9363_UPS-Mag17_FR_virus et maladies emergentes

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9363_UPS-Mag17_FR_virus et maladies emergentes
VIRUS ET MALADIES
ÉMERGENTES
Les virus émergents
Mystérieux virus... On ne sait pas très bien d'où ils viennent, on ne sait
pas prédire l'émergence de nouvelles maladies virales. Pourtant, ils
constituent un des pires fléaux de l'humanité.
>>> Jacques IZOPET, professeur de l’université
Paul Sabatier, praticien hospitalier et chercheur au
centre de physiopatologie de Toulouse Purpan
(CPTP, unité mixte UPS/Inserm)
© C. Frésillon/CNRS.
En 2002, l’irruption du syndrome respiratoire
aigu sévère (SRAS) en Asie a frappé les esprits.
En quelques mois, un coronavirus animal a
surgi des marchés du sud-est de la Chine et
mis en péril les systèmes de santé du monde
entier. L’émergence en 2009 d’un nouveau
variant H1N1 du virus de la grippe A et les
incertitudes sur son pouvoir pathogène réel
relancent la crainte d’une pandémie. Ces deux
exemples illustrent l’importance de la
recherche en virologie.
dOSSIER
Une seconde forme de vie
page 20
Depuis leur découverte, les virus ont posé un
problème de fond aux biologistes pour les
situer dans l’ensemble du monde vivant. Les
travaux réalisés au cours de ces dernières
années conduisent à considérer les virus
comme des microorganismes sans cellules
représentant une seconde forme de vie
terrestre, à côté de la forme cellulaire que l’on
retrouve chez les archées, les bactéries ou les
eucaryotes. Il est aujourd’hui admis que les
virus sont beaucoup plus nombreux et divers
que les cellules qui les hébergent. Ils ont
probablement joué un rôle majeur dans
l’origine et l’évolution des génomes à ADN.
Virrus émergent
Le terme « virus émergent » est une notion
complètement différente de celle tenant à
l’origine des virus. Il relève de l’épidémiologie
et traduit différents contextes : un nouvel hôte
pour un virus déjà connu, une nouvelle aire
géographique et parfois un nouveau virus. Le
concept d’émergence virale est inhérent à la
stratégie d’investigation mise en œuvre en
réponse à un événement ainsi qu’aux
technologies disponibles. On parle également
de virus ré-émergent lorsque la fréquence de
l’agent infectieux devenu rare augmente à
nouveau. Les activités humaines et les facteurs
environnementaux augmentent la probabilité
d’émergence et de ré-émergence virale. Les
>>> Virus Chikungunya dans des cellules humaines en culture en
microscopie à fluorescence. © Inserm / Institut Pasteur.
voyages, les activités commerciales, le contact
avec les animaux offrent aux virus de
nombreuses opportunités de diffuser dans de
nouvelles aires sur la planète.
Laboratoire de sécurité
Plusieurs équipes de virologues toulousains
travaillent sur ces sujets, notamment sur les
maladies émergentes ou les infections virales
qui surviennent chez les personnes
immunodéprimées. Elles étudient des
mécanismes moléculaires impliqués dans
le franchissement de la barrière interespèces,
l’étude des mécanismes de persistance et la
physiopathologie des infections virales. Ces
recherches, nécessitant des infrastructures
spécifiques (laboratoire de sécurité P3,
animaleries A2 et A3), sont développées
sur le site du CHU, au sein du Centre de
Physiopathologie de Toulouse-Purpan (CPTP) et
sur le site de l’Ecole nationale vétérinaire de
Toulouse. Elles bénéficient des plate-formes
performantes de l’Institut fédératif de recherche
bio-médicale de Toulouse (IFR 150) et d’un
partenariat très efficace dans la recherche
translationnelle avec les services hospitaliers
de maladies infectieuses, transplantation,
hépatologie et neurologie.
Contact : [email protected]
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 17
dOSSIER
Virus et maladies
émergentes
Combattre
le cytomégalovirus
D'ordinaire bénigne, l'infection par le cytomégalovirus s'avère dangereuse
chez les foetus et les personnes immunodéprimées. L'analyse de son mode
d'action devrait permettre de mieux les protéger.
>>> Christian DAVRINCHE, directeur
de recherche Inserm, au Centre de
physiopathologie de Toulouse Purpan
(CPTP, unité mixte UPS/CNRS).
Le cytomégalovirus humain (CMV) aussi appelé
herpèsvirus 5 (HHV-5) est un membre de la famille
des virus de l’herpès. Son génome est constitué
d’ADN qui reste latent dans nos cellules après une
primo-infection. L’infection est généralement un
événement sans conséquences cliniques sérieuses,
quand l’hôte possède un système immunitaire
performant. Lorsque l’hôte est incapable d’assurer
cette surveillance comme cela est le cas chez les
immunodéprimés (suite à une greffe ou une maladie
comme le SIDA…) et chez le fœtus, l’infection
conduit alors à des pathologies graves (rétinites,
hépatites, pneumonies), parfois mortelles. Pour ces
raisons, le CMV est un problème de santé publique
majeur.
Chez le foetus, le CMV peut retarder la croissance et
provoquer un accouchement prématuré. À la
naissance, des handicaps neurologiques sévères
peuvent apparaître : déficits cognitifs et sensoriels,
microcéphalies, lissencéphalies.. Si les mécanismes de
transmission materno-fœtale sont mal connus on sait
néanmoins que le placenta joue un rôle central
puisqu’il est toujours infecté trois à quatre semaines
avant le fœtus..
Vaccin
Pour parvenir à pronostiquer les risques de séquelles
chez les nouveaux-nés et à les prévenir par une
approche thérapeutique adéquate, le Centre de
physiopathologie de Toulouse-Purpan étudie les
mécanismes de l'infection qui interfèrent avec la
placentation et le développement fœtal. On cherche
également à décortiquer la réponse anti-virale
capable, chez les personnes saines, de contrôler le
virus. Ce travail s'avérera essentiel pour concevoir
un vaccin et des traitements pour les personnes
greffées. Les deux axes développés par le laboratoire
visent à améliorer le diagnostic et le suivi des
patients greffés (reconstitution immunitaire…) et des
nouveau-nés (déficits neurologiques) victimes d’une
infection par le CMV.
page 21
>>> Cytomégalovirus (CMV), surrénale (x 800).
©Inserm.
Cellules souches
Notre équipe dispose de nombreux modèles de culture
in vitro de cellules issues du sang circulant ou de
tissu placentaire. Ils sont à la base de nos recherches
sur l’étude des mécanismes d’échappement viral et
d’inhibition des mécanismes de migration et
d’invasion placentaire. Ces approches in vitro sont
validées par l’analyse ex vivo de prélèvements issus
de patients greffés virémiques et de placentas
infectés. Une démarche innovante basée sur la
culture de cellules souches pluripotentes induites
(iPS) permet également d’appréhender l’analyse des
facteurs responsables des troubles de la
différentiation neuronale associés à l’infection fœtale.
Contact : [email protected]
Virus et maladies
émergentes
Débusquer le VIH
où il se cache
dOSSIER
Même si les multithérapies réduisent la charge virale des malades du sida à
un niveau indétectable, le virus n'est jamais totalement éradiqué. En cause,
des cellules servant de réservoirs au VIH.
>>> Pierre DELOBEL, Médecin dans le Service
des Maladies Infectieuses du CHU Purpan et
chercheur au CPTP (unité mixte UPS/Inserm).
© C. Frésillon/CNRS.
Depuis 1996, les multithérapies antirétrovirales
hautement actives (HAART) permettent un contrôle
efficace de la réplication du virus de l’immunodéficience
humaine de type 1 (VIH-1), réduisant la virémie à des
niveaux « indétectables ».
Ce contrôle virologique conduit à une restauration
immunitaire substantielle ainsi qu'à une diminution
de la morbidité et de la mortalité associées au VIH.
Cependant, ces associations médicamenteuses ne
permettent pas l’éradication du virus du fait de
l’existence de réservoirs viraux. L’obstacle majeur à
l’éradication du VIH-1 est en effet l’établissement
d’une infection latente.
Réplication résiduelle
Les provirus intégrés dans les lymphocytes T-CD4+
mémoires quiescents à longue durée de vie, inductibles
en cas d’activation cellulaire, constituent le réservoir
cellulaire latent le plus important et le mieux caractérisé
du VIH-1. Cependant d’autres types cellulaires sont
également impliqués dans la persistance du VIH-1,
notamment les cellules T CD4+ naïves et les
macrophages tissulaires. Le nombre de cellules infectées
de façon latente par le VIH-1 diminue de façon
importante à l’initiation du traitement antirétroviral
puis plus progressivement jusqu’à atteindre un niveau
faible mais stable. Cette stabilité apparente du réservoir
latent du VIH-1 pourrait être en partie expliquée par
une réalimentation permanente de ce compartiment
par une réplication virale résiduelle persistant sous
traitement antirétroviral. Certains compartiments
cellulaires ou sites anatomiques sont en effet peu ou
pas permissifs à la surveillance immunitaire et/ou
à une pénétration efficace des antirétroviraux.
L’éradication du VIH-1 par les combinaisons
d’antirétroviraux actuels étant impossible, l’étude des
mécanismes de la persistance et de la dynamique virale
sous traitement antirétroviral efficace constitue un
élément essentiel pour l’élaboration de nouvelles
stratégies thérapeutiques.
Sanctuaires
Notre équipe s’intéresse à la dynamique de l’infection
par le VIH-1 sous traitement et notamment à l’impact
respectif des virus utilisant les corécepteurs d’entrée
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>>> Bourgeonnement de VIH à la membrane plasmique de cellules
THP-1 infectées. (Microscopie électronique à transmission,
grossissement x 20 000, Centre de microscopie électronique
appliqué à la biologie, UPS).
CCR5 (virus R5) ou CXCR4 (virus X4) sur
l’homéostasie lymphocytaire T chez des patients sous
traitement antirétroviral efficace. L’étude des réservoirs
cellulaires dans cette situation a permis de mettre en
évidence une sélection progressive des virus de type X4
dans les cellules mononuclées du sang périphérique de
patients sous traitement efficace. L’émergence de
variants X4 est corrélée à une lymphopénie T CD4+
persistante observée chez certains patients malgré une
charge virale plasmatique « indétectable ». De plus,
sous thérapie efficace, on a démontré que les
populations de VIH-1 étaient compartimentées entre
différents types cellulaires du sang circulant. Nous
cherchons actuellement à caractériser la réplication
résiduelle du VIH-1 dans différents compartiments
sanctuaires de l’organisme et notamment au sein du
tissu lymphoïde associé aux muqueuses digestives
(GALT). Le GALT représente un tissu clé de l’infection
par le VIH-1 puisqu’il contient la majorité des
lymphocytes, et est une cible précoce importante de la
réplication virale ainsi qu'un site de déplétion sévère
des lymphocytes T CD4+. Une déplétion des T CD4+
peut persister dans le GALT malgré une restauration
en apparence satisfaisante du taux de lymphocytes
périphériques. Une réplication virale résiduelle dans le
GALT, associée à des mécanismes d’inflammation et
d’apoptose persistants, pourrait être impliquée dans
ce défaut de reconstitution T CD4+.
Contacts : [email protected] et
[email protected]
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 17
dOSSIER
Virus et maladies
émergentes
Quand les virus
s’attaquent au cerveau
Virus et cerveau, une interaction complexe et souvent délétère. Les maladies
psychiatriques, un problème majeur de santé publique, sont des maladies
d’origine complexe et vraisemblablement multifactorielle. En dehors de
facteurs génétiques ou liés à l'environnement, on soupçonne qu'une infection
virale pourrait également jouer un rôle dans l'étiologie de ces troubles.
>>> Daniel DUNIA, chargé de recherche
Inserm au Centre de Physiopathologie de
Toulouse-Purpan (CPTP, unité mixte
UPS/Inserm). © C. Frésillon/CNRS.
Un virus à l’origine d’une maladie mentale ?
L’hypothèse n’a rien d’absurde quand on sait que le
système nerveux central (SNC) est la cible de
nombreuses infections virales persistantes, qui
peuvent conduire à des troubles comportementaux.
Le Bornavirus (Borna disease virus ou BDV) est un
modèle idéal pour étudier l’impact des virus sur la
fonction des neurones et de leurs conséquences sur le
comportement. Le Bornavirus est un virus
neurotrope responsable de maladies du SNC chez un
large spectre d'espèces de mammifères. C'est un
virus enveloppé dont le génome est constitué d'une
molécule d'ARN simple brin de polarité négative. Le
BDV se distingue par des propriétés uniques. Il est
notamment capable de faire répliquer et transcrire
son génome au sein même du noyau de la cellule et
de développer une stratégie complexe de régulation
de son expression génique. La maladie liée au BDV
a été décrite à l'origine comme une affection
neurologique touchant les chevaux et d'autres
animaux des fermes du sud-ouest de l’Allemagne.
Des résultats récents montrent que le spectre d'hôtes,
la prévalence et la distribution géographique
du virus sont beaucoup plus étendus
que supposés au départ.
Infection de l’homme
De nombreux éléments sérologiques et moléculaires
démontrent que le BDV peut infecter l'homme et
il a été avancé que ce virus pourrait être associé à
des syndromes neuropsychiatriques divers.
Cependant, l'épidémiologie et les conséquences
réelles de l'infection humaine par le BDV restent
un sujet controversé. Il n'en reste pas moins que le
spectre d'hôte remarquablement large du virus, ainsi
que l'accumulation de données sérologiques et de
détection du virus dans des échantillons humains,
font du BDV une zoonose possible, ayant des
conséquences cliniques encore mal définies.
page 23
>>> Culture de neurones primaires infectée par le Bornavirus.
La présence du virus est révélée par immunofluorescence (vert) ;
©Inserm – D.Gonzales-Dunia.
Virus mutants
Dans ce contexte, notre équipe a développé un
programme de recherche. Il vise d’une part à élucider
les mécanismes par lesquels le BDV peut perturber le
fonctionnement neuronal, y compris en l'absence de
destruction cellulaire ou d'inflammation et
d'identifier les déterminants viraux responsables.
D’autre part à définir les effecteurs immunitaires
responsables de manifestations immunopathologiques
du système nerveux central, en utilisant le modèle de
la maladie neuro-inflammatoire induite par le BDV.
Grâce à l'utilisation d'approches combinant imagerie
fonctionnelle et électrophysiologie, nous avons ainsi
démontré que le Bornavirus interférait spécifiquement
avec les phénomènes de plasticité neuronale. Nous
avons également réalisé une analyse globale de
l'impact du BDV sur le protéome neuronal, qui a
confirmé le ciblage sélectif de voies cellulaires
impliquées dans le remodelage neuronal. Plus
récemment, grâce à l'utilisation de virus mutants
produits par génétique inverse, nous avons découvert
le rôle central de la phosphoprotéine virale et de son
interférence avec la signalisation dépendant de la
PKC dans la physiopathologie de l'infection.
Contact : [email protected]
Virus et maladies
émergentes
Le virus de l’hépatite E s’installe
dans les pays industrialisés
L’hépatite E a longtemps été considérée comme une maladie exotique. Or le
virus se diffuse actuellement dans les pays industrialisés et l’infection peut
devenir chronique chez les personnes immunodéprimées.
>>> Jacques IZOPET, professeur de l’Université
Paul Sabatier, praticien hospitalier et chercheur au
Centre de physiopatologie de Toulouse Purpan
(CPTP, unité mixte UPS/Inserm).
L’hépatite E est avant tout une hépatite virale aiguë
que l’on attrape à partir de l’eau contaminée. Elle
évolue selon un mode épidémique dans les régions
tropicales et subtropicales. Des cas sporadiques
survenant chez des sujets n’ayant jamais séjourné en
région endémique sont cependant de plus en plus
fréquemment identifiés dans les pays industrialisés.
dOSSIER
© C. Frésillon/CNRS.
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Emergence de souches plus virulante
Le virus de l’hépatite E (HEV) est un petit virus nonenveloppé d’environ 30 nm de diamètre possédant une
capside de symétrie icosaédrique (en forme de polyèdre
à 20 faces). On distingue quatre génotypes. Les
génotypes 1 et 2 ont été isolés uniquement chez
l’homme dans des pays non industrialisés. Les
génotypes 3 et 4 ont été isolés à la fois chez l’homme
et chez l’animal (porc, sanglier, cerf). Alors que la
répartition géographique du génotype 4 est limitée à
l’Asie, le génotype 3 présente une large distribution sur
l’ensemble des continents. Des événements de
recombinaison entre souches humaines et animales
pourraient conduire à l’émergence de souches plus
virulentes et/ou mieux adaptées à l’homme.
Viande insuffisamment cuite
La grande majorité des cas sporadiques est d’origine
autochtone et toutes les tranches d’âge sont
concernées. En France, la prévalence des anticorps
anti-HEV mesurée chez les donneurs de sang est
variable selon les régions : 3,2 % pour la région
parisienne et l’ouest de la France mais 16,6 % pour
la région toulousaine où des cas autochtones sont
fréquemment rapportés. Le virus a pu être identifié
dans les eaux usées mais cela ne prouve pas que le
vecteur hydrique soit la cause des contaminations.
La consommation de viande de porc insuffisamment
cuite ou de produits non cuits sous la forme de
salaisons constitue un facteur de risque car de
nombreux élevages porcins sont contaminés.
Un contact direct avec des animaux infectés
peut aussi être à l’origine d’infections.
>>> Répartition géographique des génotypes du virus de l’hépatite E.
Infection chronique
A l’instar de l’infection par le virus de l’hépatite A, on
considérait jusqu’à présent que l’infection par HEV
était constamment résolutive. Or, nous avons montré
que l’infection aiguë peut évoluer vers une infection
chronique dans différentes situations
d’immunodépression.
Nos travaux, conduits en collaboration avec les équipes
cliniques du CHU de Toulouse (Unité de
Transplantation d’Organes, Service d’Hépatologie,
Service de Médecine interne) ont montré pour la
première fois que le virus pouvait persister dans le sang
des personnes immunodéprimées et conduire à des
hépatites chroniques et à des cirrhoses. Notre équipe ne
s’est pas arrêtée à ce constat puisqu’elle a également
montré qu’un traitement par interféron permettait
d’obtenir une guérison chez le transplanté hépatique.
Au programme des futurs travaux : identifier les
déterminants associés au spectre d’hôte du virus et au
franchissement de la barrière d’espèce ; et caractériser
les facteurs viraux et les facteurs de l’hôte associés à la
persistance du virus chez l’immunodéprimé et à la
progression de la fibrose hépatique chez les individus
chroniquement infectés.
Contact : [email protected]
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 17
dOSSIER
Virus et maladies
émergentes
Comment la grippe aviaire
devient une grippe humaine
Les virus influenza A, agents de grippes animales et humaines, ont en commun
un réservoir aviaire et une grande faculté d’évolution qui leur permet de
s’adapter à de nouveaux hôtes.
>>> Jean-Luc GUERIN, directeur de l'unité
mixte INRA/ENVT “interactions hôtes-agents
pathogènes” (IHAP). © C. Frésillon/CNRS.
>>> Représentation tridimensionnelle
après observation en microscopie confocale de la
relocalisation subcellulaire de facteurs nucléolaires
dans les cellules humaines infectée
par le virus H5N1. © Inserm.
Les virus Influenza de type A sont les agents des
grippes animales et humaines. On distingue de
nombreux sous-types définis par la combinaison de
deux glycoprotéines de surface : une des 16
hémagglutinines (H) et une des 9 neuraminidases
(N). Les virus susceptibles d’être hautement
pathogènes pour la volaille appartiennent tous aux
sous-types H5 ou H7. Par contre, les virus à l’origine
de pandémies chez l’homme à ce jour sont tous de
sous-types H1N1 (1918), H2N2 (1957) ou H3N2
(1968). Le génome de ces virus est constitué de 8
brins d’ARN qui peuvent se réassortir, en cas de coinfection d’une cellule cible par différents génotypes
viraux, qu’ils soient aviaires, humains ou porcins.
Ces échanges de gènes sont sans doute à l’origine de
l’émergence des virus pandémiques, redoutés chez
l’homme. Cette crainte, nourrie par les épizooties
récentes de « grippe aviaire » à virus H5N1, amène
les pouvoirs publics à réévaluer le risque
épidémiologique représenté par les infections aviaires
à virus Influenza A, qu’ils soient faiblement (IAFP)
ou hautement pathogènes (IAHP). Dans l'unité
de recherche Interactions hôtes-agents pathogènes
(IHAP-Inra-ENVT), les chercheurs s'intéressent aux
modalités conduisant à l'infection à virus influenza
A chez le canard, analysant notamment la réponse
antivirale développée chez cet hôte.
Du canard au poulet
Pourquoi le canard ? Les oiseaux aquatiques
constituent le réservoir principal de virus Influenza
A et c’est chez eux que l’on peut isoler la plus grande
variété de sous-types viraux, les sous-types H5 et H7
étant minoritaires. Ces infections sont le plus
souvent asymptomatiques, même si l’expression de
signes cliniques a été rapportée lors des épisodes
récents d’influenza aviaire hautement pathogène
H5N1 asiatique. Chez les oiseaux aquatiques, comme
le canard, l’infection est essentiellement digestive, les
fientes pouvant renfermer des quantités considérables
de virus. Le poulet et la dinde sont par contre des
page 25
hôtes accidentels du virus, et ils présentent des
signes cliniques très sévères en cas d’infection par
un virus hautement pathogène.
Ces différences de réactions jouent un grand rôle
dans l'évolution du virus. Lorsqu'un virus passe du
canard vers le poulet il est soumis à une pression de
sélection importante. En effet, plus le virus conduira
son hôte rapidement à la mort, moins il aura luimême de chances de proliférer. De ce fait, le passage
d’un virus du canard vers le poulet s’accompagne
souvent de l’émergence de modifications génétiques
des virus, qui leur confèrent sans doute un avantage
adaptatif chez ce nouvel hôte. En revanche, les virus
restent le plus souvent génétiquement stables dans
l’hôte réservoir canard. Cette stabilité génétique des
virus et l’absence de symptômes lors des infections
des canards témoignent d’une interaction particulière
entre les virus Influenza et leur hôte réservoir
naturel.
Virulence accrue
Notre équipe s’intéresse en parallèle aux facteurs de
virulence des virus influenza. Les virus influenza
développent des stratégies variées pour déjouer les
mécanismes de défenses mis en œuvre par l’hôte, en
codant pour des facteurs de virulence. Parmi ceux-ci,
la protéine NS1 a la propriété de contrer la réponse
Interféron, pivot de la défense anti-virale innée, en
interagissant avec des protéines cellulaires et en
bloquant leur fonction. Grâce à la très grande
capacité évolutive des virus influenza, le passage du
virus de son hôte réservoir canard vers d’autres hôtes
s’accompagne souvent de mutations dans la séquence
de la protéine NS1, qui permettent au virus de
mieux se répliquer et donc de gagner en virulence. La
connaissance de ces « signatures » virales, associées
à un hôte donné, est déterminante pour mieux
comprendre les risques associés au passage de la
barrière d’espèce par les virus influenza.
Contact : [email protected] et [email protected]
dOSSIER
Virus et maladies
émergeantes
La maladie de la « langue bleue »
arrive en Europe
La maladie de la langue bleue, ou fièvre catarrhale bovine, se répand en Europe.
Curieusement, elle ne touche pas toutes les espèces animales de la même
manière.
>>> Gilles MEYER, maître de conférence et
chercheur au laboratoire Interactions
hôtes agents pathogènes (IHAP, unité mixte
INRA/Ecole nationale vétérinaire de Toulouse).
La fièvre catarrhale ovine (FCO) ou bluetongue est
une arbovirose non contagieuse, transmise par des
arthropodes hématophages du genre Culicoides. Cette
maladie est due à l’infection par le virus de la
bluetongue (BTV), virus de la famille des Reoviridae,
genre Orbivirus, dont il existe 24 sérotypes différents.
Si elle faisait autrefois de rares incursions en Europe
du Sud, cette maladie tropicale a été identifiée en
Europe du Nord en 2006. En deux ans, le virus BTV
de sérotype 8 a envahi tous les pays de l’Union
Européenne où il s’installe probablement sous forme
endémique. En 2007, le sérotype 1 a émergé en
Espagne et dans le sud-ouest de la France.
Actuellement, il est difficile de prévoir l’émergence
d’un nouveau sérotype en Europe.
Impact économique majeur
L’émergence de la FCO en Europe a eu un impact
économique majeur sur les productions de ruminants
et sur le monde agricole. Devant l’ampleur des
préjudices causés par cette maladie, une campagne de
vaccination obligatoire de tout le cheptel de
ruminants domestiques a été menée en 2008 par les
autorités françaises.
Compte tenu de sa transmission indirecte par des
moucherons et de l’inefficacité des moyens de lutte
contre le vecteur, la vaccination reste le moyen de
contrôle le plus efficace. Toutefois la vaccination se
heurte à plusieurs
difficultés :
l’absence de
connaissances
poussées sur la
réponse
immunitaire
humorale et
cellulaire lors
d’infection virale,
l’absence de
protection croisée
entre les sérotypes
du BTV et l’absence
de vaccins
permettant de
différencier par
>>> Extension de la bluetongue en Europe depuis 2006.
sérologie des
Chaque couleur correspond à une famille de sérotypes.
animaux vaccinés et
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infectés et donc d’envisager des plans de contrôle
sanitaire.
L’absence de protection sérotypique croisée implique
qu’en cas d’arrivée d’un nouveau sérotype éloigné, les
animaux ne seront pas protégés et aucun vaccin ne
serait rapidement disponible. Un des enjeux actuels
de la recherche appliquée est donc l’obtention de
vaccins DIVA (Differentiated infected from vaccinated
animals) de seconde génération capables de protéger
simultanément contre plusieurs sérotypes viraux.
Variations à l’infection inexpliquées
La FCO affecte plusieurs espèces de ruminants
domestiques et sauvages. Toutefois la sensibilité
des espèces est différente. Les moutons expriment
les formes cliniques sévères alors que les bovins et
les caprins représentent plutôt des espèces réservoirs
avec des infections subcliniques. Au sein d’une même
espèce des différences de sensibilité à la maladie
seraient observées entre races. Les déterminants qui
modulent ces différences ne sont pas identifiés mais
ils touchent à la fois à des paramètres intrinsèques
à l'hôte et à la virulence des sérotypes et souches
virales.
L’expression clinique de la maladie résulte
d’une atteinte des endothéliums de la micro et
macrovascularisation. L’atteinte différentielle des
endothéliums entre espèces pourrait expliquer les
différences de sensibilité à la maladie. Toutefois les
mécanismes physiopathologiques restent encore peu
élucidés. Notamment, on ne sait pas si l’atteinte des
endothéliums résulte d’un effet cytopathique direct
du virus ou de la réponse à des médiateurs produits
par les cellules mononuclées sanguines infectées.
De même, on ignore les facteurs viraux impliqués
dans ces processus.
Notre équipe s’est attaquée à ce mystère. Il effectue
des études in vivo de la distribution virale et de la
réponse de l’hôte, lors d’infections expérimentales
à BTV chez des races ovines sensibles et supposées
résistantes. Il utilise aussi une approche de virologie
moléculaire et cellulaire sur des modèles in vitro, pour
identifier les réponses des cellules cibles à l’infection
par le BTV. De quoi élucider les raisons des
différences de sensibilité des ruminants à l’infection
par le virus de la FCO.
Contact : [email protected]
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 17