EDF ou Intérêts et limites de l`intégration Amont / Aval
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EDF ou Intérêts et limites de l`intégration Amont / Aval
EDF ou Intérêts et limites de l’intégration Amont / Aval EDF naît avec la loi du 8 avril 1946, point de départ à la nationalisation du secteur électrique français d’après-guerre. L’objectif est de rassembler toutes les forces vives de la nation afin de reconstruire le plus rapidement possible les infrastructures électriques nécessaires à tout développement industriel. Pour autant, avant cette nationalisation, le secteur électrique était déjà largement développé sur l’ensemble du territoire français. De nombreuses sociétés privées avaient réalisé des infrastructures modernes dépassant le cadre de leurs seuls intérêts. Mais, de par l’occupation allemande et antérieurement par la crise des années trente, la France souffrait néanmoins d’un important retard. Afin de faciliter l’unité d’action et ainsi mieux défendre l’intérêt national, les 200 entreprises de production, les 100 de transport, les 1150 de distribution et la plupart des 250 régies (sociétés mixtes) d’avant guerre sont regroupées au cœ ur d’une seule et même entité : Electricité De France (EDF). En à peine trois ans, les premiers succès sont constatés : les coupures et restrictions d’électricité sur l’ensemble du territoire sont devenues marginales, l’Ouest du pays a rejoint la moyenne nationale en matière d’électrification, la construction de barrages hydroélectriques avance à grands pas… Pour intégrer les différentes sociétés absorbées, qui représentent près de 108 000 personnes, EDF se dote dès 1946 d’une vaste direction, dite de l’exploitation, regroupant jusqu’en 1955 la distribution et la production-transport. En moins de 10 ans, cette direction de l’exploitation réussira l’intégration. Son succès repose sur une idée simple, alors partagée par tous – hommes politiques, syndicats, cadres et personnel de l’entreprise –, le travail main dans la main des trois « métiers » complémentaires de l’électricité : la production, le transport, la distribution. Cette approche intégrée des métiers de l’électricité ne sera jamais remise en cause jusqu’au milieu des années 90. CINQUANTE ANS DE SUPREMATIE DU MODELE DE L’ELECTRICIEN INTEGRE Cette conception de l’électricité présente en effet de nombreux avantages : une complémentarité dans le développement harmonieux des infrastructures, une gestion globale des risques et des investissements, une répartition équitable des charges entre communes urbaines et rurales, une prise en compte totale de la chaîne de valeur de l’industrie qui permet d’optimiser toute innovation technologique, et surtout un prix du kilowattheure parmi les plus compétitifs au monde de par l’effet de volume. Cette conception sera à l’origine d’un grand nombre de réussites comme la péréquation tarifaire (le même tarif pour tous, partout, pour la même qualité de service), l’utilisation optimale des ressources du territoire (hydroélectricité, centrales au fioul, au charbon puis plus tard nucléaire ou éolien… ) suivant les besoins du moment. Cette conception intégrée à la verticale jouit également du soutien des salariés et des syndicats d’EDF devenus extrêmement puissants de par le nombre de leurs adhérents. Cette cohésion sociale est renforcée par la mission de service public confiée à l’entreprise ; mission confirmée dans les années 70 avec la mise en place du programme nucléaire. Fort de ses 58 réacteurs nucléaires dans les années 80, EDF devient le premier électricien mondial. ? Gaël Le Boulch, 2004 1/3 Ce modèle de l’électricien intégré présuppose toutefois pour être efficace et efficient que le territoire support des infrastructures électriques soit clairement défini au départ et stable pendant de nombreuses années. En effet, sans cette condition essentielle, les investissements considérables – puisqu’on regroupe l’ensemble des grands travaux de tout le secteur électrique à l’échelle d’un pays – ne peuvent être rentabilisés. Il semble également quasi impossible de gérer au quotidien le développement électrique d’un territoire instable dans ses choix de politique énergétique puisqu’il est question d’une industrie de réseaux lourds qui ne peut suivre physiquement et industriellement (l’électricité ne se stocke pas et elle est produite et consommée en continu) les vicissitudes de changements constants. LA REMISE EN CAUSE ENTRE L’AMONT ET L’AVAL En dépit de ces succès, le modèle EDF va être heurté de plein fouet dans les années 90 par une autre grande réussite sociale : la construction européenne. En effet, en 1996, une directive européenne déclare que l’électricité est un produit comme un autre et, qu’à ce titre, le marché de l’électricité doit être ouvert à la concurrence. Une des premières mesures mise en place afin de faciliter l’ouverture sera la mise en place d’un « unbundling comptable » (séparation comptable) entre les comptes de la production, du transport et de la distribution. En effet, il n’est pas possible d’ouvrir le marché du transport (il serait sous efficient de reconstruire un réseau de transport) ; en revanche, la fourniture d’électricité (la production et le trading) peut facilement être mise en concurrence. En ce qui concerne la distribution, la mixité électricité-gaz au travers de la structure dédiée EDF-GDF Service est elle aussi critiquée. En outre, EDF est accusée par la DG XIII, Direction de la Concurrence de Bruxelles, de bénéficier de « subsides croisés », bref de faire financer une partie de ses coûts de production par la rente inhérente au transport, les infrastructures ayant été amorties. Il semble donc urgent pour l’entreprise comme pour les politiques de bénéficier d’une certaine transparence. La séparation comptable va s’accompagner d’une réorganisation profonde au sein de l’entreprise. De nouvelles entités vont apparaître sous la forme de branches. Ainsi, la Branche Commerce sera en charge de toute relation commerciale entre EDF et ses différents clients : grands comptes, entreprises, PME-PMI, particuliers, collectivités. Le RTE, qui prendra la forme d’une filiale intégrée à 100 %, sort de EDF et rassemble toutes les activités de transport sur le territoire national. Enfin, les productions nucléaire, thermique ou par tout autre procédé sont prises en charge par la Branche Energie. Nous retrouvons sur le papier une structure séparée entre les métiers, identique à celle d’avant la nationalisation de 1946, à la différence que toutes ces entités restent la propriété d’EDF. Mais certains parlent déjà d’un « unbundling total ». En parallèle, la concurrence ne reste pas inactive. De nouveaux entrants apparaissent sur les marchés français et européens. Certains ne s’intéressent qu’à un ou deux métiers, voire à seulement un segment de marché. Ils espèrent ainsi maximiser leurs marges : seule domine alors la logique financière au détriment de la logique industrielle. Ainsi, TXU ou Enron se présentent comme des « pure players », c’est-à-dire des traders purs sans capacité de production ni client final. D’autres se spécialisent sur l’aval comme Direct Energie en France ou en Angleterre qui achète du courant en gros pour le revendre à ses clients. Quelques-uns cherchent à trouver des liens avec d’autres secteurs d’activité comme le britannique Centrica dans les télécommunications. Des pays vont même jusqu’à démanteler leurs électriciens nationaux comme en Espagne, ou d’autres les regroupent par région comme en Allemagne. La fin du modèle de l’électricien intégré semble avérée. ? Gaël Le Boulch, 2004 2/3 Mais en 2002 la crise stoppe toute velléité de changement dans l’industrie. Les faillites successives d’Enron et de British Energy marquent les esprits. Les modèles non intégrés et ceux reposant sur peu d’actifs (AES, Calpine, Mirant) connaissent une perte de valeur boursière de près de 80 %. Les traders américains (TXU, Dynegy) renoncent à leurs activités en Europe. Les électriciens européens ayant résisté à la crise ont tous le même profil : ils tendent vers une intégration verticale leur permettant de limiter leur exposition aux risques de marché ; et, également une intégration horizontale puisqu’ils se sont tous dotés de compétences gazières. En mars 2004, dans un souci d’optimisation de ses marges, EDF annonce la création d’une troisième branche dont le rôle sera de pratiquer des arbitrages entre les risques prix et volumes, ce qui déterminera l’équilibre amont-aval entre les deux branches partenaires, la Branche Energie qui rassemble l’outil de production, et la Branche Commerce en charge de la relation client. En effet, sans cette troisième branche qui fédère les efforts à l’intérieur du Groupe en centralisant les marges, chaque entité était tentée de s’accaparer les marges pour accroître son résultat. Questions 1. Faites une analyse des avantages et inconvénients du modèle intégré puis spécialisé amont/aval et identifiez à chaque fois les conditions nécessaires à sa mise en place. 2. Qu’apporte la nouvelle organisation d’EDF en 2004 à l’ancien modèle d’après 1946 ? Vous semble-t-elle plus ou moins efficiente ? 3. La création de la troisième branche vous paraissait-elle indispensable ? Créeriezvous une quatrième branche pour le gaz ? ? Gaël Le Boulch, 2004 3/3