les metaphores francophones a travers les portraits des presidents

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les metaphores francophones a travers les portraits des presidents
Sim KILOSH O KABALE
Université Kenyatta Nairobi/ Kenya
LES METAPHORES FRANCOPHONES A TRAVERS
LES PORTRAITS DES PRESIDENTS AFRICAINS
DANS JEUNE AFRIQUE L’INTELLIGENT (19902000)
Résumé :
Jeune Afrique l’intelligent, l’ « hebdomadaire qui informe l’Afrique
sur le monde et le monde sur l’Afrique » depuis 1960 attire son
lectorat par la richesse et la diversité de son information. Quand
certains lecteurs se soucient de l’information pointue que ce
véhicule des métaphores francophones diffuse au moment
opportun, un large public reste surtout attiré par les portraits des
présidents africains et ses rubriques analytiques des événements
politiques. Les lecteurs avertis, quant à eux, y compris les
linguistes, tout en tenant compte de ces facteurs, ils s’attardent à
l’iconographie, à la phraséologie et surtout aux métaphores et
mécanismes énonciatifs auxquels recourent les rédacteurs dudit
journal.
Le présent propos s’efforce de montrer comment les stéréotypes
dans la description des présidents africains varient selon les
idéologies de ces derniers, leurs années de règne et les événements
politiques ayant marqué leurs pays respectifs. Je m’intéresse ainsi
aux métaphores comme celles assimilant les présidents, à leurs
totems, aux animaux en général aux faits abstraits, etc.
Sur base d’une sémantique qui prend le mot ou le nom pour
unité de base, Aristote, le géant régnant sur la totalité de la
rhétorique considérait la métaphore comme « quelque chose qui
arrive au nom ou à un mot. »1 C’est une sorte d’épiphora ou de
déplacement de X vers Y. Ainsi, pour expliquer la métaphore,
1
DECARIE A. V., « Entre rhétorique et poétique : Aristote »
métaphore vive, Seuil, 1975,
pp. 13-61, p. 25
dans La
comme le constate A. Vianney Décarie, Aristote en créait une autre
empruntée à l’ordre du mouvement ; la phora, une espèce du
changement de lieu. De cela découle : « 1) que la métaphore est un
emprunt; 2) que le sens emprunté s’oppose à certains mots ; 3) que
l’on recourt à des métaphores pour combler un vide sémantique; 4)
que le mot emprunté tient lieu du mot propre absent si celui-ci existe
2
».
À notre époque encore, en dépit de l’instabilité de l’objet
de la rhétorique moderne, tous les théoriciens semblent s’entendre
que la métaphore est un trope ou une figure de type
microstructural qui, par transposition
de sens, permet de
rapprocher des éléments de signification par associations d’idées.
Alors que la comparaison, la figure d’analogie et de substitution
plus proche d’elle rattache deux éléments qui ont « quelque chose
en commun » grâce à l’utilisation d’un mot outil, la métaphore
opère autrement. Plus complexe et incomplète, elle reprend le
comparé et le comparant (même s’il est suggéré ) sans outil de
comparaison. Il appartient alors au lecteur de retrouver les analogies
régissant la similitude : couleur, forme, apparence, activité,
caractéristiques…
Parler de métaphores francophones à travers les portraits
des présidents africains dans Jeune Afrique l’intelligent3 peut
susciter d’emblée une impression étrangement familière aux lecteurs
habitués seulement à lire dans un journal les faits événementiels.
Or, le parcours général des numéros édité entre 1990 et 2000 de ce
plus important hebdomadaire francophone montre que ses
rédacteurs recourent fréquemment aux métaphores - in praesentia,
in absentia ou encore continuées - dans la représentation des
dirigeants africains passant pour les personnages principaux de leur
prédilection.
L’objectif de cette communication est double. À partir
d’un corpus choisi au hasard, il sera d’abord question de classer les
2
Ibidem
Nous abrégerons Jeune Afrique l’intelligent par J. A. I. (pour tous les numéros
parus depuis 2000) et
Jeune Afrique ( par J. A.(pour tous les numéros parus avant 2000)
3
métaphores les plus frappantes en suivant leur type de
fonctionnement. Il s’agira ensuite d’interpréter comment celles-ci,
par leur puissance de raccourci et de force suggestive, constituent la
base des principales images descriptives visant à rendre le discours
pittoresque, satirique ou mordant.
LES METAPHORES ASSIMILANT L’ETRE HUMAIN A L’
ANIMAL
Je m’intéresse ici aux comparaisons « sans mots outils » qui
considèrent un être humain comme un animal ou celles qui
transposent les qualités, les défauts, les manières… de ces êtres
d’espèces différentes.
Étymologiquement parlant, le mot latin anima « souffle,
vie » est un concept général incluant l’homme, conçu comme un être
vivant supérieur, organisé, doué de sensibilité et de motilité. Raison
pour laquelle Montesquieu, en son temps, stipulait que « l’homme
est un animal sociable.4 »
Toutefois, dans la classification des animaux, les zoologistes
excluent l’homme et ne s’intéressent qu’aux êtres vivants non
végétaux, ne possédant pas les caractéristiques de l’espèce humaine
(langage articulé, fonction symbolique, etc.)
Quoi qu’il en soi, en dépit de cette exclusion, l’homme
s’identifie totalement ou partiellement à l’animal dans les rêves et
dans les arts. La zoolâtrie très ancienne chez les Égyptiens ainsi que
la profusion du symbolisme animal très fréquent dans les fables ou
dans la mythologie renforcent, d’une manière, les rapports existant
entre l’homme et la bête.
Dans la presse francophone et plus particulièrement dans
Jeune Afrique l’intelligent, la récurrence de plusieurs métaphores
qui réfèrent aux animaux dans les portraits des présidents africains
soutiennent bien cette hypothèse.
4
cf. Dictionnaire Le Petit Robert, DICOROBERT, Montréal, 1993, p. 84
LA METAPHORE GENERALISANTE « UN ANIMAL
POLITIQUE »
Cette métaphore revient très souvent dans les colonnes de
Jeune Afrique. Les rédacteurs l’emploient pour parler d’un doyen
ou d’un chef d’État très mûr et en poste depuis plusieurs années.
Prenons à titre illustratif un article de J. A. intitulé « BongoAbbésole : les grandes manœuvres » dans lequel Elimane Fall et
Henri Vernet qualifient le président gabonais Omar Bongo d’un
animal politique :
« Pour avoir été à la tête de son pays depuis près de trente ans, il
(Bongo)
a appris à ne pas se fier aux apparences d’un jour.
C’est un animal politique. Il a rompu aux intrigues de palais,
maîtrise à la perfection les jeux d’influences5 ».
Notons ici que l’accent est mis sur le nombre d’années ( 30
ans ) déjà passées par Bongo au pouvoir. Ensuite, les narrateurs
attirent l’attention des lecteurs sur l’objectivité du président (Il a
appris à ne pas se fier aux apparences d’un jour). La métaphore
« c’est un animal politique » énonce avec affirmation l’assimilation
faite entre le comparant (Bongo) et le comparé (animal). L’élément
commun entre un animal et un président, comme on peut le deviner
réside dans la puissance. Ne lisons-nous pas dans la zoolâtrie
égyptienne que certaines bêtes étaient soignées et adorées parce
qu’elles étaient « le réceptacle même des formes bonnes ou
redoutables de la puissance divine ? 6» Certes, la notion de
puissance se traduit dans le portrait de Bongo à travers le propos
d’un diplomate français reporté dans la suite du même article et
selon lequel « Bongo c’est une force politique »7.
Mis à part le portrait de Bongo, la métaphore « animal
politique » ressort encore du portrait d’un autre doyen des chefs
5
J.A. I. n° 1818 du 9 au 15 novembre 1995, p. 28.
Dictionnaire des symboles, mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures,
couleurs, nombres. p .73.
7
J. A. n° 1818, Ibidem
6
d’États africains, le président congolais Denis Sassou Nguesso. À
son retour au pouvoir, le 27 octobre 1997, après cinq ans de
traversée du désert, François Soudan le dépeint de la manière
suivante :
« Denis Sassou Nguesso n’a pas changé(…) toujours ces réflexes
d’animal politique habitué aux longues traques de félin jouant
avec les souris, tour à tour séducteur et rancunier, pattes de velours
et griffes dehors. Au sein du marigot congolais, dont il connaît
depuis trente ans les moindres recoins où s’agitent, comme dans un
vivier, bon nombre d’espèces carnassières et où les règles du jeu
ont autant de rapport avec la démocratie que les toiles de Dali avec
la réalité, il est le plus fort, et il le sait8. »
L’abondance des métaphores animalières dans cet extrait est
très significative. Tout en focalisant l’attention sur la réaction
immédiate et mécanique de Sassou à une impression donnée et
précédent toute réflexion, soudan le compare aux carnassiers. Il le
rapproche plus particulièrement d’un chat (félin jouant avec la
souris) et d’un crocodile ( au sein du marigot congolais). Comme
était le cas chez son homologue Bongo, l’ancienneté dans le marigot
lui donne, non seulement une certaine notoriété mais aussi la
maturité et la force (Il est le plus fort et il le sait).
Un autre animal politique selon J. A. I. n° 2080 du 21 au 27
novembre 2000 est le président camerounais Paul Biya. En 1992
quand il se présenta aux élections pluralistes du 11 novembre, après
dix ans de pouvoir, l’incertitude régnait autour de sa succession.
D’aucuns se demandaient « Cameroun : après Biya…Biya ?9 »
Mais à la grande surprise, le « redoutable manœuvrier » ou le
« chairman » comme on l’appelle se prononça pour le changement
et confirma : « J’y suis et j’y reste10 » Cette assurance et la victoire
aux élections pluralistes lui valurent un autre mandat à la tête de son
pays. Même quand Fru Ndi et plusieurs adversaires politiques
s’opposaient à lui, Paul Biya se montrait au-dessus de la mêlée.
Dans la rubrique « Focus » d’un numéro de Jeune Afrique on lit:
8
J. A. 1980-1981 du 22 décembre 1998 au 4 janvier 1990, p. 20
J. A. n° 1647 du 30 juillet au 5 août 1992, pages19, 20.
10
J. A. 1647, idem.
9
« De toute façon, toute stratégie à moyen terme doit prendre en
compte « le facteur Biya » Le président est en effet maître du jeu et
nul n’ignore qu’il demeure un animal politique sans égal au
Cameroun11. »
Il est remarquable que le président camerounais, qualifié à la
fois de facteur Biya, de maître du jeu et d’animal politique sans égal
contrôle parfaitement l’appareil politique de son pays. Son
expérience de plusieurs années passées au pouvoir lui fait passer
pour le seul homme politique capable de « manipuler les
Camerounais12 ».
Dans Jeune Afrique l’intelligent, la métaphore animal
politique qui nous intéresse ne s’applique pas seulement aux
présidents. Ailleurs, elle renvoie aussi aux ministre. Tel est le cas du
Premier ministre sénégalais Moustapha Niasse, pris suite à sa
carrière brillante pour un animal politique13.
DES METAPHORES « TOTEMIQUES »
MOBUTU, LE « LEOPARD ZAÏROIS »
Les rédacteurs et les lecteurs des journaux francophones
identifient facilement certains présidents par les noms de leurs
totems. La fidélité à ce « pacte de lecture » amène les rédacteurs de
J. A. I. à se ressourcer régulièrement dans l’imagerie populaire afin
de portraiturer certains présidents ou parler d’eux. Ainsi, dans
plusieurs numéros de J. A. I, le feu maréchal zaïrois Mobutu passe
pour « le léopard zaïrois» ou un « léopard » tout court. Pendant que
mourait le Zaïre, Mobutu était confronté aux difficultés politiques
et économiques très graves. D’une part, la maison blanche et le
capitole ne voulaient plus entendre de lui. D’autre part, les
opposants politiques et le peuple zaïrois souhaitaient sa démission
immédiate. Mais comme on s’y attendait, le « père de la nation» et
le « guide suprême» ne céda à une quelconque pression. Par contre,
il prit des mesures draconiennes à l’égard des ses opposants. Il
11
J. A. I. n° 2080, op. cit., p. 10
J. A. n° 1647, op. cit.
13
J. A. I. n° 2059, p.20.
12
déclara la guerre à Etienne Tshisekedi et aux Occidentaux.14 Sennen
Andriamirado écrit à ce sujet : « Politiquement, cependant, les
dernières décisions de Mobutu sont lourdes de conséquences. Le
léopard ressort ses griffes et semble s’apprêter à frapper.15 » Les
ténors de l’opposition Nguza Karl I Bond et Tshisekedi, quant à
eux, estimaient que « le léopard était sur le point de mordre la
poussière et de perdre le contrôle de la situation16. »
Un autre fait remarquable surgit quand Mobutu nomma
Tshisekedi au poste de Premier ministre et proposa des élections
anticipées. Sans citer le nom du président, Jeune Afrique relate :
« Le « léopard » lui-même a repris du poil de la bête. Sûr de lui, il a
proposé des élections anticipées, avant même l’échéance des dixhuit ou vingt-quatre mois de la période de transition17. »
Finalement, l’amplification de la métaphore « léopard » se
lit dans un numéro de Jeune Afrique paru après la mort de Mobutu.
Sous la rubrique Vous et Nous du n° 1942 du 31 mars au 6 avril
1998, un correspondant de ce magazine relate ce qui suit : « C’était,
il y a presque un an, celui qu’on qualifiait d’ « incontournable », de
« seul garant de l’intégrité territoriale du Zaïre » venait de tomber
(…) Mobutu Sese Seko, le « guide », le « pacificateur », « le
léopard », le « président fondateur », l’ « aigle de Kawele » quittait
ce monde. »
De tous ces exemples, il ressort que le nom « léopard » ne
réfère pas au panthère d’Afrique, mais plutôt il désigne le feu
maréchal zaïrois qui, d’ailleurs, portait une toque confectionnée en
peau de cet animal. Tous les attributs et épithètes employés pour
qualifier Mobutu dépeignent soit, d’un côté, son dynamisme sur le
plan politique, soit de l’autre, son asthénie.
MATHIEU KEREKOU : LE CAMELEON
14
J. A. n° 1668-1669 du 24 décembre 1992 : 28
15
J. A. n° 1668-1669, op. cit., p.
16
17
J. A. n° 1582 du 24 au 30 avril 1991
J. A. n° 1659 du 22 au 28 octobre 1992, p.21
Alors que plusieurs chefs d’États et rois et choisissent leurs
totems personnels parmi les animaux les plus redoutables comme le
lion, le tigre, l’aigle… Le président béninois s’identifie au caméléon,
ce grand lézard d’Afrique et de l’Inde, gris verdâtre, au corps
comprimé latéralement, orné d’une crête dorsale et terminée par une
queue prenante. Compte tenu de ce choix porté sur ce lézard ; les
journalistes et tous ceux qui veulent parler de Kérékou en termes
imagés substituent son nom avec celui de son totem. À titre
illustratif, référons-nous au reportage de Francis Kpatindé fait en
février 1990, lorsque le personnage concerné envisageait la
recomposition du paysage de son pays, après 17 ans de règne :
« Mathieu Kérékou, cinquante ans, aura donc passé plus de dix-sept
ans à la tête d’un pays réputé jadis ingouvernable. Tel le caméléon,
son totem, il a su s’adapter à toutes les situations, quitte à rompre
avec ses anciens compagnons 18. » La comparaison régie par
l’outil Tel cède place à une métaphore lorsque le même narrateur
stipule dans la suite de son article que « Après avoir longtemps
réclamé du « caméléon », les autres formations politiques ont décidé
pour l’instant de faire contre mauvaise fortune bon cœur19. » La
substitution morphologique est nette dans cette phrase. Le
caméléon dont il est question n’est autre que le président béninois.
Le contexte montre bien qu’en imitant son totem qui change de
couleur selon l’endroit où il se trouve, le caméléon béninois
s’adapte à tout changement politique. On se souviendra que lorsque
le vent démocratique soufflait sur le continent africain dans les
années 90, il avait instauré le multipartisme dans son pays. Vaincu
aux élections en 1991, il quitta le pouvoir et s’installa dans sa
résidence de la capitale. Bien qu’il accepta la défaite, certaines
langues se déliaient et racontaient :
« Personne, ici, n’oublie que le « camarade caméléon » même
tardivement reconverti aux vertus du libéralisme, détient une des
clés d’une bonne (ou d’une mauvaise) passation de pouvoir : la
brigade de la garde présidentielle(BGP), soupçonnée depuis
18
19
J. A. n° 1521 du 26 février 1990, p. 13
J. A. n° 1521, op. cit., p. 14
quelques semaines de connaître des états d’âmes, sinon de préparer
un mauvais coup.20 »
Et quand son heure sonna après quelques années, le
caméléon n’hésita pas à briguer un autre mandat à la tête de son
pays. De tout ce qui précède, il est évident que Kérékou
s’approprie implicitement les attributs dont jouit son totem selon la
légende peule de Kaydara :
« Il change de couleur à volonté : au sens diurne, c’est peut être
sociable, plein de tact, capable d’entretenir un commerce agréable
avec n’importe qui ; c’est être capable de s’adapter à toutes les
circonstance(…) il ne pose ses patte à terre que l’une après l’autre,
sans se presser : précautionneux, le sage ne fonce jamais tête
baissée dans une affaire, il en pèse le poids et les risques sans esprit
d’aventure, ni de générosité, il explore les lieux et vérifie tout avant
d’avancer un pas, un avis , une décision. 21 »
HOUPHOUËT BOIGNY OU LE BELIER DE
YAMOUSSOUKRO
Dans son acception générale, le bélier symbolise la force et
la fécondité. En Égypte antique, il était l’emblème d’Amon, dieu de
l’air et de fécondité, à la tête du bélier, et aussi de Jupiter-Ammon. Il
constituait encore l’emblème d’Hermès qui était présenté comme
Kriophore (porteur du bélier) dans certains mystères. Toujours en
Égypte ancienne, Knoun, le Dieu portier qui modela la création était
par excellence le dieu bélier.
De son vivant, en âme et conscience, l’ex- président ivoirien
s’était choisi cet animal comme son totem personnel. Durant toute
sa vie comme l’indique plusieurs témoignages, il avait entretenu le
mythe d’un « bon bélier » :
20
J. A. n° 1579 du 3 au 4 avril 1991 : 20
CHEVALIER J. et GHEERBRANT A. , Dictionnaire des symboles. Mythes,
rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres, Seghers et Édition
Jupiter, Paris, 1973, p. 256
21
« Magicien ? L’impression ne saurait s’en détacher. De tel autre,
on peut dire : c’est un savant. » D’un troisième : « il naquit
diplomate. » D’un autre : sa vérité est le sermon. » Lui,
manifestement, il possède les saintes magies ; Il jongle avec les
jouets invisibles et des forces que les autres hommes ne
soupçonnaient même pas. Il est directement branché sur des
inspirations de génies et de démons qui ne dialoguent à travers
l’éternité qu’avec ces rares hommes ayant reçu du destin
connaissance de leur langage secret. Du coup, il n’en paraît que
mieux détenir la puissance des mystères. Le peuple suit davantage le
mage inspiré que le chef d’État22. »
Il est évident que toutes ces qualités mélioratives
ennoblissent l’être et le paraître de l’ex- président ivoirien. Pris à la
fois comme un savant, un jongleur supra humain ou un mage, il
passe pour un personnage d’exception. Son génie extraordinaire le
rapproche, comme dirait Victor Hugo, de « poètes », ces « rêveurs
sacrés et éclairés à qui Dieu parle à voix basse23. »
Dans le journal qui nous intéresse, la métaphore bélier ne
fonctionne pas seule. Pour désigner Houphouët, on recourt aussi
aux expressions « bélier de Yamoussoukro », « vieux » ou encore à
« doyen ». Allusion faite à cet article d’Élimane Fall écrit lorsque
Houphouët était hospitalisé à Paris et devait subir une opération de
la prostate le 2 juin 1993 : « Les Ivoiriens le redoutaient. Ils le
vivent aujourd’hui. Leur vieux Félix Houphouët Boigny, absent du
pays depuis plus de cinq mois (…) Le bélier ne peut plus donner des
coups de corne24. »
AUTRES REFERENCES FAITES AUX ANIMAUX
Il s’agit plus particulièrement, ici, des analogies assimilant
les hommes politiques aux animaux qui ne sont pas nécessairement
leurs totems.
22
J. A. n° 1066 du 10 juin 1981, p. 54
Nous citons de mémoire Les rayons et les Ombres de Victor Hugo où le
poète, comparé aux prophètes, communique avec Dieu.
24
J. A. n° 1712 –1713 du 28 octobre au 10 novembre 1993.
23
Diouf : le cobaye en matière de démocratisation et de
résolutions des conflits en Afrique
L’histoire de la dernière décennie indique que lorsque l’exprésident sénégalais Abdou Diouf présidait l’organisation de l’unité
africaine (l’OUA) en 1992, il fut le premier chef d’État à s’insurger
contre l’indifférence de ses homologues africains et de la
communauté internationale à l’égard de la stratégie somalienne.
C’est encore lui qui a « toujours professé »que dans le contexte du
droit international, l’Afrique devrait être à l’avant garde pour
développer la notion selon laquelle la souveraineté peut être
transcendée dans le cadre d’intervention de forces extérieures en vue
de régler les conflits 25.
La mise en application de cette proposition amena l’OUA à
mettre en place un mécanisme de prévention, de gestion et de
résolution des conflits en Afrique au cours de la même année. En
effet, Diouf fut choisi par ses collègues pour servir « littéralement
de cobaye » en matière de démocratisation et de résolutions des
conflits 26. Intéressons-nous à l’expression familière servir de
cobaye. Tout en signifiant « être utilisé comme sujet d’expérience »,
elle nous plonge dans la physiologie et dans la médecine. Elle nous
rappelle même la métaphore « laboratoire démocratique27 » que
Diouf employait pour parler du rôle qu’il voulait jouer au Sénégal et
par extension en Afrique, en matières de démocratie. Ses efforts très
appréciés dans le continent lui ont valu les qualificatifs « héraut de
la démocratie28 » ou encore « artisan du multipartisme libéral29. »
On se souviendra que c’est cet esprit démocratique qui poussa
Diouf à organiser les élections transparentes au cours desquelles il
était sorti perdant en 2000. À sa défaite, beaucoup de ses
homologues furent très mécontents. La plupart d’entre eux afficha
un dédain à l’égard de la classe politique sénégalaise. François
Soudan traduit ce mécontentement en ces termes :
25
26
27
J. A. n° 1644,du 9 au 15 juillet 1992, p. 20
J. A. n° 1644, op. cit., p. 19
J. A. n° 1581 du 17 au 23 avril 1991
J. A. n° 1644 du 9 au 15 juillet 1992, p. 21
29
J. A. 2026 du 9 au 15 novembre 1999, p. 25
28
« Si, en privé, beaucoup de chefs d’États d’Afrique francophone
jugent Abdou Diouf « trop gentil » et « donneur de leçons », aucun
ou presque ne souhaite sa défaite et tous le plaignent d’avoir affaire
à une classe politique aussi pugnace que la Sénégalaise : « Voilà ce
que de s’être voulu une vitrine de la démocratie à la française en
Afrique ! » soupire un ministre camerounais. Cette compassion est
à l’exacte la méfiance qu’inspire Abdoulaye Wade à certains. Dans
les palais, on n’aime pas les « éternels opposants », fussent-ils
libéraux, surtout lorsqu’ils savent, à l’instar du chef de PDS, jouer
avec la rue et manier l’arme du populisme. Dans beaucoup de
capitales africaines, Wade n’est en fait guère connu. Et lorsqu’il
l’est, on le perçoit comme peu contrôlable30. »
Le « général Wade », le « pape de sopi », le
« Ndiombor »(lapin)
Il ressort de la citation d’en haut qu’à l’égal de tous les
opposants africains aux régimes en place, Abdoulaye Wade a su
manier l’arme du populisme et jouer avec la rue afin de monter au
créneau. Dans Jeune Afrique l’intelligent, on le qualifie à maintes
reprises d’opposant éternel31 pour avoir passé plus d’une vingtaine
d’années dans l’opposition, sous le règne de Senghor et de Diouf. À
cause de ses résistances parfois violentes, on est même arrivé à le
surnommer « un véritable animal politique », un « vieux lion », un
« Ndiombor »(lapin) ou simplement « président de la rue
publique »32 suite à sa ruse et à ses manipulations politiques.
Toutes ces métaphores selon Jeune Afrique l’intelligent reflètent la
popularité dont jouissait Wade à la veille des élections, auprès de la
population urbaine. Certains de ses compatriotes l’ont même
désigné par la métaphore « champion de la sopi »33 et le « pape du
sopi ». Le sopi correspondant ainsi au changement en wolof. Ce
slogan dont l’actuel président sénégalais se servait pour « électriser
les foules34. »
30
J. A. I. n°2044 du 14 au 20 mars 2000, p. 55
J. A. n° 2043 : et n° 2046, p. 24
32
J. A. n° 2046, pages 20, 24
33
J. A. n° 1942, p. 25
34
J. A. n° 2048, p. 20
31
En somme, les portraits de deux hommes politiques
sénégalais témoignent bien que les rédacteurs du magazine qui nous
intéresse ne se réfèrent pas seulement aux totems personnels des
présidents dans leurs associations métaphoriques. Alors que Diouf
a servi littéralement de « cobaye » qui n’est pas son totem, Wade
est passé à la fois pour un « vieux lion » et pour un « lapin ».
Le coq et le buffle sur le ring politique nigérien
L’une des premières élections démocratiques enregistrées en
Afrique au cours de la dernière décennie s’est passée au Niger, le 27
mars 1993. Le général Saïbou qui venait de présider à la destinée de
son pays pendant cinq ans s’était abstenu de se présenter aux
urnes. En effet, afin de briquer sa succession, huit membres de
différents partis s’étaient portés candidats. Mais parmi eux, deux
seulement sont arrivés au deuxième tour : Mamadou Tandja(le
Buffle) et Mahamane ousmane (le Coq). Dans une description pleine
de métaphores renvoyant aux deux protagonistes, Francis Kpatindé
les dépeint ainsi :
« C’est un duel entre un coq et un buffle, une partie de bras de fer
entre un amateur de tennis de table et un adepte de lutte
traditionnelle, un face-à-face entre un féru de mathématiques et un
officier à la retraite, une passe d’arme idéologique, doublée d’un
conflit de générations, entre le « social-démocrate » Mahamane
Ousmane, 43 ans et le « libéral » Mamadou Tandja, 55ans. 35 »
D’emblée, le récit s’apparente au reportage d’un combat ou
d’un jeu de force dans lequel chaque adversaire tente de baisser
l’avant bras à l’autre. Les quatre métaphores notables dans cette
description s’effectuent au moyen de la préposition entre et se lient
par la conjonction et. La première plonge dans la gent animale. Elle
associe le jeune candidat Mahamane Ousmane à un coq et le vieux
Mamadou Tandja à un buffle. Or, selon l’imagerie populaire
africaine ces deux métaphores sont pleines de sens.
35
J. A. n° 1680 du 18 au 24 mars1993, p. 36
Commençons par la charge sémantique de la métaphore coq.
Ce mot désignant l’oiseau de basse-cour, mâle de la poule,
s’emploie communément pour désigner un être dorloté ou soigné.
Pris dans un sens ironique, il signifie le « garçon le plus admiré des
femmes ». Par contre, dans les arts martiaux, l’expression poids
coq désigne d’après Chemin « la catégorie de boxeurs pesant
53,524kg ou entre 52,164 kg et 53,540 kg 36». Par ailleurs, le
substantif buffle n’est pas moins significatif. Tout en désignant le
mammifère ruminant, voisin du bœuf, vivant en Afrique et en Asie,
il suggère la force. Allusion faite surtout aux combats sanglants que
les buffles mènent, dans la jungle, avec leurs longues cornes arquées.
La symbolique de ce combat qui oppose une volaille à un tel
mammifère devient plus significative lorsqu’on se situe dans le
contexte des élections et qu’on se représente à l’esprit comment le
jeune Mahamane au poids coq avait eu du mal à tenir tête au poids
lourd Mamadou. Les commentaires lus dans Jeune Afrique
indiquent que le premier (le coq) était pratiquement inconnu de ses
concitoyens 37. Il s’était fait remarquer seulement à la conférence
nationale (en juillet-novembre 1991), dont il dirigeait la souscommission chargée des questions économiques et financières. En
revanche, le second (le buffle) était un baron de longue date au Niger
et populaire. Colonel en retraite, ancien préfet, ancien ambassadeur
au Nigeria, plusieurs fois Ministres de l’Intérieur, ténor de la scène
politique, il était bien connu dans les milieux politiques. À cela
s’ajoute le fait que cet « homme fort » était autoritaire et
charismatique. En vue de renforcer l’image animalière conférée à
Mamadou et son ancienneté dans la vie politique nigérienne, le
narrateur évoque à la fin du récit les relations que ce dernier a
toujours eu avec un autre poids-lourd nigérien Djermakove, en ces
termes :
« Djermakove, « un homme qui a toujours brouté la même herbe
que Tandja », ont dû en déconcerter plus d’un. Officiers à la
retraite, anciens ministres, anciens préfets et anciens ambassadeurs
(…), les deux hommes, jusqu’à peu, ont connu pratiquement le
même parcours38. »
36
CHEMIN M., La loi du ring, Paris, Gallimard, 1993, p. 150
er
n° 1682 du 1 au 7 avril 1993, p. 6
38
Ibidem
37
La proposition relative et explicative « qui a toujours brouté
la même herbe » rappelle les caractéristiques des ruminants en
général et plus spécialement du buffle associé au thème-titre
Mamadou Tandja. La similitude, en soi, s’approfondit par la
comparative (que Tandja). Finalement, l’énumération reprenant les
postes occupés par Djermakove et Tandja met l’accent sur la
maturité politique de l’un et de l’autre. Et plus particulièrement
encore, en ce qui nous concerne, elle répète les mérites du buffle ou
du poids-lourd (Tandja) affronté par néophyte Mahamane (le coq).
Comme on le constate, l’épreuve en question semble mal assortie.
Pratiquement, comme un coq ne peut affronter un buffle, un
« amateur de tennis » ne peut tenir tête à un adepte de « lutte
traditionnelle ». Tout en restant dans l’univers symbolique, il
convient de rappeler que le choix de deux métaphores désignant ces
deux personnages ne résultent pas du hasard. Le narrateur s’est
inspiré de l’histoire de deux hommes qu’il décrit. Réellement comme
Francis le précise plus tard, dans son texte, Mahamane est un
sportif. Il joue au tennis. Comme le montre la troisième proposition
de l’énumération que nous analysons « un face en face entre un féru
de mathématiques et un officier à la retraite» son intellectualisme
s’oppose à la retraite et à l’amortissement de l’ex-officier dont il est
question. La bibliographie du premier indique qu’il a obtenu ses
diplômes universitaires en mathématiques en France (Nantes et
Paris) et au Canada ( HEC, Montréal )39 Le colonel en retraite, pour
sa part, n’a pas eu une formation aussi poussée. Il a acquis son
expérience grâce au combat politique qu’il mène depuis de longues
années. Voilà pourquoi il est considéré comme un adepte de lutte
traditionnelle.
Quoi qu’il en soit on est tenté de conclure que le recours aux
images que nous venons semble justifiable. À partir de 1990, le
vent démocratique qui a soufflé en Afrique a permis à l’opposition
et à une nouvelle génération de New leaders à secouer l’ancienne
classe politique. À en croire Bill Clinton, l’Afrique pouvait compter
sur les new leaders dont la majorité est issue des conférences
nationales souveraines et bardée des diplômes décrochés dans des
39
er
J. A. 1682 du 1 au 7 avril 1993, p. 6
universités françaises, canadiennes ou américaines. On comprend
donc pourquoi la victoire du porte-flambeau (Mahamane) de ces
nouveaux dirigeants ne pouvait surprendre les observateurs et tous
ceux qui aspiraient aux changements.
Autour de la métaphore « homme fort »
Pris au sens littéral, le syntagme adjectival « homme fort »
dénote une personne dotée d’une force physique extraordinaire, un
robuste ou un hercule. Par contre, dans les portraits des présidents
africains dépeints dans Jeune Afrique l’intelligent, on se rend
compte que cette expression revêt une connotation particulière. Elle
renvoie à quelqu’un qui détient un grand pouvoir d’action dans un
pays donné. Il peut s’agir d’un président, d’un Premier ministre,
d’un vice-président ou de tout autre personnage politique influent.
Meles Zenawi
Au cours de la décennie 1990-2000 presque tous les
tombeurs des régimes dictatoriaux par la force des armes étaient
considérés comme des hommes forts dans les colonnes de Jeune
Afrique. Tel fut le cas de l’actuel président éthiopien Meles
Zenawi, propulsé à la tête de son pays le 23 juillet 1991, à la chute
de mengistu. Ghazi le dépeint de cette manière :
« À 36 ans, le nouvel homme fort d’Addis Abeba reste pour
l’essentiel, un inconnu. Tout au plus sait-on qu’il est né le 9 mai
1955 dans la localité d’Adua, quelque part dans le nord de
l’Éthiopie, qu’il est marié-« avec une combattante du front »- et père
d’un enfant et qu’il n’a quitté son Éthiopie natale qu’en rares
occasions 40. »
L’âge de Zenawi est le premier élément significatif dans cet
extrait. Il paraît très jeune(36 ans) par rapport à son prédécesseur,
le colonel Mengistu Haïlé Mariam (âgé de plus de 50 ans).
Toutefois, on note qu’en dépit de cet écart d’âge et de la petitesse
40
J. A. n° 1592 du 3 au 9 juillet 1991, p. 21
de Zenawi - (le petit homme qui porte moustache et barbiche)41 - il
est qualifié d’homme fort d’Addis Abeba. Un qualificatif que
Kerbrat Orrechioni classerait dans la catégorie des « évaluatifs
axiologiques du fait que son interprétation relève du niveau
langagier42. » Sur le plan linguistique, la stricte définition lexicale de
l’adjectif fort (qui a la force physique, costaud, robuste…) cède la
place à l’évaluation qualitative (pouvoir d’action, courageux,
aguerri…)
Paul Kagamé
En 1994, quand le Front patriotique rwandais(F. P. R.)avait
pris le pouvoir, au Rwanda, juste après le génocide, son chef
d’armée Paul Kagamé (âgé de 33 ans) avait aussi porté l’étiquette de
l’homme fort. Tout avait commencé quand il évoluait encore sous
l’ombre du président Bizimungu. À maintes reprises, Kagamé
s’imposait et agissait sans consulter celui-ci. En 1995, par exemple
lorsque les organisations humanitaires et l’ONU luttaient, pour
organiser le rapatriement volontaire des réfugiés hutus du Zaïre vers
le Rwanda, Kagamé n’était pas d’accord. Selon Jeune Afrique,
« l’homme
fort
du
régime,
le
vice-président,
Paul
Kagamé » affirmait qu’il n’y avait pas dans les camps « des
innocents parmi les génocidaires ». Tous, d’après lui, méritaient le
jugement ou le châtiment. Une année plus tard, alors que le
président Bizimungu ne se prononçait pas sur les sanctions
économiques imposées par la communauté internationale au
Burundi voisin, c’est encore le vice-président qui a pris les devants :
« Après avoir d’abord annoncé que son pays allait coopérer avec le
nouveau régime burundais, Paul Kagamé, le vice-président et
homme fort du Rwanda a fini, le 7 août, par se joindre, du bout des
lèvres, aux sanctions économiques contre Bujumbura43. »
41
Ibidem
KERBRAT ORECCHIONI C. , L’énonciation, Paris, Armand Colin, 1997,
pages 84, 85.
43
J.A. n° 1858- 1859- du 14 au 27 août 1996, p. 10
42
Finalement, il fit preuve de sa force en une autre
circonstance. En 1997, ses soldats étaient accusés d’avoir tué des
civils et pillé leurs maisons au cours d’une opération contre les
rebelles hutus dans le Nord-ouest du pays. Le président Bizimungu
n’avait pas réagi. À sa place, c’est encore l’homme fort du pays qui,
sans préciser le nombre des victimes avait condamné cet acte
d’indiscipline.44
Idriss Béby
Ailleurs, quand le régime dictatorial de Hissein Habré fut à la
dérive au Tchad, c’est son ancien bras droit Idriss Déby qui l’avait
renversé. Après une longue marche de libération entamée à partir de
la frontière soudanaise, il était devenu à la fois l’homme fort de
Ndjamena et le Comchef. Chérif Ouazani de Jeune Afrique relate
ainsi la prise du pouvoir de Déby :
« Quand, ce 1er décembre 1990, le « Comchef » Idriss Déby et ses
2000 hommes entrent victorieusement à Ndjamena pour en chasser
le dictateur Hissein Habré, tous les espoirs sont permis. Aucune
chasse aux sorcières n’est lancée. Et le nouvel homme fort du pays
ne promet ni monts ni merveilles45. »
Dans cette citation, il est évident que Comchef et nouvel homme
fort du pays confèrent à Déby l’image du commandant suprême de
l’armée et du nouveau leader qui détient et contrôle l’appareil
étatique.
La métaphore homme fort ne ressort pas seulement à travers
ces quelques portraits examinés en haut. Elle s’affiche aussi dans les
tableaux d’autres chefs d’États. Prenons le cas du
Congolais Laurent-Désiré Kabila 46 ou l’homme fort de Kinshasa,
du Burundais Major Pierre Buyoya ou l’homme fort de
Bujumbura47, etc.
44
45
J.A. 1912- du 27 août au 2 septembre 1997, p. 11
J. A. n° 1996 du 13 au 19 avril 1999, p. 64
J. A. n° 1978 du 8 au 14 décembre 1998, p. 22
47
J. A. I. n° 2048 du 11 au 17 avril 2000, p. 69
46
UNE LEGENDE VIVANTE ET LA FIGURE LA PLUS
RASSURANTE DE TOUT LE GOTHA SUD-AFRICAIN
1. Une légende vivante
L’histoire de l’Afrique du sud des années 1960 tourne
autour de l’apartheid et de la lutte armée menée par les Noirs.
Lorsque le leader de l’ANC, Nelson Mandela, condamné depuis
1963 fut libéré et élu président en 1994 et eut le prix Nobel de la
paix48, toute l’Afrique salua bien son héroïsme. Quand, pour la
première fois, depuis trente, il revint dans son village natal, la
collaboratrice de Jeune Afrique Marie-Roger Biloa en profita pour
relater ainsi les faits:
« Mandela est littéralement encadré, entouré, protégé par une
poignée d’hommes redoutables (…) son pas est lent, solennel.
L’homme est immense, presque multiforme, à la Abdou Diouf. Il fait
montre d’une sérénité impressionnante où se révèlent des traces de
stoïcisme authentique. Sa journée comme les précédentes, un
interminable marathon de cérémonies officielles, de bain de foule et
de discours. Le septuagénaire n’en garde pas moins sa prestance
toute royale, et à une époque où les chefs, humains, trop humains,
ont tendance à perdre leur attrait mythique. C’est peu dire que
Mandela est une légende vivante. Il en est conscient49. »
Selon la théorie de J.-M. Adam du texte descriptif, la lecture
d’un tel passage indique qu’il s’agit d’un ancrage proprement dit car
le « pivot nominal ou le thème-titre50 », Mandela se place à l’entrée
de la séquence descriptive. Le premier détail énumératif renseigne
simplement sur la sécurité exceptionnelle assurée à Mandela
(littéralement encadré, entouré, protégé par une poignée d’hommes
redoutables). Les éléments relatifs à son portrait transparaissent à
partir de la phrase « Son pas est lent, solennel. » Non seulement sa
haute taille est comparée métaphoriquement à celle de son
homologue sénégalais Abdou Diouf, mais sa marche lente paraît
digne et bien surveillée.
48
J. A. n° 1681 du 25 au 31 mars 1993, p. 28
J. A. n° 1531 du 7 mai 1990, p. 6
50
ADAM J.-M., La description, P. U. F., 1993, p. 104
49
La métaphore prenant le personnage qui nous intéresse
pour une légende vivante apparaît seulement après l’indication de
ses journées surchargées et de son âge très avancé « le septuagénaire
n’en garde pas moins sa prestance royale, et à une époque où les
chefs, humains, trop humains, ont tendance à perdre leur attrait
mythique. » Nul doute, on pouvait s’attendre à ce que cet homme à
l’âge compris entre soixante-dix et quatre-vingt ans n’affiche plus
des aspects imposants et une allure noble. Mais tout au contraire,
en dépit de son âge, Mandela paraissait encore vigoureux et
autoritaire. Il se montrait même capable de diriger son pays. Il a
fallu attendre neuf ans pour que le héros déclare lui-même : « J’ai
joué mon rôle, c’est au tour des plus jeunes51. » Et au narrateur
d’enchaîner sur la même page : « l’homme qui parle requiert
l’attention et le respect. Admiration aussi. Il a passé le cap des 80
ans et, dans son regard, passent comme des lointains, des très
lointains paysages. Tout cela semble de lire dans ses yeux que l’âge
a légèrement bridés. »
De tout ce qui précède, retenons que la mythification et le
statut légendaire du héros sud-africain se manifestent lorsque sa
célébrité et son histoire s’écrivent au moment où il est encore en
vie. Les faits prouvent que son image positive est déjà fixée dans
l’intellect de la jeunesse. Or, ne disons-nous pas que les jeunes
constituent la nouvelle génération et la vieillesse de demain ? Certes,
ce sont eux qui raconteront aux futures générations les hauts faits de
tous les puissants qu’ils ont vus s’éteindre. Voici comment un jeune
malien L. M. Danioko exprime son admiration envers ce personnage
légendaire : « Nos vieillards de demain raconteront son histoire aux
enfants. Tonton Mandela appartient à la classe des rares nobles du
monde politique. Le peuple africain a envers lui une dette difficile à
éteindre(…) Vous êtes notre fierté52. » De Suisse, un autre jeune
écrit au sujet du même personnage charismatique ce propos : « Sa
seule figure fait peur aux dictateurs et inspire confiance au
peuple(…) voilà un homme qui mérite beaucoup de prix Nobel de la
paix53. »
51
er
J. A. n° 2003 du 1 au 7 juin 1999 : 114
J. A. n° 2003, op. cit., p. 113
53
Ibidem.
52
L’entrée du leader de l’ANC dans la légende et dans
l’histoire s’amplifie ailleurs à travers les métaphores le prenant
pour « Le mystère Mandela »(voir couverture de J. A. n° 1711 du
21 au 27 octobre 1993), « Le dernier des géants (J. A. n° 1777 du
26 janvier au 1er février 1995 : 6), « Le cas Mandela (J. A. n° 1746
du 23 au 29 juin 1994 21), etc.
2. La figure la plus rassurante de tout le gotha sud-africain
Cette métaphore désigne Thabo Mbeki, le successeur de
Mandela et l’actuel président sud-africain. Depuis des années,
Mandela traitait celui qui allait devenir son dauphin avec beaucoup
de considération. Il le prenait pour un homme « plein de talent, très
influent et très populaire(J. A. n° 1854 du 17 au 23 juillet 1996 :7).
Quand Mbeki prit le pouvoir, E. J. Maunick, poète, homme de
culture et ancien ambassadeur de l’île Maurice en Afrique du Sud en
1999 témoigna ce qui suit au sujet son pragmatisme:
« Le positif domine. Mbeki est perçu comme « un homme d’action,
bûcheur, dynamique, conscient des problèmes cruciaux, et qui
distingue clairement les priorités (…)Mbeki est la figure la plus
rassurante de tout le gotha politique sud-africain. 54 »
Il s’ensuit qu’effectivement le savoir-faire du nouveau
président répond aux préoccupations du moment des Sud-Africains.
D’après plusieurs témoignages de Jeune Afrique l’intelligent, il
semble avoir succédé valablement Mandela. En montrant que le
positif domine l’image mbekienne, le narrateur renforce les attributs
favorables et minimise les traits sombres. L’homme paraît ainsi
pragmatique et très voué au travail (un homme d’action, bûcheur,
dynamique, conscient des problèmes cruciaux et qui distingue les
priorités).
La métaphore qui attire plus d’attention se lit dans l’énoncé
« Mbeki est la figure la plus rassurante de tout le gotha politique
sud-africain ». Ce qui revient à dire que de toute l’aristocratie de
son pays, il est le seul qui redonne confiance. Sans nul doute, le
54
J.A. 2029 du 30 novembre au 6 décembre 1999, p. 21
choix de cette image semble être dicté par le dynamisme de cet
homme. Les faits témoignent comment dans un pays longtemps
exsangue à cause des luttes tribales et anti-apartheid il est parvenu à
faire face aux barons de la lutte anti-apartheid comme Mangusutu
Buthelezi et aux adversaires les plus pugnaces de l’ANC comme
Tony Léon, Peter Marais et Bantu Holomisa55.
EN GUISE DE CONCLUSION
L’examen des différentes métaphores analysées montre bien
que les rédacteurs de Jeune Afrique l’intelligent et leurs
correspondants font beaucoup attention à l’emploi des mots. En
recourant aux expressions et aux images courantes et apparemment
simples, ils en font l’axe principal de leur argumentation. Leur
logique démonstrative se fonde sur une sorte de mimêsis,
susceptible de susciter l’envie de lecture et de produire l’effet de
sens.
À travers leurs métaphores assimilant l’homme à la bête, aux
faits abstraits ou aux choses inanimées se profilent des enjeux
nobles. Les tropes actualisés, non seulement en devenant euxmêmes des « événements »56, comme dirait Paul Ricoeur,
engendrent de nouvelles significations, mais surtout, ils
transforment la langue française en un produit consommable au
quotidien. Le privilege accordé à certains mots, leurs nouvelles
couleurs ainsi que la floraison lexicale constituent autant d’éléments
susceptibles de susciter l’engouement, l’admiration ou
l’abonnement !
Références
ADAM J.-M. et PETITJEAN, Le texte descriptif, Paris, Nathan,
1989.
ADAM J.-M., La description, P. U. F., 1993.
ADAM J.-M., Le texte narratif, Paris, Nathan, 1994.
ADAM J.-M., et al, La presse écrite : des genres aux mélanges des
genres 3-4, Études de lettres, Université de Lausanne, 2000.
55
56
J. A. n° 2002 du 25 au 31 mai 1999, p. 23
RICOEUR P., La métaphore vive, op. cit. , p. 76
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sémiolinguistique (Théorie et pratique), Paris, Hachette, 1983.
CHEMIN, M., La loi du ring, Paris, Gallimard, 1993
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Mythes, rêves, coutumes,
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KERBRAT ORECCHIONI C., L’énonciation, Paris, Armand
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KILOSHO. K., « De la description prosographique à l’image de
quelques présidents africains dépeints dans Jeune Afrique
l’intelligent » dans Analyses, textes et société n° 9, Université de
Toulouse le Mirail, 2003, pp45-63.
KILOSHO. K., Les portraits des présidents africains dans Jeune
Afrique l’intelligent(1990-2000) Analyses linguistiques et textuelles,
Thèse de doctorat présentée et soutenue à l’université de Rouen
(France) en mai 2005
RICOEUR P., La métaphore vive, Paris, Seuil, 1975
Corpus des numéros de Jeune Afrique(J. A.) et de Jeune
Afrique l’intelligent (J. A. I)
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