! C’est juste naturel pour moi de passer d’une langue
à l’autre. Je trouve très agréable de pouvoir se renouveler en
permanence, de voir des méthodes de travail différentes, ça
alimente la personne que l’on est, sa créativité... Et je suis
sûre que le style de Disparue vient certainement des films
que j’ai faits en Suède. Parce que les scandinaves travaillent
énormément leurs personnages.
G. 25 I. : La fiction anglo-saxonne ou scandinave privilégie le
personnage ?
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C. B. : Oui, ils travaillent en profondeur les personnages,
même les chefs déco travaillent dessus, ils créent des pièces
de vie pour eux, on réfléchit à leur passé. Le personnage est
vraiment essentiel, plus que le récit lui-même.
G. 25 I. : Annette K. Olesen, la réalisatrice danoise des
premiers épisodes de Borgen, qu’on avait interrogée il y a
deux ans pour la Lettre des Réalisateurs, disait aussi la même
chose. « Chez nous, on se concentre sur les personnages, et
la réussite de nos séries scandinaves passe par eux. »...
C. B. : Parce qu’une bonne série, ce n’est pas seulement
« une histoire, une histoire, une histoire » ! C’est surtout les
personnages !
G. 25 I. : Oui mais pour les diffuseurs c’est souvent « une
histoire, une histoire, une histoire »...
C. B. : L’une des raisons du succès de Disparue, ce sont des
personnages vraiment incarnés. L’histoire de Disparue, elle
a déjà été vue, mais c’est notre manière de la raconter qui
est différente, avec des personnages très forts ! Vraiment
denses, et très justes !
G. 25 I. : Effectivement, on est très proche de tous les
personnages, et vice versa.
C. B. : En tous cas, l’addiction vient des personnages ! Sur une
longue série feuilletonnante comme Disparue, ils deviennent
nos amis ! Ils rentrent dans notre salon, on a envie de les
suivre, on a l’impression de les connaître. Ils deviennent un
peu nos copains et on a envie de les aimer.
G. 25 I. : En plus, il n’y avait rien de manichéen, la pauvre
cousine jouée par Zoé Marchal est totalement attendrissante !
On comprend qu’elle ait envoyé un pavé au visage de sa
copine méchante !
C. B. : Comme disait Jean Renoir : « Chacun a ses raisons. ».
Dans une série, pour qu’on la suive de semaine en semaine, il
faut s’identifier, aimer les personnages…
G. 25 I. : Ou les détester...
C. B. : Ou les détester.
G. 25 I. : Les diffuseurs, pendant longtemps, ont défendu
mordicus les épisodes bouclés pour pouvoir les diffuser dans
n’importe quel ordre. Ce qui était loufoque parce que la fille
de Navarro pouvait avoir vingt ans en mars et treize en avril !
Ils ont enfin compris qu’il fallait construire des personnages
sur la longueur.
C. B. : Par exemple le succès d’Engrenages, en dehors de
l’empreinte visuelle, ce sont des personnages ambigus,
denses et crédibles. L’interprétation est formidable. Et le
succès de Profilage c’est Odile Vuillemin, la profileuse. J’adore
ce personnage ! Et dans Candice Renoir on a vraiment envie
de suivre Cécile Bois.
G. 25 I. : Et que dirais-tu à des jeunes réalisatrices et
réalisateurs, qui arrivent dans le métier ? Tu leur as déjà
donné beaucoup de conseils en filigrane. L’arrivée dans ce
métier est quand-même un peu douloureuse en France par le
fait qu’on n’est qu’à la moitié de la production anglaise, et au
tiers de la production allemande...
La Lettre des Réalisateurs n° 34
• 17
…entretien avec Charlotte Brandström
C. B. : C’est vrai, hélas… J’ai compris une chose au début, quand
c’était difficile : le plus important, c’est la persévérance. La
chance vient quand la persévérance rencontre l’opportunité.
Mais tant qu’on n’est pas entêté, ça ne peut pas arriver.
Un producteur m’a donné une jolie formule un jour où je
désespérais en me disant que ça n’allait jamais se faire, il
m’a dit : « Pense que tu mets une pièce dans la machine à
sous, tu tires la poignée, et un jour ça tombera. Tu ne sais
pas quand ça tombera, mais si tu ne mets pas ta pièce tous
les jours, ça ne tombera jamais »… Donc, il faut continuer à
essayer tous les jours, surtout quand c’est difficile. Toujours
avancer, croire en ce qu’on fait, et avoir, surtout, un point de
vue sur les histoires, une vision personnelle sur tout ce qu’on
tourne !
G. 25 I. : Parce que les machines à sous, il y en a quand
même pas mal qui sont tombées en panne…
C. B. : Et il faut garder la passion. Moi, j’ai toujours très envie
de tourner, et je prends vraiment beaucoup de plaisir au
tournage !
G. 25 I. : C’est notre drogue !
C. B. : C’est une drogue, on ne peut pas s’en passer, mais je
crois qu’il faut essayer d’éviter les projets qu’on n’a pas du
tout envie de faire. Mais c’est difficile, parce qu’on ne peut pas
toujours se le permettre. Ce n’est pas toujours simple mais
il faut juger le scénario, voir quel est son potentiel, ce qu’on
peut en faire.
G. 25 I. : Il faut aussi des producteurs qui se battent. Des
producteurs indépendants à la Sophie Deloche, Fabienne
Servan Schreiber ou encore Florence Dormoy, qui sont
créatives et efficaces, mais il ne faut pas que les grands
groupes les étouffent. On ne l’a pas dit tout à l’heure, mais
il y a des producteurs pour qui le crossboard est un plus,
qui leur permet de mettre plus d’argent dans le tournage,
comme Iris Bucher, mais il y en a d’autres pour qui ça permet
d’augmenter la marge, tout simplement.
C. B. : De toutes façons, dans tous les films que je fais, je me
bats pour que ça soit bien. Mais il y a des films où je passe
mon temps à essayer qu’on ne m’enlève pas ce qui est écrit.
Et alors on n’a pas toujours l’énergie pour aller encore au-delà.
Et quand on a des producteurs
comme Sophie Deloche ou Iris
Bucher, et il y en a d’autres comme
Jean-Pierre Guérin et Laurence
Bachman, qui sont passionnés par
ce qu’ils font, ils vous permettent
de non seulement tourner ce qui
est écrit, mais peut-être de faire
quelque chose d’encore mieux,
d’avoir plus d’ambition.
G. 25 I. : Et que penses-tu,
Charlotte, de la dégringolade de
l’unitaire ?
C. B. : Ce serait terrible qu’il
disparaisse.
L’unitaire
doit
vivre, mais on ne peut plus se
permettre de faire comme on
faisait autrefois, juste un téléfilm
de plus. Aujourd’hui, il faut que
18 •
© Etienne Chognard CCSP
La Lettre des Réalisateurs n° 34
chaque unitaire créé un débat ou un événement, ou les deux,
pour qu’on ait envie d’y aller. Il faut absolument renforcer
les unitaires ! Il y a plein de sujets passionnants à traiter
en unitaire, mais il ne peut pas faire face à la série s’il n’est
pas un événement. Il faut qu’il soit unique, parce que s’il est
banal, il va disparaître ou se faire avaler dans des collections
sans âme. Il peut encore être historique, il faut amener un
acteur connu, il faut traiter un sujet moderne, il faut créer un
débat de société, il y a tellement de possibilités !... C’est ce
qu’on voit très bien en Amérique, sur HBO ou Netflix mais on
a dix ans de retard !
G. 25 I. : Ou sur Channel 4 en Angleterre... Même TF1 a eu du
flair avec L’Emprise de Claude-Michel Rome, avec Fred Testot
qui tape sur sa femme jouée par Odile Vuillemin, l’actrice
incroyable de Profilage...
C. B. : Très prenant ce film ! Et ça a été un événement de
presse et d’audience sur un sujet difficile.
G. 25 I. : Et du coup il a rendu TF1 plus audacieuse. Après,
en 90min, il y a l’option collection, qu’on aime bien. Mais
variée et créative, pas enlisée dans le policier. Des collections
ambitieuses…
C. B. : Les collections, c’est bien aussi pour faire travailler plus
de monde. Ça permet de changer à chaque film de metteur
en scène et d’équipe et c’est intéressant. Par exemple ce que
produit EuropaCorp, à partir des Mary Higgins Clark, ça c’est
une bonne collection !
G. 25 I. : Comme le dernier diffusé, Souviens-toi, de Philippe
Venault, avec Emilie Dequenne.
C. B. : Quelle comédienne !
G. 25 I. : Oui mais elle est venue parce que c’était Venault,
et c’est toujours pareil, quand il y a un vrai sujet, un vrai
metteur en scène, ça motive les acteurs ! Qu’en penses-tu ?
C. B. : Bien sûr ! En unitaire, on revient à l’équilibre humain.
Mais il y a eu d’abord une période certainement difficile
pour les scénaristes, parce que les réalisateurs à l’ancienne
se croyaient tout permis. Puis tout a basculé, surtout en
télévision, et nous, les metteurs en scène de ma génération,
étions engagés très tard, trop tard ! Mais maintenant, je crois
que le réalisateur est en train de
revenir, on en a déjà parlé, grâce
aux séries venues de l’étranger,
où il y a un point de vue de mise
en scène, une vraie empreinte de
réalisateur.
G. 25 I. : Tu penses que ça bouge
vraiment sur France Télévisions
depuis six mois, grâce à Chefs,
Les Témoins, La Vie devant elles,
Disparue ?
C. B. : Oui absolument ! Hervé
Hadmar a créé une vraie empreinte
visuelle sur Les Témoins. J’ai adoré
l’image. Et je crois qu’en dehors de
bons textes, on a besoin de donner
à nos séries une vraie identité,
forte, visuelle et sonore. Et il
s’est battu pour avoir son actrice,
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© Etienne Chognard CCSP - Charlotte en discussion avec François-Xavier Demaison et Pierre-François Martin Laval
que personne ne connaissait, donc c’était un personnage
nouveau, risqué.
G. 25 I. : Oui elle était très bien, Marie Dompnier ! Et la lumière
noire du Tréport fascinait…
C. B. : Sur Disparue, on s’est aussi beaucoup battu pour avoir
une belle lumière. On voulait une lumière plus contrastée que
d’habitude. Avec mon chef-op Pascal Gennesseaux, nous
sommes allés chez France 2 pour les prévenir et regarder
jusqu’où on pouvait aller. Ils ont demandé qu’on ne soit pas
trop contrasté au début, pour que les gens aient le temps de
s’habituer. Et France 2 a joué le jeu. Mais vous le savez comme
moi, il y a quand même des manières incroyablement diverses
de créer ! Par exemple, je trouve qu’il faudrait recommencer,
dans le service public d’aujourd’hui, à refaire des films en
costumes. Mais il ne faut pas les tourner comme autrefois.
Quand on voit ce qu’a fait Steven Soderbergh dans The Knick !
Comment il a refait New York en 1900, avec la musique, le
visuel et tout le reste ! Après, on aime ou on n’aime pas, et on
peut ne pas rentrer dans les personnages, mais en tous cas le
rendu est incroyable ! Et j’adore la musique de Cliff Martinez.
G. 25 I. : Il y a aussi l’incroyable série anglaise Peaky Blinders,
diffusée récemment sur Arte, qui met en scène des gangsters
de Birmingham survivants de la guerre, dans les années 20 !
C. B. : Impressionnant !… Il faut vraiment chercher un rendu
visuel, aujourd’hui. Le téléspectateur en a besoin et le désire.
A commencer par le générique de série.
G. 25 I. : Oui, le générique de Disparue est truffé de bonnes
idées : comme la petite adolescente placée à la place du i de
Disparue… et qui disparaît ! Super générique.
C. B. : C’est Nobrushing qui l’a fait, et ils ont été supers !
Avec Iris, on a commencé à penser au générique avant même
d’avoir tourné le film !
G. 25 I. : C’est symbolique que tu dises « le film » et non pas
« la série ». Ça résume tout ce que tu as partagé dans cet
entretien qui éclaire parfaitement les différents territoires de
la fiction et surtout la nécessité de rendre aux réalisateurs
et réalisatrices leur place centrale dans les séries modernes
collégiales.
C. B. : Merci de m’avoir invitée à parler de ma passion et de
me permettre de vous raconter comment j’ai vécu cette belle
expérience de mon film Disparue en huit épisodes (rires).
Merci également de notre unanimité sur le réalisateur unique
en mini-série feuilletonnante.
G. 25 I. : Tout pareil, Charlotte ! Pour finir, est-ce que tu as
d’autres passions ?
C. B. : Oui heureusement ! Les voyages, l’équitation, les
animaux, le sport, le cinéma, les enfants...
J’aime beaucoup de choses autour de ma passion de la
réalisation. J’aime la vie !
Entretien réalisé à Paris le 21 mai 2015.
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La Lettre des Réalisateurs n° 34
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