LA REORGANISATION DU CYCLE DE L`EAU EN

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LA REORGANISATION DU CYCLE DE L`EAU EN
LA REORGANISATION DU CYCLE DE L'EAU EN MILIEU OASIEN : UNE
NECESSITE. L'EXEMPLE DU SUD-TUNISIEN
G. Moguedet *, R. Boukchina **, A. Romdhane **, D. Dubost *, A. Houas ***, A. JadasHecart *, C. Kergaravat * et A.M. Pourcher *
* Laboratoire des Sciences de l'Environnement et de l'Aménagement, Université d'Angers, 2
Bd Lavoisier
E-mail : [email protected], [email protected], [email protected],
[email protected] and [email protected]
** Institut des Régions Arides, antenne de Gabès, route de Medenine, Gabès, Tunisie
E-mail : : [email protected] and [email protected]
*** Ecole Nationale d'Ingénieurs de Gabès, Tunisie
E-mail : [email protected]
RESUME
L'essor urbain, mais aussi touristique dans certaines régions, a profondément modifié le cycle
traditionnel de l'eau dans les oasis du Maghreb. Pour économiser la ressource, ce cycle doit
donc être réorganisé, notamment en valorisant en domaine agricole les eaux usées urbaines
épurées, à condition de prendre les précautions nécessaires pour éviter tout risque sanitaire ou
environnemental. Si les grandes villes qui sont en expansion dans la zone aride produisent des
volumes importants de ces eaux non conventionnelles, les régions touristiques, comme celles
du Sahara tunisien, en produisent en très grande quantité. Ces eaux, qui sont très peu chargées
et souvent de meilleure qualité d'un point de vue agronomique que les eaux captées car leur
salinité a été abaissé. Les palmeraies traditionnelles, coincées entre la zone urbanisée à
l'amont et les phénomènes de salinisation liés à l'hydromorphie en partie basse, peuvent
difficilement s'étendre. Il faut donc mettre en valeur de nouveaux espaces de culture. Le
développement de ces nouveaux espaces doit s'accompagner de structures agraires adaptées
aux pratiques agricoles modernes. De nouveaux types de culture doivent également être
testés. C'est dans ce contexte qu'un périmètre expérimental vient d'être créé près de Gabès en
Tunisie. Les résultats attendus doivent permettre à terme de proposer un mode de
fonctionnement durable de ces nouveaux espaces oasiens.
MOTS-CLES
Zone aride; oasis, ressource en eau; eaux marginales; valorisation agricole; agriculture durable.
INTRODUCTION
L'essor urbain en zone aride, associé au développement de l'agriculture et éventuellement
d'activités touristiques, a des conséquences importantes sur le cycle traditionnel de l'eau qui a
été complètement modifié. Des pays comme Israël vont voir leur disponibilité en eau par
habitant passer de 400 m3 en 1985 à 250 m3 en 2020. Durant la même période cette
disponibilité va passer de 500 m3 à 60 m3 en Jordanie et de 160 à 60 m3/habitant/an en Arabie
saoudite (Fabriès-Verfaillie, 1998). Dans ces conditions la valorisation des eaux non
conventionnelles et en particulier des eaux usées épurées constitue un enjeu majeur, à
condition que toutes les garanties soient prises au niveau risque sanitaire et environnemental.
En Israël par exemple, 100 millions de m3 d'eaux usées traitées viennent chaque année des
villes du Nord-Ouest pour alimenter des périmètres irrigués du sud du pays et en particulier de
nouveaux espaces de culture dans le désert du Neguev (Duveau, 1999). La valorisation
agricole des eaux usées épurées permet de préserver les ressources traditionnelles d'Israël, de
diminuer les quantités d'intrants et de faire des économies très substantielles (Haruvy, 1998).
En Arabie Saoudite, le volume des eaux utilisées pour l'irrigation est passé de 1,75 milliards
de m3 en 1975 à 23 milliards de m3 en 1992. Parmi elles, 1,32 millions de m3 d'eaux usées
épurées sont recyclées journellement en domaine agricole (Hussein & Al Saati, 1999) et des
nouvelles normes d'utilisation sont proposées (Abu-Rizaza, 1999), Il faut bien entendu tout
mettre en œuvre pour préserver la qualité des nappes souterraines et que les risques liés à la
présence d'éléments pathogènes soient totalement éliminés. La mise en place de bassins de
stabilisation, peu coûteux et dont la maintenance est facile à assurer, permet de produire un
effluent dont la qualité respecte les normes demandées par l'OMS pour l'irrigation des espaces
agricoles (Mara, 2000). La réutilisation d'eaux marginales existe un peu partout dans le
monde en zone aride, par exemple dans l'Etat du Colorado aux Etats Unis (Klahn, 1999), au
Mexique (Vasquez-Montiel et al, 1999), en Australie (Simpson, 1999) mais aussi au Moyen
Orient, par exemple au Koweit (Al Muzaini & Ghosn, 1999) en Egypte (Stott et al, 1999), au
Liban (Darwish et al, 1999). Ces techniques se répandent aussi au Maghreb.
LA PRODUCTION D'EAUX USEES AU MAGHREB
Les besoins en eau des villes du Maghreb, et donc la production d'eaux usées, ont connu
depuis trois décennies une croissance exponentielle. Cette augmentation spectaculaire
s’explique par trois facteurs :
1- Les villes ont grandi au rythme moyen de 5% par an. Aujourd’hui plus de la moitié de la
population est citadine, puisque de 9 millions de citadins dans les années soixante, on
est passé aujourd’hui à 35 millions et on prévoit en 2025 une population urbaine de 65 à
70 millions de personnes.
2- L’amélioration du niveau de vie qui se rapproche de plus en plus du modèle occidental. Alors que
quelques dizaines de litres par jour et par habitant étaient seulement utilisés il y a quelques
dizaines d'années, les consommations domestiques journalières dépassent souvent aujourd’hui
la centaine de litres par habitant. Il y a cependant de grosses disparités selon les quartiers, les
quartiers aisés disposant de 200 à 300 litres par personne, alors que les zones
d’autoconstruction ou les bidonvilles se limitent à 10 ou 20 litres aux bornes fontaines.
3- Les citadins sont de plus en plus nombreux à être raccordés aux réseaux, 75 à 85% des
ménages étant branchés et équipés en conséquence. Ces réseaux sont cependant loin
d’être étanches et les pertes atteignent jusqu'à 30 ou 40%.
La consommation urbaine au Maghreb a donc triplé ou quadruplé en 25 ans (Mutin, 2000).
Aux besoins domestiques et collectifs s’ajoutent bien sûr les consommations industrielles,
géographiquement proches des villes. Il s’en suit une concurrence pour l’eau et l’agriculture y
est parfois perdante, notamment là où l'espace productif est restreint comme dans les oasis,
alors que les besoins sont encore accrus par le développement du tourisme. En région
saharienne les ressources sont généralement limitées aux réserves en eau souterraine souvent
non renouvelables. Dans ces conditions les eaux non conventionnelles constituent une
ressource particulièrement précieuse, d'autant que leur volume va augmenter de façon
considérable dans les prochaines années. C'est ainsi qu'au Maroc la production d'eaux usées
va passer de 370 millions de m3 actuellement à 900 millions de m3 en 2020 (Mandi, 2000). Il
est important bien sûr que ces eaux marginales ne soient pas utilisées sous la forme brute
comme cela peut l'être encore autour de certaines grandes villes du Maroc. Des précautions
doivent être prises au niveau sanitaire et environnemental. Des traitements tertiaires selon
divers systèmes peuvent être préconisés, notamment la mise en place de bassins de
stabilisation (Yagoubi et al, 2000) pour que les normes OMS vis à vis des éléments
pathogènes puissent être respectées. Cela peut s'accompagner de la réalisation de cartes de
vulnérabilité des aquifères souterrains comme aux alentours de Marrakech (Ouazzani et al.,
2000).
En Algérie, pays encore peu équipé et où les stations existantes ont des problèmes de
fonctionnement, la valorisation des eaux usées épurées est encore peu développée, mais le
potentiel de production d'eaux non conventionnelles est énorme et constitue donc une
ressource en eau prometteuse, en particulier au Sahara. Il existe en effet plusieurs grandes
agglomérations comme Ouargla, El Oued, Touggourt ou Ghardaïa. A Ouargla les eaux usées
sortant de la station d'épuration sont malheureusement mélangées avec les eaux de drainage
agricoles enrichies en sels et refoulées vers une sebkha et ne sont donc pas valorisables en
l'état(Idder, 1998).
ETAT DE LA RESSOURCE EN EAU ET DES BESOINS EN TUNISIE
La Tunisie a désormais mobilisé une grande partie de la ressource en eau conventionnelle
dont elle disposait, que ce soit en eau de surface ou en eau souterraine (Tab. I).
Presque partout les aquifères de bonne qualité sont menacés d'épuisement en raison d'une
exploitation intensive et souvent incontrôlée (Chérif, 2000). La Tunisie est l'un des pays
méditerranéens où l'eau manque le plus et elle est au dessous du stress hydrique absolu
(Grass, 1997). Elle ferait même partie des 16 pays les plus défavorisés au monde dans ce
domaine (Chérif, 2000).
Tab. 1. Les ressources en eaux conventionnelles de la Tunisie d'après le Ministère de
l'Agriculture (1999 in Chérif, 2000)
Ressources
Ressources potentielles
Mm3
Eaux de surface
2700
Nappes phréatiques 700
Nappes profondes
1240
Total
4640
Ressources
mobilisées Mm3
(1996)
1425
750
930
3105
Taux de mobilisation
%
53
107
75
67
Tableau 2. Les besoins en eau de la Tunisie en 2030 et les ressources disponibles (en Mm3 ).
D'après Mamou & Khanfir (2000) in (Chérif, 2000).
Ressource
potentiel.
Ressourceconve
ntionnelle
4670
Ressource non
conventionnelle 440
Total
5110
Ressourcemob Ressourceexp Besoins
ilisée
loitab.
eau potab.
Besoins
agricoles
Besoins
industriels
Besoins Besoins
Tourisme totaux
3770
2732
451
1895
203
35
2574
349
4159
389
3121
40
491
140
2035
0
203
0
41
186
2760
La Tunisie puise maintenant dans son capital et ses réserves diminuent inexorablement, en
particulier en domaine saharien. Une estimation de la Banque mondiale prévoit que les
ressources en eau disponibles en Tunisie, qui sont aujourd’hui de l’ordre de 320 m3 par
habitant et par an, passeront à 270 m3 en 2010 et à 230 m3 en 2025 (Zahar, 1995). Les
nouveaux forages sont aujourd’hui réservés au comblement des déficits les plus criants des
oasis existantes. Le développement de l'urbanisme dans les oasis sahariennes, mais aussi
l'élévation du niveau de vie et le modernisme tout comme le développement du tourisme,
engendrent des consommations en eau de plus en plus élevées. Les superficies irriguées des
oasis ont également fortement augmenté puisque de 1970 à 1990 elles sont passées de 15 500
à 30 200 ha, principalement par une surexploitation des nappes souterraines dont
l’artésianisme est en pleine régression (Mamou, 1995).
Parallèlement on assiste aussi à une salinisation d'une certaine partie de la ressource qui
contribue à diminuer les volumes utilisables. Le cycle de l'eau traditionnel est ainsi
profondément modifié. Il y a beaucoup de gaspillage, notamment dans les périmètres irrigués
et la gestion de l'eau n'est absolument pas adaptée à une ressource fragile. Il est donc
nécessaire, d'une part de réorganiser le cycle de l'eau, et d'autre part de valoriser de façon
optimale les eaux non conventionnelles (eaux usées épurées, eaux de drainage, eaux salées)
qui doivent être considérées comme une ressource en eau supplémentaire dont l'utilisation
permettra de préserver la ressource conventionnelle. L'un des points qui restent sensible est
l'acceptabilité de ce genre de pratiques, même lorsqu'elles sont menées avec beaucoup de
rigueur. On peut comprendre l'inquiétude des consommateurs, étant donné les nombreux
problèmes auxquels ils font face un peu partout actuellement, notamment en Europe, tout
comme celle des agriculteurs qui subissent depuis quelques temps les effets de crises à
répétition.
La réutilisation des eaux usées épurées existe déjà depuis un certain temps en Tunisie, pas
seulement en domaine agricole. Des terrains de golf comme celui de Djerba sont alimentés en
eau provenant d'un effluent
épuré. Des expérimentations sont menées pour contrôler la qualité bactériologique des
effluents utilisés (Bahri et al., 2000). Dans le Sud de fortes consommations d'eau sont
enregistrées surtout à Gabès mais aussi à Djerba et à Tozeur en raison de la présence
d'importants complexes touristiques (Fig. 1).
L'EXEMPLE DE GABES
La ville est alimentée depuis toujours par des sources et des pompages provenant de la nappe
de la Jeffara, nappe captive dans les calcaires du Sénonien. Les pénuries d’eau se sont fait
sentir dès 1970 avec une diminution des débits et une augmentation de la salinité. L'essor
urbain de la ville de Gabès s'explique notamment par un important développement industriel
articulé autour d’un port qui s'est modernisé. Ce développement résulte pour une grosse part
du traitement et la valorisation des phosphates provenant de Gafsa par voie ferrée et pour une
autre part de l’extension d’une filière de matériaux de construction : briqueteries et carrelages
et surtout cimenterie (600 000 tonnes/an).
Cet essor industriel a entraîné une consommation supplémentaire qui a rompu l’équilibre déjà
fragile de la nappe de la Jeffara avec une baisse des débits qui sont passés de 51 millions de
m3 en 1974 à 42 millions de m3 en 1979 (Hayder 1991). L’agriculture a fait les frais de cette
pénurie, les tours d’eau passant d'un rythme de 20 jours, à 40 ou 50 jours. Le Plan Directeur
des eaux du Sud estime aujourd’hui les besoins à 160 millions de m3/an dont 100 millions
uniquement pour l’agriculture. Pour combler le déficit il a été fait appel aux ressources du
Continental Intercalaire dont les eaux sont chaudes et salées. Elles doivent donc être refroidies
et dessalées pour les
Figure 1 : Djerba, Gabès et Tozeur, sites importants de production d'eaux non
conventionnelles dans le Sud-tunisien :
usages domestiques et elles sont plutôt de mauvaise qualité pour l’irrigation. En outre il
semble avéré que cette nappe alimente elle même l'aquifère de la Jeffara, ce qui devrait
conduire à une certaine prudence dans son exploitation.
Dans ces conditions la palmeraie de Gabès semble être menacée par une forte pénurie d'eau si
on se cantonne à l'exploitation des ressources conventionnelles. La surface de la palmeraie
traditionnelle se restreint d'ailleurs régulièrement. Dans sa partie amont la plus proche de la
ville elle est soumise à une urbanisation intense, phénomène habituel sous toute les latitudes
qui traduit la pression du développement urbain sur les espaces agricoles périphériques. Si
dans d'autres régions on assiste simplement à un déplacement centrifuge des zones cultivées,
l'espace oasien, lui, n'est pas extensible. En effet, à l'aval des palmeraies, exutoire des eaux de
drainage, l'hydromorphie, et la salinisation secondaire qui l'accompagne, progressent vers
l'amont, grignotant aussi les espaces cultivés. On peut donc se demander quel peut être
l'avenir de cet agrosystème traditionnel, dont la valeur patrimoniale est grande, mais qui se
réduit et qui en outre n'est plus très fonctionnel, la pénurie en eau justifiant en outre l’absence
d’investissements.
Si la société tunisienne est en pleine mutation, la palmeraie traditionnelle ne semble pas
profiter de cette évolution. Les parcelles qui sont encore cultivées, où l'on pratique une
polyculture de productivité médiocre en utilisant des techniques rudimentaires, gourmandes
en main d'œuvre et peu rémunératrices, ne sont plus adaptées à l'évolution des techniques et
des conditions sociales (Dubost, 1992). Ces plantations cultivées en mélange n'ont pas les
mêmes besoins en eau, en fertilisants, en traitements divers et les méthodes d'exploitation et
de récolte sont différentes. Les cultures de henné encore largement pratiquées procurent peu
de valeur ajoutée. Les agriculteurs ont du mal à vivre décemment de leurs jardins et cet
agrosystème ne peut donc s'inscrire dans un objectif de durabilité. Il fait d'ailleurs l'objet d'une
désaffection importante, notamment de la part des jeunes, en raison des fortes contraintes qu'il
impose. Il y a ainsi de nombreuses parcelles abandonnées, envahies par les déchets, en
particulier, à proximité immédiate de la zone urbanisée.
L'un des problèmes majeurs rencontré est aussi celui de la gestion de l'eau, très conflictuelle
(Hayder, 1991), et qui, en raison des pratiques traditionnelles, n'est pas du tout rationnelle,
alors que la ressource en eau est en train de se raréfier. Autour des parcelles qui sont encore
cultivées, la densité de plantation des palmiers est beaucoup trop élevée et chacun d'entre eux
puise d'énormes quantités d'eau. Le système d'irrigation par submersion entraîne en outre un
gaspillage de la ressource (Quemener, 1999), alors que, dans l'ensemble, l'agriculture est peu
performante et peu rentable. Des parcelles spécialisées, par exemple en cultures d'arbres
fruitiers, permettraient de faire de l'irrigation localisée plus économique en eau et plus
efficace. La salinisation des sols en partie basse de la palmeraie oblige d'autre part les
agriculteurs à utiliser de grands volumes d'eau pour lessiver les sols. Enfin, sur les parcelles
abandonnées, les palmiers, dont les dattes ne sont donc plus récoltées continuent bien sûr à
consommer beaucoup d'eau.
Les quantités d'eau à usage domestique sont elles aussi en augmentation, en raison de
l'expansion urbaine, de l'évolution sociale, de la modernisation de l'habitat. Il y a en
conséquence des rejets de plus en plus importants d'eaux usées, traitées en station d'épuration.
Dans le contexte saharien ces eaux usées épurées doivent être considérées comme une
nouvelle ressource en eau. Elles présentent de grandes qualités, supérieures dans certains
domaines à celles des eaux souterraines captées, qui dans cette région de Gabès sont
légèrement salées (3,5 g/L) et qui doivent être adoucies pour être potabilisées. Elles sont en
particulier intéressantes à valoriser d'un point de vue agronomique puisqu'au terme du cycle
les eaux usées sont moins salées (2,5 g/L) et ont conservé leur potentiel fertilisant en l'absence
de traitement tertiaire éliminant nitrates et phosphates en sortie de station. De nouveaux
espaces de cultures peuvent donc être créés grâce à leur recyclage, permettant à la fois de
préserver la ressource en eau conventionnelle en réduisant sa consommation, d'augmenter la
production végétale, en particulier fourragère, de développer certains types de culture,
d'économiser en intrants et de lutter contre la désertification par réduction de la pression sur
les parcours naturels. Des dispositions doivent bien sûr être prises pour éviter toute
contamination par les organismes pathogènes.
Un site de valorisation agricole des eaux usées a ainsi été mis en place à Dissa, à une dizaine
de km de la ville de Gabès, dans le cadre d'un programme qui a été financé par la Banque
mondiale et l’ICARDIA (International Center for Agricultural Research in Desert Areas). Les
eaux traitées de la station d’épuration de Gabès sont acheminées vers un réservoir de stockage
d'une capacité de 3000 m3 construit à 12 km de Gabès, puis ensuite redistribuées par gravité
vers des périmètres agricoles créés de toute pièce dans la steppe. Ceux-ci font au total 330
hectares et sont exploités par des agriculteurs formés spécialement aux pratiques d'irrigation
avec des eaux usées. Ils ont été laissés libres de choisir la structure parcellaire de leur
exploitation, qui fait 8 hectares en moyenne, et les pratiques culturales qu'ils allaient
appliquer.
En général les nouvelles mises en valeur recopient le système oasien traditionnel, pourtant
peu fonctionnel et peu productif, avec des parcelles trop petites vouées aux cultures
fourragères, complantées d'arbres fruitiers en particulier de grenadiers et bordées de palmiers
plantés trop près les uns des autres. Si l'on se réfère à l'évolution observée dans l'ancienne
palmeraie, il est difficile d'imaginer que ces nouvelles exploitations puissent être pérennisées.
Il est donc nécessaire de tester de nouvelles formes de structures agraires et d'autres systèmes
de production, fonction de l'eau disponible et de sa qualité d'un point de vue agronomique et
des corrections éventuelles à y apporter, mais aussi de développer de nouvelles cultures, à
condition de s'assurer au préalable de leur faisabilité agronomique et technico-économique et
en conformité avec le code tunisien des eaux qui limite la réutilisation des eaux usées épurées
à l'irrigation des cultures fourragères industrielles ainsi qu'à arboriculture.
Les parcelles doivent donc être de plus grandes dimensions et spécialisées pour mieux gérer
l'eau et les intrants divers. Dans le cas contraire, on satisfera toujours la plante la plus
gourmande en eau ou en produits phytosanitaires. En outre, même si une partie des nouvelles
surfaces agricoles peut être réservée aux cultures traditionnelles, il apparaît nécessaire de
tester d'autres cultures comme par exemple les cultures d'agrumes, dont est friande la clientèle
qui fréquente les zones touristiques proches. Il existe également d'autres filières qui pourraient
être envisagées comme la culture de plantes ornementales pour alimenter les espaces urbains
et les zones hôtelières. Ces nouvelles filières se sont énormément développées dans les
mêmes conditions climatiques et socio-économiques, dans d'autres pays, où ce secteur
d'activités est florissant. Il faudra bien entendu résoudre aussi le problème de l'acceptabilité de
ces nouvelles pratiques, le monde agricole et les consommateurs notamment, mais aussi les
responsables locaux, faisant preuve de certaines réticences, comme l'a montré une enquête
effectuée sur place à Gabès (Garnier, 1988).
LES SITES TOURISTIQUES DU SUD-TUNISIEN
L’essor du tourisme en Tunisie, et en particulier du Sud-tunisien, est spectaculaire puisque la capacité
d'accueil est passée de 35 000 lits et 410 000 entrées touristiques en 1970, à 150 000 lits et 4 millions
d’entrées annuelles aujourd’hui. La zone saharienne est entrée en lice la dernière mais sa réussite est
évidente. La production d'eau usée épurée y est donc très importante comme à Djerba et Tozeur, où
ces eaux marginales ont en outre l'avantage d'être très peu chargées. Elles correspondent en effet à une
consommation de 500 litres/jour et par personne (150 litres/jour en Europe en moyenne), produite
essentiellement lors de bains ou de douches. Ces eaux, adoucies avant consommation puis épurées
après utilisation, ont une valeur agronomique intéressante si l'on ne leur applique pas de traitement
tertiaire éliminant nitrates et phosphates. A Djerba par exemple, une mégastation de 100 000 EH est
actuellement en construction pour traiter les effluents de la zone hôtelière qui comprend déjà 120
hôtels, alors que de nombreux autres hôtels sont en construction ou en projet. La nouvelle station est
une station à boues activées avec chenal d'oxydation et épandage des boues sur lits de sable. Les eaux
épurées subiront un traitement tertiaire d'hygiénisation par passage en lagune, la charge en germes
pathogènes subsistant après les traitements primaire et secondaire étant alors abattue par un processus
naturel liée à l'activité de bactéries aérobies dans la lagune. En revanche le potentiel agronomique des
eaux sera conservé puisque ni les nitrates ni les phosphates ne seront éliminés. Le potentiel de
développement agricole est donc à la mesure de la disponibilité en eau qui va être créée, alors que
l'essentiel des cultures sur Djerba se fait actuellement en sec. Un état des lieux doit donc être réalisé
suivi d'une étude de marché et d'une évaluation du potentiel agronomique des sols. Des vergers
d'agrumes ou des oliveraies pourraient être implantés, mais aussi des cultures de plantes ornementales.
Les abords de la zone hôtelière, actuellement laissés en friche, pourraient être paysagés, même si ce
genre d'investissement ne comporte a priori d'autre rentabilité qu'une simple amélioration esthétique.
Végétaliser les sols c'est aussi les fixer et cela aura aussi pour conséquence de diminuer les effets des
vents de poussière et de sable. Cela permettrait enfin d'avoir une meilleure gestion de l'eau en assurant
un meilleur fonctionnement des réseaux hydrauliques de surface.
CONCLUSIONS
L'étude présentée fait l'objet d'un projet appelé AQUASIS, associant les agronomes et les
environnementalistes de l'Institut des Régions Arides de Gabès, les chimistes spécialistes du
traitement des eaux de l'Ecole Nationale d'Ingénieurs de Gabès et le Laboratoire des Sciences
de l'Environnement et de l'Aménagement de Université d'Angers, laboratoire
pluridisciplinaire spécialisé en aménagement et en études et traitement des pollutions,
composé d'agronomes, de chimistes, d'hydrologues, d'hydrogéologues, d'écologues et de
microbiologistes travaillant sur les organismes pathogènes. Le projet, dans sa phase
préliminaire, a été financé par le CMCU (Comité Mixte de Coopération Universitaire francotunisien).
Il va être poursuivi et dans cette nouvelle phase il est destiné à
- évaluer le fonctionnement actuel des oasis tunisiennes (étude de l'organisation des oasis, des
structures agraires, des pratiques agricoles, du cycle de l'eau, de la répartition entre les
différents usages, du bilan des pertes, du potentiel en eaux marginales, etc..)
- déterminer les nouvelles méthodes de gestion à mettre en œuvre pour diminuer les pertes et
valoriser au maximum la ressource en eau
- tester de nouvelles structures agraires, de nouveaux modes d'irrigation et de nouveaux types
de cultures sur le périmètre de Dissa avec mise en place de quelques parcelles d'essai gérées
par l'IRA
- tester des systèmes de traitement tertiaire d'hygiénisation des eaux
- optimiser la valorisation des eaux marginales en particulier dans les zones touristiques
L'objectif à terme de ce projet est de proposer un système de fonctionnement durable du
milieu oasien, en particulier en ce qui concerne la gestion de la ressource en eau. Ce projet va
vraisemblablement être étendu aux villes du Sahara algérien
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