L`innocence c`est beaucoup et c`est bien peu lorsque, comrne
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L`innocence c`est beaucoup et c`est bien peu lorsque, comrne
MarisClaude ROUSSEAU Moreana XXVIII, 108 (Dec. 1991). 51-57 "LE ROI. Un seul homme, il suffit d'un seul homme. Et mcme si je lui fais son procks et qu'on lui coupe la tete, il m'aura eternellement dit non! (Ilcrie:)Mais qu'est-ce, B la fin, que cette puissance sans armes, qui se dresse sede, contre tout? ANNE ( doucement). L'orgueil des justes. LE ROI (soudement, apds un silence) I1 n'y a pas de place pour deux orgueils en Angleterre." (Jean Anouilh, Thomas More ou I'homme libre, p. 129). On comait la suite. Elle etait previsible. Le juste sera sacrifie: "Un coupable a toujours plus ou moins des points de repkre, mais prouver qu'on n'a rim fait quand on n'a rien fait, c'est extremement difficile. .. C'est bien dangereux I'innocence!" (Anouilh, p. 24) L'innocence c'est beaucoup et c'est bien peu lorsque, comrne ici, les proces ne sont plus que parodies de justice. "La derniere chance de Thomas More s'eteignait dans leur silence timore, car chacun sentait, comme dans tous les grands procb politiques, qu'une haute volontt redoutable pesait d b le debut sur le prttoire, et que ce n'ttait qu'un jeu solennel et sanglant, toujours le m h e B travers les sikles et au d s d t a t connu d'avance, qui se jouait. Un jeu de grands enfants sinistres sedanent attach& dans leur futilitt sanglante B un scrupuleux respect des fonnes" @. 148-9). Des enjew tragiques A jouer avec les princes sur la d n e du monde More, nous le savons par ses h i t s , etait tout A fait conscient. Ses reflexions sur le thkiue parcourent I'oeuvre, en fdigrane. Les pages suivantes en offrent quelques glanes rtunies pour un dossier p r k n t e au colloque parisien de juin dernier. f ? Illustration cmpruntte au Thomas-Morus-Jahrbuch (Triltrch: Diisceldorf, 19911, p. 76 dans laqudle Hermann Boventer, prtsident d a Amici Thomae Mori, donne un compte rendu de a cdloque. Costume sketcha for H.D.C. Pepler's play. 1935. 52 THEATRUM MUNDl a selection from More's writings/florilbge morien Kings' games played upon scaffolds "And in. a stage play all the people know right well that he that playeth the sowdaine is percase a sowter. Yet if one should can so little good to show out of season what acquaintance he hath with him and call him by his own name while he standeth in his majesty, one of his tormentors might hap to break his head, and worthy, for marring of the play. And so they said that these matters be kings' games, as it were, stage plays, and for the more part played upon scaffolds, in which poor men be but the lookers-on. And they that wise be will meddle no farther. For they that sometime step up and play with them, when they cannot play their parts, they disorder the play and do themself no good." (The History of King Richard the Third, edited by R.S. Sylvester, in 'Selected Works', Yale U. Press, 1976, p. 83; C W , p. 80). ThCiitre sur l'bhafaud. "De mtme dans une piece de theitre, tout le monde sait tres bien que celui qui tient le r61e du sultan est peut-ttre un savetier. Cependant, s'il se trouvait quelqu'un d'assez stupide pour montrer ma1 A propos qu'il le connait, en l'appelant par son nom alors qu'il tr6ne dans toute sa majeste, un de ses gardes du corps pourrait bien lui rompre le cou pour avoir gite la piece. Ainsi, disait-on, en va-t-il des jeux de nos rois; ce sont de vtritables pieces de thestre, et le plus souvent representees sur des echafauds. Les pauvres gens n'en sont que les spectateurs et les sages n'y veulent point de part, car ceux qui montent parfois sur la scene avec eux, quand ils ne peuvent jouer leur r61e, derangent la piece et ne se font a eux-mtmes aucun bien" (Richard 111, CW/81, trad. Marie-Claude Rousseau). MORE and DRAMA 53 Kings' tragicomedies And when someone plays an emperor in a tragedy, are the people unaware he might be a mere craftsman? But in such circumstances it shows such ignorance to know what you know that if anyone calls him what he really is, not what he is falsely supposed to be, he risks getting a good beating for a bad joke from that man's make-believe retainers, and quite rightly, since he went about to disrupt the whole drama with his untimely truth. In the same way, what they had just watched was a regal tragicomedy; the people had been summoned merely to watch, and a sensible person would do nothing else; certain people who had followed an impulse to get onstage and step in among the theatrical company had disrupted the drama through their inexperience and thus landed themselves in great danger. (Translation by Daniel Kinney of Historia Richardi Tertii, CWlS p. 483). The Latin original (CWIS, p. 482) reads as follows: Iam qui imperatorem ludat in tragaedia / populusne ignorat forsitan esse cerdonem? Tamen adeo inscitia est illic scire quae scias vt si quis eum vocet qui vere est / non qui falso fingitur / veniat in periculum ne ab simulatis satellitibus malo ioco bene vapulet / vel merito / qui totam fabulam sit aggressus intempestiua veritate turbare. Sic quae modo spectassent ipsi / tragicos esse ludos regum: populum in id vocari v t spectet tantum / et spectaturum tantum qui sapiat: quosdam quibus impetus fuit prodire in proscenium et gregi semet immiscere scenic0 / per imperitiarn turbata fabula / magna in semet concitasse pericula. Compare the first two sentences with the Latin version edited by R.S. Sylvester in C W , p. 81: Iam eum qui Imperatoris personam agit in tragoedia, populus non ignorat forsitan esse cerdonem? Tamen tantae inscitiae est illic scire quae scias, vt si quis eum vocet qui vere est, non qui falso fingitur, veniat in periculum, ne ab personatis satellitibus malo ioco bene vapulet, & id quidem merito, qui totam fabulam sit aggressus intempestiua veritate turbare. 54 MORE and DRAMA THEATRUM MUNDl 55 A part without words. Thkitre et politique "But there is another philosophy, more practical for statesmen, which knows its stage, adapts itself to the play in hand, and performs its role neatly and appropriately. This is the philosophy which you must employ. Otherwise we have the situation in which a comedy of Plautus is being performed and the household slaves are making trivial jokes at one another and then you come on the stage in a philosopher's attire and recite the passage from the Octavia where Seneca is disputing with Nero. Would it not have been preferable to take a part without words than by reciting something inappropriate to make a hodgepodge of comedy and tragedy? You would have spoiled and upset the actual play by bringing in irrelevant matter even if your contribution would have been superior in itself. Whatever play is being performed, perform it as best you can, and do not upset it all simply because you think of another which has more interest. So it is in the commonwealth. So it is in the deliberations of monarchs. If you cannot pluck up wrongheaded opinions by the root, if you cannot cure according to your heart's desire vices of long standing, yet you must not on that account desert the commonwealth. You must not abandon the ship in a storm because you cannot control the winds." (Utopia. CW4. p. 99). "Mais il existe une autre philosophie, mieux instruite de la vie en societe: elle connait son theatre et elle s'y accommode; dans la piece, elle accepte le rdle qui lui revient et le joue avec beaucoup d'elegance et de grace. C'est cette philosophie-la que vous 'devriez cultiver. Autrement.. . alors .que se joue une comedie de Plaute et que les bouffons khangent des faceties, si vous vous produisez sur l'avant-scene, en habit de philosophe, pour reciter le passage de 1'Octavie ou Seneque discute avec Neron, n'aurait-il pas ete preferable que vous jouiez un r61e muet plutdt que de creer cette tragi-comedie en recitant une tirade etrangere A la pike? Vous avez, en effet, gate le spectacle qui se donnait, vous l'avez bouleverse en y melant des dements incongrus, meme si vous apportez un morceau de meilleure qualite que le reste. Quel que soit votre rdle, jouez-le de votre mieux et n'allez pas jeter le trouble dans le spectacle. sous pretexte qu'une tirade de meilleur goDt vous passe par la tete. I1 en va de mtme dans les affaires de 1 ' ~ t a et t dans les deliberations des princes. Si vous ne pouvez supprimer radicalement les idtes fausses, ni porter remtde aux abus consacres par l'usage, comme vous jugez devoir le faire en votre i m e et conscience, ce n'est pas une raison pour delaisser les interets de l ' ~ t a t pas , plus qu'on ne doit abandonner u n navire en pleine tempete sous pretexte qu'on est impuissant a maitriser le vent". ...sed est alia philosophia ciuilior, quae s u m nouit scenam, eique sese accornrnodans, in ea fabula quae in manibus est, suas [hjv] partes concinne & cum decoro tutatur. Hac utendurn est tibi. Alioquin durn agitur quaepiam Plauti cornoedia, nugantibus inter se uernulis, si tu in proscenium prodeas habitu philosophico, & recenseas ex Octauia locurn in quo Seneca disputat cum Nerone, nonne praestiterit egisse rnutam personam, quam aliena recitando talern fecisse tragicomoediarn? Corruperis enim, peruerterisque praesentern fabulam, durn diuersa perrnisces, etiarn si ea quae tu affers rneliora fuerint. Quaecunque fabula in rnanu est, earn age quarn potes optirne, neque ideo totam perturbes, quod tibi in rnentern uenit alterius, quae sit lepidior. Sic est in Republics sic in consultationibus principum. Si radicitus euelli non possint opiniones prauae, nec receptis usu uitijs rnederi queas, ex animi tui sententia, non ideo tamen deserenda Respublica est, &in ternpestate nauis destituenda est, quoniam uentos inhibere non possis (Utopia CW4,p. 98). "Le rapprochement entre Hythlodke et la piece de Seneque he repose pas seulement sur I'attitude exterieure des acteurs aui rnelent deux genres drarnatiques differents, il s'appuie sur le theme rnerne du drame de Seneque. L'age d'or, le c~rnrnunisrne,la cupidite, le goct de la guerre sont les themes discutts par Seneque avec Neron, cornrne ils le seront par les interlocuteurs de I' Utopie. La note rnarginale exprirne son admiration pour le bonheur de cette cornparaison. Le t h h e de la scene du rnonde avait d'ailleurs pour les classiques, depuis Bpicttte, une particuliere resonance: "~ouviens-toique tu es ici sur scene, pour y jouer le rBle qu'il a plu au rnaitre de te donner ..., s'il veut que tu joues le rBle d'un pauvre ... d'un prince ... tlche de bien jouer ce personnage, car c'est i4 toi de bien jouer le r61e qu'on te donne; rnais, c'est i4 un autre de le choisir." (Andre Prevost, L'Utopie, p. 670, note 62/1 cornrnentant le texte de More). (Utopie,trad. Andre Prevost, Paris 1978, p. 61-62). THEA TRUM MUNDl 56 We ... players or prisoners? THEATRUM MUNDl 57 God at play "If thou shouldst perceive that one were earnestly proud of the wearing of a gay golden gown, while the lorel playeth the lord in a stage play, wouldst thou not laugh at his folly, considering that thou art very sure that when the play is done he shall go walk a knave in his old coat? Now thou thinkest thyself wise enough while thou art proud in thy player's garment, and forgettest that when thy play is done, thou shalt go forth as poor as he. Nor thou rememberest not that thy pageant may happen to be done as soon as his. We shall leave the example of plays and players, which be too merry for this matter. I shall put thee a more earnest image of our condition, and that not a feigned similitude but a very true fashion and figure of our worshipful estate. Mark this well, for of this thing we be very sure, that old and young, man and woman, rich and poor, prince and page, all the while we live in this world we be but prisoners, and be within a sure prison, out of which there can no man escape." (TheFourLast mings in m e English Works of Sir Thomas More, LONDON 1557, p. 84, with modernized spelling.) Howbeit, where we say that the very body in the form of bread betokeneth and representeth unto us the selfsame body in his own proper form hanging upon the cross, they say that nothing can be a figure or a token of itself, which thing I marvel much that any man taketh for so strange. For if there were but even in a play or an interlude the personages of two or three known princes represented, if one of them now liked for his pleasure to play his own part himself, did he not there, his own person under the form of a player, represent his own person in form of his own estate? Our Savior (as Saint Austin saith), walking with His two disciples toward the castle of Emmaus in form of a wayfaring man, betokened and was a figure of Himself in form of His own person glorified, going out of the corporal conversation of this world by His wonderful ascension unto heaven. And in like wise our Savior, appearing to Mary Magdalene in the form of a gardener, was a figure of Himself in His own proper form, planting the faith and other virtues in the garden of our souls. Th&tre ou prison? modernized.) Deus ludens ( A Treatise upon the Passion, C W13, Yale U .P., 1976, p. 157, with spelling "Si tu voyais quelqu'un se pavaner, tout fier de la belle robe d'or qu'il porte pendant que vilain, il joue le r61e de seigneur dans une piece de theatre, ne rirais-tu pas de sa folie, certain que tu es qu'une fois la pitce terminee, il reprendra sa casaque de valet? Eh bien, tu te crois fort malin quand tu arbores fierement ton costume d'acteur, et tu oublies qu'une fois la piece terminee tu sortiras aussi gueux que lui. Et tu ne t'avises pas que la scene oh tu figures se terminera peut-Ptre aussi vite que sa piece a lui. Laissons de c6te cet exemple de pitces et d'acteurs, trop leger pour un tel sujet. Je te propose une image plus serieuse de notre condition non pas une analogie fictive, mais la figure exacte et accomplie de notre honorable condition. Note bien ceci, car c'est chose dont nous sommes vrairnent sirs: jeune et vieux, homme et femme, riche et pauvre, prince et page, tout le temps que nous vivons dans ce monde, nous ne sommes que des prisonniers, enfermes dans une prison sQre, d'ou nu1 ne peut s'kchapper" (The Four Last Things, trad. Germain Marc'hadour). Toutefois, lorsque nous disons que le corps reellement present SOUS I'apparence du pain signifie et represente pour nous le meme corps, tel qu'il fut suspendu a la Croix sous son apparence physique normale, ils disent qu'aucune chose ne saurait Ptre la figure ou le signe d'elle-meme. Je me demande bien ce qu'on trouve la-dedans de si etrange. Car supposons tout simplement une piece ou un interlude oh sont representes les personnages de deux ou trois princes connus: s'il plait et prend fantaisie a I'un d'entre eux de tenir le r6le de sa propre personne, n'est-ce pas lui, - sa personne reelle - qui sous I'apparence d'un acteur va representer le personnage qu'il est dans la vie normale et reelle? Comme le dit saint Augustin, Notre Sauveur, faisant route avec ses deux disciples vers le bourg d'Emmaiis sous les apparences d'un voyageur, signifiait et figurait la rialite de sa propre personne glorifiee, s'acheminant hors de sa condition corporelle en ce monde par sa merveilleuse ascension au ciel. De mZme lorsqu'il apparut a Marie-Madeleine sous I'apparence d'un jardinier, Notre Sauveur etait une figure de lui-&me: il tenait le r d e , qui lui revient en propre, de celui qui plante la foi et les autres vertus dans le jardin de nos bmes. (A Treatise upon the Passion, trad. Germain Marc'hadour).