L`AMOUR
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L`AMOUR
BIBLIOTHÈQUE SCIENTIFIQUE UNIVERSELLE LA PHYSIOLOGIE D E L’AMOUR PAR P. MANTEGAZZA . Professeur d’Anthropologie et Sénateur du Royaume d’Italie A LA L I B R A I R I E I L L U S T R É E 7 , HUE DU CROISSANT ET RUE S T -JO SE PH , 8 PHYSIOLOGIE DE L ’AMOUR 14541. — P A R IS , IM P R IM E R IE A. LAIIURE 9, rue de Fleurus, 0 PHYSIOLOGIE DE L ’AMOUR/ P. M A N T E G A Z Z A / Professeur d’Anthropologie, Sénateur du Royaume d’Italie T R A D U IT SU R LA Q U A T R IE M E É D IT IO N IT A L IE N N E Questa cara gioia Sovra la (juale ogni virtù si fonda (Dante Paradiso. Canto xxiv . F. FETSCHERIN ET CHUIT, ÉDITEURS Libraires de l'École Nationale des B eaux-A rts 1 8 , RUE DE i'aN C IE N N E -C O M É D IE , 18 1886 Tous droits réservés UNN.POjW»k. * (5^ eh* c ac JtQ Jagiellonska 1001351288 l CET OUVRAGE E ST DÉDIE AUX FEMMES TOUR q u ’e l l e s ENSEIGNENT AUX HOMMES QUE L’AMOUR N’E ST N I LUXURE N I COMMERCE DE VOLUPTÉ MAIS LA JOIE LA PLUS HAUTE ET LA PLUS SE R E IN E , ET POUR QU’ELLES EN FA SSENT LA PLUS HAUTE RÉCOMPENSE DE LA V ER T U, LA PLUS GLORIEUSE CONQUÊTE DU G ÉNIE, ET LA PLUS FORTE IMPULSION DU PROGRÈS, AU L E C T E U R L’a m o u r m ’a to u jo u rs s e m b lé le p lu s p u is s a n t, e t le m o in s é tu d ié d es s e n tim e n ts h u m a in s . E n to u r é , d é fe n d u p a r u n e m u r a ille d e p ré ju g é s , d e m y s tè re s e t d ’h y p o c ri s ie , il n ’e st tro p s o u v e n t c o n n u d es h o m m e s c iv ilisé s q u e p a r ses cô tés c a c h é s e t h o n te u x . P o è te s e t a rtis te s , p h ilo s o p h e s e t lé g is la te u rs fo n t d e c e tte d iv in ité g é a n te u n v é rita b le f r u it d é fe n d u . É tu d ie r l ’a m o u r c o m m e u n p h é n o m è n e n a tu r e l e t c o m m e u n e fo rc e g ig a n te sq u e q u i se m o d ifie d e m ille m a n iè re s , d a n s le s d iv e rse s ra c e s , a u x d iffé re n te s é p o q u e s ; l’é tu d ie r c o m m e é lé m e n t de la s a n té d es in d iv id u s e t d e s p e u p le s , m ’a s e m b lé u n e g ra n d e e n tr e p r is e , q u ’il m e p a r a ît h o n o ra b le d e t e n te r . / De c e tte p e n s é e s o n t s o rtis tro is liv re s : le p re m ie r , la P hysiologie de l’a m o u r, e s t u n essa i d ’a n a ly se p h y sio lo g iq u e e t p sy c h o lo g iq u e d u p re m ie r d es s e n tim e n ts . C’e s t u n e é tu d e d e l ’a m o u r te l q u ’il e s t e t te l q u ’il d e v r a it ê tre d a n s u n e so c ié té m e ille u re . Si j ’ai r é u s s i, c ’e s t à to i, le c te u r , d e le d ire . Le sty le e n e s t p lu s c h a u d e t p lu s c o lo ré q u ’il n e co n v e n a it à m o n b u t q u i é ta it d e fa ire p e n s e r. C ette fa u te n e m ’a p p a r tie n t p as to u t e n tiè re , e lle r e v ie n t a u s s i a u s u je t d o n t je m e s e n ta is si fo rt p o sséd é. D ans l 'Hygiène de l’a m o u r, j ’é tu d ie ra i l ’a rt d ’a im e r, d e fa ç o n q u e la p lu s g ra n d e so m m e d e v o lu p té s ’a c c o rd e av ec le p lu s g ra n d b ie n d e l’in d iv id u e t d es g é n é ra tio n s fu tu r e s . L’A m ou r dans l’H u m an ité e s t u n e é tu d e an thropologique, u n e e th n o g ra p h ie d e l ’a m o u r, d e la ra c e la p lu s in fim e ju s q u ’à n o u s , ju s q u ’a u ra m e a u le p lu s élev é d e l ’a rb re h u m a in . D e u x ju g e m e n ts d e fem m es s u r l a de l'amour. Physiologie L a P hysiologie de l'a m ou r a é té b ie n a c c u e illie p a r le p u b lic ita lie n , m a is j ’ai e n te n d u d ire to u t b a s q u e c’é ta it u n liv re im m o ra l q u i n e p o u v a it ê tre lu d a n s la fa m ille . Moi q u i ai la c o n v ic tio n d ’a v o ir fa it u n tra v a il m o ra l, e t l ’a i d é d ié a u x fe m m e s, j ’ai v o u lu m ’e n re m e ttr e à d e u x p e rs o n n e s d o n t l ’o p in io n m ’e s t p ré c ie u s e : m a m è re e t u n e d a m e q u i, à u n e p ro fo n d e c u ltu r e , jo in t u n e n a tu r e d é lic a te m a is é n e rg iq u e . J ’e sp è re q u ’a u c u n d e m e s le c te u rs n ’a t t r i b u e ra à u n s e n tim e n t d e v a n ité le u r p u b li c a tio n . Florence, 4 novem bre 1874. PREMIÈRE LETTRE. Mon bien cher Paolo, As-tu deviné que si j ’ai tant tardé à te rem ercier et à te parler de ton livre, c’était à cause de l’im puis sance où me met mort état de santé de t’exprimer ce qtieje ressens^ d’tlne façon digne de toi? As-tu senti de loin mon approbativité, que je croyais faible, mais qui devient gigantesque lorsqu’il s’agit de mon cher fils. Les premiers chapitres de ton livre me firent craindre que le côté scientifique ne m ’empêchât de bien com prendre, mais il me sembla peu à peu que je surm on tais toutes les difficultés. Poussée par le désir d’en embrasser au plus vite toutes les beautés, je sautais el mêlais les chapitres et ma curiosité désordonnée fit que je ne le connais pas encore entièrement. J’hésitais aussi à te dire tout ce que j ’éprouvais, parce qu’il me semble que l’éloge, bien qu’il soit mérité, n’est jamais utile, et qu’il risque, comme il m ’a parfois semblé en toi, d’affaiblir cette sainte vertu de l’indulgence que l’on prêche toujours aux autres. Il m’est pourtant impossible de ne point t’en par ler et plus encore de le faire sans te dire mon enthou siasme. Je ris de moi, il est vrai, en réfléchissant que mes paroles n’ont de valeur qu’à cause de la profonde affection que tu portes à ta m ère, et je te remercie de l’avoir si gracieusement exprimé dans ton mot d ’envoi. S’il s’y trouve des opinions différentes des miennes sur la femme, je ne les trouvai point ou ne les com pris pas, car à l’exception de certains passages très rares, il me semble que tu as rendu justice à notre sexe, en tout ce qui est moral, noble et élevé et je ne puis te dire combien j ’en suis heureuse, comme du but que tu t’es proposé, comme de ta dédicace, et comme de tout l’ouvrage. Je bénis une fois de plus, la chère enfant si sa possession t’a rendu plus juste en vers ses compagnes! Si une certaine envie, qui suit les hommes supé rieurs, juste au moment où leur gloire est établie, faisait faire, ce que je ne pense pas, le silence autour de ton œuvre, tu serais récompensé par l’enthousiasme, la poésie, la vérité qui y régnent, et celte satisfaclion, n’est-il pas vrai, mon cher Paolo, te rendrait toujours m eilleur et plus généreux envers cette grande partie de l ’humanité qui n’a pas ton génie. Quant à moi, je suis maintenant heureuse de n’a voir pas été exaucée en implorant si souvent la fin de mes souffrances et d'avoir résisté jusqu’au jour où j ’eus l’orgueil de savourer ton œuvre. Lorsque j ’aurai le bonheur de te tenir près de moi, je te m ontrerai les passages qui me plaisent le plus. En attendant, reçois les baisers enthousiastes De ta très affectionnée Maman. Sabbioncella, I L juillet 1885. DEUXIÈME LETTRE. Mon cher Mantegazza, Je viens d’achever la lecture de votre Fisiologia dell' Amore et j ’en suis comme éblouie, étourdie, grisée! — Vous voulez que je vous en dise mes impressions. En vérité, c’est trop demander. Pauvre moi! qui n’ai pas même à ma disposition un manche à balai de sorcière pour suivre votre essor olympien. Dès les premières pages, vous enfourchez votre Pégase et vous le lancez aux sommets les plus vertigineux de l’Olympe; puis, du haut de ce septième ciel, vous faites pleuvoir sur vos lecteurs émus et enivrés des brassées de fleurs, des amphores d’ambroisies, des cascades de parfums ! Vous les enguirlandez d’images, de métaphores, d’une richesse, d'une variété, d'un coloris à faire envie au plus oriental des poêles ! Vous accordez votre lyre au plus haut diapason, et vous entonnez un cantique, qui pendant 338 pages (je ne compte pas les apho rismes) ne démord pas un seul instant de son ivresse inspirée! Mais, Orphée impitoyable ! vous voulez donc que nous regardions le soleil en face ? De grâce, un peu d’ombre dans le tableau ; vous nous aveuglez à force de lum ière ! — Comment voulez-vous que nous tour nions encore les yeux vers la terre, si nous les plon geons si longtemps dans les rayonnements célestes ? Où donc avez-vous pris qu’on ait jamais trouvé tant de choses dans l’am our? — C’est égal : vous avez agi en grand artiste, vous avez fait comme le scul pteur qui, pour créer une statue de la beauté, prend pour modèle le bras d’une femme, la tête d’une autre, le buste d’un troisième, et réunit ainsi les fragments épars de l’idéal. Vous avez été puissant et généreux en même temps ; vous avez d’un coup versé tout le philtre enchanté ; chacun en prend ce qui lui convient, ce que les cir constances de la vie lui perm ettent d’en savourer. Sérieusement, vous avez fait un beau et bon livre, et surtout un livre d’une saine et haute moralité. — Je ne m ’y attendais pas, vu la nature du sujet, souvent traité d’une manière qui me révolte. 11 faut convenir que, si l'am our est la passion la plus universelle, elle est aussi celle qui subit le plus l'empreinte de Yindi vidualité; à preuve le déluge de romans, de drames, d’élégies, qui la présentent sous des formes éternel lement variées et nouvelles, comme les êtres qui la conçoivent et l’éprouvent. Or, mon individualité s’est souvent trouvée froissée, surtout par des analyses physiologiques, et il a fallu que celle-ci fut écrite par vous pour que je me décidasse à la lire. Dieu soit loué ! votre Fisiologia dell' Amore nous mène loin des élucubrations pathologiques, malsaines et m al faisantes de Michelet ! Si je n’ai pas lu votre livre plus tôt, prenez-vous-en à lui ; je craignais de rencontrer quelque chose de semblable, et j ’en ai horreur ! Cette espèce A'afféterie languissante, d’hypocrite recherche, se traduisant au fond par le sensualisme le plus cru, n’aboutit qu’à dépeindre un état morbide des plus désastreux, je crois, dans ses effets moraux. Votre livre, au contraire, a un caractère de robuste sincérité, qui, tout en analysant les choses sans hypo crisie et sans fausse réticence, trouve l'anneau de conjonction entre le matériel, le moral et l’intellec tuel, dont l’union constitue l’amour complet, le seul qui puisse donner un bonheur véritable et durable. Tout en faisant une guerre impitoyable au mensonge et à l'hypocrisie, tout en revendiquant les droits de la nature, et en réclamant un poste d'honneur dans la vie sociale pour une de ses forces les plus actives et les plus puissantes, vous tenez haut le drapeau de l’idéal, en invoquant la « Venere Urania, » et en mettant sous son égide tout ce que le cœur et l’intelligence peuvent prêter à l’amour de noblesse et d'élévation. L’amour que vous décrivez est drapé de pudeur et de chasteté, et l’on y puise l'énergie des grandes vertus et des nobles pensées ! Qui sait si maintes fois la lecture des beaux cha pitres, où vous dépeignez si éloquemment la beauté morale et intellectuelle incarnée dans une des plus forles passions du cœur humain, n’a pas réveillé la soif de l'idéal, l’horreur du trivial, le bon goût trop souvent enfoui sous un crasse m atérialism e? Et celte efficacité morale ajoute, aux mérites d’un beau livre, ceux d’une bonne œuvre. Quant aux aphorismes, que vous pendez en guise de breloques au dernier chapitre, il me semble que vous avez fait comme font quelquefois les jolies femmes, qui, déjà parées de toutes les grâces de la nature et d’une toilette élégante, veulent encore en rehausser l’effet en entassant fanfreluches et faux bijoux. Mais c’est là une critique qui ne tire pas à conséquence, vu qu’elle n’est que l’expression d'un goût personnel. En général je déteste les aphorismes et les maximes; je les trouve tous plus ou moins faux, pédants, et tirés par les cheveux. On prétend y voir la quintes sence de la vérité, une goutte de sagesse distillée. La plupart ne me paraissent renfermer que des géné ralités, qu’on pourrait aussi bien présenter renver sées, comme ces figures à deux faces, qui vous font voir alternativement Jean qui pleure et Jean qui rit. On peut les prendre au positif et au négatif à vo lonté. Précisément dans une de ces sentences, vous con tredisez à la pensée de tout voire livre; vous y qua lifiez l'amour de foncièrement et forcément « injuste » : de domaine même de l’injustice. Non; ici, vous faus sez votre propre pensée. Après avoir si bien déterminé l’essence et les principes mêmes de l’amour (ses « de voirs », qui peuvent se réduire tous en un seul mot, la sincérité, qui les renferme tous; ses n droits », qui résident dans la libre élection, « il farsi amare »), vous ne pouvez le déclarer de sa nature injuste. Il ne l’est que lorsqu’on méconnaît ces principes et qu’on veut étendre ces droits et ces devoirs en dehors de leur cercle légitime. On retrouve dans cet ouvrage la m eilleure partie de vous même : votre grand cœur généreux et sincère, votre imagination de poète; le résultat de vos recher ches de savant, de vos observations de philosophe, de votre expérience d’homme du monde ; vos convictions les plus consciencieuses, les plus hardies ; votre noble foi dans les transformations possibles de l'avenir, dans la coopération de toutes les forces guidées par l’in telligence et par... Yamour du bien. Vous êtes heureux d’avoir pu donner encore cette consolation à votre bien-aimée mère. Je vous félicite de tout mon cœur et vous dis mille choses affectueuses. Votre amie, Padoue, le 5 avril 1874. PHYSIOLOGIE DE L’A MOUR CHAPITRE PREMIER P H Y S I O L O G I E G É N É R A L E DE L’A M O U R Il y a déjà bien des années que j ’ai écrit : vivre signifie se n o u rrir et reprodu ire ; plus je scrute les m ystères de la vie, plus je m e persuade que cette définition indique bien les caractères les p lus saillants de tous les êtres q u i, de la bactérie ju sq u ’à l’hom m e, naissen t, croissent et m eurent su r la surface de n otre planète. Si je voulais sim plifier la form ule, je d irais que vivre c’est reproduire ; chaque corps vivant est caduc, m ais avant de p érir, il a la puissance de rép éter sa form e. La n u tritio n est une véritable genèse, et dans le grand laboratoire des êtres vivants nous avons constam m ent sous les yeux la reproduction d’élé m ents histologiques, d’organes et d ’individus.T ous les jo u rs nous perdons des cheveux, des poils, de l’épithélium , des globules blancs, et tous lesjo u rs nous refaisons des cheveux, des poils et des leu cocytes. Voilà un e génération quotidienne. Chez un hom m e, un ongle tom be, un ongle nouveau lui succède : voilà la reproduction d ’un organe. Nous faisons des enfants sem blables à nous-m êm es : voilà la repro d u ctio n de tou t un organism e, la véritable génération. Que chez l’u n de nos en fants nous voyons rep ara ître u n nœ vus que nous avons su r le nez : voilà la reproduction d ’un o r gane dans u n organism e. Enfin un e race donne naissance à une au tre race, une espèce, à une au tre espèce : voilà la genèse la plus large. Le nom bre des vivants n ’est q u ’un vaste laboratoire d ’incessantes générations. La caducité des form es est u n des attrib u ts les plus essentiels des êtres vivants. L’hom m e, ai-je dit, perd chaque jo u r quelque chose de lui-m êm e : cheveux, poils, cellules; m ais avant de dispa ra ître , il rep ro d u it sa propre form e, de sorte que la vie de l’individu sem ble n ’être q u ’un instan t dans la grande vie de l’espèce. Mais la tendance à la reproduction est im périeuse et irrésistible, et l’individu se sacrifie souvent consciem m ent ou in consciem m ent aux lois de la n ature. Si l’individu a l’instinct de conservation, s’il possède des o r ganes de protection, l’espèce a m ille m oyens de défense, lis lu i sont nécessaires, car les êtres vivants engendrent en si grande q u an tité q u ’une seule espèce envahirait la terre entière si les di vers cercles d’expansion, en se ren co n tran t, ne se h eu rtaien t, com m e ceux que p ro d uit une poignée de sable jetée par la m ain d ’un enfant à la surface d ’un lac tran q uille. En laissant de côté le m ode de transm issio n de la vie, il y a une q uantité de vie, de fécondité en circulation qui peut p araître extrêm em ent capricieuse au prem ier coup d ’œ il, tan dis q u ’elle est gouvernée p ar les lois de la con servation. N aissance et m ort, fécondité et m ortalité sont liés p ar des rap po rts si étroits que nous pouvons les considérer com m e les m om ents divers d’un m ôm e phénom ène, com m e l’action et la réaction de la vie. Quand la reproduction croit outre m e su re, les dangers p o ur l’individu croissent en m êm e tem ps, et la destruction vient réd u ire l’ex cès des naissances. Tantôt c’est la n o u rritu re qui n ’est plus en proportion avec les individus, tan tô t ce sont les parasites et les ennem is de l’espèce ainsi accrue qui, augm entant à leu r to u r, réta blissent l’équilibre. Les forces destructives et dé fensives s’équ ilib ren t to u r à to u r, com m e il arrive p o ur beaucoup d’au tres forces plus sim ples et m ieux connues. Le problèm e m althusien est beaucoup plus com plexe. Si toutes les espèces étaient égalem ent reproductives, si elles com portaient une vie d ’égale durée, le problèm e se réd u irait à une question d ’espace et d ’alim entation, m ais la diversité dans la durée de la vie et dans la fécondité viennent ré tab lir l’éq uilib re par d’au tres m oyens. Si la reproduction des souris était aussi lente que celle de l’hom m e, elles seraient entièrem ent détruites avant la naissance d’une au tre génération, et lors m êm e qu’elles p ourraien t vivre quinze ou seize ans, aucune peut-être n ’arriv erait à cet âge et n ’échapperait à tous les dangers qui l’environ nent. D’au tre p art, si les bœ ufs se m ultipliaient com m e les infusoires, la race entière p érirait de faim en une sem aine. P o u r q u ’une form e organique se co n serv e, l’individu doit se conserver et engendrer d’autres individus: ces deux facultés v arien t inversem ent. Si l’individu, p ar la sim plicilé de son org an isa tio n , est peu apte à résister au danger, il doit y suppléer en se repro d uisan t beaucoup. Si, au con traire, il possède les m oyens de se défendre, sa fécondité d im inue. É tant donnés lqs dangers com m e une q uan tité constante, puisque la faculté de résistance doit être la m êm e dans toutes les espèces, et q u ’elle consiste en deux facteurs (sub sister et m u ltip lier), ceux-ci ne peuvent varier q u ’en sens opposé. Cette loi très sim ple, lue p a r H erbert Spencer dans le grand livre de la n ature, est une de celles qui gouvernent avec le plus de tyran nie les phéno m ènes élém entaires de la reproduction com m e les phénom ènes les plus élevés et les plus com plexes des hum aines am ours. Chez les Diatom acées, la fécondité p ar division est gigantesque ; Sm ith a calculé q u ’en u n m ois u n seul bâtonnet pouvait donner m ille m illions d’individus. Un jeune Gonium peut en une sem aine fo u rn ir 268 435 456 individus sem blables. D’autres fois la m ultiplication n ’est pas scissipare, m ais endogène, com m e chez les Volvox; néanm oins la puissance est toujours ex trao rd in aire. Si tous les individus engendrés survivaient, u n Param ecium , en se divisant, fo u rn irait en u n m ois 268 m illions d ’individus. Un au tre anim alcule m icroscopique peut eng en drer 170 billions d’individus en quatre jo u rs. Le G ordius, entozoaire d ’u n insecte, dépose 8 m illions d’œ ufs en m oins d ’u n jo u r. Un term ite d’A frique pond en vingt-quatre heu res 80 000 œ ufs, et E schricht a com pté 64 m illions d’œufs chez une fem elle adulte d’un ascaride lom bricoïde. Si de ces êtres m icroscopiques, exposés à tous les dangers et qui consom m ent peu de m atière, si de ces atom es vivants, que vos m ains ren ferm eraien t en nom bre égal à celui des h u m ain s que porte la terre, nous passons à l’éléphant, nous trouvons u n géant de la ch air qui em ploie tren te années de sa vie po ur devenir fécond et, après un e longue gestation, ne p roduit q u ’un petit. Enfin, au-dessus de l’éléphant, nous trouvons le géant de la pen sée, l’hom m e ; il em ploie le tiers de sa vie à de v enir capable de reproduction ; en n eu f longs m ois p ro d u it u n seul petit, et ce qui est plus triste, voit la m oitié de ses enfants fauchés avant d’avoir eux-m êm es tran sm is l’existence. Les m odes de tran sm issio n de la vie sont très nom breux, car la n atu re ne fu t jam ais aussi inépuisable que dans la fonction de la généra tion. C ependant en traçan t la physiologie générale de l’am our, nous p ourro ns réd u ire toutes les form es à quelques-unes seulem ent. Séparation ou scission. — L’individu se sépare en deux, et chacune de ces p arties, devenue ind é pendante, rep ro d u it son générateur. C’est la form e la plus sim ple de la genèse, dans laquelle la fonc tion de reproduction n ’est point distincte des au tres fonctions, m ais se confond avec elles. Endogenèse. — A l’in térieu r d ’un individu s’en form ent beaucoup d’au tres; il s’ouvre, et en dé tru isan t son individualité, se dissout dans ses enfants. L 'individu engendre tout seul d ’autres in d i vidu s. — Le père engendre avec des organes spé ciaux sans se fondre dans ses enfants. Les petits, détachés de l ’individu g én érateu r, sont des œ ufs, des graines, des organism es parfaits ; m ais dans tous les cas, ils sont toujours élaborés dans son sein p ar des organes spéciaux. La fonction géné ra trice est déjà distincte : c’est u n laboratoire qui prépare quelques-uns des élém ents de l’indi vidu, et lui donneront ensuite naissance. Génération sexuelle monoïque. — A un degré plus élevé, le laboratoire gén érateu r se com plique et se sépare en deux ; l’u n fabrique l’œ uf, et l’au tre l’élém ent fécondant. C hacun travaille p o ur son propre com pte; m ais s’ils n ’en tren t pas en contact, l’être nouveau ne n aît pas. Nous avons donc déjà les sexes bien distincts, m ais renferm és dans un m êm e individu. Puis, chose étrange, nous re n controns ensuite des individus p ro d uisan t u n œ uf qui ne peut être fécondé p ar la sem ence de ce m êm e individu, produisant un e sem ence qui ne peut servir à l’œ u f correspondant. Le double em b rassem ent de deux herm aphrodites, le vent, les insectes ou les oiseaux, com m e des paranym phes fécondateurs, résolvent ces problèm es d ’une géné ration si singulière. Génération sexuelle dioïque. — Enfin les or ganes générateurs aussi se différencient et se fixent su r un individu, stérile à lui seul, qui donne naissance à u n des deux élém ents g énérateurs. L’hom m e aim e en deux; m ais bien que, com m e les au tres anim aux supérieurs, il présente la gé nération sexuelle dioïque, il possède aussi dans l’intim ité de ses tissus ia genèse endogène et p ar scission, car il renferm e en lui les form es élé m entaires d e là vie. Dans cette course rapide à travers les form es de la génération, nous voyons s’esquisser les lois m ôm es avec lesquelles la n atu re gouverne les au tres fonctions. A m esu re q u ’apparaissent de nouvelles forces, de nouveaux organes naissent p o u r rep résen ter la subdivision du travail. D’abord c’est l’être to u t entier qui prend p art à la génération ; puis c’est u n organe spécial, ensuite deux organes dans le m êm e individu, enfin deux organes dans deux individus séparés. Dans toutes ces form es de genèse, l’unité du plan resso rt plus claire, et nous, les créatures les plus élevées en organisation, tandis que com m e l’am ibe, nous possédons dans notre protoplasm a la faculté d ’en gendrer, répandue en tout notre organism e, nous présentons séparém ent dans l’hom m e et dans la fem m e, les deux lab orato ires qui pro d uisen t la sem ence et l’œ u f hum ain. Lorsque la science de l’avenir p erm ettra à nos arrière-neveux de classer tous les phénom ènes de la n a tu re , du plus sim ple au plus com pliqué, depuis le plus faible m ouvem ent d’une m olécule, ju sq u ’aux rayons du génie le plus sublim e, en une chaîne de faits non interrom p u e, alors peutêtre on rech erch era les prem ières origines de l’am our dans la physique élém entaire des atom es dissem blables, qui se ch erch en t, s’unissent et arriv en t à l ’équilibre p ar leu r m ouvem ent con traire. Le corps électro-positif attire l’électronégatif, l’acide dem ande la base, et, dans ces u n io n s, avec u n grand développem ent de lum ière, de chaleur et d’électricité se constituent de nou veaux équilibres, se form ent de nouveaux corps. 11 sem ble alors que la n atu re renouvelle ses forces et que, rajeu n ie, elle se prép are à de nou velles com positions et à de nouvelles am ours. N’est-ce donc point aussi l’am our, cette com binaison de deux atom es dissem blables qui se ch er chent et s’unissent à trav ers toutes les forces con traires de la terre et du ciel? De m êm e que la m olécule de potasse enlève l’oxygène de l’eau avec un grand développem ent de lum ière et de ch a leu r, tels, avec u n ouragan de passions, d ’éclairs intellectuels, de flam m es et d’ard eu rs se com binent ces deux m olécules, l’hom m e et la fem m e ! Ne voyons-nous pas un m onde de forces phy siques et psychiques se condenser, se com battre et s’éq u ilib rer vers le point où, l’un l’au tre, un hom m e et une fem m e s’attiren t p o ur ra jeu n ir la m atière hum aine et rallu m er le flam beau de la vie? Un m ouvem ent p articulier se p ro d uit dans l’o vaire et dans le testicule, u ne énergie s’accum ule dans les centres nerveux suffisante pour p o rter l’élém ent m asculin au contact de l’élém ent fém i n in , dès que les germ es, pro d uits dans le lent laboratoire de deux organism es différents, se ré u nissent dans ce nid, l’u léru s m aternel, où l’œ uf fécondé doit devenir u n hom m e. Le poète et le m étaphysicien peuvent donner à l’am our la défini- lion qui leu r conviendra le m ieux ; p o ur la science il n ’y en a q u ’une. L’am our est l’énergie qui m et en contact l’œ uf et la sem ence : sans ovaire et sans testicule il ne sau rait exister d’am our. Cette im pulsion, qu'on appelle la génération, est assez puissante p o u r com battre et m ôm e détruire celte au tre im pulsion, la conservation de l’in d i vidu ; chaque individu tou rn e au to u r de luim êm e, m ais, à travers l’espace et le tem ps, il est en traîné en avant avec u n m ouvem ent cent fois plus irrésistible. Le p rem ier m ouvem ent rep ré sente la petite vie de l’individu, défendue p ar l’égoïsm e; le second représente la grande vie de l’espèce ; elle est défendue p ar l’am ou r. L’étude la plus superficielle de la fonction gé n ératrice suffit po ur nous convaincre que l’am our est toujours un phénom ène de h aute chim ie, dans lequel les atom es g énérateurs, p o ur se com b in er, ne doivent être ni trop sem blables, ni trop dissem blables. Le sexe q ui, à prem ière vue, nous ap p araît com m e u n des plus profonds m ystères de la vie, n ’est q u ’un laboratoire qui attire à lui les élém ents engendrés p ar chaque élém ent de l’organism e, les enferm e et les conserve p o ur les u n ir à d ’autres élém enls analogues, m ais non sem blables, engendrés dans u n au tre labora toire qui est le sexe opposé. Lorsque les deux laboratoires générateurs sont rép artis entre deux organism es distincts, il est probable que la diffé rence de leu rs germ es est plus grande. Si, chez deux individus très ressem blants, m ais de race différente, nous réunissons les élém ents généra teu rs, nous aurons probablem ent encore la fécon dation, tandis que si nous passons à des espèces différentes, elle sera plus difficile. E ntrons-nous en des genres différents? elle sera le plus souvent im possible. Mais laissons de côté les espèces et les genres, qui n ’ont pas dans la n atu re la valeur q u ’on leu r assigne dans nos m usées et dans nos livres, et arrêtons-nous aux anim aux; nous verrons la sté rilité chez les êtres tro p sem blables et chez les êtres trop différents ; en sorte que la génération se confine en tre ces deux pôles opposés : trop de sim ilitude, trop de dissem blance. Ainsi une femme à m oustaches, à m am elles atrophiées, à voix grave, dem eurera stérile avec u n hom m e ro b u ste : ils se ressem blent trop. La n atu re a d it aux vivants : « Si vous voulez aim er, ne soyez ni trop pareils ni trop diffé ren ts. » Essayons de scru ter la raison de cette loi : Les germ es tro p égaux ne peuvent se féconder ou se fécondent m al, c’est peut-être à cause de la m êm e loi de physique élém entaire qui fait se re pousser les corps chargés de la m êm e électricité ainsi q u e ceux qui ont trop de sim ilitude dans leu rs caractères physico-chim iques. Essayez la com binaison du soufre avec le phosphore, de l’iode avec le brom e, et d’un au tre côté voyez les ardentes am ours du chlore avec l’hydrogène, de la potasse avec l’oxygène. Deux quantités di verses , m ais ad d itio n n ab les, fournissent un n o m b re plus grand de résistances diverses, et p a rtan t p lu s de chances p o u r la vie et la résis tance aux ennem is extérieurs. Un individu est la som m e de beaucoup de victoires su r les élém ents ex térieurs, le résu ltat d’une infinité d ’adaptations au m ilieu. Deux individus différents, m ais non suffisam m ent p o ur em pêcher la génération s’add itio nnen t en une nouvelle créatu re qui résistera m ieux q u ’ils ne l’ont fait et co u rra m oins de dan gers. Prenez p o u r une périlleuse expédition dans l’in térieu r de l ’A frique douze hom m es se ressem b lan t le p lus possible, tous sains, tous robustes, tous intelligents au m êm e degré et de la m êm e façon. Envoyez au co n traire à leu r place douze hom m es choisis, différents, les u n s m aigres, les au tres corpulents, et chez lesquels toutes les capa cités intellectuelles et tous les tem péram ents soient représentés ; l’u n plein d ’im ag in atio n , l’au tre très p ru d e n t; celui-ci habile architecte, celui-là chim iste d isting u é. Laquelle de ces deux expéditions réu ssira le m ieux ? Il est bien p lu s facile d’expliquer pourquoi les form es trop éloignées ne peuvent s’aim er. Celte im possibilité est u n des m oyens les plus p u is sants p o ur conserver les différentes form es vivantes dans les conditions nécessaires à leu r existence. Quand u n être est sorti vivant de la lu tte de la vie, lorsq u ’il s’est plié d’une certaine façon aux agents extérieurs et aux en n em is, il se tran sm et avec cette form e et cette n ature qui sont le fru it d’un long et heureux com bat. C'est précisém ent p o ur la m êm e raison qu’u n herbivore qui provient d ’un an im al qui a fabriqué sa chair en m angeant de l’herbe, ne peu t cro ître et se propager q u ’en m angeant de l’herbe. Figurez-vous p o ur u n in stant q u ’aux organes et aux tissus d 'u n herbivore viennent se souder les organes et les tissus d ’un an im al qui vit de ch air, quels désordres n ’en résulteraient-ils pas? Un fragm ent de carnivore renferm é dans u n organism e qui a des dents faites p o u r m âcher de l’herbe, u n suc gastrique p o ur digérer de l’herbe, u n tub e intestinal p o u r assi m iler l ’herbe et des nerfs olfactifs qui tro uv en t les feuilles et les fleurs agréables ! La stabilité apparente de l’espèce n ’est donc que l’inévitable nécessité p o ur le m âle et la fem elle de verser dans le creuset de la génération des élé m ents qui se puissent com biner, des m étaux qui puissent se fondre, en form ant u n alliage hom o gène. De la physique élém entaire de la génération passez aux sym pathies plus ardentes, aux unions des caractères dans l ’am ou r, e t vous verrez que tout est gouverné p ar les m êm es lois : n i trop semblable, n i trop divers. L’am ou r est la som m e de forces analogues, m ais non identiques. A chaque pas de nos études nous retrouverons dans les hautes sphères de l’am our les lois qui gouvernent la génération, ou, com m e on l ’appelle, l'am our physique. P our nous, l’am our est une fonction u n iq u e q u i, p o u r être com prise, ne doit pas être m utilée, une p artie allan t au laboratoire du physiologiste, une autre restan t dans le cabinet du philosophe. L’am our va de l’instinct le plus autom atique ju sq u ’aux plus exquises régions du su rn atu rel. A ucun au tre élém ent psychique n ’a t teint peut-être des pôles plus éloignés l’u n de l’au tre. Comparez l’am our de l’A ustralien qui frappe à coups de bâton la prem ière fem m e q u ’il trouve p o u r la faire sienne, avec les am ours m ystiques d ’une sainte Thérèse p o u r u n hom m e-D ieu! Rap pelez-vous le cu lte d’une Vierge-Mère et l’adora tion des N audowessies de l ’A m érique septentrio nale p o ur u ne fem m e qui, après avoir invité qua ran te des p rincipaux g u erriers de sa trib u , les fit tous ses m aris en un e seule n u it; souvenezvous du b erg er des A pennins qui aim e une chcvre, et de Heine q u i, presque m o u ran t, se fait p o rter au Louvre p o u r voir une dern ière fois la Vénus de Milo, et vous n ’aurez q u ’une faible idée des frontières de cette passion ardente, tenace, violente, pro téiform e, qui s’appelle l’am ou r. Tandis que dans le dom aine des faits chim iques, la génération m arq ue le plus h au t point de la chim ie m oléculaire, dans le dom aine psycholo gique, l’am ou r touche les plus hautes cim es de l’idéal. L’am ou r est la force des forces : il appa ra ît quand l’hom m e est dans toute son énergie, il décline lorsque les années l’ont affaibli. L’am our est la joie des jo ies; au fond de tout désir, de toute richesse, de toutes délices, il est toujours la fin d ernière. A l’exception des hom m es m al nés, dans le ciel de tous les h u m ain s, l’am ou r est l’étoile la plus b rillan te ; il est le soleil de to u t firm am ent. C’est la passion la plus forte, la plus belle et la plus h u m aine. Dans toutes les form es de la génération, agam e ou sexuelle, p ar scission ou endogenèse, que nous considérions le rap p o rt du fils soit avec son père, soit avec son p rem ier ascendant, nous voyons toujours l’être engendré conserver une p artie de son d ern ier ou de son prem ier g énérateur. C’est pourquoi le m ouvem ent com m uniqué de la p re m ière à la dernière génération se tran sm et sans interrup tion . Que l’on adopte l’A dam de la Bible ou l’Adam de l’évolution progressive; le lim on anim é p ar un Dieu ou l’ascidie D arw inienne, ch acun de nous a tou jo u rs en soi un e partie m até rielle qui ap p artien t au p rem ier hom m e ou au 2 p rem ier père de tous les vivants; une im m ense fratern ité h u m ain e et cosm ique, u n it donc entre eux tou s les êtres vivants. Si l’am our est la plus ardente et la plus hum aine des passions, elle en est aussi la p lu s riche. Sur ses autels toute faculté m entale p orte son trib u t, ch aque battem en t du cœ u r offre ses ard eu rs. Tout vice et toute v ertu , toute honte et tout héroïsm e, tou t m arty re et tout lib ertin ag e, toute fleur et tout fru it, to u t baum e et tou t poison peut être p orté au tem ple de l’am ou r, et, parfois, l’hom m e se p lain t de n ’avoir q u ’une seule vie p o ur l’o ffrir en holocauste à ce Dieu. Et p o u rtan t cette form i dable énergie est la m oins gouvernée de toutes les passions hum aines : il sem ble que devant elle l’hom m e se sente trop petit et trop faible; tel le sauvage qui se pro sterne devant la foudre, l’hom m e civilisé — encore au jo u rd ’hui — gém it et p leure devant l’ouragan qui le brise et dans son ignorance et son im puissance, il s’abandonne à cette force q u ’il considère com m e au-dessus de sa raiso n, et de son énergie. Dans ses codes, il in sc rit tim idem ent des lois q u ’il viole tous les jo u rs ; il inflige des peines infam antes que les ju ré s effacent sans cesse ; et u n nuage épais d ’ignorance environne le tem ple où il en tre presque tou jo u rs en voleur, d ’où il so rt com m e u n crim inel. N otre législation de l’am o u r est un m isérable m élange d ’hypocrisie et de débauche et p o u r ne pas savoir reg ard er l’am ou r en face, nous le travestissons. Nos lois sont si parfaites que beaucoup ne doi vent pas et que beaucoup plus encore ne peuvent pas aim er, et tandis que l’on pleure pour quelques victim es de la faim , on lève les épaules devant les m illiers d ’appelés non élus qui m eurent célibataires pour n ’avoir pas pu recu eillir le b rin de paille de leu r nid, et l’on rit des m illions qui ne connaissent de l’am ou r que l’onanism e et la prostitution. Devant l’am ou r nous som m es encore tous plus ou m oins sauvages, à l’état de la b ru te devant la plus grande des forces hum aines! Et cependant l ’am o u r aussi veut être conquis com m e toutes les autres forces de la n atu re, et sans perdre un e vibration de son énergie, ni une fleur de ses guirlandes, il doit être gouverné lui aussi p ar la science, qui dirige et explique tou t. La foudre qui épouvante le sauvage dans la pous sière, nous la dirigeons su r le câble p arato n nerre, elle vient reh au sser les charm es de nos fem m es, et tran sm ettre nos pensées d’un hém isphère à l’au tre. Cette au tre foudre, plus puissante et plus dangereuse encore qui éclate dans les ouragans du cœ u r h u m ain , veut aussi être étudiée, guidée et réd u ite en un e force vive, q u i soit m esurée, pesée et dirigée. L’am our doit être la plus chère, la plus précieuse, la plus puissante des forces de la société : aucune au tre passion ne peut pré ten dre à p ren d re le pas su r elle, aucune au tre ne peu t résoudre le problèm e sublim e d’associer la plus grande volupté à la plus grande v ertu , de faire résu lter le bien des êtres fu tu rs de la joie des vivants, de tran sm ettre la civilisation à nos successeurs dans le spasm e d’un em brassem ent. Ce m odeste livre est un trib u t que j ’apporte p o u r h âter l’avènem ent d ’une législation de l’am ou r plus m orale et plus raisonnéc. CHAPITRE II L’A M O U R C H E Z L E S P L A N T E S E T C H E Z L E S A N I M A U X . Les A rcadiens, les m étaphysiciens et les adora teurs du passé m audissent la coutum e m oderne de com parer les hum ains aux êtres vivants pla cés au-dessous de nous. Ils fulm inent l’analhèm c contre cette profanation de l’homme-Dieu. L’anatom ic, la physiologie, la psychologie com parées, ne sont pour eux que des aberrations de l’esprit h u m ain . Ils disent que le rap p o rt que l’on étab lit entre l’hom m e et la b ru te, nous ravale et nous fait reto u rn er p ar une folie nouvelle, aux tem ps prim itifs où les form es du fils de Dieu étaient mêlées à celles des anim aux. Selon ces esprits superbes, les savants sont atteints d’une m aladie m entale q u ’il ne faut pas d iscuter, m ais que l’on doit tra ite r p ar le m épris et le ridicule. L ar m oyants défenseurs du passé, gardez vos dédains p o ur de plus nobles causes ; rentrez dans vos pro fondes m édita!ions, le culte de l’idéal n ’est pas votre privilège, et le p rogrès de la science expéri m entale l’élève chaque jo u r. Non, l’hom m e ne s’abaisse pas en se com parant aux êtres dont il provient ; il ne s’avilit pas en scrutant le lim on dont vous dites être vous aussi sortis, ce lim on qui vous m aintient debout et vous fournit la m a tière de vos aberrations psychologiques. En de tels rapprochem ents, vous voyez le seul côté grossier, la seule com paraison de form es éle vées et de form es inférieures et non pas le p rin cipe adm irable de la science. Superficiels en vou la n t être profonds, vous ne voyez dans la n ature que l’ex térieu r et plus vous vous enfoncez dans vos obscurs labyrinthes, m oins vous vous aper cevez que la lum ière se fait au to u r de vous, que la science m arche tandis que vous stagnez dans l’ignorance. La véritable m étaphysique, si ce m ot, signifie encore quelque chose, est faite de la science m o derne qui va ch erch er dans le m onde des vivants, les prem ières lu eu rs des plus hau ts phénom ènes h u m ain s. Nous nous inclinons devant ces lois si sim ples et si ad m irables qui règ len t toutes ces richesses de fo rm es; nous observons les faits, sans nous sen tir avilis, satisfaits d ’avoir pu tro uv er l’harm onie dans ce m onde des infinim ent petits et des infinim ent grands. Après tan t de com paraisons, notre orgueil se I/AMOUR CHEZ LES PLANTES ET CHEZ LES ANIMAUX. 31 contente de nous tro uver à la prem ière place, et cette fratern ité cosm ique nous cause une joie dont la poésie n ’est certes point inférieure à celle que vous créez au m ilieu des nuages d’encens, dans vos tem ples élevés au su rn atu rel. A ucun spectacle dans la n atu re n’est plus splen dide, plus adm irable que les am ours des plantes et des anim aux. Avec u n aussi petit nom bre de notes, la n atu re ne pouvait écrire un e m usique plus fascinante ; au cu n au tre phénom ène de la vie, ne peut ressem bler à celui de la génération, pour la profusion des fo rm es,p o u r la prodigalité des m oyens et l’inépuisable variété des m écanism es. On d irait que là où les germ es repro d u cteu rs sont attirés, là ou la vie se concentre p o u r se renou veler, de nouvelles et étranges énergies se déve loppent ; alors les forces de la n atu re nous appa raissen t dans le plus gigantesque appareil, dans le luxe le plus éclatant. Dans toutes les au tres fonctions, elle est économ e, ne cherche que l’utile et souvent se contente du nécessaire ; elle sim plifie les m oyens et arrive à son b u t p ar les voies plus sim ples; dans la génération au co n traire, le bon, le vrai ne lui suffisent pas, le sim ple l’hum ilie ; elle en tou re le nid d ’am o u r de tous les attraits de la beauté, elle dépense toutes ses ressources pour faire fête à la vie qui se renouvelle. C’est presque tou jo u rs au to u r de la fleur que s’accum ulent les plus exquises splendeurs de la form e, les plus eni vrantes séductions du p arfu m , les teintes les plus variées de la palette. Que de tréso rs esthétiques dans u n lys et dans une rose ! El tout ce luxe p o u r faire fête à l’am ou r d ’un jo u r, d ’une heure! Toute la pom pe du vêtem ent n u ptial p o ur voiler le baiser virginal d’une an thère et d ’un pistil. Si du lys et de la rose nous sautons au som m et du m onde an im al, quelles splendeurs d’im agina tion, quelle flam m e de passion p o u r faire cortège au baiser d’un hom m e et d ’une fem m e ! Parcourez u n ja rd in en un jo u r de printem ps parm i les m ille corolles des fleurs am oureuses, secouez les branches sévères des cyprès et des p ins, pénétrez du regard l’écorce hum ide et la m ousse qui couvrent la p ierre, p arto u t une chaude pluie de pollen, de spores, d ’an lhérid ies vous dira que dans le m onde des plantes l’on aim e de m ille m anières et que su r les ailes du vent et des insec tes, dans les rayons du soleil, p arto u t s’épand un souffle de volupté et d ’am our. Les fleurs aim ent silencieusem ent, dans le lent parfum de leurs corolles, m ais p o u r beaucoup d’en tre elles, ce silence n ’em pêche pas les tendres em brassem ents et les vigoureuses étreintes ; un g rand nom bre de plantes, tou jo u rs im m obiles, ont des convulsions dans leu r fleur ; tou jo u rs froides, leu r calice seul s’échauffe de leurs am ours. Elles n ’aim ent souvent q u ’une fois chaque année, m ais quelle prodigieuse q uantité de pollen et de sem ence! L’AMOUR CHEZ LES PLANTES ET CHEZ LES ANIMAUX. 35 Secouez une bran che de genévrier ou de pin en (leur, et l’air sera obscurci p ar u n nuage de pous sière fécondante; des forêls entières n ’aim ent q u ’une fois, et à des lieues de distance" elles rem plissent l ’atm osphère de leu rs senteurs am ou reu ses; le vent tran spo rte desnuages de pollen et la pluie en purifiant l’atm osphère se colore de cette p oussière d ’am our. A l’om bre des arb res fleuris, des fleurs a m o u reuses, dans chaque touffe d ’herbe, chaque fissure de roch er, au m ilieu des algues m arines, au fond des m ers, ju sq u e dans la goutte d ’eau qui tom be du glacier et dans l’infini du ciel, les anim aux s’enlacent, de sorte que su r tout le globe et à toute h eu re du jo u r et de la n u it, chaque rayon de soleil réchauffe des m illions de baisers, chaque rayon de lune éclaire des am ants nocturnes dans leurs em brassem ents. S’il est vrai q u ’à chaque m inute une feuille de l’arb re h u m ain tom be et devient cadavre, à chaque m inute aussi naît u n germ e nouveau, et p o ur chaque germ e que de baisers et que d’am ou r! Si l’anatom iste et le physiologiste trouvent dans l’élude de la génération des anim aux des m atériaux précieux pour étu dier les lois les plus élevées de la m orphologie, le psychologue trouve, dans l’am our des anim aux, l’ébauche de tous les élém ents qui le constituent chez l’hom m e. A ucune fonction ne se prête m ieux que l’am our à l’obser vation du type uniqu e, sous la diversité infinie des form es. À peine le sexe ap p araît, que le m âle se d istin gue p ar son caractère agressif. A très peu d ’excep tions près, c’est lui qui cherche et conquiert. Parcourez le dernier ouvrage de Darwin su r la sélection sexuelle *, et vous verrez com m e la n atu re a arm é les m âles pour co n q uérir leurs com pagnes. Jusque chez les plantes c’est le pollen qui va chercher l’ovule, et l’ovule attend que le pollen le féconde. Il en est de m êm e p o u r les form es anim ales très sim ples où le m âle et la fem elle vivent et m euren t cloués à la place qui les a vu n aître. C'est l’élém ent m âle qui est porté où le germ e l’atten d. C’est là la prem ière loi qui gouverne l’am ou r dans to u t le m onde vivant ; et q uand l’hu m an ité entière rit du chaste Joseph, quand toutes les races élevées éprouvent u n profond m épris po u r la fem m e qui assaille et p o u r su it l’hom m e, elles ne font que p ro tester contre la violation d ’une des lois les plus im périeuses auxquelles hom m es et m o llu sq u e s, fem m es et fleurs ne peuvent se so ustraire. L’hom m e résum e toutes les forces de la n ature vivante au point que nous som m es bien des fois tentés d’affirm er que l'hum ain n ’est que la syn thèse de toutes les form es inférieures, et que, s’il 1. Darwin, The descent o f mon and sélection in relation io sex, London, 1871. est le p rem ier, c’est q u ’il renferm e en lui toutes les forces n aturelles. De m êm e p o u r les élém ents m oraux de l’am our. Le pigeon, bien que vivant dans le m élange des races les plus diverses, est très rarem en t infidèle à sa com pagne, et si, p ar un caprice exceptionnel, il ro m p t son vœ u, il reto u rn e au plus vite auprès d ’elle. Darwin tin t longtem ps diverses races de colom bes enferm ées ensem ble, et n ’eut jam ais un bâtard . Ne trouve-t-on pas aussi chez l’hom m e de m agnifiques exem ples de la m onogam ie la plus fidèle, et n ’est-ce pas la base de la société dans presque toutes les races élevées ? Les antilopes de l’A frique m éridionale ont ju s q u ’à douze épouses, et YAntilope Saïga d ’Asie en a plus de cent. Or, n ’avons-nous pas Salom on, n ’avons-nous pas les polygam ies de la société m o derne m esquines et hypocrites dans nos contrées, larges et avouées chez les peuples orientaux? N’y a-t-il pas dans l’h u m an ité, de m êm e que chez beaucoup d ’anim aux, des fem elles qui subissent l’am ou r com m e u n devoir, et des m âles auxquels il doit être im posé ? N’y a-t-il pas le libertinage à côté de la chasteté? Ne trouve-t-on point dans la société hum aine toutes les débauches, toutes les ard eu rs du m onde anim al ? Et si q u elq u ’un était tenté de croire que les vices Contre n atu re sont le triste privilège de l’h u m a nité, je lu i rappellerais que chez beaucoup d ’ani m aux existent les plus étranges caprices, l’inceste et m êm e la m asturbation ; je lu i rappellerais que beaucoup d ’an im au x , m onogam es dans la vie sauvage, deviennent polygam es en dom esticité, éb au chant ainsi une sorte de co rru p tio n analogue à celle que l’on dit produite chez l’hom m e p ar la civilisation. La form e instan tan ée de l’am ou r s’observe chez l’hom m e com m e chez certains insectes, de m ôm e que les longs et froids em brassem ents q u ’on observe chez d ’au tres insectes. E t les b rû lantes et douloureuses jalou sies, les batailles sanglantes ne sont-elles pas com m unes aux hom m es et aux ani m aux? La m o rt p ar l’am o u r n ’est pas non plus un privilège de l’hom m e. Les passions rares et rudes des anim aux sont portées en holocauste su r l’autel de la génération, com m e l’hom m e y dépose toutes les ard eu rs de sa rich e n atu re. Souvent le pinson, dans ses luttes de ch an t, tom be de l’arb re où il en ton n ait son hym ne d ’am ou r et m eu rt d’apo plexie p u lm o n aire; de m êm e plus d’un poète sent se b riser sa lyre et sa vie aux pieds d’une fem m e. Dans le silence et l’om bre des bois le rossignol exténué s’évanouit de fatigue et m eu rt p o ur n ’a voir pas pu vaincre en m élodie et en puissance un plus h eureux rivai ; que de fois aussi l’am an t expire dans les luttes d’u n am ou r m alheureux p o ur n ’avoir pas su, lui au ssi, ch an ter plus fort et m ieux q u ’un a u tre ? La coquetterie n ’est point non plus une prérogative de la fem m e. A ucune n’égalera les artifices grâce auxquels la fem elle du canari sait résister aux im patientes ard eu rs de son com pagnon; et, dans le m onde, les m ille dé guisem ents p ar lesquels le non cache un oui, sont de pâles im itations des feintes, des m ille agaceries q u ’em ploient les fem elles des anim aux. Q uant aux élém ents esthétiques distribués à profusion p ar la n atu re aux êtres vivants pour em bellir leurs am ours, la palette la plus rich e ne sau rait en donner une idée. J ’en essayerai cepen dan t quelques m odestes esquisses. I En ju illet, l’h eu re la plus chaude de la jou rn ée. Lentem ent je suis un e plage déserte de l’A dria tique, resp iran t l’a ir em brasé au m ilieu d ’une n atu re qui sem ble plongée en u ne profonde lé tharg ie. Pas u n souffle d ’air, pas un b ruissem ent de feuilles, car il n ’y a pas une feuille dans cette lande sablonneuse, ici plane, là bossuée de m on ticules, p artout hérissée de chardons jau n is, qui sem blent en zinc. Toutes les voix de la n atu re se taisent, tous les anim aux se cachent, et la m er, en son éternel m ouvem ent assoupi, sem ble accrou pie, p araît lasse et prêle à s’endorm ir. Mon pied vagabond, toujours en quête, est la seule chose vivante en cette fournaise et laisse su r le rivage h u m id e les traces du passage d’un hom m e. Accablé m oi-m êm e, à peine si je m ’aperçois que m on pied est m ouillé et n ’ai que le tem ps de m ’arrê te r de vant un ru isselet qui coupe m on chem in. Cette eau ne m u rm u re pas, elle ne décore pas ses bords de fleurs, d ’herbes ou de joncs. Paresseuse et chaude, elle creuse à peine le sable et se fond dans la m er sans que, de l’em brassem ent de ces deux ondes, résu lte un b aiser, une secousse. Cette veine d’eau si lente, si m olle, dévie et se dé to u rn e, cherch an t u n chem in plus facile. Elle se divise à l’infini, form ant u n large éventail de filets, et plus d’un expire dans le sable avant d ’avoir rejo in t la m er. Tout à coup, dans ces îlots, u n , deux, quelques insectes s’envolent rapid em en t en un rayon de soleil; h eureux de ne plus être seul, j ’aim e déjà ces com pagnons q u i, com m e m oi, ne craignent ni les déserts b rû lan ts, ni le silence de celte heu re plus m uette que celles de la n u it. Trop souvent l’hom m e ne sait se m ettre en rap p o rt avec les autres êtres, q u ’en leu r infligeant la captivité et la m ort; je suis, m oi aussi, la loi fatale et, de m a canne, je pourchasse les h eureux h ab itan ts de ces îlots déserts. Ces petites créatures, qui se baignent et se sèchent au soleil, je les vois s’aim er. Elles sont g rises, n o ires, b rilla n tes, com m e m étalliques, et tous leu rs m em bres pal pitent, tourm entés p a r les ard eu rs de l’été et de l’am our. Une petite fem elle, coquette et capri cieuse, court rapidem ent su r le sable ; un m âle la rejo in t, l’enlève dans les airs ; après une reb u f fade, puis une fuite ils redescendent ; nouvelles p o ursu ites et nouvelles luttes. Je ne vois plus que le ventre, luisan t com m e une cuirasse d ’acier b ru n i, des deux petits êtres éperdus d’am our. M aintenant je n ’en vois plus q u ’un, ils se sont fondus ensem ble. Une curiosité cruelle m e pousse à tro u b ler cette scène ; le bout de ma canne blesse le ravisseur, une antenne, un e élytre sont a rra chées, les entrailles sortent, m ais le pauvre am ant n ’en p o u rsu it pas m oins sa conquête, fou d’am our et de d o u leu r; avec les trois ailes qui lui restent, il s’épuise à so utenir sa m aîtresse dans l’air et la couvre de son sang. A utour de ces infortunés, d ’autres couples plus heureux volent, im puissants à les se c o u rir.... Et m oi, plein de rem o rd s, je contem ple avec adm iration cette faible créatu re q u i, blessée et m ou ran te, ne renonce pas à son éti’einte, et dont l’agonie se perd dans un dernier spasm e d ’am our. A insi, m êm e en ce désert on aim e; su r ce coin de terre inhabité, se trouve u n héros d’am ou r; m êm e su r cette plage solitaire ily a u n hom m e c ru e l1. 1. Co coléoptère est la civindela sylvicola ; m ais beaucoup (l’aulres aim ent avec cette violence. Blessés, m ourants, ils n ’a bandonnent pas leur femelle. II Dans m on ja rd in , nonchalam m ent étendu su r un petit m u r assez bas p o u r que je puisse sentir l ’odeur de la terre fraîch em en t m ouillée p a r un orage, je tou rm en te d ’une m ain les pétales d ’une fleur de citro n n ier, tandis que de l’au tre j ’effraie des fourm is qui courent affairées dans l’allée sa blée. Deux petites om bres passent devant m es yeux et se posent en face de m oi, au m ilieu de l’allée. Ce sont deux créatu res du ciel, b rillan tes et ailées : les organes de la vie terrestre sont ré duits à u n fil pour sucer le n ectar des fleurs, à qu atre grandes ailes po ur p arco u rir l’espace. Leurs heu res sont com ptées; elles doivent aim er et m o u rir, et p o u r leurs am ours rapides, la n ature les fit ardentes et rapides : les organes des sens sont plus grands que l’abdom en, ceux de la beauté plus grands que les viscères. Ce sont des papillons dont je reg rette de ne pas savoir le nom . Ils s’aim ent et se poursu iv an t voltigent en tous sens. Ils ne se sont point aperçus q u ’u n tigre les g u ette; u n gros lézard descend lentem ent du petit m u r, balançant sa tète à droite et à gauche, plein de convoitise, et caressan t ses lèvres de sa langue fourchue. Ils sont trop heureux p o u r songer aux L’AIIOÜR CHEZ LES PLANTES ET CHEZ LES ANIMAUX. 41 ennem is qui les e n to u re n t; n ’ont-ils pas trouvé une tige en fleurs, tout u n m onde pour eux. La fem elle s’en fait u ne défense contre son cher p o ursuivant et tourne au to u r d’elle, tel un enfant qui fuit les coups court au to u r d ’une table. Mais l’am oureux, après quelques tours im patients, fran ch it l’obstacle et de ses ailes secoue celles de la coquette. Une pincée de poudre d’or s’éparpille dans l’a ir; il est repoussé, u ne nouvelle attaque et u n frém issem ent de volupté term in en t cette pre m ière scène. Peu à peu la fem elle p araît céder aux im patients désirs de son am ant, m ais lorsq u ’il est en proie à l ’anxiété que lui cause l’approche du but. désiré, et q u ’il se trouve près d’elle au point de tou ch er avec ses antennes velues le corsage soyeux de son am ante, elle vole deux m ètres plus loin. Il la su it et le jeu recom m ence. La chaleur au g m en te, et les désirs exaspérés sont devenus ardents com m e le soleil. La coquette tou rn e le dos à son poursuivant et lentem ent ouvre ses ailes, afin de se m o n trer dans toute la splendeur de ses pierreries, de ses ors, de ses velours; puis elle les ferm e, les redresse et, en un clin d ’œ il, cache toute la brillante toilette dont la n atu re l’a parée. Le m âle n ’est pas m oins séducteur; par petits bonds il se pose devant sa bien aim ée, ouvre la r gem ent ses ailes, pour m o n trer ses m ille couleurs et l ’éclat de ses yeux fauves. Leur im patience de s’em brasser est alors à son com ble. Ils se rapprochent assez p o u r se donner des b ai sers avec leu rs anlennes et, dans une caresse lente, douce, prolongée, leu rs ailes se frôlent. M aintenant ils se reposent, ils savourent la dou ceu r de leu r étreinte. Comme il doit être volup tueux en effet ce contact de deux ailes de soie et de v elours, si léger que pas une parcelle de leu r poudre d’or n ’est atteinte. Plus d ’une fois j ’ai vu ces heureuses créatures jo u ir du b o n h eu r de leu r union, et j ’ai envié le b aiser angélique de deux ailes, qui confond p a r sa poésie les grossières am ours des hum ains. Deux êtres nus et pourtant vêtus, ard en ts et chastes, n ’aim ent q u ’une seule fois et q u ’une seule créa tu re; s’em brassent su r la terre et s’épousent dans les a irs; s’enivrent du suc des fleurs et des rayohs du soleil, se caressent des ailes, s’ép ren nen t l’u n de l’au tre p o ur leurs couleurs, que ne donneraient ni la chim ie ni la palette du Titien et de R ubens; deux créatures enfin laissent leu r vie dans une longue étrein te, et m euren t pour avoir aim é ; — après de longs baisers et m ille caresses, ils se donnent une dernière et plus ardente étreinte avant de s’envoler dans les airs p o ur rallu m er le flam beau de la vie qui allait s’éteindre en eux. Tantôt un is, tan tô t séparés dans leu r vol vertigi neux, ju sq u ’à ce q u ’ils aient disparu dans l’azur, je les suivis des yeux en so up iran t et je m e disais : Oh ! pourquoi n ’aim ons-nous pas ainsi? III Les prem ières lu eu rs d’aube ont éveillé u n ta page infernal su r le toit de m on voisin, — un toit aux tuiles noircies et rongées en tre lesquelles verdovent des coussinets de m ousse, tandis que su r les goutières corrodées p ar la rouille et to r dues p ar l’alternan ce du soleil et de la gelée, quelques brins d ’herbe ont poussé qui vivent de lum ière et de rosée, avec plus de parcim onie q u ’un anachorète et plus de b o n h eu r q u ’un roi. Là se sont donné rendez-vous tous les m oi neaux du voisinage; b ru y an ts, effrontés, pétu lants, criard s, ils se bousculent, jou en t et se béq uètent. Ils parlent u n langage canaille et inh arm o nieux , ils se raco n ten t leu rs rêves de la n u it ou se disent des choses fort im p o rtan tes; heureux d ’avoir bien dorm i, oublieux d ’hier et peu soucieux d ’au jo u rd ’h u i, au cu n ne se tait, tous réchauffent leurs plum es aux prem iers rayons du soleil, et de leu r bec fouillant sous l’aile, font la g u erre à quelque acarus gênant. Il y en a de petits et de gro s; le gris, le b ru n , le noir, distinguent leu r sexe et leu r âge peut-être et peut-être aussi leu r race. Mais, po ur le m om ent, ils sont tous frères. N ulle différence de caste, pas de chef, pas d’esclaves, aucune étiquette, foin des for m ules hypocrites. Ces charm ants petits êtres au raien t-ils réalisé la R épublique de Platon? Mais au m ilieu de ce peuple insouciant, parait to u t à coup u n p ie iro t plus b ru n , plus fort que les autres. Il se dresse su r ses pattes, allonge le cou et se redresse com m e un enfant dont on va p ren d re la m esure, et sans bouger de place, jette les yeux à droite et à gauche, avec u n air d ’indes criptible fatuité. Il a découvert auprès de lui une p ierrette grise, au corps m ince et allongé, aux form es élégantes. Le fat l'aperçoit et, sans m êm e s’approcher, jette u n cri de conquête ; p ar sa force et son éclat c’est déjà u n cri de victoire. Il faut croire que dans la langue des passereaux cette parole a une grande signification car la gente pierrette p ar petits bonds s’isole au bord du toit de la troupe bruyan te de ses com pagnons. Mais son superbe am ant la rejo in t, en clam ant son cri avec insistance, il est déjà près d’elle, m ais elle s’envole su r le loit d ’une m aison de l’autre côté de la ru e. Elle ne l’a pas attein t q u ’il l ’a déjà rejointe, ils se font tête et sem blent se délier. Ils se lancent u n m onde de paroles qui me sem blent insolences et tendresses à la fois. Elle gém it, lui crie; l’une im plore, l’au tre com m ande, et leu r caquetage se confond au point qu’il sem ble le son d ’un seul instru m ent. Mais leu rs coups de becs les ont fatigués, la gentille fem elle se sauve dans une gouttière, tan dis que le m âle se repose L’AMOUR CHEZ LES PLANTES ET CHEZ LES ANIMAUX. 45 au soleil et prend de nouvelles forces. Elles sont vite revenues, car les cris et les plaintes recom m encent de plus belle. P lusieurs assauts ont eu lieu et la pauvre oiselle se défend avec tant d’én er gie que je com m ence à cro ire qu’elle ne veut pas être aim ée ce m atin. Mais s’il en est ainsi, si elle n ’aim e pas son obstiné persécu teu r, pourquoi ne fuit-elle pas à tire-d ’ailes p ar les a irs? Pourquoi l’appelle-t-elle lo rsq u ’il s’éloigne en sim u lant l’in différence et le dépit? Mais le désir ne résiste pas à tan t de lutte, le m âle est décidé à cueillir le doux prix de sa victoire, en sau tillant il rejo in t sa com pagne, qui se sauve au bord du toit qui surplom be la ru e. D errière elle il n ’y a plus un pouce de te r rain : il lui faut fu ir et peut-être perdre son am ant déjà lassé p ar tan t de refus ou se reconnaître vain cue. Les centim ètres qui les séparent sem blent être devenus des espaces infinis, tan t ils les m e su ren t de m ille petits sauts ; de tem ps en tem ps la pierrette fait la grosse voix, m ais sans réu ssir à couvrir celle plus robuste de son am an t qui m aintem ent est assez p rêt pour la tou ch er du bec. Les deux petits corps b rû la n ts se touchent, se chevauchent, s’enlacent et là, su r le b ord de la gouttière, suspendue su r l’abim e, la fem elle accorde la dernière volupté à son am a n t; un gém issem ent faible, un ébourriffem ent rapide com m e l’éclair. Ils tom bent évanouis, puis, ils se relèvent len3. 40 PHYSIOLOGIE DE L’AMOUR. ♦ tem ent, se regardent étonnés et alan g uis; enfin, tou t frissonnants, ils raju sten t leurs plum es et vont cacher leu r fatigue heureuse su r quelque arb re hospitalier où le repos va leu r ren d re leurs nouvelles ard eurs. IV J’étais sorti à cheval de G aleguaychù, p ar un jo u r de printem ps sans trop savoir où j ’allais. J’avais franchi la dernière calle et tourné la der nière quinia; j ’en trais dans la cam pagne. Je m ’en fonçai au galop dans u n bois d’Algarrobos et de N ândubays. Je voulais m e m ouvoir à la fois et res p irer l’air et les parfum s. Des perroquets teru-teru, horneros, brasitas et cent au tres oiseaux babil laient, criaient dans les ram eaux, dans les buis sons et su r le sol : presque tous p arlaien t d’am our. Mon cheval faisait fu ir les iguanes gris qui en b ri san t les petiles branches et écrasant les feuilles sèches regagnaient com m e l’éclair leu rs trous creusés aux pieds des talas. Je m ’arrôlai un in stan t, enferm é dans un fourré d’arbres épais et très élevés dont les bran ch es tom baient ju sq u ’à terre et em pêchaient m on cheval d’avancer. J’en tendis tou t près de m oi un b ru it sourd et régu lier, com m e le choc de deux os. Je m ’avançai lentem ent dans le taillis pour en découvrir la cause. Au-dessus d ’u n algarrobillo, couvert d’un m anteau de passiflores, j ’aperçus en me dressant su r m es élriers, le cadavre d ’un cheval et un vau tour. Le cheval était déjà squelette. S ur les os, quelques lam beaux de ch air q u ’un d ern ier caran cho d échirait et dévorait avec avidité. Au m ilieu de cet affreux ch arn ier, com m e elle était belle cette fem elle avec son plum age si b rillan t. En ferm ée dans les grandes côtes du cheval, elle avait l’a ir d ’être en cage et de tem ps en tem ps elle passait sa tête en tre les côtes et fourbissait son bec contre elles. Les coups réguliers du bec, qui détachait les derniers débris de la pauvre charo gne étaient interrom pu s par u n gém issem ent p ro fond, auquel j ’entendais répondre de loin u n au tre gém issem ent. Alors le carancho répondait d’une voix plus forte, et so rtan t sa tête tout entière, reg ardait en l’air. Je regardai com m e lui et je vis un au tre carancho, qui planait com m e u n aigle au-dessus tlu ch arn ier, de la table d ’autopsie. Les gém issem ents devenaient plus doux, plus affectueux, le m âle se rap p ro ch ait, m ais cette fem elle vorace, sau f quelque regard de coquet terie, continuait sa jouissance gastronom ique. Je m e cachai derrière le tronc d ’un gros nandubay p o ur épier les am ours de deux vautours à travers les os d ’un cadavre. L’am ant im patient continuait à gém ir. Il faisait parade de ses m ouvem ents plus élégants, m ais la fem elle, avec son glousse m ent sourd, sem blait dire : « Je te vois bien, m ais je n ’ai cure de toi; je trouve cent fois plus savou reuses les ch airs de m on cheval ». Mais l’ardent carancho fondit com m e une flèche et frappa du bec et des serres cette cage d’ossem ents q u ’il fil vibrer en frém issant d’am our. La froide coquette se tapit dans la carcasse, puis so rtant de sa cage, fit deux ou trois sauts gracieux soulevant ses ailes et m o n tran t le duvet le plus caché de sa poi trin e, puis voulut ren trer, alors ils s’abordèrent, se m o rd iren t, j ’entendis les ailes se h eu rter, je vis se m ouvoir le squelette dans la bagarre, m ais l’assaillant fut repoussé et s’envola en crian t de douleur et de dépit. La faim avait été plus forte que l ’am our. Le m alheureux d isparut de l’horizon p o ur quel ques instants et la fem elle reg ard an t en l’air entre deux coups de bec, sem blait étonnée et cha grine, elle ne pensait plus à son repas et m ontant su r sa cage elle gém it tendrem ent. A ce gém isse m ent, rép o nd it un au tre gém issem ent. Un fort b ru it d ’aile qui tro ublait l’a ir calm e de cette jo u r née de printem ps m e m ontra que l’am our avait été plus puissant que le ressentim ent Le Carancho décrivait des cercles en gém issant et la dédaigneuse, prise à son tou r, to rd ait son cou à droite et à gauche, lançant dans l’espace des regards am oureux. Les ailes s’ouvraient et se fer m aient rapidem ent et les plum es de la queue, en se dressant convulsivem ent, invitaient à la volupté L’AMOUR CHEZ LES PLANTES ET CHEZ LES ANIMAUX. 49 le com pagnon ailé. 11 fondit plutôt q u ’il ne des cendit vers sa com pagne, les deux corps s’étreignirent, q u atre ailes se caressèrent, m ille plum es chaudes et frém issantes se m êlèrent et sous le poids et sous l’em brassem ent robuste des deux vautours les os du squelette cédèrent et sem blèrent p ar un craquem ent sourd ajo uter leur note d ’am our à ce baiser ardent des deux oiseaux. i V En un jour de printem ps je suis couché au bord d ’un de nos lacs. Je n ’ai pas sous m oi le doux tapis de la grève, m ais le sable grossier et les cailloux roulés des plages lacustres. Tout à coup un frém issem ent que certes n ’a pas causé le vent, se p roduit dans l’eau. Je me lève et m on regard fouille la berge la plus basse, po ur en découvrir la cause, m ais il s’arrête, peutêtre m e suis-je trom pé. J’attends. Bientôt des profondeurs de l’eau surgissent des m illions de petites om bres b ru nes, courant com m e des arm ées en bataille au bord du rivage dentelé. C’est u n vrai m iracle de l’Évangile; le changem ent de l’eau en poissons. Les petites bêtes se poussent, se b o us culent com m e pressées, c’était l’im patience d ’a r river. Ce n ’est ni un voyage ni une fuite. Tout le lac devient argenté et bouillonne com m e sous l’action d ’u n feu caché, p ar instan ts l’eau ne suffît plus à cette population prodigieuse, les poissons sont lancés en l’a ir p ar m illiers, et re tom bent su r la foule innom brable des aulres. Ce bo uillo n n em en t, oette effervescence, ces bonds p ren n en t peu à peu l’aspect d ’un chaos vertigineux. Écailles de poissons, jels d’eau, scin tillem ents du soleil se confondent et je ne recon nais plus les élém ents de la n atu re vivante et ceux de la n ature m orte qui sem blent s’être donné rendez-vous po ur fêter quelque sabbat infernal. Tout est froid dans cet endroit sau f le tiède so leil, les poissons sont froids, l’eau est froide, les pierres froides, le sable aussi ; et p o u rtan t l’en sem ble de ces m ouvem ents est si chaud ! C’est une ferm entation subite de m illiers d ’in dividus qui aim ent avec tous les sens, qui em b rassen t avec tou t leu r corps. Ce n ’est point le m élange de deux résistances, m ais un e confusion infinie, l’am ou r d ’u n seul p o ur m ille, l’am ou r du m ille pour u n seul. Ces quelques croquis d ’après n atu re, donneront difficilem ent une idée de la variété des couleurs et de la singularité des form es de l’am ou r su r la terre. Les philosophes, les poètes, les artistes, doivent étu dier avec passion les m ille m anières dont les êtres vivants échangent leu rs cellules germ inatives ; ils y trouveront des sujets de pro fondes m éditations et de grandes inspirations. C’est seulem ent aux yeux de l’hypocrite ou de l’im bécile que l’am our chez beaucoup d ’êtres vivants ne sem ble q u ’une lutte b ru tale ou des em brassem ents im pudiques. Jam ais la n atu re ne se m ontre plus inépuisable, plus puissante, plus adm irable que lorsq u ’elle enseigne aux vivants à étern iser la vie. Sur la surface de no tre planète, on aim e tou jo u rs et on aim e tan t, que m êm e les m u rs sévères du cloître ne réussissent pas à cacher toutes les scènes d ’am o u r à la pu dique religieuse. Il est bon de so ustraire au tan t q u ’il est possible aux yeux de nos enfants et su rto u t de nos filles, les accouplem ents trop obscènes des anim aux dom es tiques qui nous ressem blent le plus. Mais la m o rale la plus rigoureuse et la p u deur la plus sévère ne sau raien t cacher les baisers des colom bes, les débats am oureux des can aris, et les sublim es caresses des papillons. Plus d ’une vierge reçu t de ces speclacles la prem ière leçon d’am ou r, et bien des années avant que la lèvre d’un am ant ne lui enseignât à vivre à deux, les colom bes, les can aris, les papillons lui avaient fait b attre le cœ ur, en lui découvrant le seuil du tem ple m ystérieux. CHAPITRE III L’A U R O R E ET LES DE L ' A MOU R. — MAUVAISES LES BONNES SOURCES DE L’A M O U R L’hom m e sim ple ou de lype inférieu r, ne voit ap p araître en lui l’énergie de ce nouveau senti m ent qui s’appelle l’am ou r, que lorsque le déve loppem ent des glandes germ inatives a m arq ué en lui le caractère du sexe. Dans les n atures riches et puissantes au contraire, bien des années avant que le sujet ait im prim é à l’organism e sa m arque profonde, un e vague et m ystérieuse sym pathie attire pu diq u em ent le jeu n e garçon vers la jeu ne fille. L’au ro re de l'am o u r n aît sans être stim ulée par une précoce corruption, elle su rg it spontaném ent dans le cœ ur le plus innocent ; elle brille com m e les rayons pu rs et tran q uilles d ’une lum ière qui deviendra plus tard ardente. Le vulgaire répète m alignem ent tous les jo u rs ce blasphèm e q u ’aucun enfant n ’ignore les se crets de l’am our. L’innocence des enfants est plus vraie, plus sincère et plus profonde que l’on ne croit et elle persiste m ôm e lo rsq u ’elle a été déjà salie p ar la boue de la corruption sociale. Les lèvres roses d ’un enfant peuvent rép éter u n m ot grossier entendu p ar h asard, m ais cette tache ne pénètre pas dans la n ature cristalline, une goutte d’eau l’efface. Le vulgaire est toujours incrédule pour l’innocence d’au tru i, telle sa m échanceté se plait à n ier la vertu. Dans leu rs jeux, m algré la turbu len ce du pre m ier âge, les petits garçons d istinguent une petite fille en tre cent, en tre m ille, et une sym pathie subite fait n aître une tendresse sans nom , un am our innocent, inconscient de lui-m êm e, et qui p eut sem bler à la fois la caricatu re et la m in ia ture d ’u n tableau sublim e. Je m e souviens d ’avoir vu un e angélique petite créatu re blonde com m e un épi, rose com m e l’au rore je te r tou t à coup ses adorables petits bras au to u r du cou d ’un petit garçon fier com m e un brigand et b ru n com m e u n p irate, et l’effrontée le couvrait de baisers qui le m ettaient en fu reu r. Elle de lui dire q u ’elle l’adorait et q u ’elle voulait en faire son p etit m ari. Un m onde à l’envers, la réduction m icroscopique d’un chaste Joseph qui ne savait ce q u ’était la fem m e, et d ’une lillip u tienne qui, avec ses innocentes ard eu rs sem blait M adame P u tip h ar, et n ’était q u ’un petit ange. Parfois les élans subits d ’affection entre deux enfants de sexe différent, cachent une véritable passion, qui a ses jalousies, ses larm es et ses soupirs, des joies délirantes, une h istoire et un avenir. Les fem m es très belles, que la n atu re bonne ou cruelle a m arquées pour faire n aitre à chaque in stan t de leu r vie des désirs et des passions ignorent souvent que dans la troupe de leu rs ado rateu rs, il y a de véritables enfants, qui bai sent en secret les fleurs tom bées de leu r sein ; qui com m e des voleurs dom estiques se glissent dans la cham bre qui abrite leu r ange, p o ur baiser son lit, et s’agenouiller su r le tapis que foulent les pieds de la fem m e q u ’ils ont déjà distinguée entre toutes, et q u ’ils osent déjà m ettre au niveau de leu r m ère. Et bien souvent une fem m e qui joue avec les cheveux d ’un jeu n e garçon dont la tête repose su r ses genoux ne sait pas q u ’un petit cœ ur b at rap id em ent sous ses caresses, elle ignore lors que l’adolescent relève sa tête frisée, que sa ro u geur vient d ’un feu q u ’il ignore lui-m êm e et qui est de l'am o u r. Ces doux rêves de notre enfance d u ren t tou jo u rs l’espace d ’u n m atin, et les com bats de la jeunesse les font souvent o u b lier; ceux dont le cœ u r est sceptique et la m ém oire faible, n ’ont q u ’u n geste de com passion et des paroles de m épris p o ur ce qu ’ils appellent des enfantil lages. Pourtant, com bien de fois ces fantôm es fugitifs n ’ont-ils pas annoncé les orages de l’avenir, en ré vélant une n atu re profondém ent aim ante. Quel ques rares m ortels ont eu le b o nh eu r, à leu r lit de m ort, de se rre r la m ain de l’unique fem m e q u 'ils avaient aim ée, et que tout enfant ils avaient aim ée avant de savoir q u ’elle était un e fem m e; la lèvre trem blante du m oribond pouvait alors ratta cher ce dern ier baiser au p rem ier q u ’il avait bruyam m ent déposé su r la jou e d’une enfant de dix ans. Et sans p arler de cet idéal, inaccessible p o u r nous, que de fois, après une longue vie usée p ar les passions, après avoir cru n ’avoir p lu s ni foi ni am our, aux prem ières om bres du soir, que de fois un d ern ier rayon n ’a-t-il pas ravivé la chère m ém oire de tan t d ’années ensevelies, fait palpiter le cœ ur d ’un vieillard et ro u ler une larm e su r son visage flétri. Devant ses yeux fatigués a passé un petit chapeau de paille orné d’un ru b an bleu. Dans la profondeur de son âm e quel abim e de chers souvenirs s’est ouvert en u n instant! Une douce lum ière illum ine toute la n uit du passé ; u n cam ée antique a été retrouvé sous la bêche du fossoyeur, dans la poussière et les gravats. Un am ou r ju v é nile a été retrouvé p ar la m ém oire qui n ’est pas toujours ingrate et cruelle. Si l’on dem ande à u n petit garçon pourquoi il aim e une petite fille, il s’enfuira tout honteux; si on le dem ande à la petite fille elle deviendra toute rouge et répondra une sublim e im p e rti nence : ils aim en t... et ils ne savent pas pou r q u o i! Demandez à un bouton de rose précoce p o u r quoi il a voulu fleurir en m ars, au lieu d ’attendre le souffle tiède de m ai ; dem andez à u n cyclam en de ju illet pourquoi il n ’a pas atten du les brises fraîches de septem bre p our p arfu m er la m ousse dans laquelle il a fait son n id .... Ils ne savent pas pourquoi! Chez les hom m es ard en ts, les prem ières lueurs de l’am ou r apparaissent plus tôt parce que, à leu r n atu re féconde, im patiente, il tard e de donner ses fleurs, et que toute la vie sera p o ur eux trop courte pour apaiser l’im m ense soif d ’am our qui les consum e. Ils aim ent vite parce q u ’ils aim ent beaucoup; c’est ainsi que les hom m es de génie pensent souvent à dix ans, ce que le vulgaire ne pense pas à tren te. Et pourquoi, m on enfant, préfères-tu cette pe tite fille à toutes les au tres? Et toi, jolie fillette, pourquoi te laisses-tu em brasser seulem ent p ar ce jeu n e b ru n ? Pourquoi cette petite est-elle diffé ren te de toutes les au tres, pourquoi ce garçon diffère-t-il de ses com pagnons? L’am ou r, dans sa form e la plus obscure, est élection irrésistible et sym pathie profonde de deux n atu res différentes ; c’est la recom position de deux forces décom posées, c’est l’équilibre des contraires, c’est l'harm onie des harm on ies; la plus gigantesque, la plus im périeuse des affinités. En dehors de ces natures privilégiées, l’am our naît dans les m asses lo rsq u ’un nouveau besoin su rg it sous la baguette de cette m agicienne q u ’on appelle la puberté. C’est alors que dans la fleur de l’enfant apparaît le fru it qui y était contenu, c’est alors que dans l’adolescent, la voix plus forte, le poil qui recouvre sa peau, les m uscles p lus puissants, tout dem ande une fem m e. Et chez la jeu n e fille, la dém arche, la chevelure superbe, l’éclat du reg ard , tout dem ande un hom m e. L’innocence et l’ignorance les font fu ir dans les bois, dans les frais vallons, su r les arides m on tagnes. Ils courent, ils courent ju sq u ’à la lassi tude, ju sq u ’à l’étourdissem ent, p o ur ferm er les oreilles à ce cri. Ils jou en t, ils folâtrent avec fu re u r po ur prouver à eux-m êm es et aux autres q u ’ils ne sont pas au jo u rd ’hui différents d ’h ier; ils rien t et pleurent sans raiso n, pour tro m p er euxm êm es et les autres et m o n trer q u ’ils sont plus enfants que jam a is, m ais en vain. Dans les jeux, dans les courses, le dém on nouveau les tient, ne les abandonne pas et, en les n arg u an t, il leur crie : u n hom m e! un e fem m e! La n u it vient et la fatigue leu r prépare un som m eil profond, où la jeunesse étourdie sem ble devoir s’enfoncer dans u ne m er d’oubli. Mais des fantôm es nu s, hélas! trop n u s, apparaissent et chassent l’innocence et fig n o ran ce ; des tou rm ents nouveaux, des voluptés inconnues, des angoisses qui sem blent des joies, m ais des joies pleines de p leurs, les réveillent troublés et le sein p alpitan t. La jeu n e tille, inon dée de su eu r et de larm es, s’assied su r son lit et tou chan t ses cheveux, dérangés p ar le rêve d ’une lu tte, se dem ande consternée : quel péché ai-je com m is ?... M aman, m am an, où es-tu? Après cette n u it sans repos et le som m eil sans paix, elle co u rt vers sa m ère, en lui d isan t q u ’elle est m alade, très m a la d e ..., m ais q u ’elle n ’a m al n u lle p art. Et à l’af fection qui so urit et console, elle répond p a r des pleurs inaccoutum és, des im patiences, des désirs nouveaux, des caprices étranges. Puis, que de larm es sans m otifs, que de bourrasqu es dans un ciel serein, que de rom ans créés en une heure d ’im aginalion; que de caresses faites à u n chien que l’on n ’avait jam ais aim é, que de baisers à un oiseau auquel on n ’avait jam ais songé, que de tendresses dépensées au h asard , suivant les con vulsions d’u n cœ ur qui ne peut être ni réglé ni conduit. Le passage de l’adolescence à la jeunesse est une des époques les plus chargées de chagrins et de joies folles, aussi je l’appelle la p ériode hysté- L’AUROHE DE L'AMOUR. 59 rique de la vie. Je l’étudierai de plus près, plus tard , dans u n ouvrage que je prépare su r les âges de l'homme. Si je n ’ai presque parlé ju s q u ’ici que de la fem m e, c’est parce que, plus pudique, plus ré servée et p o u rtan t cent fois plus avide d’am our, elle ressen t plus profondém ent le frém issem ent qui annonce l ’arrivée du nouveau d ieu; plus inno cente que nous, elle en ignore la n atu re et, plus tim ide, elle s’en effraie davantage. A l’hom m e, la n atu re a fourni des ressources ignobles, presque inconnues à la fem m e, et trop souvent le vice précoce lu i fait goûter la volupté avant qu’il ne connaisse l’am ou r. L orsqu’il est pudique, chaste et passionné, il ressen t lui aussi ce tu m u lte qui agite tou t son être ; lui au ssi est som bre, m élan colique et bizarre, il dem ande à la n ature avec l’accent de la colère ou de la plainte : une fem m e. À ces cris, trop souvent, hélas ! c’est le prem ier venu qui rép o n d . Pour certains tem péram ents, il est im possible de résister longtem ps aux to u r m ents d ’un e robuste et vigoureuse chasteté, et la fragile enveloppe hum ain e se b riserait si on s’obstinait à com prim er ces forces si puissantes et accum ulées, prêtes p o u r la bataille. Le p re m ier am our ne tarde pas à p a raître ; si à l ’être qui survient il m anque plus des deux tiers des vertus nécessaires, l’am our est u n tel m a gicien q u ’il les fera su rg ir et, d’un ver, il fera un dieu. La jeune fille dans ses songes avait im aginé u n hom m e avec des ailes n ’ayant rien de m atériel que deux lèvres p o ur lui im p rim er un b aiser; un être tout am our qui au rait em porté son âm e dans les espaces infinis, en une région d ’or, de lum ière, de ch aleur. Le frém issem ent des ailes et la dou ceur d’u n baiser étaient toute la lux u re que celle pu re enfant adm ettait dans ses rêves; et, au delà, u n obscur et infini m ystère dont elle ne savait ni le nom , ni la form e, ni les lim ites. Au lieu de cet être parfait, elle voit un hom m e en redingote qui fum e beaucoup et qui dit du m al des fem m es; peut-être ses cheveux com m encentils à grisonner, peut-être est-il déjà m ari et p è re... m ais c’est u n hom m e. Le jeune hom m e aussi avait rêvé d’un ange : il devait être tout yeux et tout cheveux, une taille à se rre r entre deux doigts, des pieds qui devaient à peine poser su r terre, u n éternel so urire illu m iné d’un rayon céleste, une âm e ardente com m e le feu, une innocence p u re com m e la neige qui tom be su r les pentes de la Ju ng frau. Mais il est tiré de son rêve, par la grosse servante dont la forte cam b rure n ’indique qu’une chose c’est q u ’elle est fem m e et très fem m e; au lieu d ’ailes elle a deux bras vigoureux et deux m ains durcies p a r les casseroles et le balai. Les petits pieds sont deux larges et lourdes p a tte s.... Mais c’est une fem m e. T out suffit au p rem ier am ou r ; com m e il est vul gaire l’objet des pensées de cette fille am o u reu se1 Un cœ ur d ’épicier dans u n corps de portefaix. Il est pâle et l’hébétude de son reg ard lui sem ble être de langueur ; il est m alade et elle le trouve poétique; s’il est robuste, il est p o u r elle le dieu de la force; arro gan t, il lui sem ble passionné; est-il égoïste, ta n t m ieux, il n ’aim era q u ’elle qui seule sau ra le ren d re heureux. Que de poésie dépensée quelque fois p ar u n jeu ne hom m e pour une m arito rn e ! Que de soupirs poussés p o u r le pâle visage d ’un ch lorotique! M alheur si la séduc tion vient s’ajouter à tous ces m ensonges ! Mal h e u r à la pauvre fille ! Le vieux lib ertin sait dire avec u n accent q u ’il sait pren d re depuis long tem ps : « Je t’aim e! » M alheur si une vieille las cive qui veut réveiller ses appétits éteints p ar le goût d ’un fru it vert sait réchauffer le jeu n e inno cent aux feux de voluptés nouvelles ! Alors l’in cendie s’allum e, et le p rem ier objet aim é sert d’autel à la plus extravagante idolâtrie. Le p rem ier am our il est vrai n ’est pas tou jo u rs aussi déplorable, m ais il l’est le plus o rd in aire m ent. Nous serons sincères dans cette étude, parce que l’hypocrisie est le ver rongeur de nos sociétés. Le péché originel de l’am ou r se m ontre dès ses prem iers vagissem ents; n otre p rem ier m ot est un m ensonge : « Je t’aim e par-d essu s tout, je t’ai m erai éternellem ent. Tu es m on p rem ier am our et Ton ne peut aim er q u ’une fo is.... » Un second serm ent répond au prem ier ; un b aiser, qui sou vent contient deux m ensonges, vient sceller la pre m ière hypocrisie, et cette tare indélébile m arque ju sq u ’au d ern ier jo u r toutes les expressions de l’am our, tous les délires du cœ ur. Soyez sincères à votre p rem ier b aiser si vous voulez que l’am ou r soit la prem ière joie de la vie et non u n trafic de m ensonges voluptueux. Oui, votre am our est le p rem ier, m ais, parce q u ’il est le prem ier, il n ’est pas vrai, il n ’est pas ju ste, il n ’est pas n atu rel q u ’il soit le plus grand et T unique am ou r. Ne vous parjurez point avant de connaître la vérité. A l’étern ité de vos serm ents, répondra iro niq u em ent l’indifférence du lende m ain et le regret du su rlend em ain . Avant d ’avoir aim é véritablem ent, vous direz déjà su r tous les tons que la vertu n ’existe pas e t'q u e l’am ou r est u n songe, et, en m êm e tem ps, enfants et vieil lard s vous nierez u n dieu dont vous n ’avez jam ais vu le tem ple. Délaissés p a r u ne ch am brière qui a eu les prém ices de n otre jeunesse, nous crions à la trahison . Enchaînés au ch ar d’une coquette vous vous révoltez si son caprice brise le fil léger qui vous liait à elle avec m ille au tres esclaves, M enteurs vous-m êm es qui dites que l’am ou r est u n m ensonge. L’AURORE DE L'AMOUR. 05 Vous prétendez que vous vous aimez et p o ur tous deux peut-être c’est le prem ier am ou r. Eh ! bien, ne jurez pas encore. Il est rare que le p rem ier am our soit le vrai, com m e il est ra re aussi que le prem ier livre d ’un au teu r soit la véritable expression de son génie. On est faible p a r trop de jeunesse com m e p ar trop de vieillesse, et l’am our unique est com m e bien d’au tres dogm es qui plaisent tan t à l’hom m e, ce bipède pédant et hypocrite qui a fait plus de victim es dans la société m oderne que bien des crim es et des m aladies du corps et de l’esprit. Si votre am our est le p rem ier, ta n t m ieux! Les m ains chastem ent enlacées et les lèvres p u diq u e m ent jointes, ne prononcez pas d’au tre parole que celle-ci : « A im ons-nous ! » Si vous êtes du petit nom bre de ces h eu reu x m ortels qui n ’aim eront q u ’une fo is, qui ont rencontré l’ange entrevu dans les prem iers songes de la jeunesse, heureux, m ille fois h eu reu x ! La fidélité dans l’avenir cim entera p our toute la vie votre pacte. S’il existe u n Dieu, com bien de fois il doit so urire en enten d an t nos serm ents, et ce so urire doit le récon forter dans l’éternel ennui d’avoir seul à su bir cette fatale étern ité. Q uant à m oi si le progrès de la vraie et saine dém ocratie doit effacer de nos in stitu tio n s ju rid iq u es la form ule du serm ent, je voudrais que l’hom m e et la fem m e ne ju ren t plus jam ais. Un serm ent de m oins et une caresse de plus, quelles délices! L’élern ité en m oins et une caresse plus longue, quelle vo lupté! La trip le cuirasse d ’hypocrisie qui, depuis la naissance, nous enveloppe, nous em pêche de voir la véritable n atu re des choses, et en am our nous som m es tous des faussaires. L’extrêm e liberté, l’extrêm e sincérité peuvent seules nous g u érir de cette m aladie qui s’infiltre dans toutes les races, dans toutes les classes, sans épargner les n atures les plus élevées et les plus robustes ; qui s’est incarnée dans chaque fibre de n otre cœ ur, dans toutes nos institutions. Quelles sont les véritables sources de l’am our? Quelles sont les voies qui conduisent à son tem ple sacré? 11 ne devrait y avoir q u ’une seule source et q u ’une seule voie, m ais le nom bre est si grand de ceux qui veulent en trer là où ils espèrent la joie su prêm e, la foule est si com pacte que tous ne peuvent pén étrer p ar la grande ro u te naturelle. Il en est qui arriv ent p ar des chem ins de traverse, p ar des portes latérales et ceux-là sont m alh eu reux, parce que le péché originel de leurs am ours les condam ne à une vie pleine de déboires et d ’am ertum e. La sym pathie est l’u n ique m ère de l’am our, la sym pathie, le m ot le plus beau du langage h u m ain. Souffrir ensem ble, prophétie m élancolique d e là vie vécue à deux, m ais m ieux encore, sen tir, rire et pleurer ensem ble : deux organism es, m ais une seule p ercep tion ; se voir, se reg ard er, se d ésirer, une étincelle qui jaillit du contact de deux désirs; voilà le p rem ier acte. Deux navires isolés su r l’im m ensité des m ers; lov en t les pousse l’un vers l’au tre. Ils se sentent dans un e nécessité com m une et se lancent un câble qui les u n it. Dès cet in stan t ils navigueront ensem ble, s’exposeront aux m êm es périls et chercheront le m êm e rivage. La plus rapide et la plus ardente sym pathie p ren d naissance dans l’adm iration de la form e qui est p our ainsi dire le sentim ent du beau, satisfait p ar l’objet désiré. P arm i les qu atre définitions de l ’am our, que le Tasse a discutées, il y en a trois qui exprim ent bien cette idée : « l’am our est le désir de la beauté » ; « l’am ou r est le désir d ’em brassem ents chez ceux qui sont avides d’une beauté p articulière » ; « l’am ou r est une union qui nous fait d ésirer la beauté. » En effet, q u ’est-ce que l’am ou r, sinon le choix des form es les m eilleures à perpétuer? Qu’est-ce donc que l’am our, sinon le choix de ce qui est le m eilleur p o ur q u ’il triom phe du m édiocre, le choix de ce qui est jeu n e et fort p o ur q u ’il survive aux élém ents vieux et faibles? La fem m e gardienne des germ es, vestale de la vie, doit être plus belle cjue nous, et, en elle, l’hom m e aim e la form e avant to u t; les form es m édiocres peuvent, re h a u s sées p ar la puissancç d ’un grand génie et d ’un cœ u r passionné, susciter encore d ’ardentes pas sions; m a isc e so n l tou jo u rs des sym pathies artifi cielles; là où ap p araît une difform ité, l’am our est m o rt, ou bien il vit com m e un prodige d ’héroïsm e ou com m e une m aladie esthétique. La fem m e aussi est frappée p ar la beauté des form es viriles, et elle peut aim er un hom m e seu lem ent parce q u ’il est b eau ; m ais, chez elle, la sym pathie s’élargit et s’élève, et le caractère, l’intelligence, la séduisent bien plus souvent que cela ne se voit chez nous. Des hom m es fort laids ont eu le b o n h eu r su rh u m ain d ’être aim és ; m ais dans la supériorité de leu r caractère, dans la puis sance de leu r esprit et dans la g ran d eu r de leu r situation, ils avaient u n a ttra it qui leu r donnait un e place dans le m onde du beau. La fem m e ren ferm e une telle puissance de transm ission des élém ents germ inalifs et possède un e telle accu m ulation de beauté q u ’elle peut presque se passer de celle de son com pagnon. Mais elle veut se sen tir conquise p ar une force supérieure, elle veut tou jo u rs se sen tir fascinée par la g ran d eu r et l’éclat. En am our, l’esprit et le caractère exercent une très faible influence s’il ne s’y jo in t pas la beauté, et l’esthétique dom ine le m onde de l’am ou r. Même ceux qui croient placer dans les plus hautes sphères de l’idéal le critériu m de leu r choix et qui m éprisent le beau com m e un appeau p o u r les n atu res vulgaires et dom inées p a r les sens, ne rech erch en t, sans le savoir et. sans le vouloir, que des qualités de n ature essentiellem ent sexuelles. Peut-être y a-t-il quelque philosophe qui se vante d ’aim er un e fem m e laide m ais intelligente et b o n n e. Qu’il descende dans le fond de son cœ ur et il découvrira que ce qui le charm e dans sa com pagne ce sont des qualités p u rem ent fém i nines : la sensibilité tou ch an te de son âm e, les délicatesses ch arm an tes de son cœ ur, son in taris sable tendresse ou bien les grâces de son esp rit; en u n m ot, ce superbe contem pteur de la form e a été séduit p ar la form e toute belle et toute fém i nine d’un caractère ou d ’un esprit. La fem m e aussi, lorsq u ’elle aim e u n hom m e laid, est to u jo u rs conquise par l’esprit de sa n atu re, l’am bi tion arden te, le courage héroïque, p ar quelque qualité ayant u n caractère profondém ent viril. Le sexe fait partie trop intégrante de notre organism e pour que nous puissions l’élim iner de notre appré ciation. Si quelqu’u n se refuse à adm ettre que le beau est l’excitant suprêm e de tout am ou r, q u ’il se sou vienne que c’est la passion de la jeunesse qui, elle-m êm e, est toujours une form e choisie de la beauté. Il est rare que l’éclair qui ja illit des yeux d’un hom m e et d ’une fem m e, en se ren co n tran t p o ur la prem ière fois allum e d ’un seul coup l’incendie. C’est la plus heureuse com binaison des grands hasards de la vie. Se renco n trer, s’ad m irer, se dé sirer en u n in stan t et ro u g ir ensem ble, c’est une joie trop ra re que peu de m ortels ont éprouvée et que peu éprouveront. Plus souvent il arrive que les sym pathies naissantes m archent à pas irréguliers ; l’une a porté l’hom m e au plus h au t point du désir et de la passion, tandis que l ’au tre com m ence à peine à se dessiner. Même lorsque deux am ours sont appelés à d’heureuses destinées, la fem m e, ne peut ressen tir com m e nous la môm e ém otion subite et violente. L’hom m e dit tout d’un regard ; il avoue aussitôt avec orgueil sa défaite ; la fem m e môm e sous l’em pire de la plus com plète fascina tion, baisse les yeux, se refuse à l’évidence et se défend p ar tous les m oyens. L’hom m e a déjà dit cent fois avec les yeux « je t ’adore », que la fem m e en trem blant ose à peine dire « je t ’aim e rai ». Ils se fuient, ils se rejoignent, ju sq u ’à ce q u ’ils aient atteint le m êm e degré dans la passion. Les énergies de l’am our, qui s’accum ulent par la durée, suivent les lois physiques qui gouver nent les forces. Les am ours les plus subits ne sont pas les plus durables, et si la satisfaction su it de près le désir, l’am our peut ressem bler plutôt à un rap t q u ’à une véritable passion. Ordi nairem ent, les am ours qui n aissent lentem ent, m eurent lentem ent; et ceux qui ont le caractère de la foudre d u ren t ce que dure la foudre. De foute façon un am our sain, bien constitué et destiné à une existence féconde q u ’il naisse rap i dem ent ou lentem ent, doit com m encer p ar une secousse violente, qui m esure la profondeur d’où a ja illi cette chaude sym pathie. Toutes les autres affections naissent d ’une façon fort différente de l’am our, sans éclairs ni tonnerre : l’am itié, la bienveillance, une affection quelconque naissent paisiblem ent. O utre cette large route qui conduit à l’am our to u t droit et sans détours, il est des sentiers de traverse. L’am itié peut être quelquefois le point de départ de l’am ou r, m ais dès lors il n ’a plus une origine naturelle, et dès m aintenant nous allons rencon trer les pins m auvaises sources de l ’am o u r; la reconnaissance, la com passion, la vanité, la luxure, la vengeance. Lorsque l’on a pu voir une fem m e pendant long tem ps, lui p arler et môme vivre avec elle, sans lui donner un au tre nom que celui do sœ ur ou d’am ie, si un jo u r il nous sem ble l’aim er, cet am ou r ressem ble beaucoup aux fruits des tro pi ques poussés dans nos clim ats à force de fum ier et de calorifères. On connaît le vieux problèm e : l’am itié est-elle possible entre l’hom m e et Ja fem m e? Il ne sera jam ais résolu, parce que beau coup donnent ce nom à de véritables am ours que la m ain rigide du devoir retien t su r le seuil du désir. On croit devoir, par délicatesse, donner à ces sortes d ’am our le nom d ’am itié, et je ne condam n erai certainem ent pas cette innocente tro m p erie; m ais une véritable et réelle am itié avec tous les caractères spécifiques qui distinguent cette sereine affection n ’est possible entre u n hom m e et une fem m e q u ’à une seule condition : c’est de faire abstraction de tout caractère sexuel dans ceux qui se sont serré la m ain. Et re tran ch er le sexe est u ne cru au té physique et m orale qui d étru it plus de la m oitié de l’individu. Si l’am itié réu n it deux eunuques de ce genre, je dirai que leu r affection n ’u n it plus un hom m e et une fem m e, m ais deux êtres n eu tres; m ais tan t q u ’un désir, m êm e le plus pudique et le plus innocent, sera possible en tre eux, l’am itié sera de l’am our. Combien y en a-t-il de ces eunuques m oraux ! com bien sont-ils les hom m es et les fem m es qui peuvent aim er sans aucun d ésir? Comptez-les, et je vous d irai alors com bien il y a de cas bien constatés d ’am itié sans am ou r en tre hom m e et fem m e. Je veux p o u rtan t être plus explicite afin de n ’avoir pas l’air de to u rn er le problèm e, au lieu de le résou d re, parce que je le trouve difficile. Y a-t-il dans ce m onde un hom m e et une fem m e qui se voient volontiers, qui s’aim ent et qui n ’ont jam ais désiré m êm e u n baiser? Oui. Eh bien! ces deux anges sont am is, et j ’adm ets le phénom ène psychologique de l’am itié en tre personnes de sexe différent. Toutes les form es de bienveillance peuvent se tran sfo rm er en am our et su rto u t cette am itié en tre hom m e et fem m e que nous avons adm ise com m e possible. Il peut n aître p ar celte voie des am ours de longue durée et de constitution saine. N éanm oins, ils sont tou jo u rs froids et lym pha tiques. Ils ont besoin d’un e hygiène fortifiante, d ’un traitem en t suivi, car leurly m p hatism e peu t deve n ir scrofule. Une variété com m une de ce genre d ’am our est celui qui n ait|d e la reconnaissance. Àmor che a nullo amato amar perdona, chante le poète et avec raison, m ais à une condi tion, c’est q u ’il n ’y ait de différence en tre les deux am ants que dans la rapidité de le u r m arche, c’est-à-dire, que l’un arrive le prem ier et que l ’au tre le rejoigne; au trem ent su r la grande route de l’inclination, ils ne se ren co n treraien t jam ais. Oh ! tuteu rs qui croyez à l’am ou r d ’une pupille ! oh ! hom m es qui croyez à l’am ou r d’une o rp h e line que vous avez com blée de bienfaits ! oh vieux célibataires qui croyez à l’am ou r d’une gouver n an te reconnaissante, rappelez-vous que la reconsance seule n ’a jam ais inspiré u n véritable am o u r; elle ne peut que conduire vers la sym pathie, elle ne peut se rem placer. Il v a des hom m es et des fem m es qui ressem blent beaucoup aux a n i m aux à sang froid, qui ont la tem p ératu re du m i lieu qui les environne m ais qui sont incapables de p ro d uire de la ch aleu r p ar eux-m êm es. Ils ne sa vent pas aim er par eux-m êm es, ils ont besoin qu’un au tre am ou r les pén ètre. Leurs affections sont froides et égales p o ur to u s; ils dem andent aux hom m es et aux livres ce q u ’est l ’am o u r, ils com p arent leurs sentim ents avec ceux des autres, com m e u n n atu raliste qui tourne et reto u rn e un insecte en tre ses doigts, p our s’écrier enfin : « Mais il m e sem ble que c’est bien l ’am ou r vrai. Moi aussi j ’aim e, j ’aim e v éritablem ent! » P our tous ces individus dont le nom bre est bien plus grand que l’on ne croit, le vers cité plus hau t est très v rai, et ils aim ent p ar reconnaissance ou p ar com passion, ce qui est à peu près la m êm e chose. Cette douce bienveillance, qui est l’am our par g ratitud e, ne doit pas être confondue avec la pitié q u ’ont spécialem ent les fem m es p o ur ceux qui les aim ent follem ent, et à qui, plus d’une fois, elles accordent, non leu r am ou r, m ais un am our de pitié. La fem m e s’atten d rit facilem ent; elle ne p eut voir im puném ent souffrir, et souvent elle cède p ar pitié et p ar orgueil légitim e de donner le b o nheu r à u n m alheureux. L’hom m e, souvent spécule sur cette faiblesse et il en abuse m iséra blem ent, prêt à calom nier celle qui s’est sacrifiée. Lui aussi peu t aim er p ar com passion, m ais plus souvent il se donne p ar am our-propre et sans affection, ainsi que nous le verrons dans le cours de nos études. Il n ’est pas ra re p o urtan t que la fem m e, outre la volupté, accorde son am ou r à celui qui depuis longtem ps soupire, p leure et souffre p o ur elle. La com passion est un e corde sensible qui vibre m êm e dans les n atures les plus b ru talem en t égoïs tes, et chez la fem m e, si riche d’affection elle peu t vibrer ju sq u ’à la douleur. Mais l’être sensible, en posant sa m ain su r celui qui souffre, le m aintient au-dessous de lui, de sorte q u ’une parfaite égalité ne peu t exister en tre celui qui inspire la com pas sion et celui qui la ressent. C’est là le caractère essentiel de ce sentim ent, et l’am our qui en ré sulte se ressent tou jo u rs de son origine bâtard e. L’am our p ar com passion est toujours u n e form e de pitié, de protection et m anque des élans de la p assio n ; il ressem ble tou t à fait aux vers de ceux qui ne sont pas poètes, qui ne sont pas chauffés p a r le feu sacré. La fem m e q u i, p ar m alheur, n ’a encore éprouvé que l’am ou r p a r com passion, peu t se faire illu sion, en toute sincérité, q u ’elle aim e profondé m ent ; m ais, m alh eu r à elle si u ne vraie pas sion s’éveille en son cœ ur et l’anim e des com pa raisons ! La pauvre créatu re qui aim e follem ent p o u r la prem ière fois souffrira les plus âpres to rtu res dans cette lu tte entre le devoir et son entrainem ent, entre la com passion et la passion. D em ander l’am our com m e u ne aum ône étan t une vilenie, je préférerais m ille fois être aim é par caprice, p ar vengeance ou p ar lu x u re. La fem m e qui nous aim e de cette façon a tou jo u rs son talon su r n otre tête, et bien que la pression d’un petit pied puisse nous être aussi chère que la caresse de la m ain , en face de la n atu re nous com m et, tons u n acte vil et nous bouleversons les lois les plus élém entaires de la physiologie des sexes. L’hom m e qui renonce à la privauté de la conquête est u n lion q u i laisse couper sa crin ière ; c’est un Sam son après les ciseaux, u n e form e atté nuée de l’eu n u que. Que le sort vous préserve d ’un am ou r p a r com passion ! Une source encore plus trouble est la vanité. E ntendre d ire q u ’une fem m e est belle et chaste, q u ’elle n e s’est jam ais laissée aim er, aiguillonne l’am our-propre de l’hom m e qui se croit irrésis tible. Les filles d ’Ève, à le u r to u r, s’obstinent à je te r l ’ham eçon au poisson solitaire qui vit chas tem ent dans la solitude. D’où, bien beaucoup des défis jetés et relevés p our trio m p her du corps, plus que d u cœ ur et recu eillir les trophées de la vanité. Les grandes am oureuses, qui ont depuis longtem ps renoncé à l’am our élevé, ne font des conquêtes que p ar vanité, p o u r en ch aîn er à leu r ch ar de nouvelles victim es. P resque tou jo u rs elles s’attaquen t à des hom m es difficiles ou à de n atu res très différentes les unes des au tres. Elles désirent ardem m ent donner la p rem ière leçon de volupté aux innocents et subjuguer les vieux libertins; Au choix de la victim e concourt encore l’aiguil lon de la curiosité, u n des fils les plus résistan ts de la tram e psychologique de la fem m e. Le fru it âpre et sauvage peut exciter l’appétit d’un palais blasé au tan t que le m ets faisandé. Dans ces n atu res, le dérèglem ent peu t aller ju s q u ’à n ’aim er que par curiosité, sans m êm e la m oindre volupté, qui n ’est pas toujou rs nécessaire dans ces cas p a thologiques. C ependant, m êm e quand la vanité seule a ra p proché u n hom m e et un e fem m e, une sym pathie u ltérieu re peu t éveiller u n véritable am ou r qui jo u ira d’une longue vie. Mais c’est u n am our qui ressem ble au ro tu rie r riche et p arti de rien . L’hom m e qui, chaque jo u r, accuse sa’com pagne de vanité, présente lui-m êm e, bien plus q u ’elle, les form es les plus grotesques de ce sentim ent, et n ous le voyons bien rarem en t renoncer à la p u érile ostentation de ses am ou rs. Que de fois il fut assez vil p o u r rep ro ch er à la fem m e qui le rend heureux de l’avoir aim ée seulem ent p o ur pendre u n nouveau trophée au ch ar de ses triom phes ! La fem m e, au contraire, m êm e lorsq u ’elle ne s’est laissée aim er que p ar vanité, m êm e lors q u ’elle est au m om ent de congédier l ’esclave qui l’a lassée, lui donne presque toujours u n certificat de bons services, le laisse heureux, ne l’hum ilie point, lu i laisse cro ire q u ’il a su plaire u n jo u r, u n m ois, une année, à celle qui a peut-être feint de l’aim er. Personne ne sera h u m ilié d’avoir été la douce victim e d ’u n caprice, chacun se sentira avili d’avoir servi de b u t à une spéculation vani teuse. Bien souvent, au co n traire, la fem m e, avec u n sens très fin, s’aperçoit q u ’elle n ’est désirée et aim ée que p ar ostentation, m ais elle feint géné reu sem ent de ne pas s’en apercevoir et peu à peu elle p arvient à se faire aim er p o u r elle-m êm e, et, sans que l’am i ennem i s’en doute, réu ssit avec une grande habileté à su b stitu er une passion a r dente et sincère à la m esquine am bition qui avait in sp iré l’attaque et la conquête. C’est là un e des m ille preuves que, p ar le sentim ent, la fem m e nous dépasse de tou te la h a u te u r dont nous la surpassons p ar la force et l’intelligence; un e des m ille preuves que la fem m e tend toujours à élever, l’am ou r m êm e le plus bas, tandis que nous voulons toujours faire passer sous les four ches caudines de la volupté, m êm e les am ours nés com m e les aigles, su r les rochers les p lu s escar pés de la psychologie. La lu x u re est la m ère féconde des am ours abjects, et ce sentim ent m êm e n ’est p o ur u n grand nom bre que le besoin de se d ésaltérer à un e fon taine plus douce que les au tres. L’am ou r n u , sans le splendide vêtem ent de l’im agination et du cœ ur, dépouillé des form es que lui prête le sentim ent du b eau, se réduit à un squelette, la lux u re, qui pour beaucoup est tout l’am ou r. P ourtant il y a des am ours qui osent s ’appeler de ce nom et qui eu ren t p o u r origine une m aison de p ro stitutio n ou le viol! Avoir possédé avant d ’avoir aim é, avoir é té possédée avant que d ’avoir donné le prem ier baiser d ’am ou r, quelle ignom inie ! Et cependant l’am our est u n tel m agicien q u ’il a su parfois faire ce prodige. Ces am ours nés de la luxure sont les plus diffi ciles à conserver. Les artifices les plus savants du p laisir ém oussent leu rs arm es contre des dif ficultés insu rm o n tab les; et la fem m e, après des prodiges de dévergondage du cœ ur et des sens, peu t voir la prem ière venue lu i a rra c h er sa proie. L’am our peut être violent, ard en t, m ais la coupe qui l’abreuve est toujours d ’un verre bien fra. gile et d ’un instan t à l’autre il peut se b riser en m ille pièces. Bibl. J8Q. La vengeance, u ne des form es de la haine, peu t être la m ère incestueuse de l’am ou r. Se voir trah ie, vouloir h u m ilier le coupable par le m épris et lu i je te r à la face u n nouvel am our trouvé en un jo u r : voilà l’origine des am ours p ar vengeance. Le m alheureux qui sert d’instru m ent à ce calcul honteux ne s’aperçoit pas de la ru se ; il se laisse aim er, il aim e, et prête à rire à qui feint de l’aim er et à qui assiste à l’odieuse com édie. La vanité nous em pêche de rem arq u er que nous avons été vus, désirés et conquis en un in stan t, et pendant que nous faisons la roue, nous ne nous apercevons pas que nous som m es affichés p o u r h u m ilier celui ou celle qui est encore et plus que jam a is aim é, sans penser que nous serons con gédiés b ru squem en t dès q u ’on n ’au ra plus besoin de nous. Ces cas sont les plus m alheureux ils appar tienn en t à la pathologie la plus laide du cœ u r h u m ain . Dans d’au tres cas, l’am our p ar vengeance devient un véritable am ou r qui g u érit les ancien nes blessures et qui ouvre u n large horizon de bo nh eu r à l’hom m e et à la fem m e qui se sont connus de cette étrange m anière. Je ne prétends certes pas avoir étudié toutes les origines pures ou im pures de l’am ou r. A insi, il arrive souvent que la source d ’un am ou r n ’est pas uniqu e, m ais double, ou m ultiple et form ée du concours de différents ruisseaux. Ainsi une petite m ais sincère sym pathie peu t s’u n ir à u ne grande vanité, etc. 11 arrive parfois q u ’une personne soit aim ée, non p o u r elle-m êm e, m ais p arce q u ’elle ressem ble étran g em ent à u n être longtem ps chéri et p erdu. C’est ainsi que l’on aim e la fille après la m ère, et on a vu des cas ou l’am our s’est prolongé ju sq u ’à la troisièm e génération. La grande disproportion d ’âge de l’am ant, l’odeur de m om ie qui s’exhale de cet am ou r lui donnent un caractère qui m e les fait placer au L'AURORE DE L'AMOUR. 79 m oins su r les frontières de la physiologie et d e là pathologie, aussi les appellerai-je volontiers physiopathologiques. Les am ours d ’origine m ixte, sont d’au tan t plus vifs et plus p u rs que la p art qu’y a p ris la sym pathie est plus grande. L’influence q u ’exerce su r l’am our son origine prem ière est tellem ent p u is sante que plus d’une fois des affections bien m alades ont guéri d’un coup, au seul souvenir du passé. « Tu m ’as po urtan t sincèrem ent aim é u n jo u r.... E t p o u rtan t je t’ai bien aim é ! » Un hom m e dans une position su périeure et de noble race glisse peu à peu dans la boue, perd sa dignité et ju sq u ’aux form es que donne l’éducation ; cependant on découvrira en l’observant attentive m ent dans la distinction d ’un geste, dans la noblesse d’u n accent, dans un goût plus raffiné, les traces de son origine. Il en est ainsi d ’un am ou r bien né et il est capable de résu rrectio n à u n degré inouï. Lorsque l’am our com m ence, on peut avoir quel ques doutes s u r sa réalité. Les em bryons se res sem blent tous et le plus fort m icroscope ne sait pas d isting u er l’œ uf du lion de celui du lapin. L’am our revêt des travestissem ents si nom breux et si variés q u ’il nous m et dans de cruels em barras p o u r le discerner. Il est plus facile à recon n aître chez nous que chez les au tres, bien q u ’il soit plus im p o rtan t p o u r notre bonheur de savoir si nous som m es aim és que si nous aim ons. Cette étude physiologique p o u rra serv ir à dis tin g u er l’am our vrai de l’am our faux chez a u tru i; p o u r le d istinguer chez vous-m êm e, l ’étude de vos sentim ents intim es suffira. CHAPITRE IV LES P R E M I È R E S ARMES DE L’ A M O U R . LA S É D U C T I O N Combien doit être subtile et m ystérieuse cette savante chim ie qui u n it les élém ents rep ro d u c teurs de deux organism es de sexe différent, p o ur créer la vie dans u n être nouveau ! Il ne suffit pas q u ’u n certain nom bre d’années vécues p ar u n hom m e e t u n e fem m e aient, dansLle calm e et le silence, p rép aré les germ es prêts à s’attire r ; il ne suffit pas que les forces de l’affinité sexuelle se soient accum ulées ; il ne suffit point encore que la sym pathie déterm ine l’em brasem ent. Q uand le long travail de la n atu re a tout disposé p o u r que le grand phénom ène s’accom plisse, l’hom m e doit accom plir sa m ission spéciale. Elle est sim ple et n ’exige que de la force : force physique, m orale, intellectuelle, ou m ixte ; m ais tou jo u rs une force d’attaque pour assaillir et b riser les entraves que la fem m e opposera p ar p u d eu r. s. A la fem m e, au co n traire, la n atu re a assigné u ne tâche beaucoup plus difficile et plus cruelle. Elle doit refu ser ce q u ’elle d ésire; elle doit lu tte r avec la volupté qui l’en v ah it; elle doit repousser celui q u ’elle aim e ; exiger des sacrifices au lieu de dem ander des b aisers; être avare quand to u t la pousse à la générosité; elle doit rassem bler toutes ses faibles forces pour se défen dre de l’assaut de celui q u ’elle voudrait serre r su r son sein. Les lu ttes des désirs et des coquetteries, des ard eu rs et des p u deurs, des im patiences et des refus varient suivant les pays et les époques, m ais elles sont tou jou rs sem blables dans le fond. Même lorsque l’am our le plus ten dre u n it deux êtres l’un dit ; « Je veux », l’au tre 'répond « A ttends ». L’u n d it : « Tout de suite », et l’au tre : « Plus tard ». Lorsque l’inverse se p roduit et que les rôles am oureux sont renversés, il en résulte to u jo u rs u n violent désordre. Au Paraguay, où les m œ urs sont très faci les, u n jeu ne hom m e fort im p atient, q u i p o u r tan t avait le d ro it de se croire aim é, répétait su r tous les tons, depuis les plus tendres ju s q u ’aux plus passionnés, avec des sanglots dans la voix : « A ujourd’hui ». Et la belle créole qui ne savait rien de D arwin ni de l’élection sexuelle, répondait en sourian t : « Com m ent au jo u rd ’h u i! tu ne m e connais que depuis dix jo u rs. Dans deux m ois nous v e rro n s,... p eu t-être.... » P ar cette réponse ingénue, elle confirm ait la philosophie de la séduction et se conform ait à la physiologie des sexes.. Tous les jo u rs la plus belle m oitié du genre h u m ain nous accuse b ru talem en t d’être beaucoup plu s préoccupés du contenant que du contenu. C’est tout sim ple : la m ission différente des deux sexes veut q u ’il en soit ainsi. Si certain es lignes ont su r nous tan t de pouvoir, c’est q u ’à notre insu elles nous indiquent aussitôt la bonne m ère et la bonne n o u rric e; et la volupté p ré pare, plus q u ’il n ’y p araît, le bien des généra tions futures. Il suffit d’une soudaine ard eu r et d’u n violent désir p o u r féconder. Mais la fem m e ne cherche pas seulem ent u n féco n d ateu r; elle veut u n défenseur pour sa progéniture, et un p ro tecteur p o ur sa faiblesse; elle veut être assu rée de la solidité de la tendresse de celui qui dit l’aim er. L’hom m e devra co n stru ire le n id ; est-il architecte? Il devra le défendre; est-il courageux? Il devra élever et en rich ir ses enfants; est-il ind u s trieux? A-t-il de l’am bition? A-t-il de la persévé rance? Il faut q u ’elle sache tou t cela. Elle sait q u ’elle est jeu ne et belle, elle sait que su r un signe, m ille adorateurs tom beraient à ses pieds, m ais elle ne veut pas u n hom m e, elle veut l’hom m e qui sera ardem m ent, puissam m ent et longuem ent à elle. Voilà com m ent dans le p rem ier développe m ent de l’am ou r, nous lisons les lois in éb ran lables qui le gouvernent; voilà com m ent la n a tu re nous explique clairem ent l’inévitable légèreté des m âles h u m ains, leurs polygam ies et leurs exi gences; com m ent la destinée de la fam ille fu tu re est confiée à la fidélité, à la p u d eu r, à la chasteté et aux sublim es réserves de la fem m e. Même dans le cas le plus heureux et le plus ra re où les deux am ants sont p ris à la fois p ar un e sym pathie égalem ent énergique, il leu r est nécessaire de se fa ire la cour, c’est-à-dire de se m o n trer l ’un l’au tre sous tous les aspects de la beauté physique, m orale et intellectuelle. Après s’être conquis p ar le reg ard , ils doivent se recon q u érir chaque jo u r, à chaque h eu re, p ar les sé ductions du cœ u r, de la grâce, de l’intelligence. Cette séduction réciproque est d ’au ta n t plus nécessaire que la différence en tre les am oureux est plus profonde, — q u ’elle vienne du degré de l ’affection, de l’âge ou de la beauté, — que l’équilibre soit com plet p o ur co n stituer u n am ou r (parfait. Il fau d rait des volum es p o ur décrire tous les artifices d o nt se servent les hom m es et les fem m es p o u r se co n q uérir et s’assu rer de leu r am ou r. La fem m e ne reg rette jam ais le tem ps passé dans ces luttes. P arm i ses soupirants, le tem ps élim inera les faibles et elle au ra con quis le m eilleu r parm i les bons. Les passions vraies et profondes ne connaissent pas l’im p a tience et ignorent la fatigue. Il est fâcheux de n ’avoir pas dans n otre langue u n m ot pour exprim er la séduction physiologique et la victoire de l’am our p ar les lois de la n ature. Les Anglais l’appellent courtship et Darwin, en em ployant ce term e dans le sens le plus large et p o ur tous les an im aux, lui a donné un cachet scientifique. La coquetterie n ’est q u ’une form e de l’a rt de séduire et de co n q uérir, et elle ap p artien t déjà à la pathologie. Elle est beaucoup plus fréquente chez la fem m e, m ais elle se ren co n tre aussi chez l’hom m e ; elle est si profondém ent enracinée chez quelques n atu res qu’elle existe avant la puberté et ne cesse q u ’à la m o rt. L’am our-propre y occupe u ne si grande p art que son étude ren tre plutôt dans celle de l’orgueil que dans celle de- l’am our. La séduction physiologique est u n besoin, la coquetterie est u n vice. Le besoin de p laire est une des nécessités les plus fondam entales de l ’am ou r, et l’u n de ses in stru m ents les plus actifs ; la coquet terie, est à elle-m êm e sa p ro p re fin. Quand la conquête est faite, la séduction physiologique désarm e; la coquetterie au co n traire est perm a n ente et se renouvelle tous les jo u rs avec de nou velles ard eu rs. Il est indifférent à, une coquette de p artag er une passion pourvu q u ’elle plaise à b eau coup; m oins coupable, elle veut encore en to u rer u n véritable am ou r d’u ne guirlande de sym pa thies ; quoique son cœ u r soit donné, elle ne se fait au cu n scru p ule de dispenser des so urires, des soupirs, et m êm e des baisers dem i-chastes et des caresses dem i-libertines à d ’au tres que l’on veut garder enchaînés p ar le fil léger de l’espé ran ce. Dans les cas les plus graves, le cœ u r ne peut se donner à aucun parce q u ’il est prom is à tous, et l’atroce fatigue de plaire à un grand nom bre lasse tellem ent le sentim ent q u ’elle rend im possible le développem ent d’une affection sé rieuse. Les infatigables coquettes et les Don Juan endurcis n ’aim ent ja m a is; et si l’absence de chute est le synonym e de vertu , on peut dire que la coquetterie est une chose sainte et p ure. Le sens m oral se révolte en voyant tous les jo u rs des fem m es qui vendent à toute h eu re des sourires et des désirs, qui font les Lucrèces to u t en jo u an t im puném ent avec la passion q u ’elles ne ressen ten t p as, et je tte n t l’anathèm e à celle qui est tom bée une seule fois, entraînée peut-être p a r une passion vraie et forte, à celle qui n ’eu t peut-être que le seul tort de croire im possible^ le m ensonge et la trah iso n. La vertu d ’une coquette est celle de l’am iante, qui résiste au feu parce q u ’elle est incom bustible; c’est une vertu toute physique, tou t anatom ique. Qui l ’apprécie n ’a pas l’om bre de sens m oral et n ’a jam ais lu u ne page de la physiologie du cœ u r hum ain. 0 lecteu rs, si vous avez le m a lh eu r d’aim er u n e coquette, n ’oubliez pas que la coquetterie appartient à l’histoire des dévergondages du sen tim en t; et si vous avez soif d’am ou r, allez ailleu rs car vous vous êtes trom pés d’adresse. Le véritable am ou r, qui ne cherche pas seule m ent la volupté, m ais la possession absolue, com plète, de toute la personne aim ée, n ’a ni la patience n i le calm e nécessaires p o u r apprendre la coquet terie. L’am our lance des éclairs : il tonne, il pleure, fulm ine, m enace et p rie ; bouleversé, il bouleverse ; blessé, il tue ; il blasphèm e et il b én it ; il n’a q u ’un to r t,... c’est de ne pas savoir le jeu d’échecs. La coquetterie, p ar contre, est la plus fam euse joueuse d’échecs q u ’on ail jam ais connue. La séduction n aturelle est l’art de nous m o n trer sous l’aspect le plus avantageux. Pour plaire, nous nous perfectionnons au tan t que nous pouvons et em bellissons p a r la n atu re et p ar l’a rt, nous frappons ainsi à la porte p ar laquelle en tren t les affections. L’hom m e qui est le plus fort et à qui sa force donne les plus irrésistibles séductions, se jette aux pieds de la fem m e en lui dem andant une aum ône d ’am ou r. E t la fem m e qui est la plus faible jou it de la volupté su rh um ain e de poser le pied su r sa force, et de se d ire elle est à m oi. C’est là une des form ules les plus ordinaires de la séduc tion réciproque des sexes. Lorsque l’hom m e à genoux et quelque fois p leu ran t dem ande l’am our, il obéit à l’une des lois les p lu s inexorables de la n a tu re ; il n ’est ni p ro stitu é ni avili, m ais avant de se pro sterner dans la poussière il est bon q u ’il ait jelé des éclairs. Lion p o u r tous, agneau pou r m o i! voilà l’hom m e que dem ande la fem m e. Quand la grâce a conquis la force, la fem m e se sent com plète, et quand l’hom m e sent la ru d e écorce de sa n ature herculéenne, caressée par les douces m ains de la fem m e, il se sent com plet et tous deux, au com ble du b onheur, se sentent transform és en cet être parfait qui est la som m e d ’u n hom m e et d’un e fem m e. CHAPITRE Y LA PUDEUR La p u deur est u n des phénom ènes psychiques dont il est le plus difficile de faire la physiologie, parce que il est très vague, bien q u ’im périeux et tyranniq ue dans quelques-unes de ses form es ; parce q u ’il esttrè s variable ,suivant les races; parce que tou t en faisant p artie des énergies qui se déve loppent dans l’approche des sexes, il sem ble au co n traire les éloigner, et que, né de l’am ou r, il paraît vouloir en co ntred ire la fin suprêm e. J’avoue que j ’ai changé d’opinion su r la pu deur et m odifié m a prem ière appréciation, exprim ée dans la prem ière édition de la P hysiologie du p la isir. Je croyais que c’était u n sentim ent qui apparaissait en nous dans l ’enfance et dans l’ado lescence , spontané com m e l’ég o ïsm e, com m e l’am our-propre, com m e l’am o u r; plus tard je me suis persuadé que la p u d e u r est d’abord ensei gnée, puis apprise, c’est-à-dire, est un de ces sentim ents que j ’appelle acquis ou secondaires. La p u deur est Y extra-courant de l’am o u r, et elle a p o ur origine l ’am ou r lui-m êm e. Les anim aux nous m o n tren t des indices de p u deur. Beaucoup d’entre eux se cachent p o u r sacrifier à la volupté; beaucoup de fem elles, recherchées p ar le m âle, com m encent p ar fu ir, p ar résister, p a r cacher ce q u ’elles désirent accorder. C’est probablem ent u n acte irréfléchi, au to m atiq u e; peut-être est-ce une form e de p eu r devant les exigences du m âle. Mais ces fuites, ces résistances, ces cm bres de p u d eu r arriv en t à exciter le m âle com m e la fem elle et à m ieux p rép arer le terrain- p o ur la fécondation. Il se peut que les anim aux voilent leu rs am ours à nos reg ard s p o ur se g a ran tir du dan g er, se sachant très exposés dans ces instants suprêm es, m ais on peu t croire q u ’ils ont des vel léités de p u deur. Chez les anim aux supérieurs, ce sentim ent ap p araît d ’abord dans la fem elle, à laquelle l’analom ie des organes et son rôle défen sif dans les com bats am oureux le rendent plus spontané et plus n atu rel. A la fem elle hum aine la n ature a assigné la m êm e m ission en la faisant cent fois plus p udique que l’hom m e. La prem ière fois que la fem m e cacha avec la m ain des parties que l’hom m e voulait voir on eut la prem ière m anifestation de la p u d e u r, qui n aq u it en m êm e tem ps que la coquetterie. Plus tard l’hom m e et la fem m e vivant ensem ble d ans la fam ille, dans la trib u , d u ren t devenir n aturellem en t, m êm e en dehors d ’un g ran d déve loppem ent cérébral, les anim aux les plus p u di q u es, p arce que la fem m e est soum ise à une reb u tan te infirm ité périodique, et que l’hom m e présente d’au tres phénom ènes génitaux q u i, non cachés, attireraien t trop l ’attention de tous et su sciteraien t des p erturb atio n s dans les deux sexes. C’est p ourquoi il est tou t n atu rel que presque tous, p o u r ne pas dire tous les peuples de la terre, présentent quelque form e de p u d eu r ; et de m êm e il est très n atu rel que dans l’hum a n ité aussi, la fem elle soit plus pudique que le m âle, p o u r qui, dans la m ission agressive qui lui est dévolue, la p u d eu r serait presque im possible. La p u d eu r, née de cette façon, s’enseigne, com m e beaucoup d ’au tres choses, aux enfants ; en effet, ju s q u ’à la pu berté ceux-ci ne pourraient co n n aître la valeur spéciale des organes copulatifs. Peut-être p o u rtan t la p u d eu r prend-elle naissance spontaném ent ou p o u r m ieux dire p ar hérédité dans les n atures les plus parfaites. En enseignant la p u deu r, ou bien on la lim ite à la sphère génitale ou bien on l’éfend au delà. Le S herih at ordonne que la m ain de la fem m e tu rq u e soit cachée dans sa p artie su périeure, m ais il perm et d ’en m o n trer la paum e. Dans l’Inde m éridionale, les fem m es arm éniennes se couvrent la bouche partout m êm e dans leu r m aison, et lo rsq u ’elles so rtent, elles s’enveloppent de voiles blancs. Les fem m es m ariées vivent dans une grande réclusion, et, d u ran t p lu sieu rs années, elles ne peuvent voir des hom m es, fussent-ils leu rs p a re n ts; elles couvrent leu r visage devant leu r beau-père et leu r belle-m ère. Ces deux exem ples, p ris en tre m ille, suffisent à nous convaincre q u ’à la vraie p u d eu r s’ajoutent souvent des élém ents accessoires de convention, qui, physiologiquem ent, ne lu i ap p artienn en t nullem ent. En E urope m êm e, les lim ites de la p u d eu r sont indiquées p ar la m anière de se vêtir des genoux aux seins et sont fixées, non p ar la m oralité et les exigences du sexe, m ais p ar la mode du vête m ent. Celui qui a pu écrire cette hérésie : « la p u deur ne tien t que de l’habitude de se couvrir » a p ris ces élém ents conventionnels pour la p u deur elle-m êm e. Nous ne devons pas confondre avec la p u deur p ro p rem ent dite, ce sentim ent esthétique qui nous fait dérober aux reg ard s d’a u tru i certains actes reb u tan ts de n otre vie anim ale. Le sen tim en t de la p u deu r réelle défend à la vue des profanes les organes et les m ystères de l’am ou r, ainsi que les parties qui s’y rap p o rten t indirecte m ent, ainsi que je l’ai déjà dém ontré dans m a Physiologie du p la is ir 1. Nous voyons presque tous t . 5e édition, et traduction française de M, Conte de Lestradc, Paris, Reinwald, 1886, les peuples cacher d ’abord les p arties génitales, puis les flancs, le sein, les jam b es, les bras, enfin to u t le torse et parfois m êm e la tête ; m ais ici la p u d eu r cède la place aux exigences sociales ou à la jalousie. Le sentim ent de la p u d eu r est u n des plus va riables en form e, et nous en ferons en étendu l ’histoire eth niqu e dans Y Ethnologie de Va m o u r1. Qu’il m e suffise de d ire que je divise les peuples en im pudiques, dem i-im pudiques et pudiques, selon q u ’ils p résen ten t des traces à peine sensibles ou u n développem ent plus ou m oins grand de la p u d eu r. Ce sentim ent n ’est pas, com m e l’intelli gence, le goût du beau ou d ’au tres phénom ènes psychiques qui offrent un e progression ascen dante et rég u lière, des races inférieures aux races élevées; il ne peut donc être p ris p o u r u n dyna m om ètre du progrès. Les Tehuelches (A m érique m éridionale) se bai gnent très souvent m ais presque tou jo u rs avant l’aube, et hom m es et fem m es à p art. Ils sont très pudiques et ne q u itten t jam ais le u r chiripâ. Les Japonais, qu i sont cent fois plus civilisés que les T ehuelches, leu r sont bien in férieu rs sous ce rap po rt. Les Malais sont très pudiques; les Grecs et les R om ains ne l’étaient guère. .Sans so rtir de notre race et de n otre tem ps, nous voyons des fem m es qui se laisseraient m o u rir plu1. L ’Amour dans l'Humanité. Paris, Fetscherin et Chuit, 1886. tôt que de se soum ettre à l ’exam en du spéculum , et des hom m es fort intelligents et de goûis très élevés qui avouent n ’éprouver au cune p u deur. Dans les races su périeures p o u rtan t, en négli geant quelques exceptions et en p ren an t les groupes h u m ains en grandes m asses, nous pouvons dire que la p u deur cro it et présente des form es plus raffinées à m esure que g ran d it la valeur m orale et intellectuelle d ’un peuple. Les nations les plus civilisées et les plus m orales sont aussi les plus pudiques. La p u deur est une des form es les plus élevées de la séduction, elle est le respect physique de soi-m êm e et u n phénom ène psychique de l ’ord re le plus élevé. Fidèle com pagne de l’am our, elle a dans les belles n atu res des m ystères infinis, des délicatesses indicibles, des gestes et des regards adorables, des m ots qui m ériteraien t d ’être im m ortalisés p ar u n artiste. Celui qui a la n a tu re im pudique ou dem i-im pudique du Fuégien ou du Japonais perd plus de la m oitié des tréso rs de l’am o u r; il est com m e celui qu i, sans od orat, adm ire les fleurs d’un jard in . La fem m e est la vestale de la p u deur, et lo rs q u ’elle est vierge et p u re, elle possède en en tier ce tréso r inappréciable, En chem inant dans les sen tiers de l’am ou r, elle en p erd quelques perles, elle en perdra bien davantage si son com pagnon l’aide à égrener son collier. Pourtant il est rare , que m êm e dans les unes fem m e perde toute pudeur. Jusque dans la vie galante et libertine, parfois dans la prostitution, nous voyons avec su rp rise b riller quelque diam ant que la débauche n ’a pas su te rn ir. On est étonné et ém u devant la force de résistance d’u n senti m ent qui p araît si délicat et si fragile. Et tan t q u 'il restera à la fem m e un peu de cette terre sa crée su r laquelle puisse pousser u ne seule pauvre fleur de pudicité, la v ertu n ’est pas m orte tout à fai!, et sa résu rrectio n est possible. La p u d e u r n ’est jam ais excessive lorsq u ’elle est sincère; quand elle sort spontaném ent d’un cœ ur droit et honnête, elle ne peut que nous pré p arer des joies su blim es. La p u d eu r a le don d ’élever dans les régions les plus hautes l’ignorance et la sim plicité, et d ’en tou rer d ’une auréole de lum ière les am ours les plus plébéiennes com m e les plus hautes. P rotectrice de l’am our, elle le su it pas à pas et le préserve de la boue et du feu, en lui faisant élever les regards, elle l’épure et le sanctifie. G ardienne économ e des forces de l ’am ou r, elle les en tretien t, toujours fraîches et jeu nes, lorsque le p rem ier b aiser fait tom ber du front d e là fem m e la prem ière fleur de sa virginité, elle en fait ren aître de nouvelles sous les pas des deux am an ts. Elle est le baum e qui conserve les affections. L’im p u deur tue peut-être plus d ’am ours que l’infidélité. A nos enfants, et su rto u t à nos filles, nous devons enseigner de bonne h eu re la p u d eu r sin cère, sans hypocrisie. On peut être pudiquem ent n u , et l’on peutêtve im pudique, le corps surchargé de vêtem ents. Nous disons à nos filles de baisser les yeux devant les regards qui les rech erch en t, et nous les conduisons au théâtre où les danseuses sont presque nues du m ilieu du corps ju sq u ’au bas, et les spectatrices, depuis la taille ju sq u ’en h a u t. Nous enseignons à nos filles à cacher ju sq u ’à leu r pied au reg ard h ard i de l’hom m e, et nous les livrons à la cou tu rière p o u r que, par un e coupe h ab ile, elle exagère les courbes n atu relles encore peu accentuées. T ant que cette p ro fonde hypocrisie im prégnera notre société, la p u d eu r ne sera q u ’une grim ace et ne p o urra exer cer que peu d ’influence su r nos am ours. CHAPITRE VI [LA V I E R G E Puisque d ’après la gram m aire les adjectifs peu vent être du genre m asculin et fém inin, il s’en su it que l’hom m e peut être vierge au ssi; m ais en tre sa virginité et celle de la fem m e il y a un abîm e que l’on ne sau rait m esu rer. Un hom m e vierge est u n hom m e qui ne connaît pas les m ys tères de l’accouplem ent; m ais de celte ignorance il ne porte aucune trace su r son corps et souvent non plus dans son âm e ni dans son cœ ur, car le vice avec ses m ille subterfuges l’a peut-être rendu plus im p u r qu ’une courtisan e, bien q u ’il se puisse van ter de n ’avoir jam ais violé u n vœ u fait à un e caste, à un préjugé ou à un e des nom breuses tyran nies de la volonté, l a fem m e vierge au co n traire est to u t u n m o n d e; c’est u n tem ple auquel les peuples de toute la te rre ont p orté le trib u t de leu r culte, de leu rs folies et de leurs 6 adorations ; et faire son h istoire est en grande p artie écrire l’ethnographie de l ’am our. Dans ce livre nous ne nous occuperons néanm oins que de la vierge européenne com m e la n atu re l’a façon née dans le sein m aternel et com m e la civilisation de notre tem ps la sacrifie su r l’autel de la ri chesse, de l ’am ou r, de la débauche. La n atu re, en créant la vierge h u m aine, nous a donné à réso u d re u n problèm e des plus obscurs et des plus redoutables. Ce n ’était pas assez q u ’il fallût seize années pour que l’enfant devienne fem m e, ce n ’était pas assez que m ille rem p arts m oraux défendissent re n tré e du sanctuaire. Q uand à votre oui répond u n au tre oui, lorsque toutes les difficultés sem blent aplanies et que vous touchez à la victoire, u n ange terrib le vous arrête de son épée de feu et vous d it : « C’est une vierge. » La rose est près de vos lèvres, ferm ée, belle com m e l’au ro re au p rin te m p s; seulem ent p o ur lui im p rim er u n baiser il faut ensanglanter vos lèvres. Profond m ystère ! Deux n atu res abso lu m en t différentes, m ais aussi ardem m ent éprises, sont parvenues à travers m ille obstacles à se rejoindre p o u r vider ensem ble la coupe de la volupté; m ais su r le seuil se tient l’ange de la douleur, et vous ne pouvez arriv er à la joie, q u ’à travers u ne blessure. Cruel m ystère ! P o urtant c’est su r ce lim be rose plus petit q u ’une lèvre d ’en fan t que sont concentrés l’a m our-propre, l’am our et le sentim ent de la pro priété, le d ro it du m âle trio m p h an t de crier : « Elle est à m oi ! — à m oi p o u r la prem ière fois ! à m oi pou r toujours ! » La n atu re a voulu consacrer anatom iquem ent le p rem ier em brassem ent, elle a voulu in carn er dans u n fait physique le p rem ier am ou r. Et l’hom m e soupçonneux, jalou x , avare, bénit la n atu re de p o rter tém oignage de la pureté de la fem m e. Les Lom bards donnaient le m orgincap au ssitô t après la p rem ière n u it de m ariage, et ce don fam eux, p rix de la virginité pouvait aller ju s q u ’au q u a rt de la fo rtu ne du m ari. Q uelques épouses adroites, ajoute l’historien m alicieux, stipulaient que ce don serait fait à l’avance étant bien certaines q u ’elles ne le m ériteraien t pas. Sans être L om bards, nous prom ettons à toutes nos filles un m orgincap, p o u r q u ’elles g ar dent intact, ju sq u ’au jo u r suprêm e du p rem ier am our perm is le voile sacré qui ferm e la porte du san ctuaire, où n aissent les hom m es. Ce m or gincap c’est l’époux, c’est l’estim e, c’est le re s pect de tous. Avec ce voile tu es une sainte, une vierge, u n ange, b u t de tous les désirs. Ce voile fragile déchiré, tu es jeu n e, tu es belle, peut être es-tu pure com m e h ie r, m ais tu n ’es plus q u ’une fem elle hum aine. Le tem ple est violé, l’idole est renversée, ses m inistres ont fui en appelant su r la tête de Ja victim e 'la vengeance de leu r Dieu. Quel am as de m ystères et d ’injustices Le poète trouve m ille im ages p o ur peindre la vierge : l’épine à côté de la ro se, le tem ple défendu p ar les ailes d ’un ange, la p rem ière vo lupté consacrée p a r une p rem ière d ouleur, les destinées de la vie des époux, écrites dès le p re m ier b aiser, c ’est u n m ystère infini qui couvre u n e des p lu s belles scènes de l’h u m an ité, voilà la vierge du poète. Le m oraliste trouve lui aussi dans ses théories théologiques cent raisons p o ur l’expliquer : La garde de la v ertu p a r u n e défense m atérielle, un doux]avertissem entque i’ain ou rn o u s donneram ille do uleu rs, u ne g arantie certaine de l’honnêteté de l’épouse, donnant à l’époux solennellem ent des arrh es de l’éternelle félicité dom estique : voilà la vierge du théologien. Mais le n atu raliste secoue la tête, il repousse la vierge du poète, il rit de la vierge du théolo gien. Chaque organe a sa fonction, chaque effet doit avoir sa cause, à chaque pourquoi interrog ateu r il doit y avoir u n parce que satisfaisant. Pour m oi la vierge est u n ange qui com m ence. C’est le p rem ier degré de séparation de deux organes g ro ssièrem en t ’ réu n is en nous : les organes de l’am our, et les organes d’une des plus basses sécré tions. Plus les êtres vivants s’élèvent et plus leurs fonctions se subdivisent, et dans u ne créatu re supérieure à nous, l’am our au ra certainem ent un terrain réservé et unique. Du cloaque unique, nous som m es arrivés à deux p etits; u n pas de plus et nous aurons trois organes et trois appa re ils; une des plus grandes hontes physiques de notre corps sera effacée. Si m a théorie Darwi n ienne ne vous satisfait pas, il ne vous reste plus que cet apologue que je vous recom m ande parce que s’il ne vous donne pas la raison scientifique de la vierge, il vous en expliquera presque toute la physiologie. « Un jo u r l’orgueil, l’am o u r et le sentim ent « de la propriété fu ren t appelés devant Dieu pour « ren d re com pte des guerres sanglantes q u ’ils se « faisaient et qui ne laissaient aucun repos aux « pauvres hum ains. Le Père É ternel était ce jo u r« là de fort m échante h u m eu r. Après une terrib le « réprim ande adressée à ces m essieurs, il en « vint à cette conclusion : S i vous ne cessez p a s « de tourm enter les hommes avec vos interm ina« Lies discordes, si vous ne me donnez p a s , hic « et nunc, une preuve de votre réconciliation, « je vous chasse de la terre q u i vous p la ît tant, « et je vous lance en enfer p o u r toujours. « Ils ch erchèren t beaucoup d’excuses m ais le « dilem m e se posait toujours : ou la paix, ou « l’enfer. « Ils eu ren t une longue discussion dans laquelle « ils décidèrent de faire une œ uvre en co m m u n , « « « « « « « « « et adm is de nouveau en présence de Dieu, ils lui p résen tèren t la vierge, belle et précieuse créatu re, p o ur laquelle il est difficile d’apprécier lequel des trois eut la plus grande p art. On dit que le Seigneur en rit de tout son cœ ur et q u ’ayant congédié les trois architectes qui pour cette fois seule se trouv èren t d’accord, il s’écria : Jam ais dans ma sagesse infinie je n ’au rais im aginé une pareille sottise ! » Si nous pouvions interrog er le Seigneur p o u r savoir si, après tan t de siècles que la vierge est créée, il se trouve satisfait d e l ’avoir laissée vivre, je suis certain q u ’il répondrait oui. C’est une créa tu re qui fait beaucoup plus de bien que de m al, et fort peu p arm i les hom m es appelés à voter, à ce sujet, m ettraien t dans l’u rn e une boule noire. Je ne sais si toutes les fem m es voteraient com m e nous, m ais je crois que les m eilleures, les plus vertueuses, les plus belles et les p lu s poétiques, seraient de n o tre côté. Les tem ples ouverts sont m oins sacrés que les tem ples ferm és, et le m ystère exalte tou jo u rs l’idolâtrie. Or l’am o u r n ’est-il point la plus grande des idolâtries? Une vierge est à m ille pieds au-dessus de nous ; elle doit bien nous aim er p o u r se réso u d re à des cendre de son piédestal. Le m ystère de l’incon n u , l’enchantem ent des prém ices centuplent les jo u is sances d ’u n p rem ier em brassem ent. P o u rtan t l’h o rrible crain te de tro uv er le sanctuaire violé nous tient suspendus su r les abîm es du désespoir et de la volupté dont nous ressentons coup su r coup les poignantes douleurs et les ineffables delices. Et la fem m e qui se sait vierge m e su re l’im m ensité du sacrifice, et si elle a le bonheur de le tro uver égal à la g ran d eu r de l’affection q u ’elle éprouve, elle ressent une des plus sublim es voluptés qui p u issen t faire vibrer à la fois n erfs et pensées, sens et sentim ents. Elle avait déjà donné son cœ ur et toute sa ten dresse à son d ieu ; au jo u rd ’hui elle lui livre le sceau qui lui confirm e la possession de tout son être; après avoir partagé avec lui tout ce q u ’elle possède, tout ce q u ’elle ressent, tou t ce q u ’elle désire, elle lui donne son sang et p a r ce sang elle prolonge un serm ent d ’am ou r fu tu r le plus sacré que puisse prononcer un e créatu re h u m aine. Elle se confie nue, faible, désarm ée à un hom m e puissant arm é, invulnérable! Que de passion, que d ’abnégation! Ange hier, elle se laisse arra ch er les ailes p ar l’am an t p o ur devenir fem m e, am ie, m ère. Prêtresse d ’u n tem ple, elle b rû le su r 1 autel de l’am our la robe blanche de la veslale et dans des sanglots de joie et de dou leu r elle crie : « Je suis à toi, toute à toi. Y a-t-il encore quelque chose que je puisse te donner? Disle m oi je te le donnerai. J’ai coupé m es ailes pour que tu m 'élèves su r les tiennes. J’ai b rû lé m on tem ple po u r ne vivre que dans celui de ton cœ ur. J ’ai renié la religion de m es rêves pour n ’être que ta com pagne. Ne m e trah is pas. Je fus ta vierge et m aintenant je ne serai que ta fem m e. Aie p o u r m oi u n im m ense am ou r. Aie p o ur m oi u n e im m ense pitié ! » Le fait anatom ique qui constitue la virginité a le grave inconvénient d ’être com pris de tous, de sorte que le vulgaire, fier et heureux de pouvoir résoudre une question de vertu avec les yeux et les m ains, jette b ru talem en t l’épée de Brennus dans la plus délicate des balances. Que les philo sophes et les m oralistes discourent à leur aise su r la pu reté du cœ ur et su r les lim ites de la vertu ; p o u r le vulgaire, il n ’y a que des vierges ou des fem m es profanées; et la physique avec la résis tance de l’élasticité, et la géom étrie avec ses d ia m ètres résolvent un problèm e qui a fatigué les plus grands penseurs dans cette question. Bien des hom m es, in stru its ou ignorants, em poisonnent leu r vie en pensant que la fem m e q u ’ils ont choisie p o u r com pagne, n ’a pas rép an d u son sang dans la prem ière étreinte. La science affirm e que la virginité a m êm e ana tom iqu em en t bien des form es différentes, et q u ’elle peut m anq u er chez des fem m es qui n ’ont jam a is été approchées p a r u n hom m e. Moi-même j ’ai vu dans m a p ratiq u e m édicale p lu sieu rs en fants très jeunes auxquelles m anquait ce fam eux sceau p ar lequel la nature sem ble m a rq u er la vierge; je pensais avec tristesse que p o ur elles la v ertu et l’innocence seraient inutiles devant u n hom m e ignorant et b ru ta l. Et lors m êm e que l’anatom ie ne se ren d rait pas coupable de cette tra hison, il suffit d’une chute, d’u n trau m atism e, p o u r b riser cette m em brane qui est, p o ur le plus grand nom bre, la seule g arantie de la p u reté. En ou tre, dans les prem ières années, le badinage las cif d’u n adolescent ou la lu x u re d’un vieillard peuvent d étru ire cette délicate m em brane sans te rn ir le cœ ur de l’en fan t; et lorsque plus ta rd à l’h eu re où l’am our se fera sen tir elle cro ira pou voir lever le fro n t, inconsciente m êm e de l’absence physique du signe de sa virginité, que de larm es versées. Combien de prem ières n u its d ’am o u r de venues des nuits d ’enfer, com bien de nœ uds dénoués p a r u n préjugé, p ar u n soupçon, par un e calom nie, com bien de vies em poisonnées ! Vous tous qui jugez la fem m e avec tan t d ’assu rance, avez-vous songé aux m ille dangers aux quels est exposée une fille jeune, belle et dési rée, qui doit com pter avec son ignorance et l’au dace des hom m es, avec les su rp rises des sens et les artifices étudiés de la débauche? La virginité est un e chose im portante sans doute, c’est le plus beau diam ant de la couronne d ’un e fem m e; m ais elle n ’est pas toute la vertu. Combien il y en a de ces m alheureuses qui n ’ont été p u res que dans le sein de leu r m ère, qui p a r u n a rt infini ont gardé le sceau de leu r v ir ginité à trav ers les débauches de cent am ants, qui avec un e science consom m ée ont su conser ver ju sq u ’à le u r m ariage la preuve de leu r virgi n ité. Beau tréso r en vérité que ce d iam ant tom bé cent fois dans la fange e t cent fois ram assé et lav é? Précieuse perle que ce lam beau de chair conservé intact en u n corps prostitué ! Une fleur au m ilieu d’u n m arais fétide ! E t u n hom m e a p u la cu eillir avec tran sp o rt, après avoir peu t-être jeté l’insu lte à u ne jeu n e fille p u re à laquelle il ne m an q u ait que l’hym en. Plus d’une fois la rage m ’a pris en entendant des m ères donner à leu rs filles cet u n ique précepte : « Conserve ta virginité physique », j ’ai souvent m au d it la m orale de n o tre tem ps qui dit à l’épouse : « S u rto u t point de scandale : » L’œil d ’abord à l’hym en, plus tard au tro u de la serru re : voilà donc toute la m orale de la fem m e au dix-neuvièm e siècle. La v aleu r excessive, b ru tale, bestiale, donnée à la virginité p ar la société m oderne, a créé l’a rt in fâm e de fab riq u er des virginités ; com bien ont eu deux, cinq, dix éditions sinon am éliorées, tou jo u rs revues et corrigées à la grande satisfaction de m aris ou am ants stupides. La pro stitutio n de ce siècle hypocrite ne sau rait être plus cynique m ent vengée. Vous ayez de la vertu d’une fem m e une idée toute physique; fort bien, le progrès de la civilisation vous sert à souhait, elle vous fait un e virginité physique. M undus vult decipi, ercjo decipiatur. La virginité ne com m ence ni ne finit dans une m em brane plus ou m oins intacte : elle est anato m ique et m orale tout ensem ble. La vierge de l’hom m e civilisé n ’est pas celle d u sauvage : une h u ître qui ne peu t s’o u vrir q u ’avec u n couteau. C est un e créatu re qui n ’a pas été souillée p ar la lange sociale, c’est un e fem m e que beaucoup ont peut-être aim ée et désirée, m ais qui n ’a été à au cun. Elle ign o re le vice, elle rougit à un e parole im pudique ou à un geste h ard i. Elle sait qu’elle est intacte, bien q u 'elle ait soupiré et désiré, car elle n a pas donné son cœ ur. Elle est vierge parce qu elle est pudique, elle est p udique parce q u ’elle est vierge, elle est vierge et p u diq u e parce qu’elle est fem m e. Et vous, m ères, lorsque vous enseignez à vos filles quel trésor est la pureté virginale, donnez* leu r, en m êm e tem ps q u ’un e leçon d ’anatom ie et de physiologie, une leçon de h au te m orale. Dites leu r qu il faut tout donner à l ’hom m e que l’on aim e, rien à celui que l’on n ’aim e p a s; dites-leur que l’on p eu t être p u re physiquem ent et im p u re m oralem ent. La religion du C hrist en p résen tan t à l’adora tion des hom m es un e vierge m ère, a voulu consa crer la pu reté fém inine et m o n trer le type de l’é pouse accom plie ; elle a voulu créer un idéal de perfection ren ferm ant les deux plus hautes vertus de la fem m e et ind iq u er que l’on peu t être vierge et m ère, com m e vierge et p ro stituée. Que cette figure idéale ait été une sublim e création de l’esprit h u m ain , il suffit p o u r le prouver de voir l ’in fluence im m ense q u ’elle a exercée su r l’a rt ch ré tien ; il suffit de reg ard er les vierges de R aphaël, de M urillo et du Corrège. CHAPITRE VII LA CONQUÊTE DE LA VOLUPTÉ Si l’hom m e élève scs am ours ju s q u ’aux plus hautes régions de l’idéal ; s’il peut se regarder comme l ’être qui sait le m ieux aim er su r la terre, il peut se flatter aussi d’avoir reçu de la nature la plus large p art de la volupté; il peut se vanter encore d’être, le seul peut-être parm i les vivants, qui puisse m o u rir de plaisir. Terrible chose que l’em brassem ent d ’un hom m e et d’une femme qui s’aim ent; si terrible que d e vant cet ouragan des sens, le peintre laisse tom ber son pinceau, le physiologiste perd le fil de son analyse, et que le philosophe reste stupéfait de la sublim e anim alité et de la féroce grandeur de cet acte, dans lequel toute force h u m ain e semble être jetée en holocauste à la fécondation. But tacite ou avoué de tout am our, rêve de toute vierge, tourm ent et délice de tous les hom m es, la volupté 7 est la plus grande douceur des sens ; mais c’est u n abîme profond où tom bent à chaque pas les vulgaires am ours, où som brent m êm e les grandes. Volupté ! m ot redoutable qui rappelle les plus a r dentes luttes de la vie, et le plus grand des boule versements qui accom pagnent la form ation et la destruction d ’un organism e. Chaos où le bien et le m al se m êlent au point de se confondre, où l’ange et la brute s’étreignent où l’individualité hu m ain e disparaît u n m om ent pour laisser en sa place u n m onstre fantastique, moitié hom m e, m oitié fem m e, moitié dieu, moitié d ém on; chaos d ’où naît u n h o m m e; com m e d ’un autre chaosest sorti le cri qui engendra la lum ière. J’ouvre le livre des Actions hum aines et je lis : « La belle de San Luri en Sardaigne tua par ses em brassem ents le jeu ne roi, Martino II de Sicile, de la m aison d ’Aragon, qui donna le dernier coup à l’indépendance d elà Sardaigne en soum et tant à sa dynastie la partie encore libre de l ’île. En 1409 il avait rem porté une grande victoire contre Brancaleone Boria et le vicomte de Narbonne, lorsqu’il fut vaincu à son tou r par la belle San Luri, qui, nouvelle Judith, tua le roi d’Aragon p ar la fu reu r de ses baisers.1 » « L’im pératrice Thôodora était si parfaitem ent belle, que l’on disait que la peinture et la poésie 1. La Mai’mora. Ilmerario in Sardigna, p. 270. LA CONQUÊTE DE LA VOLUPTÉ 111 seraient insuffisantes pour représentér l’incom parable excellence de ses formes. Un historien satirique ne rougit pas de décrire les scènes que Théodora n’eut pas honte de rep résenter nue sur le théâtre. Après avoir rappelé q u ’elle portait une étroite ceinture, car il était défendu d’être abso lum en t nue su r la scène, Procope ajoute : « vx- st:'rw'/.u'ia. « Après avoir épuisé tous les genres de plaisirs sensuels, elle se plaignait avec ingratitude de la parcim onie de la nature, et désirait un quatrièm e autel sur lequel elle p u t offrir des libations au dieu de l’am our. Après avoir été possédée p ar le m onde entier, elle séduisit Justinien qui l’épousa ; il l’appelait un don de la d ivin ité'. » La vieillesse de David fut réchauffée p ar la jeu ne Sanomite, et Herm ippus prolongea ses jou rs ju s q u ’à 105 ans soutenu p a r le souffle d’un grand nom bre de jeunes fem m es2. Ces quelques citations suffisent à indiquer les lim ites entre lesquelles se débat la volupté h u m aine, productrice inépuisable de tant de bien et de tant de m al. Pourtant devant la science elle n ’est autre chose que « la plus puissante des affi nités chim iques ressen tiep arlep lu sp arfaitd escer veaux vivants». Les germ es de la vie préparés dans le lent laboratoire d’u n hom m e et d ’une fem me, t . Gibbon. Histoire de la décadence de l'Empire romain. 2. Livres sacrés. se cherchent et s’attirent, et lorsque l’am ou r les rapproche, ils rétablissent l’un des équilibres les plus prodigieux de la nature en donnant naissance à un être hum ain. S’il est vrai q u ’à chaque seconde une feuille de l’arbre h u m ain se délache et tombe, il est vrai aussi que dans le m êm e tem ps, dix existences au moins se confondent p o ur rallum er la vie ; car p artout où un hom m e et une fem m e se trouvent rapprochés et peuvent se désirer, la volupté s’en em pare et leur dit : « P o u r un instant vous êtes des dieux ! » Il n ’y a pas d ’am ou r sans volupté, m ais la vo lupté à elle seule n ’est pas l’am our, com m e ce que l’on nom m e idéalement am ou r platonique est pas non plus l’am ou r. L’am ou r platonique et la luxure sont des maladies de l’am our, maladies qui ne sont du reste que trop fréquentes. Il n ’y a pas de conquête sans la possession de la chose conquise, com m e il ne peut y avoir d’a m o u r sans volupté. Otez la fleur de l’arb re, ôtez le fruit à la fleur, et vous aurez l’image de ces affections bâtardes. Très souvent les lois de l’honnêteté doivent nous interdire l’am ou r ; repoussez-le alors m algré de cruelles souffrances. Mais ne rusez pas avec l’am our, c'est la pire des hypocrisies hum aines. Combien j ’en ai vu après de longues tirades sentim entales su r l’am our LA CONQUÊTE DE LA VOLUPTÉ. 115 platonique, glisser peu à peu ju sq u ’au vice. Tout ou rien, l’am ou r le veut ainsi. Arrachez l’arbre que vous ne pouvez cultiver ; n ’essayez pas de diviser l’indivisible. On ne joue pas, on ne tra n sige pas avec l’am our. La volupté sans l’am our, toujours c’est la luxure m êm e dans ses formes les plus simples. Avec l’am our ; la volupté m êm e est vertu et la casuistique des théologiens est plus im pudique que le plus ardent des baisers que se soient jam ais donné deux am ants passionnés. Am ants qui vous aimez, am ants qui vous pos sédez et vous enivrez à toute heure, souvenez-vous que la volupté doit être, non le pain, mais le vin de l’am our. Si vous voulez que vos lèvres soient éternellement altérées, que votre volupté soit chaste. La volupté pudique fut donnée à la fem m e par la n atu re afin q u ’elle la rende en joie à l’hom m e qui doit la respecter com m e le gage de son b o nheur domestique. CHAPJTIvE VIII COMMENT SE C O N S E R V E E T C O M M E N T M E U R T L'AMOUR L’h om m e vit sur les lim ites animales du règne h u m ain ; il est comm e la brute, p o ur laquelle l’am ou r est u n désir qui naît, se satisfait et s’en dort. Si l’im pulsion vers la fem m e n ’est pas chez lui limitée com m e chez elle au printem ps et à l ’autom ne, c’est néanm oins une passion in ter m ittente, qui m e u rt à chaque besoin satisfait et renaît à chaque nouveau désir. Le nouveau désir po urra se tourner vers la m êm e personne ou vers une autre; cela est une question secondaire et, suivant la façon dont les circonstances la lui feront résoudre, il sera m o nogam e ou polygame, vertueux p ar habitude ou libertin p ar caprice. Voilà, plus souvent q u ’on ne saurait croire, la façon d ’aim er de beaucoup de peuples à peau COMMENT SE CONSERVE ET COMMENT MEURT L'AMOUR. 115 noire et de beaucoup d ’hom m es à peau blanche, qui croient po urtan t aim er fidèlement u n e seule fem m e à la fois. E ntre le désir qui m eurt et celui qui germe, vous pouvez m ettre un doux souvenir de g rati tude p o ur le plaisir goûté, une agréable espé rance d’u n bonheur plus grand, et alors le total p o urra sim uler un vrai et grand am our. Bien peu atteignent les hautes régions du sen tim ent, com m e les somm ets de la pensée; et pendant que des centaines de m outons ru m in en t et que des m illiards d ’insectes fourm illent dans la plaine, su r les cimes bleues des Alpes, deux aigles seulem ent représentent le m onde des vivants. Quoi que l’am ou r soit une passion très puis sante, il n ’en suit pas m oins les lois de la phy sique élém entaire qui gouverne toutes ces forces accum ulées dans nos centres nerveux, que nous appelons sentim ents. Tant que la passion reste à l’état de désir, c’est-à-dire tarit que la force est à l’état de tension et ne se transform e pas en tra vail, l’énergie persiste et le sentim ent reste ardent et vigoureux. Tout l’art d ’entretenir l’am our se *èduit donc à ceci : « Conserver le désir et le faire renaître presque aussitôt q u ’il s’est éteint. « Puisque l ’am ou r m êm e, avec toute sa puissance, ne peut échapper aux lois physiques, et qu’à l’étincelle qui s’échappe doit succéder u n temps de repos où elle se renouvelle, il faut veiller à ce que, pendant q u ’une partie de la force se transform e en travail, une autre s’accum ule et prépare une nouvelle étincelle, assez vite p o ur q u ’on ne puisse savoir l’intervalle de temps qui sépare l’une de l’autre. Transform er en courant élec trique continu le courant interm ittent, voilà le grand secret pour faire d u rer l’am our. Tant que le désir n ’est pas satisfait, non seule m ent l’am ou r se conserve, m ais il s’accum ule; ce n ’est pas en vain que la fem me dem ande du répit et prolonge la résistance. L’am our doit être ou bien faible ou bien brutal p o ur se retirer de la lutte avant la victoire, et com m e il est très rare que la fem m e cède tout en une seule fois, scs faveurs entretiennent le désir et ravivent l’am our. Enfin tôt ou tard arrive le jo u r de la victoire ; môme quand l’am o u r est assez bas pour se réduire à la soif du plaisir, il ne périt presque jam ais dans le p rem ier em brassem ent. Qui peut dire, en effet, avoir possédé une fem m e tout entière en une n uit d ’am our? Les beautés de l’hom m e sont telles et nos sensations esthétiques sont si vives, que m êm e la seule conquête de la volupté est h eureuse m ent très longue. Les divers trésors de beauté et de volupté des deux am ants, l’art d ’aim er, si négligé, m êm e depuis Ovide, m arquent la durée des am ours qui em prun ten t seulem ent leur éner gie au culte de la forme et à l’ard eu r des sens; COMMENT SE CONSERVE ET COMMENT MEURT L’AMOUR. 117 et dans quelques cas cette durée peut être fort longue mais jam ais infinie. Elle n ’arrive que Irop sûrem ent, l’heure où l’aile du temps efface la fraîcheur de la jeunesse, et en m êm e temps celle où la coupe de la volupté est vide, et alors, s’il n ’y a rien autre chose, l’am our dépérit et aucun m i racle ne pourrait le sauver d ’une m o rt certaine. La passion a surgi de la volupté et de la beauté : elle finit avec elles. Voilà le mode le plus ordinaire dont m eurent les am ours vulgaires, et la durée de leur existence peut se calculer avec précision, p ar la beauté des deux am ants, leur jeunesse, leu r ard eu r et leur art d’aim er. Elles peuvent d u rer une heure, u n jou r, un mois, un an, dix ans, et dans des cas très rares, toute la période de la jeunesse. L’hom m e, et surtout la fem me, ne tom bent pas sans résistance sous les coups du tem ps, et avec un art infini ils réparent les ravages des ans. De même en m atière d ’am our ils agissent frauduleusem ent et ils excitent leurs sens émoussés p ar toutes sortes d ’artifices, de façon à se figurer que l’am o u r d u re encore, mais sans éviter le term e inévitable. 0 fem mes qui voyez avec chagrin se refroidir à chaque heure ce feu dont vous réchauffiez vos m em bres am oureux, si vous n ’avez été heureuses que p ar votre beauté, souvenez-vous aussi q u ’avec vos charm es flétris ce feu s’éteindra et que per7. sonne ne répondra plus à votre dernier cri de désir. Vous me direz que j ’aspire à u n am ou r idéal et impossible à attein d re; vous m e direz aussi q u ’un hom m e bien constitué peut être beau d u ran t quarante ans de sa vie, et que la fem m e elle-même a droit à trente années de beauté et à dix autres années de ch arm e; et q u ’u n am our qui ne du rerait que ces trente ou quarante ans est une chose fort enviable. Un printem ps et un été de quarante années, term inés par u n doux autom ne, pendant lequel les chers souvenirs et la tendre amitié préparent la vieillesse, peuvent sembler le triom phe d’une longue et superbe vie d ’am our. Tel est m on avis s ’il s’agit des am ours vul gaires; mais nous devons toujours viser plus h au t et désirer un am ou r qui ne finisse q u ’à la tom be. Puis, dites-moi, tout hom m e sain peut offrir à la fem m e le tyrse de l’am ou r et toute fem m e saine peut présenter à l’hom m e la coupe de la volupté ; m ais combien y a-t-il d’hom m es beaux, combien y a-t-il de fem mes qui puissent se dire belles? Pas seulem ent dix su r cent. Et alors les autres qui sont plus ou m oins éloignés du type de perfection, ne devront pas aim er, ni être aimés ? Non : chez l’hom m e si riche d ’éléments psychiques, le beau ne s’arrête pas à la form e extérieure et l’am our ne consiste pas seulem ent dans la volupté. Aucune difformité, aucune m aladie ne doit se ren- COMMENT SE CONSERVE ET COMMENT MEURT L’AMOUR. 119 contrer chez celui qui veut faire des hom m es; ceci est de l’hygiène ; m ais les form es multiples de la beauté morale et de la beauté intellectuelle, relevées seulem ent p ar une légère délinéation du sexe, peuvent et doivent éveiller des passions ardentes et tenaces, et qui ne passent pas avec la jeunesse. L’am ou r parfait doit naître de la con tem plation, de l’adoration de tous les genres de beauté de l’être aim é; et lorsque celle des form es pâlit, la beauté m orale brillera dans tout son éclat, et plus tard encore la beauté de la pensée nous apparaîtra dans toute sa magnifi cence, de m êm e que pendant q u ’un astre disparaît un autre s’éclaire dans le firm am ent. Nous avons aimé une fem m e tout d’abord parce q u ’elle était belle dans son enveloppe. Nous l’aim ons ensuite dans la beauté de sa bonté, de son intelligence, de ses idées, et de tout ce q u ’il y a de grand dans l’hum anité m ême. Le caractère et la pensée ont un type profondém ent sexuel et la bonté féminine peut être adorée par l’hom m e, de m êm e que la douce n atu re de la fem me s’incline devant le cou rage viril. Si la fem m e n ’est pas seulem ent une belle femelle, m ais u n ensemble de grâces et de perfec tions (et la vie la plus longue ne suffit pas à apaiser nos désirs de possession), à la limite de l’extrêm e vieillesse, quelque nouvelle conquête nous reste encore à faire, et la douceur des sou venirs comble les vides que la jeunesse en fuyant a laissés derrière elle. Sublim e triom phe de la n ature hum aine, dans laquelle l’am ou r survit aux sens et aux attraits de la beauté physique, et dans laquelle un chaud rayon de lum ière brille su r la tète argentée des deux vieillards qui s’aim ent encore parce q u ’ils se désirent toujours et veu lent se sentir dans une étreinte éternelle, sexuelle à l’origine, puis morale. Ce sont les passions qui sont montées le plus h au t qui descendent le plus rap id em en t; d e l à l’épuisem ent qui suit l’énergie, l’ennui qui côtoie l'enthousiasm e et les mille dangers de m o rt qui entourent le sentim ent. L’am ou r présente, plus q u ’aucune autre, ces phénomènes et ces périls, et il est impossible à qui que ce soit de faire d u rer la volupté et l’extase plus d ’un instant très court. L’interm ittence est une des lois les plus inexo rables du système nerveux, et celui qui veut accu m u ler enthousiasm es sur enthousiasm es et Ne respirer qu’une haleine De baisers et de soupirs, m eurt consum é p ar son propre feu, et ce qui est pire, avant de m o u rir il voit l’am ou r m ort à ses pieds. Nous ne pouvons nous révolter contre les lois de la nature, m ais il nous est perm is de les diriger à notre avantage. Entre les extases, nous pou vons semer la joie et dissiper l’ennui ; entre les COMMENT SE CONSERVE ET COMMENT MEURT L’AMOUR. 121 voluptés, nous pouvons supprim er la fatigue et cueillir les fleurs du sentim ent; et après les trop brûlantes ardeurs, nous pouvons trouver le calm e et le repos dans le frais sanctuaire de nos pensées, en m éditant et nous souvenant ensemble. Voilà l ’am ou r parfait, l’am our idéal qui se conserve p u r, comm e un diam ant dans le sable tourm enté d ’un fleuve. Peu de personnes y atteignent, mais beau coup peuvent en approcher; il suffit m êm e au bon h e u r de l’h u m an ité de l’apercevoir de loin, comme la terre prom ise qui, dit le poète, « est toujours au delà des m onts ». L’hom m e qui repousse brutalem ent les nobles aspirations de la fem me à une plus haute partici pation dans le travail de la pensée, signe sa propre condam nation; et lorsq u ’il la renvoie avec ironie à son lit ou aux soins de la m énagère, il se résigne à ne connaître que la partie la plus animale et la plus grossière des joies de l’am our. Soyez le mâle le plus robuste et le libertin le plus raffiné; lors que Vénus elle-mêm e descendrait près de vous, elle vous ennuierait tôt au tard ju sq u ’à la nausée, et alors, les imprécations contre la vanité de l’am our, les blasphèm es contre la vie et les lam en tations sur le désenchantement que répétés depuis Adam p ar le com m un des hom m es qui m éconnaît stupidem ent les lois de .l’économie des forces. Nous devons élever la femme non seulem ent pour accomplir un acte de justice, mais pour étendre le cham p de nos joies et accroître nos jouissances. Un grand pas a déjà été fait en tran sfo rm an t la femelle du gynécée polygame en m ère de famille, m ais cet affranchissem ent de la société moderne n ’est q u ’une sorte de tolérance, et l’égalité, à laquelle elle a droit, n ’est pas suffisamment établie. Si de concubine elle est devenue m ère, il reste à lui donner le rang de femme ou plutôt à en faire un homme-femme, je veux dire une créature très noble et très délicate qui pense et sente avec nous, qui pense et sente fém ininem ent, et complète ainsi en nous l’aspect des choses dont nous ne voyons q u ’une partie. Là où l’hom m e et la fem me sont enchaînés par les sens, les sentim ents et la pensée, l’am our se conserve facilement p ar sa propre n ature et sans aucun artifice. Quelques êtres privilégiés d em an dent avec étonnem ent pourquoi leur am ou r cesse rait ; chez eux l’am ou r persiste brû lant, tenace, invincible, et il s’éteint d’un seul coup p ar la m ort , ainsi q u ’un vase de porcelaine très ancien et tou jours neuf, qui tom bant des m ains d’un serviteur m aladroit, m eurt comm e il est né, n eu f et brillant. Il n ’en est plus ainsi quand la volupté constitue tout ou presque tout l’am ou r, et dans ce cas, la m eilleure m anière de le faire durer consiste à conserver toujours dans la coupe cette goutte de désir qui entre deux em brassem ents entretient la passion et donne un caractère profondément sexuel COMMENT SE CONSERVE ET COMMENT MEURT L'AMOUR. Vlâ aux habitudes, aux conversations et aux rapports fam iliers. La conservation de l’am ou r est un des droits et u n des devoirs les plus saints de la fem me. Nous autres hom m es, nous som m es trop légers, trop polygames, trop exigeants dans nos désirs subits, p o ur que la prudence nous rende facile cette éco nom ie de l’am our. Voir to u t, toucher à tout, vouloir tout im m édiatem ent, voilà la physio nom ie tout enfantine de beaucoup d ’am ours chez l’hom m e. La fem me aime plus que nous, mais elle sait prévoir, p ressen tir, craindre. Môme en am our, elle est bonne m énagère, et tandis q u ’elle cueille la fleur p o ur la joie d’au jou rd ’h ui, elle sait m ettre le fruit en réserve p o ur les jou rs tristes de l’hiver. Malheur à elle, si elle s’associe à l’im p ré voyance de son prodigue compagnon. Ils feront ensemble une belle flambée de leurs affections et de leurs voluptés en renouvelant pour la m illièm e fois l’histoire de la cigale et de la fourm i. La fem m e est u n grand m aître en fait de sacri fices; q u ’elle use de sa science éprouvée p o ur con server l’am our, qui est l’air q u ’elle respire et le sang qui l’alim ente; que jam ais elle ne dise oui, sans avoir dit non au moins une fois. Si la chasteté génitale est la vertu la plus propre à conserver les am ours vulgaires, une certaine chasteté du sentim ent et de la pensée, une certaine réserve dans les m anières sont aussi indispen sables à laperpétuité des grandes am ours. L’h o m m e ne doit jam ais voir sa femme nue et la fem m e non plus ne doit jam ais se trouver devant son com pa gnon nu. Voiles el nuées, fleurs et feuillages doi vent toujours un peu cacher les sens, les senti m ents et l’intelligence. L’am our m ort, il l’est à tout jam ais com m e tout ce qui vit; m ais lui aussi il a des défaillances et des syncopes, et com m e le rotifère, il peut être ranim é p ar la pluie bienfaisante de l’aft'ection et de la tendresse. Il a p o ur lui aussi u n e m ort réelle et une m o rt apparente. Que de fois u n am our que l’on avait cru m ort ressuscite plus vivant que jam ais! On crie au m i racle, m ais sa vie était seulem ent latente. Les médecins com ptent beaucoup plus q u ’au trefois des cas de m ort apparente dans l’hystérie, la catalepsie et toutes les formes de névroses; il est tout naturel que beaucoup d’am ours vivantes aient été considérées com m e m ortes. Dans ce cas, il est vrai, l ’inhum ation précipitée est m oins dan gereuse, parce que l ’am ou r ouvre de lui-mème son tom beau et apparaît en disant : « Ne pleure pas, me voilà ! » Il est très rare que l’am ou r m eure de m ort vio lente et les cas auxquels l ’on donne ce nom , sont des blessures, des ru p tu res, des syncopes, rien de plus. La m ort ne survient que p ar épuisem ent, après de longues maladies. Même quand le devoir nous com m ande de ne pas aim er un infâm e, l’am our, condam né à m ort, pleure et se désespère et ne veut pas m ourir. Renfermé dans u n cachot, sans lum ière, sans ali ments, il résiste à la faim, aux ténèbres, au froid et ne m e u rt pas. Lorsqu’on aura cessé une bonne fois d’appeler am o u r le désir de la chair et l’orgueil de la pos session, on verra que le sentim ent est chose infi nim ent plus belle, plus grande et plus noble q u ’on ne croit ordinairem ent ; bien des miracles se ront enfin reconnus pour des phénomènes très sim ples et beaucoup de mystères nous seront éclaircis. Faire jaillir l’am o u r d’une froide indifférence, le réveiller lorsqu’il dort, sem er les voluptés dans notre vie est l’orgueil de la créature hum aine ; m ais conserver l’am ou r conquis, le garder pur et lum ineux, lui faire traverser im puném ent les tempêtes de la vie, les brouillards et les gelées de l’hiver, le guider sain et robuste, d elà jeunesse au bord de la tom be, pour q u ’il m eure, comme la victime mexicaine, entourée d’adm iration et couverte de fleurs d ’une éternelle fraîcheur, est la plus souveraine am bition à laquelle nous pu is sions aspirer. On dit com m uném ent que pour l’am our la m ort la plus naturelle est sa transform ation en amitié ; mais j ’ai déjà dit ce que je pense de l’am itié entre les deux sexes. Peut-être dans quelques cas très rares, aucun des deux am is ne se souvient que l’autre est d’un autre sexe ; m ais com m ent oublier le passé, com m ent effacer d ’un trait les ardents souvenirs des longues années d ’am ou r? Si à l’am our évanoui peut se substituer une douce habitude de se voir ; si u n hom m e et une fem m e peuvent ne plus pen ser q u ’ils sont hom m e et fem me, quel nom m éri tera celte nouvelle et singulière affection? Peutêtre celui d ’habitude au tom atiq u e; je renverrai alors ce phénom ène psychique au physiologiste, afin q u ’il l’étudie avec les actes inconscients et réflexes. CHAPITRE IX LES ABIMES ET LES SOMMETS DE L ’AMOUR La fleur qui s’ouvre et sourit su r le bord d ’u n abîm e, m e rappelle l ’am ou r, vivant lui aussi entre deux infinis. Tandis q u ’il lance vers le ciel ses aspirations, tandis q u ’il semble y chercher l’espace et la lum ière, il jette scs racines dans les plus profonds abîm es; c’est la plus hum aine des passions et en m êm e temps la plus divine, elle est la plus intim e et la plus éthérée, elle est la pensée qui guide le poète, lorsqu’il escalade le ciel, elle accom pagne l’hom m e lorsqu’il se plonge dans les voluptés. On ne p ourra jam ais dire ju s q u ’où pénètre l’am ou r quand il bouleverse la n atu re h u m aine, jusque dans ses profondeurs où la vase se mêle aux perles et aux coraux. Ce plongeur hardi ram ène à la lum ière des choses ignorées et étranges, et révèle au regard étonné de l'obser vateur les faits les plus nouveaux et les plus inouïs. Combien de natures simples de jeunes filles, com bien d ’esprits vulgaires se troublent, s’agi tent, se renouvellent au contact du Dieu nouveau qui sem ble évoquer toutes les passions silen cieuses, toutes les idées endorm ies! Le bouillonnem ent des élém ents psychiques au contact de l ’am ou r, annonce presque toujours l’apparition d’une seconde n atu re m orale, et en renouvelant la vie, nïarque une cre nouvelle. Tandis que le vulgaire, p ar le poil du visage et la profondeur de la voix, juge q u ’un jeu n e garçon est devenu h om m e, p o ur lui c’est le bouleverse m ent de son être qui lui dit q u ’il doit aim er, que déjà il aim e ; p en d an t que les m ères voient avec une tendre émotion que la poitrine de leurs filles prend des formes arrondies, c’est égalem ent u n trouble profond qui avertit la jeu n e fille q u ’elle va aim er. Dans la saison des am ours, beaucoup d ’anim aux changent de couleur et de form e; ils se p aren t de nouvelles plum es et acquièrent des arm es nou velles; avec le vêlem ent nuptial ils p rennent des habitudes différentes et des aptitudes singulières; de m uets, ils deviennent rem arquables ch an teu rs; de stupides, habiles constructeurs; les granivores se changent en cai’nivores ; habilants de la terre, ils ont des ailes et sillonnent les airs; LES ABIMES ET LES SOMMETS DE L'AMOUR. 129 la chenille se fait papillon. De m êm e pour l’hom m e, sans que ce changem ent touche à peine le p id e rm e de sa peau, il s’infiltre dans tous les replis de sa nature psychique. La phase de la puberté m érite une m onographie ; q u ’il suffise de dire q u ’alors toute force se double, toute énergie s’affine po ur le service de l’am our. La puberté nous met en état de guerre, l’am our nous appelle au combat. Toutes les forces de l’hom m e ne sont pas bonnes, toutes les aptitudes de son intelligence ne sont pas utiles au bien ; l’am our appelle à l’ac tion m êm e les élém ents mauvais, qui ne s’étaient pas m ontrés auparavant. Pour la prem ière fois apparaissent des profondeurs m o rales.... les vices. Dans les organism es pervertis et prédestinés aux châtim ents, en m êm e tem ps que le p rem ier am our apparaît souvent le p rem ier crim e. Chaque élém ent h u m ain répond au grand évocateur du m al et du bien : les colères nouvelles dans les caractères doux et tranquilles, les prem ières larm es sur des visages autrefois toujours sou riants, le p rem ier jet de poésie dans les cerveaux de prose, [les prem iers accès d ’hystérie dans un corps qui paraissait dépourvu de nerfs, les pre m ières am bitions dans u n jeu ne hom m e timide, les prem ières m éditations devant u n m iroir, les prem ières impatiences, les prem ières luttes contre u n ennem i invisible, les prem iers mensonges, les prem iers éclairs du génie, les p rem iers héroïsm es, sont tous des fantômes nouveaux appelés p a r le magicien des m agiciens, p ar le plus habile évocateur d ’esprits qui soit apparu dans l ’heureux tem ps d e là magie et des exorcismes. L’une des plus douloureuses et des plus bizarres voluptés de l’am ou r est de sentir que tout fuit de nous-m êm e, et que nous ne nous appartenons plus. On croirait assister à une satanique fantas magorie dans laquelle nous verrions nos m e m bres, nos viscères, nos sens, nos affections et nos pensées, s’échapper p o ur co u rir follement vers un centre nouveau, qui avec nos dépouilles consti tuera un nouvel organism e. Ju sq u ’au tem ps qui ne semble plus nous appartenir, car nous ne le m esurons plus à la pendule, m ais d ’après l ’im p a tience de nos désirs ; ju s q u ’à la pensée qui n ’est plus nôtre, car elle est tyranniquem ent gouvernée p ar une seule image. Une vague inquiétude s’em pare du corps, des sens et des pensées; et il est impossible de dissim uler le trouble qui les pé nètre. Tout dans l’hom m e qui aime, chante et crie : « J ’aim e; qui m ’aim era? » Nuit et jo u r, dans le calme et dans la tempête, tout chez u n am oureux chante la m êm e note ju s q u ’à ce q u ’une note pareille lui réponde. Pas un m om ent de paix, pas u n instant de trêve, tant que cette nouvelle puissance n ’aura trouvé une puis sance qui l’apaise. Un hom m e et une fem me qui LES ABOIES ET LES SOMMETS DE L’AMOUR. 151 s’aim ent sont com m e la m er et la terre qui se font éternellem ent la guerre, douce ou violente, cares sante ou cruelle, voluptueuse ou impitoyable. Regardez cette jeu ne fille assise à la fenêtre, penchée s u r l’étoffe q u ’elle coud; com m e elle est attentive à son ouvrage! Il semble q u ’entre un point et l’autre elle réfléchit à la q uadrature du cercle tant elle est absorbée. Mais si je pouvais écrire le volum e des pensées qui traversent son cerveau pendant ce tem ps ! Elle fouille dans les profondeurs des mystères d’am our. Et là, tout près d’elle, sans q u ’elle s’en aper çoive, u n jeu ne hom m e est aussi à sa fenêtre, les m ains enfoncées dans les poches; la poitrine gonflée comme pour une menace, il regarde le ciel, im m obile depuis une heure. Est-ce qu’il m édite s u r le redoutable problèm e du prolétariat ou de la liberté h u m ain e? Songe-t-il à la gloire, à la richesse? Non, lui aussi, il sonde les abîm es de l’am our. La fem m e beaucoup plus que nous approfondit ou s’élève dans les régions de l’am ou r ; la société lui refusant presque toujours le cham p de l’action, il lui reste beaucoup de temps pour réfléchir su r les m ouvem ents secrets de son cœ u r .Que de fois une innocente enfant, qui peut-être ne sait pas écrire, baise et rebaisc, pendant de longues heures un baiser qui ne dura q u ’une seconde, ou bien pense avec am ertum e à un froid salut, à une parole désobligeante. Et cela n ’est rien en com paraison des extravagantes interprétations et des analyses quintessenciées avec lesquelles la femme distille u n regard, une parole, un geste. Un billionièm e de m illigram m e de rancune dilué dans u n océan de volupté est encore sensi ble à son procédé d’analyse; p o ur elle un atome d ’indifférence dans u n Ilot d’ardeurs est révélé aussitôt par les appareils thermo-électriques q u ’elle emploie dans son laboratoire. Elle est la prêtresse de l’idéal, de l’infini, de l’incom m ensurable, et elle sera religieuse bien des siècles après que l’h om m e aura enterré son dernier dieu. Môme en am ou r le fini ne lui suffit pas. L’am ou r élève l’hom m e a u -d e s s u s de la moyenne, et comm e les forces accrues le rendent capable de plus grandes entreprises, les horizons s’élargissent toujours plus parce q u ’il voit les hom m es et les choses de bien plus haut. Chacun de nous a une capacité particulière p o ur s’élever dans les régions idéales ; mais hom m es vulgaires ou de génie, prosaïques ou poètes, ils s’élèvent toujours p ar l’œuvre de l’am our dans u n monde qui est plus beau, plus grand que celui dans lequel nous traînons notre vie. Combien de natures grossières et abjectes fu ren t transform ées par l’am ou r ! que d’intelligences inertes ont été menées su r le che m in de la gloire, par une m ain aimée! Pourtant on répète tous les jou rs que la science et la gloire LES ABIMES ET LES SOMMETS DE L’AMOUR. 133 doivent se garder de l’am ou r, comm e d’un dange reux ennem i, et l’on cite de grands hom m es qui n ’aim èrent que leur art et qui ne du ren t leur gran d eu r q u ’à la chasteté. Curieuse confusion des idées, où l’on confond l’hygiène avec la m orale, la chasleté avec l’im puis sance d’aim er ! Un génie chaste et am oureux p la n e ra su r les h auteurs com m e u n eu n u qu e du cœ u r, po urra être grand sans aim er ; m ais un hom m e sain de sens et de sentim ent sera toujours élevé par l’am our, pourvu q u ’il ne le donne pas à une créature indigne ou q u ’il ne l’échange pas contre la volupté. Pour un génie tué p ar l’am our, vous en avez cent qui lui doivent leurs plus grandes inspirations, qui trouvent de par lui, la force de vivre, qui le bénissent comme supérieur à la gloire et qui trouvent en lui la fraîche rosée qui tem père les ardeurs brûlantes de l’enthousiasm e et de la passion. Si l’am o u r n ’opère pas s u r tous les m iracles q u ’il devrait faire, s’il n ’est pas toujours une vertu qui élève et affine, c’est que nous avons abaissé la fem m e au niveau de nos sens, c ’est que nous éprouvons po ur elle plus de désirs que d’estime et d ’am our. La fem m e pourtant, com m e tous les êtres opprim és, a une bien plus grande soif d’idéal; sa n atu re, d ’une exquise sensibilité ouverte, aux élans d’enthousiasm e, accessible à la poésie, la porte à s’élever toujours, et elle nous aiderait à m onter aussi si nous n ’en avions pas fait une concubine ou une ménagère. D a n su n b eau tableau d ’Ary Scheffer, le Dante est en bas et Béatrice en haut ; il la regarde, la contemple, et s’inspire ; Béatrice fixe ses yeux au ciel et semble lui dire : « En haut, en h au t, c’est là que nous devons aller ensem ble !.. » Rien n ’est plus contagieux que l’en thousiasm e, rien n ’est plus irrésistible que l’en thousiasm e de la fem me. Sans raisons pour croire, sans force pour espérer, soutenue seulem ent p ar l’am our, elle est toujours pleine de foi p o ur les choses grandes et belles, et, quelquefois avec une im prudence sublim e elle jette son cri : « En avant, en avant ! » et nous entraîne su r les sommets les plus difficiles. Lorsque le Christ fit de la foi la pierre angulaire de sa doctrine, quand il dit q u ’avec la foi on sou lève les m ontagnes, il s’inspira peut-être de la confiance q u ’éprouve la fem m e et qui la rend forte dans sa faiblesse. M alheur à nous si avant de nous attaquer à une entreprise, nous nous lais sions aller à ten ir trop compte de toutes les pro babilités favorables et défavorables! Malheur à nous si nous n ’entreprenions que les choses certaines ! Plus des trois quarts des grandes choses n ’auraient jam ais été faites. Il y a toujours u n élém ent qui échappe aux calculs ; il est dans les m ains capri cieuses du hasard ; c’est cette lacune qui veut être rem plie p ar la foi, p ar cette foi, que la fem m e sent si profondém ent et q u ’elle sait nous inculquer. L’am ou r est une seconde vue, et la fem m e voit les choses sous un aspect qui échappe presque toujours au regard synthétique de l’h o m m e; elle découvre beaucoup d ’élém ents cachés dans les choses, que notre précipitation ou notre orgueil nous em pêche de voir, et en nous p rêtan t son regard d ’am ou r, elle nous fait pénétrer plus avant dans la substance de chaque problèm e et su rto u t dans la connaissance de la nature h u m ain e. Dans les grandes et dans les petites choses, après avoir consulté la science et l’art, l’expérience et la fan taisie; après avoir lu dans le livre de l’histoire et dans le cœ ur hu m ain , consultez toujours aussi la fem me qui vous aim e ; q u ’il soit question d’un livre, ou d ’une loi, d’une œ uvre d’art ou de com merce, d ’industrie ou de poésie ; elle au ra sûre m ent quelque chose de nouveau à vous dire. Chez quelques hom m es intelligents, l’am bition m anque p o ur s’élever, et souvent on les voit m o u rir sans avoir fourni la m esure de leur force. C’est que seule la fem m e et l’am our auraient pu leu r donner l'énergie que n ’avait pu leu r donner l’aiguillon d e l’am our-propre. La femme, la femme sait donner la foi au sceptique, l’am bition au découragé, la force à tous. Modeste pour ellem êm e, elle est fière, am bitieuse p o ur celui q u ’elle aim e ; trônes, portefeuilles, couronnes civiques et guerrières, gloire des arts et des sciences, se doi- vent à l’am bition inspirée p ar une fem m e aimée. Dans les temps héroïques et chevaleresques, cela était proclam é publiquem ent et on en tirait vanité ; _ au jo u rd ’hui que les fem mes se vendent dans des m aisons librem ent ou en m ariage, il est de mode de ro u g ir de devoir la gloire à une femme, et l’es p rit chevaleresque n ’a été que trop subm ergé avec beaucoup d’autres choses m auvaises que nous ne voudrions certes pas voir revenir. Dans m on ouvrage s u r YA m our dans l'hum a nité, j'étudierai la transform ation de l'am o u r ch e valeresque en sigisbéisme chez nos aïeux et bisaïeux. L’am o u r nous fait m onter d’autant dans les régions de l’idéal, q u ’il jette plus de lest qui le retient à la terre. Ce lest est fait tout entier de débauche et d ’am our-propre, et c’est la femme qui nous aide à le jeter de notre nacelle. L’union intim e de la pensée et du sentim ent exprim ée p ar l’étreinte de deux m ains et p ar deux regards qui se confondent, est u n e des plus exqui ses voluptés ; et, sans p arler de l’am ou r platonique, il peut se faire que dans cet instant deux créa tures oublient q u ’elles sont fem m e et hom m e. C’est alors que ressort avec tout son éclat la na ture fém inine. C’est dans celte source de poésie que le génie peut puiser ses plus belles insp ira tions, que la fem me profile de ces fugitifs instants p o ur régénérer l’hom m e et le conduire vers ses LES ABIMES ET LES SOMMETS DE L’AMOUR. 157 hautes destinées. Elle est quatre fois m oins fail lible que l’h o m m e; elle a h o rreu r du crim e. Qu’elle désarm e donc son bras qui trop souvent frappe et tue. Que l’hom m e m échant, infâme, ne trouve jam ais une fem m e qui puisse l’aim er et q u ’il ne lui reste que la coupe de la plus grossière volupté. Ainsi que l’Église excom m uniait et m et tait autrefois au ban de la société, que les rebelles et les coupables envers la m orale soient m is au ban de l’am our. Et que les femmes à qui la n ature a donné le privilège de la beauté, réservent leurs trésors aux forts et aux im m ortels, que leurs sourires soient la couronne du génie triom phant et du cœ ur m a gnanim e. Que le génie et la beauté form ent l’union la plus sublim e des forces hum aines, un des plus beaux spectacles de la nature. CHAPITRE X LES S UB L IM E S PUÉRILITÉS DE L ’ A M O U R Tel que le papillon, à peine sorti des enveloppes de la chrysalide, qui porle encore s u r ses ailes enroulées quelque lam beau des tissus où il fut si longtem ps enferm é, l’am ou r est la plus jeune des passions hum aines, traîne encore avec lui les dépouilles de l’enfance dont il est à peine sorti. Dans ses caprices et dans ses folies, dans ses jeu x pleins de grâce et de force, dans ses idolâ tries aveugles, comme dans ses douleurs enfanti nes, il sem ble que l’on ait devant les yeux un génie enfant. M aintenant il surprend p ar ses violences et m aintenant sa faiblesse fait pitié, tantôt dom ina teur, tantôt tim ide, parfois c’est u n héros, p ar fois lâche ; au jo u rd ’hui il m enace le ciel de son poing, dem ain il l’im plorera de ses larm es. L’am ou r est puéril, parce q u ’il est enfant; il est puéril, LES SUBLIMES PUÉRILITÉS DE L’AMOUR. 150 parce q u ’il est poète ; il est puéril aussi, parce que déchaînant toutes les formes esthétiques et toutes les im pulsions m orales de la pensée, il est plus souvent lyrique q u ’épique, il écrit plus de dithyram bes que d’histoires, plus de poèmes que de traités de philosophie. L’am ou r est puéril en core, parce q u ’il est religieux ju s q u ’à la super stition, et il souffre de toutes les lubies qui peu vent traverser la cervelle d ’une pauvre ignorante. L’am our, m êm e dans les contrées du Nord, aime la mise en scène de l’idolâtrie la plus méridionale, il proteste contre les iconoclastes, il proteste contre le culte sévère des protestants ; et, plus épris q u ’un catholique rom ain des oripeaux, des encens et des images, il veut des autels, des baldaquins et des tabernacles. Aucune religion n ’est une idolâtrie plus insensée que l'am our, aucun olympe n ’eut plus de divinités, plus d’autels et plus de prêtres. Il accepte toute croyance, tout culte; depuis le fétichisme du sauvage ju sq u ’au Dieu invisible et tout-puissant du chrétien ; il adm et l’exorcisme et l’indulgence plénière, la bénédiction et l’anathèm e, l’am ulette et les prières, le goupillon du prêtre qui bénit et le fer rouge de l’inquisiteur ; il admet le paradis, l’enfer, le purgatoire. Plein de foi et d ’épouvante, l'am o u r eû t à lui seul inventé l’idolâtrie si elle n ’eût pas eu bien d’autres racines pour sortir du cerveau hum ain. L’am ou r consacre tout ce qui a été touché par l’objet aimé, tout ce qui a pu réfléchir la chère image. Tout devient alors objet de culte, tout se transform e en u n m iro ir m agique dans lequel nous contemplons notre dieu. Qui ne se souvient de l’adoration pour une fleur qu’elle avait cueillie, pour un bouquet q u 'elle avait respiré, et de toutes les folles reliques de l’am ou r ? Dans le reliquaire de l’am our, il y a place pour les choses les plus gracieuses com m e les plus gro tesques, les plus jolies com m e les plus affreuses. J ’avais u n ami qui pleurait de joie et d ’attendris sem ent d u ra n t des heures en contem plant et en baisant u n fil de soie q u ’elle avait tenu dans ses m ains et qui était po ur lui son unique relique d’am our. Un autre garda de longues années su r son bureau le crâne de celle q u ’il avait aimée, dont il faisait sa plus chère société. Il y en a qui ont dorm i pendant des mois et des années avec u n livre, une robe, u n châle. Qui peut dire toutes les sublim es puérilités, toutes les ardentes ten • dresses, toutes les extravagances de l’idolâtrie am oureuse? Chez l’hom m e, les sensations accum ulent une si grande quantité d ’énergies profondes et cachées, q u ’elles peuvent sur u n signe dresser u n édifice plus grand et plus beau que dans la réalité. — Aucune fem m e aimée ne fut aussi belle en réalité q u ’elle apparaît à son am ant dans ses désirs ou dans ses songes. Si une fem m e belle pouvait connaître tous les baisers, toutes les caresses, tous les hym nes qui m ontent de ses adm irateurs, certes elle serait fière de faire surgir toutes ces forces. La p u d e u r com m ande à la femme beaucoup de retenue et lui impose souvent une tyrannique ré serve. Elle doit cacher à nos regards ses adora tions intim es, les élans de son cœ u r et les étrangesfo rm esd e ses sentim ents.N ous, toujours moins am oureux q u ’elles, nous laissons une issue plus libre à nos ard eu rs, et si une fem m e belle et recherchée voulait décrire les scènes auxquelles elle a assisté dans sa jeunesse, elle p o u rrait nous fournir une galerie de caricatures devant les quelles toute autre deviendrait insipide. On y trouverait côte à côte le grotesque et le sublim e, la folie et la passion; menaces de m ort, jeûnes impossibles, abdication de la dignité, perte du sens com m un, orgies d ’im agination, ouragans des sens, hum iliations de moines, bravades de Rodomont, tout s’y trouverait. Que de m isères, que de pantalonnades, que de bassesses doit voir la fem me ! Par bonheur p o ur nous, elle est bonne et pudi que, et pour notre ho nn eu r avec u n pan de son m anteau de reine elle cache nos puérilités aux yeux des profanes, et souvent m êm e à nos propres yeux. S’éveiller le m atin et vouloir que le p rem ier regard et la prem ière pensée soient p o ur l’objet aimé, se coucher le soir et vouloir tous les jours que la dernière pensée se dirige vers elle ; vou loir q u ’aucune heure de la journée ne passe sans que nous ayons pensé à elle, voilà u n e des mille exigeances de l ’am our. S’habiller avec sa couleur préférée, en orner nos m aisons, nos voitures, nos livres ; p arfum er ses appartem ents et son linge avec l’odeur q u ’elle p o rte; m anger, se reposer, se prom ener aux m êm es heures q u ’elle, voilà une des nom breuses puérilités sublim es de l’am our. Ne pas vouloir lire un livre q u ’elle n ’ait pas lu la prem ière, et vouloir toujours lire ensemble la m êm e page; Ne reg ard er en face aucun hom m e ou aucune fem m e qui ne soit pas lui, qui ne soit pas elle ; Ne cultiver dans notre jard in que les arbres et les fleurs qu’elle préfère ; Se défaire en u n jo u r d ’une habitude contractée depuis dix ans, rien que parce q u ’elle a froncé son joli nez à l’odeur d ’u n cigare ; Prononcer une parole avec l’accent q u ’elle seule em ploie ; Congédier un fidèle dom estique qui lui déplaît, vendre une maison dans laquelle elle est tombée en descendant l’escalier ; Aller à l’église sans croire en Dieu, blasphé m e r le su rn atu rel parce q u ’elle est rationnaliste ; Crever un cheval pour rapporter à sa g ran d ’mère un chapelet oublié dans une maison de campagne à 20 kilom ètres de la ville; em brasser un cheval q u ’elle a caressé ; Traverser tout l’Océan pour la voir u n mois plus tôt; Rougir et p âlir parce que dans la vitrine d ’un libraire il y a u n livre qui porte son nom ; Apprendre une science, une langue, u n art, p o ur lui faire une surprise qui lui d u rera tout au plus une dem i-heure; h aïr ses propres père et m ère parce q u ’ils l’ont insultée ; Se faire soldat parce q u ’elle aim e l’uniform e ; Devenir un héros, dans l’espérance de toucher son cœ u r ; Dans la d ouleur feindre la volupté, donner cent baisers à u n cheveu, faire cent caresses à u n canari touché p ar elle, rem arq u er u n carreau où elle a posé longtem ps le pied, pour l’adorer et le baiser plus tard ; Devenir jaloux de Dieu, défier l’enfer, décapiter toutes les statues p o ur m ettre à toutes la m êm e tête ; F eindre la m aladie pour avoir elle pour infir m ière, lui p o u r médecin ; Feindre la santé, su r le point de m o u rir, pour ne pas la faire souffrir, feindre la richesse, fein dre la pauvreté; Faire croire à son talent, ou cacher son talent; Ce sont là des choses puériles ou grotesques ou sublim es — peut-être sont-elles tout cela, en m êm e temps, — que l’am o u r fait tous les jou rs, m ais qui ne sont rien encore à côté des innom brables excentricités dont est capable ce Levialan des sentim ents hum ain s. CHAPITRE XI LES FRONTIÈRES DE AVEC L ’AMOUR. — SES RAPPORTS LES SENS On n ’étudie pas un pays sans en tracer exacte m ent les frontières, sans les p arcourir dans leurs lignes sinueuses, sans m arq u er le point où son individualité tinit, où il ressent l'influence de la terre voisine. Vous avez pu fouler chaque motte de terre, p arcourir chaque sentier, sentir l’odeur de chaque prairie et boire l’eau de toutes ses sources et de tous ses fleuves; si vous n ’avez pas dessiné les confins d ’un pays, vous ignorez plus de la m oilié de son histoire. Toute chose vaut p ar celle qui l’avoisine. De m êm e pour l’am our. Ses lim ites sont irré gulières, variables, capricieuses. C’est un sol qui pousse des pointes entre tous les pays qui l’en tourent. Les sens, les sentim ents, les idées ont avec lui des contacts intim es et multiples. 116 i'IlYSlOLOüIE DE L’AMOUR. Chaque sens, chaque passion, chaque faculté de l’esprit est instru m ent d’a m o u r; lui, à son tour, est modifié de mille m anières p a rle s sens, p ar la passion et par la pensée. C’est u n entrela cem ent continuel de causes et d’effets; et cette im m ense puissance envoie sa lum ière pénétrante ju s q u ’aux extrêmes lim ites du m onde connu. L’am ou r, qui pour dernière raison d’existence exige le contact de deux natures différentes, doit avoir des rapports innom brables avec le sens du tact. On pourrait m êm e dire, sans sortir de la stricte vérité scientifique, que l’am o u r physique est une form e sublim e du tact et du contact. Dans les form es anim ales inférieures, ainsi que dans les types hum ains grossiers, l’am ou r n ’est en som m e que tact et contact. En rem ontant l’échelle des êtres, on voit que les autres sens viennent y prendre p art, excepté le goût, qui n ’y participe que dans quelques cas très rares que l’on peut classer dans la psychologie pathologique. Des quatre sens, c’est le tact qui est le plus im portant et l’ouïe le m oindre ; la vue et l’olfaction restent entre le tact et l’ouïe. Mais la différence réside moins dans la q u an tité inégale des éléments que dans la nature des joies et des douleurs par laquelle les sens parti cipent à la plus grande des passions hum aines. Le tact donne la conquête et le spasme, la vue révèle et charm e, l’ouïe nous ém eut et nous reconquiert, l’odorat nous flatte et nous enivre. On peut faci lem ent se faire une idée comparative des paris diverses que pren n en t les quatre sens dans l’am our, en com parant ces quatre actes : « Voir la fem m e aimce et la contem pler longuem ent, — l’em brasser fortem ent, — entendre sa voix de loin sans la voir, — aspirer voluptueusem ent le parfum q u ’elle m et dans ses vêtements et son linge. » La vue est le p rem ier m essager d’am our, et, p our les natures supérieures, elle est assez riche en joie p o ur vaincre en étendue, sinon en inten sité m êm e, la volupté. La vue donne la possession complète moins le délire de la possession, et rapide et pénétrante com m e elle est, m esure en un éclair les abîm es de la beauté infinie su r lesquels, com m e en une auréole de lum ière, est suspendue la créature aimée. L’ouïe, dans l’histoire de l’am our, a une petite part, mais très douce, sans p arler de celle grande p art q u ’elle a com m e instrum ent de la pensée. Nous ne parlons ni de la m usique, ni de la valeur des idées com m uniquées p ar la parole, m ais p ure m ent de l’influence sexuelle de l’oreille dans les phénom ènes de l’am our. L’ouïe a certaines complaisances presque tactiles et toujours frès voluptueuses, m ais, sauf ces exceplions, elle a toujours en am our un rôle tendre, affectueux. L’hom m e et la fem me ont une voix qui leu r est particulière, et le caractère sexuel de la voix fém inine attendrit l ’hom m e comm e le tim bre viril de noire voix fait battre le cœ ur de la femme. Il y a certaines voix de fem m e q u ’on ne peut entendre sans émotion, tant leur tim bre est suave. Elles ressem blent à la caresse de l’aile d’un cygne. L’hom m e et la fem m e, en se renvoyant le son de leur voix, se révèlent pudiquem ent leur sexe. Le son de la voix, en dehors de l’idée q u ’il exprim e, ne peut dire : « Je suis belle, je suis intelligente », m ais elle dira p ar elle-mêm e : « Je suis fem me. Je suis très femme, je désire, j ’aime à en m o u rir, je suis seule, je te veux, je t’attends ardem m ent, etc. » La séduction de la voix possède quelques-uns des caractères attribués à l’ancienne magie : elle nous surprend et nous fascine sans que nous puissions trouver la raison d’un si grand trouble causé par quelques accents, p a r quelques paroles. Nous nous sentons presque hum iliés d ’être vaincus sans com bat et subjugués sans notre consente m ent. Plus d ’une fois nous avons résisté aux séductions de la vue, aux violences du tact, m ais la voix nous subjugue et nous jette pieds et poings liés dans les bras d ’une puissance m ysté rieuse qui exige de nous la plus aveugle obéissance, et contre laquelle la rébellion est inutile. Cette influence de la voix dure toujours, elle ne s’oublie LES FRONTIÈRES DE L’AMuLIl. 149 jam ais, elle survit souvent m êm e à l’am our. Après de longues années de silence, d’indifférence, de m épris, le vent nous apporte une voix, u n son, et com m e au prem ier jo u r de notre am our, nous nous sentons troublés, surpris, reconquis. L’ouïe jette l’hameçon dans les eaux les plus profondes de nos affections, et plus d’un am ou r est sorti p ar m iracle de ses cendres grâce à une voix chérie que nous croyions depuis longtemps oubliée. L’am ou r a beaucoup de rapports m ystérieux avec le sens de l’odorat. Dans le monde anim al, les parfum s sont souvent l’excitant le plus direct et le plus puissant de la lutte am oureuse, et avant m êm e que la femelle ait vu celui q u ’elle recherche, les ailes du vent ont porté à ses narines l’odeur qui l’enivre de volupté. La nature a placé le m usc, la civette, le castoréum et beaucoup d’autres substances odorantes, de façon à m o n trer avec évidence à quelles fins elle les destine. Et les ileurs, qui nous ravissent p ar leur éclat si v a rié , ne nous disent-elles pas combien sont intim es les rapports qui lient l’odorat à l’am our, et les molé cules odorantes aux mystères de la reproduc tio n 1? L’hom m e et la fem me ont diverses sécrétions et, en certaines parties du corps, certaines ém anations odorantes, qui peuvent être de puissants excitants 1. Voir Darwin, The ilcsccnl u f m aii, vol. Il, p. 270. chez les races inférieures et chez les hom m es vulgaires dans les races supérieures. Mais, m êm e chez les natures très élevées, le sens de l'odorat exerce une grande influence su r l’am ou r p ar l’interm édiaire des parfum s que nous avons su conquérir su r la nature vivante, et que nous savons reproduire m aintenant par la puissance de la chimie. Etudiez la physionomie d’une femme qui respire une fleur d’une odeur pénétrante et qui s’en grise, vous verrez combien ce tableau ressemble à une des scènes suprêm es de l’am our. Interrogez un grand nom bre d’hom m es profondém ent sen suels, et ils vous diront q u ’ils ne peuvent visiter im puném ent les fabriques d’essences et de p ar fum s. Interrogez l’art de la parfum erie, vous verrez q u ’après avoir mélangé cent essences de fleurs et de feuilles, 011 relève le parfum obtenu en ajo u tant une quantité infinim ent petite d ’une m atière fétide p ar elle-même, mais em pruntée aux organes d ’am ou r de quelque anim al. Demandez aux femmes pourquoi elles aim ent tant les p arfu m s; peu sau ro n t vous le dire, ou ne répondront que par la rougeur qui m ontera à leu r visage. Si elles sont versées dans les mystères des sens, si elles possè dent l’art raffiné de la coquetterie, elles vous diront que les odeurs sont dés arm es puissantes dans l’arsenal de l’am ou r et que certains parfum s ont une action irrésistible su r les s e n s d e l’h o m m e1. II est fort difficile de rester longtemps dans la chaude atm osphère de la volupté sans y laisser une grande partie des nobles forces destinées à de plus hautes conquêtes; voilà pourquoi le culte trop passionné des parfum s peut avoir sur nous une influence m orale. Trop d’odeurs dim inue la vigueur de la chasteté, et Pénervem ent fait tou jo u rs im aginer de nouvelles jouissances. De cet abus au m épris de tout parfum il y a loin, et en les réservant aux femmes galantes, ou à la fem m e sauvage qui se frotte de graisse de la tête aux pieds, nous jetons sans raison p ar la fenêtre bien de douces voluptés qu’il est perm is de goûter sans offenser la m orale. Croyez-vous q u ’un baiser donné à travers les pé tales d ’une rose à celle que vous aimez et qui est à vous, soit un péché de luxure? Crovez-vous que l’am our cueilli dans un nuage devioleltes, de hya cinthes et de narcisses, puisse être lascif? La nature est éternellem ent riche, et les guirlandes dont nous entourons nos joies ne dépouilleront point sesjard in s inépuisables. I . Une (laine très im pressionnable aux odeurs disait J'éprouve lant do p la isir à sen tir un e fleu r q u ’ il m e sem ble que je com m ets un p éch é. » CHAPITRE XII L E S F R O N T I È R E S DE L’A M O U R . — SES RAPPORTS AVEC L E S A U T R E S S E N T I M E N T S . — LA J A L O U S I E Dans le cabinet d ’Apollon au Vatican, on voit un bas-relief antique rep résentant deux bacchantes portant le thyrse dionysiaque. L’une est debout, toute frém issante d ’une ardente volupté ; la luxure éclate su r son visage ; elle b ran d it le thyrse, tandis q u ’u n tau reau lui caresse la jam b e de sa corne. L’au tre s’affaisse, écrasée p ar l’ivresse. Elles nous représentent les deux phases principales du sen tim ent qui lie l’hom m e à la fem me. Tout à l’heure une ardente énergie, m ain ten an t une calm e pos session; hier, la lutte qui conquiert, au jou rd ’hui, une caresse affectueuse qui entretient la conquête. L’am o u r le plus sublim e, le plus constant, le. plus parfait que l’hom m e d’une race supérieure puisse désirer ou rêver est une flamm e brûlante, lum i neuse, longue comm e la vie, dans laquelle de temps en tem ps l’étincelle d’un désir s’allum e, pétille, puis s’éteint. Comparé aux autres sentim ents, l’am ou r est tel que, m is en contact avec eux, il les domine, les attire, les entraîne dans son orbite, comm e ces petits fragm ents de m atière cosmique qui, trop voisins du soleil, sont aspirés p ar lui, puis absorbés. Les sentim ents sont des forces q u ’au cune loi n ’est capable de modifier dans leur propre sphère. Mais réunis ils s’ajoutent ou se retran ch en t et plus souvent encore exercent les uns su r les autres une m utuelle influence qui les fait dévier de leur direction. Quand u n sentim ent avoisine l’am our, il en subit la puissante influence au point de disparaître pour l’œil du vulgaire ; m ais la force et la m atière ne se détruisent jam ais: il a seulem ent changé de forme. A ce propos, on répète chaque jo u r une foule d’erreu rs; p ar exemple, que l’am ou r est le plus égoïste des sentim ents parce q u ’en lui nous re cherchons le m axim um de la volupté. Pourtant, l’am o u r et l’égoïsme décrivent des trajectoires bien différentes, puisque l’un nous porte à aim er une autre créature et que sa fin est la conserva tion de l’espèce, tandis que l’autre nous fait nous aim er nous-m êm e et q u ’il vise à la conservation de l’individu. Que si p ar égoïsme nous entendons la recherche de la satisfaction d ’un besoin, tous les sentim ents, m ôm e les plus généreux, pour- raien l être considérés com m e des form es de l’égoïsme. Le m artyre lui-m êm e n ’est-il pas une satisfaction donnée au plus élevé des sentim ents g én éreu x ? L’am ou r, au contraire, est en lutte perpétuelle contre l’égoïsme. Ce dernier est u n géant, soit; m ais il pâlit à la lu e u r fulgurante que répand au to u r de lui le titan des passions. Beaucoup d’anim aux se laissent tuer plutôt que d ’ahandonner leur compagne. Torturez u n cra paud, brûlez-le, arrachez-lui les pattes, crevezlui les yeux; tan t q u ’il lui restera u n m em b re intact, il ne cessera d ’enlacer sa femelle sous son étreinte. Et nous-m êm es, ne jetons-nous pas souvent en holocauste à l’am ou r la paix, la fortune, la gloire, la science ? Est-ce que la fem m e n ’apporte pas à l’am o u r la longue m aladie de la grossesse, le m artyre de la parturilion, les fatigues de l ’allai tem ent, les tribulations de la vie dom estique et de l’éducation? Pourtant, dans l’ivresse de l’a m our qui se souvient de l’am ertum e de l’absinthe, des orties qu'il sèm e? Qui pense aux douleurs q u ’il se prépare selon une inexorable loi? L’égoïste le plus complet lui-m êm e, s’il est un hom m e sain, désire la fem m e et l’aime. A p art un petit nom bre d ’êtres à qui sont accordées les joies suprêm es de la création p ar la pensée, l’am our représente le m axim um de l’énergie, d elà joie, le couronnem ent de tout l’édifice. Nous p o u r suivons la gloire et la richesse ; m ais au-dessus, s’enlève su r l’horizon la silhouette d’une fem me, d ’une fem m e aux pieds de laquelle nous dépose rons le trophée de la victoire. Je ne parle pas des femmes, parce que, pour elles, toute vanité satis faite, toute gloire espérée, toute fortune convoitée, toute fleur, tout fruit du jard in de la vie, elles les m ettront toujours aux pieds d’un hom m e. Une Eve se trouve sans cesse au fond d’une orgie com m e au bout de toute gloire. Aimer, être aimé, c’est de toutes les choses hum aines la meilleure. C’est pour cela que dans le m onde su rn atu rel les reli gions de tous les pays ont toujours prom is aux justes et aux croyants une éternité d’am ou r dans le harem de la volupté ou dans une extase mysticoam oureuse. Lisez les pages brillantes des m ysti ques, les aspirations au cœur de Jésus, et ditesmoi s’il n ’y a pas là une transsubstantiation de l’am our. Les dieux de tout Olympe ont une forme sexuelle; il y a des femmes pour les hom m es, et des hom m es po ur les fem mes. De l’enfance à la vieillesse, l’am ou r est pour tous la promesse la plus haute. Des pollutions autom atiques.de l’ado lescence aux luxures avares et raffinées de la vieil lesse, on traverse les hystéries fébriles de la je u nesse et les passions profondes de la virilité. Mais à tout âge l’am our est la joie la plus chère. Le glas de la vieillesse com m ence à sonner quand à l'apparition des prem iers cheveux blancs 011 trem ble de n ’être plus aim é et de ne pouvoir plus aim er, et chacun espère avec angoisse q u ’il ne sonnera jam ais po ur lui l’instant où, com m e le pontife rom ain, il devra prononcer la redoutable parole : « Non possum us ». Je ne nie pas que, chez quelques m onstres h u m ains, l’égoïsme ne soit assez puissant pour étouf fer l’a m o u r; m ais ce sont là des cas rarissim es s’ils se prolongent la vie entière, et rares quand ils en occupent une période plus ou moins longue. Sou vent un h om m e a grandi, vécu dans le plus sor dide égoïsm e; s u r le tard, dans sa vieillesse, il s’am ourache de quelque pauvre jeu ne fille et devient avec elle expansif, généreux, prodigue m ême. Alors il paye d ’un seul coup et de très ridicule façon tout ce que la nature avait en vain réclam é de lui pendant sa jeunesse et sa m aturité. Les grands égoïstes aim ent aussi, m ais ils aim ent égoïstem ent. Ils ignorent les joies les plus sublim es, les élans les plus puissants de l’am ou r; ils ignorent la sainte volupté d ’aim er une fem me plus que soi-même; m ais ils aim ent aussi. Ils aim ent à leur façon. Si vous voulez étudier la physionomie de l’am ou r égoïste, voyez quel est l’am our de l’hom m e com paré à celui de la fem m e, et il vous sera facile de pénétrer les mys tères de cette partie de la psychologie; et si vous voulez que le contraste soit plus éclatant encore afin que les différences sautent aux yeux, comparez celui d’un vieillard et celui d’une jeune fem m e; celui-là vous fournira u n type d’am our égoïste, celle-ci un exemple d ’am ou r généreux. Plus complexes sont les influences que les sen tim ents de la propriété et l ’am our-propre exer cent su r l’am o u r ; l’im portance attachée à la ja lousie suffit à le prouver. L’étude physiologique de la jalousie suffirait à dém ontrer, s’il en était encore besoin, l’étrange confusion du langage appliqué aux faits psychi ques ; autant vaudrait s’adresser à la langue des alchim istes pour expliquer la composition chi m ique des c o rp s , ou croire que nous avons encore quelque chose à dém êler avec le nihil album , la lana pliilosophica, ou m êm e avec le tetrasceliteIraoxicoquindodeca de nos bons ancêtres. Jalousie, à proprem ent parler, veut dire une d ouleur de l’am ou r, et précisém ent celle produite p ar la blessure que nous ressentons de l’infi délité d ’un être aimé. Cette douleur est naturelle à tous les hom m es, dans tous les tem ps et chez toutes les races; c’est, appliqué à l’am ou r, le sen tim ent du dom m age causé à notre propriété. L’en fant griffe et m ord quiconque touche ou gâte ses alim ents ou ses joujoux; nous souffrons de nous voir dérober nos livres ou nos fleurs ; quiconque touche à notre fem m e, la chose qui doit nous être la plus chère, nous devient u n objet de haine. Et, d éfait, cette jalousie n ’est q u ’une forme de la plus naturelle et de la plus légitime des haines. Il n ’est pas nécessaire de créer une énergie nouvelle, ou d ’inventer u n vocable nouveau. Nous pourrions blesser, tuer u n hom m e qui aurait blessé notre fils, notre père, notre ami, notre patrie, notre fem me ; ce sont là cinq at teintes portées à cinq sentim ents différents; mais c’est toujours u n e énergie qui se développe p ar le m êm e m écanism e. En nous le sentim ent pa ternel, le sentim ent filial, l’am itié, l’am ou r de la patrie, l’am ou r ont été blessés; et nous avons répondu p ar la haine. Mais dans tous ces cas dif férents, faut-il inventer un sentim ent nouveau? non, certes. On dit que l’am o u r paternel offensé a produit u n e douleur capable de nous conduire à la violence, à l’assassinat; que l’insulte faite à notre pays nous a portés à com m ettre une vio lence. Pourquoi donc, quand c’est l’am ou r qui souffre, inventer u n sentim ent nouveau ; la ja lousie? Tous les sentim ents quand ils sont satis faits nous portent à nous rapprocher de celui qui leur a donné satisfaction, à lui prodiguer des caresses, à lui faire du bien. Tout sentim ent blessé nous porte au contraire à reto u rn er l’of fense, à faire du mal à qui nous a causé de la douleur. Est-ce jalousie, la haine que témoigne un anim al contre qui l’a troublé dans ses am o u rs? Eh bien, pour beaucoup de sauvages, chez les quels l’am ou r se réd u it à l’accouplem ent, tous les phénom ènes de la jalousie se réduisent à cette seule forme. Là où les unions s’accomplissent sans m éthode, là où la fem m e est considérée comm e la propriété de tous, il n ’v a pas de ja lousie. Une Bolivienne m e disait avec cynisme : « La fem m e, c’est l’eau d ’un fleuve. Jetez-y une pierre. Une m in u te après, saurez-vous me dire où cette pierre a percé la surface? Vous êtes bien sots, vous autres hom m es, de faire des distinctions subtiles entre les choses parfaitem ent égales.... » Chez les peuples polygam es, l’hom m e seul peut être jaloux; chez les peuples polyandres, la fem me seule a le droit de se m ontrer jalouse. Certains peuples considèrent la fem m e com m e u n e propriété quelconque, de sorte q u ’on peut l’offrir à son hôte com m e u n cheval ou un chien. Ne la prend pas qui veut, m ais on peut la donner sans déshonneur ni jalousie. C’est seulem ent chez les races supérieures que l’am ou r, l’am our-propre et le sentim ent de la propriété font une triple cuirasse au tou r de notre fem me et nous la font défendre unguibtis et rostro. Or nous donnons à ce vigoureux ensemble de trois sentim ents diffé rents le nom de jalousie. Mais com m e si une confusion si grande ne suf fisait pas encore, nous avons nom m é jalousie un étal spécial et individuel de l’espiit qui nous ren d soupçonneux et tyranniques envers la p er sonne que nous aim ons et nous porte sans raison à l’offenser en lui refusant la plus légitime li berté. Et après avoir confondu ces trois choses si différentes, la douleur de l’am ou r offensé, la com binaison des trois sentim ents, am ou r, am ourpropre et propriété, enfin l’irritabilité patholo gique des gens soupçonneux, nous discutons lon guem ent et toujours en vain pour décider si tous les hom m es sont jaloux, si la jalousie mesurée avec sagesse est de l ’am ou r, et si l’on peut aim er sans êtrejalou x . Discussion vaine, puérile m êm e, et qui n ’au rait pas lieu si d ’abord on définissait le mot. Si p ar jalousie 011 entend la douleur de sentir, q u ’on n ’est pas aimé ou que l’on est trahi, tout cœ ur qui aim e doit être jaloux, de m êm e que quiconque aim e son pays, sa m ère, son e n fant, ne peut sans douleur voir offenser sa pa trie, sa m ère ou son enfant. Mais si vous'prenez pour d elà jalousie cette form e de suspicion tyran nique qui nous porte à tourm enter la personne que nous possédons, je dirai au contraire que l’on peut, et mieux que l’on doit très bien aim er sans éprouver jam ais cette jalousie, et q u ’on peut ne pas aim er et cependant l’éprouver. Un peu d ’analyse élém entaire, et nous nous entendrons. Sous le nom d ’un sentim ent unique, d ’une unique énergie affective, nous em bras sons les phénom ènes les plus disparates, savoir : 1° La douleur de l’am ou r blessé ; 2“ La douleur causée p ar une atteinte à la p ro priété ; 5° La douleur de l’am our-propre offensé ; 4° Une suspicion habituelle, constitutionnelle qui vise la personne aimée ou possédée. C om m uném ent dans ces phénom ènes psychi ques, on ne voit q u ’une chose, c’est q u ’ils se ra p portent tous à l’am ou r blessé ou tenu pour tel, et q u ’ils sont accom pagnés de douleur. Quel grossier em pirism e! N’est-ce pas vraim ent cette alchimie qui baptisait esprit tous les corps volatils et laine philosophique l’oxyde de zinc? La jalousie n ’étant pas u n phénomène psychique élém entaire, m ais u n mélange variable, prend des formes ethniques aussi nom breuses que va riées; j ’en ai retracé l’histoire dans l'Am our dans l'hum anité. Ici il suffit d ’indiquer q u ’elle devait naître nécessairem ent dans tous les pays où la polygamie empêche que l’hom m e ne puisse m o ra lem ent et physiquem ent satisfaire une fem me, et où le m ari a coutum e, parce q u ’il est riche et puissant, d ’acheter la fem me et de lui im poser son am our. La jalousie de nom bre de peuples orien taux est proverbiale; peut-être m êm e, les peuples monogames devinrent-ils jaloux au contact des peuples polygames, ce qui est le cas de la Sicile et d ’une partie de l’Espagne. Quoique, dans certains cas, la jalousie ne possède pas une origine histori que bien claire, elle em prunte u n caractère ethni que à la consti tution spéciale d’une race. De loule façon en Europe, les Italiens, les Espagnols et su rto u t les Portugais sont des peuples très jaloux; de m ê m e en A m érique, les Brésiliens sont les plus jaloux de tous. Le vulgaire ne se laissera certainem ent pas convaincre p ar m on analyse psychologique, et continuera à m esu rer la force de l’am our à la déraison des soupçons; une foule de belles et chères jeunes fem mes continueront, qui sait pen dant combien de siècles, à jeter à la face de leur am an t ce reproche insensé : « Tu rie m ’aimes pas, puisque tu n ’es pasjaloux de moi ; com m entpeuxlu m ’aim er sans ressentir p o ur moi la m oindre jalousie? » Ridicules plaintes, désirs m aladroits de personnes heureuses et qui peut-être, trouvant contre n atu re d ’être trop h eureuses, cherchent de vaines occasions de douleur et de larm es. Pouvons-nous aim er s u r terre quelqu'un plus que nos enfants? Non, certes. Pourtant nous ne somm es pas jaloux de qui les aim e, pourtant père et m ère rivalisent avec sublim ité à qui les aim era le m ieux. Aimez votre compagnon d ’am ou r de la m êm e m anière. Tremblez cependant de le perdre, m ais que cette p eu r ne se manifeste ni p ar une rage d’inquisiteur ni par des doigts crochus com m e ceux des avares. Vains conseils, paroles jetées au LES FLONTIÈIlES LE L'AMOUli. 105 vent! La jalousie est une maladie psychologique constitutionnelle, et quand on nait avec elle, on s’en peut difficilement guérir. Elle ne garde point longtemps u n caractère bénin. Elle empoisonne les plus chères joies de la vie; elle pénètre dans tous les porcs d e l à peau; toute goutte d ’eau est étendue de son fiel, elle en im prègne toutebouchée de pain ; elle transform e l’h om m e qui aim e en gendarm e, toujours en arm es, l’oreille tendue et l ’œil aux aguets. L’hom m e jaloux espionne sans cesse, et toujours doute, toujours souffre; il in terroge le passé, le présent, l’avenir; dans une caresse cherche le mensonge, dans u n baiser l’in différence, dans l’am ou r l’hypocrisie. Quelle vie d’enfer! Mieux vaudrait cent fois ne pas aim er q u ’aim er de cette m anière. La punition du petit nom bre de jaloux qui ont le cœ u r élevé sera de savoir q u ’ils ont presque tous plus d’am ourpropre que d ’am our, et que les plus nobles créa tures ont toujours aim é sons jalousie. Le jo u r où nous nous apercevons que nous ne som m es plus aim és, le jo u r où nous som m es trahis, l’am our m eurt sans laisser place à la jalousie. Du soupçon à la condam nation ou à l’absolution, entre am ants sin c è re s , la route ne peut être longue ; à franche dem ande réponse loyale; m eure le soup çon ou l’am our, m ais q u ’ils m eurent dans un ouragan ou dans une bataille ; q u ’ils ne traînent pas une vie misérable entre le tribunal et la p ri son ; m ieux vaut u n éclair qui foudroie, q u ’une fièvre qui consum e la vie, et qui tarit toutes les sources de la joie. Du reste, de m êm e que la jalousie a déjà for tem ent dim inué dans la société m onogame, elle ira toujours en décroissant dans l’avenir, quand le m ariage ne sera plus q u ’une sanctification de l’am ou r, quand le choix sera toujours réciproque, q u an d toute trace d ’hvpocrisie au ra disparu des rapports m oraux entre les deux sexes. Savoir aim er, savoir estim er notre compagnon est la plus sûre défense contre ce lléaude l ’am our q u ’on nom m e la jalousie. Q uejla fem m e cesse d’être prise dans ce dilem m e : esclavage ou liberté; que le m ari ou l’am an t cesse d’être le propriétaire d’une fem me, et du coup disparaîtront tous ces malades de jalousie. L’am our-propre, au contraire de la jalousie, a beaucoup de rapports avec l’am ou r dont il enri chit les trésors. Il n ’est aucun hom m e, aucune fem me au m onde qui, se sachant aim é d ’une très noble créature, ne se laisse aller à l’orgueil ; et si une délicate réserve nous em pêche d ’afficher notre fortune, du m oins pouvons-nous goûter le secret plaisir de savoir que le monde nous envie. 11 est presque toujours au-dessus des forces hum aines de renoncer à cette joie que nous pouvons goûter cependant sans h um ilier les autres ni leur inspirer l’om bre d’une rancune. La fem m e su rto u t sait LES FRONTIÈRES DE L’AMOUR. 105 avec u n art adm irable dire en se taisant tout u n m onde de choses, et, quand elle est fière d’un noble am our, sa tête s’entoure d ’une auréole de lum ière qui éblouit ses adorateurs et les indiffé rents. Avec la majesté d ’une reine et la réserve d ’une fem m e elle sait dire, sans m ouvoir les lè vres : « Enviez-moi, je suis aimée ». Saint et pudique orgueil, que je souhaite à toute fille d’Ève qui au ra m érité l’am our! Les am anls et les am antes, les beautés fa m euses peuvent être des objets de luxe comm e les chevaux et les palais; et il est naturel que l’hu m ain e vanité recherche ces avantages pour h u m ilier qui ne les possède pas. L’am ou r alors est u n prétexte pour la vanité ; et une foule de femmes incapables d ’aim er, conquièrent des hom m es po ur s’en faire u n trophée; de môme les hom m es, plus encore peut-être que les fem mes, peuvent entreprendre p ar pure vanité une guerre de conquête. Tous ces faits cependant appartien nent à l’histoire de l’orgueil et de la vanité, et j ’en ai déjà parlé dans m on étude su r les O rigines de l'am our. Dans cette étude nous avons vu par quelle voie l ’on est conduit à aim er, puis nous avons dû nous occuper de l’amitié, de la compassion et d ’une foule d’autres sentim ents com m e sources de l’am our. L’estime, la vénération, et autres sentiments analogues peuvent être les com pagnons de l’a m our, s’adresser à la créature qui les m érite le moins. L’am our est u n magicien qui em bellit et transform e tout ce q u ’il touche ; nous pouvons avoir une im m ense estim e et une vénération p ro fonde pour l’hom m e le plus abject, pour la fem me la plus vile et la plus scélérate; cela ne nous fait pas honn eu r, mais cela est vrai. Il n ’est pas un bandit qui m anque d’am ours souvent ar dentes et profondes; pas une belle courtisane qui chôm e d’am ants illustres. Qu’im porte que l’objet aim é soit dédaigné de tous, q u ’on lui crache à la face le m épris public, q u ’il soit attaché au carcan de la haine universelle ? Qu’im porte? Nous l’ai mons, cela suffit. Et pourquoi l’aim ons-nous? Parce q u ’il nous plaît. Devant l’ineffable brutalité de cette raison, que peut dire la science ou con seiller la m orale ? La'scicnce reconnaît le fait et l’explique : une créature m éprisable sous u n rapport quelconque doit plaire d ’extraordinaire façon pour inspirer l’a m o u r; et ce sentim ent doit être d’autant plus grand q u ’il lui faut vaincre le respect h um ain, les préjugés vulgaires et les habitudes les plus en racinées. On a dit avec raison q u ’aucune fem m e n ’est plus ardem m ent aimée q u ’une femme laide; on en peut dire au tan t, avec raison, d ’un hom m e b ru tal ou crim inel, d’une prostituée ou d ’une fem m e m éprisable po ur quelque raison que ce soit. L’hom m e au cœ ur élevé, accusé d ’aim er une fem me stupide ou indigne de lui, p o u rrait souvent, en rougissant de honte, la m ontrer nue à tous, com m e la Phrynée an tiq u e, en disant : « Que celui qui ne se sent pas capable d ’aim er une aussi belle créature m e lance la prem ière pierre. » Et les hom m es qui, pour des crim es ou p o ur leur infamie, furent m is au ban d j la société, ont encore dans le cœ ur u n petit coin intact q u ’ils réservent à la personne aimée, et leurs am ours, cachées et am ères, ont pour certaines natures toute la périlleuse séduction des forts parfum s et des poisons grisants. Aucun hom m e au monde ne fut tout entier scélérat; les quelques bontés de l’assassin, les rares élans généreux du voleur sont réservés à sa compagne d ’am our. Puissance de ce sentim ent qui transform e com m e l’antique alchimiste les m étaux vils en or pur, et dégage l'unique diam ant enseveli sous les couches d ’une épaisse alluvion. La science adm et donc les am ours sans estime, et, cachant son visage rouge de honte, reconnaît q u ’elles sont cependant trop fréquentes. La m orale cependant, quand la science se tait et s’hum ilie, secoue la tête et proteste. L’am our sans estim e est une faute, et une faute féconde en autres fautes. M alheur à nous, q u an d, bravant im p ru d em m en t le m épris public, nous osons nous vanter d’aim er une créutuie indigne, comm e si nous voulions, p ar notre outrecuidance, im poser silence à la p u deur indignée, com m e si nous vou lions faire de notre enthousiasm e u n piédestal à notre am our. Nous nous m enions à nous-m êm es, nous violons les lois saintes et inviolables du beau et de l’honnête dans la boue, nous ne souffrons le voisinage d’aucune créature élevée qui pourrait avoir sur notre esprit malade une noble et pure influence. On peut dem ander aux passions h u m aines une foule de tours de force; m ais en fin de compte ces sentim ents naturels sont, comm e les positions faciles, ce q u ’il y a de plus sain et de plus agréable. Nous pouvons bien élever pour quelques instants la créature la plus vile s u r le bouclier de notre orgueil, m ais les bras se lassent à la fin et nous roulons dans la fange avec notre idole d ’un jour. Notre m aîtresse ne doit pas être seulement la compagne de nos voluptés, m ais aussi la m ère de nos enfants; notre compagnon doit être le père et le chef de la famille, et nous ne devons pas faire ro u g ir nos fils, qui m audiront peut-être le nom de leur père ou la m ém oire de leur m ère. L’orgueil tom bé, quand nous nous trouvons seul à seul avec une créature que nous ne pouvons estim er, m al h eu r à nous ! S’il est vrai que l’am o u r soit la plus sainte chose de la vie, s’il est vrai q u ’il soit le désir le plus ardent et la joie suprêm e, il faudrait lui dresser u n tem ple et lui ciseler u n tabernacle dans lequel nous puissions l’adorer à l’égal d ’un dieu. L’am ou r né du crim e et de la bassesse est un nid tressé de ronces et de chardons, alors que nous devrions l’entrelacer des herbes les plus parfum ées et des fleurs les plus gracieuses.Hom mes et femmes, nous devrions porter à l’am ou r tout désir délicat, toute aspiration noble, toute haute am bition. S’il est vrai que l’am ou r soit la gem m e la plus précieuse, il faudrait lui donner u n écrin q u i, p ar la richesse de sa m atière, p ar sa beauté, fût digne de son contenu. Rien ne le devrait approcher qui ne fût de toute noblesse; nul souffle ne le devrait effleurer qui ne fût parfum é de sandal et de rose; nulle m ain ne le devrait caresser qui ne fût d ’un ange; n ulle douceur ne le devrait réchauffer qui ne fût celle des baisers de deux lèvres enam ourées. S’il arrivait que la fem me ne donnât son am ou r q u ’à l’hom m e honnête et laborieux; s’il était pos sible que l’hom m e ne donnât son am o u r q u ’à la fem me pudique, nous verrions se régénérer l’h u m aine famille dans l’espace d’une génération ; au cachot qui épouvante, à l’enfer qui menace, nous verrions se substituer,com m eforceséducatrices, les caresses de la femme, les baisers de l’hom m e. Serace éternellem ent u n rêve? Nous faudra-t-il toujours m enacer et battre les hom m es pour les faire meil leurs? N’aurons-nous point, pour g u érir le vice et le crim e, une moins cruelle médecine que la douleur ? CHAPITRE XIII L E S F R O N T I È R E S DE L’ A M O U R . - SES R A P P O R T S A V E C LA P E N S É E Pour une foule de raisons diverses la pensée peut être tantôt une alliée, tantôt une victime de l’am our. Prem ier instrum ent de séduction, après la forme extérieure du corps, la pensée se ravive, s’exalte au contact de ce sentim ent nouveau, com m e il advient d’ailleurs de toutes les autres énergies qui som m eillent dans notre cerveau; en m êm e tem ps elle s’affine, se fortifie et nous offre quelques-uns de ses fruits les plus rares et les plus exquis. Beaucoup d ’intelligences engourdies ne se réveillent que sous le baiser de l’am our, pour retom ber dans leur léthargie dès q u ’elles ne sont plus excitées p ar le puissant aiguillon du désir; de môme les cerveaux les plus vigoureux s’élèvent au-dessus d’eux-mômes quand ils sont appelés à offrir u n tribut insolite à un nouvel autel. Pour beaucoup, la poésie est le chant du printem ps, et, prosaïques et m uets avant d’avoir aim é, ils reto u r nent à leur prose et à leu r m utism e quand est passée la saison des am ours. C’est pour cela que les hom m es peuvent posséder une fem me d ’une façon continue, m ais, pauvres d’énergie m orale, ils n ’ont q u ’au milieu de leu r vie un sourire de poésie qui dure ce que durent les pétales d ’une rose. Leur im agination froide et paresseuse se perm et bien de tem ps en tem ps une envolée de quelques instants, m ais ils retom bent bien vite, les ailes brisées, s u r la route banale où ils piéti nent ju s q u ’à la m ort. Quelles grandes souffrances il a fallu bien sou vent à une femme, qui se souvient de l’avoir vu si ardent, pour arriver à se persuader que l’hom m e, tout prose de la tête aux pieds, dont la vie se passe entre son chocolat et son bonnet de nuit, qui possède sept variétés de flanelle, et qui prend dix pastilles différentes, est le m êm e qui au tre fois lui écrivait des vers, fléchissait le genou de vant elle et couvrait ses pieds de larm es am ères. Les plus fortunés, au contraire, trouvent dans leur am ou r, u n stim ulant puissant et continu pour leur pensée qui semble s’assouplir et se renouveler à chaque nouvelle phase de la passion des am ants. Dans la vie, dans l’œuvre de beaucoup d ’a r tistes, de poètes et aussi d ’hom m es d’État, nous pouvons étudier ces diverses influences, qui appa raissent encore plus éclatantes quand l’artiste, le poète, l’hom m e d ’État est une femme. L’influence de l’am o u r su r la force et su r la form e de la pensée est double; elle dérive de l’ainour q u ’a p o ur nous la personne aimée et de sa n atu re psychique. Comme sentim ent, q u ’il naisse dans la je u nesse ou q u ’il rajeunisse les vieillards, il excite surtout la fantaisie et affine l’aptitude à rep ro duire le beau, il réchauffe, en u n m ot, ces apti tudes m entales que nous avons coutum e de re connaître à leur apogée à l’âge m êm e où l’am our développe sa plus grande énergie. On ne peut presque jam ais devenir u n grand artiste ou un grand poète si l’o n n ’a pas aim é beaucoup, si l’on ne possède pas tout au moins une grande capacité d ’am our. La chasteté, imposée ou volontaire, peut éclipser l’am our, m ais là-bas au fond du cœ ur règne quelque image, plus voisine de l’ange que de la fem m e, qui surgit à toute inspiration du génie, à tout chant de la lyre, à chaque touche du pinceau, et qui ravive ou enflamm e le feu sacré de l’art. Le génie des plus grands poètes, artistes ou écrivains, eu t l’am our pour prem ier com pa gnon, pour excitant souverain; et je tiens que, sans ce sentim ent, leurs nom s seraient parfaite m ent ignorés. L’am our qui naît en u n cerveau sublim e, y accum ule des forces gigantesques, et la chasteté qui s’impose touj ours aux prem iers stades d ’une grande passion, les perfectionne et les ac croît à ce point que l’am our semble se transform er en génie. De m êm e, le génie colore de teintes m a gnifiques chaque manifestation am oureuse. Un esprit chaste qui aime est une phalange de forces com battantes, toute une arm ée de génies ailés grâce auxquels aucune conquête n ’est difficile, à qui aucune force ne saurait résister. La pensée, com pagnede l’am our, lui offre le plus riche trib u t de son énergie, tels le rossignol, enam ouré, élève vers sa compagne ses notes les plus harm onieuses, la fleur accum ule en elle tous ses parfum s et le faisceau de ses couleurs les plus belles, autour du nid où s’aim ent les plantes. A la pensée, g ran die, transform ée, ornée de toutes ses splendeurs, s’ajoute encore l’aiguillon de l’am ou r, qui, dans la satisfaction de l’orgueil de la personne aimée, trouve une nouvelle excitation, u n coup de fouet qui le pousse au travail. Pourtant, la créature aimée ne perçoit pas toujours seule ce tribut, car, la chaude éloquence avec laquelle elle exprim e sa gratitude m ontre q u ’elle peut elle-même res sentir celte influence excitatrice, et la langue la plus modeste, la bouche la plus close d’ordinaire trouvent pour cela des splendeurs de form es et des raffinements de langage ignorés ju s q u ’à ce jo u r. Une antique expérience dém ontre que, dans tous les pays du m onde, la fem m e l’em porte sur l ’hom m e dans le style épistolaire et spécialement dans l’épistolaire am oureux. Cela tient non seu lem ent à la nature particulière de l’esprit fémi n in , mais aussi à l’excitation gaillarde produite s u r la fem me p a r l’aiguillon am oureux. Une lettre est presque toujours un échange de ten dresses, et la fem m e sent m ieux que nous les rapports intim es de deux affections. Elle aime plus et m ieux que nous. L’hom m e a cent diffé rentes façons d ’épancher son esprit réchauffé dans l’am our; l’art, l'am bition, la science lui offrent mille voies p o ur m anifester l ’énergie nou velle. Pour la pauvre fem m e au contraire, il ne reste ouvert à son esprit débordant que la cor respondance am oureuse. Parm i les hécatom bes, et parm i les autodafés quotidiens de lettres p a r fum ées, de véritables trésors d ’art sont dispersés, qui devraient être sauvés de l’incendie où se con sum ent tant de volum es de paroles et de phrases; cependant, le vulgaire dom ine toujours chaque cam p, celui du bien et celui du m al, et vulgaire est, com m e en toute chose hum aine, la meilleure p artie de l’a m o u r1. L’éloquence am oureuse, vrai chant de l’esprit ivre d ’am our, n ’est pas contredit par la tim idité ni p ar le stupide m utism e qui accom pagne presque 1. Balzac a écrit : <( li est reconnu qu'en am our toutes les fem m es ont de l’esprit. » toujours la prem ière déclaration, la prem ière es carm ouche. La pensée sous toutes ses formes des sèche la bouche, suspend presque tout à coup la sécrétion du m u cu s et de la salivé, et rend pour beaucoup la parole physiquem ent im possible; et comm e cette profonde perturbation de la pensée m et en fuite idées et paroles, l’éloquence se réduit à un silence absolu ou seulem ent interrom p u de phrases sans suite. Ce m uet par am ou r pourtanl, à peine rentré dans le calm e de sa cham bre soli taire, devient u n nouveau Démosthène, lance tout d ’un trait dans l’espace ou jette su r le papier des torrents d’éloquence, qui peu de m om ents aupa ravant au raien t réussi com m e une chose fort belle et tom b an t à point. L’am o u r heureux et conquérant élève tous les cerveaux au-dessus de la tem pérature moyenne et les rend féconds en énergies nouvel les. Aussi, quand il nage dans l’ivresse, le thyrse du dithyram be ne tom be presque jam ais des m ains de celui qui aime ou qui croit être aimé. Au contraire, quand notre sentim ent vibre de la note douloureuse, il peut donner une sublim e élégie com m e expression de la douleur de la pensée; on peut devenir poète ou fou. Les esprits les m ieux organisés se gué rissent des grandes douleurs du cœ ur p ar un livre, une création m usicale, u n tableau; mais beau coup d ’intelligences hum aines tom bent sous l’o u ragan d ’un am ou r m alheureux. Les statistiques des maisons d’aliénés ont toujours constaté une riche collection de fous p ar am o u r; com bien plus nom breuse elle serait si l’on ne cachait pas dans l’om bre de la vie privée une foule d’autres cer veaux flétris ou tombés en léthargie sous l’in fluence d ’u n am o u r m alheureux ! J’écris dans ces pages un pauvre essai de physiologie générale, o u , com m e l’on dit, de psychologie, et je n ’ai le droit ni la force de m ’occuper d ’un travail de critique littéraire, qui reste encore à faire, m algré q u ’un grand nom bre d ’au teu rs aient écrit des choses très belles, à propos de l’influence de l’am our su r l’art. Non seulem ent chaque poète ou chaque artiste — et parm i ceux-ci je tiens les écrivains pour les plus grands de tous, — a laissé dans ses œuvres l’im pression de ses am ours, m ais chacun a senti et interprété l’am ou r d ’une m anière tout à fait per sonnelle, qui dans quelques cas est devenue la règle, la m anière d ’une école ou d ’une époque. La fem m e aim ée p ar Byron est bien différente de l’am ante de Burns, Laure n ’est pas Béatrice, et la fem m e entrevue p ar Leopardi n ’est pas Vic toria Colonna. Étudier quelle influence, dans tous ces temps, la form e de leur esprit a eue sur l’em preinte particulière donnée aux diverses am ours des grands hom m es ; faire en u n m ot la psycho logie comparée des am ours célèbres et des types am oureux dans l’art, est une œuvre de géant pour laquelle l’artiste, le lettré et l’écrivain devraient se donner la m ain. Il m e suffira, à moi, d avoir préparé quelques m atériaux pour cette œ uvre de l’avenir, dans cet essai et dans les deux auties qui lui font suite. L’am ou r cesse d'être u n stim ulant pour la pensée, m êm e il en devient le prem ier assassin, non seulem ent quand il est m alheureux, m ais quand il se noie dans les bourbiers de la luxure. La chasteté est une question presque tout hygié nique, et j ’en parlerai longuem ent dans 1 H y g i è n e de l'amour-, ce sera le lieu d ’indiquer où le ra m eau hygiénique se détache du grand tronc phy siologique. L’accouplement n’a jam ais avili la pensée quand la volupté n ’était que de l’am our. Mais quand la lasciveté est plus forle que le sentim ent et que l’hom m e anim al est triste d’avoir sacrifié une tiop grande partie de soi-m êm e à 1 avenir, 1 individu se révolte contre ce trib u t trop large payé à la con servation de l’espèce. Alors l'hom m e anim al est m alade, ou l’hom m e m oral tom bé dans le lib erti nage. Non, la n ature ne punit jam ais qui obéit sagement à ses lois; et après le sacrifice d amoui l’hom m e se trouve heureux et libre d esprit q u an d , dans la béate langueur d’un court repos, la nature lui cache les douleurs de l’épuisem ent. « Abattez tout entière la forêt de la concupis cence, et non pas u n seul arb re; quand vous au rez abattu tous les arbres, lous les ram eaux, alors vous pourrez vous dire libres, purs et vertueux! » crie le D hanm apada (cap. XX). La science pousse le m êm e cri; m ais à la place de concupiscence, elle écrit le mot plus précis de luxure. Dans notre organism e, chaque fonction est assez bien o r donnée pour que, com m e le cèdre, nous puissions donner toujours des fleurs et des fruils, à con dition q u ’à la fleur nous ne sacrifiions pas le fruit, et que nous ne voulions pas im iter ces m onstres aux pétales exubérants et aux fruits sans graines. Une sage chasteté est l’adm inistra teu r le plus habile de l ’harm onie et de l’énergie vitale; le travail et l’am ou r ne se font pas la guerre, com m e on le verra dans m on Hygiène de l'am our, et 'comme avec une trop rigide sévérité vont le répétant quelques moralistes J ’ai dit plus h au t que l’influence de l’am our sur la pensée est double; je suis donc am ené à étudier sa seconde manifestation, à savoir l’influence q u ’il exerce p ar le moyen de la nature psychique de la personne aimée. Deux créatures qui s’aim ent sont deux corps diversement électrisés et qui par u n échange continuel de courants d ’énergie, réta blissent l’équilibre de leur force et obéissent à la grande loi de l’affinité universelle. Mais de m êm e q u ’il n ’existe dans la nature ni deux hom m es, ni deux cerveaux, ni deux sentim ents identiques, il advient que des deux pensées mises p ar l’am our en face i’une de l’autre, l’une exerce une influence d ’attraction plus grande que l’autre, d’où il ré sulte que l’une d ’elles donne plus qu’elle ne reçoit. En général l’intelligence la plus robuste exerce une fascination plus grande, et comm e le plus souvent l’hom m e a l’esprit plus fort que celui de la fem m e, celle-ci se conforme plus faci lement aux idées, aux théories, aux goûts in tellectuels de l’hom m e. Cependant il n ’est pas toujours vrai que la plus grande attraction me^ sure la plus grande force de l’intelligence, attendu que certains caractères spéciaux à certaines intel ligences la rendent plus enjôleuse, donnent à son contact plus de péril, plus de richesse en affinités électives. La pensée peut être robuste, originale; mais, d’attache rigide, brutale et sans un point où s’accrochent les voisins ou les étrangers, elle vit dans une solitude hautaine, et la personne ai mée la contemple avec adm iration, m ais ne res sent pour elle aucune attraction. l ie n est comm e d ’un astre trop froid et trop lointain pour que nous puissions le désirer. D’autres esprits, au con traire, sem blent arm és de crochets, tant ils s’attachent fortem ent aux hom m es et aux choses; quand nous les approchons, il semble que nous nous im prégnions d ’eux, et de leur contact nous em portons quelque contagieuse influence, ensor celeuse et im itatrice. Ces esprits attrayants joi gnent aux autres séductions am oureuses, la puis sance de subjuguer et de plier l'esprit de la p er sonne aimée, de sorte q u ’à la douce chaîne de l’af fection se joint celle de la pensée. L’influence toute particulière et peu étudiée des esprits fascinateurs se reconnaît chez cer taines fem m es qui, à leur autre am abilité, ajoutent aussi la faculté de conquérir la pensée d’hom m es qui ont l’esprit plus robuste et plus élevé que le leur. Vivant avec elles, respirant leur atm osphère m orale, il devient impossible m êm e aux plus tenaces contem pteurs de l’idée d’autrui, de ne pas penser com m e elles pensent, de ne pas écrire com m e elles écrivent, de ne pas acquérir certains goûts physiques qui font leurs délices. Le style de certains écrivains, la m anière de certains peintres ont inconsciem m ent subi cette lente et mystérieuse influence ; et le vulgaire ign o ran t attribue l’ori gine de cette transform ation esthétique à quelque cause cachée, à une évolution de la science ou de l’art, et l’y recherche, tandis q u ’au contraire elle possède une origine infiniment plus hum ble, m ais plus naturelle. Le style et la m anière se sont modifiés pendant que l’artiste reposait sa tête entre les seins d’une blonde am ie ou q ü ’il passait ses doigts dans les boucles frisées d’une tête b ru n e. Dans l’histoire des lettres et des arts, on tait presque toujours cette influence, parce q u ’elle est presque toujours ignorée du biographe et sou vent m êm e de 1 artiste ou du poète qui l’a subie. La fem me confesse toujours, et plus d’une fois avec orgueil, q u ’elle a plié sa propre pensée à celle de son am i; l’hom m e ne l’avoue jam ais, et s’il en est avisé p ar la critique, il se révolte contre cette étrange accusation dont il rougit. Comme si jam ais le roi de l’univers pouvait modifier style et adjonction de pensée p ar l’opération d ’une caresse ou d ’un baiser ! « Toute à moi et à moi seulem ent ! » s’écrie toujours l’hom m e am oureux : « Toute à lui et à lui seul! » soupire la fem m e qui aim e; j ’ai déjà exposé cela de différentes fa çons au cours de ce livre. Plus 011 aime et plus on subit la fascination de l’esprit d’au tru i ; plus on aim e et plus on est dis posé à abdiquer toutes ses idées propres, ses pro pres goûts esthétiques pour prendre les idées et les goûts de la personne aimée. L’hom m e super bem ent niais répète su r tous les tons que la femme pense toujours en politique, en morale, en reli gion com m e pense son am an t ; et il s’im agine affirm er ainsi, d e là m anière la plus éloquente du m onde, la supériorité incontestée de son intelli gence. Dans ce cas cependant il passe sous silence une raison très honorable en faveur de la fem me et qui n ’est pas beaucoup en faveur de l’h o m m e: la fem m e ressent presque toujours plus fortem ent l’influence de la pensée virile, non seulement parce q u ’elle est plus faible que nous, m ais aussi parce qu’elle aim e beaucoup plus que nous ne pouvons aim er. Elle sacrifie vite et volontiers l ’am our-propre à l’am our. L’hom m e accom plit rarem en t et non sans grande peine semblable sacrifice. « Elle est sotte, m ais elle est belle », disons-nous pleins de félicité. La fem m e, au con traire, beaucoup plus souvent que nous, s’écrie : « Com ment Dieu peut-il exister, p u isq u ’il ne croit pas en Dieu? — Comment la dém ocratie est-elle respectable, s’il l’insulte chaque jo u r? — Com m ent le socialisme ne serait-il pas une chose sainte, s’il est Sa religion? » L’homm e a toujours raison pour la fem m e qui l’aime, parce q u ’elle ne peut presque jam ais aim er sans estim er; nous, au contraire, nous nous per m ettons trop souvent d ’aim er com m e des fous des fem mes que nous ne pouvons ou ne devons pas estim er. Il suffirait de cette différence pour dém ontrer que dans l’évolution psychique des deux sexes la fem m e nous devance dans l’e sth é tique du sentim ent d’une quantité égale à celle dont nous la dépassons dans le développement intellectuel. La fem m e est arrivée déjà à l’am ou r parfait qui est la fusion de tous les éléments hu m ain s, qui est l’élection des élections; nous, au contraire, dans la m aîtresse ou dans l’épouse nous ne voyons que la concubine ; et l ’esprit le plus élevé ne dédaigne pas de verser le m étal en fusion de ses pensées s u r les charm es d ’une Vénus qui n ’a rien d ’Uranie. En am o u r, su r le chapitre sentim ent, nous somm es plus souvent élèves que m aîtres. Si, pour une raison quel conque, u n cerveau am oureux impose à son com pagnon d’am o u r la plus grande puissance de son influence, il arrive aussi que le tyran subit l’iniluence de la victime. Deux pensées ne peuvent pas indéfinim ent vivre dans la m êm e atm osphère, suivre l’orbite d ’u n m êm e système planétaire. L’un donne beaucoup et l’autre peu; l’u n reçoit plus q u ’il ne donne, l’autre donne plus q u ’il ne reçoit; m ais entre eux se modifie, se renvoie et s’échange l’influence de l’énergie. C’est là une conséquence de la loi la plus élém entaire de la physique ; deux am ou rs èt deux cerveaux sont deux systèmes de forces ; or ils doivent dans leur contact subir une modification m oléculaire de leur m ouvem ent, proportionnelle à la différence de puissance qui résulte de leu r com paraison. A l’influence directe de l’am o u r ajoutez la puissance autom atique de l’im itation, ajoutez la tyrannie de l’habitude, l’épicuréism e dans la transaction des idées et des consciences, et beaucoup d ’autres m oindres causes, et vous verrez com m e se doit modifier la pensée q u an d on pense à deux. Tous les phénom ènes intellectuels ne p rennent pas égalem ent le pli de l’am ou r, m ais s’en ressen tent davantage ceux qui, p a r contact ou origine, sont plus voisins du m axim um de ce sentim ent, ou qui se m êlent à lui po ur form er u n corps binaire composé de sentim ent et de pensée. La religion et Ja m orale se modifient plus facilem ent que les goûts esthétiques, et ceux-ci varient plus souvent que les théories philosophiques ou les méthodes de travail. 11 y a dans notre esprit cer taine architecture qui en form e le squelette et ne peul être détruite que p ar la m ort ou la folie. Contre elle, l’am ou r ne peut rien. Aussi certaines antithèses intellectuelles entre l’h om m e et la fem m e suffisent à rendre l ’am ou r impossible, m ôm e quand la sym pathie des form es et certaine com m unauté d ’affection devraient éveiller avec la plus grande violence le m aître des sentim ents. Mépriser l’influence de l’am ou r s u r notre pensée peut être un effet de notre superbe, m ais c’est plus souvent encore une preuve de solennelle ignorance; superbe et ignorance que nous payons am èrem ent, car si, au jou rd ’hui, nous pouvons nous contenter de la beauté des formes, si la robuste jeunesse, renforcée plus tard de la coquet terie, peut faire d u rer longtem ps aussi u n am our qui repose su r la seule volupté, il arrive pourtant, tôt ou tard, u n jo u r où, quand la disparité des esprits a enlevé tout espoir d ’arriver à une intel ligence com m une, nous nous trouvons en p ré sence de ce dilem m e : ou renoncer à la pensée à deux, horrible am putation de la vie intellectuelle, ou s’abaisser chaque jo u r, à chaque heure, afin que la voix qui parle au-dessous de nous arrive à notre oreille. De là, u n travail continuel, un effort fatigant et douloureux; de là, u n rachitism e des esprits élevés et une irritation des intelligences m édiocres; de là, la m o rt inévitable d ’un am ou r qui ne devait som brer q u ’avec la dernière épave d ’une beauté n aufragée; d e là , la polygamie m as quée de notre société m oderne, profondém ent im m orale parce q u ’elle est profondément hypo crite. Pourquoi avec une intempestive im patience vouloir co u rir quand on possède à peine la force de faire u n pas? Pourquoi vouloir sauter quand on a encore les jam bes entravées dans les bandelettes sacrées du moyen âge ? Tous, tant que nous somm es, nous devons subir l’influence inexorable de la pensée en am our. Si notre cerveau robuste peut su rp asser de quelques lignes le cerveau plus faible d ’une fem me aimée, nous devrons toujours nous abaisser, en dim inu an t l ’étiage de notre pensée et en négligeant beaucoup des forces les plus nobles de l’esprit hum ain. Une certaine disparité des niveaux est inévitable; m ais il convient q u ’elle ne soit jam ais considérable, parce q u ’alors, dans nos continus efforts p o u r les égaliser, dans nos douloureuses contorsions pour les rejoindre, la plus grande partie de l’am ou r peut disparaître, m isérablem ent consommée. CHAPITRE XIV LA C H A S T E T É DANS SES RAPPORTS AVEC L’ A M O U R A beaucoup de lecteurs ce chapitre p o u rra sem bler de toute inutilité dans u n travail psycholo gique, attendu que la chasteté est ou une question d ’hygiène ou une négation de l’am ou r ; et de toute façon vous pourrez m e m u rm u re r à l’oreille le fam eux non est hic locus. Que les ignorants ou les ennem is de la chasteté sautent ce chapitre, d’ailleurs l’u n des plus courts de ce livre, et q u ’ils oublient, s’ils le veulent, q u ’en p arlan t de la lu m ière on doit au m oins dire quelle chose est l’om bre ! La chasteté est l’ombre de l’am our. Or, le plus enthousiaste, le plus m aniaque parm i les ado rateu rs du soleil recherche toujours, lui aussi, l’om bre am ie d ’un arbre, pour que couché, sous le labyrinthe de ses cimes noueuses, ou bien encore étendu s u r le m oelleux tapis d’un pré, il LA CHASTETÉ DANS SES RAPPORTS AVEC L'AMOUR. 187 puisse lentem ent, absorber la lum ière de l’astre divin; ils doivent aim er aussi une om bre de poésie d’où il soit possible d ’adm irer, sans en être incom modé, les lointaines splendeurs du père suprêm e de toute énergie et de toute chaleur. De m êm e, dans le dései't de sable q u ’on nom m e le Sahara, ou dans ce désert d’herbes q u ’on ap pelle la Pam pa, l’hom m e parfois éprouve le be soin de se placer à l’om bre de son cham eau ou de son cheval, pour goûter, voluptueusem ent, les longs et ardents rayons d u soleil. Placez-vous donc à l’om bre des cheveux ou des cils de votre dame, p o ur savourer le lointain souvenir des ardeurs de l’am our. La chasteté n ’est pas seulem ent u n repos; c’est la savante et puissante création d ’une énergie nouvelle et d ’une infinie poésie. La volupté, c’est l’ouragan ou la foudre, m ais c’est toujours une force énorm e qui éclate brutalem ent et b ru tale m ent ploie l’arbre de la vie et lui fait toucher du front le sol qui le nourrit. La chasteté, c’est un temple im m ense dont la fraîche et silencieuse atm osphère sèche les sueurs de la lutte, étanche la soif qui suit la bataille et rassérène les fronts troublés et b rû lants. La chasteté de deux êtres qui s’aim ent est un véritable tem ple dans lequel l’hom m e anim al se recueille, prie et invoque un dieu inconnu de le transform er en u n ange, où l’am ou r s’affine, se lave de toute fange et s’élève à tirc-d’ailes vers les régions les plus éthérées de l’idéal. Le désir dom pté par la chasteté sans vio lence, m ais sans hésitation, baisse les yeux, courbe la tê te , s’agenouille frém issant devant la statue de l’Am our, m ais maté. Avez-vous jam ais vii deux am ants, assis su r la m êm e chaise, qui lisent de leurs quatre yeux un m êm e livre tandis q u ’un petit enfant, fruit de leurs prem ières am ours, assis à leurs pieds, joue en chantant? Quand ce petit ange secoue sa tête avec trop de violence ou crie trop haut, la m ain caressante de la m ère ou la m ain sévère du père le réduit au silence. De m êm e le désir doit d em eurer de tem ps en temps dans sa douce prison aux pieds des deux am ants, obéissant à la voix am oureuse et non pas à la férule de l’ancien pion. Aucune vertu n ’est plus insupportable que la chasteté enseignée p ar u n prêtre intolérant et souvent m êm e peu chaste; aucune vertu plus délicate, plus sublim e que la chasteté enseignée p ar l’am o u r et les plus nobles facultés de la p en sée hum aine. Un am ou r im pudique, un am o u r sans chasteté peut être h eureux po ur quelque tem ps, il peut sourire et m êm e rire aux éclats : il peut se laisser em porter dans le tourbillon d ’une ronde effrénée, m ais c’est toujours un a m o u r ivre, dont l’ivresse finit tôt et presque toujours finit m al. L’am o u r chaste est u n am ou r ardent, m ais lim pide, u n am ou r toujours arm é, m ais joyeux; c’est un saphir éclairé p ar la lum ière électrique. La chasteté m onastique est une form e cachée de 1 onanism e, une m aladie o u bien une m anie, c’est 1 affirmation que quelque chose m anque à l’hom m e ou bien c’est une am putation violente, une m u ti lation cruelle. La chasteté libre et très douce de deux am an ts est une très savante luxure, qui sacrifie le pain quotidien aux splendeurs d ’un repas de Sardanapale ; c ’est une éducation des sens et des sentim ents: c’est le culte très sain des joies les plus nobles de la pensée; c’est une des gem m es les plus précieuses qui puissent orner le tissu de la vie. Bénis soient ceux qui savent être chastes de cette m anière, qui savent transform er l’am ou r en une énergie qui éduque et élève, qui en font ainsi le plus g ran d coefficient des nobles am bitions et des résolutions m agnanim es! Et vous, ô fem m es, qui avez « l’intelligence de l’a m o u r» , enseignez-nous la chasteté, à nous qui com prenons plus difficilement cette très sainte vertu. Vous avez cette chère m ission délicate, parce que vous serez les prem ières à en goûter les fruits. Par un calcul vulgaire et grossier vous préférez parfois désarm er vos am ants, afin q u ’à défaut de vous ils ne cherchent point une autre victime à frap p er; peut-être aussi p o ur q u ’au m atin ils ne se fâchent point; m ais votre calcul porte à faux : de la nausée, de la satiété sont nées plus d ’infidélités que de la prudente économie du désir ; et laisser le désir toujours accru, con server vierge une fleur de votre jard in , est u n des plus précieux secrets p o ur régner éternelle m ent, pour être toujours aimée. Il y a une chasteté absolue imposée p a r la loi cruelle du siècle ou des sociétés, loi écrite ou non écrite ; nous en parlons dans YHygiène de l’A m our et dans l'Am our dans l’H um anité. Il y a encore u n e autre chasteté absolue q u ’im posent l’am bition, une vertu m alentendue et aussi l’égoïsme ; chasteté qui se réd u it au fond à une idolâtrie de soi-même, à une concentration rageuse des forces p o ur atteindre une fin élevée ou folle. Le fruit que ne m û rit pas la volupté hu m ain e est cependant d ’autant plus inférieur q u ’on n ’a ni désir ni espérance, car la nature se venge de mille façons de qui l’outrage. En beaucoup de cas cependant, la chasteté vraie, sincère, imposée p ar une volonté formelle, est u n e chose adm irable et digne d’être placée dans u n m usée parm i les objets les plus précieux et les plus rares. Il n ’est pas une su r cent des chaste tés que vénère l’histoire qui m é ritel’encens q u e l’on a coutum e de lui accorder, car beaucoup de ces chastetés sont simulées ou rendues aisées p ar l’im p u issan ce; ce sont de fausses vertus.D ’autres sont arides com m e le sable du d ésert; ce sont des nuées qui s’élèvent sans forme ni b u t à tra vers les fantaisies du cœ u r h u m ain , et s’évaporent sans laisser de traces ; elles n ’appartiennent en aucune façon à l’histoire de l’am o u r; en disserter serait donner le droit au lecteur bienveillant de m u rm u re r une seconde fois à m on oreille : « Non est hic locus ». CHAPITRE XY L’ A M O U R SUIVANT LE SEXE L’h om m e et la fem m e peuvent aim er avec la m êm e force, mais ils n ’aim eront jam ais de la m êm e m anière, car, su r l’autel de leur passion, ils apportent des natures profondém ent différentes, m ais égalem ent en dehors des diverses m issions génésiques qui incom bent à chacun d’eux. Tant q u ’il y au ra sur notre planète un hom m e et une fem m e, ils p o urro nt éternellem ent échanger et se renvoyer cette im m ense plainte : « Ah! tu ne m ’aim es pas com m e je t’aime! » Et elle sera éternellem ent justifiée, cette plainle, parce que jam ais la fem m e n ’aim era com m e l’hom m e, et jam ais l’ho m m e ne p ourra aim er comm e la fem m e. Une m onographie complète de la psycho logie com parée des deux sexes p o urrait fixer les caractères distinctifs de l’am our viril et de l’a m o u r fém inin, et peut-être un jo u r la tenterai-je. Il me suffit ici de dessiner à grands trails les deux figures d’une passion unique dans son essence, mais qui dem eure si diverse dans les deux n atures q u ’on appelle Adam et Ève. Écoutons deux cris spontanés, poussés p ar deux peuples lointains et peu civilisés, et nous y trouverons les prem iers linéaments d ’une physio logie des caractères sexuels de l’am ou r. LesMundaKohls du Chota-Nagpore ont une chanson popu laire dans laquelle les différences psychiques de l’hom m e et de la fem m e sont exprimées. La fem m e chante : « Singbonga, dès le principe, nous a faites plus petites que vous; c’est pourquoi nous vous obéis sons. S’il n ’en avait pas été ainsi dès le principe,, il nous aurait égalem ent surchargées de travail ; nous ne pouvons pas l’être autant que vous. A vous, Dieu a donné des deux m ains, à nous, d’une seule. C’est pour cela que nous ne cultivons pas la terre. » Et les hom m es chantent aux femmes : « De m ôm e que Dieu nous a faits plus grands que vous, de m êm e il nous a donné des deux m ains. Pourquoi nous a-t-il faits plus grands que vous? C’est lui-m êm e qui nous a divisés en grands et en petits. Si donc vous n ’obéissez pas à la parole de l’hom m e, vous désobéissez certainem ent à la parole de Dieu, qui lui-m èm e nous a faits plus grands que vous1. » 1. Sagen, Silten und Gebrauche des Munda-Kolils en Cliota- Sans aller si loin, voici une chanson kabyle ; — u n c h œ u r de jeunes fem m es altern e avec un ch œ u r de jeunes hom m es. Les fem m es : « Que celui qui veut être aim é d’une fem m e entre en cam pagne avec ses arm es ; q u ’il mette à sa jo u e la crosse de son fusil, alors il pourra crier : « A moi ! ô jeu ne fille ! » Les hom m es : « Vous faites bien de nous aim er. Dieu nous m ande la g u erre et nous allons m o u rir. Au moins vous restera-t-il le souvenir du b o nh eu r que vous nous avez donné. » Des Munda-Kohls et des Kabyles nous élevant ju s q u ’aux races les plus hautes et les plus civili sées, nous trouvons presque toujours un souvenir de ce cri sauvage de la nature, où l’h om m e p ro clame sa force et l’impose, où la fem m e la subit et l’invoque. Ici c’est une répartition diverse des joies et des douleurs, des droits et des devoirs que l ’hom m e concède à sa com pagne dans le m onde de l’am o u r; là une usurpation des droits et des devoirs p a r le plus fort aussi bien que le plus bas dans l’échelle sociale; ici une aspiration continuelle des peu ples civilisés vers une distribution plus équitable du bon et du m auvais entre les sexes, qui encore Nagpore vont Missioncir Th. Jellinghaus. Zeitschrifi fü r E th nol. 1871, p. 331. au jou rd ’hui se divisent aussi inégalem ent la lu m ière et les ténèbres, les joies et les douleurs. Oui, la force m usculaire est le critérium de la hiérarchie ; oui, elle constitue la principale force h u m aine, la différence entre l’hom m e et la fem m e au point de vue des droits et des joies de l’am o u r est im m en se; la fem m e devient à peine plus q u ’u n anim al dom estique qui s’achète, se vend, se tue suivant les besoins du m om ent. C’est pour quoi, au dernier degré de la civilisation, là où la m orale est incertaine et la luxure ardente, nait la polygamie ; la fem m e conservée com m e u n trésor de volupté tom be m oralem ent plus bas que dans une tribu errante de sauvages nus m ais m ono gam es, où elle est la compagne des joies et des m isères de l’hom m e. C’est peut-être p o ur cela que Salomon, dans son harem , s’écrie : « Et qui me tro uv era une fem m e forte? » De m êm e chez nous, la fem m e n ’a pas en am ou r la p art que la n atu re lui assigne, et l’on peut la ran g er sans scrupule parm i les opprim és qui vivent dans l’attente de leu r jacqu erie ou de leur constitution; elle est u n prétendant légitime qui, u n jo u r ou l’autre, p ar le droit ou p a r la force, conquerra sa place au soleil. Des droits, je parlerai en u n au tre ch ap itre; ici nous devons nous ten ir sur les confins de la physiologie, qui devrait être cependant la m ère légitime de toute législation h um aine. Si l’anthro- pologie nous m ettait en m ain tous les élém ents m oraux et intellectuels qui séparent l’hom m e de la fem me, la science p ourrait attribuer à chaque sexe, dans la loi ou ses coutum es, la place q u ’elle jug erait légitime, sans q u ’il y eût usurpation, sur prise ou prépotence de l’u n su r l’autre. La nature a donné à la fem m e la plus grande partie de l’am our, et si l’on pouvait exprim er cela p ar des chiffres, je dirais q u ’elle nous a concédé u n cin quièm e ou u n q u art au plus du territoire am ou r e u x 1. Ni la civilisation des peuples extrêmes, ni les coutum es dans leurs formes infinies, ni les caprices des tyrans, ni la puissance supérieure de l ’esprit, n ’ont pu modifier cette im m uable loi. Dans la m isérable et fétide cahute de l’Esquim au ou dans le palais d ’un prince, la fem m e donne tout elle-même à l’hom m e, d’abord com m e fille, puis com m e am ante, com m e épouse et com m e m ère; elle est le grand placenta des vies h u maines, le sein d ’où nous tirons la volupté, l’a m o u r; toute douceur qui nous enchante, toute chaleur qui nous réchauffe. Malheur à nous si, p a r u n e éducation bâtarde nous avilissons la source de la vie h u m ain e! M alheur à nous si nous dénions à Eve le droit le plus saint de 1. Seule une femm e pouvait écrire ce m ot sublim e : « Ah ! sans doute que dans les m ystères de notre nature, aim er, encore aim er est ce qui est resté de notre héritage céleste. » (Mme de Staël.) tous, celui d’aim er et d ’être aim é! Pour la fem me, aim er est le p rem ier besoin, celui qui surpasse tous les autres, et tout son organism e se plie et se conforme aux influences de l’am our. Yan Ilelmont disait avec trop de brutalité peutêtre : « Tola m ulier in utero ». Mais les pen seurs de tout tem ps applaudiront à l’aphorism e du médecin hollandais. La fem m e physiquem ent désire longtemps et longtemps possède ; elle peut jo u ir chaque jo u r, chaque heure de sa conquête et s’en faire une atm osphère chaude et parfum ée, dans laquelle elle vit com m e en u n nid ; la fem m e berce dans ses entrailles u n ange q u ’elle désire toujours avec ard eu r et en qui est peint l’am ou r q u ’elle a pour son compagnon; elle form e l’hom m e, l’allaite, le caresse, et puis chaque a n née voit sa chair se tran sfo rm er en une série de chérubins qui form ent un chœ ur autour d’elle, qui sont les lam beaux de son cœ ur, les pétales de roses tom bés de la fleur de sa beauté, et qui tous d ’une voix douce l’appellent « m am an », ce qui est autant dire l’origine de la vie. De l’enlacem ent de l’hom m e q u ’elle aime, elle passe aux caresses de ses enfants : la volupté ne saurait la lasser, l’ar d eur la dessécher, la passion l’en n u y e r; elle est tout entière, des pieds à la tête, im prégnée d ’a m o u r ; c’est le suc qui circule dans toutes ses veines, qui tourm ente chacune de ses fibres; il en est ainsi, m êm e quand l’am ant choisi est en tout semblable à l’arbre secoué p ar la tempête et qui voit se dessécher chacune de ses feuilles, tom ber toutes ses fleurs. L’am o u r de l’hom m e, c’est la foudre qui brille, gronde e t s ’éteint; l’am ou r de la fem m e, c’est le rayon de soleil qui luit et, chaud, enflam m e le cœ ur et le féconde ; elle-même l’ab sorbe lentem ent, voluptueusem ent, et toutes les radicelles de son sentim ent, de ses joies, de ses pensées, le pom pent et s’en alim entent; c’est ainsi q u ’après le coucher du soleil, ses rayons féconds nous restent, cachés dans la terre q u ’ils ont ré chauffée. Depuis dix-huit ans que j ’ai écrit m a P hysio logie du p la isir, bien des faits ont contredit cette opinion exprim ée p ar m oi, que la nature aurait concédé à la fem m e une coupe plus large pour boire à l’inépuisable source de la volupté / m ais, en somm e, com m e la joie ne peut ni se peser ni se m esurer, le problèm e dem eure encore pour longtemps en discussion. Personne ne po urra nier cependant q u ’à lasciveté et q u ’à sensibilité égales, Ève ne puisse plus longtemps que nous avoir soif de l’am oureuse bataille et la renouveler à l’infini et réaliser le rêve bienheureux d ’une volupté qui, en changeant de form e, se renouvelle éternelle m ent; si bien que la lassitude lui dem eure in connue. Mais si po ur beaucoup d’hom m es la vo lupté est toute en am our, pour la fem m e, fût-ce la plus libertine entre les fem m es sensuelles, ce n ’est q u ’un doux épisode. Et si vous ne croyez pas à l’audace de celle affirmation, mandez des hérau ts p ar tout le m onde civilisé et q u ’ils con voquent, tant q u ’ils sont, tous les hom m es et les fem mes capables d’aim er; invitez-les à cette sin gulière joute d’a m o u r; à tous vous demanderez s’ils accepteraient u n éternel et fidèle am ou r sans volupté en échange d ’une volupté sans am ou r : cent femmes voteront pour l’a m o u r; dix hom m es, cinq seulem ent peut-être, se décideront pour le sublim e refus de l’accouplement. 0 vous tous qui avez étudié le cœ u r de la femme dans les carrefours et les m auvais lieux, et qui croyez rendre votre femme heureuse en lui don n an t du luxe, de l’or et des toilettes, souvenez-vous que par-dessus tout la fem m e veut aim er, se sen tir réchauffée au souffle d’u n hom m e, s’appuyer s u r son bras fidèle, se sentir nécessaire à u n com pagnon dont elle sera l’orgueil ; elle veut être la prem ière pour q u elq u ’un. Au m ilieu d ’un luxe splendide, vous voyez une fem me m alheureuse, enveloppée cependant de la douce sollicitude de son m ari et satisfaite dans tous ses désirs; en voici une autre, heureuse au m ilieu de la m isère et des orages, et toujours écrasée p ar les caprices d ’un am ant. Mystères du cœ ur! dites-vous. Chose très naturelle, dis-je. La prem ière n ’aim e pas son m ari, la seconde aim e son am ant. Et voici une autre différence, essentielle, entre l’am our de l’hom m e et celui de la fem me : l’h om m e veut être aime, la fem me veut surtout aim er. Le sentim ent qui la consum e est plus actif, plus expansif que chez nous ; elle exige peu de son compagnon, parce q u ’elle est trop riche et que son affection est trop robuste pour avoir besoin de s’appuyer sur l’am our-propre p o u r soutenir la bataille de la vie. Certes, l’am ou r parfait est la som m e de ces deux splendides choses: « J’aime, — Je suis aimé »; m ais à la fem m e il suffit souvent de pouvoir s’écrier : « J’aim e »; à l’hom m e il suffit très sou vent de se rengorger et de dire : «Je suis aim é ! » Ne demandez pas à la fem m e pourquoi elle aime. Elle réussit à aim er des créatures assez incultes, assez pauvres, assez difformes p o ur ins pirer l’éfonnem ent ou la terreu r. Pour que cette créature soit toute à elle, elle saura s’o rner des fleurs de la fantaisie, s’illum iner avec la lum ière qui ém ane de son cœ ur. La fem m e ne doute pas q u ’on puisse l’aim er quand elle aime. César a-t-il jam ais douté de la victoire ? Napoléon, de l’éter nité? Tel est l’am ou r de la fem m e; il ram pera com m e u n serpent aux pieds de son a m a n t , ou il ru g ira com m e le lion qui veut ce qu’il désire; il sera le chat caressant qui se blottit au giron de l’enfant, ou l’aigle qui em porte sa proie audessus des neiges éternelles, m ais il sera poé tique. La foi ardente du néophyte, la foi superbe de l’infaillible, l’ard eu r inépuisable du conqué ra n t heureux, sont vertus com m unes aux am ours des femmes, rares dans celles des hom m es. A la fem m e il suffit de trouver un esprit, une force, parfois m êm e u n crim e dans celui q u ’elle veut faire sien ; elle peut aim er le plus inintelli gent, le plus crim inel, le plus m al fait des hom mes. Elle grandit tout h om m e q u ’elle touche ; elle se croit capable de réchauffer aussi la glace. L’hom m e aim e le beau par-dessus toute chose ; il passe su r le reste. L’h om m e abaisse souvent les plus hautes a m o u rs; la fem m e élève la luxure aux plus hautes régions du sentim ent; l'hom m e abaisse le sentim ent et le plonge dans la fange. Pardonnez le cynism e de cette p hrase, m ais ne l’cfusez pas de l’entendre, car elle n ’est que trop vraie. L’hom m e dans ses am ours est plus une bête q u ’u n ange ; la fem m e plutôt u n ange q u ’u n être hu m ain . Et m aintenant arrachons de la poitrine de deux am ants leu r cœ u r ensanglanté, et, tout chaud, tout sanglant, portons-le sous le microscope, puis avec le scalpel et les pinces de l’anatom iste faisonscn une line autopsie. Une foule de différences sexuelles nous apparaîtront dans l’am ou r plus clairem ent que nous ne l’avions vu. A m o u r d ’A d a m . Amouh d’E ve . Oh ! comme je suis heureux! Souvenez-vous qu’elle est mienne. Es-tu heureux? Souvenez-vous que je suis sienne. Non, il n'est pas vrai que je l’aim e (dernière édition du Christ et de Judas). Toujours! mon Dieu, quel ennui! Il faut nous séparer; la rai son doit tu er notre amour. Que tu es belle! Resle belle et je t’aimerai toujours ! Rends-moi heureux, même sans m ’aim er! Ne me rends pas ridicule. Donne-moi tout. Tout am our finit dans l’in différence ou dans l’amitié. Je veux, et si lu ne cèdes pas, c’est que lu no m ’aimes point. L’am our est la plus grande volupté. Fdle a dû certainem ent ac corder ses baisers à d’autres. Est-elle digne de moi'/ Me rend-elle heureux? Peut-elle me suffire? Je pense trop à elle. Je ne suis en retard que d’un quart d’heure. Je dois partir. Il y a long temps que je suis ici. Encore un enlacement. Un baiser encore. Oui je l’àime et je l’aime bien, et je n ’aime que lui seul. Ya-t-il quelque chose à redire? Toujours! m on Dieu, quelle volupté ! Monstre, je te hais, tu me fais h o rreu r.... m ais je t ’aime encore. Que tu es grand ! Reste à moi et je t’aim erai toujours. Insulte-m oi, m ais aime-moi. Ne me trahis pas. Donne-moi ton cœur. De l'am our 011 ne peut passer qu’au m épris ou à la haine. Et si je t’aime, pourquoi me dem ander encore? L'am our, c’est la vie. Ah ! il en a aimé une autre avant moi ! Suis-je digne de lui? Est-ce que je le rends heu reux? Est-ce que je lui suffis? Je ne pense pas assez à lui. Pourquoi arrives-tu toujours si tard? Tu veux déjà p a rtir et tu es à peine arrivé. Encore un baiser. Répète-moi que tu m ’aimes. Je te pardonne parce que je Pardonne-m oi, je suis un in fâme, m ais m on coeur est tou- * t'aim e. jours à toi. Uu cœ ur et une cabane. Un palais pour y loger un cœur. L’am our platonique? Utopie. L’am our platonique est une chose très possible. Je la veux parce que je la Je le veux parce que je l’aime. désire. Sois à une autre, mais vis! Meurs plutôt que d’être à un autre ! Conserve-moi ton cœur. Conserve-moi ta foi. Je l'aim erai tant, qu’il finira Avec le temps elle m 'aim era. p ar m ’aim er. Je lui ferai de telles caresses Je lui donnerai tant d’or, de bijoux, qu’elle devra m 'aim er. qu'il m ’aim era ! Et que peut le monde contre Mon Dieu! c’est toi qui viens moi si tu m 'aim es. ici ! m ais tu me compromets ! L'homme est un être infâme. La femme est changeante. Oh! combien je l’aim e! Oh ! combien elle m ’aime! Pourquoi ne vient-il pas? Je dois aller vers elle. Il sera mon époux. Elle sera m ienne. Il fut mon am i, il est encore Elle fut ma m ailresse, elle mon ami. est ma m aîtresse. Demain. Aujourd'hui. Après-demain. Demain. Dans un an. Dans un mois. Jamais. Tout de suite. Non, non, non, non. Si, si, si, si. Je l’aime sans le désirer. Je la désire et c’est pour cela que je l’aime, 11 est vertueux parce qu’il Elle est vertueuse parce m ’aime assez. qu’elle est chaste. L’homme ne sait pas aim er. La femme ne peut conserver sa foi. Voici un pauvre essai d ’une psychologie com pa rée qui ne p o urrait être écrite que dans une phy siologie complète des deux sexes. Toute pensée, toute parole, tout geste de l’hom m e ou de la fem me qui aim e reçoivent l’em preinte de leur sexe; quand les caractères sont intervertis, ils donnent nais sance au désordre le plus rebutant, et nous nous trouvons en présence d ’une c a ric a tu re , d’un m onstre ou m êm e d ’u n crim e. Parfois pourtant, les fem m es à caractère viril aim ent virilem ent, et les hom m es de caractère doux présentent dans leur am ou r tendre et faible un tableau sublim e que l’on ne devrait observer que chez la fem me. Mais là encore nous som m es dans le cham p de la pathologie. Cependant les formes psychiques de l’am ou r peuvent tirer d ’un de ces croisem ents insolites de figures et d’étranges couleurs u n élé m en t esthétique qui excite notre adm iration et nous invite à méditer. Quelque variables que soient les éléments sexuels de l’am ou r, notre civilisation m oderne est coupable d ’une faute très grave, p u isq u ’elle ne réserve à la fem m e, qui est la vraie et la grande prêtresse d’am ou r, q u ’une mince im portance et une place m esquine. Nous avons accordé à l’hom m e l’am bition et la gloire, la science et l’âpre soif des richesses, toutes les énergies de l’esprit, tou tes les conquêtes du génie, toutes les victoires de la passion; à la fem me nous avons retiré tous ces alim ents du cœ u r et de l’esprit, et nous lui avons dém ontré qu’elle devait seulem ent aim er. Après avoir occupé presque tout le cham p de l’ac tivité h um aine, nous lui avons laissé le jard in de l’am ou r pour unique possession, p o ur unique confort. Et quand la pauvre prisonnière s’est élan cée, avec toute l’ardente curiosité de sa n atu re, à la récolte des plantes et des fleurs parfum ées de son dom aine, q u an d elle s’est mise, à sa m anière, à cultiver son jard in , nous som m es intervenus, plan tant les écriteaux de notre réglem entation restric tive, plaçant les b arrières de nos lois. Ce bosquet est interdit, on ne cueille pas ces lleurs, défense d é p a s s e r p ar ce sen tier.... Enfin le choix des plantes de culture d u t être fait p ar n o u s , par nous qui avions le jard in et la cam pagne, les prés et les forêts, les glaciers des Alpes et l’onde de l’Océan. C’est grâce à cela que nous possédons une esclave qui m u rm u re et conspire contre nous ; c’est ainsi que nous avons stérilisé et rasé le jard in où une noble et belle châtelaine aurait pu nous recevoir m agnifiquem ent et nous délas ser de nos glorieuses fatigues ; c’est ainsi q u ’au lieu d ’être reçus p a r notre égale dans des salles resplendissantes d’or et de pierres précieuses, nous trouvons une prisonnière ou une esclave qui pleure la tête courbée. Nous lui avons m esuré le pain et le vin de la vie, com m e au voleur fait le geôlier. Tyrans m êm e en am ou r, nous nous som m es fait la part du lion dans la volupté com m e dans le libre choix d ’une affection souveraine. Mais toute injustice se paye, com m e tout équilibre ro m p u se compense ; et les trahisons continuelles trop souvent justifiées de notre esclave, les conspi rations de sérail, les conjurations de palais, nous m ontrent chaque jo u r que nous élevons su r une base incertaine l’édifice de la famille, et i ous crient à très haute voix q u ’il conviendrait de ren d re tôt à la fem m e ce qui appartient à la femme : le libre choix de ses am ours, l’égalité des droits dans l’af fection com m e dans la fam ille. CHAPITRE XVI L’AMOUR SUIVANT L'AGE En étudiant le crépuscule de l ’am ou r naissant, nous avons, sans y penser, ébauché les linéam ents de l’am our enfantin et de l’am o u r juvénile. Nous l’avons vu, tim ide et tourm enté, se débattre entre les dernières lisières de l’enfance et les prem ières arm es de la pétulante jeunesse. C’est dans l’ado lescence que ce sentim ent souverain présente les p lus sublim es puérilités, les plus folles hystéries, les vœux les plus extravagants d’un intini dans le temps et dans l'espace. A côté de toutes ces aspirations les plus idéales, nous trouvons cepen d ant l ’éruption im pétueuse et autom atique des prem ières lascivetés. La toute jeu ne im agination allum an t les prem ières fièvres de la lu x u re , agite et secoue le tendre et frêle organism e. H eureux ceux qui, dans les prim es tempêtes de la vie, trouvent une m ain aim ante pour les guider, les réconforter et les sauver des m ille périls qui, en une seule fois, ruinaient santé et m oralité. A ces prem ières et im patientes voluptés de l’adolescence, succède, presque toujours, chez les natures d ’élite, une période de réaction où l’on form e d ’héroïques vœux de chasteté, où l’on fait des efforts im m enses p o ur arriver à haïr la fem me. C’est à ce m om ent que, dans le jo u rn al d ’un jeu ne garçon qui se faisait hom m e, furent con signés ces vœux et ces aspirations à la chasteté que nous avons lus, et dont nous affirmons l’au thenticité. « .... Terrible dilem m e de la vie : le monde « m ène la fem m e; la fem m e m ène le monde. « te « « « J ’ai pu passer u n jo u r entier sans em brasser une fem m e et sans une seule aspiration b ru lante; p o urtan t j ’ai passé u n jo u r heu reu x ! Fais en sorte de te priver toujours de la méchante descendance d ’Ève. « « te « « « « Je m e suis assis à côté d ’une jeu n e créole, et je l’ai trouvée belle, grisante, voluptueuse. J ’ai pensé au paradis des délices q u ’elle re n ferm ait, et je m e suis trouvé ébranlé. — Le baiser le plus créole du m onde ne vaut pourtan t pas la synthèse cosm ique, com m e je l ’ai conçue et la saurai déprire à l’hum anité. « Aucun plaisir n ’est plus bref que le plaisir « am oureux ; aucun sacrifice plus fécond en con« séquences utiles que le m épris de ce sentim ent. « « « « « Avec la fougue de sa puissance, l’instinct représente le plaisir sous son aspect le plus inconsta n t; il n ’est q u ’une de tes facultés, et dans son tourbillon prétend en traîner cependant toute ton activité. « Il n ’est q u ’une de tes facultés, celle qui t’est co m m u n e avec les êtres les plus vils et placés au bas de l’échelle de la création; pourtant cette faculté veut être la prem ière, la prem ière et la seule pendant quelques instan ts; m ais en ces quelques instants la p artie la m oins noble de toi-m êm e peut vouloir et peut t ’enlever la plus grande partie de ton Moi. C’est u n souverain qui règne peu de temps, m ais qui, dans le tem ps de sa dom ination, possède assez de puissance pour ru in e r l’État et laisser son trône su r u n am as de ruines, de tisons ardents et de cendres; il est facile de détruire, m ais d’un tas de ruines et de cendres il est malaisé de reconstruire un État. « Mais contre ce m onarque éphém ère tu peux « m a n d er des soldats ; si tu as soin de les arm er « et de les discipliner, ils ne te rapporteront du « sire q u ’un cadavre, et, de ce cadavre vêtu d ’or « « « « « « « « « « « « « « « et de pierres précieuses, tu verras combien la <( carcasse est putride, rem plie de fange et de « vermine. « Prends garde que tes soldats ne parlem entent « avec lui! il a une voix si douce, si m ystérieuse, « un regard si attrayant, q u ’il les enchanterait et « réussirait enfin à surprendre leu r pauvre capi« laine, la R aison, et la raison serait vaincue p ar « l’instinct. « Oh! préviens cet instant fatal ! Une m inute « après, inutile serait la douleur, inutile le re« pentir. « Un m om ent plus tard, et tu verrais l’instinct, « com m e u n gnome infernal, tenir sous ses pieds « la raison. « Encore u n m om ent, et, entraîné dans le nuage « enchanté du souverain, tu ne pourras plus « penser. « Et ce squelette putréfié, le p renant p ar la « m ain, fera de toi son am usem ent, son jouet ; tu « seras com m e le pauvre aveugle que guide p ar « la m ain u n jeune garçon jo u e u r et écervelé. « Oh ! lu seras pire que lui ; il a perdu la « seule lum ière des yeux, et tu au ras perd u la « lum ière de la raison, qui te fait supérieur à tant .« d’êtres placés s u r la terre, la puissance trans« form atrice de tout; la faculté grâce à laquelle « tu sens, tu penses et tu es glorieux de sentir. « Les âmes élevées, passant leu r chem in, te re - g arderont avec u n air de m épris, et, s’éloignant de toi, riront. Oh! tu ne pourras plus les suivre, ni entendre leu r douce voix, ni te m o n trer glo rieux de leur serrer la m ain. « Tes m ains sont tenues l’une par l’instinct et l’autre par le péché; au to u r d’eux, tu as pour com pagnon l’abrutissem ent, le vice, le crim e et u n e autre foule du m êm e genre ; au centre de celle-ci tu as le suicide, avec le poignard d’une m ain et le poison d e l’autre, qui, les yeux rouges de sang, les cheveux hérissés p ar l’épouvante, hésite entre le poignard et le poison. « Et tous ces com pagnons arrivent à te charger de chaînes nom breuses qui se réu n issen t à une chaîne m aîtresse que tient l’instinct, ton sou verain vainqueur. « Et très loin, très loin, tu entends com m e le soupir ou le sanglot d’u n h om m e m ourant ; tu entends, com m e dans une plainte, une voix qui t’appelle; m ais ce cri est lointain, lointain, cette voix est lointaine, lointaine; p o urtan t cette voix crie en toi-même, et, p a rle s moelles, le fait courir u n frisson d’horreur. « C’est la voix, c’est le cri de la raison qui m e u rt ; c’est la voix, c’est le cri de tes fidèles soldats m o u ran t su r le cham p de bataille ab an donné. « Vois, vois, com m e elle est triste cette voix, comm e il est terrible ce cri ; peut-être m êm e « a-t-il cessé, m ais l'écho te l’apporte, et te l’appor te tera toujours, toujours, ju s q u ’à la tom be. » « « « « « « « « « « « « « « « « « « te « « « « « « Combien m isérable est la condition de l’hom m e qui se fait l’esclave de ses passions et paye u n m om ent de plaisir de l’inaction de sa pensée et de la prostration de ses forces ! 11 y a peu d ’instants, la passion le con sum ait; ses yeux étaient de flammes ; son désir haletant appelait la volupté ; la force de son imagination lui représentait le plaisir sous l’aspect le plus vague. La raison lui rappela le repentir qui suit la faute ; lui représenta le danger de céder à l’instinct. Il y eut u n instant de lu tte ..., la raison céda. L’hom m e, abusant des lois de la nature, fil b u t ce qui n ’était que m o y en ; il goûta u n m o m en t de plaisir, mais celui-ci fut court, et, à peine fut-il évanoui, l’h om m e se repenlit, sa raison s’assom brit, le rem ords et la tristesse occupèrent son âm e. Le p rem ier lui fit sentir la brièveté du plaisir p a r un pacte avec son actuelle im puissance; la seconde en valut son âm e parce que ses facultés étaient troublées, et une partie de son être s’étant atlaqué à son Moi en dim inua l’essence. Et l’âm e troublée, dim inuée, ne reposait plus dans l’apaisante joie d’exister, m ais était triste. La partie du corps exaltée avait abaissé l’être « corporel, et le corps enflé, troublé, fatigué était « inquiet et infirme. « Oh! m alheureux l’hom m e qui a dim inué « son essence, non pour form er u n èlre sem« blahle à soi, m ais seulem ent pour goûter la « volupté dont la n ature accom pagne la géné« ration ! Oh ! m alheureux l ’hom m e qui a sub ie stitué le plaisir à la gloire, à la conscience de « sa propre force, à l’estime des hom m es! Dieu « qui le voit ne le bénit pas ! Les hom m es qui « l’entendent ne l’estim ent point ! » Ces fragm ents de littérature enfantine sont littéralem ent transcrites du jo u rn al d ’un tout jeune h om m e et suffisent à m o n trer la réaction de l’individu qui, au lever du nouveau soleil d ’am our, proteste contre le rapt de la nature, et tente en vain de la com battre et de se défendre. Dans les m êm es pages nous trouvons une forme encore plus singulière de celte réaction q u ’ont plus ou m oins ressentie tous les hom m es. C’est l’essai de la fondation d ’une science nouvelle, Vagnologie (science de la chasteté), c’est-à-dire l’art de com battre l’am our. Je transcris : É L É M E N T S D’A G N O L O G I E D O G M A T I Q U E C h a p it r e I . — D é f i n i t i o n s générales. « L’agnologie dogm atique est la science qui traite de la chasteté, considérée com m e fait physiologique et appliquée à la civilisation des individus et des nations. C’est une science d’une très grande im portance, p u isq u ’elle m a r che de p air avec la m orale, q u ’elle em brasse les trois m ondes des sens, du sentim ent et de l’intelligence. « La n ature toute-puissante dans ses com m an« dem ents oblige l'hom m e à accorder une partie « de sa vie à la séduction des plaisirs sensuels « les plus violents. « Dans ce m arché de dupes, la n ature se com« porte avec nous comm e la m ère, qui, pour « enlever une pièce d ’or de la m ain de son en« fant, lui donne en échange u n e dragée. » « « « « ie « « Mais m algré toutes ces protestations, ces plain tes, ces vœux, l’am ou r vainc, accable et subjugue sa victim e qui résiste vainem ent ; et parm i ces pages, très chastes de ce jeu ne garçon de quinze ans, qui m aud it « la m échante fam ille d ’Ève », et place la chasteté au-dessus de toute autre vertu, nous trouvons tout de suite après ces serm ents solennels, vers enfantins, improvisés à quatorze ans, « en allant à l’école ». « Voir le sein d ’une jeu ne fille aimée, — Et « po ur la vaincre fixer des yeux avides — su r « son visage adoré, et dans u n extase béate — lui « faire oublier la vie terrestre! — Oh! volupté « d ’un grisant désir — qui du m ortel n ’a que « l’être rapide, — que font ensemble deux cœ urs « en u n seul, — que le b rû la n t soupir d ’une « ardente poitrine, — la puissance de tout dire « sans pourtant souffler m ot, — d'étreindre sur « son sein et de baiser — ce p ar quoi une âme « pénétre si elle le veut — dans celle de l’aimee, « et goûter toute la joie de mille ans dans un « m o m en t; — Ob ! tout cela est u n indistinct « am ou r — que je peux sentir m ais non pas « ren d re. » Ces pages, ravies au grand livre de la nature, ne sont que la millièm e reproduction d ’un phé nomène psychique qui se répète chez tout h om m e quand, de l’enfance, il passe à la je u nesse. Un fait historique et u n proverbe consa crent cette vérité. Au concile de Trente, ce fu rent les prêtres les plu s jeunes qui votèrent le célibat; d’au tre part, la langue française possède u n proverbe qui d it: S i jeun esse sa va it, s i vieil lesse pou vait. Vœu et proverbe m éritent u n vo lum e de m éditations et prennent leur origine au plus profond du cœ u r hum ain. L’exubérance de la force nous faits prom pts à la bataille, m ais en m êm e tem ps elle nous laisse calm es et sereins parce que la vraie force est toujours calme. Rai'ement u n vaniteux est fort ; p arler souvent de sa propre énergie est presque toujours u n svm ptôm e de faiblesse et de déca dence. Le m alade qui craint la m ort dit souvent q u ’il se sent très bien, dès q u ’on l’interroge sur l’état de sa santé, et tente ainsi de trom per et soim êm e et les autres s u r le péril qui le menace. E n am o u r l’h om m e jeu ne est toujours plus tim ide que l’adulte ou le vieillard; ce fait tient à des causes assez m ultiples et profondes po ur se vérifier chez les anim aux. Les oiseaux, entre au tres, sont d ’autant plus économes de prélim i naires dans leur conquête am oureuse qu ils sont plus âgés1. L’hom m e jeu ne, tout envahi q u ’il soit p ar l’am ou r, trem ble encore. C’est u n fruit m û r et parfum é auquel le ru d e attouchem ent du jard i n ier ou du m a rch an d n ’a pas encore enlevé le velouté virginal qui le recouvre. Il a renoncé aux inutiles et trop inégales luttes contre l’am our, et s’est jeté dans ses b ras, mais il frém it encore q uand le souffle du dieu traverse son cœ ur et fait vibrer ses nerfs. C’est u n prêtre initié aux mvstères du tem ple, m ais le sain t des sain ts lui ins1 . Danvin. The descent o f nutn and sélection in relation tu fc’.r, vol. II, p. 117, Londres 1871. pire encore crainte, et une chère et sublime tim idité tem père en lui l’expression trop virile de la force. Nous avons devant les yeux l’u n des plus sublim es tableaux du m onde m oral, le maxi m u m de la beauté sans la grim ace de la superbe; le m axim um de la force sans l’om bre d ’une con vulsion; une force toujours vive, une énergie se reine m ais infinie, prom pte à l’attaque, au travail, à la réaction. Le jeu ne ho m m e bien constitué appartient tout à l’am ou r, et l’am o u r est tout dans la jeunesse. Toutes les énergies du sentim ent, toutes les puis sances de la pensée se m odèlent, à cet âge, sur le sentim ent souverain qui absorbe tout et l’entraîne dans son chaud tourbillon bouillonnant. Qui n ’aime pas à vingt ans est m oins q u ’un eunuque ; l’eu n u qu e peut aim er, tandis q u ’une stérilité am oureuse, qui a son siège dans le cerveau et dans le cœ ur, est plus hum iliante q u ’une m u tila tion quelconque d ’un organe et de ses fonctions. Si, à vingt ans, dans le va-et-vient de la vie sociale, l’hom m e ne rencontre pas une fem m e, il aim e une fem m e peinte ou sculptée, il aim e l’héroïne d ’un rom an ou d’un poème, et la jeu ne fille adore les anges qui effleurent de leurs ailes le chevet de son lit virginal. A vingt ans, on possède physiquem ent en soi une énergie capable d ’aim er cent fem mes ; et la jeu ne fille, m êm e la plus pudique, à chaque pas aperçoit dans l’air une étincelle qui brille au contact d ’un hom m e. Malgré une énorm e et fé conde aptitude à la polygamie, l’hom m e et la fem m e, dans leu r jeunesse, sont essentiellement m onogam es, et leurs idolâtries les plus folles sont cependant m onothéistes : une seule idole, u n seul tem ple, une seule religion. Il faut être singulière m ent pervers pour être polygame dès les prem iers pas dans l’am ou r, et la fem m e toute jeune qui aim e à la fois plus d ’u n hom m e, doit avoir été conçue dans un lupanar, pétrie du sang et de la chair d ’une bacchante. Cependant contre cette v ertueuse, énergique et très sainte m onogam ie s’élèvent de toute part de très rudes obstacles ; ils sont dressés contre elle de tous côtés p ar les ad versaires form idables q u ’elle rencontre à chaque pas. Adam a trouvé son Eve; Eve a trouvé son Adam, m ais parm i les baisers de ces deux am o u reux, que d ’ennem is, que de barrières, que d ’abîm es! Adam aim e Eve; Eve aim e A dam ; où peut-on trouver quelque chose de plus simple, u ne affinité plus intense, u n fait plus fatal que leu r réu n io n ? Cependant avant de se baiser, ces deux infortunés doivent im plorer licence des préjugés de l’hypocrisie, des convenances, de l’hygiène, de la m orale, de la religion, enfin et su rto u t de l’argent, aussi n ’arrive-t-il pas une fois s u r cent que nous nous entendions répondre « oui » p ar toutes ces autorités supérieures, qui ont u n droit de veto s u r notre sentim ent. Le rossignoîct a vu sa compagne ; parm i le feuillage plein d ’om bre d’un aune il lui a adressé son chant d ’am ou r le plus te n d re ; elle en est a m o u re u se; au jou rd ’hui ils dorm ent h eureux de s’aim er ; dem ain ils tro u veront des ram eau x flexibles et des mousses m ortes pour en tresser u n nid ; n u l besoin p o u r eux de m ariage civil, de m ariage religieux, de contrat de m ariage ! Mais m alh eu r à l’h om m e qui se fierait à la n ature p o u r tresser son nid ! Les lendem ains de son a m o u r seraient m audits p ar la fam ine, et la scrofule, le rachitism e tueraient les enfants nés d ’une union à laquelle aurait m anqué l'assenti m ent de l’argent. Plus loin nous étudierons les terribles contrastes du m ariage et de l ’am ou r ; au jo u rd ’h ui, il convient d’observer com m ent la puissante énergie de la jeunesse se plie et se déforme sous le choc im prévu de tant d’écueils et d’im pedim enta. Du choc de deux forces contraires nait une décomposition de m ouvem ent, une transform ation d ’énergie ; de m êm e l’am o u r p u r, vierge et puis san t qui, à peine sorti du sein b rû la n t de la Ma ture, trouve le barrage hérissé des em pêchem ents sociaux et se h eu rte contre eux, écum e et re to u rn e en arrière en en traîn a n t dans son cou ra n t u n e ch arretée dé graviers, de roches et de lim on arrach és à l’obstacle p ar le choc enragé d ’une telle force et d’une si grande résistance. Veuille la forlune q u ’en cette p rem ière rencon tre l’am o u r ne souffre que de douleur ! Les la r mes ont béni les am ou rs p a r m illiers et les ont baignées d ’une douce rosée. Mais dans le choc im pétueux d’un p rem ier am o u r contre Pécueil cruel des résistances sociales, une foule de for ces neuves et toutes b arbares surgissent de la décomposition des m o u v em en ts co n traires, et mille transactions de conscience souillent jusque dans ses langes l’am ou r nouveau-né, l’h u m ilia n t de la tare d’u n péché originel. La toute prem ière transaction de conscience d ’un jeu ne hom m e p u r et am oureux que la so ciété em pêche de vivre m onogam e, est celle qui consiste à partager l’am o u r en sentim ent et vo lupté; p ar là il tente de garder p u r son cœ u r et de lui élever u n temple u nique, tandis q u ’il sacrifie à la lux u re su r les cent autels d ’une Vénus vaga bonde. Cependant celte division de l ’a m o u r sem ble aux plus fins et aux plus vertueux am ants un accord très sage, u n m iracle d’art, l’idéal de la m oralité joint à la satisfaction des plus ardents besoins du cœ ur et des sen s; après quelques escarm ouches et quelques larm es, d’aucuns s’at tard en t dans cette transaction de conscience, s’en accom m odent com m e d ’un carrosse m al fait, m ais dans lequel il convient p o u rtan t de se résigner à faire un long voyage. Les am an ts les plus déli cats, les plus vertueux, aspirent cependant de loin au jo u r fortuné où toute hypocrisie sera renversée, où l’am ou r physique et l’am o u r m oral réunis donneront le droit de construire u n nid dans lequel le sentim ent et la volupté se tiendront fidèle compagnie. En attendant on m arche entre une réticence et u n m ensonge : le cœ ur à la déesse de l’autel, le corps à la câlin. Les jeunes gens qui trop facilement se résignent à celte vile et honteuse capitulation de conscience sont cruellem ent punis p a r leur p ropre faute, car ils ignorent les plus riches et splendides trésors de l ’am o u r juvénile. Ne mentez pas, ne trahissez pas, ne cherchez pas votre am ou r dans la fange, m ais dans le ciel, puis abandonnez votre cœ ur et vos sens au courant qui vous em porte en paradis. Respirez tous les parfum s, cueillez tous les fruits d ’un jard in où n ’entre jam ais le vent du nord, où p o ur u n pétale qui tombe, s’ouvrent p ar centaines de nouvelles corolles. Soyez riches, soyez géné reusem ent riches; au m oins une fois dans votre vie, soyez dieu ; m ôm e aux plus m isérables créa tures, la n ature concède une jou rn ée de printem ps; su r la tête du d ernier des hom m es elle tresse u ne guirlande de fleurs. Souvenez-vous q u ’il n ’est pas d’écrin où l’on puisse enferm er une heure de soleil, ni d ’artifice dans la chim ie qui sache con server une rose fleurie. Il est heureux le jeu ne ho m m e qui n ’a pas sou m is l’am o u r à la série des capitulations que j ’ai indiquées, il aim e ardem m ent, avec prodigalité, avec splendeur. Son am ou r, c ’est un jo u r de soleil au mois de m ai, un jour sans nuage, sans froidure, sans d o u le u r; c’est une fête qui ne connaît ni ennui, ni fatigue, ni désillusion. Il vit parce q u ’il aim e ; il aim e parce q u ’il vit ; il aim e, aim e et aim e ; il ne pense à rien autre et ne fait rien a u tre ; il ne se plaint pas, ne prévoit pas, ne trem ble ni ne calcule; il aim e, aim e et aim e! Il brûle son encens devant la déesse, m ais il est c h a s te ,e tp re sq u ’ignorant de la volupté; parfois il est assez p u r p o ur faire ro u g ir la fem m e de trente ans qui aim e déjà avec trop de science. Il ne m esure ni ne pèse. Qui donc a jam ais osé réduire p a r le calcul la force d ’un éclair ou les kilogram m ètres d’un trem blem ent de te rre ? Or, les am ours d’un jeune hom m e sont éclairs ou trem blem ent de terre. Le jeu ne h om m e est peu jaloux ; il l’est, m oins en tout cas que l’adulte ou le vieil lard ; pour douter il est trop confiant, trop heu reux, et du reste il n ’en a pas le tem ps, les cruels calculs de la suspicion et les longues observations dissim ulées exigent des loisirs infinis q u ’il ne prend pas ; il est trop occupé. II doit aim er, et il aime, aim e, aim e. Un perpétuel sourire lui fleu rit les lèvres; u n rayon de soleil s’est fixé au m i lieu de son front et le dore d’une auréole de béa titude. Demain, po ur lui, n ’existe que sous la forme de la continuation de la félicité d’a u jo u r- d ’h u i; l’avenir est une continuation du désir du présent. 11 ne se souvient pas du passé, il croit de bonne foi q u ’il a toujours aimé sa déesse môme quand il ne la connaissait pas. Il croit à l’am our inné comme Rosm ini croyait aux idées engen drées. Il est h eureux ! Si le jeu n e hom m e est le plus puissant, le plus ard en t am oureux, l’h om m e adulte est l’am ant le plus habile. L’usage et l’abus de la vie ont ém oussé ses ongles, ont attiédi quelque peu le bouillonne m ent de sa passion ; m ais la sotte im patience, la trop grande tim idité, l’éruption subite du désir ne m ettent plus obstacle à la bienheureuse pléni tude de son am our. Il aim e avec sagacité, avec passion, avec infiniment d’art ; cent fois plus li bertin que le jeu ne hom m e, il est aussi plus délicat et plus riche de goûts exquis qui appartiennent au m onde de la pensée. Le je u n e am an t est u n sauvage nu et souvent sans force ; l’am an t adulte est u n h om m e civilisé p ar une longue expérience et vêtu des vêtem ents de l’art. Scs sympathies plus spontanées sont p o ur des fruits verts, pour des fleurs encore renferm ées dans le virginal, épineux calice de l’innocence et de l’ignorance; m ais il aim e volontiers aussi la fem m e libre, la veuve, la fem m e m è re ; il est essentiellement éclectique. Ses joies sont plus rares que dans la jeunesse, m ais elles sont plus chères, u n tantinet d ’économie qui rase presque l’avarice, les rend plus savoureuses. Il sait que les heures lui sont comptées, et chaque pièce de m onnaie q u ’il dé pense est p ar lui accompagnée d’une caresse ou d ’un reg ard plein d ’affection et de regret. Riche de passé, m ais très pauvre d ’avenir, il concentre su r le présent tous ses soins, toute sa patience et son attention. Il est le plus habile, le plus savant m aître d’am ou r, et quand la santé et la fraîcheur du cœ u r ne lui m anquent pas, il peut éveiller d ’ardentes passions et les conserver longtemps. La fem m e s’enquiert m oins que nous des cheveux blancs et des actes de baptêm e ; elle se sent aimée vigoureusem ent, ardem m ent, elle oublie volontiers deux ou trois lustres d’âge. Dans l’am our de l’adulte pour la jeu n e fem me, on sent toujours une bienveillante et douce pro tection, une affection quasi paternelle, pleine de tendresse et d’élans généreux. Ce caractère de l’am ou r m û r tend à lui enlever quelques-unes de ses plus chaudes, de ses plus voluptueuses expan sions et refroidit l’explosion volcanique de l’am o u r juvénile; m ais la protection paternelle qui ten drait facilem ent à devenir de l’autorité et à dé truire la parfaite égalité des deux am ants, est tem pérée p a r une défiance de soi-mème profonde et cachée. L’h om m e jeu n e sollicite l'am o u r à genoux, mais il y avait un droit légitime et souvent de l’h u m b le position d ’un pauvre qui dem ande l’a u m ône, prosterné dans la poussière, il se dresse tout à coup, exigeant avec force, de la beauté, du génie, d elà passion, ce que p ar l’h um ilité il n ’a su obtenir. L’hom m e m û r, au contraire, a perdu beaucoup de droits, aussi demande-t-il avec une plus grande modestie, avec une réserve pleine de grâce et de délicatesse. Souvent il im plore avec une tendresse si ardente, su r un ton si suppliant, q u ’il devient difficile de lui dire non. La conti nuelle alternance d ’une autorité qui enseigne et d ’une autorité qui im p lore, donne à l’am ou r adulte la teinte la plus caractéristique, la m arq ue la plus saillante. Et quand la pauvre n atu re dro guée par l’a rt a su conquérir l’am ou r, la pré cieuse passion s’im plante profondém ent et pousse ses racines aux plus intim es replis du cœ ur. L’a dulte a des passions tenaces et n u l n ’est plus fidèle que lui en am ou r. Il est, à conditions éga les, le m eilleur m ari et ce n ’est pas seulem ent p ar égoïsme que l’époux cherche une fem m e de quelques années plus jeu n e que lui. L’hom m e vieillit plus tard, et deux tout jeu n es gens ne s’u nissent pas sans co u rir au-devant du plus grave danger. L’h om m e cependant est u n arb re assez robuste et vigoureux p o ur rarem en t m o u rir tout entier, et dans le vieillard presque toujours l’unique r a m eau de la lu x u re d em eure vert. C’est alors que l’économie de l’adulte devient avarice, la lu x u re, débauche, et que l’am our se plie à des formes inouïes, libériennes et caligulesques. La luxure des vieillards se réchauffe dans le lit b rû la n t des aphrodisiaques et dans la chaleur ardente du vice, tel u n cham pignon cultivé p ar les fétides artifices de l’agriculture et dont les fruits de loin puent la couche de fuinier sur laquelle ils ont poussé. Il ne faut pas donner le n om d ’am ou r à ces débauches, m ais il convient de les baptiser m archés am oureux, prostitutions de l’innocence aux calculs des probabilités de la vie ou de l’hé ritage prochain. Pourtant quelques am oureux très puissants traînent ju sq u e dans l’extrêm e décré pitude l ’om bre du désir et d ’une virilité boiteuse et, com m e les anguilles, vont frotter leu r ventre ignoble dans la chaude fange des plus has-fonds so ciaux ; et ju s q u ’au dernier soupir effeuillent d ’une m ain de squelette des buissons de roses et ach è tent à un prix exorbitant u n « je t’aim e » plus glacé que la neige, plus faux q u ’un jeton. De m ôm e la fem m e de trente ans aim e avec modestie, avec une tendresse profonde, une reli gieuse fidélité, une sagesse avare. S’il m ’était p er m is d ’exprim er u n désir audacieux, je voudrais aim er une jeu ne fille et être aim é d ’une fem m e m û re qui com m ence à avoir besoin du crépuscule du soir et des lum ières sans éclat. L’hom m e qui vieillit est u n tronc su r lequel chaque jo u r se dessèche un ram eau et d ’où cha que souffle de vent détache une poignée de feuilles jaunies. Quand tout entier l'arbre est m ort, alors des ruines de l ’am o u r surgit une implacable haine po ur qui aim e ou bien est aim é ; et les cruelles inquisitions dom estiques, une p osthum e et rid i cule ostentation de continence forcée et de p u deur momifiée em poisonnent l’existence du vieillard intolérant, qui se venge s u r les jeunes de la m ésa venture de ne pouvoir plus aim er. Elle est inexo rable la loi qui condam ne ceux-là aux mystiques mais rageuses m éditations de sacristie, com m e si, dans tous les temps et dans tous les pays la dernière étincelle de la luxure qui m e u rt devait servir à allum er un cierge jau n âtre su r l’autel de la superstition. Combien m alh eu reu se la pauvre fillette qui doit ouvrir les pétales de ses roses aux côtés d ’une vieille bigote grognon et qui d’am ou r fait le synonym e de luxure, et dans ce sentim ent ne voit que le péché. La déform ation imposée à u n pied chinois est m oins cruelle que la contor sion forcée subie par u n am ou r jeu ne élevé dans les griffes crochues et sales d ’un bigotisme into lérant. Donc l ’hom m e d’un type élevé peut aim er ju s q u ’à l’ultim e vieillesse; m ais alors toute luxure éteinte, tout droit de conquête abdiqué, l’am ou r s’élève aux plus hautes sphères du m onde idéal et devient une sublim e contem plation du beau fém inin. Devant la virginale et héroïque g randeur de Jeanne d ’Arc, ou devant la succulence sen suelle de la Phryné de Bazarghi, devant les form es graciles d ’une jeu n e fille de quatorze ans ou les contours opulents et sereins d ’une m atro n e, le vieillard vénérable, sans am oin d rir cette épithète ni m a n q u er aux convenances, se sent atten d rir, — et parfois, sous la caresse enfantine ou pleine de compassion que lui fait une fem m e, il sent ses cils se m ouiller et il invoque, lui croyant, les bénédictions du ciel sur la plus belle et la plus chère m oitié de l’hum aine famille. De m êm e que le vieillard peut aim er une jeune fem m e, la vieille fem me peut aim er un jeu ne h o m m e; m ais son am ou r doit êlre une sereine contem plation du beau, u n suave souvenir de joies longuem ent possédées, une aspiration ardente vers u n idéal q u ’elle aim e toujours parce qu elle ne le possé dera jam ais. Oui, le vieillard chauve, sans offenser la p u deur de celle qui ne peut plus être sienne, peut caresser avec une paternelle tendresse la chevelure d ’Ève ; il peut, en elle, adorer la plus splendide m anifestalion des forces esthétiques de la n a tu re ; il peut encore réchauffer ses froides fantaisies au feu ardent de ses am ours d’antan, et sans envie, sans plainte, dire avec une douce com plaisance : « Moi aussi, j ’ai fait m on devoir. A ujourd’hui, faites le votre. J’ai aim é sans sem er de rem ords p o ur m a vieillesse. Faites en sorte de m ’im iter. » CHAPITRE XVII L ' A M O U R E T L ES T E M P É R A M E N TS. — DE S M A N I È R E S D’ A I M E R . Je ne reproduirai point ici pour la centième fois, l’ayant exposée déjà dans nom bre d ’écrits petits et grands, la critique des tem péram ents tels q u ’ils ont élé définis depuis l’antiquité; tout le m onde n ’a point adopté m on essai de classifica tion, m ais tout le m onde est d ’accord avec moi pour adm ettre que les tem péram ents ont fait leur temps, et que la m édecine, l’hygiène, la psycho logie e m p ru n ten t aux progrès de la physiologie m oderne les élém ents qui peuvent définir, sui vant là science, les caractères physiques et m o rau x d’u n être h u m ain . Contre cette insuffisance actuelle de la physiologie, j ’ai protesté p ar le changem ent du m ot tempérament en celui de constitution individuelle, innocente vengeance de tous les hom m es qui, ne pouvant changer la chose, satisfont à leu r colère en changeant le nom . Tout h om m e a sa m anière d ’aim er, et de ce que, à l’am o u r on reporte le plus grand nom bre possible d’élém ents psychiques, il résulte que les am ours de l’hom m e diffèrent entre elles beaucoup plus que ses haines, beaucoup plus que ses m a nières de m anger, d ’aller, de vouloir. Plus l’on descend des ram eau x vers le tronc, plus les élé m ents h u m ain s se ressem blent; plus au contraire on rem onte vers les hautes branches de l’arbre, plus ces m ûm es éléments divergent ou se différen cient. Demandez à une fem m e galante ou à un Don Juan combien sont les m anières d’aim er; ils vous répondront tous deux, non seulem ent que chacun aim e d ’une m anière différente, m ais encore que ces m anières sont si profondém ent différentes l ’une de l’au tre q u ’il sem ble ridicule d ’appeler du nom d ’un sentim ent u n iq u e tous ces m odes d ’aim er variés à l’infini. A la vérité, certains au teu rs se sont am usés à décrire u n am our sanguin, u n am our nerveux, u n am our lymphatique, u n amour hépatique; m ais ces peintures ne sont que jeux innocents, q u ’arabesques folles su r l’épiderm e de la nature h um aine, et les écoles de philosophie ou de litté ratu re qui se succèdent entre elles effacent ces ornem ents sans q u ’il en reste le m oindre vestige. Alors m êm e que parfois de la peinture d estem péram ents, on arriverait à faire naitre une véri table famille de constitutions hum aines, il serait encore fort difficile d ’y faire en trer toutes les form es de l’am our. Les m illiers de cases de la mosaïque rom aine suffiraient à peine à classifier les teintes innom brables q u ’u n œil exercé p a r vient à y distinguer, mais quel est celui qui possé dera jam ais une palette assez gigantesque p o ur q u ’on y puisse étendre toutes les im pastations polychrom es, toutes les couleurs simples et com posées, toutes les nuances protéiform es que p ro duit la lum ière hum aine au travers du prism e puissant de l’am our? Mettez au pillage le plus volum ineux vocabulaire de la langue la plus riche du m onde, notez tous les adjectifs aimable et grossier, réservé et échevelé, humble et hau tain, aveugle et pipeu r, et vous verrez que tous ces trésors du langage sont insuffisants à revêtir toutes les form es de l’am ou r. Et c’est p o ur cela sans doute que d ’aucuns, trop am ou reux de l ’étude de la philosophie com parée, absorbent tous les qualificatifs propres à l’am o u r sans pou voir atteindre au critérium expérim ental. La question de la quantité d ’am o u r que peut éprouver u n individu est la plus facile à résoudre, elle est cependant aussi peut-être l’une des plus im portantes. 11 y a dans tout problèm e psychique u n élém ent quantitatif; et puisque cet élém ent est le plus sim ple, le plus apparent, et, je dirai presque, com m e le squelette du phénom ène, il convient évidem m ent de le p rendre po ur fil con ducteur dans l’exploration de l’inextricable nœ ud de ces études. Nombre d ’hom m es, m êm e d’esprit élevé et de noble cœ u r, se sont plus d ’une fois dem andé avec sincérité s’ils étaient capables d ’aim er; c’est q u ’ils ignoraient tout ce m onde de m ystères et d’ard eu rs q u ’ils voyaieut décrits en m aints livres ou q u ’ils entendaient de la bouche d ’am is am ou reux. A ceux-là, m on livre, bien q u ’il s’efforce de n ’être autre chose q u ’une étude physiologique, p o urra sem bler une exagération, une caricature de la n ature h u m aine. Or bien, ce sont là am ou reux pauvres et débiles. Pour eux, l ’am ou r est u n p ru rit interm ittent, qui riait à dix-huit ans et se term ine à quarante, au plus tard à cinquante; p ru rit tantôt ch arm an t, tantôt ennuyeux, et qui ne se peut m oralem ent g uérir que p ar une seule médecine, la fem m e. Cette m édecine, disons-leleur, est cent fois pire que le mal, et il convient de réfléchir m û re m en t et longuem ent avant de se décider à choisir entre le p ru rit que les poètes appellent Y am our et cette au tre lourde charge que les naturalistes appellent la femelle de l'homme et les dictionnaires m usqués la Dame. Que ces ennuques d u sentim ent d’a m o u r préfèrent la fem m e, ils peuvent trouver que cet objet anim é, si sem blable à eux-m êm es, est égalem ent aimable et sym pathique, et alors une douce et chère habi tude de bonté les liera à cette com pagne q u ’ils aim ent, q u ’ils aim ent sincèrem ent, à leur m a nière s’entend, paisiblem ent, p ru d em m en t, tra n quillement. Ces m alheureux ont en vérité raison de se d em ander si ce q u ’ils ressentent est de l’a m o u r; ils ont aussi mille fois raison de dem an der aux véritables am oureux : Expliquez-moi donc un peu ce q u e s t l'amour. La lune répand de la chaleur, la rain e s’étend à la c h aleu r; de m êm e ces gens aim ent. L’am o u r pacifique, l ’am our petit et froid (appe lez-le com m e vous le désirerez), n ’est pas ex clusif au mâle, il offre des form es plus p ar faites, quoique plus rares aussi, chez la fem m e. L’hom m e, pour faible am oureux q u ’il soit, ne peut oublier la m ission de son sexe, qui le con traint à attaquer, à assaillir, à com battre le com bat qui doit le m ener à la conquête. La fem m e, au contraire, si tant est q u e lle soit née eunuque, n ’a nul besoin de livrer à son compagnon la m oindre attaq ue; elle peut parfaitem ent, s’il lui plait, renoncer à la fatigue de to u rn er les yeux vers l’am an t ou de rem u er les lèvres p o u r lui dire u n oui; il suffit q u ’elle se laisse aim er! Quelles lym phatiques délices en ce peu de m ots. Se laisser aim er! laisser à l’au tre toute la fatigue de la tim idité vaincue et de la p u d e u r violée; toute la stratégie et toute la tactique de la vio lence m orale; laisser à l'au tre toute la fatigue et se réserver la seule volupté d ’e n tr’ouvrir la porte, ou m êm e de la faire en tr’ouvrir. Se laisser aim er ! Quelle béatitude esthétique, royale et dom ina trice! Quelle volupté de mollesse berçante et dési rable! Quelle chaleur exquise de douces caresses! Et puis, n ulle responsabilité pour l’avenir d ’une passion qui n ’a jam ais été avouée, aucun orage, u n lac tranquille, sans tempête, sans flux ni reflux. Et si le cœ u r bardé se perm et la licence d ’une palpitation inquiète, vite u n cataplasm e de ligues cuites po ur le rem ettre dans la règle; et la p u d e u r pour justifier les perpétuels refroidisse m ents; et la vertu p o ur justifier l’absence des baum es. Oh ! pourquoi le ciel ne nous a-t-il point tous bâtis avec cette pâte pectorale de jujube? Pourquoi ne pouvoir réd u ire l’a m o u r à u n p ro blèm e d’hygiène, à u n régim e? De ce zéro de l’échelle am oureuse l’on m onte peu à peu dans le pyrom ètre, ju s q u ’aux degrés les plus élevés auxquels tous les m étaux fondent et se volatilisent, et l’organism e tout entier se tran s form e en une vapeur incandescente qui incinère tout ce q u ’elle touche. Là, il est de terribles am oureux, qui ont aim é avant que d ’ètre des hom m es, et qui aim eront encore quand ils ne seront plus des h om m es; là, il est des fem mes qui ont aim é dès l’instan t où elles sont nées dans le ventre m aternel, et qui aim eront encore dans la bière où seront enferm ées leurs chairs m o rtes; là, il est des hom m es et des fem m es p o ur les quels toute affection pren d une form e sensuelle et que l’am ou r em boit com m e une écum e née dans la profondeur salée des m ers tropicales. Ils n ’ont ni le tem ps ni la patience d ’attendre, ils aim ent la prem ière venue, leur prêtent leu rs ardeurs et leurs fantaisies, puis, découragés, non lassés, ils en aim ent u n e autre, et toujours aim ant plus qu'ils ne sont aim és, ils vivent avec une perpétuelle soif jam ais assouvie, bien h e u -' rcux si parfois ils parviennent à se satisfaire par ces am ours successives, car le plus souvent ils se jettent dans la polygam ie conlem poraine, où à force de sophism es, de réticences, de transactions de conscience, ils aim ent l’une de cœ ur, l ’au tre de penser, et toutes de sens. Ils ont u n prem ier am our, u n unique am ou r, unvéritable am o u r ; m ais trop souvent ils l’oublient, et baptisent de ce nom une foule d ’am ou rs diverses, et, tels que les pieuvres, étendent leurs cent bras, avides et su çants, su r les chairs chaudes et succulentes de l ’être fém inin. Parm i ces polygames, d ’au cu n s aim ent seule m ent avec le cœ ur, d ’autres avec les sens, et ce n ’est q u ’à quelques titans que la n atu re accorde le triste don d’une double soif d ’affeclion et de volupté. E ntre ces deux pôles, qui m a rq u e n t les lim ites extrêmes de l’intensité am oureuse, se débat l’in nom brable foule des hom m es qui ne sont ni Don Juan ni Joseph d ’Égypte, et des fem mes qui ne sont ni Messaline ni Jeanne d ’Arc. Outre les diverses vigueurs des besoins am o u reux, le sentim ent que nous étudions ici revêt des caractères divers, suivant que la passion est plus énergique dans l ’individu et q u ’elle donne à l’am ou r une em preinte superbe, hum ble, égoïste, vaine, furieuse, jalo u se.... A utour de ces assem blages binaires d’am o u r et de superbe, d ’am ou r et d’égoïsme, d ’am ou r et de vanité, il vient se grouper ensuite une telle quantité d ’éléments m oindres, q u ’une affinité inoinsénergiqueparviendrait cependant à en form er un tout homogène qui p o urrait s’appeler le tempérament d'amour ou la forme constitutive d'amour. J ’essayerai d’en esquisser quelques-uns pris su r le vif. Am our tendre. — C’est u n am o u r q u ’éprouvent plus particulièrem ent les hom m es dont le carac tère est doux et tranquille, avec des contours évanescents et peu de reliefs. L’énrotion les prend à la m oindre cause, leurs larm es sont toujours prêtes à couler au p rem ier m ouvem ent de joie ou de douleur, une compassion perpétuelle, une tendresse insatiable noient leurs déclarations d ’am ou r, leurs ardeurs de volupté, leurs explo sions d’affection, en une très - douce, m e r de lait et de m iel. L’am ou r ten dre est suppliant, lar m oyant, fidèle ; il touche fréquem m ent aux con fins de l’am ou r sensuel, m ais il n ’y entre jam ais à pleines voiles. C’est u n am o u r souvent constant, d ’une foi certaine, presque im m uable, com m e une am itié antique et sereine; il se n o u rrit de pleurs, ou tout au m oins de larm es et de m ièvreries, et trop souvent soupire, sanglote, crie. Il a cepen dant d ’exquises expansions q u i , bien q u ’inter m inables, sont fécondes en joies intenses, en réconforts doux, et m ène à la bienveillance u n i verselle, à la philanthropie, au pardon des offenses. C’est u n am ou r évangélique, chrétien, qui aime la caresse plus que le baiser, et préfère les longs baisers aux combats soudains. Ses formes les plus esthétiques se trouvent chez la femme,- à qui l’on pard o n ne aisém ent une certaine faiblesse et qui peut encore s’évanouir sans tom b er dans le ridi cule. Ceux qui aim ent de cette m anière sont les hom m es blonds à peau fine et rosée, les Alle m ands, les scrofuleux. Am our contemplatif. — Un g ran d sens esthé tique, une irrésistible tendance à l’inertie, peu de besoins génitaux, constituent le terrain sur lequel germ ent et prospèrent les diverses formes de l’am ou r contem platif. C’est u n am o u r élevé, trop élevé m êm e; il tient du m ystique et du su rn a tu re l; l’am ant place son idole très h au t et se prosterne devant elle, lui prodiguant toutes sortes d 'adorations et d’encens. L’am ou r contem platif a son siège dans les lobes antérieurs du cerveau; il ém erge faiblem ent des profondeurs du cœ ur et effleure à peine les chaudes ondes de la volupté ; il vit d ’extases et de contem plations et fait de l’être aim é u n dieu ou une déesse, oubliant trop souvent que sous le dieu se cache u n hom m e et que sous la déesse vit une fem me. Ce sublim e oubli fait de cet am ou r l’am ou r le plus cornu qui soit, car la n atu re ne peut im puném ent s’ignorer ou s’offenser; et tandis q u ’il contem ple et q u ’il adore à l’intérieur du tem ple, l’am o u r batailleur et vo leu r profane le tabernacle et viole la divinité. L’am o u r contem platif réside su r les frontières de la pathologie; il est propre aux hom m es exaltés, m ystiques, hystériques. Dé abusés et trah is, ils accusent l’am ou r de trahison et de fausseté, alors q u ’ils sont eux-m êm es beaucoup trop coupables de leurs douleurs et de leurs désabusem ents. Am our sensuel. — Cet am o u r est l’un des plus ardents, des plus im pétueux, des plus tenaces, car il jaillit de la source la plus féconde et la plus spontanée des affections sensuelles. C’est le plus sincère et le plus puissant, car il satisfait à l’u n des plus naturels et des plus irrésistibles besoins de l’ho m m e ; m ais sa constance repose su r un terrain trop variable, la beaulé, et ses ardeurs sont éveillées p a r u n mobile trop bas, le désir. Il ne m ent ja m a is , il ne revêt point les mille sim arres de l’hypocrisie am ou reuse; il va n u , absolum ent n u , souvent pudique en sa n u dité. Tendre ou effronté, insatiable ou satisfait, tém éraire ju s q u ’à l’insolence, il n ’est jam ais que la terrible attraction de deux grandes unités orga niques, une soif ardente qui recherche le froid surgeon de la m ontagne, le choc vigoureux des deux puissances les plus gigantesques. De volupté en volupté, si la vigueur juvénile ne l’accompagne, il glisse presque toujours dans la luxure, dans laquelle il plonge davantage à chaque jo u r qui passe et à chaque effort qui l’affaiblit et tom be ju s q u ’à la fange la plus im m onde du libertinage dom estique ou de la lubricité vagabonde. C’est un am o u r inépuisable en recherches et en inventions, infatigable en voluptés, et, com m e il est aussi u n artiste sublim e et capable de certaines tendresses nobles, il offre des teintes chaudes et fascinantes Né dans les bas-fonds de l’h om m e anim al, il s’élève bien rarem en t aux hautes sphères de l’idéal et ne connaît ni dignité, ni délicatesse, ni héroïsm e; il est m êm e hum ble ju s q u ’à la lâcheté, im m onde ju s q u ’à la nausée. 11 accepte la volupté sans l’a m o u r, com m e il accepterait u n os à ronger. Peu lui im porte d’arriver à la volupté p ar l’unique voie m orale de l’am o u r ; il l’accepte à la rig ueur par cette voie, m ais il la recherche p ar tous les moyens possibles ; il conquiert, vole, achète l’a m o u r ; il le dem ande en prêt, il le p ren d sous une signature fausse. Pour que son insatiable désir soit satisfait, l ’am o u r sensuel se fait interm édiaire ou en trem etteu r aux autres am ours, il fait l’u su rier, le ladre, le faussaire avec la m êm e indiffé rence. Cet am o u r est presque toujours m asculin ; chez la fem me le libertinage se cache toujours sous u n vêtem ent splendide de sentim ent, qui sert à voiler et à contenir sa trop insolente nudité. Am our féroce. — Peut-être l’expression qui dé signe cet am o u r est-elle plus violente q u ’il ne con viendrait, m ais en traçant u n tableau psychique, on tend toujours irrésistiblem ent à en exagérer les nuances et les contours et à le faire plus expressif que la nature. Un grand développem ent du senti m ent de la propriété, rehaussé p ar une grande estim e de soi-m êm e, joint à certaine impétuosité de caractère, telle est la cause la plus naturelle de toutes ces am ou rs violentes que j ’em brasse sous la dénom ination co m m u n e d'am our féroce. Il n ait presque toujours com m e u n volcan fait éru p tion, et est accom pagné de tant de tem pêtes et de secousses d ’affection, de tant de bonds d ’énergie, q u 'il fait p resq u e croire q u ’au lieu d ’un am our, c’est une haine qui est née. Ce péché d ’origine le suit toute sa vie et ne finit q u ’avec sa m o rt : on le voit donner des poignées de m ain qui sem blent soubresauts de titan , des baisers qui sem blent m orsures, des em brassem ents qui sem blent hom i cides, on le voit tyrannique sans jalousie, furieux sans colère, insatiable tan t q u ’il possède, car la volupté ne le calm e point et la fidélité ne lui suffit point. Vénus victorieuse et arm ée représente l’am o u r féroce en toute la sublim e g ran d eu r de ses appétits. Si la décence du costum e et la p er fection patiente de l’éducation n ’arrondissaient point ses angles, il apparaîtrait grossier et m êm e b ru tal. C’est ainsi que devaient aim er, dans leurs cavernes et leurs m aquis, nos prem iers pères, alors que, baignant dans le sang des chasses et des guerres, ils s’ensanglantaient encore les m ains p o ur aim er, la fem m e étant la proie du plus fort et du plus audacieux. Comme il est aisé de le penser; c ’est presque toujours l’h om m e qui aim e férocement ; parfois cependant la fem m e connaît cette form e cruelle de l’am o u r, et plus elle aim e son am an t, et plus elle le tourm ente, et plus pro fondém ent elle lui enfonce les serres de la pas sion dans la profondeur des entrailles, afin d ’en sen tir la chaleur et de pouvoir dire en sa volup tueuse fu reu r : Elles sont à m oi! Am our superbe. — C’est u n composé binaire d 'u n équivalent d ’am o u r et de dix équivalents d ’am our-propre. Quand l’am ou r superbe est sa tisfait, q u an d il se trouve dans toute la pompe de son b o n h eu r, il peut paraître pur, g rand, sublim e, m ais à peine l’am our-propre vient-il à surgir, il écum e, se déroule com m e le lim açon ou le ba silic, et m ontre en toute sa nudité brutale la double n ature de son énergie. Dans les instants m êm es oui celte affection est pleinem ent satisfaite, elle ne le tém oigne guère davantage et ne s’ab an donne guère plus à une expansive confession de béatitude; le m êm e m otif pousse le bourgeois à n ’a vouer m êm e jam ais son adm iration pour les choses nouvelles et grandes. L’am ou r superbe s’occupe aussi d’être aim é plus que d ’aim er, il parle to u jo u rs de ses droits et ignore ses devoirs, il est riche d ’exigences et pauvre d ’égards, il fait la roue s’il est h eureux et grogne au m oindre soupçon; c’est le plus jaloux des am ours, et l’un des plus m alheureux, des plus pauvres en chers abandons, en ingénieuses voluptés. Alors m êm e q u ’il est dans la plus secrète intim ité, il ne se déboutonne point, p a r p eu r du ridicule, ou p ar crainte de dé ran g er quelque pli de la cotte em pesée sous la quelle il se cache; il n ’accorde jam ais le p rem ier nne caresse, il l’attend com m e u n droit et u n de voir; c’est u n am o u r qui, p o u r être approché, exige tant d’égards, tant de cérém onie, tant d ’éti quette, q u ’il lasse vite et ennuie souvent. Il exige la fidélité, non point com m e une douce réciprocité d ’affection, m ais com m e u n droit de sa propre dignité ; et pardonne facilem ent les fautes que le m onde ignore : c’est u n am our stérile, arid e, m aladif. A m our grincheux. — Par ses origines, cette form e de l’am o u r se confond souvent avec celle qui précède ; cependant elle est encore plus m isé rable et appartient de plein droit à la pathologie du cœ ur. C’est u n am ou r qui peut être sincère, tendre et passionné, m ais il est tellem ent irri table et grognon, q u ’il suffit d’un m oustique pour le m olester ou d ’u n caillou sous les pieds p o ur le faire crier à la m aie heure et à la trahison ; sem blable à l ’ancien épicurien, il ne peut d o rm ir s’il sent le pli d’u n pétale de rose. Comme toutes les affections hum aines, il recherche le b u t de ses aspirations, m ais il ne l’atteint jam ais, parce que les soupçons, les susceptibilités, les peurs l’obsè dent à chaque pas, lui arrêtent la parole s u r les lèvres, lui coupent les bras à chaque em brasse m ent, éteignent ses flammes à peines écloses. Je com pare cette affection à u n saint Barthélém y qui m arch e à travers les ronces et p ar les rochers hérissés de pointes, et c’est po ur cela que je lui ai donné ce nom bizarre et nouveau d 'Amour grincheux. Les Français l’appelleraient Am our m auvais coucheur. C’est peut-être le plus infortuné de tous les am o u rs; car, outre les m aux inévi tables et inhérents à toute fille d’Ève et à tout iils d ’Adam, il s’en forge de particuliers et les grossit à travers la loupe de la fantaisie la plus m alheureuse. L’am ou r grincheux est u n fatal alam bic qui transform e les pétales de rose en feuilles d ’ortie, le miel en absinthe, le parfum en féteur, les mets en poison. Si on le baise, il se plaint que les baisers soient trop violents ou trop tiôdes ; si on le caresse, il se dem ande à soi-même si la caresse n ’a pas eu u n m otif ca c h é; ju sq u e dans l'extase de la création, il va dem ander au Créateur pourquoi il a fait la lu m ière si tôt ou si tard. Qui est aim é de ces m a l heureux a toujours le droit de leur répéter les paroles de la courtisane de Venise au m isérable et fol philosophe de Genève : Zaneto, Zaneto, ti non ti xe fato p er fa r a l'am or! Et p o urtan t ces m alh eu reu x aim ent et ils aim ent profondément. Et c’est une gloire enviable aux puissants am ants que de les g u érir et de les vaincre, ju s q u ’à le u r faire confesser qu’au m oins une fois en leur existence ils ont été aim és véritablem ent, fidèle m ent, ardem m ent. C’est u n des plus adm irables triom phes de l’art d ’a m o u r que de trouver un tissu si fin q u ’il puisse toucher les chairs pelées de ces pauvres m alh eu reu x , et de leur créer une atm osphère artificielle dans laquelle ils se puissent m ouvoir sans h u r le r , respirer sans tousser et vivre sans m a u d ire la vie. Toutes ces form es de l’am o u r, que j ’ai faible m ent ébauchées, ne se ren co n tren t que rare m en t dans la n ature à l’état sim ple; elles se compli quent et s’enchevêtrent entre elles p o ur form er m ille dessins, une véritable m ine de jouissances p o u r l’artiste, u n véritable trésor de tourm ents p o ur le penseur. Aucun ho m m e n ’aim e com m e u n autre hom m e, au cu n n ’aim e parfaitem ent, ainsi que le type d’un am o u r sublim e en peut être idéalisé dans les régions pensantes de notre cerveau. A la parfaite harm onie d ’u n am ou r il m anq u e une note de sensualité ; à celle d ’un au tre, u n ton d ’énergie ; tel am o u r est trop in quiet, tel autre trop languissant, u n troisièm e trop violent. Et ceux-là sont les plus fortunés qui ont en soi une juste m esure de volupté, de s e n tim ent, de poésie; et encore ceux-là qui sont aimés ard em m en t et tidèlement aspirent-ils à u n a m ou r plus parfait que celui q u ’ils possèdent, m eilleur que celui q u ’ils reçoivent, et si celte soif idéale ne les porte pas à violer le pacte de fidélité, il n ’y a point à s’en plaindre, car l’am o u r aussi subit la loi com m une de tendre plus h au t, d ’as p irer toujours vers des régions plus pures, plus riches en splendeur, plus chaudes en ardeurs. Dans l’aube du m atin, l’am ou r attend la chaleur du m idi; dans Tardent étouffement du jo u r, il attend le frais crépuscule du soir. Il est fait de telle sorte, q u ’il excite hom m es et choses, m atière et force vers Tau-dessus, et le bonheur du m o m ent présent attend une volupté plus intense du m om ent à venir. Si cette soif insaliable du m ieux s'éteignait en nous, ce serait l’arrêt de la vie ; si en nous s’éteignait l’irrésistible désir d ’un am ou r p lu s élevé, ce serait que, p o ur nous, com m e pour l’aveugle, se ferm eraient subitem ent tous les idéals olympes où convergent les buts infinis vers lesquels sont tournés les reg ard s et les actes de l’hum aine famille. CHAPITRE XVIII L'ENFER DE L'AMOUR La douleur, qui est si fertile en déchirem ents et en tortures, qui dans ses variétés est infinie com m e les grains de sable de l’océan et profonde com m e ses abîmes, la douleur a réservé ses plus grandes am ertum es et ses plus cruels tourm ents à l’am ou r. Et il en devait êlre ainsi : la passion la plus ardente doit tran sir du plus grand froid, la passion la plus profonde doit tom ber dans les abîm es les plus cachés, la passion la plus riche en joies doit êlre la plus féconde en douleurs. Du souffle fugace d ’u n soupçon plus rapide que l’éclair, plus passager que le m ot écrit s u r la m olle arène de la m er, ju s q u ’à la conscience la plus sûre de la trahison la plus inatten d u e; de l ’im palience de celui qui attend l’espace d’u n instant la personne aimée, ju s q u ’à la longue déses pérance de celui qui ne peut plus l’attendre, l’am o u r épelle toutes les notes du to u rm en t, souffre tous les déchirem ents des sens et toutes les tortures du sentim ent; il pâtit, s’angoisse? pleure, hurle, crie de toutes les larm es, de toutes les blessures, de tous les chagrins, de toutes les plaies, do tous les poisons, de tout le fiel qui peu vent endolorir u n corps et u n cœ u r d ’hom m e. Dans le long sentier que suit l’hu m ain e famille su r sa planète, parm i ceux qui y vont sem ant chaque jo u r leurs ossements, beaucoup et beau coup y ont été terrassés p ar l’a m o u r; et le sui cide, et l’hom icide, et la folie accum u len t dans les nécropoles et dans les hospices une quantité de victimes bien supérieure à celle que signalent les volum ineuses statistiques de nos socialistes. Tout ceci s’entend de ceux qui aim ent avec le cœ u r et avec l’esprit, non avec les seuls sens. Celui qui de l ’am o u r fait une question de régim e et d ’hygiène, se console de la perte de l’am ante p ar une petite larm e et une nouvelle conquête; il g uérit la trahison p ar la trahison, et noie la dou leu r dans la débauche. Je ne m e sens, en vérité, ni la force ni le cou rage d ’accom pagner m on lecteur dans l’abim e de l’enfer de l’ainour. S’il a déjà accompli sa tren tième année, il doit assurém ent com pter dans les souvenirs de son passé quelques heures de déses pérance et quelques nuits d ’insom nie, qui le font frissonner au seul appel de sa m ém oire ; il doit avoir pâti certains tou rm en ts, auprès desquels l’Enfer du Dante peut sem bler une corbeille de fleurs ; il doit constater que rarem en t la n atu re tourm ente u n seul hom m e de toutes les tortures de la passion am oureuse. Il est dans l’h u m an ité des douleurs qui font le cœ u r incapable de sentir d ’autres d o uleu rs; la furieuse impétuosité de l’orgueil jaloux est une cuirasse contre l’am er san glot d ’une souffrance généreuse; et la chaste réserve d ’une n ature pudique apaise la soif ardente de certains plaisirs. Vous m e direz peutêtre que la Providence use de ces contrastes et de ces incom patibilités de d o uleu rs, com m e d’un pieux rem ède à quelques-unes des plus violentes souffrances ; m ais je vous répondrai b rutalem ent que sans en appeler à la Providence, j ’im agine q u ’un lion ne peut être en m êm e tem ps une vipère, ni une sphère u n prism e, et q u ’il ne peut y avoir à la fois fiel et arsenic. Si vous voulez pousser u n peu la porte de cet enfer, et en m esu rer les abiines d ’un rapide coup d ’œil, imaginez d ’une part toutes les espé rances, toutes les voluptés, toutes les richesses de l’am o u r ; inscrivez de l’autre toutes les crain tes, toutes les am ertum es, toutes les m isères qui leu r correspondent. Encore, n ’aurez-vous point achevé, après cette cruelle description en partie double, de la balance d ’am our, car les cham ps de la souffrance sont cent fois plus étendus que ceux, où germ e la joie. La possession physique d ’une fem me est u nique, les tortures de savoir un fruit sous sa m ain et de ne le pouvoir toucher sont m ille; que cet exemple serve pour tous autres. De m êm e que la m o rt est l’antithèse de la vie, devant elle s’ém oussent toutes les pointes de notre orgueil, se hrisent toutes les espérances, se ro m p en t toutes les joies. Dans le délire de la pas sion et de la superbe, nous crions tous à l ’envi : « Mieux vaut m orte que de la voir à u n au tre; m ille fois sous terre plutôt q u ’infidèle » ; et tandis q u ’il lance ces blasphèm es, les lèvres livides, les cheveux hérissés, l’hom m e s’ensanglante les m ains dans les entrailles d ’une victime. Folie et délire! Tempêtes d ’u n cœ u r où l’am o u r et la haine, l’or gueil et l'am o u r, le crim e et la to rtu re se confon dent dans le tu m u lte d’un épouvantable orage. L’am o u r qui aim e véritablem ent, l’am o u r infini, qui transform e l’hom m e en une créature qui souhaite et désire, l’am ou r idéal que si peu sen ten t et que peu trouvent dans un im perceptible serrem en t de m ains, cet am ou r ne connaît point de plus grande to rtu re que la m o rt de l’objet aim é. Oui, vienne l’indifférence, vienne le m épris, vienne la haine, vienne la trah iso n , m ais qu’Elle vive! Qu’elle soit à d’autres, la créature que nous avions crue nôtre, dans les veines de laquelle nous avions transfusé notre sang; q u ’il devienne la cha pelle d ’un au tre dieu, ce temple que nous avions orné de nos fleurs, que nous avions parfum é de l’encens de nos pensers, et du long am our de toutes nos passions; que nos fleurs soient piétinées, que nos couronnes soient écrasées; que tout cela soit repoussé p ar le balai b ru ta l d ’un sacris ta in ; m ais q u 'Elle vive, q u ’il vive le dieu qui séjourne en ce temple, q u ’elle resplendisse s u r l’autel l’idole de notre vie! Poursuivis com m e un fugitif, m éprisés com m e u n galérien, vilipendés com m e u n espion, dans la froide et longue soli tude, nous buvons goutte à goutte un calice de fiel qui n ’a point de fond, et où chaque goutte est plus am ère que la précédente, m ais nous savons qu 'Elle respire Pair de la planète que nous respi rons, m ais nous savons q u 'Elle s’enivre du m êm e soleil qui resplendit pour nous, nous savons que dans les om bres infinies qui vaguent à travers les espaces invisibles, il est u n être au tou r duquel l’air se fait plus doux et la lum ière plus vive; nous savons q u ’il est quelque p art un brin d ’herbe qui ploie sous le poids d’un corps que nous aimons. Non, tan t que respire celui qui aim e de la sorte, l’espérance ne dépouille point toutes ses ailes, et, de loin en loin, plus im palpable q u ’un songe, plus invisible que les espaces célestes, plus inconce vable que l ’éternité, elle soulage encore notre horizon: on n ’v croit guère, on ne l’avoue point, m ais elle vit et nous fait vivre. Mais quand nous som m es vivants et qu’Æ/Ze est m orte, q u an d nous avons encore la lâcheté de vivre, de respirer, de m anger, et q u 'Elle est enferm ée dans l’h u m id ité d ’une bière ; quand le m onde entier existe encore et qu’Elle est m orte; quand la joie des m ille fleurs qui s’épanouissent à chaque rayon de soleil, le babil des m ille oiselets qui chantent l’am ou r, le chœ ur des h eureux qui se pressent et les bénédictions de tant de bon heu rs insultent à ce vide froid et som bre dans lequel n o us nous trouvons suspendus entre un infini de joie qui fut nôtre et u n infini de douleur qui est nôtre, et qui dem ain sera nôtre davan tage, et qui sera nôtre tant que nous aurons la lâcheté de vivre, alors on entrevoit le suicide com m e la suprêm e joie de la vie, com m e le plus sublim e orgueil h u m a in ; alors, on conçoit com m ent l’ho m m e dans u n éclair peut songer à la su prêm e volupté de confondre ses propres chairs avec celles d’un autre être ; alors on conçoit com m ent la fantaisie peut sourire à l’idée de deux cadavres em brassés, à la fusion de deux cendres, à la résurrection de deux existences éteintes dans le parfum de deux fleurs écloses s u r une tom be hu m ain e, et que la caresse du vent rapproche, com m e en u n nouveau baiser. Dans le silence des nécropoles, il est de ces fleurs qui se baisent, auxquelles peut-être répond sous terre le frém issem ent de certains ossements; il est de certaines lèvres s u r notre planète, qui se sont un jo u r étreintes, que la m ort a cruelle m ent disjointes, et q u ’une seconde m o rt rejoint po ur l’éternité. Et si nous survivons, c’est q u ’un nouvel organism e s’est créé en nous, et q u ’a u jo u rd ’hui nous ne som m es plus ce que nous étions hier. Les pensers du passé, la souvenance du passé, tout ce que nous étions hier, est m ort à toujours. Sur le tronc desséché de notre exis tence, la science, le devoir, l’am itié, l’affection paternelle, m aternelle ou filiale, font pousser un nouveau bourgeon qui reproduit l’ancienne plante; et le vulgaire qui passe, retrouvant les m êm es feuilles, les m êm es fleurs, les m êm es fruits, croit q u ’il n ’y a là q u ’un cadavre enseveli ; m ais il s ’abuse. A certaines douleurs on ne survit q u ’à une seule condition, p ar le m iracle de m o u rir au jo u rd ’hui po ur renaître demain avec le m êm e no m , m ais avec une vie nouvelle. Car p o ur l’hon n e u r de l’h u m ain e nature, ces survivants dem eu ren t les servants fidèles et m uets du dieu disparu, semblables à ces Péruviens qui, s u r le som m et des Andes, parm i les éternels glaciers du Sorcttc ou de Ylllim ani, conservent le culte du dieu de leurs ancêtres. Connaître certaines douleurs est signe de haute intelligence, l’avoir prouvé est gloire de m a rty r qui s’élève et s’affine. Je suis persuadé que beaucoup qui m édisent de l’am our, ou parce q u ’ils ne sont point réaim és, ou parce q u ’ils craignent d ’être trahis, ou parce q u ’ils l’ont été déjà, ou parce q u ’ils ont souffert l’am er désabusem ent d ’avoir brûlé leur encens aux pieds d ’une idole de grès ou d’une statue de m a rb re, trouveront exagérée cette peinture qui n ’est p o urtan t que l’image pâle et terne d'une douleur que la p lu m e d ’un ho m m e ne saura jam ais peindre exactem ent, m ais seulem ent faire deviner de loin. Il semble à beaucoup que le m al absolu, que la m ort, devant qui m eurt toute espérance, soit préférable à la tortu re qui menace la vie sans la ravir, qui élargit les blessures et chaque jou r déchire la peau dont les recouvre la prévoyante nature. A ceux-là je souhaite q u ’une expérience personnelle ne le m ette jam ais à m êm e de faire le cruel rapprochem ent, la comparaison anatom ique de ces deux très grandes douleurs dont l’une s’appelle mort et l ’autre a nom déses pérance. Puissent-ils, s’ils aim ent véritablem ent, m o u rir avant ceux q u ’ils aim ent! C’est le plus grand bien q u ’ils puissent tirer des pages de ce livre. L’am o u r est une passion si ardente, si profonde, q u ’il n ’est point étonnant q u'il éprouve des con vulsions soudaines et de subits évanouissem ents. Puisqu’il doit vivre toujours dans les h au teurs, ne se n o u rrir que d ’extrêm e volupté, vibrer des plus nobles notes du sentim ent et du délire des sens, il peut être pris, su r le coup, quand il s’y attend le m oins, de terreu rs irraisonnées, de soupçons ridicules, d’inquiétudes inexplicables. Je ne veux point parler des défiances de la jalousie, du dégoût, du libertinage aride, des désenchante m ents am ers, m ais d ’un nuage vague et sans form e, qui envahit le cœ ur alangui p o ur avoir trop senti, et qui agace les nerfs épuisés de trop vibrer. C’est un hystérism e confus, qui d’un léger malaise peut m onter aux plus hauts degrés d ’une profonde am ertum e. Un im m ense am ou r, de quelque repli du cœ u r q u ’il jaillisse, est toujours suivi de l’om bre d’une terreu r infinie. Tous adorez votre petit enfant, vous l’avez laissé quelques instants à l’om bre de votre jard in , tout occupé à rem p lir de sable sa brouette; il est rose et frais comm e les fleurs qui l’environnent, et brillant com m e le soleil qui dore ses cheveux ondulés. Alors, séduit p ar ce spectacle, vous l’avez appelé, je ne sais pourquoi, sans doute pour entendre le son chéri de sa voix argentine, et il ne vous répond point; vous l’appelez de nouveau, et nouveau silence. Lui, est tout attentif à la grave occupation de ch ar rier sa brouette. Mais vous, traversé en peu de secondes p ar m ille et m ille pensers, vous vous figurez q u ’il est m ort, q u ’une vipère l’a m ordu, q u ’une défaillance l’a su rp lu s..., qui sait com bien de folies vous avez pensées, et le cœ u r palpitant, la peau m oite, vous craignez de vous lever, pour différer d’un m om ent le spectacle d’un cruel acci dent. De ces folies, et de beaucoup d ’autres plus grandes, donne chaque jo u r le triste spectacle cet am ou r des am ou rs, qui seul porte un tel nom , com m e prince et dieu de tous les sentim ents am oureux. — « 11 m ’a em brassée au jo u rd ’h u i avec distrac tion. Son am ou r com m ence à se refroidir, il est déjà las de moi, il me tolère parce q u ’il n ’a point le courage de m ’avouer q u ’il ne m ’aim e p lu s.... » « — Je suis trop heureux, et ce b o nh eu r ne peut d u re r. Le cœ u r me dit que quelque épouvantable aventure m ’attend; j ’ignore laquelle, m ais notre am our ne peut vivre plus longtem ps dans une telle félicité. Je sens que je vais pleurer. » « — Il n ’a pas vu que je portais dans mes cheveux u n gardénia sa fleur préférée : il ne m ’aim e plus. » « — Au jo u r elle n ’est point aussi belle que le s o ir; peut-être..;, peu t-être.... Mais pourquoi ai-je pu faire cette rem arque? Est-ce signe q u ’elle ne m e plaît plus assez? Une prem ière apparition m ’a fasciné. La p ourrai-je aim er toujours?» « — Mon Dieu ! Elle a toussé : serait-elle malade? Sa tante est m orte phtisique; elle est si délicateI Si elle allait m o u rir? » « — L’aimé-je assez? L'adoré-je com m e il le m é rite? Suis-je digne de lui ? Pourrai-je g arder l’am ou r d’un ho m m e aussi beau, aussi bon, aussi intel ligent? » « — A ujourd’hui, il est arrivé à notre rendez-vous à l’h eu re juste, alors que les autres jours il arrivait L'EN FEU DE I. A110 l'ti. 257 toujours avant l’heure dite. Il s’est fâché quand je le lui ai fait observer; il m ’a fait voir sa m ontre qui retard ait.... II au rait dû, au contraire, être heureux de cette rem arque, il aurait dû m e répon dre plus gracieusem ent. Il ne m ’aim e pas assez. » « — Je m e contente dé le regarder; je m e sens heureuse quand il m e tient les deux m ains serrées dans les siennes; lui, au contraire, veut toujours m ’em brasser, il n ’en a jam ais assez. Il m ’aim e parce que je suis jeu ne, parce que je suis belle : il m ’aime avec ses sens, pas avec son cœ ur. Tous les hom m es sont ainsi ! » « — Pourquoi a-t-il dit : Je ne peux pas? Je ne lui ai jam ais dit ce mot. En am o u r y a-t-il quelque chose d ’im possible? Y-a-t-il donc quel que chose qui vaille plus pour lui q u ’un désir de moi ? Hélas, ce n ’est pas là de l’am o u r ! » « — II ne s’aperçoit jam ais quand je change de robe ou de ru b a n ; moi, au contraire, je sais toujours la couleur de scs cravates; je m ’aperçois tout de suite s’il a fait ou non son n œ ud devant la glace. Il ne m e regarde pas assez : il ne voit pas une foule de choses que je fais p o ur lui, pour lui seul. Il ne m ’aim e donc pas! » « — J’ai toujours cntencki dire que l’am ou r est la suprêm e joie de la vie : j ’aim e et je suis aimé, et cependant je pleure souvent et sans sa voir pourquoi. Pourquoi ? » Voilà quelques-unes des mille plaintes qui s u r gissent spontaném ent d ’un cœ u r qui aime, et ce ne sont point là encore les plus folles et les plus douloureuses. Ni l’observation la plus patiente et la plus lente des phénom ènes hum ain s, ni la fan taisie la plus agile, ne suffisent à faire deviner tous les petits tourm ents que les am oureux s’in fligent à eux-m êm es, sans doute p o ur obéir à cette loi cruelle qui, suivant les uns, veut que nul ne soit heureux su r celte planète. Dans ce cham p du m alh eu r, le tem péram ent est tout ; il en est pour qui est vrai le m ot de Linné su r les am ours du chat : « Clamanclo misere cimatn ; p o ur ces m alheureux (nous les avons déjà décrits), l ’am ou r s’em preint de tan t de fiel, il se cache sous tan t d ’orties et d ’épines, q u ’à vrai dire il ressem ble à une forêt toute de ronces et d ’absin thes. Soupçonneux, méticuleux, malencontreux, ils ont p e u r de tout, alam biquent tout, filtrent tout, pulvérisent tout, pour en extraire le ciron et le venin. Dans le baiser ils cherchent la froideur, dans la caresse ils sentent l’indifférence, dans l'im pétuosité ils accusent le choc, des tempêtes d’am o u r ils n ’apprécient que le bruit. — Et puis, ce vase de miel que l’am o u r réserve à tous, ce vase m êm e ils le veulent g arder sous tant de sceaux et dans tant de tabernacles, q u ’heureux s’ils parviennent à le découvrir et à le goûter. D’une jérém iade jalouse ils tom bent dans u n so liloque hystérique, et, sortis à peine d ’une som bre méditation s u r l’infidélité hum aine, ils re tom bent dans l’autopsie d ’une lettre d ’am our. Ceux-là, certes, sont m al nés, et alors m êm e que la nature leu r eû t départi une Vénus vêtue p ar les Grâces et un Apollon avec le cerveau de Jupi ter, ils seraient cependant toujours m alheureux, parce que l’am ou r est s u r leurs lèvres, non dans la coupe d ’am our.T rois et quatre fois m alheureux! Sur leur tombe on peut graver ainsi l’histoire de leurs tourm ents : Clamando misere am avit ! Il n ’est point de plus grande torture pour une créature hum aine que d’être obligée de subir les caresses de l’être non aimé. Et je ne veux point ici parler de la violence b rutale qui lait ressem bler l ’étreinte à u n homicide et le rejette dans le code crim inel et aux galères. Dans ce cas, nous avons d ’une part une b ru te h u m ain e qui frappe, qui m ord, qui répand le sang d’une pauvre créature m orte d’effroi ou se débattant im puissante sous les griffes d’u n tigre : ce sont là douleurs qui ressortissent à l’histoire de l’épouvante, qui appar tiennent aux pages les plus sanglantes des m a r tyres. J’entends parler des caresses que vous de vez accorder à l’hom m e à qui vous a livrée la loi, l’argent, la surprise des sens, sans que vous l’ayez aim é; j ’entends parler de cette am ère tor ture, coupe profonde com m e l ’infini et qui rap proche presque la courtisane du m artyr. Ces douleurs, les plus grandes que puisse souf frir le cœ ur hum ain, ont été, p ar une nature cruelle, presque exclusivement réservées à la fem me. L’hom m e, p ar l’essence de son sexe agres seur, doit être poussé à l’étreinte p ar un subit enthousiasm e, et doit être troublé d’un flot de luxure. Chez lui, la volupté peut exister sans l’a m our, chez lui l’am o u r physique a une jouis sance qui suffit à voiler pieusem ent tout ce qui lui m anque en sentim ent et en passion. Que l’in différence, la haine, le m épris l’absorbent tout entier, envahissant les derniers retranchem ents de l’am our, il n ’est point alors de caresses qui le puissent ren d re vivant, il n ’est point de loi divine ou hu m ain e qui puisse lui im poser u n e étreinte à laquelle il répugne. Il n ’y a point de cas où la vieille théorie du libre arbitre m ontre à ce point sa ridicule fausseté. Mais la fem m e peut être tout entière glacée, elle peut senlir courir s u r son corps tout entier les frissons du dégoût et de la nausée, la fem me peut h aïr ju s q u ’à désirer la m ort, elle peut m é priser ju s q u ’à vom ir l’h om m e qui la touche, et p o u rtan t elle peut en beaucoup de cas, elle doit en beaucoup d ’autres, subir scs caresses. Avec la glace dans le corps, avec la plainte dans le cœ ur, avec la haine su r les lèvres, elle voit l’ard eu r d’un autre la b rû le r sans la réchauffer, elle voit le sublim e enthousiasm e qui pour elle n ’est que le sublim e ridicule, elle voit la passion et ne la trouve que grotesque, elle voit l’im pétuosité qui n ’est pour elle que la violence; de l’am ou r, avec ses éclairs, avec ses lueurs, avec ses parfum s, elle ne voit, elle ne sent, elle ne touche q u ’une brutale m achine qui l’avilit, qui la prostilue, qui la sa lit ; un infini d ’effroi dans u n e m e r de dégoût'. Certes, quand la fem m e est tombée, p ar sa pro pre faute, dans celte fange, elle ne peut en être assez cruellem ent punie. L’im m ensité de la p ro stitution est punie p ar l’infini de l’outrage; la chose la plus sainte baigne dans le b o u rb ier le plus fétide; à la plus haute des joies se substitue la plus grande des hontes. Mais quand au con traire la fille d’Ève est entraînée à ce suprêm e sa crifice de l’abandon de son corps p ar la tyrannie des lois, p ar la direction perverse de l’éducation m o rale; qu an d elle se trouve conduite à cette cruelle aventure p ar l’ignorance et la faute d ’a u trui ; oh! alors, si elle n ’a point encore le scepti cisme p o ur lui gu érir le cœ ur, ou le cynism e p our le cuirasser, si elle sait encore ce que c’est que la p u deur, si elle n ’a point oublié quel fré m issem ent c’est que l’am ou r, oh ! alors celte p a u vre fem m e boit goutte à goutte l’outrage le plus cruel que puisse su bir u n être; alors elle souffre une longue et cruelle agonie. Avoir rêvé pendant des années et des années la terre prom ise de l’am ou r, l’avoir conquise pas à pas à travers les songes de l’enfance et l’aurore rose de l’adolescence, avoir ressenti une peur im raense, épouvantable, de m o u rir avant d’avoir aim é; avoir aim é, et aim e r; se sentir u n volcan au cœ ur, arriver à la porte du paradis, et à tr a vers cette porte close aspirer d ’enivranis p a r fu m s .... et puis, avec tout cela, se voir m é ta m orphoser en u n vase qui apaise la soif, se sentir dans les entrailles une b ru te qui rugit, être obligée de jo u er le rôle d ’une purgation ou d ’un dépura tif, faire partie du régim e d ’u n hom m e, com m e la m agnésie ou les san g su es.... vraim ent, c’est là plus cruelle to rtu re que toutes celles q u ’a pu in venter l ’Inquisition, et c’est là vraim ent une trop grande d ouleur p o ur u n e seule et faible créature. Et dès lors, sans u n cynisme dém esuré qui dans les palpitations de l’étreinte compte les écu s, sans un heu reu x et stupide nonchaloir qui dans l’am ou r ne voit q u ’une agréable distraction, il n ’est que le suprêm e rem ède du devoir qui puisse faire de la fem m e une m artyre, et qui puisse faire accepter tan t d ’outrages au cœ u r h u m ain . Quelle m ultiplicité de pensers, quels abim es de désespéralions, ne s’abattent point en peu d ’instants su r la tête d ’une fem m e caressée p ar u n hom m e q u ’elle n ’aim e point ! Que d'éloquence en cer tains silences, q u ’Ovide le libertin conseillait vivem ent aux fem m es d ’éviter ! Que de fois l ’h om m e étreint une créature qui ne l’aim e point, q u ’il prostitue avec une trop grande insouciance, pendant que sa victime m édite une longue et cruelle vengeance. Plus d ’un adultère, plus d’un assassinat ont été pensés, discutés, ju rés en cet instant, auquel l’h om m e, jouissan t de la s u prêm e jouissance, croyait tenir en ses bras un être heu reu x ! Plus d’une étreinte a produit deux jum eau x , un h o m m e nouveau et une haine n o u velle, haine tenace, am ère, que la m ort seule de qui hait peut effacer, p u isq u ’elle survit souvent à la m o rt de qui est haï. 0 hom m es, qui ne voyez dans l’a m o u r q u ’un calice qui s’épanche, et ne trouvez dans le m a riage q u ’une association de deux capitaux ou une m achine à reproduire l’espèce, souvenez-vous que p our beaucoup d ’êtres l’am ou r est la prem ière et la dernière des passions, la prem ière et la d er nière des joies, et rappelez-vous que p o ur beau coup de fem mes que vous n ’avez point re m a r quées, que peut-être vous avez m éprisées, l’am our est toute la vie. Il n ’est peut-être point de n ature h u m ain e si disgraciée q u ’elle ne puisse trouver de remède ailleurs, de façon à ravauder ses accrocs, à ad o u cir scs am ertum es, à red resser ses déviations. 11 n ’est point d ’hom m e, né faible et maladif, qui ne puisse devenir robuste qu an d il s’accom mode le clim at, la n o u rritu re, le vêtem ent, l’atm osphère physique et m orale qui lui convient. 11 en est, je crois, de m ôm e de l’am our. Si l’on pouvait consa- ouer u n demi-siècle à la recherche de la fem me qui conviendrait, et si à la lam pe de Diogène on suspendait la lum ière électrique que nous offre la science m oderne, il est certain que parm i les m illions de créatures qui foulent notre planète, l’on en p o urrait et l’on en devrait tro uv er qui, nous ren d an t heureux, fussent heureuses avec nous. M alheureusem ent, la vie est trop brève et l ’a m o u r est trop rapide et trop exigeant en ses désirs, pour que celte recherche soit possible ; et puis, aux plus fortunés et aux plus sages, une p art de félicité vient toujours de l’incon n u ; c’est le hasard qui l'am ène, non la réflexion. 11 est dans ce m onde de nom breuses et belles n atures qui form ent des lacs d ’am ou r, m ais qui ne sont point heureuses, parce que les caractères revêtent beaucoup des faces du polygone h um ain, non toutes. L’étude de ces contrastes, de ces incom patibi lités partielles, exigerait une analyse m orale de l’hom m e entier, dans toutes ses vicissitudes so ciales, car une foule de ses douleurs ne sont pas le propre du seul am ou r, m ais résultent de l’en semble des affections hum aines, telles que l’am i tié, l’am ou r fraternel, l’am o u r filial, l’am o u r pa ternel, et d’autres p ar contre sont spéciales à l ’am o u r des am ours. Sentir à la m êm e heure, au m êm e instant et au m êm e degré, l’aiguillon d ’un désir ou la soif d ’une caresse est un fait rare, une bienheureuse coïncidence qui dore des plus beaux rayons les heures les plus fortunées de la vie; on ne peut dem ander davantage à la félicité h u m aine. Dans tous les autres cas, la soif naît à l’un des deux et s’attache à l’autre ; de môm e l’étincelle appelle l’étincelle, et la caresse engendre la caresse. C’est un appel des lèvres, u n battem ent des ailes, une note d ’harm onie q u ’un ram eau envoie à u n autre ram eau , mais c ’est toujours l ’appel d ’une invita tion et le réveil d ’une somnolence. Dans ces appels, dans ces prem ières escarm ouches, le ridicule m a r che tou jo u rs de pair avec le sublim e. 11 est vrai q u ’entre eux se tient l’am o u r qui les em pêche de se jo in d re; mais la m oindre inattention, le m oin dre faux m ouvem ent, la m oindre distraction peut causer la réu n ion de ces deux élém ents, et le ri dicule, là où il tom be, blesse l’am our-propre et, avec lui, l’am our. Que les désirs les plus im patients, les plus ridi cules, les plus grotesques jettent subitem ent le m anteau de l’am o u r p o ur les cacher, toute crainte de ridicule s’envole alors en fum ée, toute bles sure de l’am our-proprc devient impossible, et je m 'adresse à la fem m e qui est plus apte que nous à réparer ces désordres, qui a m ieux que nous la m ain prom pte à secourir, et délicate à soi gner. M alheur à vous si votre com pagne a dû ro u gir p a r votre faute, parce que vous n ’avez point sa en tem ps et lieu lui ferm er les yeux ou jeter s u r elle le voile pieux de votre am ou r ! Que de petites am ertum es, que de ran cœ u rs et d e dépits, que d ’orties et que d ’épines se rencon tren t dans les sentiers fleuris de la plus ardente passion, précisém ent parce que la délicatesse du sentim ent ne sait point tou jo u rs rem éd ier aux inégalités des sens, parce q u ’une pu deur trop exigeante insulte à l’a rd e u r trop vive du tem pé ram en t, parce que la fem m e ne repousse pas avec assez de sagacité les appétits trop exigeants dictés par l’am our-propre et non p ar l’am o u r! S’il fuit, il se perd et se vainc; s’il reste, il se vainc et se p e rd ; m ais beaucoup fu ie n t quand il conviendrait de rester, et restent quand il con viendrait de fuir ; de là tant de mécomptes p ar les quels vainqueurs et vaincus dem eurent chagrins et l’am ou r lui-m êm e reste gisant dans son propre sang. Les tortures, les affronts, les am ertum es, les nausées, les chagrins, les outrages de l’am ou r d em and eraient à être étudiés à fond, car ils m a r chent toujours de pair avec les joies et les volup tés, et peu nom breux sont les heureux qui n ’y goûtent point. Un grand b onheur, u n e grande connaissance de l’être, u n grand art p o urraien t en p réserv er; et alors à la fin de notre carrière nous pourrions b én ir l’am ou r qui, sem blable à une faible douleur, aurait cependant parfum é notre existence de ses fleurs les plus douces. Je n ’ai signalé que quelques-uns des tourm ents qui peuplent l’enfer de l’am ou r, m ais leur n o m b re est infini et leur nom est légion. Dans tous les cham ps du sentim ent, des sens et de l’intellect, l’h om m e possède u n pouvoir de souffrir bien plus grand que de jou ir, et quand il a conquis la jouis sance, et tari les sources d’où jaillit le suc am er de la douleur, c’est toujours après u n e bataille longue et âpre dans laquelle nous com battons avec toutes les arm es de la nature et de l’art. Et c’est encore ici plus q u ’ailleurs q u ’apparait en toute sa puissance l ’im portance du génie, l’in fluence du caractère noble et généreux. Le cœ ur ardent et im pétueux n ’est jam ais la cause de plus grandes am ertum es que quand à ses côtés brille la lueur sereine de la raison, quand la sublim e im puissance de faire le bien accom pagne le désir de faire le m al, quand en lui-m êm e il jo u it plus du plaisir q u ’il donne que du plaisir q u ’il reçoit. De m êm e que les natures débiles et tronquées se rafferm issent et se redressent, si on les ap proche d’une nature affectueuse et généreuse, de m êm e les ran cœ u rs rageuses des petils cœ urs perdent leur am ertum e dans l’océan calm e et azuré d ’u n caractère qui n ’est que douceur et no blesse. C’est ainsi q u ’en am our, horm is la m ort, contre laquelle s’ém oussent toutes les arm es du cœ u r et de la science, nous devrions goûter toutes les joies et repousser toutes les douleurs. CHAPITRE XIX LES HONTES OE L' AMOUR L’am o u r com m e plus puissant agitateur connu des élém ents hum ains, trouble la bourbe qui su b siste toujours dans les natures les plus nobles, et devient chez les hom m es em pâtés de fange, le plus grand coefficient du vice et du crim e. L’am our, com m e tous les autres sentim ents, a sa patho logie propre, et m êm e d ’une richesse excessive, parce q u ’il déploie su r u n cham p plus vaste la sphère de son action et q u ’il a de plus pressants besoins à satisfaire. L’h om m e qui ne serait point capable d ’une lâcheté alors m êm e q u ’il m o u rrait de faim, alors m êm e q u ’il devrait perdre ce q u ’il a de plus cher, peut arriver à transiger avec sa conscience lorsqu’il s’agit de l’a m o u r; et nom bre de buissons déchirent le tissu des n atures h u m aines les plus nobles et les plus généreuses. L’am o u r veut se posséder pieds et poings liés, il LES HONTES DE L’AMOUR. 269 veut vivre en sa propre possession, com m e les jésuites veulent leurs néophytes, perinde ac cadaver. De là une source intarissable de hontes et de fautes, de petites lâchetés et de grands crim es. Les hontes de l’am o u r sont innom brables com m e les cailloux de la m er, et sont aussi n o m breuses que ses délices; là, nulle g ran d eu r, et l’on descend aux derniers degrés de la bassesse h u m aine. Je crois cependant que dans une étude générale de physiologie on en peut réd u ire toutes les formes à deux, YImpuissance et la P rostitu tion. L’im puissance n ’est point seulem ent une m a ladie dont doivent s’occuper le médecin et l’hy giéniste; elle n ’est point seulem ent un cas dont doive s’inquiéter le législateur; c’est aussi une honte m orale, qui dem ande à être étudiée à fond p ar le psychologue qui cherche à tracer l’histoire naturelle de l’am ou r. Dans l’organism e psychique si sim ple des ani m aux inférieurs, tout désir d ’am o u r cesse dès que l’âge, la maladie, une blessure brisent toute én er gie dans les organes génitaux. Chez l’h om m e, au contraire, cette énergie doit survivre à la m aladie de l’organe, alors m êm e que les besoins les plus irrésistibles et les plus b ru taux se sont com pliqués de tels élém ents psychiques du m onde m oral et intellectuel. — L’hom m e innocent aime alors m êm e q u ’il ignore être u n h om m e, et la fem m e peut m o u rir d ’am ou r tout en ignorant l’existence de son organism e génital. Il est très vrai que chez l’hom m e parfaitem ent eunuque tout instinct am ou reux disparait, ou s’il laisse apparaître çà et là des fantôm es d’étranges laseivelés, ce sont larves qui appartiennent aux lim bes de la pathologie la plus transcendante. Ces pauvres p arias de la n atu re sont toutefois fort rares, et cependant notre civilisation rachitique fabrique p ar centaines de ces sem i-eunuques qui peuplent de cornouilles le sanctuaire de la famille et les bas-fonds de l’am ou r vagabond. La statistique heureusem ent ne sau rait s’em p arer de ces dem i-hom m es, et les classer dans ses inexorables casiers ; q u ’il nous suffise de savoir q u ’ils sont fort nom breux, q u ’ils sont en nom bre beaucoup plus considérable que ne le peuvent supporter la patience et la v ertu féminines. L’am o u r entier, l’am o u r vrai, l’am o u r n u m ais innocent de la n atu re, n ’est point tout sentim ent et penser ; c’est aussi une fonction de la vie rep ro ductive et aussi un besoin des sens. Martyrs et saints se m u tileron t et m o u rro n t h eureux de leur m utilation, m ais la m ajorité de l’hu m ain e famille n ’est faite ni de saints,7 ni de m artv rs. Toute m utilation de l’a m o u r est une honte et la plus féconde génératrice d ’autres m oindres hontes. Dans l’aube chaste et fraîche de la prim e jeunesse plus d ’une fem m e a consenti, sans le com prendre, »i un pacte infâme, p ar lequel u n hom m e lui offrait g ran d nom et grande richesse en échange d’un oui. L’hom m e infâme l’aim ait, la désirait, et ne pouvait la posséder ainsi que la n atu re com m ande à l’hom m e de le faire, m ais il voulait voir le tem ple et l’approcher sans avoir le droit d’y péné trer. Tel eunuque n ’a point eu cette infam ie, il confessa sa honte avant la trahison, et l ’innocente vierge ne com prit point et accepta ce pacte. Et, qui donc n ’a pas la croyance à cet âge d ’être un héros ou u n m a rty r? L’eunuque étreignit sa précieuse proie et la couvrit de baisers stériles, essayant delà réchauffer sous ses caresses im p u is santes, et la statue de m arb re de l’adolescente pucclle tressaillit à ces ém otions neuves et incon nues. Plus tard la vierge sentit q u ’elle était femme et q u ’elle l’était inutilem ent, et alors l’am ou r saisit sa vertu corps à corps, la renversa déses pérée, et le pacte ju r é de bonne foi fut brisé par la toute-puissance de l’affection. Combien d ’aven tures dom estiques, quelle féconde semence de bâtards et d’am ants et que de trom peries n ’ont point surgi de cette source im m onde! Eunuques entiers, dem i-eunuques et quart d’eu nu qu es, n ’espérez jam ais être aim és d’une fem me, à laquelle vous avez imposé u n pacte honteux ; il n ’est point de vertu qui tienne, il n ’est point de serm ent qui résiste à la sacro-sainte loi d ’am our. Nul n ’est plus fort que la nature. Si vous avez trouvé une héroïne, pourquoi voulez-vous en faire une m artyre? Voulez-vous donc être le boucher de celle que vous prétendez aim er? Et vous, fem m es généreuses, fem mes nobles qui savez élever aux régions les plus haules les passions les plus basses, n ’acceptez aucun pacte qui exige la m u ti lation de l’am our; vous qui m ontrez tous les sacri fices, vous croyez sans doute faire le b o nh eu r d ’un rebut de la nature, vous vous imposez, avec un sourire peut-être, la simple mission de racheter u n désespéré ; m ais, je vous le certifie, ni vertu, ni sacrifice, ni héroïsm e ne parviennent à étouf fer le cri tout-puissant de l’univers des vivants qui vous rend épouses et m cres. Tandis que le m artyre, sa palm e de sacrifice entre les bras serrés, s'efforce de sourire, un déchirem ent des enlrailles cruel, profond, douloureux, lui crie : « Ève et fille d ’Ève, tu ne seras m ère q u ’au moyen d ’nn crim e, tu en treras dans le sanc tuaire des sanctuaires, dans le tabernacle de la m aternité p ar la porte infâm e de la trahison dom estique. » Non, l’am ou r n ’est point tout sens et tout luxure, et le sentim ent peut être p o ur une si grande part en lui q u ’il se cache jusq u e dans les plus intim es régions de la volupté. Oui, la fem m e peut être h eureuse sans la volupté, à la condition q u ’elle se sente aimée, m ais elle veut et doit aim er « un hom m e » : j ’en appelle à toutes les filles d ’Ève; que p o ur ne point rougir elles me répondent d’un signe de tète sans rem u er les lèvres, n ’est-il point exact que vous préférez m ille fois être aim ée d’un « hom m e vrai », m êm e ayant fait vœ u de chaslelé, à être profanées et. saturées de lascivetc p ar les mains d’un eunuque? N’est-il point exact que par-dessus tout vous vou lez vous appuyer sur celte saine colonne q u ’on appelle un hom m e d ho nn eu r? Et ce n ’est certes point un h om m e d 'h on n eu r que celui qui pré tend posséder, une fem m e et en être aim é, quand lui n ’est pas un hom m e. Que les demi-hommes qui à quarante ou à cin quante ans aspirent à la vie de fam ille, aprèsavoir traîné leu r demi-virilité à travers toutes les luxures de la prostitution et les friandises de la cuisine érotique, ne se figurent jam ais que la lascivetô po urra chez une fem m e ten ir lieu du véri table am our. Ils pourront prostituer leurs épouses, mais s’en faire aim er sérieusem ent et profondé m ent, jam a is! Ceux-là sont appelés p ar l’inexo rable loi de la n atu re à fournir le plus nom breux contingent des m ères prédestinées. Quand l'im puissance fond com m e la foudre s u r la tête de deux m alheureux am ants, ce n ’est là q u ’une m aladie, q u ’u n accident qui regarde le médecin et le p h arm acien ; m ais quand elle p ré cède l ’am ou r, c’est une lâcheté, une honte, une infamie. Que l ’honnête ho m m e n ’essaye jam ais de la caclier à scs propres yeux, de la justifier; q u ’il renonce courageusem ent à l’am our, qui lui est chose étrangère, ou q u ’il m ette à n u sa plaie et recoure à la m ain arm ée d ’u n ch irurgien pour la tailler et la b rû le r; q u ’il redevienne hom m e et q u ’il révèle s’il peut être époux et am ant; q u ’il guérisse la chair et q u ’il voie s’il peut asp irer aux délices de l’am ou r. Avant d ’être agriculteur, q u ’il possède une terre. Le m écanism e si compliqué de notre organi sation sociale, qui offre à la soif de l’ardente je u nesse la volupté sans l’am our, impose avec un plus cruel défaut encore, à nom bre d ’am ants, l’am ou r sans la volupté. Ce sont là les deux plus grandes sources des mille douleurs que la société hum aine réserve à qui aime, la volupté sans l'amour, c’est-à-dire toutes les hontes de la prostitution, Y am our sans la volupté, c’est-à-dire toutes les tor tures de la chasteté forcée. Entre ces deux enfers reste longtem ps hésitant le jeu ne am an t, ju s q u ’à ce que, p o u r ne pas m o u rir, il em barque la lu x u re et la fantaisie su r u n som bre navire et aille se tapir avec elles dans les roseaux et les m iasm es de l’a m o u r solitaire, la plus grande honte de l ’am o u r et qui se tient à égale distance de l’im puissance et de la prostitution. Oui, l ’hom m e doit à la fois jo u ir de tous les olympes de l ’am ou r et en subir toutes les hontes. L’h om m e est un anim al qui se prostitue et qui se livre à l’am our, m êm e s’il n ’a point de fem m e, u n anim al qui vend et achète la volupté et qui se la procure dans la coque personnelle d’un égoïsme vil. L’h om m e en am o u r est m onogam e et polygame, il est m onoïque et dioïque. Quelle richesse de résurrections ! quelle variété d ’am ours! Dans le livre que je con sacrerai à l’hygiène de l’am our, ce problèm e sera étudié à fond; ici je ne le traite q u ’en tant q u ’il appartient à la physiologie du sentim ent. Cela est douloureux à dire, m ais cela est vrai : notre société m oderne a ren d u à tant de m alheureux l’am o u r si difficile, q u ’elle les fait passer sous les fourches caudincs de ce cruel dilem m e : ou bien acheter la volupté cl alors falsifier l’am ou r, ou bien dans le bourbier de la laseiveté solitaire figu re r l’am our. Dans l’u n ou dans l’autre cas, elle les condam ne à être des faussaires et à rougir devant eux-m êm es de la façon dont ils satisfont au plus puissant des besoins hum ain s. L’am o u r solitaire n ’est point seulem ent un péché d ’hygiène qui tue la santé et la vigueur, m ais encore une offense de m orale et un venin de félicité. Celui qui doit ro u g ir le plus souvent et qui le plus souvent retom be dans cette faute obscurcit chaque jo u r la limpide pureté de sa p ropre dignité, brise chaque jo u r le robuste res sort de sa volonté virile, et devient chaque jou r plus lâche à toutes les batailles de la vie. Et tan dis q u ’il rougit ainsi de soi-même et m audit soi et l’am o u r qui le condam ne à cette lâcheté quoti dienne, il rougit plus que jam ais devant la fem me, dont il ne se sent pas digne et dont à chaque rechute il devient moins digne. 11 em poisonne les principales sources de l'onde d ’a m o u r; quelque long tem ps après q u ’il se mette à aim er, il a gâté la pureté doses désirs, de ses aspirations, et dans les bras d ’une fem m e qui l’aim e, retrouve les spasmes solitaires d’une volupté maladive, sem blable à celui qui, pour s’être brûlé la bouche avec les âcres arôm es de la pipe et de l’alcool, ne peut plus désorm ais goûter les p arfu m s de la fraise et de l’ananas. L’am ou r est la plus grande des conquêtes, la plus délicieuse des délices, la joie des joies; le repousser pour le rem p lacer p ar une honte qui est pire q u ’un crim e, c’est une infamie. Cent fois plutôt la chasteté avec ses sublim es to rtu res; cent fois plutôt la prostitution avec sa fange. L’am o u r vrai et com plet est le splendide festin sous les arbres parfum és d 'u n jard in , avec le scintillem ent des couverts, les harm onies de la m usiq ue et les douces causeries d ’am is : l’am ou r solitaire, c’est dévorer u n os préparé dans les ténèbres et m angé s u r la p u an teu r d ’un fum ier. La prostitution est, après l’am ou r solitaire, la plus grande h o n te de l’am our, et quelque épou vantable q u ’elle soit, il convient de le dire tout de suite, clic est dans notre société m oderne une îionte nécessaire. Tibulle lui a jelé un splendide an alh ôm e : Jam tua, qui venerem docuisti veudere primus, Quisquis es, infelix urgeat ossa lapis. Celte malédiction, répétée p ar tous les m oraiisles de tous les tem ps, ne peut em pêcher u n seul jo u r que l’am ou r ne se vende, et l’expérience u n i verselle a dém ontré que saint A ugustin était m eilleur philosophe qu an d il écrivait : Aufer merelrices de rebus lium anis, turbaveris omnia libidinibus ; constitue m atronarum loca, labe ac dedecore dehonestaveris. Saint Augustin n ’eùl-il écrit que celte sentence, je le proclam erais psy chologue profond; en peu de mots il m arq ue les faces de ce terrible problèm e, il donne une leçon d e tolérance aux intolérants et une leçon de science sociale aux économistes ; et au jo u rd ’hui, après tan t de siècles, ses paroles sont toujours aussi vraies, aussi profondes, aussi inexorables que lo rsq u ’il les dictait à u n m onde si différent du nôtre. De m êm e, de nos jo u rs, Alfieri, dans ses Mémoires, parlant de la fem m e, n ’a pas rougi d ’écrire : « En endo mi ridivenuta mille volte più eara la ■salute dell’ anima che quella del corpo, co mi studiai •e riuscii di fuggia sempre le oneste. » Les problèm es difficiles ne se résolvent ni en les fu y an t, ni en les cachant ; et pourtant, nom bre de m édecins, nom bre de philosophes ont tenté de résoudre les questions les plus ardues de la société m oderne à la m anière des enfants, qui ferm ent les yeux, croyant éviter le chien qui les poursuit. Le catholicisme a u n moyen unique de résoudre ce problèm e, et les m oralistes de son école l ’ont proclam é aux quatre coins du m onde, tantôt d ’une voix ém ue et pathétique, tantôt d ’une voix irritée et m enaçante. Le résu ltat obtenu p a rla m oralité publique, offre u n h orrible exemple, la cité rom aine, l’une des plus cor rom pues d u m onde. Je n ’ai jam ais adm iré la merveille de cette m orale, ni de ses inéluctables conséquences ; mais franchem ent je le regrette quand je vois les m édecins s’arn ier de l’intolé ran ce catholique. Au docteur Monlau d ’Espagne et au docteur Bergeret de France, qui croient sauver la société en abolissant la prostitution, j ’ai répondu p ar quelques lignes que je voudrais sauver du naufrage des jo u rn au x et recueillir à l ’om bre de ce livre. — « Je ne suis point étonné de trouver des philosophes qui étudient l ’hom m e dans Fichte et dans Kant, sans avoir jam ais palpé ses entrailles palpitantes, ni exam iné une de ses libres au m icroscope, et qui conseillent au législateur de détruire dans l’organism e social avec le fer et le feu celte tache livide et cancéreuse q u ’ils appellent la prostitution ; je n ’ai jam ais crié à l’alarm e ou au m iracle quand j ’ai entendu invoquer l’autodafé contre cette tolérance p ar quelque m oraliste qui a eu la rare fortune de venir au m onde sans un esprit droiL ou le m érite encore plus rare de l’étouffer sous l’éteignoir d’une volonté cruelle. Mais quand j ’entends ces cris d’intolérance sortir de la bouche d’un m édecin, je branle la tête avec m é fiance et je m e dem ande à m oi-m êm e avec com passion : Ai-je affaire à u n véritable m édecin? Ce m oraliste a-t-il réellem ent vu l’hom m e dans un délire convulsif et l’a-t-il étudié, rigide et froid, su r le m arbre glacé d’une salle d ’anatom ie? Celui qui jette ainsi l ’anathèm e à la prosiitution est-il vraim ent le m édecin qui doit être com m e un lien pieux entre le législateur qui ne voit dans l'ho m m e q u ’un accusé à pu nir et le philanthrope qui ne considère q u ’un m alheureux à secourir? Ces queslions et d ’autres semblables, je les ai adressées à l’illustre médecin espagnol docteur Monlau, lorsqu’il proposait au gouvernem ent de son pays la suppression absolue de tous les b o r dels, et j ’ai eu alors le plaisir d e v o ir mes pauvres paroles reproduites et appuyées p ar les jou rn au x progressifs de la m édecine espagnole. A ujourd’hui j ’adresse le m êm e reproche au docteur Bergerct, qui, dans son m ém oire su r la prostitution dans les cam pagnes et les com m unes de France, lance l’anathèm e contre le cautère que la civilisation a posé s u r celte plaie de l’organism e social m o derne; et dans une tristesse m élancolique je lus dis, à lui aussi : Tu quoque, fili m i? « Bergeret perd beaucoup de tem ps et beaucoup d’encre à raconter les lugubres accidents arrivés aux paysans français. Eli! qui donc ignore ces détails? N’en voyons-nous point de sem blables en Italie, en A llem agne; n ’en devons-nous point voir de semblables partout où il y a des hom m es qui aim ent et qui souffrent, qui s’enivrent et qui se prostituent, p artout où l’œil de l’autorité ne peut faire pénétrer sa lu e u r ju s q u ’aux dernières fis sures de l’édifice social, dans lesquelles vont se blottir les livides parasites qui le sapent et le dévorent ? Mais de déplorer les épouvantables résul tats de la prostitution clandestine à détruire toute tolérance su r ce terrain, il y a u n abîm e que doi vent fran ch ir le médecin et le législateur, s u r le pont solide d ’une critique savante et non su r les ailes de cire d’un essor archaïque. « Donc, m on cher m oraliste, m on cher doctri naire, vous dites que les hom m es ap prennent le vice dans les bordels; m ais alors, s’il n ’y avait point de cabarets, il n ’y aurait point d ’assassinats; sans pharm aciens point d ’em poisonnem ents ; sans fabrique de poudre et de fusils, point de guerre? Et qui donc, de grâce, fait les bordels, les caba rets, les poignards, les poisons, les arm es à feu, si ce n ’est l’h om m e lui-m èm e, l’h om m e que vous LES HOMES DE L'AMOUR. 281 devriez mieux savoir com prendre, s’il est vrai que vous soyez pétri de la mèmyvpàte que lui? Votre m orale est celle de l’inquisiteur qui brûle le pécheur q u ’il n ’a su convertir; elle est aussi fausse et aussi grossière que celle du législateur qui, pour corriger le coupable, ne connaît que la prison et la potence, que celle du chirurgien qui coupe brutalem ent un m em b re alors q u ’il l’aurait pu conserver s’il avait été plus savant et plus pitoyable. La civilisation m oderne substitue l’école au bûcher 41e l'in q u isiteur; elle a plus confiance dans les livres que dans les cachots et les guillotines, dans la médecine conservatrice que dans le couteau chirurgical. Et puisque l’organism e social est m alade, p u isq u ’il est encore des créatures im bues d’hu m eu rs cap tives, composées d’os cariés, pleines de tum eu rs scrofuleuses, posons pieuse ment quelques cautères su r leurs chairs, afin de les g arder vivantes, afin de détourner s u r les p ar ties plus viles ces âcres h u m eu rs qui em poison nent les sources plus pures de la vie; q u ’il nous soit enfin possible, au moyen des soins toniques de l’éducation, de renouveler le sang dans les veines de ce vieillard m alade, de rem placer ses os, ses chairs, ses nerfs, et d’en faite une chose neuve. Voilà pourquoi nous conservons encore la petite source de la prostitution, et la voulons-nous co n server avec un soin aussi jaloux q u ’u n médecin le fait pour un vaccin précieux qui sauvera la vie d un organism e m alade. Croyez-moi, m on illustre collègue d ’outre-m onls, lorsque la vie ne sera plus m enacée, lorsque l’organism e sera reconstitué, nous ferm erons alors cette plaie, en m êm e temps que beaucoup d ’autres qui sont encore toutes sai gnantes. Ainsi on ferm era les maisons de volupté, lorsque tout ho m m e pourra avoir son nid et qu an d l’a m o u r ne sera plus u n crim e pour p erso n n e1. » Lubbock, en ces derniers temps, a tenté une ethnographie de la prostitution. Je la tracerai plus complète encore dans m es Tableaux de la nature humaine (Am ours des hommes) ; ici nous devons nous occuper seulem ent de la vente de I am ou r, telle q u ’elle a lieu dans notre société. II y a des peuplades sauvages qui ne se p ro sti tuent point ; aucun peuple civilisé ne m anque de p rostituées; ainsi, parm i les nations, m êm e les plus morales, il en est de hautes, de très hautes, et de basses, de très basses. On ne retrouve point chez tous les peuples le cynisme d ’appeler les p ro stituées p a r le prix auquel elles fixent la vente de leu rs faveurs, com m e en Perse, où l’o n d i t : une cinquante-pièces, u n e vingt-pièces, etc., mais p ar tout il existe u n ta rif qui m arque u n e hiérarchie dans le vice et une échelle dans la débauche. t . Iyea, vol. IV, 1866, p. 289. Alexandre Sévère ne voulait point que l’argent provenant de l’im pôt sur les m aisons de pro stitu tion entrât dans le trésor, le considérant comme u n m onceau de fange; IJlpien, son m inistre, l’employait à l’entretien des théâtres et à la santé publique. Avec une sagacité digne de Juvénal, le gouvernem ent du Brésil confie à la garde du vice les deniers produits p ar la vente des décorations et des titres nobiliaires. Chez nous, on a établi une taxe su r la débauche, m ais on n ’a point osé l’inscrire su r les balances de l’État, et elle s’en va grossir le chiffre des fonds secrets, destinés au gouvernem ent, bon ou m auvais, de ce pandém o n iu m de la société m oderne q u ’on appelle ques ture, espionnage, tripotages électoraux et sim ila. Partout nous trouvons des fem mes qui se vendent, mais partout, po ur notre honn eu r, nous voyons que la société rougit de cette m acule ; elle l’occulte et s’en cache. Ainsi u n m ystère gros d’élouffem cnt m éph itiq u e pèse su r les sim onies d ’a m o u r; mille ruisseaux fangeux portent leur trib u t à la prostitution, m ais dans sa prem ière origine, la source en est unique et puissante; chez l’hom m e u n féroce besoin de volupté, chez la fem m e u n féroce besoin de pain, ou de débauche, ou de débauche et de pain à la fois. M alheureusem ent, la fem m e peut à toute h eu re vendre cinq m inutes de volupté sans am ou r, sans d ésir; elle peut aussi se vendre la nausée au cœ ur et la haine sur les lèvres. Et la joie q u ’elle vend lui est payée suivant les exigences de sa beauté, de son luxe, de la m ode, suivant l’art infâm e avec lequel elle sim ule le plaisir et falsifie l’am ou r. Et m archands et m archandes accourent su r le m arché de la luxure, p o u r y palper les chairs de ces précieuses vic tim es, rem p lu m er celles qui sont m aigres, acheter à haut prix celles qui sont grasses. Et entrem et teurs et entrem etteuses, à l’om bre du code, enfer m ent dans les prisons, lugubres ou dorées, de la prostitution ce troupeau frém issant de jeunesse et de honte. Là, nous trouvons à la fois, enferm ées dans la m êm e atm osphère obscure, des m artyres de l’am o u r et des nym phom aniaques, des victimes de la faim et des victimes de l’ignorance, des anges déchus et des dém ons im m ondes, tous les bas-fonds de la société fém inine, tous les reliefs ensanglantés des grandes batailles sociales. Là, aussitôt que sonne le glas d ’une cloche sourde, qui semble appeler une victime à la potence, aussitôt que craque une porte qui sem ble en lr’ouv rir dans un gém issem ent une prison ou une galère, la fem m e doit aussitôt courir, souriante, au devant de l’hom m e qui, sans l’aim er, sans l’avoir jam ais au tan t vue, p o ur u n peu d ’argent, pour quelques sols, a ie droit de la faire sienne, de l’in sulter en ce q u ’elle a de plus sacré, de la p rendre com m e u n m atelas à son ivresse, com m e une écum e infecte à ses plu s obscènes débauches. Si du moins cet argent gagné par tant de honte était à elle; si du moins elle pouvait avec celte m on naie fangeuse, am oncelée par tan t de larm es et tant d’insouciance, entrevoir le rachat, u n oubli profond du passé d a n s des pays éloignés, éloignés... Mais non, cet argent appartient à la m aitrcsse du lieu, à celle qui achète et engraisse les poulets anonym es de la luxure univei’selle ; p o ur elle, q u ’elle se contente du pain qui la n o urrit, de la robe de soie prêtée à u su re et qui sert d ’appeau p our attirer les merles ! C’est dans ces obscures tanières de la débau che que l’hom m e désapprend l’am ou r, c’est là q u ’il perd chaque jo u r la sainte poésie du cœ ur et les frém issem ents secrets du sentim ent, c’est là qu’il prostitue les forces les plus gigantesques de sa pensée cl de son affection. Là, sans faim, on m ange des m ets savoureux; sans soif, on boit ju s q u ’à s’enivrer; sans nécessité de vaincre la p u deur, 011 obtient tout ce que l’on veut, et l’a r gent y nivelle les vertus et accorde les plus toiles polygamies. C’est là q u ’on voit, profanation h o r rible, ch arrier la nue et chaste statue de l’am our à travers la fange fétide d’une orgie repue et avinée. Voilà l’am o u r q u ’offre la civilisation m o derne à tous ces cent mille parias qui ne peuvent trouver la paille nécessaire à tresser le nid d ’une chaslc famille : à tous ceux qui, ne sachant point faire vœu de chasteté, ne veulent pas non plus Iraliir l ’innocence d’une jeu n e fille, ou dérober la fem m e d au lru i. N otre société civile peut en vérité se m o n trer superbe :]les p h ilan throp es avec leurs nénies larm oyantes, les économ istes avec leurs m éditations savantes, les législateurs avec leurs codes laborieux, peuvent en ch œ u r ch an ter hosann ah à la stupéfiante solution du problèm e. Ou la fam ille affam ée, ou la prostitutio n ; ou les enfants jetés su r le fu m ier de la m isère, ou lu foi trah ie p a r l’am itié; ou le p ro létariat, ou l’infam ie; ou la honte, ou le crim e. D ilem m es étonnants, qui en co m brent n otre société d ’une forêt de cornouille, qui sèm ent p arto u t la trah iso n , et la faim , et la co rru p tio n . S il n y avait point u ne fausse croûte d ’hypocrisie p o ur co uv rir le tro nc ém nsculé de no tre civilisation m oderne, quel h o rrible spectacle nous au rions sous les yeux ! E t lo rsq u ’un m oraliste sincère, lo rsq u ’un profond philosophe essaye d ’a r ra c h e r cette écorce, p o u r nous m o n trer cette carie à trav ers un e toute petite fissure, nous fuyons vite h o rro risés, crian t au sacrilège et à l'im pudence. Là où la société m oderne est pieusem ent et pudi quem ent sage, c’est lorsque, to u t en m audissant la p ro stitutio n, elle la tolère et la surveille, à l ’égal d ’une vieille plaie qu i g aran tit la sénilité de l’organism e social d 'une corruption m ortelle. C’est ainsi que nous devrions ag ir, ta n t que les progrès de la civilisation n ’au ro n t pas concédé à tout hom m e u ne fem m e et u n n id , tan t que les p ro grès de l’éducation n ’au ro n t pas perm is à tous de sen tir et de g oûter les saintes délices de la chasteté. Q uant à présent, quoi q u ’il en soit, cent fois la pro stitutio n avec ses hontes et ses in fa m ies et ses gangrènes, plutôt que le p ro létariat cyniquem ent fécond et qui jette ses enfants à la v o irie; cent fois la volupté achetée, plutôt que la trahison dom estique et l’ad u ltère devenu cou tum e, et le m ariage devenu trafic de capitaux et voisin d elà polygam ie; cent fois la volupté cru el lem ent arrachée et écartée de l’am o u r, p lutôt que l ’am itié trah ie et l’am ou r contam iné dans le san ctuaire de la fam ille; cent fois p lu tô t que toute cette société im b ue d’u n suc cancéreux de vertu hypocrite et d ’intim e débauche, qui la consum e len tem ent, m ais sû rem ent. S ur ce te rra in , le gouvernem ent doit la tra ite r com m e une m aladie q u ’on soigne, non pas q u ’on en attende la g u érison, m ais parce que la société doit à tous u n m édecin et u n lit. Il ne doit pas p erm ettre q u ’elle s’étende, q u ’elle se répande, q u ’elle m on tre publiquem ent ses plaies livides, q u ’elle se couvre d ’oripeaux et de clinq u an t, m ais il doit veiller pieusem ent su r elle, com m e en u n hôpital, de façon à ce que, plus que la débau che, elle éveille la com passion chez le passant. Si certain s peuples, cyniquem ent audacieux, ont écrits su r ces m aisons : « Ici l’on jo u it », m oi j ’écrirais plutôt ces au tres m ots plus vrais : « Ici l'on gém it et celui qui est sain devient m alade ». Et pend an t que l’É tat veille et surveille, écri vains et éd u cateurs devraient élever le niveau de la cu ltu re générale et m o n trer aux élus le paradis de la cliastelé qui, en expectative, conserve u n tréso r de félicilés p o ur l’avenir (le libertin n ’arrive jam ais à l’entrevoir), et garde p o u r le véritable am ou r, auquel tout le m onde peu t asp irer, les infinies délices de la volupté vierge. T ous, nous devrions m o n trer aux hom m es que la p ro stitutio n, m êm e aux cas extrêm es, ne doit être jam ais q u ’une question d ’hygiène et qu’elle ne p eu t jam a is se su b stitu er ou s’adjoindre à l’am our. La vente de l’am ou r ne doit être ni proclam ée com m e une réjouissance de l ’hum aine fam ille, ni officiel lem ent supprim ée, car alors elle déborde par tous les sentiers de la volupté : elle doit être tolérée et plain te, com m e au reste on doit to lére r et p lain d re tan t d’au tres m aladies de n otre organism e social. P our atteindre ce b u t sublim e, p o u r pouvoir au m oins l’entrevoir, il convient avant tout de débar rasser l’am our m oderne de ses m ille vernis d ’hy pocrisie : il convient que nos enfants ne p arq u en t pas l’am o u r, com m e une faute, dans la case aux vices, m ais que soudainem ent, à la prem ière aube de la jeu nesse, ils sachent que c’est une sublim e félicité accordée aux bons et aux excellents et q u ’elle doit être conquise p ar elle-m êm e, com m e la gloire ou com m e la richesse. Non, ce n ’est point une ch am brière ou u n e prostituée qui doit êlre leu r prem ière m aîtresse d’am ou r ; m ais bien une jeu n e fille pudique et sainte, un e fem m e q u j leu r enseigne l’am o u r avant la volupté, qui leu r apprenne à être chastes dans leu rs désirs de la posséder u n jo u r. J’ose espérer que cette pauvre Phrjsiologie de l'Am our p o u rra être lue p ar un jeu n e hom m e et plaire à sa v ertu . A ujourd’h u i, nous ne perm ettons jam ais q u ’une jeu n e fille lève les yeux su r un jeu n e hom m e qui lui est sym pa th iq u e ; nous n ’accordons jam ais q u ’un adoles cent, déjà hom m e, ait le d ro it de d ésirer et d ’ai m er, et cependant l’innocence que nous croyons g ard er avec u n rigorism e archaïque et rid icu le se plonge dans la lange des prom iscuités dom esti ques, ou des lascivetés solitaires, ou de la p ro sti tutio n infecte. Nous nous cachons, et nous croyons p ar le silence su pp rim er la passion ou étouffer le désir, m ais nous avons tro p occulté et trop gardé sous silence. Dans le pays le plus pudibond du m onde, en A ngleterre, l’u n des m édecins les plus hon nêtes et les plus savants de Londres a publié u n livre* (aujourd’h u i à sa neuvièm e édition de onze m ille exem plaires) dans lequel il ose d ire fran chem ent que l’am our libre, sans fécondation, est t . The Eléments o f social science or physical, sexual and natural religion. 9,h cd. enlarged. London. 1871. l’u n iqu e rem ède contre la co rruption protéiform e qui envahit la société m oderne, p ar suite de l ’im possibilité où se tro uv ent la p lu p art de satisfaire aux plus im périeux des besoins. Je ne suis point d’accord avec cet au teu r, qui a d û g ard er l’ano nym e p o ur n e point su rp ren d re la délicate suscep tibilité des gens q u ’il a im e ; m ais je m ’arrê te devant son livre avec un e douloureuse ad m iration, com m e on ten d l’oreille apeurée au son du tocsin. Q uand, en A ngleterre, on a pu écrire un pareil liv re et lui donner n eu f éd itio n s; q uand u n m éde cin honnête a p u tran q u illem en t p arler des pré ventive intercourses ; quand M althus crée un com m entaire si éloquent et si h ard i, qui transporte sa théorie du cham p de l’économ ie dans celui de la m orale, de l’hygiène et m êm e de la religion, je ne crain s pas d ’affirm er que la société est profondé m ent m alade, et je dis à h au te voix q u ’elle veut être guérie. Oui, la société m oderne, infectée de ta n t de p ro stitutio ns et de ta n t d ’ad u ltères, qui p ren n en t jo u rn ellem ent le nom de m onogam ie, et ne sont en réalité q u ’u ne im m ense polygam ie, la société m oderne réclam e u n m édecin qui la guérisse de ta n t de plaies, qui la lave de tant de hontes, qui lui donne des am ou rs p lu s vertueuses et plus lib res, m oins difform es, m oins rep u es de fange et de m ensonge. Et çe m édecin doit être un e m orale, m oins hypocrite et m oins exigeante, m ais en m êm e tem ps plus haute, p arce que plus h u m ain e; ce doit être une m orale qui apprenne à ne séparer jam ais la volupté de l’am our, qui enseigne la chas teté com m e la plus belle et la plus sainte économ ie de la joie, com m e le plus vigilant gardien de l’am o u r vrai. Les élus, m êm e de nos jo u rs, n e se p ro stitu en t pas, car ils aim ent, car une fois entrés au paradis de l’am our, il leu r répugne trop de tom ber au b o u rb ier des sim onies de la volupté. Les rares élus doivent s’em ployer de toute leu r puissance à ce que le vulgaire se hausse à la sphère élevée dans laquelle ils vivent, dans laquelle se respire u n air plus p u r et se cueillent des fleurs plus heu reuses et plus belles. CHAPITRE XX LES FAUTES ET LES CRI MES D’ AMOUR D em andez à un e fem m e quelle est en am ou r la faute le plus souvent com m ise, il y a de fortes chances po ur que cent fois vous obteniez cette ré ponse : « L ’am o u r est inconstant, l’am ou r est m enteu r. » D’au tre part, ouvrez les tristes livres où l’hom m e consigne la statistiq u e de ses crim es, vous y trouverez u ne longue colonne hérissée de chiffres où figurent beaucoup de suicides et d ’as sassinats p ar a m o u r; cependant l’inconstance n ’est pas notée su r cette liste, où de tem ps en tem ps, très rarem en t, on ren co n tre l’ad u ltère. D’ailleu rs toute idée du droit, toute notion de la culpabilité, s’efface, ou to u t au m oins s'atro phie, dans la m asse confuse et incohérente du ju ry q u i, infligeant toujours les châtim ents les plus légers à des délits p u nis, dans le code, de la m ort ou des galères, absout souvent les assassins p ar am our. Quelle confusion d ’idées ! quelle co n tra diction en tre les coutum es d’u n peuple et ses codes ! quelle paradoxale ironie ! L’hom m e qui dans ces lois veut être ange, se m ontre tig re ou serpent su r le chem in de la vie. Au trib u n al de la justice il appelle u n collège d ’hom m es, q u i, proclam és jug es tou t d’u n coup, sont capables de céder à un e ém otion subite, et, sous son influence, p eu vent acclam er l’accusé ou le siffler, l’envoyer au triom phe b ru y an t de la place pu bliq ue ou à la lente agonie du bagne. Sur aucune des institutio n s hum aines ne régnent de plus épaisses ténèbres que s u r le dom aine de l’am ou r, dans au cun e on ne ren co n tre un en tre tien plus touffu de réticences et de contradictions, de tolérance et de cruauté, capable de faire re culer le bon sens, d ’offenser et de d étru ire le sentim ent de la ju stice. L’ad ultère : u n délit qui doit être puni des peines les plus sévères, dit le code ; dans la p ratiq u e de la vie, l’adultère est le péché le plus com m un et le plus véniel q u ’on connaisse; on fait m ieux que le tolérer, on le con sid ère p resq ue com m e u n e institu tio n sociale. Le code d it encore que l’hom icide est p u ni de m o rt ; cependant une foule d ’assassins p ar am ou r sont portés en triom p he p a r le peuple, ou to u t au m oins absous. Le code ajoute que l’excitation à la prostitution est u n délit très grave, p o u rtan t beau coup de nos législateurs à toge n ’hésitent pas à vendre le u r propre petite fille à u n m ari cossu, qui ne peu t l’aim er et ne l’aim era jam ais, et p ar la force d ’une irrésistible nécessité la poussera vers l’ad ultère. E t cela n ’est pas de la p ro stitu tion ! Ou l’hom m e n ’est pas digne des lois q u ’il s’est im posées à lui-m êm e, où bien il s’agite dans le lab yrin th e vertigineux de la folie, ou bien il est u n sot orgueilleux, au choix, ou u n m enteur sans vergogne. L’hom m e est u n peu tou t cela; m ais su rto u t il est hypocrite. Aux q u atre vents, il proclam e q u ’il est le fils de Dieu et q u ’il h abite la terre p ar h a sard et de façon passagère ; né dans l’olym pe, il y reto u rn era tôt et po ur toujours. C’est un dieu en villégiature qui consent à s’am user des créatu res attachées à cette glèbe, et m ieux, à les m anger; m ais il est ailé et ne vit que d’idéal ; u n in stan t après, oublieux de ce que, fanfaron, il vient de pro clam er, il se m ontre plus que jam ais u n an i m al te rre stre ; enfin, s’avisant du douloureux co n traste en tre ce q u ’il a dit et ce q u ’il fait, il se voile la face et co u rt se cacher. Voilà l’éternelle form ule de ses éternelles contradictions. En am ou r, il m ent encore plus souvent et avec plus de h a r diesse q u ’en au cu n au tre cas. Un m om ent, il a supposé que l’am o u r lui-m êm e devait être ju ste, se m esu rer p ar conséquent au m ètre com m un des au tres sentim ents, passer sous le niveau des au tres affections, P ou rtan t l’am ou r peut ayoir toutes les vertu s, il p eu t être pieux, héroïque, gracieux, généreux, m ais il ne peut être ju s te ; il ne connaît q u ’un droit, la force; q u ’une arm e, la toute-puissance. Quand l’am our tra h i s’arm e d’u n poignard hom icide, je classe ce crim e parm i ceux qui sont inévitables à la h aine subite, à la vengeance la plus n atu relle; quand on im pose l ’am our à une jeu n e fille com m e u n devoir, que la haine naît à la place de l’am ou r, et le m épris au lieu de l’affection, je suis obligé de constater q u ’on ne com m ande pas l’am our à h eu re fixe com m e u n repas, et que si bâtardise et infam ie naissent des ignobles am ours de l’or et de la vanité, l’am ou r n ’a rien à y voir, car l’am our était ab sent ; et qui peu t dém ontrer son alibi est aussitôt acquitté p ar le plus sévère et le plus aveugle des p ro cu reu rs royaux. Quand je vois l’am o u r tuer la dignité, l’am itié, les plus saintes affectionsdu cœ ur, quand je le vois b riser avec rage les cadenas de fer de la cage où l’a enferm é u n code cru el, moi aussi je l’absous sans tard er, parce que l’am our n ’est pas u n fauve q u ’on puisse enferm er dans une m énagerie, m ais une créatu re lib re com m e l’air, qui vit de lum ière sereine et de rayons ardents, des effluves des forêts et du p arfum des prés. P ar la faim et la soif vous l’avez ren d u en ragé ; p ar votre violence vous l’avez ren d u fou, et vous vous lam entez parce que l’enragé m ord et que le fou tue ! Le consentem ent universel sept cela très vivem ent; aussi, trouvant u ne infinie d is proportion en tre ce que veut le code et ce que peuvent les hum aines am ou rs, il lève les épaules et pardonne; il pardonne tou jo u rs, il pardonne tout, m ôm e quand la justice hum aine devrait se d resser, dans sa solennelle m ajesté, p o ur protéger les droits les plus saints de la fam ille et de la société. Donc la loi dans l’am ou r voit souvent un crim e, là où, dans les p ratiq u es de la vie, m êm e les plus sé vères, n ’aperçoivent q u ’une faiblesse u ne chère, une aim able faiblesse. P o ur m oi, l ’hypocrisie, j ’en suis convaincu, est le poids qui com prim e l’am o u r et l’écrase dans la société m oderne; aussi j ’affirm e que l’unique faute, 1 u n ique crim e que puisse com m ettre ce sentim ent est le m ensonge. A rrachons-lui d ’abord cette lèpre qui l’infecte, le dévore, le p o u rrit, et nous verrons ensuite ce que dessous n o us trouve rons de sain, dans ce ch er am ou r que la m a te r nelle n atu re nous avait donné vierge et n u . D’a bord sauvons-lui la vie, ensuite nous disserterons, nous étudierons s’il cause d ’autres m aux, s’il peut com m etlre d ’au tres crim es que celui de m entir. A ujourd h u i, de la tête aux pieds, l’am o u r est m enteur ; il m ent, quand il j ure et p arju re; il m ent, quand cent fois par jo u r il prononce les m ots éter nel, éternité, éternellem ent; il m ent dans la loi, il m ent dans la vie; il est infidèle, voleur, traî tre , parce q u ’il est m enteu r. Si vous voulez ce sera m a m anie scipionienne, m ais m on delenda Carthago ne sortira jam ais de m a tête, et à q u i conque m e dem andera : « Q uelles sont les vraies, les grandes a m o u rs? » je répondrai sans b ro n ch er : « Les sincères ». « Quelles sont les am ours h e u re u se s? » «L es sincères ». Toutes les fautes de l’am our sont m ensonges; tous les crim es de l’am our sont fils de m ensonges ; l’ad u ltère n ’est que le plus infâm e des m ensonges d’am our. Quel est, dem anderai-je à m on to u r, l’unique rem ède à l’am our m alh eu reu x , la seule ancre de salut aux am ours trah ies ? La sincérité, la sincé rité, rien au tre que la sincérité ! M algré que je voie u n so u rire sceptique su r les lèvres d’un e foule de m aîtres et d ’élèves en am our, je déclare que la fem m e, du jo u r où elle nous aim e, m ent m oins que nous; de m êm e, je prétends que d u ran t sa carrière am oureuse elle est m oins infidèle que l’hom m e. Dans sa prem ière déclara tion, alors q u ’il n ’est pas encore bien sur d ’ai m er, l’hom m e ju re tou t de suite, il ju re u ne éter nité d ’am ou r infini; la fem m e, elle, p lu s pudique, plus tim ide, plus réservée, répond q u ’elle n’aim e pas en co re, q u ’elle n ’a pas consulté son cœ ur, que peut-êlrc u n jo u r elle aim era ! Moins l’on ju re , m oins on p arju re. Si un e sainte h o rreu r p o u r le serm ent peut enlever aux expansions am oureuses quelques accents enflam m és, u n peu d ’ivresse, elle donne cependant à la parole de l’hom m e u ne em prein te de dignité m âle qui la ren d chère aux fem m es, tandis q u ’elle im prim e aux rapports sexuels u n caractère de douce ré serve et de délicate sérénité. Souvent l’hom m e adopte les serm ents éternels com m e un e arm e de séduction, il les fait rev en ir à chaque in stan t p o ur m esu rer les abim es infinis de son am ou r, m ais quelquefois il ju re sincèrem ent, parce que n u l n ’est plus audacieux créateu r d’éternité et d’infini que le désir arm é. Et po urtan t, le serm en t im p ru d en t, précipité, est trop souvent le père du m ensonge, l’aïeul très fécond de l’infidélité. De m êm e que les génies sont en très petit nom b re, les Apollons et les Vénus rarissim es, de m êm e on com pte très peu d’éternelles am o u rs. Tous nous nous hissons aux cieux, aux cim es de l’idéal ; m ais com bien cueillent u n ram eau ou m êm e u ne feuille de l’arb re sacré ? Le com m erce des am ours dure quelques années, quelques m ois; il en est d’aussi fugitifs que l’éphém ère dont la vie d u re u n jo u r. Eh bien ! la franchise fait don n er à tout am o u r le baptêm e de l’honnêteté, grâce auquel u n hom m e léger peu t m o u rir sans rem o rd s am oureux, parce que si parm i ses am ours, toutes fu ren t vulgaires, au m oins toutes fu ren t hon nêtes; parce que, s’il a fugitivem ent et beaucoup aim é, du m oins il n ’a jam ais m enti, jam ais trah i personne; parce q u ’enfin il ne s’est jam ais p arju ré. Parfois c’est p ar com passion que l’on m ent, cela su rto u t est fréq u ent chez la fem m e qui essaye en vain de conserver la vie à u n am our ex p iran t, à qui répugne trop la pensée de faire une atroce blessure à celui dont elle est encore aim ée et qui, p ar u n cru el effort, tâche de s’illu sio n n er elle-m êm e en m êm e tem ps que lui, ju sq u ’à ce que l’hypocrisie l’am ène à feindre u n am our qui n ’existe plu s. D’un tel m ensonge à la tra h i son le chem in est co u rt et glissant. Au d ébut ce fut u n m ensonge pieux, puis un e habitude qui s’est changée en u n crim e. A m ants et m aris, com pagnes de p la isir ou ves tales de la fam ille, non, m êm e p ar pitié, ne m en tez jam ais ! Elle est cruelle, elle est sanglante la tem pête im prévue qui abat tou t à coup l’arb re en fleurs d ’une passion heu reu se; il est terrifian t l’éclat d ’un cœ u r qui se brise sous le coup d ’une désillusion atroce ; m ais ce sont là douleurs qui ne souillent point, elles peuvent tu e r, m ais h u m ilier, non pas ! Noble et beau com m e un ange foudroyé, l’am ou r, frappé de m o rt violente, gît étendu sur le sol ; la m ém oire le couvre de fleurs et de ses arom ates les plus précieux, de ses baum es les plus suaves, le défend contre les larves du tom beau. L’am our qui m eu rt d’une longue tra h i son cachée, c’est le lépreux qui s’éteint en u n lit d’hôpital, en h o rreu r à soi-m êm e et aux a u tres; c’est le cadavre dès longtem ps rongé p a r la scro fule et la phtisie et qui ne rappelle rien du tem ps où il était un jeu n e et robuste organism e. Fausse et cruelle est la pitié qui nous fait si m u ler u n am ou r expiré. Nulle d o uleu r ne su r passe celle q u ’inflige u ne trahison : am our, am o u r-p ro p re, am o u r de soi-m êm e, am o u r de la propriété, tous les sentim ents h u m ain s les plus chauds et les plus p uissants sont d ’un seul coup déchirés en m ille pièces, et telle est la convulsion q u ’elle devient capable d’em poisonner toute la vie de fiel et d ’am ertum e. Com bien beau, com bien su blim e au co n traire u n am ou r qui sans ju re r l’éternité ou l’infini, dure éternel et infini, tan t que palpitent ensem ble deux cœ urs h u m ain s ! Com bien beau u n am our qui n ’a pas besoin de ch aîn es, m ais vit de foi et de lib ertél A im er, signifie être tout à un seul ; être aim é c’est être devenu p artie vivante d ’u n a u tre ; le m ensonge com m ence quand, p a r u n cynique li bertinage, l’hom m e ou la fem m e se divise en deux p arts, et, à l’u n e, donne le corps, à l’au tre, p o u r ainsi dire, l’âm e. L’am ou r est u n tout ; on ne peut le diviser sans q u ’il succom be ; à m oins q u ’on ne fasse de l’am o u r un e basse question d’hygiène, on ne peut ni ne doit jam ais aim er deux créatures de cette affection p ar excellence q u ’on nom m e am ou r, à m oins de tra h ir l’une et l’au tre. J ’estim e beaucoup plus une fem m e qui, après un e longue carrière de folles am o u rs, peut dire ; « Je n ’ai jam ais aim é deux hom m es à la fois », q u ’une m atrone bigote qui se vante à son confesseur et à Dieu de n ’avoir jam ais m anqué à ses devoirs d’épouse, parce que, prudente et ex p erte en luxu re, elle a su vaincre la volupté sans jam ais com prom ettre sérieusem ent le cham p ré servé à son am ant. Tous les m ensonges sont infâm es. Cependant, en am o u r, les u n s sont véniels, les au tres scélé rats ; jo u er u n vieux libertin et tra h ir u n m ari fidèle sont choses fort différentes; il n ’est pas égal de m en tir à une coquette ou de tro m p er une sainte fem m e. Plus loin j ’enseignerai à gran d s traits les droits de l’am ou r et ses devoirs, m ais il m e faut ici p a r ler de la tige à laquelle ils pendent com m e les grains d’une grappe féconde. La fem m e est à l’hom m e et l’hom m e est à la fem m e. L’am ou r est le fru it du choix le plus libre. Il naît q u an d il veut. Il ap p araît dans la plaine ou su r la m ontagne. Il vient au m onde nu et libre com m e l’a ir ; ne lui dem andez pas de pas seport, il viole toutes les douanes. Homm es et fem m es, libres et p u rs, cherchezvous, aim ez-vous. Étudiez l’am ou r vrai et consa crez-le du seul serm ent que doive faire l’am our quand il se veut enferm er au tem ple de la fam ille; si vous aim ez sincèrem ent, si vous êtes dignes l’un de l’au tre, si votre am ou r ne blesse aucun devoir su p érieur, n u lle force hum aine ne po urra s’opposer à votre attraction, et la n a tu re et les hom m es b én iron t votre choix. Lisez et relisez ce que j ’ai écrit su r les p rem ières am o u rs; jurez ra re m ent, ou jam a is, si vous en avez le courage; au m oins ne ju rez q u ’un e fois, et que ce serm ent, le p rem ier et le d ern ier, vous fasse époux. Le pacte violé aux p rem iers pas de la vie d’am ou r est un m e u rtre , et vous p rép are un e carrière de brigand toléré p ar la société. Au regard du code, tra h ir une vierge est affaire de p ro c u re u r royal ou de syndic dans votre com m u n e; la tra h ir sans la déshonorer est une infam ie anonym e qui souille deux existences et deux am ours, qui vous laisse, à vous u n éternel rem o rd s, à elle u n e éternelle haine. Aimez-vous, cherchez-vous, étudiez-vous ju sq u ’à L’infini, m ais ne ju rez pas, ne m entez pas à la jeu n e fille qu i, à l’aube de sa jeunesse, de m ande au soleil u n p rem ier rayon de lum ière et de ch aleu r. Il y a p o u rtan t en am o u r un e im posture qui p rim e tou te im posture, une trah iso n qui surpasse toute trah iso n ; il y a une scélératesse qui l’em p orte su r toute rapin e, to u t m e u rtre , to u t assas sin at : c’est l’am ou r avec la fem m e d ’a u tru i ; c’est u n crim e q u i, protégé par les lois, choyé p a r l’ha b itu d e, fêté p ar nos m œ urs infâm es et hypocrites, échappe à la p riso n et à la corde, pourvu q u ’il p renne la sim ple et facile précaution de ne pas se faire nom m er adu ltère. S’in tro d u ire au sein d’une fam ille h eu reu se, se faire l’am i de celui q u ’on veut tra h ir, le couvrir du m anteau de sa bien veillante protection, lâchem ent, inexorablem ent séd u ire sa fem m e, par su rp rise, p ar m ille tra quenards de violence m orale la pousser dans l’a bîm e où elle tom b e; p ar cette prem ière victoire acq u érir l’im p u n ité p o u r u n e longue série de m éfaits, sem er le m onde de b âtard s, ouvrir dans les fam illes u ne large source de fiel qui pol luera deux ou trois générations ; faire to u t cela, sans crainte ni péril, se nom m e dans n o tre siècle être u n hom m e à bonnes fortunes, consoler les fem m es m alheu reu ses, et peu t se rép éter une, deux, dix fois, sans q u ’on perde l’am ou r des fem m es ni l’estim e des hom m es. Succom ber au vertige, em brasser la fem m e d 'un a u tre publiquem ent, ou bien à ce m om ent se laisser su rp ren d re p ar le m ari, s’appelle adultère, et selon les cas, selon la gravité du scandale, su r to u t, signifie prison ou galères : c’est désho n o rer son pro p re nom et celui de ses enfants. La société m oderne recom m ande la prudence p ar dessus tou te chose; elle répète ; Pas de scandale! E lle ne veut pas être troublée dans ses am ours largem ent polygam es, m ais saintem en t circons p ects; à au cu n prix elle n ’entend voir une n u dité en public, elle veut q u ’on la croie m orale, res pectueuse et respectée. Un lib ertin habile passe sa jeunesse à peup ler les fam illes de b âtard s en atten dan t le jo u r où il p o u rra abandonner les fem m es trom pées p ar lui p o ur faire u n m ariage de convenance— cela ne regarde pas la société, car cela lui im porte peu. C’est affaire d ’in térieu r : au m ari et à la fem m e de la rég ler. Faites p ru d em m ent les choses, pas d ’éclat, ayez de bonnes serru res, prêtez l ’oreille aux pas q u ’on entend dans l’ap partem ent. Les m ailles du code sont larg es; celui qui s’y em barrasse et s’y accroche est le d ern ier des sots ; le pavillon couvre la m ar chandise ; les enfants qui naissent dans le m ariage sont tou s légitim es ; allez, allez donc ! Ne nous en nuyez donc pas avec vos bizarres et em barrassan tes déclarations d’une m archandise étrangère ! Les douaniers ferm ent les yeux et ne voient pas, ils se bouchent les oreilles et n ’entendent p o in t; q u ’a vez-vous besoin de les réveiller bêtem ent p ar des cris im p ru d en ts ? En avant, en avant, passez, m ais passez donc! E m bâtardissez les fam illes, falsifiez les prénom s et les nom s, étalez la frau d e, semez la trah iso n p ar tou s les sentiers de la vie m ondaine et de la vie légale; faites q u ’il n ’y ait pas u n m u r où l’on puisse s’appuyer, pas un e route où l’on puisse poser le pied sans tro uv er des lam es aiguisées, des tessons de verre em poisonnés; répandez la corru p tion , l ’infam ie en tous lieux ; faites que le nom de père soit vide de sens, faites que le nom de m ère puisse être un blasphèm e! CHAPITRE XXI LES DROITS ET LES DEVOIRS DE L’ A M O U R « Aim e-m oi, tu dois m ’a im e r!... » Tel est le cri de douleur que souvent pousse l’hom m e aban donné et plus souvent la fem m e; m ais presque to u jo u rs il est im p u issan t. Exiger l’am o u r com m e u n droit, c’est folie m ajeure, c’est dem ander la poésie à l’ilote de la pensée, c’est chercher le p arfu m de la rose et d u cèdre p arm i les glaces qui refroidissent n otre m onde aux deux pôles. C ependant les am ants ont tous et toujours le d ro it de lancer dans l’espace cet au tre cri d ’an goisse : « Tu n ’as pas le droit de m e tra h ir! » Mieux e st, d’u ne m ain ferm e, b rise r en m ille pièces la coupe d’am ou r que d’y verser le poi son de la tra h iso n , l’am ertum e de l’indifférence. Spontaném ent, l’am ou r jaillit d u cœ ur h u m ain , et tire toute sa beauté et toute sa force de la liberté infinie de l’horizon où il se m eut. Le code qui le gouverne est sim ple, sim ple com m e la plus sim ple loi de physique élém entaire : s’attirer, s’élrein dre, ren dre am ou r pour am ou r, tendresse p o ur tendresse, do nn er la joie à qui nous donne un e joie im m ense, ren d re h eureux qui nous fait hien h eu reu x , voilà sa loi. Si l’am o u r a éié seu lem ent u n contact de cœ urs et de pensées, si, m ontés ju sq u ’au ciel, vous n ’en êtes pas descen dus avec ù n ange, si p arm i vos baisers vous n ’avez pas rallu m é la flam m e de la vie, donnezvous la m ain, com m e des am is, h érissez les h eu res heureuses que votre am our vous a dépar ties et, en votre écrin le plus précieux, parm i les choses les plus chères, conservez la m ém oire du tem ps passé. Ne term inez jam ais u n jo u r em paradisé p ar u n blasphèm e ou un rem o rd s. Les larm es peuvent être la rosée d’une n u it d ’été, qui tem pèrent les ard eu rs des corolles enam ou rées; que votre plainte ne reçoive pas la m a lédiction d ’un m ensonge, d’une trah iso n , d ’une insu lte. À l’unique droit de n ’être pas trah i correspond u n devoir très sim ple, celui de se faire aim er. Vous ne sauriez com m ander l’am our. P ar la beauté des form es ou la vivacité de l'e sp rit, p ar la grâce voluptueuse du m ouvem ent ou les splen d eu rs du cœ u r vous avez provoqué le sentim ent des sen tim en ts; sachez le conserver, et vous serez éternellem ent aim é, En tête de tout code LES DROITS ET LES DEVOIRS DE L’AMOUR. 507 d ’am ou r, en tête de tout évangile des am an ts, j ’écrirai toujo urs cette sentence : « On a toujours to rt quand on n ’est pas aim é ». E t vous le tro u verez écrit en cent façons diverses dans ce vo lum e. Demandez à la plus h eu reu se des fem m es si elle n ’a pas eu besoin, plus d ’un e fois, de recon q u é rir u n am ou r qui m enaçait de lui échapper. Avec u n soin jalou x , elle a caché les artifices grâce auxquels elle a su réchauffer l’attiéd i, ré veiller le d o rm eur, faire so urire l’ennuyé, donner faim et soif à qui avait la bienheureuse aven tu re d ’avoir trop fêté le b an q uet de la volupté. L’hom m e est n atu rellem en t polygam e ; il est n atu rellem en t p lu s infidèle, plus b ru ta l, plus cap ri cieux, plus lib ertin que la fem m e; à elle de le re n d re m onogam e, fidèle, constam m ent tendre, et pu diq u em ent en trep ren an t. S’il est vrai que l’hom m e attaq ue et co n q uiert, à la fem m e la n a ture assigne la tâche très difficile d’assu rer sa p ropre conquête, d’être la vestale de ce feu sacré que l’hom m e, p resq u e tou jo u rs, allum e le p re m ier. C’est peut-être là la form ule générale pour exprim er les m issions q u ’ont en am o u r l’hom m e et la fem m e : à nous d ’allum er la flam m e, à notre com pagne de l’en treten ir. P ar to u t ce que vous avez de plus sacré su r la terre, ne soyez pas assez b ru ta l p o u r inscrire Je rap p ro ch em ent sexuel parm i les d ro its et les devoirs de l’am our. Cela est écrit dans le code cependant, et les Béotiens le répètent chaque jo u r, p o u r qui l’am ou r n ’est au tre que l’accouplem ent du m âle et de la fem elle. La volupté doit être la m ousse qui flotte su r l’onde frém issante de la passion ; elle tréb u ch e et plonge irrésistiblem ent en ces abîm es où l’hom m e p erd la conscience de son existence et se croit dans l’infini ; elle ne p eu t être une fête com m andée à h eu re fixe, m oins encore u n im pôt exigé avec la b ru talité d’u n agent du fisc. Com bien d ’am ours délicates fu ren t étouffées en u n jo u r p a r la m ain sacrilège d’u n insolent désir, qui p arlait su r le ton du com m andem ent et, du pied, frappait le sol. Non, l’accouplem ent n ’est pas un d ro it,.en co re m oins est-ce un devoir : c’est u n consentem ent unanim e de deux puissantes énergies qu i, à trav ers les espaces infinis, se rech erch en t, se com battent doucem ent l’une l’autre, et finissent p ar s’abîm er en u ne m er de délices. Sincérité et fidélité sont donc un e m êm e chose. Elles con stituent le code d ’am ou r tou t en tier, les livres des deux am oureux n e doivent jam ais les d iscu ter; de m êm e, devraient être bannis du d ictio nnaire ces m ots droits et devoirs. Qui donc perd son tem ps à discuter la beauté du soleil? Qui m et en doute la nécessité de l’a ir p o u r vivre? Q uand on com m ence à discu ter certaines choses, on est bien près de les perd re, et si une perpé- LES DROITS ET LES DEVOIRS DE L’AMOUR. 300 * tuelle enquête vexatoire m et en doute la fidélité de n otre com pagnon, celui-ci a le droit de croire q u ’on l ’aim e m al, ou du m oins cruellem ent. E ntre deux am ants je ne crain s pas les colères subites ni les querelles ou les tendres plaintes, m ais j ’éprouve u ne profonde inq u iétud e de toute discussion su r les droits et les devoirs. Q uand de tels débats m ontent à l’horizon, je vois en m êm e tem ps acco u rir de som bres nuées, j ’aperçois des éclairs sanglants, enfin les cornes de la lune rousse dont parle Balzac, me p araissen t pointer dans le ciel. Je ne discute seulem ent ici que la base générale des droits de l’am o u r; q uan t aux cas p articuliers, vous les trouverez, fouillés ju s q u ’à la prolixité, dans le d ern ier ch apitre de ce livre, ou tracés dans le code de l’a rt d’aim er ou d’être aim é. Les droits de l ’am ou r sont-ils égaux, chez l ’hom m e et la fem m e? Non, m ille fois non, et je le dis à h aute voix m aintenant que m es p rem iers cheveux blancs et u n e longue expérience m e donnent le d ro it de croire que je p arle sans passion ni am our. Non, le péché d ’infidélité n ’est pas égal p o ur Adam et pour Ève; p o ur celle-ci, il est cent fois plus grand. Devant la loi, devant les trib u n au x , tous les p airs sont égaux. Or l’hom m e et la fem m e sont tro p différents l’u n de l’autre p o u r pouvoir être égalem ent punis. Si le code est u n , les ju ré s sont m ille, bien divers sont les accu- sateu rs et les avocats; eh bien, la sentence qui p u n it la trah iso n a été prononcée chez toutes les nations civilisées, et toujours dans les m êm es term es. Cet accord universel n ’a pas été dicté p ar la prépondérance des hom m es, qui seuls firent les lois p o ur ces trib u n au x et seuls fu ren t juges au forum de l’opinion publique. Non. Il provient d ’un e profonde conscience des nécessités sociales, d ’une justice plus profonde et plus perspicace qui fouille ju sq u ’au cœ ur des choses p o u r en extirper les racin es de cette inform e et superficielle sa gesse qui soutient l’égalité de tous les hom m es devant la loi, sagesse dont fait ju stice l ’histoire du ju ry , institu tio n qui p araît une glorieuse con quête à n o tre siècle civilisé. De l’hom m e la société exige cent v ertu s toutes fort difficiles : l’hom m e doit donner son sang à la patrie et la sueu r de son front au trav ail de la fam ille et de la société; il doit se m o n trer fort, am bitieux; il doit résister aux corruptions de l’or, aux séductions de la vanité. M édecin, il lui faut se je te r dans l ’obscure et terrib le bataille co ntre la contagion; soldat, te n ir la tête h au te sous le feu m e u rtrie r; avocat, résister au x ten tatio ns de la fortune ou de l’am bitio n ; hom m e politique, lu tte r contre lui-m êm e, co n tre sa fam ille p o u r le bien de la p atrie. D éfenseur du faible, du naufragé, du pauvre, avocat n atu rel de la plus faible m oitié du genre hu m ain et de toutes les non-valeurs so ciales, c’est un soldat tou jo u rs sous les arm es, qui se trouve déshonoré p o u r avoir u n seul jo u r m anqué à son devoir. Alors la société le m éprise, la fem m e le repousse, n u l n ’en a cure. Au con traire la fem m e peut être lâche au feu et au travail, lâche dans l’épidém ie et dans toutes les batailles de la vie ; elle p eu t être ignorante et peureuse et se faire cependant estim er et aim er de tou s ; c’est que chez elle la faiblesse est voisine de la grâce, et que rien ne nous sem ble plus doux que de recu eillir su r notre p oitrine la trem blante colom be et de la réconforter p a r notre courage, la défendre avec notre force. Enfin un e naïveté, com m e elle est jolie, com m e elle est gaie su r les lèvres d ’un e fem m e aim ée! Nous lui pardonnons de ne tou ch er jam ais aux altitudes du génie et d ’attein d re beaucoup plus rarem en t que nous à la h a u te u r m oyenne des esp rits élevés; nous lu i pardonnons de ne pas avoir de m étier, de ne p as gagner son pain p ar le trav ail; nous ne lui dem an dons que la seule fidélité. De grâce, fem m es très charm an tes, nos divines com pagnes, de quel côté penche la balance? De n otre côté certainem ent. Q u’elle soit hu m b le, ignorante, q u ’elle trem ble au b ru issem en t d ’une feuille, au bourdonnem ent d ’u n insecte; m ais q u ’elle garde sa foi à qui l’aim e. Qu’elle cède à tou t, m ais q u ’elle résiste aux sé ductions d’un provocant regard, aux caresses des sens, aux co rru ption s de l’o r et de la vanité! Qu’elle soit l’héroïne du sen tim en t, com m e nous som m es les héros de toutes les b atailles de la vie. Elle est la vestale gardienne de n otre hon n eu r et de notre sang! Tandis que dans l’arène nous luttons inondés de su eu r et que nous com battons p o ur elle, p our le nom q u ’elle porte, p o ur l’h o nn eu r de nos fils, — q u ’alerte et pieuse elle veille au feu sacré de la fidélité: q u ’elle ne le laisse pas éteindre p ar in c u rie ; q u ’elle ne le laisse pas ren v erser p ar l’ouragan. C’est la seule v ertu que nous lui dem andons! Serait-ce trop? Quel devoir a-t-elle donc? Quelle est donc la lutte assez difficile p o u r la m a rq u e r de son caractère, la faire notre égale, et la ren d re digne d ’être notre com pagne? Est-elle belle? Nous som m es forts. A-t-elle la grâce? En nous b rille l’intelligence. P o u r elle nous avons conquis n o tre planète, et p o ur elle dom pté la foudre, d étru it les fauves, inventé les arts, créé les sciences. Mais beauté, grâce, esp rit, ne sont rien au baptêm e de l ’hon nête hom m e. Cent périls nous sont im posés, à elle u n seul, celui de la séduction; nous som m es traînés en cent b atailles, un e seule victoire lui suffit, celle rem portée su r les sens; cent v ertu s, voilà ce qu’on exige de nous, d ’elle une seule, la fidélité. Serionsnous des tyran s? Serions-nous tro p exigeants en vers la fem m e que nous aim ons tan t, p o u r qui nous faisons tout, à qui nous dirions toutes nos pen- sées, toute n otre gloire, nos rêves et nos travaux. Non, m ille fois non! la société m oderne est profondém ent ju ste quand elle exige de la fem m e encore plus d ’am o u r fidèle que de l’hom m e; elle est ju ste quand elle ju g e crim e chez la fem m e ce qui n ’est que faute chez l’hom m e. Mais il y a encore une au tre raiso n qui assigne des m esures très différentes aux devoirs de l’am our chez l’hom m e et chez la fem m e. L’hom m e, p ar la m ission spéciale que son sexe lui im pose, attaq ue à brûle-p ou rp o int ; il peut donc avoir des besoins organiques que la fem m e ignore, et q u ’il peut satisfaire avec la rapidité de la foudre. Sans perdre l’am ou r, il peu t avoir u n caprice plus ra pide que l’éclair et qu i, étein t, ne laisse d ’au tre trace q u ’u n peu de cendre. Je ne loue cette su rp rise des sens, cette infidé lité passagère et tout im prévue, ni ne la justifie ; m ais je la décris parce que je la trouve fréquem m ent dans la n atu re assaillante et provocatrice du sexe fort. La fem m e, au contraire, doit se défendre et, à ce point de vue, je confesse q u ’en am o u r j ’aim erais m ieux être une fem m e q u ’un hom m e. La griffe qui étrein t sa proie et la dent qui la déchire enlèvent à l’hom m e un e bonne p artie de sa force. La fem m e ren tre dans la co quille com m e le colim açon, et voluptueusem ent abritée p ar sa conque d ’am ou r, elle se laisse ai m er. Elle ne perd rien d ’elle-m êm e dans la lutte p o u r la conquête, et elle se consum e tou te dans le p laisir de se laisser faire. La fem m e, il est vrai, peut aussi éprouver des caprices des sens, m ais ce sont là de légers nuages q u i, à peine for m és, se dissolvent dans l’azu r profond du ciel, et ne deviennent désirs ardents que lo rsq u ’une m ain virile les étrein t et les condense. Lors m êm e q u ’elle désire, la fem m e se tait; m êm e lorsq u ’elle veut, elle se défend. Très faible à l’altaq ue, elle est form idable dans la défense, et le non cliez elle est capable d’arrê ler une phalange de com battants. Avec une astuce infinie, elle défend chaque jo u r sa faiblesse, en disant q u ’une foule de séductions lui font la g u erre, tan dis que nousm êm es, nous cherchons les prem iers l’occasion du péché. C’est là u n des plus insidieux sophism es, m ais aussi u n des plus pauvres argum ents de sa défense. L’hom m e attaq ue et donne l’assaut, ju s tem ent parce q u ’il est hom m e, et q u ’il ne p o ur ra it atten dre la séduction sans se condam ner à l ’im puissance, ni ren v erser les lois les plus élé m entaires, m ais les plus indiscutables de la na tu re ; le sacrilège ne serait pas m oindre si une fem m e, ren v ersan t les rôles, se faisait assaillante et profanait son sexe, violait la n a tu re en ce q u ’elle a de p lu s sacré et de plus im m uable. Non, ce n ’est pas en vain que la n atu re a fait la fem m e vierge et q u ’elle nous refuse la doulou reuse vertu de la virginité. La fem m e qui cède à la prem ière dém angeaison am oureuse est une M essalinc; l’hom m e qui lance les prem ières flè ches d’am ou r est u n g u errier q u i, avec une sage prudence, prép are ses arm es p o ur la longue bataille qui l’attend. L’hom m e com m ence avec le oui et le je veux, la fem m e avec le non et le je ne veux p a s. Le caprice m om entané des sens est com battu chez elle p ar tan t d’obstacles physiques, sociaux, m oraux et religieux, q u ’en vérité il lui fau d rait être une am azone p o ur les ren v erser, p o u r les abattre d’un seul élan dans la lutte.T o ut provoque l’hom m e à u n assaut fug itif, qui p eu t-être n ’attaquera m êm e pas la prem ière épiderm e du c œ u r; tout défend la fem m e contre ses caprices. P our céder, il lui faut avoir longtem ps com battu et la n atu re et la société; p o u r se défendre, codes et religions lui offrent m ille alliés. A m oins d ’effleurer la p rostitution, une fois su r cent, elle ne peu t dire : « J’ai eu un caprice ». Personne ne croit à l’effi cacité de la volonté su périeure, et la fem m e m oins que tou t au tre, lorsque cette croyance ne lui est pas nécessaire p our ju stifier son propre péché. En am o u r, toute faute, to u t crim e est possible, m êm e le p arricid e, m ôm e l’inceste; il n ’y a que le vol qui ne le soit pas. Que la fem m e ne se profane jam ais elle-m êm e, q u ’elle ne gâte jam ais la cause, souvent très ju ste, q u ’elle défend, en p arlan t de séduction et de violence. Mais p lu tô t q u ’elle invo que l ’irrésjstiblc besoin de vengeance, la peine du talio n ; q u ’elle discute le droit n atu rel, puis que là, elle se trouve su r le terrain de la vérité et de la ju stice; q u ’elle pousse de grands cris, et je ferai chorus avec elle dans les pages que vous trouverez plus lo in ; q u ’elle crie fort, car elle est le côté de l ’organisation hum aine le plus faible, le m oins honoré, le plus o p prim é; q u ’elle réclam e le d roit d’aim er et d ’être aim ée, m ais q u ’elle ne dem ande jam ais l’égalité des peines p o ur des péchés p ar trop inégaux. Non seulem ent la société m esure la faute au m ètre du d roit n atu rel, m ais elle p u n it le crim e d’une peine d ’au tan t plus d u re qu’il peut être plus fertile en d ouleurs, q u ’il offense plus les besoins h u m ain s. Avez-vous jam ais songé aux conséquences d’un caprice d ’infidélité suivant que l’hom m e ou bien la fem m e s’en rend coupable. Pour l’hom m e, un caprice d ’u ne h eu re est une tache qui tern it à peine le m iro ir d’une foi ju ré e, d ’u n am ou r sublim e et im m acu lé; peu d’instants après, u n nouveau b aiser, plus ard en t que les au tres, im prégné de l’âcre senteur du rem ords, peut raviver l’am our, et ren d re l’infidélité passagère im possible pen d an t de longues années. Le caprice am oureux alors peut être le blasphèm e qui ja illit des lèvres d ’u n saint, m ais que lave l’onde p u re d’une ardente p rière. C’est la faiblesse d ’un robuste co u reu r, qui peut b u tter contre une p ie rre, m ais, LES DROITS ET LES DEVOIRS DE L’AMOUR. 517 plus fort rep ren d la route, et peut cent fois regnagner le tem ps p erd u . Le caprice am oureux, chez la fem m e, peut en u n seul instan t procréer un b âtard , em poisonner le lait et le m iel d’une fam ille en tière; il peut te rn ir toute une généra tion de haines fraternelles, de douleurs infinies ; il peut déborder en un vaste cham p, inonder cha que chose d ’am ertum e et de fiel ; chez l ’hom m e c’est tache, chez la fem m e gang rèn e; chez l’hom m e piqûre d ’épingle, chez la fem m e carie des os ; chez l’hom m e feuille qui tom be, contraven tio n , rem ords d ’une heure, chez la fem m e o u ra gan capable de d éraciner une forêt, crim e, m o m ent d ’infam ie que le tem ps n ’efface pas. 0 fem m es am oureuses, fem m es saintes qui avez beaucoup aim é et qui avez péché, ne crai gnez pas de tro uv er dans mon livre un e m alédic tion, u n anathèm e sans rédem ption. Non, si la société exige ju stem en t de vous la fidélité la plus absolue et un e vertu sans tache, elle doit en re v a n che vous accorder le droit d ’aim er, elle ne doit pas vous je te r pieds et poings liés en u n m ariage infâm e, telle l’esclave africaine su r le pont d’un n égrier. A ujourd’hu i que nos soi-disant contrats d’am o u r font presque toujours du m ariage une pro stitution ju ré e , personne n ’a le droit de vous je te r la prem ière p ierre. Votre péché est igno ran ce et scélérates sont les conséquences de votre faute. Mais quels sont les vrais coupables, sinon les hom m es qui créèren t des lois infâm es et vous d én ièren t le prim e et l’ultim e droit de l’am ou r : le lib re choix. Je réserve toutes les m alédictions, les flétrissures et les condam nations p o u r ces hom m es qui se n o u rrissen t, vautours rapaces, de la cha rogne que leu r jette le cloaque de la société m oderne. Tout m on m épris, tout m on dégoût vont à ceux qui, im puném ent, infestent n o tre société de bâtards et d ’adu ltères, qui vivent et jou issen t de la co rruption sociale, com m e la verm ine des im m ondes sucs du fum ier hu m ain . Si le code ne s’occupe pas d’eux, c’est p ar cet excès de p u d e u r qui em pêchait les lois antiques de com pter le p a r ricide dans l’échelle des crim es. Pour m oi, je les place au-dessous de l’espion et du tra ître , audessous du filou et de l’assassin, au-dessous de ce q u ’il y a de plus bas et de plus lâche dans l’espèce h u m aine. Lorsque je m ’occupe d ’eux, je n ’ai point assez de nausées à leu r crach er à la face, avec m es invectives, p o ur faire trem b ler leu r cœ ur avili. Ainsi doivent ag ir tous les honnêtes gens. Q uant à la fem m e m alheu reu se qui aim e, m ais ne pèche que parce que la civilisation m oderne, notre société infâm e lui refuse tout droit à l’am ou r, je ne p u is que lui répéter la sublim e parole de C hrist : « Il sera beaucoup pardonné 5 qui a beaucoup aim é ». CHAPITRE XXII LE P A C T E D ' A M O U R . — A P H O R I S M E S S U R L E MA RI AG E L’am our n ’est pas seulem ent une volupté don née et ren d ue, u n entrelac et une dissolution de nœ uds in sta n ta n é s, m ais un pacte entre deux créatu res q u i, après s’être données l’une à l’au tre, peuvent en un in stan t avoir créé une fam ille, peut-être m êm e u n peuple. C hezl’hom m e, l’am our est aussi une fécondation, m ais il est avant tout un e p énétration de deux existences, un e com bi naison de rap po rts nouveaux, une m odification profonde de la m anière d ’être d’un hom m e et d’une fem m e. Même chez les peuples les plus bas, où la m orale n ’est que l’intérêt défendu p ar la force, et le sacrifice une d u p erie; m êm e chez les peuples où l’on en terre la m ère toute vivante quand elle est vieille, où l’on fête victoires et ven geances dans une m are de sang, m êm e là, l’am our est lié p ar u n pacte tacite ou ju ré . La prostitution elle-m êm e est un pacle qui peut d u re r un e h eu re, ou une m inute, m ais elle est tou jo u rs u n pacte ; de toute m anière la vente et l’ach at de la volupté ne peuvent fonder une fam ille, une trib u , un peuple, et l’hom m e le plus lib ertin ou le plus sauvage sent u n bien au tre besoin que celui de féconder une fam ille; il éprouve le besoin d ’ai m er une fem m e. Or, aim er ne veut pas dire pos séder p o u r longtem ps et p o u r longtem ps d ésirer et défendre et protéger ; cela signifie pren d re la responsabilité devant la n atu re de la faiblesse d ’une créatu re et de la violence d ’une a u tre, de l’avenir de l’être que nous avons procréé et m is au m onde. Pendant n eu f m ois la fem m e fécondée est plus faible et plus v u ln érab le; la fem m e qui enfante est un e créatu re blessée; la fem m e qui allaite ne peut fu ir ni se défendre ; l’hom m e enfant, p o ur longtem ps, est très faible et sans arm es. Et voici que l’hom m e qui a aim é, m êm e p o u r un seul jo u r, u n e com pagne, en devient p o u r longtem ps l’am i et le p ro tecteur, sans cesser p o u r cela d’en être l’am ant. Yoilà la form e la plus sim ple du pacte n uptial, q u ’on trouve en une foule de peu ples peu élevés, et que nous étudierons dans VAm our dans l'hum anité. Bien que la fem m e sau vage s’appuie, affectueuse etco n fia n te,su rl’hom m e qui l’a fécondée, il se trouve souvent que l ’hom m e, pendant que sa com pagne ne peut être sienne, féconde alors d’autres fem m es q u ’il ré u n it à sa propriété, et q u ’il les protège avec la m ôm e dévotion, avec la m êm e affection que la p re m ière fem m e. L’hom m e faible ne parvient pas à avoir plus d’une fem m e, et souvent m ôm e doit s’en passer, car les très forts et les très puissants en ont beaucoup, qui vivent to u jo u rs en tre elles dans la m eilleure intelligence, et ne se m o n tren t point jalouses l’une de l’au tre. Une polygam ie lim itée à peu de fem m es est la form e la plus com m une de la société h um aine dans les basses races, et cette coutum e s’est telle m ent ancrée dans n otre organism e, que m êm e dans les form es les plus hautes de la civilisation, là où la m orale et la religion n ’apportent pas leu r vigoureux soutien, la m onogam ie chancelle et tom be, p o u r laisser la place à un e polygam ie plus ou m oins avouée ou cachée. Nous cependant, nous ne devons nous occuper que de n otre société européenne où le pacte d’a m o u r n ’a q u ’une seule force m orale, le m ariage, bien q u ’il prenne des form es diverses ap p arte nan t au dom aine de la pathologie : tels la p ro sti tution, Yadultère, le concubinage. De la pro stitutio n nous avons déjà parlé : c’est une vente de la volupté, c’est une possession de corps sans am our, c’est u ne b araterie et u n a rti fice de la n ature. Que celle-ci, tro p souvent cruelle fasse naître une nouvelle ci’éaiu re d’un em brasse- m ent ainsi vendu, elle n aît avec la m arq ue de l’infam ie au fro n t, et, fille anonym e du vice, elle est jetée p ar la société dans le recoin le plus o b scur de ses so u terrain s, là où elle m et les choses q u ’elle veut cacher, désavouer ou laisser m o u rir. La pro stitutio n est une soupape de sûreté, p ar tro p nécessaire encore dans u ne société im m orale, hypocrite et très m al constituée, et elle tend à p ro u ver ayec u ne cru elle éloquence qu’un e foule d ’hom m es ne peuvent aim er, que le plus grand nom bre des hom m es ne doit pas aim er. Nous avons égalem ent parlé de l’ad u ltère, rap in e faite dans la m aison d ’a u tru i; nous avons dû aussi nous en treten ir de ce très grand crim e d ’am ou r : une convention secrète de deux tra ître s qui, à l ’om bre d’un pacte social et sacré, violent la foi de la fam ille et rem p lissen t le m onde de bâtards, pacte infâm e des voleurs et des proxénètes qui dans l’obscurité assassinent leu r victim e et la cachent (laps les pièges et les fissures de notre code civil. Le concubinat est dans u n e foule de sociétés im parfaites, et aussi chez nous, une form e du m a riage à qui m anque seulem ent la consécration re ligieuse et civile. Il est m éprisable plus dans ses origines que p ar la n atu re du pacte q u ’il suppose, attendu que s’il devait d u re r étern ellem en t, ap puyé seulem ent su r la parole d ’h o n n eu r de deux ê tres cjui s’aim ent) il serait un vrai et propre m a riage, scellé p ar la fidélité des deux am an ts. P o u r u n trop grand nom bre cependant, le con cubinage obscur ou honteux est une débauche dom estique devenue co u tu m e; c’est la vulgaire hab itud e de coussins m oisis ou bien u n lit d ’hô pital. Né en tre les pantoufles et le bonnet de n u it, en tre les bâillem ents d’une digestion pénible et les conseils des m édecins hygiénistes, il tien t de la p ro stitutio n et de l’ad u ltère sans avoir les ivresses de l’u n ni les âcres rem o rd s de l’au tre. C’est u n vulgaire tire-laine q u i fait des excuses au public et s’hum ilie et p leure quand le coup est raté ; c’est quelque chose de bas, de populacier, de honteux, q u ’on ne confesse pas p u b liq u e m ent, et que l’on cache com m e u n e plaie à la jam be ou bien un e dent p o stich e; il avilit l’a m o u r aux proportions d’u n faux génie, il rabaisse l’épouse et élève la serv an te; c’est u n vilain, parvenu qui peut se bien v êtir, m ais qui pue tou jo u rs l’é c u rie ; c’est une créa tu re m éprisable, tolérée et souvent aussi rid icu le. E t p o u rtan t, dans le concubinage tom bent une foule de céliba taires q u i, ria n t d u m ariage et le m ép risan t, ad o ran t l’indépendance, glissent peu à peu su r cette pente glissante, qui n e possède ni la dignité du m ariage, ni les orgies de la pro stitutio n ; qui n ’a ni les splendeurs d ’un e passion ou d ’un e v ertu , ni la lib re ivresse d ’u ne facile volupté qui s’achète et s’oublie. lit ces d étracteurs du m ariage p ro créen t souvent un fru it inédit de leu rs quotidiennes et hygiéni ques expansions, et sans avoir le saint orgueil de s’entendre appeler pères, laissen t cependant des en tan ts que la société juslem en t ne reconnaît pas, parce q u ’elle ne sait com m ent les nom m er. Non, je le dis fran ch em en t et sans ro u g ir, la p ro stitu tion m ’inspire la pitié q u ’on ressent p o u r une in firm ité m orale de l ’h u m ain e fam ille ; le concubi nage m e fait recu ler d’h o rreu r. D evant la prem ière, je m e sens m édecin, je lu i tâte le pouls et je cherche les rem èdes ; devant la seconde, je ne sens en m oi q u ’un vengeur p rê t à flageller. Si dans l’a m o u r vous ne voyez que la volupté, si p o u r vous l ’am our n ’est pas un sentim ent m ais u n besoin, pourquoi n ’achetez-vous pas l’am o u r anim al, que seul vous com prenez ? Allez au tem ple de l’am ou r vénal et là rassassiez votre soif ; il y a des vins de toutes les couleurs et de tous les prix, il y a un ta rif pour les baisers et une h iérarch ie p o ur les d éb au ch es; entrez, vous serez servi; la société m oderne est ingénieuse, pitoyable et généreuse. Si au co n traire vous aim ez à avoir une fem m e avec qui p artag er les peines obscures de la vie q uotidienne, avec qui p artag er le pain et le lit, pourquoi ne lui donnez-vous pas la dignité d’é pouse? Pourquoi ne consacrez-vous pas l’am our p a r u n pacte d’honnête hom m e et d’hom m e civi lisé? Pourquoi ne donnez-vous pas à vos enfants le baptêm e civil des hom m es? A m phibies de l’a m o u r et de la faule, faites vous ch air ou poisson, m ais soyez quelque chose. A la façon dont est constituée la société m o d ern e, le concubinage est une chose vile qui en lève au caractère toute vigueur et toute dignité, qui coupe les dern iers fils qui retien n en t l’or ganism e social droit dans l’ornière du [devoir, qui ab âtard it tous les rapports d'hom m e à hom m e, d ’hom m e à fem m e, de père à fils. Quand on se refuse à assu m er toute responsabilité m o ra le, q u an d, p ar inertie, ou p ar ignorance, ou p a r scep ticism e, ou p ar toutes ces raisons, on renie la p re m ière souveraineté d u père et de l’époux, les droits que ne refuse pas le sauvage nu et an th ro pophage, on devient, dans la société m oderne, une sorte d ’insoum is qui a la liberté à condition de vivre constam m ent sous la surveillance de la h au te police, u n e espèce de brigand toléré q u ’on ne p eu t condam ner faute de preuves. Cent fois m ieux vaut la p ro stitutio n avec ses hontes et ses ignobles infirm ités ! L’opinion p u bliq ue, les lois, les livres doivent flageller avant toute chose et clo uer au pilori du ridicule et de l’opprobre ce pacte b âtard du concubinage et lui refu ser toute approbation, to u t consentem ent, toute tolérance. Que les fem m es qui peuvent, plus que les lois, être les vengeresses de cette honte sociale, flagel len t aussi de leu r m épris ces am phibies de l’a m o u r en leu r refu san t le u rs caresses et leu r estim e, et en leu r d ém o n tran t à to u te heu re du jo u r avec u n a rt cru el, com bien les voluptueux arôm es du vrai am ou r, sont différents du pot-aufeu quotidien du concubinage dom estique. L’hom m e de race élevée, et qui aspire au nom d ’hom m e civilisé, doit être m onogam e, et ne pas consacrer ses am ours p ar u n au tre pacte que le m ariage. P o urtant la société m oderne a su p ré p a re r aux hom m es u n am ou r tellem ent parfait q u ’il ren d le m ariage im possible p o ur beaucoup et périlleux p o u r tous. Mais encore? Après avoir p ris ce n aïf au tréb u ch et, elle le laisse n u et sans arm es, en proie aux attaques de tou s, et, bien q u ’elle lu i ait enlevé la liberté de ses m ou vem ents, elle l’avilit et le p ro stitue, en fait le sujet, dans le rom an ou su r le th éâtre, de ses plus cruels sarcasm es, puis l’écrase sous le rid icu le après l’avoir blessé à m o rt dans ses lois. Le m ariage, tel q u ’il est au jo u rd ’h u i, est une in stitu tio n corrom pue qui veut être profondém ent réform ée afin de pouvoir rev en ir à sa dignité n atu relle. Ce n ’est pas en vain que les hom m es p ren n en t p o u r tém oins de ce pacte les plus hautes autorités du m onde h u m ain , la religion avec ses m ystères, le code avec ses serm ents. A ujourd’h u i, ces dieux sont tom bés p a r décrépitude de leurs trônes olym piques ; la religion a été destituée p ar l’au to rité civile, et elle n ’est prise à tém oin de nos serm ents que p ar ceux auprès de qui ne résonne pas en vain le nom d’u n Dieu rég u lateur des choses hum aines. Pour beaucoup tro p, l’idéal religieux est m o rt, plus vite q u ’il n ’au rait dû; il est m ort avant que ne lu i fû t né son successeur, et le m a riage est devenu u n contrat p u rem en t civil, ce qui n ’em pêche q u ’il ne soit souvent un contrat infâm e. Le pacte n u ptial, au jo u rd ’h u i, n ’est trop souvent q u ’une pro stitutio n ju ré e ; c’est l’échange h o n teux d’u n capital et d ’un blason dans les classes élevées ; une fabrique de prolétaires su r une vaste échelle dans les basses classes. Le m ariage, au jo u r d’h u i, est un e des plus fécondes sources de m al h eu r ; c’est u n lent poison qui atrophie le b o nh eu r dom estique, la m oralité du peuple, le dévelop pem ent économ ique des forces du pays. Le m a riage est souvent une patente qui donne la liberté irresponsable à la fem m e et une polygam ie facile et im p un ie à l’hom m e; c’est u n m asque hypo crite de vertu, dont la société m oderne se couvre le visage; c’est u n sauf-conduit qui justifie toute contrebande de fidélité, tout p arju re, to u le tra h i so n; c’est u ne bannière qui to u r à tour couvre le m archandage d’esclaves dom estiques, ou l’échange d ’une facile lu x u re, ou un e bigam ie tolérée avec u n e haineuse longanim ité par l’offenseur et l ’of fensé. Le m ariage, dans la société m oderne, est la plus cruelle, la plus coupable parodie de la fidélité, du serm ent, de l’étern ité. A ujourd’h u i, la fem m e est jeu n e fdle ; p o u r elle la plus m ince peccadille est u n crim e. Si elle devient m ère, elle sera signalée com m e infâm e à l’indignation publique, le séduc teu r sera traîné devant la co u r d ’assises, puis, de là, aux galères. D em ain, aux lois de la n atu re elle au ra ajouté une loi écrite et u n serm ent : le péché devrait donc être cent fois plus grand au jo u rd ’hui q u ’h ier, et le séd u cteur devrait, pour crim e de h au te trah iso n , être tiré à q u atre che vaux. Rien de tout cela ; les liens du m ariage sont lâches, à travers ses chaînes on peu t passer co m m odém ent et. facilem ent. "Vierge, la fem m e est p u nie po ur s’être aperçue q u ’elle était fem m e; fem m e, sous l’aile très larg e d ’un co n trat ju ré , elleaccu eille, am icalem ent, m aquereau, séducteur et b âtards. Le m ariage m oderne est une m aison de pro stitution où l’on en tre sans ro u g ir ni payer ; le p atro n de ce m auvais lieu au torisé, vous ac cueille lui-m êm e à la porte avec u n gracieux sou rire su r les lèvres et une poignée de m ain. Com m ent et pourquoi ne pas profiter d ’une aussi gé néreuse providence, com m ent et pourquoi ne pas p o rter au ciel un e institu tio n si m orale, si com m ode, si douce? Toutes les sociétés européennes ne sont pas aussi corrom pues que la nôtre et la société fra n çaise, et le m ariage y a d ’au tan t p lu s de dignité q u ’il est m oins hypocrite et intéressé. Notre im m o ralité se m ontre m êm e dans le pacte n u ptial parce que nous avons p erd u la religion de l’Olympe et que nous n'avons pas encore acquis celle du devoir; nous som m es profondém ent im m oraux dans le pacte plus sacré de la fam ille, parce que nous som m es m al élevés et parce que nous som m es ignorants. Le vice et la corruption sont, cent fois su r cent, fils de l’ignorance. P o u rtan t le m a riage est la p ierre angulaire de la fam ille, et avec les fam illes se font les peuples, et cependant le pacte n u ptial doit être le lien le plus doux, le plus sain, le plus inviolable de la société h um aine! Que peut-on espérer d ’un peuple qui n ’est plus religieux et qui à la place du serm ent m et un p arju re? Que peut-on espérer d’u ne société qui a fait de l’ad ultère un e institu tio n , d’une société p o u r [qui le nom de bâtard n ’est plus une note d ’infam ie! La pacte nu ptial doit être réform é dans les coutum es qui le p rép aren t et dans les lois qui le soutiennent ; la prem ière réform e ne peut être que très lente. La seconde peut être prom pte, peut se faire dem ain, p o ur peu que le législateur le veuille. Le m ariage doit être u n lib re, u n très lib re choix, tan t du côté d e là fem m e que du côté de l’hom m e; il doit être l’élection des élections, l’élection type. Chez nous, au contraire, il n ’y a que l ’hom m e qui choisisse. La fem m e presque tou jo u rs accepte et su bit le choix. C’est plutôt une plaisanterie q u ’u n moyen de défense de dire que la fem m e a toujours le d ro it su périeur de p ro noncer u n non, q u and elle est agenouillée devant l’autel ou assise devant M. le m aire. A utant v au drait dire q u ’un hom m e poursuivi p ar cent loups enragés et suspendu su r le bord d ’un abîm e est lib re de n ’y pas tom ber. Circonvenez un e jeune fille ingénue et inexpérim entée de tout l’arsenal solennel de l’au torité paternelle, de l ’au to rité m a tern elle, des devoirs religieux, des devoirs filiaux ; tenez-la tou te sa vie dans la retraite, et poussezla chaque jo u r, chaque h eu re, chaque m in u te là où vous voulez la co n d uire; puis, venez m e dire q u ’elle est libre de refu ser ce qu’on lu i im pose, et ce q u ’on lui im pose de force. Dites-moi si le non tim ide, q u ’au plus profond de sa p oitrine prononce son cœ ur, est capable de se faire en ten dre audessus du ch œ u r de oui! que tou t le m onde crie, clam e, chante, fait éclater a u to u r d ’elle! Et, quand les p aren ts sont sincères, quand ils croient de bonne foi laisser à leu r fille le libre choix d ’un époux, com m ent jam ais cette élection peut-elle être sincère et libre, p uisque la jeu n e fille est dans une ignorance com plète du m onde h u m ain ? Comme si l’on pouvait choisir sans d isting u er et d istin guer sans connaître! Votre fille n ’a peut-être pas p arlé à dix hom m es jeu n es et beaux q u ’elle p o ur ra it aim er. On lui a d it et répété m ille fois que l’am our élait un e faute et on a réu n i au to u r de ses chastes désirs de tels m onceaux de crim es, de fautes inouïes, q u ’elle ose à peine reg ard er le nez d’un hom m e qui ne soit pas u n vieillard. Et m êm e quand, pudiquem ent audacieuse, elle a u ra it voulu regarder les hom m es face à face, q u ’en aurait-elle connu? Rien aufre chose que la surface! Quand a-t-elle jam ais pu étu dier le cœ u r hum ain? Q uand a-t-elle pu d isting u er en lui les phases du désir, de l’hypocrisie et de la séduction? Quand a-t-elle pu conjuguer avec un hom m e les lem ps divers du verbe aim er, avec u n hom m e qui lui dise q u ’il l’adore? Q uand l’avezvous jam ais laissée seule avec les arm es toutespuissantes de son innocence p o ur com battre contre l’am ou r vrai ou contre l’hypocrisie, contre la pas sion vraie et le désir de la volupté? Et vous dites q u ’elle est ém ancipée, que vous lui laissez le libre choix? T riple m enteu r, cent fois im bécile! Rousseau, qui de tem ps en tem ps, en tre deux bouffées de bile et une déclam ation hystérique, lisait bien et très avant dans le cœ ur h u m ain , di sait que dans les sociétés où les jeu nes filles sont les plus faciles, les fem m es sont plus vertueuses q u ’ailleurs ; et cette vérité se confirm e de l’obser vation plus superficielle des sociétés européennes et am éricaines. La cynique et grossière objection que les A llem ands et les Anglais, gens très froids vivant sous u n ciel glacé, se peuvent plus im pu ném ent p erm ettreT u n io n d ’Adam et d’Ève, ne tient pas debout. Les passions hum aines sont un m aître bien plus puissant que ne le sont les latitudes et les longitudes ; et d’au tre p art, là où une race m é ridionale aim e sous u n ciel d’outre-m er, là où la grande beauté des fem m es excite les ardents désirs d e leurs ad orateu rs, au m ilieu d’une vie facile et expansive, les fem m es sont beaucoup plus ver tueuses que chez nous, et cela parce que les je u nes filles sont lib res, très lib res avant de fixer leu r choix, et parce q u ’elles étudient et connaissent les hom m es m ieux que les petites filles ignorantes qui g randissent dans nos écoles et dans nos cou vents. Dans ces pays et dans beaucoup d ’au tres, le m anque de dot et la facilité de s’e n ric h ir p ar le tra v a il apportent un e grande dignité au m ariage, car aucun époux ne cherche une dot et aucune épouse n ’est vendue. T ant que nous ne donnerons pas à la jeu n e fem m e une éducation libérale et sage afin q u ’elle puisse bien choisir ; tan t que nous ne lu i donne rons pas un droit d ’élection égal à celui que pos sède l ’hom m e, nous ne po urro ns pas reh au sser le m ariage. La conscience com m une à deux individus de s’être librem ent choisis et de s’aim er en dehors de toute pression d ’autorité, de préjugés ou d’am bition, est la p ierre sacrée su r laquelle reposent les tem ples les plus splendides de la félicité con jug ale. Je ne crois pas cependant aux subites et irrésis- LE PACTE D'AMOUH. 533 tibles am o u rs, ni à la félicité future de deux époux, qu i, sans un b rin de paille p o ur tresser leu r asile, veulent élever u n tem ple d’am our en rase cam pagne, parm i les frim as et la m isère. Non, le m ariage est am ou r et ne doit pas être au tre chose q u ’am our. Mais l’am ou r est n u et il veut être vêtu ; l’am ou r est délicat et veut être protégé contre les vents et les fro id eu rs; l’am our est fécond et il lu i faut du pain et du vin p o ur faire vivre les petits anges qui n aîtro n t dans son ja rd in . La jeu n e tille doit savoir lout cela d’avance ; toute notre au torité ne doit servir q u ’à tem p o riser, à im poser la patience aux am an ts, et elle suffit seule bien des fois à évaporer des désirs fugitifs, tandis q u ’elle renforce le vrai am our. Mais dans tous les cas et toujours le choix doit être lib re, et, p o u r le p rép arer, l’éducation de notre tille doit être plus sincère, plus franche, m oins hypocrite, m oins fausse. Faites l’éducation de la p u d eu r et de la dignité personnelle dans votre créatu re, et vous verrez q u ’on n ’en trera presque jam ais dans la forteresse q u ’ainsi vous aurez voulu g ard er. La défiance perpétuelle suscite beaucoup de fausses alarm es, excite dans beaucoup de n atu res légères ou chatouilleuses l’envie du dédain ou de la ven geance. La défiance tou jou rs arm ée m e donne une p iètre idée de la vertu des m ères : peut-être se souviennent-elles d ’avoir assez m al résisté aux tentations et s’efforcent-elles p ar to u t m oyen de les éviter au lieu dé renforcer les énergies qui doi vent défendre la vertu . Le choix libre de la fem m e est dans n o tre société d ’au tan t plus im portant que la fem m e n ’ignore point que, dans le m ariage, elle trouve une liberté infinie : q u ’elle devine aussi peut-être que, lors m êm e q u ’elle n ’aim erait point l’époux officiel, elle p o u rra aim er et être aim ée. Q uand une société est im prégnée tou t entière d ’adultères et d’hypocrisies, la jeu ne fille, chaste et ingénue, pressent certaines choses q u ’elle ignore et q u ’elle [n’ose s’avouer à elle-m êm e. Trop sou v ent parfois, sans q u itter le nid dom estique, elle connaît de com bien d’infam ies se peut souiller Jla fam ille; peut-être m êm e s’est-elle répété inté rieu rem en t : « Je ne pécherai pas, m a is... je p o u r rais aussi pécher im p un ém en t ». Le lib re choix est la m eilleure garantie de la foi ; c’est la pierre an gulaire su r laquelle se cim enten t les véri tables droits n atu rels d ’une fidélité récip ro q u e. Nul n ’a le d ro it de je te r la prem ière pierre à la fem m e ad u ltère , lorsq u ’elle a été traînée igno ran te à l ’au tel. N ulle épouse ne peut être condam n ée, qui a été obligée de signer le pacte, non com m e fem m e et com m e am ante, m ais com m e victim e et com m e esclave. Si, p ar piété filiale, elle a enfin obéi, com ptant su r votre foi, alors que vous l’avez p o u r toujo urs liée à u n hom m e igno ble, elle est p u re de to u t péché et l’ad u ltère et les m alh eu rs de l’avenir retom bent su r vous, qui êtes les vrais coupables, qui êtes les infâm es, im punis p a r la société m oderne. Q uand, au co n traire, les deux époux se sont véritablem ent aim és, qu an d, librem ent, ils se sont pris les m ains p o ur parcou rir ensem ble les sentiers de la vie, alors eux seuls sont responsables de leu r infidélité, eux seuls doivent en su bir les hontes et les m isères. Ils n ’en p euvent accuser l’autorité paternelle, ni les lois sociales; eux seuls ont péché, eux seuls doivent dévorer en silence le pain am er du rep en tir ; la société n ’est pas responsable et se lave les m ain s. Avez-vous pris le désir p o u r de l ’am ou r, la vo lupté p o u r de la passion? Subissez les conséquen ces de votre faute. A ussi en regard de la facile infidélité née du peu de liberté que nous laissons à la fem m e dans le m ariage, avons-nous sem é su r ce te rra in les orties et les épines, dont ch acu n récolte la p art qui lui revient, com m e m em bre d ’une société h y pocrite et gâtée. T oujours nous m éprisons la cul tu re de la fem m e et la tou rn o n s en rid icu le; to u jo u rs nous nous attendrissons généreusem ent su r ses coquetteries; pour peu q u ’elles soient gracieu ses, nous lui pardonnons son ignorance, sa pué rilité, son inconstance, p o ur peu q u ’elle soit élégante, p o u r peu q u ’elle chante avec goût et danse avec volupté ; nous l’adorons, p o u r peu q u ’elle soit u n anim al aim able, ch arm an t et am usant. P arm i ces petits anim aux gracieux, for m és à n otre im age et à n otre ressem blance, nous choisissons celle qui doit êlre n o tre épouse, la m ère de nos enfants; puis, la jeunesse passée nous crions parce que la plante que nous avons cultivée ne peut nous donner de fru its. Toutes les forces de la vie se sont unies p o u r faire n aître des pétales, nous restons étonnés et navrés du résu ltat de n otre a rt, et nous dem andons des sem ences après que nous avons coupé toutes les étam ines de la féconde n atu re. Q uand la fleur de la beauté est passée, nous voulons tro uv er en notre com pagne l’am ie choisie, qui nous aideaux luttes du lab eu r et de l’am bition ; m ais le petit anim al gracieux n ’a pas été élevé p o u r ces nobles choses, et, p leu ran t, répond à nos désirs p ar ces m ots : « Je ne sais, je ne puis. » Toutes ces réform es qui doivent relever le m a riage, ne s’obtiendront que len tem en t, p ar le progrès de l’éducation et des m œ urs ; p a r la m oralité q u ’augm entera la science et non la p e u r; p a r un respect plus profond de la liberté de la fem m e, laquelle doit être enfin relevée de ce n i veau si bas, où l’a laissée ju sq u ’à ce jo u r la civi lisation m oderne. Une réform e cependant peut être faite sur-le-cham p dans les lois qui régis sent le pacte n u p tial : elle se fera p a r l’adoption du divorce. Nous voulons le divorce, parce que nous avons u ne haute estim e p o u r le m ariage, et la dignité hum aine ; nous voulons le divorce, afin de resse r re r d ’un lien plus intim e le pacte ju ré en tre u n hom m e et une fem m e. Ce n ’est point la férocité des lois qui m oralise u n peuple : la peine de m o rt n ’a jam ais em pêché u n seul crim e. Ce n ’est point l’indissolubilité édictée qui m ain tient la sainteté d ’un pacte, m ais bien la conscience de l’avoir lib rem en t ju ré . C’est u n e ancienne et v u l gaire objection que celle de rép éter que la loi d o its’ad ressern o n au xh o n n êtes gens q u i, p o ur faire le bien, n ’ont point besoin de codes, m ais au vul gaire inconstant et léger, qui p o u rrait rom pre cha que lien d’un pacte su r lequel s’appuie l’édifice social. Là où le ver ro n geu r d u vice attaq ue le p arch em in du pacle n u ptial, tout lien se brise m algré la loi et à sa grande confusion, les fils dispersés, divisés ou tolérés, les époux ni u n is ni désunis, p o rtan t l’anneau de cette chaîne de galé rien s, m u ltiplient à l’infini le concubinage et la p ro stitu tio n . Se savoir libre est un des m ajeurs besoins de l’hom m e civilisé; se savoir lib re, donne le cou rage du sacrifice e t de l’héroïsm e, tan dis q u ’u n pacte qui lie éternellem ent, et sans aucune p a rti cipation de la volonté, enlève tou te dignité, et tou t m érite à la fois. Plus on s’élève dans la voie du progrès et de la civilisation, et plus sensible devient n otre cou à toute espèce de jo u g ; fût-il en g u irlan d é de roses et capitonné de velours, un jou g hum ilie tou jo u rs l’hum aine dignité. Du reste, si la psychologie et le droit ne fournissaient pas des raiso n s a p rio ri p o ur dem ander le divorce, ce serait l’im m ense expérience des sociétés européennes qui ont ou v ert dans leu rs codes celte soupape de sûreté, capable de délivrer deux victim es désespérées et non pas de relâch er u n seul anneau des chaînes heureuses portées p ar ceux q u i sont nés et qui ont grandi p o u r vivre ensem ble dans la félicité. Ce sont les sociétés les plus m orales, celles qui ont le plus h au t concept de la lib erté et de la responsabilité hu m aine, qui ont in scrit le divorce p arm i leurs lois. Et cependant, u n nom bre infini d ’individus en profitent, car, à m esu re que croit la m o ralité et que s’élève le niveau intellectuel d’un peuple, les dem andes en divorce se font plus rares. Le lég islateu r, du reste, a cent m oyens p o u r l’en ray er, p o u r l’en dig u er, afin q u ’il soit la légitim e défense de la dignité h u m ain e et non u n e exci tation au vice et au p arju re. Peu de personnes de nos jo u rs osent com battre le divorce p ar des arg u m ents tirés du b o n h eu r des époux, m ais beaucoup défendent encore l’absolue ind issolu bilité du m ariage, com m e la plus sû re g aran tie q u ’aien t les enfants contre toute aven tu re . Dans les unions stériles, on ne sau rait donc opposer cet arg u m ent au divorce, m ais, en pré sence d ’enfants abandonnés et séparés, nous sen tons n otre cœ ur se gonfler de sanglots et nous n ’osons plus dem ander la suprêm e réform e. Cette tristesse profonde qui éclate spontaném ent à la vue des m em bres disjoints d ’une fam ille, est certes pleine de pitié, m ais cette pitié m anque de sa gesse. Les ran cœ u rs rageuses d’une union m alh eu reuse sont telles que les convulsions jou rn alières des petits en fan ts; cachées sous l ’herbe com m e serpents envenim és, elles se m ordent et s’excitent chaque jo u r, et cette union rapproche ainsi un b o u rreau et un e victim e, u n ligre et u n agneau. Que de fois l’im possibilité du divorce, engendrant le concubinage sous ses form es les plus laides et les plus repoussantes, donne aux enfants ce joyeux spectacle d ’u n p ère ou d’un e m ère qui, se haïssant à m o rt, se provoquent chaque jo u r avec l’ard eu r de la vengeance, et, dans le nid de la fam ille, p ro fanent la saintelé d ’un pacte que la loi m aintient ferm em ent, m ais q u ’eux ont lacéré d ’h o rribles outrages et dont ils se je tte n t sans cesse à la face les lam beaux sanglants. Au jo u r du divorce, les enfants suivront les attractions m orales de l’affi n ité élective, et celui qui au ra le plus de cœ u r assu m era le plus de sacrifices et d’abnégations. E t les pauvres créatures auxquelles le sort a refusé la jo ie suprêm e de se sen tir étrein tes à la fois p a r q uatre bras am oureux, p leu rero n t la doulou- 540 PHYSIOLOGIE DE L’AMOUR, reuse séparation sans blasphém er et souffriront sans se désespérer. La fam ille ancienne se m eurt, m ais elle m eurt avec dignité et dans u n silence religieu x ; telles q u ’elles sont, des centaines de fam illes vivent dans un e agonie continuelle, qui est à la fois to rtu re et affron t, m alédiction et tra hison. Le divorce doit être au plus tôt inscrit dans nos lois ; les époux heureux le réclam ent p o ur raffer m ir leu r prop re dignité, blessée p ar un lien ty ran n iq u e ; les m alh eu reu x le réclam ent à genoux, que la fatalité ou la faute ont condam nés à la plus grande des to rtu res hum aines, la to rtu re d’un esclavage sans rach at, d ’une captivité sans repos, d ’une blessure sans b aum e, d’une douleur sans espérance. Comme appendice à ce ch ap itre, je tran scris ici quelques aphorism es que je voudrais voir lire et relire p a r quiconque est su r le point de pren d re fem m e ou m ari. I Prendre fem m e p a r raison d ’hvgiène, vaut au tan t que de se je te r à l’eau p o ur éteindre sa soif. II Prendre fem m e p o u r s’en rich ir, est vilenie et fabrique féconde die cornes. III P rendre fem ine p o ur s’ap p au v rir, est stupidité et crim e. Mettre au m onde des p ro létaires, est l’une des plus grandes responsabilités que puisse assu m er u n hom m e. IV P rendre fem m e p o ur faire quelque chose, est balourdise et sem ence féconde de cornes. V Prendre fem m e ou m ari p o u r dépiter a u tru i, c’est se tu e r soi-m êm e po u r se venger d ’un en* n cm i. VI P rendre fem m e ou m ari p o ur ajo uter u n titre à son propre nom , c’est ach eter u n prix fort cher un e bagatelle de n u lle valeur. VII P rendre fem m e p o u r avoir u n e belle fem m e, c’est payer tro p ch er u n lopin de terre d ’où l’on contem ple u n ciel qui ap p artient h tou t le m onde. VIII P rendre fem m e p o u r posséder une belle fem m e, c’est presque toujours vendre l’héritage p atern el p o u r un plat de lentilles. IX Avant de se m arier, il convient de m éditer lon guem ent devant un e glace et devant u n coffre-fort. X Supposez to u jo u rs, avant de m esu rer vos forces, que votre fem m e est la créatu re la plus chaste du m onde, m ais adm ettez q u ’elle peu t être la plus lib ertin e des créatu res chastes. XI P our p ren d re fem m e dignem ent, il convient toujours d’avoir double santé, double force, double ren te de ce qui est absolum ent nécessaire. XII Avoir le nécessaire p o u r p ren d re fem m e, c’est aller pieds n us dans la neige et voyager avec u n m orceau de pain bis sous le bras. X III Avant de p ren d re fem m e ou m ari, il convient de lire deux fois au m oins les œ uvres de M althus. XÏY Item , lire et relire l’histoire ém ouvante des cocus célèbres et des bâtards illustres. XV Item , lire et relire K em pis, Jérém ie, et le livre De V irginitate de saint A m broise, et la P hysio logie du m ariage de Balzac. XVI Si un e jeu ne fille croit faire acte d’héroïsm e en épousant, po u r faire le b o nh eu r de ses p aren ts, u n hom m e qui lui est antipathique, elle se trom pe grandem ent. Il n ’est ni au torité paternelle ni bé nédiction m aternelle qui puissent rem p lacer l ’a m o u r, et beaucoup de ces héroïnes finissent par être des adultères. XVII Il n ’y a rien d ’étonnant à ce que les m ariages excellents soient rare s, car dans la construction d 'u n m ariage p arfait il entre tan t et de si rares m atériau x , q u ’à les assem bler tous il faut une grande habileté et un e fortune extra-grande. X V III L’analyse élém entaire d ’u n m ariage excellent m ’a donné les résu ltats suivants : Amour réciproque, ardent, profond, 9,000,000 extrêmement tenace 100.500 Bonté chez la femme . 100.500 Esprit chez l’homme. . 130,100 Patience chez la femme Ambition chez l’homme.............................. 150,200 Pudeur chez la femme................................. 120,000 Luxure chez l’homme................................ 180,000 Sens esthétique chez tous deux................ 100,200 Richesse chez tous deux............................ 50,100 20,100 Myopie chez la femme................................ Presbytisme chez l’hom m e....................... 20,000 Jalousie chez la fem m e............................ 0,000 Jalousie chez l’homme................................ 8,500 Grâce, délicatesse réciproque (quantité im pondérable).......................................... 10,000,000 XIX P rendre m a ri,p a rc e q u ’u ne fem m e doit de toute façon se m arier, est u n des préjugés les plus gros siers et les plus féconds en m a lh eu r. XX La civilisation m oderne prép are à la fem m e la chère possibilité de vivre heu reu se dans le célibat. XXI L’idée d ’être achetée et vendue doit être p o ur la fem m e cent fois plus h u m ilian te que celle de ne point tro uver de m ari. XXII Pour l’hom m e com m e p o ur la fem m e, faire fonds su r le m ariage, c’est m ettre beaucoup de probabilité de b o nh eu r dans le plateau de la ba lance. 11 advient souvent en ce cas ce qui est écrit LE PACTE D’AMOUR. 545 dans l’Évangile, que les derniers seront les p re m iers. X X III La h âte en tout ce qui regarde l’am our est assassin at du b o nh eu r à venir. XXIV Fabius C unctator doit être le saint auquel doi vent adresser leurs vœ ux, les parents, les am ants et les am antes p o ur arriv er à u n ir leu rs désirs souvent divers et co ntraires. A ttendre, atten dre, atten dre, voilà la vertu des vertu s, l’a rt des arts, le secret des secrets. XXV L’attente gu érit les caprices et rafferm it le véri table am ou r. L’attente b rû le les fausses am ours et en n oblit les vraies ; atten d re veut dire être sin cères, être p ru d en ts, être bons, être saints. XXVI Le m ariage n ’est point seulem ent une question d’am our, ni d’hygiène, ni d’économ ie sociale, ni de beauté, ni de sen tim en t, ni d ’accord de deux p en sers; ce n ’est point la satisfaction p u re et sim ple d ’un ard en t désir, ni u ne affaire ; m ais une ju ste harm onie de toutes ces choses diverses. XXVII L’am our est le m eilleu r p arrain du m ariage ; 346 PHYSIOLOGIE DE L’AMOUR. l ’estim e réciproque en est le plus fidèle am i. X X V III Le m ariage de l ’hom m e trop jeu n e et celui de l’hom m e trop'vieux peuvent avoir la m êm e origine, im m onde et périlleu se, la lux u re. XXIX Le m ariage de l’hom m e jeune avec une fem m e vieille ou celui de l’hom m e vieux avec un efem m e jeu ne est presque tou jou rs u n trafic illicite. Le m ariage de deux vieillards est une raillerie inn o cente ou une caricature joyeuse de l’am itié. XXX S’u n ir en m ariage sans se connaître, serait u n crim e, si ce n ’était une folie. XXXI Se m arier pour sauver l’h o nn eu r est souvent nécessaire* m ais tou jo u rs h o rrible. XX X II L’on n ’en tre jam ais im p u n ém en t au tem ple d u m ariage p ar la porte de la faiblesse, de la p ro sti tu tio n ou de la lu x u re. L’on n’y peu t en trer trio m phalem ent que p ar la grande porte de l’am ou r et de l’estim e. XXXIII P our ren d re heureux u n m ariag e, plus néces saire est l’accord des caractères que l’harm onie des esp rits. XXXIV Accord des caractères ne veut point dire iden tité ou ressem blance, m ais harm onie de choses q u i, placées l’une à côté de l’au tre, s’additionnenl et ne se so u straien t po in t, form ent u n accord h arm onique et m élodieux et non une dissonance. XXXV Les accords harm on ieu x du caractère par la félicité du m ariage sont beaucoup m oins étudiés que ceux de la m usique ou de la gastronom ie, peut-être parce q u ’ils sont beaucoup plus im por tan ts. Souvent su r le lit n u ptial, com m e à la cu i sine, la douce-am ère et. l'am er arom atique p ro d uisent u n bon effet. XXXVI Ne croyez jam ais à une fem m e q u i, voulant con n aître to u t votre passé, ju re de vous aim er quand m êm e. Ê tre sincère et fran c ne veut point dire offrir à vos am is la fange de vos so uliers; et qui n ’a point u n peu de fange su r le sol ou le soussol de son p ro p re m onde m oral? XXXVII Les fem m es à leurs m om ents perd u s songent à devenir jalou ses m êm e de votre passé, alors que vous ne leu r devez que le p résen t et l’avenir : soyez donc sincères, m ais prudents. X X X V III 0 fem m es, avant de donner le nom d ’époux à l’hom m e que vous aim ez, il fau t que vous le voyiez au m oins une fois après son d în er et au m oins un e fois en colère. 0 hom m es, avant de faire une fem m e vôtre à toujours, il faut que vous la voyiez au m oins un e fois en chem ise et que vous vous abaissiez au m oins un e fois à la reg ard er à travers le tro u d’une serru re. XXXIX A p ren d re fem m e ou m a ri, il est presque to u jo u rs in u tile de dem ander conseil à a u tru i p o ur s’éclairer dans ce difficile problèm e : si vous avez la cervelle d ure, vous agirez à votre guise contre le conseil de to u t le m onde ; si vous l’avez trop docile, vous pourrez ég arer entre le oui et le non le peu de volonté que vous possédez. XL A im er sincèrem ent celui ou celle que l’on a choisi p our com pagnon ou com pagne de sa vie est u n contrepoison à beaucoup de m aux, un réconfort suprêm e dans les plus grandes am ertu m es, u ne im possibilité presque certaine d ’être com plètem ent m alheureux. XLI Les hom m es p réfèrent les choses curieuses aux choses bonnes, et les choses rare s aux choses bel les ; c’est pourquoi dans la recherche de l’épouse se cache to u jo u rs u n effort p o u r tro uv er la vierge, alors que par-dessus toute chose on devrait ch er ch er seulem ent la fem m e. XLII L’hom m e veuf est presque toujours u n excellent m a ri; c’est pourquoi les fem m es lui pardonnent aisém ent une douzaine d’années de trop. X LIII L’on n ’en peut dire au tan t de la fem m e veuve ; chez celle-ci, p o u r bonne q u ’elle soit, l ’on sent tou jo u rs u n peu l’âcreté d ’un potage réchauffé. XLIV Dès le u r seconde édition, les m ariages appar tien n en t à l’histoire des m om ies et des fossiles. XLV Si vous tenez à la beauté, n ’oubliez point que la plus d u rab le est celle qui réside dans les yeux et que la p lu s passagère est celle qui vit su r les lèvres et d ans les couleurs de la peau. XLVI Si vous tenez à la vertu , n ’oubliez point que la p rem ière de toutes dans le m ariage est la douce bonté, la bonté tendre et passionnée. XLV II Si vous tenez à l’esp rit, n ’oubliez point que le p lus ch er est celui que l’on trouve enfoui dans la pensée de l’être aim é, non celui qui ap p artien t au p ublic. 11 est des gran d s hom m es insu p p o rtables, il n ’est point de dem i-en ch an teu rs. X L V III Hom m e, crains su r toute chose la fem m e co q uette : elle péchera cent fois plus que la libertine. Fem m e, crain s su r toute chose l’hom m e o isif: il te d onnera la nausée p ar trop d’assiduité ou tro p d ’indifférence. XLIX H om m es, qui voulez être h eu reu x , craignez la fem m e bavarde, la fem m e bigote, la fem m e qui p arle tro p de sa vertu ou de sa dot. L Fem m es, qui voulez être heu reu ses, craignez les hom m es qüi parlent sans cesse de leu rs che- vaux etde leurs arm es ; craignez Don Ju an , m ais plus encore T artufe. LI N’épousez jam ais la fille de votre m aîtresse, su rto u t quand celle-ci est encore vivante. CHAPITRE X X III FRAGMENT D ’ UN ET TRAITE DE L’ A R T D’ A I M E R D ’ÊTRE AIMÉ Q uand, à son tab leau, u n peintre a donné la dern ière touche de pinceau ; quand, le scu lp teu r a fait à sa statue la d ern ière, la plus am oureuse des caresses, tous les soupirs, toutes les p alpita tions de l’a rt sont, je le crois, réu n is su r la toile, dans le m arb re. S ur la palette, dans ce m ince chaos de couleurs et de tons enchevêtrés, nom bre d ’inspirations sublim es sont dem eurées com m e aux lim bes d’une fécondité fu ture ; de m êm e parm i les fragm ents tourm entés de la glaise et dans la blanche poussière du m arb re, le scu lp teu r a laissé en foule des idées inachevées, des germ es de la beauté à venir. C’est ce qui advient à l’écrivain. A rrivé à la dern ière page de son livre, il n e sait s’en détach er, et, parm i les in stru m en ts de son laboratoire, il rencontre dispersés en désordre TRAITÉ DE L ’ART D 'A IM ER ET D ’ÊTRE AIMÉ. 353 des germ es d ’idées q u ’il ne su t féconder, em bryons q u ’il ne p u t achever, fantôm es qui glissè ren t entre ses m ains, tandis q u ’avec u ne trop grande ard eu r il m odelait l’argile plastique de ses pensées. Je ne sais si c’est le cas de tout le m onde ; m ais il est certain que cela m ’arrive presque tou jo u rs à chacun de m es travaux. D isperser ces germ es, détruire ces larves sem ble tro p cruel à m es m ains paternelles ; aussi je les recueille am oureusem ent et les enfile : telle la jeu n e sau vage, [dans sa course vagabonde à travers les forêts et les prés, bu tin e les fleurs et les graines et les tresse en u n collier p o u f son col b ru n et délicat. A phorism es, m osaïques, fragm ents de codes p ar lesquels j ’ai clos p lusieu rs de m es livres, n ’ont pas été réunis p o u r obéir à un e irrésistible exi gence dogm atique de m on esp rit, ou bien avec l’arrière-pensée de conserver jalousem ent to u t ce qui vient de m oi. 11 m ’a p aru, au reb o u rs de ces sym étriques échafaudages dressés su r un plan préconçu, trav ail de quelque architecte de l ’en crier qui se dit au teu r, il m ’a p aru que laisser au lecteur, en outre de l’œ uvre, u n e poignée toute vierge de celte m atière prem ière d’où l’on a tiré cette m ince ou grandiose création q u ’on nom m e un livre, pouvait être in téressan t. Parm i les atom es et les atom es de cette m atière germ i- native et féconde, le lecteu r peut trouver beau coup de graines qui peut-être sont siennes, avec lesquelles il p o u rra féconder et élever u ne plante robuste. Dans ce chaos, qui ap p artient à tou s, la pénétration de la pensée de l’écrivain avec la pen sée du lecteur sera plus intim e et plus chaude. Un livre qui aspire à vivre, à en trer dans les veines d ’un e génération, ou, to u t au m oins, à y v erser une goutte de sang, doit être u n e poignée de m ain longue, b rû la n te, affectueuse, que l’au te u r donne au lecteur. Or vous savez que deux m ains qui se détachent, au d ern ier m om ent, se laissen t plus profonde l’em preinte de leu r contact. A ussi bien, voici m on d ern ier chapitre, et l’ultim e poignée de m ain que je vous donne à vous qui m e lisez. I On a to u jo u rs to rt de n ’être pas aim é : vérité éternelle com m e le m onde, vieille com m e l’hom m e, im m uable com m e les lois qui gouvernent la phy sique de l’univers ! II Chacun reçoit précisém ent la q u an tité d’am our q u ’il m érite ! III L orsqu’on p arle de m érite en fait d’am o u r, il faut entendre d ’abord q u ’on se place au dessous TRAITÉ DE L'A RT D 'A IM E R ET D 'ÊTRE AIMÉ. 355 ou au-dessus de la justice, car dans la balance de l’am our, la beauté peut valoir au tan t que l’intel ligence, au tan t que le cœ ur, l’héroïsm e, l'ado ration. IV Dire à qui aim e : « Soyez ju ste », c’est ém ettre la prétention la plus ridicule et la plus insensée du m onde, atten du q u ’un des caractères les plus essentiels de l’am ou r est l’injustice. V L’am our est la plus arro g an te, la plus prépotente, la plus irrésistible, la plus colossale des injustices. Par-dessus vérité, v ertu , reconnais sance, lois écrites, coutum es plus fortes que les lois écrites, il je tte ses faveurs au p rem ier venu, à la plus sublim e com m e à la plus basse des créatures. VI La m ère a m is au m onde, allaité, n o u rri pen dant vingt ans de caresses et de baisers un e gen tille créa tu re; elle a respiré avec elle et avec elle a d o rm i; avec elle, elle a veillé les n u its de d o u le u r; avec elle, seule elle s’est réjouie des fêtes de la vie. Mère et fille ont vécu cœ u r avec cœ ur, ch air avec ch air, pensée avec pensée d u ran t tous les m illions de m inutes qui coulent en u n cin quièm e de siècle. Or, l’ange rose de vingt ans ren contre u n jo u r su r son chem in un e paire de m ous- 556 PHYSIOLOGIE DE L ’AMOUR. taches noires, portées p ar u ne p aire de culottes, et m oustaches et culottes font table rase des vingt années d’am our. Le soleil m aternel s’éclipse, glacé d’épouvante, devant la plus cruelle et la plus scélérate des injustices. V II En p arlan t d’am our, employez le d ictionnaire au tan t que vous voudrez, usez du plus polyglotte des d ictio n n aires; m ais ne prononcez ja m a is le m ot in justice, ce serait u n non-sens. V III Un grand poète a dit : L’Amour qui de nul amant n’aime à être épargné. Et il disait bien, car on entre au tem ple de l’A m our p a r ta n t de portes, qu’on y peut aussi e n tre r p ar la porte très basse et très étroite de la reconnais sance, en co u rb an t le dos et en ram p an t. Les am ou rs p ar com passion sont p resque tou jo u rs affectées de vice o rganique, de péché originel ; ce sont enfants scrofuleux g u éris p ar l’iode et les b ains salins ; ce sont rach itiq u es redressés p ar l ’orthopédie. Je ne les désire p o u r au cu n de m es am is, que ce soient am ours passives ou actives. IX De toute façon il vaut m ieux accorder un am our TRAITÉ DE L’ART D 'A IM ER ET D 'ÊTR E AIMÉ. 557 par gratitude que l’im p lorer. Il vau t m ieux être créancier que débiteur. X Il y a des am ours sem ées dans le sillon de la raison, fum ées p a r la prudence, arrosées chaque jo u r p ar l’habitude. Ce sont des arbrisseaux droits et sains qui donnent fleurs et fru its, m ais ces fleurs et ces fru its sont-ils les p roduits de l’am our? XI Peu d ’hom m es de bonne santé m euren t sans avoir possédé un e fem m e, beaucoup m eu ren t sans avoir aim é. P our eux. l’am ou r est com m e la faim , com m e la soif ; il en diffère en cela seulem ent q u ’au lieu de s’apaiser avec du pain ou du vin, il se satisfait avec un e fem m e. XII Le ciel d ’Italie n ’est ni m oins serein, ni m oins splendide après de longs jo u rs de nuées ou d ’orage ; m ais, où le ciel est éternellem ent gris, il n ’y a ni vent ni soleil qui lui puisse ren d re l’outre-m er et îe sap hir. Il en est de m êm e de l’am o u r : si c’est un am our v rai, il guérit des plus graves, des plus sanglantes blessures ; il sait rallu m er les cendres éteintes, se réchauffer sous une avalanche de neige ; puis cent fois dorm ir et se réveiller cent fois, cent fois m o u rir et ressu sciter cent fois. S’il 558 PHYSIOLOGIE DE L ’AMOUR. n ’est c a p a b le 'd ’accom plir ces m iracles, c’est de l’am itié, de la luxure, non pas de l’am ou r. X III 0 am oureux, ne craignez ni les tem pêtes, ni les cyclones, n i la foudre; ne trem blez point devant le poignard, le poison, le trem b lem en t de te rre ; rien de la calom nie, d e là haine, de l’envie. Si vous voulez conserver éternelle votre flam m e, toujours brillantes les gem m es de votre tréso r, redoutez u n tou t petit insecte, le plus form idable ennem i de l’am our : le taret de l'ennui. XIY A im er une h eu re est le p ropre de l’an im al; aim er un jou r, celui de tout hom m e; aim er toute la vie, celui des anges; aim er toute la vie une m êm e personne, le pro p re des dieux. XV L’hom m e anim al est polygam e ; l’hom m e homme est m onogam e. XVI La n atu re a fait l’hom m e polygam e. C’est la trè s sublim e m ission de la fem m e de le rendre m onogam e. XVII Les am ours contem poraines sont hypocrisie, ou TRAITÉ DE L’ART D ’A IM ER ET D ’ÊTRE AIMÉ. 55D débauche, ou cynism e, ou sim onie; aucune d’elles n ’est le véritable am our. Les am ours successives peuvent être toutes sincères, toutes ardentes, toutes divines. XVIII Dire que dans la vie on ne peut aim er q u ’une fois, est une des très nom breuses et des plus grandes im pudences dont l’am ou r se rende cou pable chaque jo u r. XIX Qui a aim é plusieurs fois est sérieusem ent em barrassé p o ur vous dire quel est le prem ier, le véritable am our. Pour se tire r de l’im passe, il lui faut faire com m e les n aturalistes quand ils s’em bro u illen t dans leu rs classifications; ils doivent suivre l’ordre chronologique ou alphabétique. Alors l’am our le plus ard en t est le plus ancien ou celui qui com m ence p ar la lettre A. XX Pour ém onder l ’am our de ses orties et de ses ronces, le g u érir de ses plaies et le red resser de ses rachitism es, le restau rer, l’ennoblir, le su b lim er, en faire u n nid fécond en joies, un gym nase de v ertu, une seule chose suffirait : un peu de sincérité. XXI En am our le m e u rtre est péché véniel, les coups sont péchés m ortels et sacrilèges. XXII Quand l’insu lte p eu t tu e r l’am our, c’est parce que l’am our-propre était plus grand que l’am our. XXIII Combien de fois l’am our n ’est-il que l'am o u rpropre changé en luxu re ! XXIV Celui qui se plaint pendant l ’ouragan que les vitres de sa fenêtre soient m ouchetées de boue, est sem blable à celui qui dans la n atu re ne c h e r che que verm ine et ordure ; à égale dislance de tous deux se place celui qui dans les tem pêtes am oureuses m arq ue avec un poinçon les paroles m alheureuses ou les gestes insolents p o u r les con server au m usée dom estique des ran cœ u rs. XXV P our l’am our il n ’y a pas de tache, p o ur l’am ou r il n ’y a pas de vilenie, p o ur l’am ou r il n ’y a pas de vergogne. Sa lum ière est telle q u ’elle ren d toute chose b rillan te, telle sa chaleur q u ’elle réchaufle toute g la c e , telle sa douceur q u ’elle supprim e toute am ertum e. XXVI Tout conlact dç mâle et de femelle est indécent TRAITÉ DE L ’ART D ’A IM ER ET D ’ÊTRE AIMÉ. 561 quand il n ’est pas réchauffé p ar l’am ou r ; toute lux u re est pudique à l’om bre des grandes ailes de l’am ou r. XXVII Ce n ’est ni la p u deur, ni la v ertu , ni les traités d o ctrin airem en t im pudiques des casuistes qui fixent les frontières de l’honnête et du déshonnête en tre l’hom m e et la fem m e; elles sont tracées p ar l'am o u r, d ’u ne m ain sû re et infaillible. XXVIII La fem m e que l’on aim e, m ère, sœ ur, fille, épouse, est tou jo u rs u n ange. La fem m e que l’on n ’aim e pas est toujours une fem elle, fût-elle belle com m e la F o rn arin e, plastique com m e la Vénus de Milo. XXIX Au m om ent où l’hom m e et la fem m e ont p ro noncé ensem ble cette chère parole : je t'aim e, ils sont devenus, sans le savoir, p rêtres d ’u n m êm e tem ple dans lequel ils doivent conserver le feu sacré du désir. Ne jam ais l’élouffer p ar un excès de com bustible, ni le laisser éteindre p ar défaut d’air, ou p ar un trop grand froid, est le grand secret de l’am ou r étern el. XXX En am our, le désir est u n oiselet tom bé du nid , q u ’on donne à u n enfant : il le tripote tan t et le 362 I ’HYSIOLOGIE D E L'AMOUR. gorge si bien de n o u rritu re que l’oiseau m e u rt. XXXI La lu x u re est très souvent la m ère de l’am ou r, m ais elle en est bien plus souvent le b o u rreau . XXXII « Je t ’aim e to u jo u rs, je t’aim e tou jo u rs égale m e n t.... » : au tre van terie des am oureux, au tre m ensonge du siècle, le plus tro m p eu r q u ’ait vu la fam ille h u m ain e. On aim e tou jo u rs diverse m en t, chaque jo u r, chaque h eu re d u jo u r, et ch aque m in u te de l’heu re, l ’am ou r se tran sfo rm e et se change com m e il advient des choses vivantes, chaudes et jeunes, qui m esu ren t leu r vie, leu r force et leu r jeunesse à la rap id ité de leu r transform ation. XXXIII Qui p eu t croire que deux baisers se ressem b le n t, que deux caresses sont égales, n ’a jam ais lu l’alphabet de l’am our. XXXIV Ils te verron t, ils t'ont vu, on verra, on a vu, q u atre scènes successives qui p a r u n éternel lien se tien n en t l’une l’au tre dans la grande com é die ou tragédie de l’am our; ; XXXV La poignée de m ain est l’ultim e, le plus ex p ressif salut de l’am itié ; il est souvent le prem ier pas vers la conquête de l’am our. XXXVI La m ain m en t beaucoup p lu s rare m e n t en am our que les lèvres ou que l’œ il; aussi la fem m e la plus hypocrite ne se défie pas d ’u ne poignée de m ain parce q u ’elle la croit l’acte le plus innocent dans son expression. X X XV II. Qui ne connaît le langage d ’une m ain q u ’on étrein t, n ’est pas digne d’aim er ni d’être aim é. Avec elle une' fem m e, la p lu s sim ple du m onde, sait dire : « Restez » ou « Partez » ; avec elle, elle sait d ire : « Je vous ai aim é, je vous aim e, je vous aim erai. » XXXV III Com bien de fois, de com bien de m anières une fem m e ne sait-elle pas dire ce m ot tro ub lan t : P eut-être? XXXIX L’am ou r, com m e le soleil, com m e toutes les grandes choses de la pensée h u m ain e et du m onde; n aît et m eu rt en deux crépuscules : le 364 PHYSIOLOGIE DE L'AMOUR. •peut-être de l’espérance et le peut-être des re m ords. XL L’am ou r est une fleur, le m ariage u n fru it, m ais la floriculture et l’h o rticu ltu re sont des choses assez sœ urs p o u r sem bler jum elles, et leu r fusion est un e com binaison délicieuse. Pour évi te r l’équivoque, il convient de ne pas dem ander les fleurs au verger et les fru its au jard in . XLI « Qui vous plaît le plu s, une rose ou un e pêche ? » dem ande stu p id e et vulgaire com m e cette au tre la plus stupide et la plus vulgaire de toutes : « P ré férez-vous une m aîtresse ou un e épouse ? » XLII Le m ariage, c’est l’am ou r en conserve. X LIII Dans votre am o u r, m ettez le m oins d ’am o u rpropre possible; m ais supposez toujours q u ’il y en a chez les autres la plus grande q uantité pos sible. De cette façon vous ne blesserez pas et ne serez pas blessé. XLIV Le code crim inel de toute nation civilisée re n ferm e beaucoup de crim es, de délits, de transgres- T R A IfÉ DE L ’ART D’AIMER ET D’ÊTRE AIMÉ. 565 sions et une infinité de form es, de fautes et de peines. Le code d’am o u r ne connaît q u ’u n seul crim e, le m ensonge; q u ’une seule peine, la m o rt. XLV Beaucoup s’étonnent que de sept notes seule m ent nos m aîtres aient pu tire r des to rren ts d ’harm onie ; q u ’avec vingt lettres seulem ent les hom m es exprim ent des m illions de pensées. Je trouve la chose beaucoup plus sim ple, puisque l’am ou r avec tro is notes seulem ent a su créer u n m onde infini de spasm es et de voluptés. XL VI Ces tro is notes sont : atten dre, se voir, 'partir, ou, en d ’autres term es, désirer, posséder, regret ter. Quelles com binaisons, quelles variations su r ces tro is notes ! XLVII Le désir p o ur le plus fo rt des hom m es est *un verre que l’on vide; p o u r quelques-uns, peu for tu n és, c’est une m er qui a son flux et son reflux ; p o u r les élus du paradis d’am our, c’est l’onde éternelle d ’u n fleuve qui co u rt, court et jam ais ne s’arrê te ; l’eau chasse l’eau , et le m ouvem ent jam ais ne repose. XL VIII Pour le commundes amoureux, le désir engen- 506 PHYSIOLOGIE DE L ’AMOUR. dre l’am o u r et l’am our tu e le désir ; p o u r les élus, l’am o u r est le fils d ’u n désir et le père très fécond de m ille nouveaux désirs. XLIX Tous ceux qui dem andent pourquoi l’on vit, tous ceux qui blasphèm ent contre la vie, n ’ont jam ais aim é ou bien ont tro p aim é. L Qui aim e et fu t aim é, fut-ce u n seul jo u r, n ’a pas le d ro it de m au d ire la vie. LI L’am ou r dans tous ses problèm es de q u antité constate aisém en t quel grossier in stru m e n t sont les balances les plus délicates de la chim ie. LII Les su p rêm es voluptés de l’am ou r d ém o n tren t à le u r to u r quel outil ru d im en taire est u n ch ro n o m ètre po u r m esu rer certains m om ents plus infinis que l’univers, plus brefs que l’éclat de la fo u d re. LUI La joie des joies, le délire des délires, l’ivresse des ivresses, la gem m e des gem m es, le tréso r des tréso rs, l’infini des infinis, c’est tou jo u rs l’am our, LIV Il n ’est pas de faim que le pain ne puisse rassa sier, il n ’est pas de soif que les sources et les caves ne puissent étan cher, il n’est pas de lu x u re de la bouche que l’a rt d’u n cu isin ier ne puisse flatter, m ais que l ’am ou r, m êm e à travers u n e vie d’am our, m eure inassouvi, et nous expirons tous avec u n capital de passions encore vierge, que nous laisserons peut-être en héritage à nos enfants. LV La luxu re est à l’am our com m e le feu est au soleil. LYI Peu d’hom m es ont vu l’am o u r n u , parce q u ’ils n ’étaient p eu t-être pas dignes de le voir. L VII Les hom m es et les civilisations couvrent l’a m o u r de nouveaux vêtem ents, de nouveaux ver n is, de crépis nouveaux; ils s’attach en t à en co u v rir les hontes. LY1II La n atu re est to u jo u rs n u e, l ’innocence est tou jo u rs n u e; à to u te violation de la n atu re, à tou te tache faite à l’innocence, l’hom m e jette u n nouveau voije su r la statuejde l’A m our, L1X A ucune créatu re n ’est plus vêtue que l’inno cence en chem ise; au cun e n ’est plus n ue q u ’une courtisane qui m et en tre le m onde et sa peau vingt épaisseurs de linge et de soie. LX Cacher la volupté : un e des plus chères et des plus saintes p u deurs d e là vertu. Feindre la volupté : u n des plus obscènes m en songes du vice. LXI Posséder ne veut pas dire aim er, encore m oins être aim é. Les sens ont leu rs besoins et leu rs ca prices, et, po ur avoir libre accès dans le tem ple, se déguisent avec les vêtem ents de l’am our. LXII On d it que la douche froide est u n rem ède à beaucoup de m aux. Je sais cependant que, tom b an t su r la flam m e de l’am o u r en form e de parole glacée, elle peu t lu i donner la m ort. L X III L’am ou r, fils de soldat, tou jo u rs arm é en g u erre, grandi dans la bataille, ne crain t pas la violence, m ais déteste la b ru ta lité , Savoir où TRAITÉ DE L ’ART D ’AIMER ET D ’ËTRE AIMÉ. 509 l’un e finit, où l’au tre com m ence est u n des plus grands secrets de l’a rt d ’aim er. LXIV De nom breux savantasses dans l’a rt d’aim er ont coutum e de résu m er tous les préceptes en u n seul m ot ; « Osez ». Gens sans cervelle! au tan t d ire : « Sautez » à qui veut passer u n to rren t. Avant d ’oser et de sau ter, il faut savoir ju s q u ’où nous p o rtera le désir, où nous déposeront nos jam bes. T irer hors la cible, c’est la m êm e chose que ne pas réu ssir. LXV M alheur à vous si, après l’audace, vous laissez voir la p eu r d ’avoir osé. En u n in stan t, vous p er drez tout le chem in gagné au p rix de ta n t de sueu rs. LXVI Si vous avez des rem o rd s, digérez-les seul. Rien n ’est m oins galant, rien n ’est plus bas que d ’inviter au jo u rd ’h u i votre m aîtresse à p leu rer su r les péchés d ’h ier. LXVII A près l’audace, il convient d’avoir la force et la sérén ité; il convient de m o n trer que la force est devenue le droit, LXYIII Préparer le mécanisme, prévenir les arrêts, ado ucir les résistances et m o n trer ensuite que la m achine m arche toute seule, est l’a rt d’un m éca nicien habile. LXIX Les hom m es se vengent chaque jo u r des fem m es en les calom niant. Mais ce fait dem eure to u jo u rs, qu’il est plus facile de co n q u érir cent hom m es q u ’une seule fem m e. LXX P o ur co n q u érir un hom m e, une très m édiocre beauté suffit, sinon u n e conform ation h arm o nieuse du corps. P our co n q uérir u n e fem m e, il faut lui p laire avant tou t. LXXI Plaire à une fem m e est u n m ot qui renferm e la som m e de cent vertus ou de m ille artifices. LXXII La d ern ière des servantes peu t co n q u érir en cinq m inu tes l’Apollon du Belvédère ou bien un roi couronné. Apollon peu t être repoussé p ar la d ern ière des prostituées. C’est là la véritable g ran d eu r de la fem m e. L X X III Homm e ou fem m e, ne faites jam ais ro u g ir votre com pagnon sans g u érir sa ro u g eu r d ’un b aiser ou d ’une caresse. Il a reçu u n e blessu re légère ou TRAITÉ DE I/ART D ’AIM ER ET D’ÊTRE AIMÉ. 571 grave, m ais qui ne p eu t être guérie que p ar celui qui a blessé. LXXIV 0 fem m e, veux-tu être aim ée? Sois belle, belle p a r le corps, belle p ar le cœ ur, belle p ar l’esp rit. Tu es dans le m onde des vivants la vestale de la form e, la custode sacrée des germ es, tu es la tram e de la vie. Sois belle! LXXY Hom m e, veux-tu être aim é? Sois fo rt, fo rt par les m uscles et le cerveau, fort p ar l’audace de ta passion et l’éclat de ton génie. La fem m e qui adm ire est à la veille d’aim er. La n atu re t’a fait le défenseur de la fam ille, le rég u lateu r des forces latentes ; elle t’a fait soldat p o u r aim er et soldat p o u r vaincre. Sois fort! LXXVI Les hom m es se p ren n en t com m e m ouches, dans la bataille de l’am o u r, avec la m ain, avec le lait, la glu , la fum ée de m ille substances, m ais spé cialem ent avec celle de l’encens. Il n ’y a pas be soin d’a rt n i de livre p o u r ap p ren d re celte chose facile, très facile. Il est beaucoup plus difficile de p ren d re u n e so u ris, parce qu’il fau t au m oins u n piège co n stru it ad hoc. P our p ren d re u n hom m e, au contraire, la m ule d ’un e jolie fem m e suffit le plus souvent. LXXVII Les fem m es, com m e les grandes forteresses, ne se p ren n en t que p ar fam ine ou par assau t après q u ’on a ouvert la brèche p ar la plus vigoureuse canonnade. LXXVIII A battre les aqueducs, bloquer les portes, cou p er les chem ins ; p river u n pauvre cœ ur de fem m e du pain de l’am itié, du vin de la volupté, de l’at m osphère de l’am o u r ; puis, lui p ersu ad er que vous seul avez en m ains le pain, le vin, l’a ir et l’eau ; voilà ce qui s’appelle la p ren d re par la fam ine. LXXIX Séduire les sens, fasciner la fantaisie, con q u é rir une à une les facultés de la pensée; o uvrir la brèche avec toute la form idable artillerie de la passion h u m ain e, s’appelle p ren d re la fem m e p ar stratégie ou p ar tactique. LXXX Il est plus facile de p ren d re p a r su rp rise une place forte q u ’un e fem m e. Q uand vous croyez que la conquête est faite, vous avez possédé la fem m e, m ais vous n ’avez pas son am ou r. Les sens de la fem m e sont aux avant-postes et peuvent facile m ent être enlevés p ar u n coup de m ain. Mais le TRAITÉ DE L ’ART D ’A IM ER ET D’ÊTRE AIMÉ. 373 cœ u r est gardé p ar de m eilleurs sentinelles, et sans u n siège et u n bom bardem ent fo rt et con tin u , on ne le conquiert pas. LXXXI La fem m e prise p ar u n coup de m ain, par su r prise des sens, p eu t to u jo u rs dire à l’assaillan t : « Tu m ’as possédée, m ais je ne t ’aim e pas. La fron tière est franchie de force, m ais elle existe encore, je ne suis pas tienne. » LXXXII La possession d’une fem elle est p o u r l’hom m e, com m e p o u r les anim aux, u n fait physique qui ne se discute p as. Mais la fem m e n ’est m orale m ent conquise que lorsq u ’elle a donné son cœ ur, et celui-là ne se laisse jam ais surp ren dre. LXXXIII Môme lorsque la reddition a été préparée p ar la fam ine ou p ar l’assau t, il faut tou jo u rs une der n ière et vigoureuse attaq ue pour achever la con quête de la fem m e. Elle ne cède q u ’après avoir b rû lé sa d ern ière cartouche, q u ’après avoir vu cro u ler le d ern ier rem p art sous le d ern ier coup du d ern ier canon. Elle sort toujours de la forteresse p a r la brèche, avec armes et bagages! Sa capitulation est toujours honorable, LXXXIV A ucune place forte en E urope ne peu t se vanter de n ’avoir jam ais été prise p ar assau t, fam ine ou trah iso n : un e foule de faibles fem m es ont résisté aux plus furieux assau ts, et l’hom m e se venge en disant que la fem m e est u ne créatu re fragile. T riple m enteu r ! LXXXV Les fem m es les plus faciles à co n q u érir sont les plus difficiles à co n serv er; tan dis que celles qui coûtent de grandes fatigues p o u r les avoir se co n servent sans peine. LXXXVI Pour conserver l’am o u r d ’u n hom m e ou d’u ne fem m e, il convient après l’avoir conquis de le reco n q u érir chaque jo u r. LXXXVII Le sel est le plus grand conservateur de la ch air et de l’am ou r, et à tous ceux — et ils sont très nom breux — qui p erdent l’am ou r, il faut dire : « Un peu p lus de sel ». LXXXVIII Les absences étudiées sont u n bon antiseptique p o u r conserver les longues am o u rs; m ais il con vient d’en user avec une ju ste m esure et une grande pru d ence, sans quoi on obtiendrait ju ste l ’effet opposé. Il en est de l’absence com m e de l’élagage dans l’a rt du jard in ag e : u n e taille opportune renforce la plante, un e taille excessive la tue. LXXXIX M alheur à la fem m e qui satisfait tous les désirs d ’u n hom m e en u n an, en u n m ois, en u n jo u r! Deux am an ts, deux époux doivent m o u rir sans avoir épuisé ju sq u ’à la d ern ière goutte la coupe de l’am ou r. XG La légende de sainte U rsule et des onze m ille vierges a été m al interp rétée p ar les éru d its et les h isto rien s. Elle signifie que la vierge contient en elle-m êm e une infinie légion de vierges m oindres, q u i veulent l’une après l’au tre être aim ées et con quises. En veillant celle qu i est m o rte, il faut en avoir une p o u r le lendem ain. XCI La valeu r tonique et antiseptique de l’absence n ’existe que p o u r les fem m es et les hom m es qui ont du cœ u r. P o u r les hom m es que l’on cueille avec la m ain ou les fem m es q u ’on achète, le p ro verbe antique est tou jo u rs v rai : « Loin des yeux, loin d u cœ u r ». XCII Ne te défie jam ais de ton com pagnon d ’am ou r, m ais de ton côté ne lui fournis jam a is un e occasion de pécher. XCIII L’indifférence et le m épris, com m e arm es de séduction, veulent être m aniés avec infinim ent d ’art, et nous n e trouvons pas de point d ’appui où m anq u en t un e certain e énergie de volonté et une bonne dose d ’orgueil. XCIV Les infidélités sim ulées p o u r réveiller l’am our sont com m e les vésicants, les cautères et les m oxas; excellents m oyens quand il existe encore dans l’organism e un e capacité de réaction, quand les forces curatives de la n ature sont encore vigou reuses ; inu tiles to u rm en ts q uand on les applique à la d ern ière h eure. XCV Les artifices de la coquetterie p o u r fouetter l’am ou r ou le ressu sciter réu ssissen t bien, quand ils sont cachés et exécutés de m ain de m aître. Q uand ils en arriv en t au degré et à la form e d ’u n p h iltre, sen tant la sorcière d’une lieue à la ronde, il y a p éril q u ’à l’artificielle ch aleu r succède bien tôt u ne glace de m ort, q u ’à l’appétit factice suc-> cède la dyspepsie, XCVI L’amour, dans le monde physique et dans le TRAITÉ D E L’ART D’A D IE R ET D ’ÊTRE AIMÉ. 377 m onde m oral est la force des forces, la santé des santés. Qui m aud it l’am ou r après avoir aim é, pèche. Le dernier soupir de la volupté m ourante doit être u ne bénédiction à la vie. XCVII M alheur à la fem m e qui en certaines choses m o n tre q u ’elle en sait plus que l’hom m e ! Il veut être le m aître et non le disciple de sa com pagne ! X CVIII N ulle v ertu, n ulle beauté, n u lle coquetterie, n u lle volupté n ’est délicieuse si elle n ’est ni peu n i beaucoup, ni douce ni am ère, ni ostentation ni ingénuité : u n ju ste m ilieu p iq u a n t, m o rdant, p ru rigin eu x, crép u scu laire. XCIX Les infidélités p ar vengeance sont prétextes à pécher, transactions de conscience, plantes qui croissent en u n cham p où l’am ou r est déjà m o rt. C Éludiez la chim ie des terrain s et l’a rt de l’agri cu ltu re ta n t que vous voudrez ; m ais p o u r récolter il convient su rto u t et avant to u t de sem er. Qui sèm e beaucoup récolte presque to u jo u rs beau coup, qui sèm e bien récolte presque toujours bien. CI Le lib ertin est souvent sem blable au soldat su r pris sans arm es et l ’estom ac vide; l ’hom m e chaste est le soldat qui se tien t toujours s u r le garde-àvous. C il L’am ou r a des form es si diverses et si opposées, q u ’il p eu t être g ran d , sublim e, très noble sous les guenilles de l’esclave com m e sous la p ourpre du tvran . cm A voir u n regard p énétran t et m ystérieux, c’est posséder un e lettre de change payable à vue et avoir l’étofte la m eilleure du conquérant. CIV P o ur l’hom m e, la fem m e est sans cesse u n ? ; et l’hom m e à son to u r est p o u r la fem m e u n x ; com bien d ’am our ne n aq u iren t point parce qu’ils ne p u ren t répondre au ?, parce qu’ils ne su ren t résoudre ï'x ! CV Si en am o u r tous les ? se changeaient en /, com bien d’h eureux ne com pterait pas ce m onde. CVI De m êm e q u ’on peut être jaloux sans am ou ri on peu t aim er sans jalousie, CV II Toutes les analyses, toutes les alchim ies qui di visent l’am our en platonique et en sensuel, ap p ar tienn en t au stade de la putréfaction. C V IÏI L’am ou r platonique est un e p artie de l’am o u r, la lux u re en est une a u tre : m ises ensem ble, elles donnent l’am ou r. CIX On peut aim er platon iqu em en t p en dant tou te sa vie, com m e on peut être u n grand hom m e sans avoir jam ais gagné une bataille, ni inventé une m achine, ni écrit u n livre ; m ais dans l’u n et l’au tre cas l’h u m an ité a le d ro it de se dem ander : « A quoi bon ? » CX R efaire l’am o u r quand l’am ou r est m o rt depuis vingt ans, est un péché contre n atu re ; c’est dé b auche de fossoyeur ; c’est u n goût très sem blable au goût de ceux qui m angent la bécasse faisan dée, chose m alsaine et m alpropre. CXI G uérir les larm es du cœ u r avec le m iel de la volupté : u ne des cu res les plus douces, les plus infaillibles, à propos de laquelle il est difficile de 380 PHYSIOLOGIE DE L ’AMOUR. d ire celui qui est à envier le plus, le m édecin ou le m alade. C X II A im er avec av arice : u n e des to rtu res volup tueuses de l’âge m û r ; aim e r avec lâcheté : une des plus grandes hontes de la vieillesse. CX1IÏ Et p o u rtan t qui n ’est pas lâche en am ou r ? Qui ne l’a été à vingt ans ? CXIV M ettre une grande fo rtu ne aux pieds d ’une fem m e pauvre : une des plus grandes gloires de l’hom m e ; se vendre soi-m êm e à la richesse dé bauchée : la plus grande honte h u m ain e. GXV La fem m e qui se vend à l’hom m e est à p lain d re ; l’hom m e qui se vend à la fem m e est à b ro y er sous sa botte. CXYI La fem m e belle p eu t être jalouse de la fem m e de g én ie; tandis que les fem m es illu stres sont souvent jalouses de leu r fem m e de cham bre. CXVII La plus bête, la plus insensée, la plus ridicule, TRAITÉ DE L ’ART D ’A IM ER ET D ’ËTRE AIMÉ. 381 la plus cruelle, la plus im bécile, des passions hum aines, c’est la jalousie. CXV1II Le plus h eu reu x , le plus honnête, le p lu s p ar fait des am an ts est celui qui à la fin de sa vie p eu t d ire : « Je n ’ai laissé au cune douleur à un e fem m e ; j ’ai sem é m ille joies, et aucune d ’elles n ’a engendré u n rem ords. » CXIX L’hypocrite société m oderne a écrit dans ses codes des peines infam antes et cruelles p o ur p ro téger la p u d eu r et l’innocence de la fem m e ; en m êm e tem ps, elle a sem é dans ses codes un e foule d’im pu n ités p o ur protéger ses vices et ren d re licite à l ’hom m e toute infam ie, p o u r désarm er com plètem ent la fem m e. CXX S ur la tête d ’un hom m e, au cu n cheveu blanc n ’est u n désir qui m eu rt ; su r la tête d ’une fem m e, to u t cheveu blanc est une flèche qui pénètre. CXXI P rétend re qu’u n m ariage de convention engen d re l’am o u r, au tan t d ire q u ’on sèm e du sucre p o u r récolter des bonbons. CXXII Les grands am oureux sont souvent las, m ais dans le u r lassitude il n ’y a pas l’om bre d ’en n u i. CXXIII Ce n ’est pas un des m oindres, parm i les nom b reu x m iracles de l’am ou r, que de voir d ’une volupté éteinte su rg ir des désirs nouveaux et plus g aillard s. L’am our est u ne soif in satiab le, l’attiour est l’océan que personne ne sau rait vider ; tandis que le soleil lui vole une ondée, cent fleuves lu i en ren d en t m ille. CXXIY Souffrance et am ou r, com passion et am ou r, prudence et am ou r, froid et am ou r ; com binai sons im possibles, incom patibilités les plus g ran des qui se tro uv en t su r la terre. cxxv E n am ou r il vaut m ieux recevoir u n b aiser de p lu s que dix lettres de m oins. CXXYI Les fem m es écrivent très bien leu rs lettres d ’am o u r, qui, m ises tou tes ensem ble, ne va len t pas u n seul de leu rs reg ard s, u n de leu rs sourires, un de leurs soupirs. CXXVII Si l’on écrivait m oins de lettres, com bien de rem o rd s, de désenchantem ents de m oins, com bien de félicités de plus ! Je crois que l’encrier est u n des p lu s grands poisons de l’am ou r. CXXVIII La fem m e qui p leure sans cause connue, est l’oiseau solitaire qui chante en invoquant l’am our. CXXIX Il y a des larm es qui veulent dire : j'a tten d s. Il y en a qui sig n ifien t: il su ffit. Il convient de savoir disting u er. CX XX C’est une grande infam ie que de refuser à l’am an t le b o nh eu r et la volupté qui lui sont dus. A utant v aud rait se van ter d’être égoïste. CXXXI En am ou r, à vingt an s, on p arco u rt u n m ille à l’h eu re ; à q u aran te ans, on en fait cent en une h eu re, CXXXII À seize et à cinquante ans* on dem ande l ’ainoul* de la m êm e m anière : com m e une aum ône; CXXXIII R endre rid icu le u n rival est le m oyen le plus pitoyable, m ais le plus sû r de le tu e r. CXXXIV Ne dem ander rien , obtenir tou t : voilà le secret le plus précieux des g randes am ours et des hautes coquetteries. CXXXY La coquetterie est la p lu s fidèle et la plus p ar faite im itation de l’am our dans la n atu re. CXXXVI Dégager l’am o u r des cent vernis et des m ille travestissetnents dont l’a couvert la société m o derne, est une des plus sublim es m issions de la m o rale et de la philosophie. CXXXYII D onner beaucoup, do nn er encore p lu s, m ais ne pas donner to u t, voilà p o u r la fem m e le plus précieux secret p o u r être longtem ps aim ée. CXXXYIII Les deux sexes se donnent des leçons d’am ou r p a r u n échange touchant. Le jeune hom m e l;ap- TRAITÉ DE L’ART D ’AIM ER ET D ’ÊTRE AIMÉ. 385 p ren d de la fem m e de tren te ans ; et l’hom m e de q u aran te ans l’enseigne à la jeu n e fille. CXXXIX Il y a u n niveleur plus m athém atique, plus inexorable, plus ju ste que la m o rt : c’est l’am our. CXL L’am ou r est la seule chose précieuse q u ’on ne puisse acheter à prix dlargent. Ce que l’on achète, c’est la lux u re, ou encore u n am our en ruolz. CXLI Le plus beau m étal p o u r en ch âsser la précieuse pierre d ’am o u r, c’est la jeunesse. CXLII Le jeu n e p êcher donne beaucoup de fru its ; le vieux p êcher en donne peu, cependant ce sont to u jo u rs des pêches. Tel est l’am o u r ; on aim e à to u t âge et ch acun aim e avec son organism e ; m ais le jeu n e donne beaucoup, le vieux donne peu. CXL III La poignée de m ain est à la caresse ce que le b aiser est à x . CXLIV Pour beaucoup, l'accouplement est tout l’am our. Pour qui sait aim er, il n ’est que la soupape de sû reté qui l’em pêche de m o u rir. CXLV L’am o u r doit to u jo u rs être un e élection, une exaltation du p arfait su r le m eilleu r, d u m ieux su r le bien ; il doit être l’incarn atio n d’u ne éter nelle espérance, d’u n inextinguible désir. CVLVI Si tous étaien t fils de l’am ou r, tous l’au raien t p o ur fils. CXLVII En Italie, on aim e plus et l’on aim e m ieux que n u lle p a rt au m onde, parce que l’Italie est la pa trie du beau et de l’art. C X LX III Ne rien obten ir, souffrir toujours et tou jo u rs aim er : l’u n des m iracles quotidiens de l’am ou r. CXLIX Voir to u t, les yeux ferm és ; ne rien voir, les yeux ouverts : au tre prodige quotidien de l’am ou r. CL Faire raiso n n er l ’am o u r, c’est vouloir réso u d re le problèm e de la q u ad ratu re du cercle. CLI Ê tre laid et être aim é : la plus g rande des vo luptés hum aines. CLII Ê tre aim é et tra h ir : le p lu s lâche des crim es. CLIII C onserver les cheveux, les ru b an s, les m ille reliques de la fem m e aim ée est peut-être u n e ido lâ trie ; m ais l’idolâtrie jou e u n si gran d rôle dans toute religion ! CLIV 11 est m alheureux q u ’on ne puisse pas m ettre l’am ou r en bouteille com m e le vin, q u ’on n’en puisse faire des conserves com m e des fru its, q u ’on ne l’em baum e point com m e les oiseaux exoti ques! Quel m enteu r se soum ettrait aux procédés de m om ification? CLV Qui a besoin de sacrifier à la lu x u re p o u r m ettre une passion à lep reu v e et la d istinguer du d ésir, doit être relégué p arm i les Béotiens et les eun u qu es. CLVI La fem m e, après avoir lu u n livre, après avoir adm iré un e statu e, ou u n tableau, ou une poésie qui parle d ’am our, pousse souvent u n profond so up ir en s’écrian t : « Tout cela n ’est pas l’am ou r ; l’hom m e ne connaît de l ’am o u r que la lux u re. » Laissons à n otre com pagne l’innocente illusion d ’avoir seule le brevet d ’invention de l’am our. CLVII La fem m e a un e telle h ab itu d e, un tel culte du sacrifice, q u ’elle voudrait n o us faire croire que m êm e su r l’autel de l’am ou r elle se sacrifie à nous. CLVIII D em ander le pourquoi des caprices am oureux est u ne des plus im béciles p arm i les im bécillités hum aines. CLIX En ce m onde m eurent beaucoup de v ierges; au cune fem m e ne m eu rt qui n ’ait conjugué quelque tem ps le verbe aim er. CLX Le m onde de l’am our possède u n olym pe de h éros, de m arty rs et de saints, capable de discré d iter les paradis et les panthéons de toutes les n a tions. CLXI Ê tre le m édium inconscient de l’am ou r d’au tru i est passablem ent rid icu le; m ais com bien ne l’estil pas plus, en m êm e tem ps q u ’h u m ilia n t, d ’être V en tracte entre deux am ours ! CLXII Beaucoup d’écrivains, qui n ’avaient pas visité la zone to rrid e, ont cependant placé l’am ou r sous les tropiques, peut-être parce que l’am o u r et les tropiques sont deux régions b rû lantes. E n to u t cas ils ne croyaient pas énoncer u ne vérité aussi flagrante que celle-là. Non seulem ent dans les deux contrées il fait très chaud, m ais toutes deux ont le m ancenillier et le crotale, les drogues qui irrite n t et l’opium qui endo rt, le tig re et le colibri, la vie ardente et brève, et les longs bâillem ents après la courte ivresse. CLXI1I Si loin que la science progresse, l’am ou r sera tou jo u rs u n a rt; si h au t que le génie s’élève, l ’am o u r au ra tou jou rs des ailes plus puissantes que le génie; si heu reu x que richesse et gloire fassent l’hom m e, la suprêm e joie de la vie lu i sera tou jo u rs donnée p ar l’am ou r. F IN TABLE DES MATIÈRES CHAPITRE PREM IER Physiologie générale de l’amour................................... 11 CHAPITRE II li'arnonr chez les plantes et chez lesanimaux................... 29 CHAPITRE I II I/aurore de l’amour. — Les bonnes et les mauvaises sources de l’a m o u r........................................................... 52 CHAPITRE IV Les premières armes de l’amour. — Laséduction............. 81 CHAPITRE V La p u d e u r ........................................................................................... 89 CHAPITRE VI La vierge. ......................................................................................... 97 592 TABLE DES MATIÈRES, CHAPITRE VII La conquête de la v o lu p té................................................................ 109 CHAPITRE V III Comment se conserve et comment meurt l’am our............... 114 CHAPITRE IX Les abîmes et les sommets de l’amour.............................. 127 CHAPITRE X. Les sublimes puérilités de l'a m o u r ............................. 138 CHAPITRE X I Frontières de l’amour. — Ses rapports avec les sens . . , 145 CHAPITRE X II Les frontières de l’amour. — Ses rapports avec les autres sentiments. — La ja lo u s ie .......................................... 152 CHAPITRE X III Les frontières de l’amour. — Ses rapports avec la pensée. . 170 CHAPITRE X IV La chasteté dans ses rapports avec l’am our........................ 186 L’amour suivant le sexe, L'amour suivant l'Age CHAPITRE XV CHAPITRE XVI ................. 192 ................207 TABLE DES MATIÈRES. 395 CHAPITRE XVII L ’amour et les tempéraments. — Des manières d'aimer . . 229 CHAPITRE X V III L’enfer de l’amour.................................................. 247 CHAPITRE X IX Les hontes de l’a m our............................................. 268 CHAPITRE XX Les fautes et les crimes d’a m o u r ..............................292 CHAPITRE X X I Les droits et les devoirs de l’amour...........................305 CHAPITRE X X II Le pacte d’a m o u r ...................................................519 CHAPITRE X X III Fragments d’un traité de l’art d’aimer et d’être aim é.. . F IS DE LA TABI.E DES MATIÈRES, ^ U O T H fq UNIV iAG*t CWCCMfNSS 552 14541. — IM P R IM E R IE A. LAHURE, 9, rue de Fleuras, à Paris. BIBLIOTHÈQUE SCIENTIFIQUE UNIVERSELLE à 3 fr. 5 0 le v o lu m e . PIERRE DELCOURT ' Ce qu’on mange à Paris, falsifications des produits ali m entaires et. des liquides. 1 vol. in-18. LOUIS FIGUIER Le Téléphone, son histoire, sa description, ses usages, Ouvrage illustré de 76 gravures. 1 vol. in-18. Les Chemins de fer métropolitains, à Paris et en Europe. Ouvrage illustré de 35 gravures et de 5 cartes. 1 vol. in-18. P. MANTEGAZZA L’Amour dans l’humanité, essai d’une ethnologie de l’am our. 1 vol. in-18. Physiologie de l'Amour, 1 vol. in-18. Hygiène de l’Amour, 1 vol. in-18.