Luc Le Vaillant, le dernier libertaire

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Luc Le Vaillant, le dernier libertaire
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Luc Le Vaillant, le dernier libertaire
Categories : Portraits
Date : 22 décembre 2015
Luc Le Vaillant,
le dernier libertaire
Athée militant, ne cachant pas son goût pour les femmes, de préférence actrices, jeunes
et jolies, Luc Le Vaillant défend la prostitution, la GPA, DSK, la légalisation des drogues
et la liberté d’expression totale. À lui tout seul, il incarne le Libé des origines, gauchiste
et libertaire…
Formation
Ce fils d’un médecin généraliste et d’un professeur de français italien nait à Landivisiau, dans
le Finistère, en 1958. Ainé d’une famille de 6 enfants, il passe toute son enfance à Plougasnou,
où son père achète une petite maison au bord de la mer. Passionné de voile, Luc Le Vaillant
gagne la semaine olympique française de voile d’Hyères en 1981. Il participera également aux
sélections nationales pour les Jeux Olympiques de 1984.
Ses parents l’inscrivent en prépa, mais, écrit-il, « septembre était radieux, j’ai fait l’école
buissonnière et les vendanges. Ensuite, je me suis inscrit à la fac, en philo et lettres. J’ai passé
une excellente année. J’ai découvert Nietzsche et les surréalistes. On a fait grève six mois
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durant ». Le Breton monte à Paris et finit ses études de philosophie à la Sorbonne. En 1982, il
entre au centre de formation des journalistes. Toujours attiré par la mer et la voile, il pige,
encore étudiant, pour Voiles et voiliers.
Parcours professionnel
En 1989, il entre au service « sport » de Libération, à une époque où « le fric et le dopage
n’avaient pas encore pris le pouvoir, (où) les coureurs nous recevaient dans leur chambre
d’hôtel pendant le Tour de France ».
En 1995, il passe au service « portraits » du quotidien, en charge de la dernière page du
quotidien. « Ce sont Marie Guichoux et Serge July qui en ont eu l’idée. Ils voulaient une
approche individuelle, une galerie de personnalités signifiantes pour faire pendant à la une,
où Libé raconte souvent l’actualité de façon mondiale, collective, commune, pour ne pas dire
sanglante ». Cette page portrait est le dernier souvenir de Libération 3, un journal de 80 pages,
lancé en septembre 94, qui se solde par un échec et s’arrête à l’été 1995.
Pour Luc Le Vaillant, participer à « la der », la dernière page du quotidien, «est sans doute l’un
des trucs les plus agréables qu’on puisse faire dans une vie (…) Dans la presse écrite, il est
difficile d’avoir une fonction plus gratifiante, plus excitante ». « La der se concentre sur ce que
les gens sont, pas sur ce qu’ils font. C’est la limite de l’exercice, c’est aussi sa particularité.
Et c’est sans doute ce qui fait sa faveur à l’heure où l’exhibition de soi triomphe et où la
psychologisation gagne ».
En 1998, il reçoit le Prix Albert Londres, qui récompense le meilleur grand reporter, pour
« Chronique d’une tempête annoncée », un reportage consacré aux Palestiniens.
En 2000, il prend la direction du service portrait. Poste qu’il occupe encore aujourd’hui. Il tient
aussi une chronique appelée « Ré/jouissances » et pige toujours de temps en temps pour les
pages sportives.
Pour Nicolas Demorand, directeur du quotidien de mars 2011 à février 2014, Luc Le Vaillant est
« le dernier spécimen pur de libertaire intégral ». On ne peut pas donner tort à l’ancien patron
de Libération. Luc Le Vaillant a tout du libertaire : anticlérical, antimilitariste et jouisseur sans
entrave. Il l’écrit lui-même : « Le pacifiste que je suis sait la nocivité de l’alliance cachée entre
les sécuritaires et les religieux, qui se font la courte échelle pour durcir une société que je
préfère libérée ».
Luc Le Vaillant revendique « l’ouverture des bordels d’État pour hommes et femmes ». « Seul
l’État a les moyens de police suffisants pour garantir le volontariat des intervenants » de ces
bordels, explique-t-il sérieusement. Pour lui, « il n’existe peut-être pas de prostitution heureuse,
mais il existe une prostitution volontaire. Des êtres, autonomes et majeurs, décident parfois de
monnayer leurs faveurs (...) Pour permettre à chacun de faire ce qu’il lui plaît, l’État se doit
d’intervenir pour valider le libre choix des travailleurs sexuels ». Il se dit également « pour la
nudité généralisée des adultes consentants d’âges, de conformités physiques et de plasticités
variés, dans la vie réelle comme sur tous supports de diffusion ».
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La prostitution est visiblement une vraie cause à défendre pour Le Vaillant. En plein débat sur la
pénalisation des clients de la prostitution, il consacre un nouveau billet à ce sujet. Il imagine
alors Najat Valaud Belkacem, à l’époque ministre des droits des femmes et en pointe dans ce
débat, contrainte de démissionner après avoir avoué publiquement « une relation rémunérée »
avec un « acteur de troisième zone ». « Elle le subventionne sans compter, pour s’assurer de la
pureté de ses sentiments et se réserver ses performances horizontales », imagine Luc Le
Vaillant. La fable a une morale que Le Vaillant met en avertissement de son article : « je suis
certain que le gouvernement PS cessera de faire assaut de puritanisme et que les projets de loi
punisseurs des client(e)s de la prostitution regagneront le fond des tiroirs qu’ils n’auraient
jamais dû quitter ».
Le sexe et les jeunes femmes sont d’ailleurs au cœur de son écriture. Comme le dit la
journaliste Delphine Le Goff, dans un portrait qu’elle lui a consacré dans Stratégie : « l’appétit
de Le Vaillant pour les femmes, la sensualité, transpire entre les lignes. Surtout celles, souvent
moites, qu’il consacre aux jeunes actrices. Pourquoi autant de portraits de comédiennes en
devenir ? "J’essaie d’arrêter ! D’autant qu’avec l’âge, ma notion de la jeune actrice a un peu
changé" (…) La séduction, la sexualité font en tout cas systématiquement partie de la grille à
laquelle Luc Le Vaillant soumet ses sujets d'étude, au même titre que la religion, la famille et la
politique. "La séduction sans sexualité m'a longtemps ennuyé. Évolution en cours ?", s'interroge
lui-même le journaliste, qui a tenté de développer des pages "sexe" dans Libération ».
En 2014, il publie La vie rêvée des filles, qui reprend ses « papiers hormonaux », comme il le dit
lui-même, reprenant à son compte une expression de ses confrères.
Le sexe, encore et toujours, quand Luc Le Vaillant prend, dans les colonnes de Libération, la
défense de Dominique Strauss-Kahn. En mars 2012, il dénonce « le journalisme de fond de
culotte » sur cette affaire. « Chacun a droit au respect de sa vie privée » clame-t-il, en regrettant
la fin de l’exception française, toujours prompte à cacher ou à pardonner les affaires de fesses
des hommes politiques. « La logique protestante anglo-saxonne et le féminisme puritain
requièrent désormais que le journalisme scrute à la loupe les draps de lit ». « Un journaliste
n’est ni un flic ni un juge, continue-t-il. Et c’est tant mieux ! Il n’a pas les moyens de police
nécessaires à l’établissement de la vérité. En particulier, en ces matières sexuelles, où c’est
souvent parole contre parole ».
Luc Le Vaillant est également favorable à la « gestation pour autrui et procréation médicalement
assistée, qu’il faut encourager ».
S’il est hostile au « journalisme de fond de culotte » et favorable au respect de la vie privée, en
mars 2014, au lendemain des élections municipales, il révèle pourtant l’homosexualité de
Steeve Briois, nouveau maire du Front National d’Hénin-Baumont, dans le Pas-de-Calais. Et
de disserter, « Steeve Briois vient d’être élu maire d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais). Il porte
les couleurs du Front national. Et il est aussi homosexuel. Voici trois éléments d’information
? maire, FN, homo ? qu’il est intéressant de recombiner deux par deux ». Le papier fait
scandale. Dans Les Inrocks, David Doucet dénonce notamment un « texte réducteur et bourré
de préjugés ».
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« Tenant du free speach à l’américaine et opposant à la loi Gayssot », il n’hésite pas à accorder
un « soutien conditionnel » à Philippe Verdier, présentateur météo renvoyé de France 2, pour
avoir tenu des propos politiquement incorrect. Mieux, il prend la défense de Dieudonné. Pour Le
Vaillant, « la liberté d’expression ne se divise pas ! Il est trop facile de défiler le dimanche pour
le droit de dire tout et son contraire et, dès le lundi, de criminaliser le propos déviant (« Je me
sens Charlie Coulibaly ») glissé en peau de banane perverse par ce chercheur d’embrouilles
qu’est Dieudonné. Il est trop simple de célébrer la satire acceptable et de mettre à l’index les
désastreuses idées qui heurtent, choquent et violentent ».
Côté religion, Luc Le Vaillant se voit « plutôt comme un anticlérical maintenu ». « Dieu qui
n’existe pas, s’il te plaît, débrouille-toi pour me débarrasser de toutes ces religions qui existent
trop », écrit-il, en bon bouffeur de curé, dans sa « prière pour la dissolution des religions ». Pour
lui, le catholicisme reste avant tout une « religion exhibitionniste et féminine ».
Au croisement de son combat anticlérical et de ses obsessions féminines, Luc Le Vaillant
n’hésite évidemment pas à se faire l’avocat des Femen. « Au cœur de Notre-Dame, elles ont
sonné les cloches au papisme démissionnaire et à la chrétienté mobilisée contre
l’homosexualité. Dépoitraillées, elles ont réclamé la féminisation de l’Église, ont dénoncé
le patriarcat ensoutané et combattu en amazones athées une religion qui, avec ses consœurs
musulmane et juive, veut continuer à bloquer l’évolution des mœurs de la société française ».
Au lendemain des attentats de Paris, du 13 novembre 2015, il publie une chronique remarquée
qui résume assez bien le personnage. Sous le titre « C’est gentil, mais ne vous sentez pas
obligé de prier pour Paris », il écrit à ses « amis du monde libre et de l’Occident chrétien » : «
Évitez de nous engager dans votre guerre de religion en faisant de la tour Eiffel un ex-voto et
du drapeau bleu-blanc-rouge, une bannière en procession ». Pour lui, « Paris s’est fait attaquer
pour son incroyance festive, pour son côté Sodome et Gomorrhe assumé, pour sa tolérance
sans doute assez bêtasse mais très honorable pour toutes les croyances tant qu’elles restent
agenouillées dans le cagibi de leur intimité ».
Mais si l’Église catholique est une cible régulière des billets de Luc Le Vaillant, à au moins
deux reprises, le journaliste sera accusé d’islamophobie à cause de lui. La première fois, c’est
le 26 janvier 2015, juste après les attentats de Charlie Hebdo. Dans une Lettre ouverte à un
musulman pratiquant, il écrit « tu es musulman et aujourd’hui, je t’en veux. (…) Aujourd’hui, je
refuse de voir plus loin que le bout de la kalachnikov qui a fait feu sur l’irrévérence et le
blasphème ».
Plus récemment, il est accusé d’islamophobie, pour avoir décrit son malaise et ses fantasmes
après avoir croisé dans le métro une femme musulmane couverte de la tête aux pieds par son
abaya « couleur corbeau ». « La tenue traîne jusqu’au sol et balaie la poussière des anxiétés
alentour. Les mains sont gantées et on ne saura jamais si les paumes sont moites. Cette autre
soutane monothéiste lui fait la cuisse évasive, la fesse envasée, les seins restreints. Les
cheveux sont distraits à la concupiscence des abominables pervers de l’Occident décadent ».
Et de continuer « si l’œil du voisin de strapontin se fait inquisiteur, ce n’est pas pour pincer le
bourrelet charmeur mais pour palper la possibilité d’une ceinture de chasteté explosive ». «
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Tant qu’elle ne rafale pas les terrasses à la kalach, elle peut penser ce qu’elle veut, croire aux
bobards qui la réjouissent et s’habiller à sa guise mais j’aimerais juste qu’elle évite de me
prendre pour une buse ».
Pour avoir publié cette tribune, Libération sera taxé de racisme, au point que sur les réseaux
sociaux, le mot-dièse #LibéRacisme ressort parmi les plus utilisés du moment. La société des
journalistes publiera le jour même un communiqué pour se désolidariser de leur confrère. Le
lendemain, Luc Le Vaillant sera tout de même soutenu par Laurent Joffrin, le directeur du
journal : « l’accusation de racisme ou de sexisme qui court ici et là est évidemment ridicule
quand on connaît un tant soit peu notre chroniqueur et notre journal ».
Pour autant, et paradoxalement, cette position ultra-laïque ne l’empêche pas de se
montrer favorable à une modification de la loi de 1905 pour « construire des mosquées et
former, sinon rémunérer, les imams, comme l’impôt finance les écoles privées et ces
monuments historiques que sont devenues les églises ».
Parcours militant
Très jeune, Luc Le Vaillant se fait connaître pour son engagement à gauche. Il l’écrit lui-même :
« j’ai réalisé que mon camp était bien celui des anarcho-désirants et des utopistes-sociaux.
J’ai compris que, décidément, les trotskistes enkystés dans un rapport flicard au pouvoir me
débectaient absolument », Libération, 16 décembre 2013.
À la fin des années 80, avant d’entrer à Libération, il travaille au cabinet ministériel du
finistérien, comme lui, Louis Le Pensec, ministre des DOM-TOM et porte-parole du
gouvernement Rocard. En 2007, il avoue avoir voté Ségolène Royal, mais « à reculons ». À son
grand regret, il estime que « le PS est incapable d’imaginer la société de l’après-travail et
hausse les yeux au ciel quand on lui parle semaine de quatre jours, revenu d’existence ou
politique industrielle ».
Il l’avoue lui-même : « je suis plus fait pour le journalisme que pour la politique. J’aime regarder
et raconter le pays tel qu’il est, ce qui à Libé, vous fait faire un peu de politique. Malgré tous ses
avatars, Libération a un impact politique, plutôt à gauche, plutôt libertaire en matière de thèmes
de société ou de mœurs ».
Ce qu’il gagne
« Le salarié en fin de carrière que je suis, gagne toujours 4 000 euros net auxquels il faut
ajouter entre 500 et 800 euros de piges ou de droits d’auteur selon les mois. Je finis de
rembourser un appartement qui doit valoir entre 600 et 700 000 euros. Ma Volvo break a
désormais seize ans d’âge et mon dériveur continue à moisir en bord de lac », Libération, 18
octobre 2015
Publications
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Ancien du service des sports, Luc Le Vaillant a publié trois livres sur des « grands sportifs » :
Yannick Noah, Michel Platini et Eric Cantona.
En 2010, il participe à Libération, portraits 1994-2009 (La Table ronde), qui reprend une
sélection de portraits parus dans Libération. Il récidive en 2014 avec Portraits 2010-2014.
« Recyclant » également ses articles, il publie la même année, sous son nom cette fois-ci, La
vie rêvée des filles (Fayard).
Sa nébuleuse
Marie Guichoux, Philippe Lançon avec qui il lance le service portrait. Pascale Nivelle, Judith
Perrignon, Sabrina Champenois, qui ont travaillé successivement dans le service. Quentin
Girard qui y travaille encore.
Il a dit
« Je voulais être Sartre, Moitessier ou Cohn-Bendit. Sartre, pour la figure du philosophe
engagé. Moitessier, pour les grands voyages autour du monde à la voile. Cohn-Bendit, pour la
politique, plutôt à gauche, sinon à l’extrême gauche, et, pour la révolution des mœurs et de la
société », cité par Gwénaëlle Loaëc, Bretons, 1er juin 2009.
« Le numérique a foutu en l’air l’ensemble du système culturel et informationnel. Et je suis
contre le gratuit pub. Il faut donc avoir une stratégie de développement sur le papier et sur
Internet, qui est l’avenir de la presse. Mais ce doit être un modèle payant, si on ne veut pas
une presse aux ordres du marché publicitaire. On sait que tout ça est fragile et peut disparaître.
C’est une source de motivation et d’énergie », ibid.
Ils ont dit de lui
« Il ne se limite pas à vanter la prostitution, forcément une affaire d’adultes "consentants et
autonomes", à dénoncer le "puritanisme" ou à déplorer que l’homme soit devenu le "sexe
affaibli " sous les coups des harpies féministes », lesnouvellesnews.fr, 22 octobre 2013.
« Un homme au regard espiègle, gamin », Nicolas Demorand
« Un chef qui ne jouait jamais le chef, jamais dans le rapport de force », Judith Perrignon
« Un journaliste drogué à l’actu, ni narcissique, ni théâtral », Sabrina Champenois, journaliste
au service portrait, cité par Delphine Le Goff, Stratégie Magazine 1695.
« Son style a un côté débordant, humide, un peu sexe, qui exaspère les puritains. Lui, rien ne
l’agace plus que les pisse-froid, les peine-à-jouir », Philippe Lançon, cité par Delphine Le Goff,
Stratégies Magazine 1695
Crédit photo : capture d'écran vidéo Éditions de la Table Ronde via Youtube (DR)
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