9363_UPS-Mag17_FR_virus et maladies emergentes
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VIRUS ET MALADIES ÉMERGENTES Les virus émergents Mystérieux virus... On ne sait pas très bien d'où ils viennent, on ne sait pas prédire l'émergence de nouvelles maladies virales. Pourtant, ils constituent un des pires fléaux de l'humanité. >>> Jacques IZOPET, professeur de l’université Paul Sabatier, praticien hospitalier et chercheur au centre de physiopatologie de Toulouse Purpan (CPTP, unité mixte UPS/Inserm) © C. Frésillon/CNRS. En 2002, l’irruption du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en Asie a frappé les esprits. En quelques mois, un coronavirus animal a surgi des marchés du sud-est de la Chine et mis en péril les systèmes de santé du monde entier. L’émergence en 2009 d’un nouveau variant H1N1 du virus de la grippe A et les incertitudes sur son pouvoir pathogène réel relancent la crainte d’une pandémie. Ces deux exemples illustrent l’importance de la recherche en virologie. dOSSIER Une seconde forme de vie page 20 Depuis leur découverte, les virus ont posé un problème de fond aux biologistes pour les situer dans l’ensemble du monde vivant. Les travaux réalisés au cours de ces dernières années conduisent à considérer les virus comme des microorganismes sans cellules représentant une seconde forme de vie terrestre, à côté de la forme cellulaire que l’on retrouve chez les archées, les bactéries ou les eucaryotes. Il est aujourd’hui admis que les virus sont beaucoup plus nombreux et divers que les cellules qui les hébergent. Ils ont probablement joué un rôle majeur dans l’origine et l’évolution des génomes à ADN. Virrus émergent Le terme « virus émergent » est une notion complètement différente de celle tenant à l’origine des virus. Il relève de l’épidémiologie et traduit différents contextes : un nouvel hôte pour un virus déjà connu, une nouvelle aire géographique et parfois un nouveau virus. Le concept d’émergence virale est inhérent à la stratégie d’investigation mise en œuvre en réponse à un événement ainsi qu’aux technologies disponibles. On parle également de virus ré-émergent lorsque la fréquence de l’agent infectieux devenu rare augmente à nouveau. Les activités humaines et les facteurs environnementaux augmentent la probabilité d’émergence et de ré-émergence virale. Les >>> Virus Chikungunya dans des cellules humaines en culture en microscopie à fluorescence. © Inserm / Institut Pasteur. voyages, les activités commerciales, le contact avec les animaux offrent aux virus de nombreuses opportunités de diffuser dans de nouvelles aires sur la planète. Laboratoire de sécurité Plusieurs équipes de virologues toulousains travaillent sur ces sujets, notamment sur les maladies émergentes ou les infections virales qui surviennent chez les personnes immunodéprimées. Elles étudient des mécanismes moléculaires impliqués dans le franchissement de la barrière interespèces, l’étude des mécanismes de persistance et la physiopathologie des infections virales. Ces recherches, nécessitant des infrastructures spécifiques (laboratoire de sécurité P3, animaleries A2 et A3), sont développées sur le site du CHU, au sein du Centre de Physiopathologie de Toulouse-Purpan (CPTP) et sur le site de l’Ecole nationale vétérinaire de Toulouse. Elles bénéficient des plate-formes performantes de l’Institut fédératif de recherche bio-médicale de Toulouse (IFR 150) et d’un partenariat très efficace dans la recherche translationnelle avec les services hospitaliers de maladies infectieuses, transplantation, hépatologie et neurologie. Contact : [email protected] Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 17 dOSSIER Virus et maladies émergentes Combattre le cytomégalovirus D'ordinaire bénigne, l'infection par le cytomégalovirus s'avère dangereuse chez les foetus et les personnes immunodéprimées. L'analyse de son mode d'action devrait permettre de mieux les protéger. >>> Christian DAVRINCHE, directeur de recherche Inserm, au Centre de physiopathologie de Toulouse Purpan (CPTP, unité mixte UPS/CNRS). Le cytomégalovirus humain (CMV) aussi appelé herpèsvirus 5 (HHV-5) est un membre de la famille des virus de l’herpès. Son génome est constitué d’ADN qui reste latent dans nos cellules après une primo-infection. L’infection est généralement un événement sans conséquences cliniques sérieuses, quand l’hôte possède un système immunitaire performant. Lorsque l’hôte est incapable d’assurer cette surveillance comme cela est le cas chez les immunodéprimés (suite à une greffe ou une maladie comme le SIDA…) et chez le fœtus, l’infection conduit alors à des pathologies graves (rétinites, hépatites, pneumonies), parfois mortelles. Pour ces raisons, le CMV est un problème de santé publique majeur. Chez le foetus, le CMV peut retarder la croissance et provoquer un accouchement prématuré. À la naissance, des handicaps neurologiques sévères peuvent apparaître : déficits cognitifs et sensoriels, microcéphalies, lissencéphalies.. Si les mécanismes de transmission materno-fœtale sont mal connus on sait néanmoins que le placenta joue un rôle central puisqu’il est toujours infecté trois à quatre semaines avant le fœtus.. Vaccin Pour parvenir à pronostiquer les risques de séquelles chez les nouveaux-nés et à les prévenir par une approche thérapeutique adéquate, le Centre de physiopathologie de Toulouse-Purpan étudie les mécanismes de l'infection qui interfèrent avec la placentation et le développement fœtal. On cherche également à décortiquer la réponse anti-virale capable, chez les personnes saines, de contrôler le virus. Ce travail s'avérera essentiel pour concevoir un vaccin et des traitements pour les personnes greffées. Les deux axes développés par le laboratoire visent à améliorer le diagnostic et le suivi des patients greffés (reconstitution immunitaire…) et des nouveau-nés (déficits neurologiques) victimes d’une infection par le CMV. page 21 >>> Cytomégalovirus (CMV), surrénale (x 800). ©Inserm. Cellules souches Notre équipe dispose de nombreux modèles de culture in vitro de cellules issues du sang circulant ou de tissu placentaire. Ils sont à la base de nos recherches sur l’étude des mécanismes d’échappement viral et d’inhibition des mécanismes de migration et d’invasion placentaire. Ces approches in vitro sont validées par l’analyse ex vivo de prélèvements issus de patients greffés virémiques et de placentas infectés. Une démarche innovante basée sur la culture de cellules souches pluripotentes induites (iPS) permet également d’appréhender l’analyse des facteurs responsables des troubles de la différentiation neuronale associés à l’infection fœtale. Contact : [email protected] Virus et maladies émergentes Débusquer le VIH où il se cache dOSSIER Même si les multithérapies réduisent la charge virale des malades du sida à un niveau indétectable, le virus n'est jamais totalement éradiqué. En cause, des cellules servant de réservoirs au VIH. >>> Pierre DELOBEL, Médecin dans le Service des Maladies Infectieuses du CHU Purpan et chercheur au CPTP (unité mixte UPS/Inserm). © C. Frésillon/CNRS. Depuis 1996, les multithérapies antirétrovirales hautement actives (HAART) permettent un contrôle efficace de la réplication du virus de l’immunodéficience humaine de type 1 (VIH-1), réduisant la virémie à des niveaux « indétectables ». Ce contrôle virologique conduit à une restauration immunitaire substantielle ainsi qu'à une diminution de la morbidité et de la mortalité associées au VIH. Cependant, ces associations médicamenteuses ne permettent pas l’éradication du virus du fait de l’existence de réservoirs viraux. L’obstacle majeur à l’éradication du VIH-1 est en effet l’établissement d’une infection latente. Réplication résiduelle Les provirus intégrés dans les lymphocytes T-CD4+ mémoires quiescents à longue durée de vie, inductibles en cas d’activation cellulaire, constituent le réservoir cellulaire latent le plus important et le mieux caractérisé du VIH-1. Cependant d’autres types cellulaires sont également impliqués dans la persistance du VIH-1, notamment les cellules T CD4+ naïves et les macrophages tissulaires. Le nombre de cellules infectées de façon latente par le VIH-1 diminue de façon importante à l’initiation du traitement antirétroviral puis plus progressivement jusqu’à atteindre un niveau faible mais stable. Cette stabilité apparente du réservoir latent du VIH-1 pourrait être en partie expliquée par une réalimentation permanente de ce compartiment par une réplication virale résiduelle persistant sous traitement antirétroviral. Certains compartiments cellulaires ou sites anatomiques sont en effet peu ou pas permissifs à la surveillance immunitaire et/ou à une pénétration efficace des antirétroviraux. L’éradication du VIH-1 par les combinaisons d’antirétroviraux actuels étant impossible, l’étude des mécanismes de la persistance et de la dynamique virale sous traitement antirétroviral efficace constitue un élément essentiel pour l’élaboration de nouvelles stratégies thérapeutiques. Sanctuaires Notre équipe s’intéresse à la dynamique de l’infection par le VIH-1 sous traitement et notamment à l’impact respectif des virus utilisant les corécepteurs d’entrée page 22 >>> Bourgeonnement de VIH à la membrane plasmique de cellules THP-1 infectées. (Microscopie électronique à transmission, grossissement x 20 000, Centre de microscopie électronique appliqué à la biologie, UPS). CCR5 (virus R5) ou CXCR4 (virus X4) sur l’homéostasie lymphocytaire T chez des patients sous traitement antirétroviral efficace. L’étude des réservoirs cellulaires dans cette situation a permis de mettre en évidence une sélection progressive des virus de type X4 dans les cellules mononuclées du sang périphérique de patients sous traitement efficace. L’émergence de variants X4 est corrélée à une lymphopénie T CD4+ persistante observée chez certains patients malgré une charge virale plasmatique « indétectable ». De plus, sous thérapie efficace, on a démontré que les populations de VIH-1 étaient compartimentées entre différents types cellulaires du sang circulant. Nous cherchons actuellement à caractériser la réplication résiduelle du VIH-1 dans différents compartiments sanctuaires de l’organisme et notamment au sein du tissu lymphoïde associé aux muqueuses digestives (GALT). Le GALT représente un tissu clé de l’infection par le VIH-1 puisqu’il contient la majorité des lymphocytes, et est une cible précoce importante de la réplication virale ainsi qu'un site de déplétion sévère des lymphocytes T CD4+. Une déplétion des T CD4+ peut persister dans le GALT malgré une restauration en apparence satisfaisante du taux de lymphocytes périphériques. Une réplication virale résiduelle dans le GALT, associée à des mécanismes d’inflammation et d’apoptose persistants, pourrait être impliquée dans ce défaut de reconstitution T CD4+. Contacts : [email protected] et [email protected] Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 17 dOSSIER Virus et maladies émergentes Quand les virus s’attaquent au cerveau Virus et cerveau, une interaction complexe et souvent délétère. Les maladies psychiatriques, un problème majeur de santé publique, sont des maladies d’origine complexe et vraisemblablement multifactorielle. En dehors de facteurs génétiques ou liés à l'environnement, on soupçonne qu'une infection virale pourrait également jouer un rôle dans l'étiologie de ces troubles. >>> Daniel DUNIA, chargé de recherche Inserm au Centre de Physiopathologie de Toulouse-Purpan (CPTP, unité mixte UPS/Inserm). © C. Frésillon/CNRS. Un virus à l’origine d’une maladie mentale ? L’hypothèse n’a rien d’absurde quand on sait que le système nerveux central (SNC) est la cible de nombreuses infections virales persistantes, qui peuvent conduire à des troubles comportementaux. Le Bornavirus (Borna disease virus ou BDV) est un modèle idéal pour étudier l’impact des virus sur la fonction des neurones et de leurs conséquences sur le comportement. Le Bornavirus est un virus neurotrope responsable de maladies du SNC chez un large spectre d'espèces de mammifères. C'est un virus enveloppé dont le génome est constitué d'une molécule d'ARN simple brin de polarité négative. Le BDV se distingue par des propriétés uniques. Il est notamment capable de faire répliquer et transcrire son génome au sein même du noyau de la cellule et de développer une stratégie complexe de régulation de son expression génique. La maladie liée au BDV a été décrite à l'origine comme une affection neurologique touchant les chevaux et d'autres animaux des fermes du sud-ouest de l’Allemagne. Des résultats récents montrent que le spectre d'hôtes, la prévalence et la distribution géographique du virus sont beaucoup plus étendus que supposés au départ. Infection de l’homme De nombreux éléments sérologiques et moléculaires démontrent que le BDV peut infecter l'homme et il a été avancé que ce virus pourrait être associé à des syndromes neuropsychiatriques divers. Cependant, l'épidémiologie et les conséquences réelles de l'infection humaine par le BDV restent un sujet controversé. Il n'en reste pas moins que le spectre d'hôte remarquablement large du virus, ainsi que l'accumulation de données sérologiques et de détection du virus dans des échantillons humains, font du BDV une zoonose possible, ayant des conséquences cliniques encore mal définies. page 23 >>> Culture de neurones primaires infectée par le Bornavirus. La présence du virus est révélée par immunofluorescence (vert) ; ©Inserm – D.Gonzales-Dunia. Virus mutants Dans ce contexte, notre équipe a développé un programme de recherche. Il vise d’une part à élucider les mécanismes par lesquels le BDV peut perturber le fonctionnement neuronal, y compris en l'absence de destruction cellulaire ou d'inflammation et d'identifier les déterminants viraux responsables. D’autre part à définir les effecteurs immunitaires responsables de manifestations immunopathologiques du système nerveux central, en utilisant le modèle de la maladie neuro-inflammatoire induite par le BDV. Grâce à l'utilisation d'approches combinant imagerie fonctionnelle et électrophysiologie, nous avons ainsi démontré que le Bornavirus interférait spécifiquement avec les phénomènes de plasticité neuronale. Nous avons également réalisé une analyse globale de l'impact du BDV sur le protéome neuronal, qui a confirmé le ciblage sélectif de voies cellulaires impliquées dans le remodelage neuronal. Plus récemment, grâce à l'utilisation de virus mutants produits par génétique inverse, nous avons découvert le rôle central de la phosphoprotéine virale et de son interférence avec la signalisation dépendant de la PKC dans la physiopathologie de l'infection. Contact : [email protected] Virus et maladies émergentes Le virus de l’hépatite E s’installe dans les pays industrialisés L’hépatite E a longtemps été considérée comme une maladie exotique. Or le virus se diffuse actuellement dans les pays industrialisés et l’infection peut devenir chronique chez les personnes immunodéprimées. >>> Jacques IZOPET, professeur de l’Université Paul Sabatier, praticien hospitalier et chercheur au Centre de physiopatologie de Toulouse Purpan (CPTP, unité mixte UPS/Inserm). L’hépatite E est avant tout une hépatite virale aiguë que l’on attrape à partir de l’eau contaminée. Elle évolue selon un mode épidémique dans les régions tropicales et subtropicales. Des cas sporadiques survenant chez des sujets n’ayant jamais séjourné en région endémique sont cependant de plus en plus fréquemment identifiés dans les pays industrialisés. dOSSIER © C. Frésillon/CNRS. page 24 Emergence de souches plus virulante Le virus de l’hépatite E (HEV) est un petit virus nonenveloppé d’environ 30 nm de diamètre possédant une capside de symétrie icosaédrique (en forme de polyèdre à 20 faces). On distingue quatre génotypes. Les génotypes 1 et 2 ont été isolés uniquement chez l’homme dans des pays non industrialisés. Les génotypes 3 et 4 ont été isolés à la fois chez l’homme et chez l’animal (porc, sanglier, cerf). Alors que la répartition géographique du génotype 4 est limitée à l’Asie, le génotype 3 présente une large distribution sur l’ensemble des continents. Des événements de recombinaison entre souches humaines et animales pourraient conduire à l’émergence de souches plus virulentes et/ou mieux adaptées à l’homme. Viande insuffisamment cuite La grande majorité des cas sporadiques est d’origine autochtone et toutes les tranches d’âge sont concernées. En France, la prévalence des anticorps anti-HEV mesurée chez les donneurs de sang est variable selon les régions : 3,2 % pour la région parisienne et l’ouest de la France mais 16,6 % pour la région toulousaine où des cas autochtones sont fréquemment rapportés. Le virus a pu être identifié dans les eaux usées mais cela ne prouve pas que le vecteur hydrique soit la cause des contaminations. La consommation de viande de porc insuffisamment cuite ou de produits non cuits sous la forme de salaisons constitue un facteur de risque car de nombreux élevages porcins sont contaminés. Un contact direct avec des animaux infectés peut aussi être à l’origine d’infections. >>> Répartition géographique des génotypes du virus de l’hépatite E. Infection chronique A l’instar de l’infection par le virus de l’hépatite A, on considérait jusqu’à présent que l’infection par HEV était constamment résolutive. Or, nous avons montré que l’infection aiguë peut évoluer vers une infection chronique dans différentes situations d’immunodépression. Nos travaux, conduits en collaboration avec les équipes cliniques du CHU de Toulouse (Unité de Transplantation d’Organes, Service d’Hépatologie, Service de Médecine interne) ont montré pour la première fois que le virus pouvait persister dans le sang des personnes immunodéprimées et conduire à des hépatites chroniques et à des cirrhoses. Notre équipe ne s’est pas arrêtée à ce constat puisqu’elle a également montré qu’un traitement par interféron permettait d’obtenir une guérison chez le transplanté hépatique. Au programme des futurs travaux : identifier les déterminants associés au spectre d’hôte du virus et au franchissement de la barrière d’espèce ; et caractériser les facteurs viraux et les facteurs de l’hôte associés à la persistance du virus chez l’immunodéprimé et à la progression de la fibrose hépatique chez les individus chroniquement infectés. Contact : [email protected] Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 17 dOSSIER Virus et maladies émergentes Comment la grippe aviaire devient une grippe humaine Les virus influenza A, agents de grippes animales et humaines, ont en commun un réservoir aviaire et une grande faculté d’évolution qui leur permet de s’adapter à de nouveaux hôtes. >>> Jean-Luc GUERIN, directeur de l'unité mixte INRA/ENVT “interactions hôtes-agents pathogènes” (IHAP). © C. Frésillon/CNRS. >>> Représentation tridimensionnelle après observation en microscopie confocale de la relocalisation subcellulaire de facteurs nucléolaires dans les cellules humaines infectée par le virus H5N1. © Inserm. Les virus Influenza de type A sont les agents des grippes animales et humaines. On distingue de nombreux sous-types définis par la combinaison de deux glycoprotéines de surface : une des 16 hémagglutinines (H) et une des 9 neuraminidases (N). Les virus susceptibles d’être hautement pathogènes pour la volaille appartiennent tous aux sous-types H5 ou H7. Par contre, les virus à l’origine de pandémies chez l’homme à ce jour sont tous de sous-types H1N1 (1918), H2N2 (1957) ou H3N2 (1968). Le génome de ces virus est constitué de 8 brins d’ARN qui peuvent se réassortir, en cas de coinfection d’une cellule cible par différents génotypes viraux, qu’ils soient aviaires, humains ou porcins. Ces échanges de gènes sont sans doute à l’origine de l’émergence des virus pandémiques, redoutés chez l’homme. Cette crainte, nourrie par les épizooties récentes de « grippe aviaire » à virus H5N1, amène les pouvoirs publics à réévaluer le risque épidémiologique représenté par les infections aviaires à virus Influenza A, qu’ils soient faiblement (IAFP) ou hautement pathogènes (IAHP). Dans l'unité de recherche Interactions hôtes-agents pathogènes (IHAP-Inra-ENVT), les chercheurs s'intéressent aux modalités conduisant à l'infection à virus influenza A chez le canard, analysant notamment la réponse antivirale développée chez cet hôte. Du canard au poulet Pourquoi le canard ? Les oiseaux aquatiques constituent le réservoir principal de virus Influenza A et c’est chez eux que l’on peut isoler la plus grande variété de sous-types viraux, les sous-types H5 et H7 étant minoritaires. Ces infections sont le plus souvent asymptomatiques, même si l’expression de signes cliniques a été rapportée lors des épisodes récents d’influenza aviaire hautement pathogène H5N1 asiatique. Chez les oiseaux aquatiques, comme le canard, l’infection est essentiellement digestive, les fientes pouvant renfermer des quantités considérables de virus. Le poulet et la dinde sont par contre des page 25 hôtes accidentels du virus, et ils présentent des signes cliniques très sévères en cas d’infection par un virus hautement pathogène. Ces différences de réactions jouent un grand rôle dans l'évolution du virus. Lorsqu'un virus passe du canard vers le poulet il est soumis à une pression de sélection importante. En effet, plus le virus conduira son hôte rapidement à la mort, moins il aura luimême de chances de proliférer. De ce fait, le passage d’un virus du canard vers le poulet s’accompagne souvent de l’émergence de modifications génétiques des virus, qui leur confèrent sans doute un avantage adaptatif chez ce nouvel hôte. En revanche, les virus restent le plus souvent génétiquement stables dans l’hôte réservoir canard. Cette stabilité génétique des virus et l’absence de symptômes lors des infections des canards témoignent d’une interaction particulière entre les virus Influenza et leur hôte réservoir naturel. Virulence accrue Notre équipe s’intéresse en parallèle aux facteurs de virulence des virus influenza. Les virus influenza développent des stratégies variées pour déjouer les mécanismes de défenses mis en œuvre par l’hôte, en codant pour des facteurs de virulence. Parmi ceux-ci, la protéine NS1 a la propriété de contrer la réponse Interféron, pivot de la défense anti-virale innée, en interagissant avec des protéines cellulaires et en bloquant leur fonction. Grâce à la très grande capacité évolutive des virus influenza, le passage du virus de son hôte réservoir canard vers d’autres hôtes s’accompagne souvent de mutations dans la séquence de la protéine NS1, qui permettent au virus de mieux se répliquer et donc de gagner en virulence. La connaissance de ces « signatures » virales, associées à un hôte donné, est déterminante pour mieux comprendre les risques associés au passage de la barrière d’espèce par les virus influenza. Contact : [email protected] et [email protected] dOSSIER Virus et maladies émergeantes La maladie de la « langue bleue » arrive en Europe La maladie de la langue bleue, ou fièvre catarrhale bovine, se répand en Europe. Curieusement, elle ne touche pas toutes les espèces animales de la même manière. >>> Gilles MEYER, maître de conférence et chercheur au laboratoire Interactions hôtes agents pathogènes (IHAP, unité mixte INRA/Ecole nationale vétérinaire de Toulouse). La fièvre catarrhale ovine (FCO) ou bluetongue est une arbovirose non contagieuse, transmise par des arthropodes hématophages du genre Culicoides. Cette maladie est due à l’infection par le virus de la bluetongue (BTV), virus de la famille des Reoviridae, genre Orbivirus, dont il existe 24 sérotypes différents. Si elle faisait autrefois de rares incursions en Europe du Sud, cette maladie tropicale a été identifiée en Europe du Nord en 2006. En deux ans, le virus BTV de sérotype 8 a envahi tous les pays de l’Union Européenne où il s’installe probablement sous forme endémique. En 2007, le sérotype 1 a émergé en Espagne et dans le sud-ouest de la France. Actuellement, il est difficile de prévoir l’émergence d’un nouveau sérotype en Europe. Impact économique majeur L’émergence de la FCO en Europe a eu un impact économique majeur sur les productions de ruminants et sur le monde agricole. Devant l’ampleur des préjudices causés par cette maladie, une campagne de vaccination obligatoire de tout le cheptel de ruminants domestiques a été menée en 2008 par les autorités françaises. Compte tenu de sa transmission indirecte par des moucherons et de l’inefficacité des moyens de lutte contre le vecteur, la vaccination reste le moyen de contrôle le plus efficace. Toutefois la vaccination se heurte à plusieurs difficultés : l’absence de connaissances poussées sur la réponse immunitaire humorale et cellulaire lors d’infection virale, l’absence de protection croisée entre les sérotypes du BTV et l’absence de vaccins permettant de différencier par >>> Extension de la bluetongue en Europe depuis 2006. sérologie des Chaque couleur correspond à une famille de sérotypes. animaux vaccinés et page 26 infectés et donc d’envisager des plans de contrôle sanitaire. L’absence de protection sérotypique croisée implique qu’en cas d’arrivée d’un nouveau sérotype éloigné, les animaux ne seront pas protégés et aucun vaccin ne serait rapidement disponible. Un des enjeux actuels de la recherche appliquée est donc l’obtention de vaccins DIVA (Differentiated infected from vaccinated animals) de seconde génération capables de protéger simultanément contre plusieurs sérotypes viraux. Variations à l’infection inexpliquées La FCO affecte plusieurs espèces de ruminants domestiques et sauvages. Toutefois la sensibilité des espèces est différente. Les moutons expriment les formes cliniques sévères alors que les bovins et les caprins représentent plutôt des espèces réservoirs avec des infections subcliniques. Au sein d’une même espèce des différences de sensibilité à la maladie seraient observées entre races. Les déterminants qui modulent ces différences ne sont pas identifiés mais ils touchent à la fois à des paramètres intrinsèques à l'hôte et à la virulence des sérotypes et souches virales. L’expression clinique de la maladie résulte d’une atteinte des endothéliums de la micro et macrovascularisation. L’atteinte différentielle des endothéliums entre espèces pourrait expliquer les différences de sensibilité à la maladie. Toutefois les mécanismes physiopathologiques restent encore peu élucidés. Notamment, on ne sait pas si l’atteinte des endothéliums résulte d’un effet cytopathique direct du virus ou de la réponse à des médiateurs produits par les cellules mononuclées sanguines infectées. De même, on ignore les facteurs viraux impliqués dans ces processus. Notre équipe s’est attaquée à ce mystère. Il effectue des études in vivo de la distribution virale et de la réponse de l’hôte, lors d’infections expérimentales à BTV chez des races ovines sensibles et supposées résistantes. Il utilise aussi une approche de virologie moléculaire et cellulaire sur des modèles in vitro, pour identifier les réponses des cellules cibles à l’infection par le BTV. De quoi élucider les raisons des différences de sensibilité des ruminants à l’infection par le virus de la FCO. Contact : [email protected] Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 17