Du fait qu`il est déjà titulaire d`une autorisation de jeu, un
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Du fait qu`il est déjà titulaire d`une autorisation de jeu, un
DÉLÉGATIONS DE SERVICE PUBLIC Du fait qu’il est déjà titulaire d’une autorisation de jeu, un candidat à l’attribution de la délégation d’un casino municipal tire-t-il un avantage excessif de sa situation Résumé de délégataire sortant? La pratique du ministère de l’Intérieur consistant à imposer une période probatoire d’un an au nouvel exploitant d’un casino pour pouvoir exploiter des machines à sous, confère un avantage excessif au délégataire sortant. Passation ■ Casino municipal ■ Combinaison entre les règles de concurrence et celles de la police des jeux ■ Avantage excessif tiré par l’un des candidats de sa situation de précédent délégataire. CE (Section) 10 mars 2006, Commune d’Houlgate – Société d’exploitation du casino d’Houlgate, req. nos 264098, 264123, 268524 – M. Jouguelet, Rapp. – M. Casas, C. du G. – SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, SCP Peignot et Garreau, SCP Gatineau, Av. CONCLUSIONS Didier CASAS, commissaire du gouvernement ment touristique des communes concernées. Du reste, les articles L. 2333-54 à L. 2333-57 du code général des collectivités territoriales qui organisent les conditions dans lesquelles les personnes publiques prélèvent certaines sommes sur les recettes des casinos prévoient l’affectation d’une partie de ces sommes aux actions en faveur du développement touristique. En l’espèce, outre la SECH, délégataire sortant, la société Émeraude a également présenté une candidature. Saisie, la commission de délégation de service public de la ville a toutefois proposé au maire de n’engager de négociation qu’avec la SECH. Dans son avis, qui reconnaissait que les offres étaient assez proches sur le plan qualitatif, la commission donnait toutefois clairement l’avantage à l’offre déposée par la SECH. Le maire a suivi cet avis. Finalement, par une délibération du 18 août 2000, le conseil municipal a autorisé le maire à signer la convention avec la SECH et a approuvé le cahier des charges. La société Émeraude a contesté cette délibération devant le tribunal administratif de Caen qui, par un jugement du 11 juillet 2001, a rejeté sa requête. La cour administrative d’appel de Nantes, dans l’arrêt du 21 novembre 2003 qui vous est déféré tant par la commune que par la SECH, a annulé le jugement du tribunal administratif ainsi que la délibération du 18 août 2000. Sous un troisième numéro, la commune présente également des conclusions à fin de sursis à exécution de l’arrêt. Ces trois pourvois posent la question de la combinaison entre les règles de concurrence et la police des jeux. La cour a, en effet, estimé que la commune avait illégalement tenu compte d’un avantage qu’un des candidats tenait de sa situation de précédent délégataire. Or, cet avantage résulte directement de l’application, par le ministre de l’Intérieur, de ses pouvoirs de police. BULLETIN JURIDIQUE DES CONTRATS PUBLICS N° 46 203 Le renouvellement de la délégation de l’exploitation du casino d’Houlgate La commune d’Houlgate, station balnéaire, a confié en 1991 l’exploitation de son casino municipal à la société d’exploitation du casino d’Houlgate (SECH) pour une durée de neuf ans à compter du 1er avril 1992. Au mois de février 2000, le conseil municipal a pris les dispositions nécessaires au renouvellement de l’exploitant. Elle a donc décidé de lancer une procédure de délégation de service public. En effet, ainsi que vous en avez jugé dans votre décision du 25 mars 1966, Ville de Royan 1, le contrat portant sur la construction et l’exploitation d’un casino est une concession de service public. La Section de l’intérieur, dans un avis du 4 avril 1995 2, en a déduit que depuis l’adoption de la loi Sapin du 29 janvier 1993, les contrats devaient être regardés comme des délégations de service public. Dans cet avis, la Section rappelle que le législateur, tout en soumettant à une surveillance particulière les jeux autorisés dans les casinos, a entendu que ces activités concourent au développe- 1 2 Rec., p. 237. Req. n° 357274 : EDCE, p. 414. Les principaux éléments du régime juridique des jeux Avant d’entrer plus en détail dans l’examen des moyens, il est nécessaire de vous exposer ce que sont les éléments principaux du régime juridique des jeux. Le principe posé par l’article 410 du code pénal est que les jeux sont interdits. Par dérogation cependant, la loi du 15 juin 1907 modifiée admet que des autorisations de jeux puissent être accordées aux casinos des stations balnéaires, thermales et climatiques. C’est le décret du 22 décembre 1959 modifié 3 qui organise le régime de ces autorisations. Elles peuvent concerner deux 3 N° 59-1489. DÉLÉGATIONS DE SERVICE PUBLIC grandes catégories de jeux. D’une part, les jeux dits « de table » (boule, vingt-trois, roulette, roulette américaine, roulette anglaise, trente-et-quarante, Black-jack, craps, punto y blanco, et les différentes sortes de baccara) et, d’autre part, les « jeux pratiqués avec des appareils procurant un gain en argent », appareils autrement connus sous le nom de « machines à sous » et sous le surnom de « bandits manchots ». Les autorisations de jeux sont accordées par arrêté du ministre de l’Intérieur. Ainsi que l’indique l’avis précité de la Section de l’intérieur, la législation sur les jeux et la loi Sapin se combinent puisque l’autorisation d’exploiter ne peut être demandée par le gestionnaire qu’une fois désigné par la commune, donc une fois la procédure de délégation de service public parvenue à son terme. La demande est adressée à l’autorité préfectorale qui diligente une enquête de commodo et incommodo, puis transmet son avis au ministre, lequel, après avis de la commission supérieure des jeux, prend sa décision. Le ministre a un très large pouvoir d’appréciation. Vous exercez un contrôle restreint sur cette décision 4. L’interdiction faite aux nouveaux exploitants, pendant une période d’un an, d’exploiter des machines à sous Venons-en à présent à l’arrêt attaqué. Pour annuler la délibération du conseil municipal, la cour a estimé que la commune avait tenu compte d’un avantage que la SECH tenait de sa situation de précédent délégataire de service public. Quel était cet avantage ? La cour s’appuie sur les conséquences de ce qui était, selon elle, une pratique systématique du ministère de l’Intérieur en matière de délivrance des autorisations d’exploitation de jeux. Selon l’arrêt, la pratique du ministère consistait à traiter de façon différente l’ancien exploitant demandant le renouvellement de son autorisation et l’exploitant nouveau demandant une première autorisation. L’arrêt relève que, dans l’exercice de ses pouvoirs de police, le ministre de l’Intérieur imposait au nouveau venu une période probatoire d’au moins un an pendant laquelle il n’était autorisé à exploiter que les seuls jeux de table, à l’exclusion des machines à sous. À l’inverse, l’autorisation demandée par l’exploitant sortant était renouvelée sans délai pour l’ensemble des jeux, y compris les machines à sous. Notons d’emblée que cette différence de traitement n’est neutre ni sur l’équilibre financier du casino, ni sur les ressources qu’en retire la commune. En effet, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les machines à sous rapportent beaucoup plus d’argent aux casinos que les jeux de tables. Le rapport public pour 2001 de la Cour des comptes indique ainsi que les recettes des machines à sous représentent environ 90 % des recettes totales des casinos. Un établissement privé de cette ressource pendant une année au moins n’est donc pas dans la même situation que celui qui en bénéficie immédiatement. En outre, et ce point est évidemment important, la différence de traitement entre les deux catégories d’exploitants n’est pas sans incidence sur les finances communales. En application de l’article L. 2333-54 du code général des collectivités territoriales, les communes peuvent prélever jusqu’à 15 % du produit brut des jeux, ce qui constitue pour elles une manne très importante. La commune est donc nécessairement très sensible aux conséquences financières de la rapidité avec laquelle l’exploitant du casino municipal est autorisé à exploiter des machines à sous. De l’ensemble de ces constats, la cour tire les conséquences dans l’arrêt. Elle relève d’abord que la société Émeraude, pressentant qu’elle devrait subir cette période probatoire, en avait informé la commune dans son dossier de candidature et lui avait même indiqué qu’elle était prête à compenser financièrement le manque à gagner. Mais la cour constate que la commune, considérant que le risque de désaffection durable de son casino était trop grand en cas d’absence des « machines à sous », a estimé qu’elle ne pouvait choisir la société Émeraude et a retenu, pour ce motif, l’offre de la SECH, exploitant sortant. Selon la cour, le fait d’avoir pris en considération cet avantage pour attribuer la délégation de service public a faussé le jeu de la concurrence en limitant illégalement l’accès au contrat. tage aurait vicié la procédure de sélection du délégataire. Mais, dans son considérant de principe, après avoir précisé que les dispositions du code général des collectivités territoriales relatives aux délégations de service public devaient se combiner avec les exigences de la police des jeux – ce qui est le principe posé par l’avis précité de la Section de l’intérieur – la cour a jugé que « l’application de ces règles relatives à la police spéciale des jeux ne doit pas avoir pour effet de conduire à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment en limitant […] le libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises ; qu’il en va en particulier ainsi dans les secteurs où des entreprises sont candidates à des délégations de service public ». Cette motivation, qui constitue le cœur du raisonnement de l’arrêt attaqué, nous allons y revenir, nous paraît non seulement suffisante mais parfaitement claire. Du reste, elle est directement reprise de celle que vous avez vous-même retenue dans la décision de Section du 30 avril 2003, Syndicat professionnel des exploitants indépendants des réseaux d’eau et d’assainissement 5. Le deuxième moyen des pourvois est tiré de l’erreur de droit qu’aurait commise la cour en jugeant que le délégataire sortant bénéficiait d’un avantage dont la commune aurait illégalement tenu compte. Ce moyen a deux branches. D’abord, la cour aurait commis une erreur de droit en estimant que le délégataire sortant bénéficiait d’un avantage du fait de la pratique ministérielle ; ensuite, en supposant que ce soit le cas, la cour aurait commis une autre erreur de droit en jugeant que la commune ne pouvait légalement tenir compte de cet avantage. Nous examinerons successivement ces deux branches. L’avantage découlant pour le délégataire sortant de la pratique du ministère de l’Intérieur Un arrêt suffisamment motivé La première implique que vous vous prononciez sur la légalité de la pratique imputée aux services du ministère de l’Intérieur. Les requérants soutiennent que la réglementation, prise en elle-même, ne crée aucun avantage particulier pour le délégataire sortant. C’est parfaitement exact : de telles modalités différenciées d’instruction des demandes ne sont prévues par aucune disposition législative ou réglementaire. Tout CE 3 mai 1993, Société d’exploitation d’industries touristiques : Rec., T., p. 1053. Les requérantes présentent deux moyens. Le premier est tiré de l’insuffisante motivation de l’arrêt. Nous ne le croyons fondé dans aucune de ses deux branches. Il est d’abord reproché à la cour de ne pas avoir précisé les raisons pour lesquelles elle considérait que la SECH, société sortante, bénéficiait d’un avantage. Mais la cour expose au contraire le mécanisme de façon extrêmement claire et précise. Dans une deuxième branche du moyen, il est fait grief à la cour de ne pas avoir expliqué en quoi la prise en compte de cet avan- 204 BULLETIN JURIDIQUE DES CONTRATS PUBLICS N° 46 4 5 Rec., p. 189 ; AJDA 2003.1150, chron. ; BJDCP n° 32, janvier 2004, p. 39, concl. J.-H. Stahl. DÉLÉGATIONS DE SERVICE PUBLIC procède, observent les requérantes, de la pratique ministérielle et des affirmations de la société Émeraude sur ce point. Il résulte, en effet, des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Émeraude a sollicité par écrit le directeur régional des renseignements généraux de Basse-Normandie afin de lui demander confirmation de l’existence de la pratique administrative dont il est question. Contre toute attente, le directeur régional des renseignements généraux, insuffisamment prudent ou excessivement honnête, n’a pas craint de répondre très officiellement à cette demande empreinte de fausse naïveté. La lettre qu’il a adressée à la société Émeraude est au dossier : elle confirme l’existence de la pratique de la période probatoire et fait connaître à la société Émeraude que si elle est choisie par la commune, elle y sera soumise. Pour trancher cette première branche du moyen d’erreur de droit, qui est aussi mêlée de dénaturation, il vous faut considérer successivement deux points : y avait-il vraiment avantage et si oui était-il vraiment illégal ? À vrai dire, les pièces du dossier ne laissent planer aucun doute sur le premier point. Les observations produites par le ministre de l’Intérieur sont très riches d’enseignements. Le ministre admet en effet très explicitement le caractère « général » et « délibéré » de la pratique dite de « l’année probatoire ». Donc, la SECH, en tant qu’elle était assurée de bénéficier du renouvellement rapide de son autorisation, bénéficiait bien d’un avantage par rapport à la société Émeraude qui, elle, aurait nécessairement dû attendre une année. La cour n’a pas dénaturé les pièces du dossier en constatant l’existence de cette pratique ministérielle et en décrivant sa portée tout à fait générale. Vos décisions de Section Fédération française des sociétés d’assurance et autres 6 et Million et Marais 7 ont marqué une étape importante dans l’intégration progressive du droit de la concurrence au bloc de légalité. Depuis ces décisions, vous donnez toute leur portée aux règles de concurrence issues soit du traité, soit de l’ordonnance du 1er décembre 1986, aujourd’hui codifiée au code de commerce. D’autres ont suivi 8. Puis, dans le prolongement de cette ligne, votre jurisprudence a poursuivi son évolution. Dans les années récentes, elle est marquée, nous semble-t-il, par une conception encore un peu plus large des règles de concurrence dont vous assurez le respect. Votre contrôle ne porte plus seulement sur le respect des dispositions communautaires ou nationales prohibant les abus de position dominante ou les ententes. Vous acceptez aussi de contrôler des actes administratifs au motif qu’ils auraient pour effet de restreindre excessivement l’accès à un marché en raison des avantages qu’ils conféreraient à certains opérateurs plutôt qu’à d’autres. Cette conception élargie des règles de concurrence n’est pas distincte de ce vous jugez sur le fondement de la jurisprudence inaugurée par vos décisions Fédération française des sociétés d’assurance et Million et Marais. Elle en est un simple prolongement. Concrètement, cela vous a conduit à admettre l’existence d’un « principe d’égal accès » à la commande publique 9. Puis, dans la décision de Section précitée Syndicat professionnel des exploitants indépendants des réseaux d’eau et d’assainissement, vous avez annulé un arrêté d’extension d’une convention collective au motif qu’il avait pour effet de désavantager excessivement certaines entreprises candidates à l’attribution de délégations de service public en rendant leurs offres moins attractives. Les motifs de cette décision de 2003, dont la cour de Nantes s’est, en l’espèce, inspirée directement, retiennent l’attention. Vous avez jugé que « dans la mise en œuvre des pouvoirs que le ministre du Travail tient du code du travail, il lui appartient de veiller à ce que l’extension d’une convention collective […] n’ait pas pour effet de conduire à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment en limitant l’accès à ce marché ». Pour ce faire, avez-vous ajouté, il incombe au ministre d’opérer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, une conciliation entre, d’une part, les objectifs d’ordre social de nature à justifier l’extension d’une convention collective et, d’autre part, les impératifs tenant à la préservation de la libre concurrence dans le secteur en cause. La présente affaire se situe très exactement dans le même cadre d’analyse. La nécessaire conciliation des objectifs de l’ordre public et de la préservation de la libre concurrence dans le secteur des casinos CE 8 novembre 1996 : Rec., p. 441, concl. pdt Bonichot, chron. Chauvaux-Girardot ; AJDA 1997.142. 7 CE 3 novembre 1997 : Rec., p. 406, concl. J.-H. Stahl. 8 V. notamment : CE 17 décembre 1997, Ordre avocats à la cour d’appel de Paris : Rec., p. 491 ; CE 1er avril 1998, Union hospitalière privée : Rec., p. 114 ; CE S. 26 mars 1999, Société EDA : Rec., p. 95 ; CE 7 juillet 2000, Fédération française des sociétés d’assurances : Rec., T., p. 873 ; CE S. 22 novembre 2000, Société L&P Publicité : Rec., p. 525, concl. Stéphane Austry ; CE 27 juillet 2001, CAMIF : Rec., p. 401. 9 CE Avis 8 novembre 2000, Jean-Louis Bernard Consultants : Rec., p. 492, concl. Catherine Bergeal. Nous pensons, en premier lieu, qu’il n’y a pas d’obstacle à ce que vous affirmiez que, dans l’exercice de son pouvoir de police, le ministre de l’Intérieur doit lui aussi opérer une conciliation entre les objectifs de l’ordre public et les impératifs tenant à la préservation de la libre concurrence dans le secteur des casinos. Nous voyons mal au nom de quelle considération vous vous refuseriez à une telle affirmation alors que vous l’avez admise en matière de droit du travail. Du reste, la question de principe a d’ores et déjà été tranchée : l’avis de Section L&P Publicité indique que la mise en œuvre des pouvoirs de police doit pouvoir être discutée au regard de ses effets sur la concurrence. En deuxième lieu, nous pensons que la pratique consistant, de la part du ministre de l’Intérieur, à autoriser l’exploitation d’un casino dans des conditions de délai très différentes selon que la société exploitante est nouvelle ou non est effectivement de nature à rompre l’égalité entre les différents candidats à l’attribution de la délégation de service public. Les entreprises, selon qu’elles sont « sortantes » ou « entrantes », n’ont pas les mêmes chances d’obtenir le contrat, c’est une évidence. L’atteinte au libre jeu de la concurrence est manifeste. Mais cette atteinte est-elle suffisamment grave pour condamner la pratique ? La question doit être posée sérieusement et la réponse que vous y apporterez nous paraît devoir être pondérée. En effet, ce qui est en jeu ici, ce n’est pas seulement le droit de la concurrence. C’est aussi le maintien efficace de l’ordre public. La décision d’autoriser BULLETIN JURIDIQUE DES CONTRATS PUBLICS N° 46 205 La question de la légalité de cet avantage au regard du droit de la concurrence L’avantage ainsi concédé était-il pour autant illégal ? C’est la deuxième question que pose cette branche du moyen, question qui a paru suffisamment délicate pour être soumise à votre formation de jugement. La cour a jugé que l’avantage était illégal car la pratique ministérielle avait pour effet d’empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence en limitant l’accès de la société Émeraude au contrat. Cette affirmation est contestée par les pourvois. L’appréciation de son bien-fondé à laquelle il vous revient de procéder maintenant, implique d’abord un bref rappel du cadre juridique dans lequel elle s’insère. 6 DÉLÉGATIONS DE SERVICE PUBLIC l’exploitation d’un casino et notamment de machines à sous n’est pas une décision anodine au plan de la sécurité et de l’ordre publics. On sait bien que les machines à sous déplacent des volumes considérables de liquidités, auxquelles les services de police ne peuvent évidemment manquer d’être attentifs. À cet égard, s’il n’y a pas de difficulté à dire que le ministre doit combiner les préoccupations d’ordre public et les considérations de concurrence, il y en aurait bien davantage à affirmer que les premières doivent nécessairement céder devant les secondes. L’atteinte excessive portée au libre jeu de la concurrence par la pratique du ministère de l’Intérieur Sans perdre de vue cette préoccupation de la nécessaire préservation de l’ordre public, nous sommes d’avis, néanmoins, que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que la mise en œuvre par le ministre de l’Intérieur de ses pouvoirs de police avait eu pour effet de limiter dans des conditions excessives le libre jeu de la concurrence. Plusieurs éléments nous ont conduit à cette conviction. D’abord, la position du ministre de l’Intérieur lui-même. Dans les observations qu’il a produites devant vous, le ministre indique qu’il a désormais modifié sa façon de procéder car il considère que le traitement différent imposé aux candidats selon qu’ils sont ou non déjà en place « s’avérait à l’usage susceptible d’entraîner des distorsions de concurrence ». Désormais, le ministre de l’Intérieur n’impose plus, a priori, de délai d’attente aux exploitants nouveaux, qui sont traités exactement comme les exploitants en place. La seule hypothèse dans laquelle cette année probatoire est maintenue est celle de l’ouverture de nouveaux casinos, hypothèse dans laquelle tous les candidats sont nécessairement à égalité. Ce changement de pratique ressort tout à fait des pièces du dossier : le ministre a adressé une circulaire en ce sens aux préfets et les communes concernées ont été informées par des lettres leur exposant les dispositions nouvellement prises. Vous n’êtes bien sûr pas liés par l’appréciation que le ministre fait de sa propre pratique, mais ce qu’il vous en dit n’est tout de même pas sans portée. Ajoutons qu’il paraîtrait assez curieux que vous reteniez aujourd’hui une position revenant sur l’évolution à laquelle a consenti le ministère de l’Intérieur, ministère pourtant bien placé pour mesurer les effets de cette évolution sur sa capacité à assurer et maintenir l’ordre public. 206 L’impact financier très lourd résultant de cette pratique En deuxième lieu, nous avons été frappés par le caractère discriminatoire très marqué de la pratique de l’année probatoire. Le nouveau venu n’est pas contraint d’attendre un mois ou un trimestre, mais une année entière, année qui doit être comparée à l’absence de délai pour le « sortant ». La longueur du délai, combinée avec l’impact financier qu’il génère handicape très lourdement l’équilibre de l’exploitation du casino et l’attractivité de la candidature. La collectivité souhaitant changer d’exploitant doit accepter de perdre 90 % d’une ressource sur laquelle elle compte et la société doit accepter de perdre la même proportion de son premier chiffre d’affaire annuel. Quel acteur économique un tant soit peu rationnel accepterait de sacrifier, non pas 5 ou 10 % de ses ressources mais 90 % ? Nous n’en connaissons guère. Toutes choses égales par ailleurs, il nous semble que l’avantage ainsi concédé à la société sortant est au moins aussi important que celui que vous avez censuré dans l’affaire de l’extension de la convention collective. Enfin, la solution que nous vous suggérons n’implique évidemment pas que le ministre se trouverait dans l’obligation de délivrer sans délai une autorisation à tout nouvel exploitant sans aucune considération pour les préoccupations d’ordre public. Dans notre esprit, le ministre peut, évidemment, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, refuser de délivrer une autorisation à tout exploitant, ancien comme nouveau, pour des motifs tenant par exemple à l’ordre public. En revanche, nous pensons qu’il ne peut légalement prédéterminer le sens de la mesure de police en fonction de la seule considération que le demandeur est « sortant » ou « entrant ». Pour toutes ces raisons, nous croyons que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que la pratique du ministère de l’intérieur portait une atteinte excessive au droit de la concurrence. La première branche peut donc être écartée. Un élément qui n’est pas un aspect extérieur de l’offre de la société Reste alors à traiter de la deuxième branche du moyen. Les requérantes soutiennent que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que la commune avait commis une illégalité en tenant compte de cet avantage au moment de l’analyse des offres. La commune et la société SECH vous expliquent en substance que le handicap dont souffrent les autres candidats que le délégataire sortant, à supposer qu’il existe, est le fait de la seule pratique du ministère de l’Intérieur, élément extérieur à la commune et sur lequel elle n’a pas de prise. Or, selon les requérantes, le choix entre les candidats ne peut se faire que sur les seules caractéristiques intrinsèques de l’offre. Au soutien de leur argumentation, les pourvois citent votre décision d’Assemblée du 18 décembre 1998 Société générale et autres 10 concernant les opérations de privatisation. Vous y avez jugé que le choix entre les différents candidats à l’acquisition ne peut légalement être fondé que sur le seul contenu des offres sans qu’il y ait lieu de tenir compte de circonstances en quelque sorte extérieures comme par exemple le fait que l’un des candidats bénéficie, du fait du groupe auquel il est intégré, d’un monopole. Dans le même ordre d’idée, les requérants en appellent à votre décision du 28 juillet 1999, SA Bouygues et autres 11, qui concerne l’attribution d’une concession autoroutière. Vous avez estimé que pour se prononcer sur d’éventuels manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence, le juge du référé précontractuel n’a pas à tenir compte des avantages qu’un des candidats à l’attribution de la concession tirerait de l’application d’un autre contrat. Mais nous ne pensons pas, toutefois, que ces précédents soient transposables au cas d’espèce. D’abord, l’affaire Société Générale et autres concerne une opération de privatisation et non une délégation de service public. La portée de cette décision nous paraît donc cantonnée à cette seule hypothèse. Ensuite, et plus fondamentalement, l’espèce se présente dans une configuration juridique bien différente de celle des deux précédents cités. Il ne s’agit pas de savoir si l’un des candidats bénéficie d’un avantage du fait d’un autre contrat d’exploitation de casino ou de son intégration dans un groupe, il s’agit de savoir si la collectivité doit tenir compte de la façon dont l’autorité de police applique la législation sur les jeux. Or, votre Section de l’intérieur l’a affirmé dans son avis de 1995, la police des jeux et le régime de la loi Sapin doivent être combinés. C’est pourquoi nous pensons que la commune ne peut pas ignorer la législation des jeux et l’application qui en est faite par le ministre. Du reste, et en tout état de cause, il résulte clairement des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le fait que la seule société SECH bénéficiait seule d’un avantage résultait clairement de l’offre de la 10 11 Rec., p. 500. Rec., p. 265. BULLETIN JURIDIQUE DES CONTRATS PUBLICS N° 46 DÉLÉGATIONS DE SERVICE PUBLIC société Émeraude elle-même qui, on l’a dit, avait ouvertement informé la commune de ce qu’elle serait soumise à la période probatoire. Cet élément était donc bien, de toute façon, partie intégrante de l’offre de la société Émeraude puisqu’elle en faisait état. Ce n’était en rien un aspect extérieur à cette offre. La commune ne s’y est d’ailleurs pas trompée. Pour écarter la société Émeraude, la commune s’est fondée directement sur la circonstance, révélée par l’offre de cette société, qu’une période probatoire serait imposée. Acceptant ainsi de déterminer son choix en fonction d’une pratique ministérielle illégale dont elle avait connaissance par une des offres, la commune a fait de cette pratique un des motifs de sa propre décision. Il n’y a donc pas d’erreur de droit à avoir jugé que, ce faisant, la commune commettait ellemême une illégalité. Si vous nous suivez, vous pourrez donc écarter cette seconde branche, ce qui vous conduira à rejeter le pourvoi. Le rejet des autres moyens soulevés devant le juge Si, en revanche, vous ne nous suiviez pas, il faudrait régler l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative. Concernant la légalité externe de la délibération, aucun élément n’est apporté au soutien des allégations selon lesquelles les membres du conseil municipal n’auraient pas eu connaissance des documents sur lesquels ils devaient se prononcer. Selon le deuxième moyen, la commune n’aurait pas justifié des conditions de l’élection de membres de la commission de délégation de service public. Mais le contentieux de la désignation des membres de cette commission est un contentieux électoral avec les règles de délai qui en découlent 12. Or, vous jugez qu’on ne peut exciper de l’irrégularité d’une élection devenue définitive à l’encontre d’actes pris par l’organe ainsi élu 13. Il suffit de constater que les deux délibérations n’ont pas été contestées dans le délai de cinq jours qui suit les élections comme le prévoit l’article R. 119 du code électoral pour écarter le moyen. En ce qui concerne la légalité interne, était invoqué un premier moyen tiré de ce que l’offre de la SECH était irrecevable comme ne respectant pas un article du règlement de consultation. Émeraude soutient que la proposition présentée comme l’offre de base de la SECH comprenait des éléments qui auraient dû constituer, à côté de l’offre de base, une offre optionnelle. Tout cela nous paraît relever de la chicane. Comme l’a relevé le tribunal administratif en substance, il pouvait y avoir des suppléments sans que, nécessairement, cela donne lieu à une offre optionnelle. Nous ne sommes pas davantage convaincus par le moyen suivant selon lequel il y aurait eu rupture d’égalité entre les candidats parce que la commune n’aurait entamé de négociation qu’avec un seul des candidats. Mais vous avez jugé que lorsque l’offre d’un candidat a été écartée avec le commencement des discussions mentionnées à l’article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales, l’engagement de négociation avec un seul candidat ne méconnaît pas le principe d’égalité 14. Les moyens suivants portent sur les motifs de rejet de l’offre de la société Émeraude. Elle soutient d’abord que son offre optionnelle a été irrégulièrement écartée. Mais il résulte très nettement du règlement de la consultation que la commune souhaitait installer le casino dans des locaux précis dont elle donne l’adresse et qui sont sa propriété. L’offre optionnelle de la société Émeraude qui aboutissait à laisser vide ces locaux et à installer le casino dans l’ancienne gare SNCF n’était donc pas recevable. S’agissant de l’offre de base de la société Émeraude, elle a été écartée au profit de celle de la SECH pour deux motifs : d’une part, celui dont nous avons parlé, lié au délai d’indisponibilité des machines à sous pendant dix-huit mois ; d’autre part, le fait que l’offre de la SECH était estimée globalement meilleure. Le premier de ces deux motifs était contesté de la façon que l’on sait. Nous n’y revenons pas. Quant au second, il fait l’objet, de la part du juge de l’excès de pouvoir, d’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation 15. En l’espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que la commune aurait commis une erreur manifeste d’appréciation. Le dernier moyen est tiré du détournement de pouvoir. Si vous arriviez jusque-là, vous pourriez sans doute ressentir un certain doute. En effet, le 24 juillet 1994, une délibération du conseil municipal a approuvé un avenant à la convention avec la SECH qui venait de changer de propriétaire ; cette délibération prenait l’engagement de reconduire la concession pour une durée de neuf ans lorsqu’elle viendrait à expiration. Ce montage jette une lumière assez trouble sur le dossier et nous n’avons guère de doute quant à l’illégalité de cette délibération. Nous croyons difficile, toutefois, de déduire l’existence d’un détournement de pouvoir de cette seule « promesse » intervenue six ans avant la délibération attaquée. La « promesse » date de juillet 1994, un an seulement après la loi Sapin. Après l’intervention de la loi Sapin, beaucoup s’interrogeaient sur l’opportunité de l’appliquer à ces concessions d’un genre un peu particulier que sont les casinos. Il a fallu attendre l’avis précité de votre Section de l’intérieur de 1995 pour que les choses soient claires. Or, cet avis est postérieur à la « promesse » de 1994. On peut donc admettre que cette délibération, à la date où elle a été prise, ne manifestait pas une volonté maligne. Il n’y aurait pas, dans cette hypothèse, de détournement de pouvoir. Mais si vous nous suivez, vous rejetterez les pourvois en cassation de la société SECH et de la commune de Houlgate. Il n’y aura plus lieu, dans ces conditions, de statuer sur les conclusions de la société tendant à ce qu’il soit sursis à exécution de cet arrêt. Les parties présentaient toutes trois des conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions y font obstacle s’agissant de la société SECH et de la commune. Vous pourrez néanmoins mettre les 3 500 € demandés par la société Émeraude à la charge de la commune de Houlgate. Par ces motifs, nous concluons : – au rejet des requêtes n° 264098 et 264123 de la commune d’Houlgate et de la SECH ; – au non-lieu sur la requête n° 268524 ; – à ce que vous mettiez à la charge de la commune d’Houlgate les 3 500 € demandés par la société Émeraude en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; – au rejet des conclusions de la société Émeraude tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et au rejet du surplus des conclusions de la commune d’Houlgate tendant à l’application des mêmes dispositions. ■ 12 CE 17 mars 1999, Moynier : Rec., T., p. ; CE 28 septembre 2001, Dabin : Rec., p. 440. 13 CE 18 février 1994, Assemblée générale des étudiants de 14 Sciences Politiques UNEF, aux tables sur un autre point ; CE 10 décembre 1993, Communauté urbaine de Lyon : Rec., p. 549. 15 V., pour un marché, mais c’est un a fortiori pour une délé- CE 14 mars 2003, Société Air Lib, req. n° 251610. gation de service public : CE 14 janvier 1998, Société MartinFourquin : Rec., p. 12. BULLETIN JURIDIQUE DES CONTRATS PUBLICS N° 46 207 DÉLÉGATIONS DE SERVICE PUBLIC DÉCISION Vu 1°), sous le n° 264098, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 février et 2 juin 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour la commune d’Houlgate, représentée par son maire; la commune d’Houlgate demande au Conseil d’État: 1°) d’annuler l’arrêt du 21 novembre 2003 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a, faisant droit à la demande de la société anonyme Groupe Émeraude, annulé le jugement du 11 juillet 2001 du tribunal administratif de Caen et la délibération du 18 août 2000 par laquelle le conseil municipal de la commune d’Houlgate a autorisé son maire à signer la convention d’exploitation du casino municipal avec la Société d’exploitation du casino d’Houlgate (SECH) et a approuvé le cahier des charges de la délégation; 2°) de rejeter les conclusions présentées par la société anonyme Groupe Émeraude devant la cour administrative d’appel de Nantes ; 3°) de mettre à la charge de la société anonyme Groupe Émeraude la somme de 4 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; […] des conditions posées par la loi du 15 juin 1907 et les textes pris pour son application, l’examen par la commune des offres qui lui sont soumises doit se faire au vu de ces exigences et de ces conditions, ainsi que des modalités d’instruction des demandes d’autorisation d’exploitation définies par le ministre de l’Intérieur ; Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond qu’à l’époque du renouvellement par la commune d’Houlgate de la délégation de l’exploitation du casino municipal, le ministre de l’Intérieur, lorsqu’il était saisi d’une demande d’autorisation de jeux par un nouvel exploitant, avait comme pratique constante de lui accorder d’abord une autorisation portant sur les seuls jeux de tables, puis après une année d’exploitation du casino, une autorisation d’exploiter des appareils de jeux automatiques dits machines à sous tandis que l’ancien délégataire du casino qui sollicitait, après avoir été de nouveau choisi par la commune, le renouvellement de son autorisation obtenait, à l’issue du délai d’instruction de sa demande, une autorisation portant sur l’ensemble de ces jeux ; que les services compétents du ministère ont fait savoir à la société Groupe Émeraude, dès le début de la procédure de passation de la délégation de service public, qu’elle serait soumise à cette période « probatoire » d’un an ; que la commune, au vu de cette information reprise par la société dans son offre qui proposait d’indemniser la collectivité de la perte de redevances, a estimé que l’interruption des jeux automatiques serait préjudiciable à l’avenir du service public concédé et a retenu, pour ce motif qui était déterminant, l’offre de la S.E.C.H. délégataire sortant ; Considérant que l’application à la société Groupe Émeraude d’une période « probatoire » d’un an pour obtenir l’autorisation d’exploiter des appareils de jeux automatiques n’était justifiée ni par les conditions d’exploitation du casino d’Houlgate, ni par des considérations propres à cette société, déjà exploitante d’autres casinos ; qu’elle avait ainsi pour effet, sans justifications suffisantes tirées des nécessités de l’ordre public, de porter atteinte de façon excessive à l’égalité des deux candidats dans la présentation de leurs offres ; que, par suite, en jugeant que la commune, en retenant l’offre de la SECH en raison de l’avantage illicite que lui procurait cette pratique, avait méconnu le principe d’égal traitement des candidats, la cour administrative d’appel de Nantes n’a ni commis d’erreur de droit, ni dénaturé les pièces du dossier ; Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les conclusions de la commune et de la SECH qui tendent à l’annulation de l’arrêt attaqué, lequel est suffisamment motivé, ne peuvent qu’être rejetées ; Considérant que les requêtes de la commune d’Houlgate et de la Société d’exploitation du casino d’Houlgate (SECH) sont dirigées contre un même arrêt ; qu’il y a lieu de les joindre pour y statuer par une même décision ; Considérant qu’il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune d’Houlgate a confié en 1991 l’exploitation de son casino municipal à la Société d’exploitation du casino d’Houlgate (SECH) pour une durée de 9 ans à compter du 1er avril 1992 ; qu’après que, par une délibération du 11 février 2000, le conseil municipal a décidé de recourir à la procédure de délégation de service public pour cette exploitation à compter du 1er avril 2001, le délégataire sortant et la société anonyme Groupe Émeraude ont présenté leurs candidatures qui ont été acceptées, puis chacun a présenté une offre ; qu’après l’avis du 9 juin 2000 de la commission de délégation de service public proposant de ne pas retenir l’offre du Groupe Émeraude, le maire a engagé des négociations avec le seul délégataire sortant, et le conseil municipal a, par une délibération du 18 août 2000, autorisé le maire à signer la convention de délégation avec celui-ci et a approuvé le cahier des charges de la délégation ; Considérant que la demande de la société Groupe Émeraude tendant à l’annulation de cette délibération a été rejetée par un jugement du 11 juillet 2001 du tribunal administratif de Caen; que la commune d’Houlgate et la SECH se pourvoient en cassation contre l’arrêt du 21 novembre 2003 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a annulé le jugement et la délibération du 18 août 2000; Considérant, d’une part, que l’article 1er de la loi du 12 juillet 1983 relative aux jeux de hasard punit de deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende le fait de participer, y compris en tant que banquier, à la tenue d’une maison de jeux de hasard où le public est librement admis ; que l’article 1er de la loi du 15 juin 1907 modifiée dispose toutefois que : « par dérogation à l’article 1er de la loi […] du 12 juillet 1983 relative aux jeux de hasard, il pourra être accordé aux casinos des stations balnéaires, thermales ou climatiques […] l’autorisation temporaire d’ouvrir aux publics des locaux spéciaux, distincts ou séparés où seront pratiqués certains jeux de hasard sous les conditions énoncées dans les articles suivants. Cette autorisation détermine la durée d’exploitation des jeux en fonction de la ou des périodes d’activité de la station » ; qu’aux termes de l’article 2 de la même loi : « Les autorisations sont accordées par le ministre de l’intérieur, après enquête et en considération d’un cahier des charges établi par le conseil municipal. L’arrêté d’autorisation fixe la durée de la concession » ; qu’en vertu de l’article 4 de l’arrêté du 23 décembre 1959 portant réglementation des jeux dans les casinos pris en application du décret du 22 décembre 1959 modifié, la demande d’autorisation doit être adressée par le délégataire retenu par la commune ; que, si les dispositions de la loi du 15 juin 1907 et de ses règlements d’application n’édictent aucune condition dont le respect par le délégataire ouvre droit à l’obtention de l’autorisation d’exploiter des jeux, il appartient au ministre de l’Intérieur, dans la mise en œuvre des pouvoirs qu’il tient de ces dispositions, de veiller à ce que les modalités d’instruction des demandes dont il est saisi n’aient pas pour effet de conduire à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment en limitant de façon excessive l’accès à ce marché ; qu’il en va en particulier ainsi lorsque dans ce secteur des entreprises sont candidates à des délégations de service public ; qu’à ce titre, il incombe au ministre d’opérer une conciliation entre les nécessités de la protection de l’ordre public et les impératifs tenant à la préservation de l’égalité d’accès dans le secteur en cause ; Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales : « Les délégations de service public des personnes morales de droit public relevant du présent code sont soumises par l’autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes, dans des conditions prévues par un décret en Conseil d’État […]. La commission mentionnée à l’article L. 1411-5 dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et financières et de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l’égalité des usagers devant le service public. La collectivité adresse à chacun des candidats un document définissant les caractéristiques quantitatives et qualitatives des prestations […]. Les offres ainsi présentées sont librement négociées par l’autorité responsable de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire » ; qu’il résulte de ces dispositions que la collectivité délégante est tenue d’assurer un traitement égal des candidats qu’elle a retenus au moment de l’examen de leur offre ; que, dans le cas où la délégation de service public porte sur l’exploitation d’un casino et se trouve ainsi soumise également au respect des exigences de la police spéciale des jeux et 208 BULLETIN JURIDIQUE DES CONTRATS PUBLICS N° 46 Sur les conclusions tendant au sursis à exécution de l’arrêt attaqué : Considérant que la présente décision rejette les conclusions de la commune d’Houlgate et de la SECH tendant à l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes ; qu’il n’y a plus lieu, dès lors, de statuer sur la requête n° 268524 de la commune tendant à ce qu’il en soit prononcé le sursis à exécution ; DÉLÉGATIONS DE SERVICE PUBLIC Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mises à la charge de la société groupe Émeraude, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes que demandent la commune d’Houlgate et la SECH au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens; Considérant qu’il y a lieu dans les circonstances de l’espèce de mettre à la charge de la commune d’Houlgate le paiement à la société Groupe Émeraude de la somme de 3500 € au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens; DÉCIDE : Article 1er : Les requêtes n°s 264098 et 264123 de la commune d’Houlgate et de la SECH sont rejetées. Article 2: Il n’y a plus lieu de statuer sur la requête n° 268524 de la commune d’Houlgate. Article 3 : La commune d’Houlgate versera à la société Groupe Émeraude la somme de 3 500 € en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. […] ■ OBSERVATIONS La cause est entendue depuis l’arrêt du Conseil d’État du 25 mars 1966, Ville de Royan 16 et l’avis du Conseil d’État du 4 avril 1995 17 : les casinos sont investis d’une mission de service public. En conséquence, le cahier des charges obligatoirement conclu entre la commune d’implantation et l’établissement construisant et gérant, ou gérant seulement, le casino est donc une délégation de service public. Mais les exploitants de casinos sont également soumis à une autorisation de jeux du ministre de l’Intérieur. Les textes ont organisé, au moins partiellement, les interférences entre le régime unilatéral et le régime contractuel des casinos. La décision Commune d’Houlgate rendue par la Section du contentieux, sur les conclusions conformes du commissaire du gouvernement Didier Casas, met parfaitement en lumière la dualité du régime juridique des casinos. Elle apporte ce faisant des éclaircissements intéressants sur la combinaison entre les règles de concurrence et celles de la police des jeux à propos de l’attribution d’une délégation de service public concernant un casino. La question qui se posait était celle de savoir si l’un des candidats à l’attribution de la délégation de service public ne tirait pas un avantage excessif de sa situation de précédent délégataire. En répondant par l’affirmative, le Conseil d’État a mis indirectement en cause la pratique du ministre de l’Intérieur consistant à imposer une période probatoire d’un an au nouveau candidat à la délégation d’un casino municipal pour obtenir l’autorisation d’exploiter des machines à sous. Cette pratique s’expliquait pourtant par de fortes considérations liées à la protection de l’ordre public. Les machines à sous déplacent des volumes considérables de liquidités et constituent, on le sait, un moyen privilégié de recyclage d’argent sale. La décision d’autoriser des machines à sous n’est donc pas une décision anodine au plan de la sécurité et de l’ordre publics. Néanmoins, le Conseil d’État a déjà jugé que la mise en œuvre des pouvoirs de police doit pouvoir être discutée au regard de ses effets sur la concurrence 18. Il appartient donc au ministre de l’Intérieur d’opérer une conciliation entre les objectifs de l’ordre public et les impératifs tenant à la préservation de la libre concurrence dans le secteur des casinos. Or une telle mesure a un impact économique considérable, aussi bien pour les exploitants puisque, en régime de croisière, les recettes des machines à sous représentent environ 90 % des recettes totales des casinos, que pour les communes, ces dernières pouvant prélever jusqu’à 15 % du produit brut des jeux. La collectivité qui souhaite changer d’exploitant doit donc accepter de perdre pendant un an 90 % d’une ressource sur laquelle elle compte et le nouvel exploitant du casino doit accepter de perdre la même proportion de son premier chiffre d’affaires annuel. Comme le soulignait Didier Casas dans ses conclusions, on voit mal quel acteur économique un tant soit peu rationnel accepterait de sacrifier un tel pourcentage de ses ressources ! L’avantage conféré au délégataire sortant était-il pour autant excessif ? Il y avait certainement matière à hésitation, compte tenu du caractère éminent des objectifs d’ordre public qui étaient en cause. La section du Contentieux a estimé que l’avantage ainsi conféré aux délégataires sortants portait une atteinte excessive à l’égalité des candidats dans la présentation de leurs offres en limitant de façon trop importante l’accès de nouveaux exploitants au marché de l’exploitation des casinos. Comme le montre la rédaction de la décision, le Conseil d’État a été sensible au fait qu’il s’agissait d’une pratique uniforme du ministère de l’Intérieur qui, comme telle, n’était justifiée ni par les conditions d’exploitation du casino d’Houlgate, ni par des considérations propres aux sociétés candidates. Le Conseil d’État a sans doute également tenu compte, comme le montrent les conclusions du commissaire du gouvernement, du fait que le ministre de l’Intérieur a, de lui-même, modifié sa façon de procéder et, sensible aux risques de distorsions de concurrence qu’entraînait sa pratique, ne fait désormais plus de différence entre exploitants en place et exploitants nouveaux : la seule hypothèse dans laquelle cette année probatoire est maintenue est celle de l’ouverture de nouveaux casinos, hypothèse dans laquelle, par définition, tous les candidats sont nécessairement à égalité. ■ Ch. M. 16 17 Rec., p. 237. Req. n° 357274 : EDCE, p. 414. 18 CE S. 22 novembre 2000, Société L&P Publicité : Rec., p. 525. BULLETIN JURIDIQUE DES CONTRATS PUBLICS N° 46 209