un air de famille
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un air de famille
UN AIR DE FAMILLE Cédric Klapisch, Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri La famille chante “Joyeux anniversaire” à Yolande, qui fête ses 35 ans. PHILIPPE : Vas-y, souffle. Yolande souffle les bougies. Applaudissements. BETTY : Bon, on peut l‘ouvrir, maintenant cette bouteille de Champagne ? PHILIPPE : Enfin, Betty, c’est pas interdit de l’ouvrir, cette bouteille. Je t’ai simplement demandé d’attendre que Yoyo ait soufflé les bougies… YOLANDE : C’est dommage qu’on puisse pas mettre un peu de musique. LA MÈRE (À Denis qui répare le jukebox) : Ça ne marche toujours pas ? DENIS : Je crois que je suis sur une piste, mais… PHILIPPE : Ton verre, Henri (Henri boude) Henri, bois un coup. Ça ne peut pas te faire de mal, au contraire ! LA MÈRE : Secoue-toi un peu. Fais-moi plaisir. Ne prends pas les choses au tragique comme ça. Tu ne vas pas te ronger les sangs toute la soirée avec cette histoire ! Tu n’as pas un caractère facile facile, faut le reconnaitre, elle en a eu marre, elle a pris quelques semaines de vacances, pour respirer un peu… Faut que ça respire une femme, tu sais. PHILIPPE : Non, moi ce qui me traquasse, c’est le patron. Il était dans une humeur tout à l’heure au téléphone… YOLANDE : Tu n’oublieras pas que tu dois le rappeler. PHILIPPE : Bien sûr, bien sûr, je sais, c’est dans une demi-heure… Mais, très sec : “Je ne peux pas parler maintenant…” BETTY : Il n’est jamais très tendre. PHILIPPE : Oui, je sais comment il est, mais là il était particulièrement désagréable. C’est ça qui me tracasse. Je devrais être en vacances, moi, j’en ai marre de cette histoire. HENRI : Oh ! J’ai fait un drôle de rêve, cette nuit. On était tous là comme ça autour d’une table. Moi j’avais un gros poisson dans la main. Et je donnais des coups sur la tête de maman avec, mais des gros coups de poisson, voilà. LA MÈRE : Des coups de poisson ? HENRI : Ouais. LA MÈRE : Mais c’est très bon, ça. C’est de l’argent ! Tu vas gagner de l’argent ! (Elle rit) HENRI : Ah oui ? Philippe fait sauter le bouchon de champagne. YOLANDE : Je peux commencer à ouvrir ? LA MÈRE : Bien sûr, c’est fait pour ! (Yolande prend le cadeau d’Henri) Attendez, ouvrez le petit d’abord, là. C’est mon cadeau. Vous comprendrez quand vous aurez ouvert les deux. YOLANDE (Elle ouvre) : Oh ! Qu’est-ce que c’est ? PHILIPPE : Tu vois bien ce que c’est, chéri. YOLANDE : C’est un chien en photo. BETTY : Tu fais une collection de photos de chiens ? YOLANDE : Non, justement, pas du tout… (Elle ouvre la carte) Ah, voilà… C’est un bon pour r… TOUS : Retirer. YOLANDE : Pour retirer un chien au chenil les Pas Perdus… 37 boulevard des Parloirs…(Elle soupire) C’est ça ? Vous m’offrez un chien. LA MÈRE : C’est lui, là, sur la photo. Il s’appelle Biniou. Mais vous pouvez changer son nom, il est très jeune. Il n’est pas encore habitué, il le supportera très bien… C’est un mâle. HENRI : C’est bien Biniou, moi je trouve. YOLANDE : Mais euh… Merci beaucoup, Madame. Mais… Qu’est-ce que je voulais dire… Comment ça s’entretient ? BETTY : Tu l’arroses une fois le matin, je crois. PHILIPPE : Ça ne te fait pas plaisir ? LA MÈRE : Elle est surprise. YOLANDE : Oui, voilà, je suis surprise. 1 LA MÈRE : Vous savez, Yoyo, j’ai une grande expérience des chiens, j’ai toujours vécu avec des chiens. Quand vous saurez ce que c’est, vous serez vraiment surprise. Vous voulez que je vous dise le fond de mon coeur ? Un chien ne vous décevra jamais. HENRI : C’est vrai. Malheureusement, c’est vrai. LA MÈRE : Personne ne m’a aimée, personne ne m’a comprise comme Freddy. Et quand il est mort à 18 ans, vous savez ce que j’ai fait. TOUS : Oui… LA MÈRE : J’ai déménagé. DENIS : Ah, ça c’est bien. YOLANDE : On dirait le chien d’Henri. LA MÈRE : C’est la même race. HENRI : Oui, c’est ma mère aussi qui m’a offert Caruso, celui qui s’affaisse, là. C’est le seul problème avec ces chiens. Au bout d’un moment, ils s’affaissent. Mais toujours de bonne humeur… Hein maman ? YOLANDE : Et le vôtre il était paralysé aussi ? LA MÈRE : Bien sûr. YOLANDE (Fondant en larmes) : Pauvre bête… LA MÈRE : Qu’est-ce qu’elle est sensible, cette petite. Yolande ouvre un second paquet. HENRI : C’est une laisse. YOLANDE : Je sais. HENRI : Et les clous, ils sont plaqués argent. YOLANDE : C’est gentil, merci. PHILIPPE : Ça, c’est de moi. (Yolande pleure à nouveau) Arrête de pleurer, c’est de la sensiblerie maintenant. Yolande ouvre le paquet. YOLANDE : Pardon, je crois que j’ai trop bu… Oh, encore une laisse. PHILIPPE : Non, c’est un collier, chérie. YOLANDE : C’est beaucoup trop luxueux pour un chien. PHILIPPE : C’est pour toi, c’est pas pour un chien, c’est pour toi. YOLANDE : Merci, mon chéri, merci ! PHILIPPE : C’est un collier pour femme. YOLANDE : Je vais le mettre tout de suite. (Elle le met) Il me va bien ? BETTY : Très bien. Tu ne veux pas essayer d’aboyer, pour voir ? LA MÈRE : Qu’elle est bête. C’est magnifique ! C’est très distingué… (Philippe embrasse Yoyo) Oh, mais qu’il est gentil… Attendez, attendez (Elle prend son appareil photo) Eh bien refaites-le ! (Elle prend une photo) Vous en avez de la chance, vous savez, c’est merveilleux d’avoir un mari aussi attentionné. HENRI : Faut avoir de l’argent, c’est tout ! (Il se lève.) Il n’en avait pas, de l’argent, papa, tu voulais quoi ? Qu’il t’achète des diamants à crédit ? “Un mari aussi attentionné”, oui, c’est facile… LA MÈRE : Non mais, ça ne va pas ? Enfin, Henri, qu’est-ce qui te prend, qui te parle de ton père? Que tu ne sois pas dans ton assiette, je le comprends, mais je n’y suis pour rien, moi, alors domine-toi s’il te plaît ! Prends sur toi un peu ! HENRI : Je voulais être tranquille, moi, je vous l’ai dit, je vous l’ai redit ! C’est vous qui avez voulu rester. J’avais envie de voir personne, moi ! LA MÈRE : On n’allait pas te laisser tout seul ! Tu crois qu’on n’aurait pas préféré, nous, allez au restaurant comme c’était prévu ? PHILIPPE : Bon ! Moi maintenant je voudrais lever mon verre aux 35 ans de Yoyo, si ça ne vous dérange pas ! (À Henri) Henri ton verre ! HENRI (Allant prendre le verre que lui tend Philippe) : Voilà, Henri mon verre. PHILIPPE : Voilà… On va lever son verre. (Yolande regarde Denis) Quoi? YOLANDE : Et le monsieur ? On ne lui sert pas une petite coupe ? PHILIPPE : Oui, pourquoi pas ? On va lui servir une petite coupe (Il joint le geste à la parole). DENIS : Merci Madame Ménard. YOLANDE : Y-a pas de quoi. 2 PHILIPPE : Y-a pas de quoi. Donc ! Je lève mon verre à Yoyo. (Chacun lève son verre. Silence.) Eh ben je ne sais plus ce que je voulais dire… Euh… Oui ! À Yoyo, la mère de mes enfants, qui est à mes côtés de depuis… 15 ans… Sans jamais se plaindre, toujours de bonne humeur. DENIS : Mes félicitations, Madame Ménard. PHILIPPE : C’était pas fini ! Tant pis, c’est trop tard maintenant, vous m’avez complètement embrouillé ! Je n’y arriverai plus. Bon anniversaire, chéri, et puis c’est tout. Ils boivent. PHILIPPE (À Betty) : Et toi, évidemment, tu as déjà bu ton verre, hein ? Tu n’attends pas qu’on boive tous ensemble ! BETTY : Oh mais dis-donc, tu vas nous gonfler longtemps avec ton règlement ? Putain… Qu’estce que t’as ce soir ? YOLANDE (Montrant le gâteau) : Je le coupe en combien de morceaux ? PHILIPPE (La singeant) : “Je le coupe en combien de morceaux?” On est combien ? On est 5, tu le coupes en 5 morceaux. YOLANDE : Ça va être petit… LA MÈRE : C’est pour marquer le coup. YOLANDE (Désignant chacun avec son couteau) : Un, deux, trois, quatre, cinq… (Désignant Denis) Et le Monsieur ? Il ne va pas en manger ? PHILIPPE : Bon, 6 alors… Elle coupe. LA MÈRE : Alors, et toi Betty, tu lui offre quoi à Yoyo ? (Silence) Non, je te taquine. PHILIPPE : Tu penses bien qu’elle ne vas pas s’amuser à faire un cadeau comme tout le monde, hein. C’est banal, c’est pas assez singulier… BETTY : Qu’est-ce que tu as après moi, Philippe, ça fait une heure que tu me cherches avec tes réflexions. PHILIPPE : Tu peux pas t’arrêter dans une librairie acheter un pauvre livre à 30 francs ? Tu sais que c’est l’anniversaire de Yoyo, tu peux pas faire un geste, hein ? C’est au-dessus de tes forces, un geste ? BETTY : Cadeau à date fixe ? Tu parles d’un geste. On peut ignorer les gens pendant toute l’année ou les traiter comme de la merde… Il suffit de faire son petit numéro, une fois par an, et l’affaire est dans le sac. LA MÈRE : C’est ce que tu penses de tout ça, Betty ? PHILIPPE : Rien faire du tout c’est encore plus pratique. YOLANDE : Moi j’aime bien les cadeaux. BETTY : Le sien, par exemple, t’aimes bien ? YOLANDE : Non, mais en général. Silence PHILIPPE : Merci Yoyo, très gentil, très délicat… LA MÈRE : Non, laisse, Philippe. C’est pas grave. YOLANDE : Qu’est-ce que j’ai fait ? Musique. Denis a réparé le jukebox. YOLANDE : Tu ne veux pas danser ? PHILIPPE : Non ! Je suis fatigué. YOLANDE : Henri ! Tu veux danser ? Silence. Par gestes, Denis invite Yolande à danser. 3