l`ensemble du dossier

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l`ensemble du dossier
enquête magazine
« Le progrès ?
C’est nous ! »
97 % des Français ont aujourd’hui un sentiment négatif sur l’avenir de leur pays
ou sur le sort de leurs concitoyens1. C’est plus que les Espagnols (94 %) ou les
Italiens (91 %). Par ailleurs, ils seraient 70 % à ne plus avoir confiance en les
hommes politiques2. Dans ce contexte morose, pourtant, nombre d’entre eux
ont décidé de rester optimistes, en prenant eux-mêmes les choses en main pour
contribuer à la richesse et au progrès de la France. C’est ce qu’a voulu démontrer
Dominique Reynié (PES 83), directeur général de la Fondation pour l’innovation
politique (Fondapol), en partenariat avec l’Association des Sciences-Po, en
organisant les 24 heures « Le progrès, c’est nous », le 16 novembre, à la Maison
de la Mutualité de Paris. Un pari audacieux sur le fond (comment remonter le
moral des Français dans un climat si négatif ?), mais aussi sur la forme : 24 heures
non-stop, 170 intervenants, 17 thèmes ! Dans notre dossier consacré à cette
journée exceptionnelle, vous trouverez l’analyse de Dominique Reynié (p.42), un
reportage (p.43) et deux portraits d’anciens élèves de Sciences Po (p.46), invités
parmi les 170 conférenciers, pour leur remarquable parcours d’entrepreneur.
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1 Selon une enquête Ipsos réalisée au printemps 2013.
2 Selon une enquête d’opinion réalisée par l’institut LH2
pour Le Nouvel Observateur, avril 2013.
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janvier 2014 n alumni sciences po. magazine
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« Bien des problèmes
que nous échouons à
résoudre disparaîtront
lorsque l’État fera
confiance aux
Français. »
La France
est une
société
émergente !
I
maginer, avec la Fondation pour l’innovation politique, une rencontre de 24 heures
non-stop sur le thème du progrès n’avait pas
pour but d’accomplir une première, même
s’il est toujours instructif de conduire une expérience. Différemment, il s’agissait de mettre en
scène – au sens propre – la puissance créatrice
de notre société civile, car si nous devons une
part déterminante de notre progrès matériel et
humain aux innombrables efforts, à l’intense
activité et à l’ingéniosité de nos concitoyens, la
reconnaissance publique de cette contribution
demeure défaillante. En France, on peine à penser que l’État ne soit pas à l’origine de tout progrès. Une telle vision est d’autant plus fâcheuse
que l’État, saisi par une profonde crise d’incapacité, ne peut éviter de reconnaître les limites de
sa puissance et de procéder à une révision radicale des conditions de son utilité. Il faudra bien
en appeler à la société civile, à sa vitalité, à ses
ressources et capacités qui sont considérables.
N’y voyons pas une mauvaise nouvelle supplémentaire, mais une heureuse perspective ! C’est
pour dire cela que, pendant 24 heures, nous
avons fait inscrire au fronton de la Mutualité :
« Le progrès, c’est nous ! », c’est-à-dire nous tous.
Ces 24 heures non-stop nous permettaient aussi
d’illustrer l’inscription de nos vies dans une histoire universelle. La vérité est que nous devenons
de plus en plus planétaires. Le choix des 24 heures
fut donc une manière de vivre une journée dans
un monde commun, fini, uni par son destin,
parcouru de réseaux électriques, tramé d’innom-
alumni sciences po. magazine n janvier 2014
brables messages auxquels il doit désormais de
ne plus connaître ni la nuit ni le sommeil.
L’événement voulait affirmer le volontarisme de
la société, la confiance entre ses membres ; il en
appelait au corps social lui-même et non seulement à ses représentants élus ; à une philosophie de la liberté et de la responsabilité. Conséquemment, il préconise l’engagement dans la
coproduction collective de l’ordre social dont dépendent nos existences et sans laquelle il n’y aura
pas de véritable progrès humain. Cela ne va pas
de soi, puisque le centralisme étatiste est notre
idéologie dominante, qu’elle suscite et entretient
une défiance publique envers la société civile. On
comprend mal et on n’admet guère que l’intérêt
général puisse résulter de l’activité autonome
« S’il y a des pays émergents, il y a aussi désormais
des sociétés émergentes. »
et spontanée d’individus, d’associations, d’entreprises et, a fortiori, d’entreprises mondiales.
Depuis un point de vue aussi rigide et péremptoire, comment accepter que les technologies
numériques aient changé plus profondément la
France en dix ans que toutes les politiques réformistes qui ont épuisé nos gouvernements et nos
finances publiques depuis 30 ans ?
On lit souvent que les Français ne font pas
confiance à leurs responsables politiques mais,
symétriquement, les citoyens sont persuadés que
ces responsables ne leur font pas confiance non
plus. Que faire aujourd’hui, lorsque la défiance
de l’État vis-à-vis de la société civile se combine
avec l’attrition des ressources publiques ? Bien
des problèmes que nous échouons à résoudre
s’atténueront voire disparaîtront lorsque l’État
décidera de faire confiance aux Français et de les
© fondapol
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Bilan de
24 heures
intenses
Dominique Reynié, lors des 24 heures
« Le Progrès, c’est nous », à la Maison de la
Mutualité de Paris, le 16 novembre 2013.
© fondapol
Par Dominique Reynié (PES 83)
Professeur des universités à Sciences Po et directeur
général de la Fondation pour l’innovation politique
enquête magazine
laisser faire. C’est pourquoi, pour ma part, ces 24
heures furent une joie. Arrivé sur scène le vendredi un peu avant minuit, j’en suis reparti le
dimanche un peu après la même heure, impressionné par le sentiment d’avoir vécu une journée
dans un pays à la population prospère, solidaire
et rayonnante, à l’aise dans la globalisation, soucieuse d’environnement, douée pour le profit,
innovante, ingénieuse, appliquée, pugnace, libre
et responsable, respectueuse, où les femmes et les
jeunes accèdent aux commandes, où l’on a cessé
de demander aux Français issus de l’immigration
d’où ils viennent pour ne s’intéresser qu’à leurs
talents et à leur volonté de réussir.
Oui, ce fut une belle journée où le sommeil ne fut
pas nécessaire puisque c’est dans l’éveil et l’attention que nous éprouvions la quiétude qui est la
meilleure forme du repos. S’il y a des pays émergents, il y a aussi désormais des sociétés émergentes. La France est une société émergente ; c’est
d’elle que viendront les puissances du renouveau
que nous cherchons depuis longtemps et vainement dans un alourdissement de notre dette publique et de notre laborieuse machinerie administrative et fiscale.
Nos politiques doivent non seulement le comprendre mais aussi l’admettre. Pour tenter d’engager un débat avec eux, parallèlement, nous avons
tenu à recueillir leur point de vue sur le progrès, en
interrogeant MM. Claude Bartolone, président de
l’Assemblée nationale, au titre du Parti socialiste,
François Bayrou, au titre du Modem, Jean-François
Copé, pour l’UMP, Pierre Laurent, pour le PCF,
Hervé Morin, pour le Nouveau Centre et François
de Rugy pour Europe Écologie les Verts. Chacun
peut les retrouver ainsi que les quelque 140 vidéos
enregistrées au cours de ces 24 heures et désormais disponibles sur le site de la Fondation pour
l’innovation politique : www.fondapol.org. 
« Marseillaise »
arabo-andalouse avec
Mohammed Farsi,
Drissi Alae et Youssef
Moujahid.
D
u vendredi 15 novembre, à minuit, au samedi 16 novembre, à minuit, sur la scène de la
Mutualité, plus de 170 orateurs ont participé à plus de 130 interventions : des femmes, des
hommes, des jeunes et des moins jeunes, venus de
Paris et de la province, des rues chics du VIIe arrondissement comme des quartiers populaires de Mantesla-Jolie, de Villemomble ou d’ailleurs, diplômés ou
pas, salariés, chefs d’entreprise, responsables associatifs, étudiants, artistes, chercheurs, médecins,
astrophysiciens ou philosophes du web… Une foule
de créateurs, producteurs de richesses matérielles
ou immatérielles. Une foule engagée, convaincue,
inventive, ambitieuse, généreuse.
En dix minutes, sous l’autorité d’un chronomètre
dont le respect était publiquement vérifié, chacun
est venu présenter une compétence, un art, une
entreprise, une association, une innovation, etc.
Tous ont été exemplaires. Pas un n’a manqué à son
engagement d’être là ; pas un n’est arrivé en retard,
œuvrant à la tenue de cet édifice si fragile qu’un
glissement d’une minute par intervenant exposait à
excéder de plusieurs heures la fin prévue.
La nuit, le jour, puis la nuit encore virent s’écouler
une kyrielle réjouissante d’orateurs toujours captivants, souvent passionnants, tous capables d’inspirer le public puissamment. Quelques exemples ne
suffiront pas à donner une idée de la diversité et de
la richesse des vies et des propos : Scarlett Reliquet
et Laurent Thomas, fondateurs de Loisirs Pluriel,
qui favorisent l’accès aux loisirs des jeunes handicapés ; Baki Youssoufou, créateur de plates-formes
en ligne, occupé à déployer le potentiel démocratique du numérique ; Barbara Crépeau, Marlène
Da Silva et Caroline Ales, qui militent pour l’ouverture aux femmes des formations et des carrières
d’ingénieurs ; Leïla Ghandi, qui, à sa manière, photographie, filme et raconte les aventures de l’humanité saisie par la globalisation ; Djenaba Diao et
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magazine enquête
enquête magazine
La France vue par des étudiants
étrangers de Sciences Po
À 18 h 21 précises, six étudiants internationaux,
actuellement en année d’échange à Sciences Po, sont
venus partager, avec humour et beaucoup de lucidité,
leur vision de la France. Morceaux choisis.
« Une étude montre que les Français seraient plus pessimistes que les
Afghans quant à leur avenir ! Je le ressens en France au quotidien. La série
“Bref” joue beaucoup là-dessus. Pareil, avec le livre Indignez-vous !,
de Stéphane Hessel. Mais de ce mécontentement permanent, ressort une
folle énergie : les Français veulent donner leur avis, exporter leurs valeurs. »
Pierre-Adrien Hanania, 21 ans, Français mais vit depuis son enfance
en Allemagne.
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La nuit, le
jour, puis
la nuit encore virent
s’écouler une
kyrielle réjouissante
d’orateurs
toujours
captivants,
souvent
passionnants.
(flat tax), pour réduire la fiscalité qui pèse sur les
entreprises ; la verve d’Alain Minc, qui vient de
publier Vive l’Allemagne ! (éd. Grasset), et a parlé
de son projet de voir la France et l’Allemagne
devenir « copilotes », de la construction d’une
vraie puissance politique européenne « par un
nouveau traité de l’Élysée ». N’oublions pas non
plus les interventions de Serge Soudoplatoff,
sur la culture internet ; Idriss Aberkane montrant l’irrésistible croissance de l’économie de
la connaissance ; Henri Verdier et la révolution
de l’open data ; Cédric Mayer, inventeur du WiFi par la lumière avec sa société Oledcomm ;
Ismahane et Wadia Chaftar, engagées dans un
parcours entrepreneurial exemplaire, dont la
présentation s’est accompagnée d’une critique
politique et sociale remarquable ; Ranzika Faid
et sa « Mobil douch », sillonnant les rues de Paris
afin d’offrir la dignité par l’hygiène aux SDF et
aux mal-logés ; Nathalie Chaput déployant son
savoir et son énergie pour mettre au point, avec
son équipe, un vaccin contre certaines formes
de cancer ; ces regards chaleureux mais critiques portés sur la France par Sophie Pedder,
chef de bureau de The Economist à Paris ; Michael
Storper, collègue de Dominique Reynié ; il faudrait encore citer ce moment où Mohammed
Farsi, Drissi Alae et Youssef Moujahid, tous
trois coiffés d’un tarbouche et portant djellaba,
ont tenu à nous offrir une superbe « Marseillaise » arabo-andalouse. 
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« Les Français ont un rapport très
spécifique à la nourriture. Elle rythme
leur vie, leurs rapports sociaux ! Les
Français peuvent paraître distants
et froids au premier abord. Dans
le fond, ils ont beaucoup de chaleur.
Enfin, c’est un peuple très fier de
son pays. Mais cette fierté ne doit
pas se transformer en orgueil
et en arrogance. »
Karol Bucki, 24 ans, Polonais.
« La première chose que j’ai vue à Paris, c’est la bureaucratie : pour avoir
un appartement, il faut avoir un compte bancaire ; mais pour avoir un compte
bancaire, il faut avoir un appartement ! J’ai aussi beaucoup de mal
à comprendre l’humour et l’ironie des Français. Mais j’aime leur goût pour
la culture, les musées… »
Christina Mysko, 20 ans, Britannique d’origine ukrainienne.
« La France, c’est une société écrite, une société du contrat. Quand on donne
la liberté aux Français, ils préfèrent aller vers le centre, le consensus, ce qui
est considéré normal. Par exemple, dans la rue, les gens sont tous habillés
pareil. Il y a un “code social” à respecter. »
Miyu Endo, 21 ans, Japonaise.
© fondapol
suspendue entre la France et l’Afrique ; Caroline
Perrineau, qui a présenté depuis Shanghaï, à
3 h 42, son travail avec des entreprises chinoises
cherchant à concilier développement économique et protection de l’écosystème ; les progrès dans la lutte contre le diabète réalisés par
Defymed, la start-up de Séverine Sigrist ; le radiateur numérique Qarnot Computing, de Paul
Benoit, capable de récupérer la chaleur de ses
processeurs ; la « ville nue », présentée par Sarah
Lavaux ou la « ville comestible », de Frédérique
Alacoque ; le « Modul’air », nouveau mode de
transport collectif urbain, selon Valérie David ;
les nouvelles formes de financement et le crownfunding, expliqués par les fondateurs de Kisskissbankbank… Il faudrait citer encore le manifeste
politique nocturne de Alexandre Jardin (EF 86),
vers 5 h 30 ; le talent de Clara Quilicchini et Victoria Sebastian, âgées de 15 et 16 ans, actrices en
devenir, arrivées sur scène en pyjama, à 4 h 58 ;
l’engagement européen de Laurence Parisot,
l’humour des acteurs Oumar Diaw (Tellement
proches) et Sabrina Ouazani (meilleur espoir féminin dans L’Esquive), venus jouer un extrait de
leur pièce de théâtre, Amour sur place ou à emporter, mettant en scène le quotidien d’un couple
que tout oppose, en jouant sur les clichés autour
des Noirs et des arabes ; la détermination de
Charles Beigbeder, venu prôner l’instauration
d’un impôt proportionnel mais à taux unique
© fondapol
Fatoumata Sidibe, créatrices d’une entreprise
En haut, de gauche à droite :
Alain Minc (SP 71), Laurence
Parisot (PES 81), Alexandre Jardin
(EF 86), Sophie Pedder.
En bas, de gauche à droite :
Jérôme Adam (CRH 98), Charles
Beigbeder, Sabrina Ouazani
et Oumar Diaw, Clara Quilichini
et Victoria Sebastian.
« Les Français sont très fiers de leur pays et de leur nation. C’est un pays
rempli de traditions. Le fait que tout soit fermé après 21 h et le dimanche,
pour moi, c’est un autre monde. Il y a une place importante de la famille.
J’aime que les Français soient si actifs avec leur grèves, leurs manifs !
Ce que j’aime moins, c’est leur esprit un peu fermé quant à ce qui se
différencie de leurs habitudes. »
Chloé Houdre, Américaine.
« Le Mont-Saint-Michel, les châteaux de la Loire, Paris… la France a une
richesse culturelle et historique incroyable. Mais je suis venue deux fois en
France, en 2005 et 2013. Entre les deux, peu de choses ont bougé ! Chômage,
immigrés, identités politiques : il y a toujours les même problèmes ! »
Marie-Aline McLean Dreyfus, 24 ans, Australienne.
janvier 2014 n alumni sciences po. magazine
magazine enquête
enquête magazine
Les audacieuses ambitions
de deux Sciences-Po entrepreneurs
Laurent Alexandre (SP 89)
Le docteur Faust
du XXIe siècle
L’un cherche à démontrer que le handicap peut être
une source d’innovation pour toute la société. L’autre
à explorer notre ADN pour faire reculer la mort. Portraits
atypiques de deux alumi entrepreneurs.
Jérôme Adam (CRH 98)
Le handicap, source
d’innovation pour tous
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Faites l’humour, pas la guerre ! », c’est
le thème retenu par Jérôme Adam (CRH
98) pour intervenir à la journée « Le
progrès, c’est nous ». Avant de le rencontrer pour
l’interviewer, j’étais un peu embarrassée. Si je lui
envoie un mail, pourra-t-il le lire ? Dois-je utiliser le mot « aveugle » devant lui ? Heureusement,
auparavant, j’ai consulté le site de son entreprise,
jencroispasmesyeux.com. L’idée ? Une “web série”
avec des vidéos1 de quelques minutes, autour des
rapports entre personnes “valides” et personnes
handicapées : « Qui ne s’est jamais senti ridicule en
ne sachant comment réagir face à une personne handicapée ?, lit-on sur la page d’accueil. Vous savez, ces
pseudos “gaffes”, du genre, Oh ! mon dieu, j’ai dit “ça
saute aux yeux” à un aveugle. » Dans le texte accompagnant l’une des vidéos, plus d’ambiguïté : « Le
verbe voir et le mot aveugle ne sont pas des gros mots. Il
est fortement recommandé de les utiliser simplement. »
Au fil des épisodes de la saison 1, on apprend ainsi
comment les aveugles peuvent téléphoner, aller
au cinéma, etc. Surtout, les quatre saisons nous
aident à mieux communiquer quelles que soient
nos différences, sans se limiter au handicap.
Jérôme Adam est un entrepreneur. Pas « un
aveugle entrepreneur », comme ont titré certains
journaux. À la limite, un entrepreneur aveugle.
Mais sûrement pas au sens figuré. Jérôme Adam
voit grand. C’est à Sciences Po, dont il sort diplômé en 1998, que germe le concept de sa première
entreprise, Visual Friendly. « J’effectuais un stage
aux laboratoires Vichy et je devais trouver un moyen de
faciliter l’accès aux cosmétiques pour les non-voyants.
J’ai eu l’idée de mettre en place un serveur vocal pour
aider à utiliser ces produits. Je ne voulais pas limiter
le service aux aveugles, mais le rendre accessible à un
public plus large : des personnes ayant des difficultés
à lire les notices d’utilisation, ou souhaitant avoir des
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C’est à
Sciences
Po, dont
il sort
diplômé en
1998, que
germe le
concept
de sa
première
entreprise,
Visual
Friendly.
conseils supplémentaires. À la fin de mon stage, j’étais
convaincu que le handicap était une source d’innovation utile à tous. » Pour illustrer ce concept, le chef
d’entreprise aime à citer cet exemple de la télécommande, inventée à l’origine pour les tétraplégiques, et devenue aujourd’hui indispensable
à tout téléspectateur. Après Sciences Po, Jérôme
Adam complète sa formation à l’Essec puis aux
États-Unis, où il part six mois étudier à La Nouvelle Orléans. C’est là que son intuition se transforme en idée de création d’entreprise : il pense
à un logiciel, « label vue », permettant d’adapter
l’affichage des pages web selon les besoins (que
l’on soit sénior, malvoyant, aveugle), puis, à son
retour en France, crée la start-up Visual Friendly.
Cinq ans plus tard, Visual Friendly est rachetée par
une société de service informatique. Une start-up
de perdue, dix de retrouvées. En novembre 2005,
il monte Easylife conseil, « activité d’accompagnement des entreprises dans la mise en place de solutions
simplifiant le quotidien ».
Si son handicap a été une source
de motivation, il tempère : « Même
avant mon handicap [il a perdu la
vue à l’âge de 15 ans suite à une
tumeur au cerveau, NDLR], j’avais
des caractéristiques d’entrepreneur,
de leader : capitaine de mon équipe
de foot, délégué au collège et lycée… »,
analyse-t-il. Sur son site, Jérôme
Adam rend aussi hommage à son
frère Cédric, décédé brutalement
suite à un hématome au cerveau
en 2008 : « Cédric avait malheureusement plongé dans
la drogue. Il vivait mon handicap comme une tragédie.
Il a eu aussi comme un complexe d’infériorité par rapport à mon passage dans de grandes écoles. J’ai découvert qu’au final, il y avait un grand amour entre lui et
moi qui avait du mal à s’exprimer : il avait son propre
handicap à gérer. » De ce rapport familial complexe,
est né un nouveau projet dans la tête de cet entrepreneur insatiable : réaliser un film. Le scénario
met en scène deux frères, l’un aveugle et l’autre
toxicomane. « Chacun souhaite se sortir de la case où il
se trouve, bon gré mal gré. » Jérôme Adam et Richard
Schlesinger, scénariste américain avec lequel il a
écrit une première version du scénario, sont à la
recherche de financements et d’acteurs motivés.
Rien n’arrêtera cet entrepreneur qui voit décidément très loin !
1 Plus de 1,5 million de vidéos vues à ce jour.
© fondapol
Par Bénédicte Lutaud (M 11)
La mort de la mort a commencé ! » Laurent
Alexandre (SP 89) n’y va pas de main
morte lors de son intervention à l’événement « Le progrès, c’est nous ». Sur l’estrade de la
Maison de la Mutualité, le docteur débite un discours bien rodé. Laurent Alexandre croit à l’immortalité. Pas par superstition, encore moins par
foi religieuse. « Pour moi, c’est une conviction, affirme
le neurobiologiste. La seule question qui se pose, c’est
quand. Que ce soit dans 50 ans ou 500 ans ne change pas
grand-chose. » Pour appuyer son propos, il déroule,
devant un auditoire intrigué, une série de diapositives sur l’espérance de vie. De 1750 à 2013, elle
a triplé, passant de 25 ans à plus de 80 ans. « Nous
avons déjà largement fait reculer la mort », constate-til. Pour Laurent Alexandre, la croissance de notre
espérance de vie, de trois mois chaque année actuellement, ne va cesser de s’accélérer grâce aux
NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives).
Avant de devenir oracle de l’immortalité, Laurent
Alexandre s’est surtout fait connaître comme
fondateur du site Doctissimo.fr, en 2000. À
l’époque des balbutiements d’internet, il avait
déjà tout d’un prophète : « L’idée, c’était que le web
allait devenir le premier des médias avec sa dimension
communautaire. Le pari, c’était de tenir le temps que
l’ADSL monte en puissance », explique-t-il. Pari réussi, puisqu’en 2008, Laurent Alexandre revend le
site Doctissimo.fr à Lagardère pour 139 millions
d’euros. C’est dès l’adolescence que ce fils d’un
couple de dentistes imagine sa double casquette
de médecin-entrepreneur : « Les gens qui montaient
des sociétés me fascinaient », confesse-t-il à Libération1.
Après des études de médecine à la Pitié-Salpêtrière, il se forme aux bases de l’entreprenariat
lors d’un MBA à HEC.
Mais le docteur Alexandre n’est pas qu’un adepte
des sciences “dures”. Son talent d’orateur, il le
doit à son passage par Sciences Po. Il n’y a qu’à
écouter son verbe lors de sa présentation aux 24
heures « Le progrès, c’est nous », respectant à la
seconde près la règle des dix minutes, imposée
par Dominique Reynié à chaque intervenant. Dix
minutes, c’est aussi le temps d’un exposé “standard” à Sciences Po. « Par curiosité », le jeune entrepreneur décide de passer aussi par la case ENA.
Une expérience amère. En témoigne la critique
acerbe qu’il fait de l’institution : « Je suis favorable
à sa fermeture. C’est une mauvaise école. Elle ne s’inté-
« Pour
moi,
[l’mmortalité]
est une
conviction.
La seule
question
qui se
pose, c’est
quand.
Que ce
soit dans
50 ans ou
500 ans
ne change
pas grandchose. »
resse pas à la technologie, mais qu’à la redistribution
d’un modèle keynésien qui est mort depuis longtemps.
L’ENA est l’une des causes du déclin français. » Heureusement, l’énarque a de meilleurs souvenirs
sur les bancs de Boutmy : « J’y ai beaucoup plus
appris. J’avais Christian Saint-Etienne en conférence
de méthode d’économie, qui m’a beaucoup sensibilisé à
l’économie de l’offre. »
Que veut donc dire Laurent Alexandre quand il
évoque la « mort de la mort » ? Les NBIC permettent
en effet d’augmenter considérablement les données que les médecins auront à disposition pour
nous soigner : « Dans dix ans, il y aura un million
de fois plus de données dans notre dossier médical »,
explique-t-il. Parmi ces NBIC, le séquençage de
l’ADN, dont s’occupe la société qu’il préside, DNA
Vision, permettra de déterminer nos prédispositions à certaines maladies. Il est déjà possible de
lire le génome de certaines tumeurs et de mettre
au point des thérapies sur mesure. Dernier argument imparable du docteur : Google lui-même
s’intéresse à la question ! La filiale de Google,
23andMe, propose en effet, moyennant finance,
une analyse du code génétique de ses clients. Elle
est dirigée par la femme de Sergei Brin, cofondateur de Google… qui a appris qu’il avait de fortes
chances de développer la maladie de Parkinson,
en faisant analyser son ADN par sa filiale ! 2 À Libération, qui lui demande comment il souhaiterait
mourir, le docteur Alexandre répond, tel le docteur Faust de Goethe : « Jamais, si c’était technologiquement possible. » Et Laurent Alexandre espère
trouver la réponse avant la fin de sa vie. S’il y a
bien une chose qui est éternelle, c’est la quête de
l’immortalité de l’homme. 
1 Portrait du 21 mai 2013.
2 Pour en savoir plus, lire les ouvrages de Laurent
Alexandre où toutes ces idées sont rassemblées : La Mort
de la mort (J.C. Lattès), Google Démocratie – coécrit avec
David Angevin – et Adrian Human 2.0. (Naïve).
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