HOT CHILI SAISON I
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HOT CHILI SAISON I
hOt chili EpicE SAISON VI 2014 - 2016 Alors que le voile se lève sur de nombreux pans obscurs, les révélations ne sont qu'une fenêtre sur de nouvelles questions. Nos protagonistes s'apprêtent à franchir le seuil d'un avenir qui s'annonce mouvementé, pour un finish bouleversant... Hot chili _ Epice©. All rights reserved EPISODE 179 Lorsque son petit-ami leva les yeux de sa table de mixage et croisa son regard, Rudy sut qu’il venait de mettre la libido de Rey sous anabolisant. Celui-ci posa son casque audio et se précipita à sa rencontre, le prenant par la taille. — T’aimes ? — Et comment, t’es sexy ! souffla Rey, charmé. — Ça fait pas trop… Jack Frost ? minauda Rudy. — D’où tu sors ça ? Tu vois Zayn Pierce de TMBC VI ? — Ah ouais, je lui ressemble ? sourit Rudy, ravi. Évidemment qu’il le prenait pour un super compliment ! Zayn Pierce était le personnage le plus badass du dernier opus du jeu vidéo THE MASTERMIND BENEATH CHAOS. Tous les fans de cette franchise jubilaient lorsqu’ils parvenaient à débloquer sa cinématique. Et ce n’était pas de la tarte ! — En plus sexe, précisa Rey, les yeux brillants de luxure. — Si je comprends bien, t’es plus fâché contre moi ? Avant de répondre, Rey lança un coup d’œil à Mikael. Le garde du corps semblait perdu dans la contemplation du décor. Il y avait de quoi l’être. Dans la pièce étaient entreposés plusieurs instruments. Un piano à queue Kawaï en bois laqué noir tenait compagnie à un canapé et un fauteuil une place en cuir beige. Ils étaient disposés autour d’une table basse croulant sous le poids de revues de musique, allant du rock au classique. Non loin de la machine à café – qui semblait un parfait intrus dans ce décor –, se trouvaient un ampli guitare, un synthétiseur multitimbral au design vintage, ainsi qu’un parc de micros statiques haut de gamme. Contre le mur de droite, une copie d’un violon baroque Jakobus Stainer reposait sur une étagère en compagnie d’un harmonica. Sur le mur opposé étaient accrochées les guitares que Rey avait en sa possession. Trois acoustiques et une électrique entouraient un grand cadre protégé d’une vitre, dans lequel trônait le Falcon MX-Core® signé par le guitariste de Dius Core. Mikael s’en approcha avec incrédulité. À voir sa tête, il vénérait les D.C. à la manière d’un fidèle, son gourou. Quoi de plus normal ! On parlait de Dius Core, qui n’était rien moins 2 Hot chili _ Epice©. All rights reserved qu’une légende du rock. Et pour cette déférence, Mikael grimpa dans l’estime de Rey. Rudy suivit son regard et embrassa toute la salle. — Waouh ! Coop-Com© change de vocation ? — Il faut bien que l’on se fasse à l’idée que je suis aussi producteur de musique, argua Rey. Rudy identifia les instruments qui ne manquaient jamais de l’ébahir lorsqu’il entrait dans la chambre de ce dernier. Ça sentait un peu la peinture, preuve que les travaux avaient pris fin récemment. — Je parie que c’est pour ton plaisir personnel. — Aussi. C’est l’idée de collaboration avec Naytray qui m’a inspiré. Y’a plus qu’à prévenir les mélomanes et musiciens de la compagnie qu’ils ont une salle de musique… collée au bureau de leur patron. On verra qui sera courageux, lèche-cul, ou juste dingue de D.C. pour venir uniquement se taper un selfie avec une guitare signée par Randy Knights. Rudy lui servit un regard mi-scandalisé mi-amusé. Ça lui ressemblait tellement de faire ce genre de coup ! Rey prenait toujours le contrepied de toute situation. Au-delà de vouloir « espionner ses employés pour la bonne cause » – en d’autres termes, apprendre à mieux les connaitre –, son petit-ami lui confia qu’il avait besoin de se libérer d’un stress de plus en plus intense. Aussi avait-il trouvé le moyen de s’adonner à un hobby directement sur son lieu de travail. Juxtaposé à son bureau, il avait donc fait installer une sorte de studio de musique. Quelque chose qui lui ressemblait, et collait avec l’image de producteur qu’il voulait être. La vaste pièce avait une bonne isolation phonique et une ventilation silencieuse. Sa régie restait sobre, mais de haute qualité. Un système d’enregistrement numérique raccordé à deux PCs était couplé à ses tables de mixage de DJ et ses consoles analogiques, à leur tour reliées à des monitorings pour restituer le son. De nombreux câbles permettaient d’autres branchements avec du matériel de traitement sonore ainsi que des plug-ins. Rudy n’eut aucun mal à les reconnaitre, initié par Red depuis l’époque où il se rendait régulièrement à « l’entrepôt » – devenu Coop-Com Record©. Il fut heureux de constater qu’il n’était plus si profane. Il n’était plus le largué de service, et plus important, cela lui permettait de comprendre son petit-ami. Le numérique dominait une bonne partie de l’équipement, impliquant que Rey exploiterait des techniques récentes pour ses projets multimédias. Cela le frappa soudain. Son mec producteur de musique avait aussi une casquette de réalisateur. Qu’il joue de plusieurs instruments faisait de lui un musicien complet. En le prévenant de son arrivée, à une heure où une bonne partie de l’entreprise avait déjà débauché, Rudy était loin de se douter que Rey l’accueillerait dans cet antre dédié au son. Emma sa secrétaire, sur le départ, les avait dirigés Blacky et lui vers une salle bien curieuse. 3 Hot chili _ Epice©. All rights reserved L’une des façades était complètement vitrée, mais des stores blancs avaient été tirés, ne laissant rien deviner des trésors de ce lieu. Sur la porte, « Do not disturb » était tagué à la bombe dans un pur style street. La petite signature « T-eyes » laissait entendre qu’il l’avait réalisé lui-même. À l’intérieur, tout au fond, une seconde porte arborant les graffitis « The new boss office » permettait d’accéder à son bureau. Il y avait un soupçon de sarcasme dans cette assertion. Rudy sourit à l’idée d’être the new boss boyfriend. — Dis-moi une chose que tu sais pas faire, Mister Perfect, souffla-t-il, sentant poindre le tournis tant il regardait de tous côtés. Rey le reprit par la taille et lui chuchota à l’oreille : — Rester fâché contre toi plus de 24 heures. Rudy laissa échapper un couinement lorsqu’il y inséra le bout de sa langue. — T’étais vraiment en colère ? Rey ravala un grognement. Son portable n’avait pas arrêté de sonner alors qu’il était en réunion, en pleine discussion avec des collaborateurs, en rendez-vous avec des clients, ou en train de donner des directives à des employés. Ça ne l’avait pas aidé à se départir de la réputation de fumiste que le conseil d’administration lui collait, probablement par aigreur de voir un jeune premier prendre des décisions ayatollesques. Encore plus depuis qu’il avait monté son studio musique au 20ème étage, et tagué des portes… Malheureusement, il ne pouvait éteindre son smartphone. C’était par ce numéro que le joignait la clinique où était interné son père. Il avait donc subi la farce de Rudy toute la sacro-sainte journée d’hier. Et ce salopiaud au cul à se damner avait été motivé, pour la lui rendre infernale ! Ça méritait bien une punition. — J’aurais pensé que ça mériterait une punition, marmonna Rudy, feignant d’être déçu. Bon sang, cet ange démoniaque lisait dans ses pensées ! Rudy avait-il conscience d’en appeler au côté sadique de T-eyes ? — On en discutera seul à seul. — Je crois pas, non, opposa l’ex-blond platine en jouant innocemment avec le col de la chemise de son homme. Seul à seul j’aurai une autre priorité que celle de discuter. Si t’avais un appart au-dessus, comme oncle Danny à White Flight©, je pense que je t’y aurais « enfermé ». Si tu vois ce que je veux dire… — Hum… C’est une idée à exploiter. — Cette pièce fera tout aussi bien l’affaire, balança Mikael. Trouvez-vous des capotes. 4 Hot chili _ Epice©. All rights reserved Rudy rougit furieusement. Non mais de quoi se mêlait-il ?! Il ne pensait pas que son garde du corps l’entendrait. Ce dernier semblait si absorbé dans l’étude des lieux, qu’on l’aurait dit déconnecté ! — Blacky, il m’a semblé que tu allais faire un tour ? insinua-t-il avec toute l’ironie que son embarras n’étouffait pas. — Sinon il vous reste toujours le bureau du patron, ricana Mikael en quittant la pièce. Avant de fermer la porte, il leur lança un petit paquet. Rey s’en saisit au vol et marqua un arrêt en l’identifiant. Le carton était noir et sobre, décoré d’un logo raffiné « SSS® » audessus d’un liséré argenté. — Plus sécurisant, plus sensible, plus sensuel, plus « sss », murmura-t-il d’une voix rauque. La mâchoire de Rudy faillit en tomber. Et pour cause, c’était le slogan de la marque de préservatifs Safe Soft Sex® commercialisés sous le sigle SSS®, soi-disant pour des besoins de pudeur et de fun ! La publicité vantait les mérites de leur matière sans latex, leur finesse brevetée skin touch©, leur élasticité plus qu’agréable pour les deux partenaires, et leur garantie « sans allergie, sans picotement, sans démangeaison, sans déchirure ». Rien que ça ! SSS® était un « amour de préservatif ». L’indestructible capote de compétition qui vous donnait les sièges de la Rolls Royce avec la compétence d’une Bugatti. La vidéo promotionnelle faisait un tabac ! — Je commence vraiment à l’aimer, ton Blacky-caramel. Rudy frôla l’apoplexie. Non, ce n’était pas Blacky-caramel mais Aurum-caramel ! Ouais, il faisait à présent la différence au prix de sa mortification. Ceci dit, c’était une bonne chose que les condoms soient conditionnés avec leur sachet de lubrifiant. Quant à en faire usage dans l’immédiat, la question se posait-elle vraiment ? Embarrassé ou non, il y avait des priorités dans la vie ! Et Rey semblait du même avis que lui, pour lui susurrer de telles pensées : — Je veux te baiser fort sur la table de mon bureau. Inutile de mentionner l’effet ravageur qu’eut cette proposition crue sur l’excitation de Rudy. Il prit un air à la fois fripon et séducteur pour répondre : — Alors vous ferez de mon rêve une réalité, patron. * 5 Hot chili _ Epice©. All rights reserved Il était très loin le temps où Rudy se montrait un brin intimidé lors de leurs joutes sensuelles. Rey avait vite pris goût à la manière dont le jeune homme le déshabillait du regard sans vergogne. Ses yeux brillant de désir et son sourire en coin coquin ne manquaient jamais de le faire craquer. Plus ça allait, plus ce garçon le mettait dans tous ses états. Avec Rudy, il avait quasiment tout expérimenté. La jalousie, le romantisme, la soumission, la domination, la perversité, l’amour vache. Là, il testait la voracité, vu la manière dont il dévorait la peau du cou de son blond-argenté personnel. Tout en virant sa propre ceinture des anses de son pantalon, il le conduisit derrière la table gigantesque de son bureau. C’était un de ces meubles de direction en bois de chêne massif et verni, aux lignes audacieuses, décoré de verre et aux finitions de métal à la peinture chromée, avec étagères intégrées et quelques unités suspendues super pratiques. Il l’avait choisi pour sa modernité, son look original à la fois industriel et vintage. Il ne subsistait de l’ancien office de son père que les deux grands meubles-bibliothèques et les tiroirs muraux. Le reste de la pièce avait été réaménagé et remeublé pour refléter sa personnalité. Il s’était offert un cadre de travail luxueux et stimulant, en modulant l’éclairage et le revêtement des murs aux couleurs claires pour un meilleur effet d’optique. Ce choix n’avait pas été facile, mais il le fallait. Le style d’origine, traditionnel, élégant et classique, lui rappelait trop Marshall, et ne l’aidait pas à se concentrer. C’était aussi une façon d’envoyer un message à son entreprise. Désormais, le patron c’était lui. La porte principale n’était pas verrouillée. Rey n’eut ni le temps, ni la motivation d’y remédier. Le service d’entretien n’allait plus tarder à passer, mais tant pis. Le technicien de surface ne mourrait pas des suites d’une vision érotique homosexuelle, s’il ouvrait le bureau au mauvais moment. Il se gaussait du colportage de ragots à son sujet. Si la rumeur devait courir qu’il baisait du monde dans son bureau, qu’elle coure ! Il se moquait du jugement d’autrui. De plus, il était le directeur général, et s’il devait abuser de ce pouvoir pour préserver Rudy, il le ferait avec aplomb. Sa nomination et son éventuelle révocation étaient tributaires du conseil d’administration, mais il n’en restait pas moins celui qui détenait le plus de parts actionnaires de l’entreprise. Il était à un point de sa vie où le rejet de la société n’avait plus aucun impact sur sa personne. Coop-Company© avait un C.E.O bisexuel, en couple avec un garçon sexy en diable. C’était un fait. Qu’on digère ou non la pilule, il n’en avait rien à cirer. Ce qui lui importait le plus à cet instant, était d’avaler une certaine partie de l’anatomie de son ange, et si possible se repaitre de son foutre. 6 Hot chili _ Epice©. All rights reserved Ça choquait ? Soit. Mais encore une fois, il s’en tamponnait le coquillard. Enfin, il espérait tout de même que l’employé du service d’entretien ne débarque pas pile au moment où Rudy jouirait dans sa bouche. Avec un peu de chance, Blacky ferait le nécessaire pour que cela ne se produise pas. Les orgasmes de Rudy étaient réservés à son exclusivité visuelle. Oui, Rey avait les crocs. Il était excité comme jamais, à l’étroit dans son pantalon, face à son mec au sex-appeal toujours grandissant. Il avait hâte de se connecter physiquement au réseau internet de Rudy. Émotionnellement, il était déjà en ligne. Il y était 24 heures/24, malgré les kilomètres qui les sépareraient parfois… Qui les séparaient bien trop souvent à son goût. — Il y a des jours où j’aimerais savoir me téléporter. Je te rejoindrais n’importe où, à l’envie. Rudy lui servit un sourire mutin, un tantinet énigmatique. Si sonder le regard vous en apprenait assez sur les émotions, Rey fut plus intéressé par ce qui pouvait bien traverser la tête de son petit-ami. Mais c’était sans doute mieux qu’il ne soit pas télépathe, ou mentaliste. Tout en excitant Rey, Rudy se demandait s’il lui ferait toujours cet effet dans 10 ans. Si Rey viendrait à lui, lui répondrait, avec le même empressement. La même ferveur. À 30 ans, son homme aurait-il toujours autant faim de lui ? Eh bien, la réponse se trouvait entre ses mains. C’était à lui de le décider. De fidéliser cet homme pour le pire et le meilleur, et s’assurer que la monotonie ne vienne jamais frapper à leur porte. D’une poussée franche, il cloua le C.E.O dans sa chaise de bureau en cuir au design presque futuriste. Il s’assit sur le rebord de la table et posa d’autorité son pied entre les cuisses de Rey, lui interdisant de se relever. Il se débarrassa de son sweet-shirt à même le sol, défit sa ceinture, dézippa son jean stretch, et entreprit de déboutonner lentement, très lentement, sa chemise. Le tout, sans quitter le mannequin des yeux. Visiblement pour cette soirée, Rudy avait décidé de se montrer directif. Ils le savaient désormais. Des deux, le Leblanc avait facilement tendance à dominer durant leurs jeux sexuels. Quelque part, il avait ça dans le sang. En matière de prise d’initiatives, Rudy n’avait plus rien à apprendre de Rey. Ce n’était pas pour autant que ce dernier ne jouerait pas avec ses meilleures armes. — Tu as conscience que je ne répondrai plus de moi quand j’estimerai que tu as assez titillé ma patience ? — Tout à fait, patron, répondit Rudy avec effronterie. Mais si vous arrivez à vous contenir, je vous laisserai me prendre dans tout votre bureau, avec la position de votre choix. Celle qui vous donnera le plus de sensations. Contre la porte, contre la baie, dans votre fauteuil, sur la 7 Hot chili _ Epice©. All rights reserved table basse là-bas ou sur celle-ci, dit-il en tapotant le meuble sur le rebord duquel reposait son fessier. Les yeux de Rey étincelèrent d’envie. Si Eros lui en donnait les capacités, il pourrait explorer en entier le deuxième des sept livres du Kâma-Sûtra. Les noms des 64 positions qui y étaient décrites n’avaient plus de secret pour lui. Il en avait pratiqué certaines, et était partant pour soustraire le reste du domaine de la théorie. Rudy comprendrait sa douleur, à force de le pousser ainsi au vice ! Pour garder le contrôle sur la bête en rut s’agitant en lui à mesure que l’autre lui vendait du rêve, Rey choisit de le déchausser, virant baskets et chaussettes. Dès que Rudy eut les pieds nus, il en fit glisser un jusqu’à son entrejambe, soupesant l’outillage de ses orteils. — Putain, Rud’… ! — Ouvrez votre braguette, patron. L’ordre fusa avec autorité, et Rey se surprit à obtempérer. Il y avait un certain piquant à se faire commander par un subordonné, au moment du rapport charnel. — Sortez-la. — Et si je ne veux pas ? opposa Rey, mû par une envie de corser la joute. Il n’allait pas être le seul à perdre la maîtrise. Il caressa la jambe de Rudy, remontant aussi loin que lui permit le jean. Puis, avec brusquerie, il tira sur le vêtement et l’en débarrassa. Il enchaina avec la chemise, et dans la foulée releva le boxer de son petit-ami de ses fonctions. À présent, Rudy était nu devant un Rey qui avait encore tous ses vêtements. Étrangement, la situation de vulnérabilité de l’un ne contribua qu’à faire grimper leur excitation mutuelle. La verge du blond-argenté défia de plus belle la gravité. La voir se dresser si fièrement mit Rey en appétit. Il testa à quelle point elle était juteuse, en stimulant son gland, sa couronne, et en massant son frein puis ses bourses, se réjouissant à chacune des perles de liquide séminal qui s’en échappaient. Les jambes tremblantes, le ventre frissonnant d’anticipation, Rudy s’allongea sur le dos tandis que Rey ramenait ses fesses sur le bord du plateau de la table. Elle en aurait des choses à raconter… Rey tordit le cou à la culpabilité qui tentait de l’agripper à la gorge, à l’idée de profaner ainsi le bureau que lui avait légué son père. Il avait promis de prendre soin de la compagnie de Marshall. Cela ne lui interdisait pas de prendre soin du joli petit cul de son Rudy, sur le siège du boss. Ça n’était pas incompatible, qu’il sache ! N’était-il point le patron dans cette histoire ? 8 Hot chili _ Epice©. All rights reserved Ses états d’âme envolés, sa fausse pudeur rangée au placard, le désir put enfin monter en flèche. Succomber à la tentation ne fut qu’une formalité. De toute façon, comment résister, quand cet ange à la blondeur polaire vous appelait vers des contrées ardentes de luxures ? Rudy se pinçait les tétons, gémissant son plaisir et surjouant ses soupirs. Sachant Rey très réceptif, il rudoya ses bourgeons sensibles en imaginant des morsures que lui aurait sensuellement infligées sa moitié. Ses lèvres mouillées exigeaient des baisers qu’il n’aurait pas. Ça n’entrait pas dans le rôle qu’ils jouaient tous les deux. Le secrétaire se faisait prendre sur le bureau du boss. Point. Les baisers impliquaient une intimité que n’admettait pas le rapport entre les protagonistes. Mais en matière d’offre et de demande, chacun trouvait son compte. Même si cette fois, c’était l’employé qui offrait – s’offrait –, et le patron qui demandait – quémandait, carrément ! Du bout de ses doigts avides, Rey tâta les rives humides de Rudy, rêvant d’y perdre bien plus que son corps. Son cœur, son âme, s’égareraient volontiers et toujours plus profond dans les jardins secrets de ce garçon. Un garçon qui s’essayait à personnifier Eros, reins cambrés, yeux fermés, tétons durcis, alors qu’il le fouillait avec ferveur et amour. Le cœur de Rudy s’affola tandis qu’il se faisait explorer sous toutes les coutures. L’autre main de Rey remonta le long de ses cuisses, sa paume caressa lentement son aine, joua avec son pubis, et enfin se referma sur sa virilité. Les doigts frictionnaient, écartelaient, glissaient, pressaient, malaxaient, claquaient. Sa peau s’échauffait, son souffle s’accélérait, son bassin ondulait, son ventre se creusait, ses jambes s’écartaient davantage en invitation silencieuse. Bien vite, le casting de leur jeu de rôle fut modifié. Rudy était l’offrande sur l’autel sacrificiel de quelque rite païen, et Rey le prêtre venu le profaner, refusant de le livrer au bon vouloir du dieu-totem. Le maintenant de sa poigne solide, le brun contraignit le blond à s’ouvrir à lui et le prit avec force, une fois le rituel du préservatif accompli. Rudy devait s’abandonner ; ne pas résister. Il devait tout oublier de ses tabous effarouchés. Il ne devait pas refréner ses envies débridées. Parce qu’il n’avait rien de virginal, et n’était pas aussi pur qu’on le croyait. Derrière sa bouille angélique se cachait un incube ! L’idée d’être pris d’assaut par un Rey toujours vêtu, pantalon et boxer à peine baissés sur les cuisses, catapulta son exaltation vers le firmament. Leur fantasme prenait de l’ampleur, et leurs gémissements rauques gagnaient en volume sonore. Si le studio musique était insonorisé, le bureau n’avait pas la même isolation acoustique. Mais c’était une habitude chez eux, de saler leur parties de jambes en l’air d’une pincée de risque. Celui de se faire surprendre. Chaque coup de bassin ébranlait le bureau, et était accueilli avec un feulement sauvage. Rudy était loin d’être assouvi. Il en voulait toujours plus. Quand Rey le bascula sur le ventre, 9 Hot chili _ Epice©. All rights reserved il lui présenta son délicieux postérieur, l’invitant à se noyer dans son intimité, et à lui mettre les reins en feu. Une brume de sueur faisait briller sa peau de plaisir, contrastant joliment avec ses cheveux d’argent. La vision fantasmagorique de Rey n’avait pas de prix. Il se souviendrait de cette soirée-là toute sa vie. Son cœur battrait la chamade à chaque fois que ces réminiscences se rappelleraient à lui. Il lui vint soudain une brillante idée. Il demanderait à Rudy de cosplayer Zayn Pierce et de lui faire sauvagement l’amour ainsi déguisé. Et pas n’importe quel cosplay bas de gamme. Il soudoierait les équipes de W.M. pour la confection des vêtements et des accessoires, et pour un maquillage professionnel plus vrai que nature. Bah quoi ? C’était de son âge – et surtout son droit ! – de fantasmer ainsi. S’il avait les moyens de le réaliser, il serait stupide de ne pas en profiter ! Attentif à la jouissance de son partenaire, il sentit Rudy se déconnecter peu à peu de la réalité terrestre. Estimant qu’il n’était pas l’heure d’embarquer pour la station stellaire Orgasm-City, il le ramena dans le bureau, en les installant dans son siège pivotant rembourré dont il put glorifier le confort d’assise de haut niveau. Rudy s’agrippa au rebord de la table, s’en aidant pour le chevaucher avec plus d’ardeur, le poussant à se retenir aux bras de son fauteuil ergonomique. Ce garçon allait causer sa mort ! Il l’attira plus près de lui, plaquant son dos contre son buste. Son petit-ami positionna ses pieds sur ses genoux, tandis qu’il lui glissait des grivoiseries à l’oreille. En réponse, les plaintes érotiques de Rudy gagnèrent en obscénités. — Tu sais que t’es une putain de bête de sexe ? grogna-t-il. — Prenez… vos responsabilités, patron ! haleta Rudy. Oh que oui, il allait les prendre ! Et bien en main. Avec passion, Rey frictionna le membre de son génie du sexe. Ses gestes devinrent de plus en plus frénétiques à l’approche du point de non-retour. Il ne lui en fallut pas plus pour qu’il se perde irrévocablement dans les limbes de la jouissance. La baise au bureau, c’était spatial ! Yeux clos, Rudy le gratifia d’un ultime gémissement, et se laissa à son tour emporter par l’extase. Le souffle court, tous ses membres devenus amorphes, il se retrouva à la merci d’un Rey câlin qui revendiquait sa dose de baisers. Ça les avait un peu frustrés de ne pas pouvoir en profiter durant l’acte. Le mannequin glissa un doigt humide de ses fluides entre ses lèvres, et il le suça doucement, savourant les derniers frémissements de l’orgasme telles des répliques de séisme. Vu à quel point ç’avait été torride, ils remettraient le couvert un de ces quatre. C’était une certitude. 10 Hot chili _ Epice©. All rights reserved *o*o* — Montez le son, Steeve, ordonna Dean. Le chauffeur s’exécuta. La chaine d’information ferait une meilleure distraction que son smartphone. Tout ce que l’objet lui inspirait, c’était d’appeler Red. Or il l’avait déjà fait à maintes reprises, alimentant une frustration qui ravageait son estomac à force de lui refiler des aigreurs. Aucun de ses appels n’avait abouti. Inutile d’envoyer un message, son amant l’avait prévenu, il ne les lirait pas. Dean était de plus en plus persuadé qu’il ne les recevrait pas, pour commencer. Soit Red avait éteint son portable, soit il avait viré la carte SIM de son emplacement. Connaissant son homme, il en était tout à fait capable. Red s’était enflammé tout seul, sans lui laisser le temps de s’expliquer… Bon, d’accord, pas tout seul. Il était celui qui avait craqué l’allumette, après tout. Mais avant qu’il ne comprenne qu’il avait merdé, l’explosion de son amant avait eu lieu, coupant toute communication entre eux. Comment voulait-on qu’il s’explique dans ces conditions, ou encore qu’il présente des excuses ? Là, il n’avait plus envie de s’amender. Il était foutrement énervé, et le mot était faible. Il y avait tromperie sur la marchandise, franchement ! Il n’était point au courant d’être en couple avec un bâton de dynamite ! Il avait peut-être fait le con, mais ce n’était pas une raison pour que son amant se comporte de manière si radicale. C’était tellement puéril ! Red avait 27 ans, merde ! Pourquoi s’échinait-il à ne pas faire son âge ? Dean ravala un énième grognement. Inutile d’alarmer davantage le chauffeur. Le pauvre n’avait cessé de lui lancer des œillades dérobées à travers le rétroviseur central. Son humeur de grizzly mal embouché devenait inquiétante. Il aurait pu prendre un taxi, sauf qu’il avait besoin d’un moyen de locomotion qui le conduise un peu partout ces prochains jours. Trop irrité pour gérer l’attente au service de location de voitures de l’aéroport, il avait contacté l’une des compagnies privées de chauffeurs affiliées à White Enterprise©. S’il avait su que ces billets d’avion lui causeraient de tels problèmes, il s’en serait déchargé sur quelqu’un d’autre. Or il tenait à faire les choses personnellement, pour rassurer son fils. Enfin, pour se rassurer lui, surtout. Il était bien décidé à faire en sorte que l’engeance Adrien Gordini sorte de l’atmosphère de la planète Rudy Leblanc. Quitte à gérer lui-même les procédures. Et voilà que son perfectionnisme lui revenait à la figure ! Quand Red les avait mentionnés, il n’avait déjà plus ces fichus billets en sa possession. Il avait répondu non pas sur la défensive mais par réflexe. Son but n’était pas de nier puisque 11 Hot chili _ Epice©. All rights reserved sur le moment il disait vrai. Ces satanés titres de transport avaient déjà été remis à leurs destinataires. Aux parents d’Adrien. Il refusait de mêler Red à toute histoire découlant de l’affaire Chayton. Celle-ci se révélait plus dangereuse qu’elle n’y paraissait, avec l’implication du vieux projet Swordfish et les opérations anti-terroristes qui y étaient associées. Raison pour laquelle il taisait délibérément la vérité à son amant. De plus, il ne voulait pas montrer à ce dernier cette facette obscure de sa personne. « Andy le sait déjà, Dean. » Certes, mais il subsistait une différence entre savoir et voir. Qu’il le veuille ou non, Red avait été entaché par cette souillure en tant que première victime de ce malade. Il s’était juré que cela ne se reproduirait plus. Son homme évoluait dans la musique, à mille lieux de l’univers sordide et impitoyable des Leblanc. Tant que le chanteur se tiendrait éloigné des intrigues du MIP-club, tout irait pour le mieux. Avec un peu de recul – qui, techniquement, n’était que d’une durée de 24 heures –, Dean réalisait qu’il aurait dû se montrer plus virulent et plus persuasif au cours de sa visite à Chayton. Il aurait aimé s’assurer que ce salaud mettrait bel et bien un terme à sa pathétique existence. Ce connard avait failli lui arracher Red et Rudy. Son amant et son fils. Ses deux raisons de vivre. Rien que pour cela, Chayton ne méritait pas de continuer à respirer ! En ce moment Dean Leblanc était en plein bug de « perte d’humanité ». Et son phénix d’amant n’avait fait qu’accélérer le processus. Il téléchargerait sans doute le programme « compassion » lorsqu’il reverrait son ange de fils. En attendant, il allait se focaliser sur ce que crachotait FM-News pour ne pas péter un câble. « …Un sujet de sécurité inquiète de plus en plus les autorités douanières de Saunes. Depuis l’ouverture, il y a six mois, d’un long-courrier direct Lima-Saunes, la Brigade des stups et les services de douane de l’aéroport international Mance Flewing ne cachent pas leur inquiétude face à la recrudescence des arrestations de passeurs de drogue. En chiffres, c’est une hausse de 9.8% des affaires liées aux substances illicites par rapport à 2011. Les enquêteurs pointent du doigt les vols entrants en provenance de Bolivie ou du Pérou, deux grands acteurs dans le trafic mondial de stupéfiants. Depuis décembre dernier, Saunes voit débarquer de plus en plus de passeurs en directions d’autres capitales. La conséquence est un contrôle renforcé des services de sécurité de l’aéroport, suscitant le mécontentement de nombreux usagés incommodés. D’après Baron Summer, lieutenant de la Brigade des stups de Saunes, on dénombre de plus en plus de méthodes de dissimulation des drogues. Il semblerait que la tendance ne soit plus à les « cacher », mais à les maquiller. La marchandise est rendue méconnaissable pour 12 Hot chili _ Epice©. All rights reserved éconduire les équipes cynophiles. De telle sorte que seule une identification chimique apporte la certitude d’avoir une substance illicite. Le danger que craint la douane est que parmi ces « dénaturations », se cache une nouvelle forme de drogue synthétique jusque-là inconnue des services de police… » Une nouvelle drogue ? Il n’y avait plus qu’à souhaiter bon courage à la police, pensa Dean, intrigué. On ne la remerciait jamais assez pour le travail admirable qu’elle effectuait à l’insu des honnêtes citoyens. Elle avait ses incartades et ses manquements, mais elle restait un corps de métier dont la noblesse ne serait jamais remise en cause. Qui mieux que lui pourrait en témoigner ? Son téléphone le sortit presque brutalement de ses pensées. Sa déception fut sans commune mesure lorsque le prénom de son frère s’afficha sur l’écran. Il aurait préféré y lire « Andy » au lieu de « Danny »… Était-ce vraiment un vœu déraisonnable, pour qu’il ne lui soit pas accordé ? — Quoi ? aboya-t-il. — Bonsoir à toi aussi, cher frère, fit Dan, sarcastique. Dean se contenta de grogner. Ainsi Dan serait fixé sur son humeur. S’il apportait de mauvaises nouvelles, il tournerait sept fois sa langue dans sa bouche au préalable. — J’ai appris que tu es à Saunes. — Qu’est-ce que tu veux ? Il l’entendit soupirer. Il n’allait pas adoucir son humeur pour agréer à son frère. Il était en colère, vous vous souvenez ? Dan n’avait qu’à ne pas appeler au mauvais moment. De plus, ce dernier venait de lui apprendre qu’il était en quelque sorte fliqué. Sa famille de squales n’était pas censée savoir qu’il était à Saunes. Il grogna en se rappelant que le plus au fait des déplacements du Gulfstream ne pouvait être que Dan Leblanc, C.E.O de White Flight©, compagnie aérienne de la White chain. — Je ne sais pas combien de temps tu restes, mais il faut impérativement que l’on se voie avant ton retour. — Quand ? — À toi de me le dire, Dean. J’ignore ton planning. — Et tu accommoderais le tien au mien ? demanda Dean, sceptique. Le second soupir de Dan fut assez éloquent. Ça devait être quelque chose de très important. 13 Hot chili _ Epice©. All rights reserved — Eh bien, disons demain soir. 20 heures. — Chez moi, fixa Dan. Dean hésita. Il réalisait à l’instant qu’il n’avait mis les pieds chez son frère à Saunes qu’une seule fois, lors d’un déjeuner-prétexte pour discuter d’un sujet grave. L’affaire Sloan prenait un nouveau tournant à ce moment-là, car Antony Weber, le frère d’une des victimes, apportait son témoignage. — À demain, grommela-t-il avant de raccrocher. * Dan dévisagea son téléphone, plus irrité qu’incrédule. La prévisibilité de la réaction de son frère n’aurait pas dû l’agacer autant, mais il commençait à saturer. C’était lui qui appelait, et on lui raccrochait au nez ! Ça faisait un trimestre que le semblant de lien qu’il avait commencé à renouer avec Dean s’était gelé. Littéralement. Il avait le sentiment d’arpenter une banquise dès qu’il tentait d’ouvrir le dialogue. Tant que ça portait sur des sujets triviaux, tous deux avaient assez d’hypocrisie pour donner l’illusion de converser sans accroc. Mais que le sujet devienne sérieux, et son frère se changeait en adversaire. Pour être franc, cela ne venait pas que de Dean. Lui aussi avait du mal à ne pas voir son cadet à travers le filtre de l’adversité. Il ne voulait plus faire preuve de tempérance, ni se montrer conciliant. Dean était déterminé à écraser tout ce qu’il considérait comme un obstacle. Et depuis l’enlèvement de Rudy, toute la famille était devenue cet obstacle. Une espèce de folie avait toujours été rattachée au cœur de Dean. Aujourd’hui, il n’avait plus de raison de la brimer. Il était peut-être temps que son grand-frère lui donne une tape sur les doigts. Seulement, cela n’aboutirait qu’à plus de conflits. Dan était las. Las de livrer des batailles contre des moulins à vent. Il aurait pu poursuivre son petit bout de chemin tranquille, après avoir apporté sa pierre à l’édifice Leblanc. Vivre sa vie presque en marge, à Saunes, loin de Balmer. Arborer les couleurs Leblanc de loin, et laisser Dean foutre le boxon pour soulager sa rancœur. Il aurait pu prendre cette décision après que son père lui ait fait comprendre qu’il le laisserait dans le flou total, et cautionnerait les conneries de son cadet, certainement par culpabilité. C’était ce qui irritait le plus Dan. Pour se faire pardonner un péché qu’il n’avait pas vraiment commis, Vince était prêt à sacrifier son emprise sur l’Empire Leblanc, au profit de Dean. De tous les choix, c’était le pire. L’idée de léguer White Enterprise© à Rudy ne lui semblait plus si désastreuse, à côté de cette décision de mettre son frère aux commandes de la maison mère. Dean conduirait la politique de l’entreprise à la banqueroute ! 14 Hot chili _ Epice©. All rights reserved Il savait que son père se sentait responsable de ce qui était arrivé à son neveu. Mais tout le monde l’était, dans cette affaire ! Vince n’allait pas lui faire croire qu’il était le plus à blâmer. Il réagissait ainsi parce que son ego avait pris un sacré coup. Parce qu’il avait été incapable de protéger son petit-fils, lui qui avait consacré sa vie à s’assurer de l’immunité des siens. Dan se doutait que son père avait connaissance de l’identité du ou des véritables coupables. Et, bien qu’il persiste à ne rien lui dire, il savait additionner deux et deux. Il avait fini par comprendre le jeu de Vince. Ce dernier – sans doute pieds et poings liés – ne pouvait pas s’en prendre directement aux fautifs, alors que Dean si. Or ce n’était pas en donnant du pouvoir à un individu aussi impulsif et puéril qu’il réparerait son tort. Quoi qu’il se reproche ! Son frère avait de nombreuses capacités, Dan ne le niait pas. Malheureusement, Dean n’avait aucun sens des réalités. Il était trop… non pas dissipé, mais je-m’en-foutiste. Trop freestyle pour la White chain dont la gestion nécessitait de la poigne et de la retenue. Il était hors de question qu’il ruine tout cet héritage familial. De nombreuses vies en pâtiraient. Dan refusait de laisser Vince vivre avec les conséquences d’une décision aussi lamentable. Il était certes en froid avec son père en ce moment. Pourtant, jamais il ne lâcherait cet homme. Il était presque reconnaissant qu’un curieux « incident » lui ait rappelé qu’il resterait son soldat jusqu’au bout. Ce fait était immuable. La bataille pour le pouvoir devenait rude du côté du MIP-club. Les Meister gagnaient en influence. Ces gens n’avaient de cesse d’avancer leurs pions, et tous les coups étaient permis. Bientôt viendrait le moment où Vince ne servirait plus leurs intérêts. Alors des mesures seraient prises en conséquence pour le pousser vers la sortie. Et qui sait, mettre James, ou un autre beaucoup plus malléable, à la place. Ç’avait déjà commencé. L’enlèvement de Rudy était une grosse faille dans le cuirassier de Vince. Un point faible que ses adversaires utilisaient sans scrupule. Or son père n’avait pas à assumer le mauvais rôle pour les protéger, son frère et lui. Ils étaient de « grands garçons » désormais. Vince n’avait plus à se mettre en avant pour les préserver ; à porter ce fardeau plus longtemps. C’était à eux de prendre la relève. Un autre qui nécessitait protection était Rudy. Son frère était trop aveuglé par sa rancœur pour réaliser qu’il exposait son fils. Dan ne pouvait pas laisser cet ange s’enfoncer davantage dans la fange de cette famille composée de traitres. Il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour que son neveu ne subisse plus ce genre d’horreur. Il lui fallait donc mettre de l’eau dans son vin avec Dean. Au fond, ce n’était pas à ce dernier qu’il devait en tenir rigueur, mais à tous les autres dont le géniteur de son père. En fait, il avait tout faux. C’était à sa mère qu’il en voulait. Sans elle, il n’aurait jamais été introduit dans cette famille de dingues. S’il revenait sur les actes de Natasha, le bilan était désolant. Elle avait échoué à l’empêcher de venir au monde, tout en le 15 Hot chili _ Epice©. All rights reserved privant de donner la vie. Elle l’avait livré impuissant aux mâchoires du loup Leblanc, complètement désarmé face à un fléau… Dan toisa le verre de liqueur violacée dans sa main. Il acquérait de sales habitudes. Le couteux breuvage commençait à le faire divaguer. Ce n’était pas bon signe. Il était censé y diluer la noirceur de ses pensées, mais la boisson ne faisait que la concentrer. Peut-être était-il temps de confronter ses petits démons, au lieu de leur opposer cette fuite. L’heure était venue de prendre le taureau par les cornes. Il fit défiler son répertoire téléphonique et hésita deux secondes avant de lancer l’appel. Son cousin était certainement en plein diner en famille. Celui-ci ne manqua pas de le lui rappeler, à sa manière si « Jonathan ». — Mets en cloque une femme, qu’elle te ponde plein de petits chiards blonds, Dan. Tu sauras qu’à cette heure, s’ils ne sont pas à table, ils portent dignement leur nom de chiards. Ce n’était pas dit méchamment, mais il se le prenait tout de même dans les dents. Parfois, il avait envie de révéler à tous qu’il n’aurait pas de chiard blond portant sa signature génétique. Mais il y avait l’Empire et ses ridicules lois de succession. S’il exposait sa stérilité, il causerait du tort à beaucoup de monde. Rudy en tête, car la pression sur les épaules du garçon augmenterait de plusieurs tonnes. Vince n’était pas disposé à faire basculer la gestion de l’entreprise dans la branche « seconde » de la famille. Bien que James soit son frère, il l’avait toujours jugé inapte dans de nombreuses situations, et n’en faisait pas un secret. Sans compter que l’ambition sourdait des pores de James tels des phéromones d’un papillon en chaleur. Ce genre de défaut pouvait aisément être utilisé contre lui, et porter préjudice à la White chain. Et enfin, cette affaire de stérilité était personnelle. Elle n’avait pas à être étalée sur la place publique. Dan se força à mettre un sourire dans sa voix, avec la désagréable impression qu’il n’y arrivait plus aussi bien que par le passé. — Comme si la responsabilité du diner te revient. Je ne crois pas que cette charge pèse sur tes solides épaules, mais sur celle de leur gouvernante. Comment va ta petite famille ? — Eliel fait un peu de fièvre, et mène la vie dure à sa gouvernante. Mais à part ça, ma petite famille est toujours la même. — Il a attrapé froid ? — Je pense. Mais tu n’as pas interrompu mon diner pour t’enquérir de la température de ton petit-cousin. Que se passe-t-il ? — Ça ne sera pas long, mais ça risque fort de te couper l’appétit. 16 Hot chili _ Epice©. All rights reserved — Pour tout te dire, je ne l’ai pas vraiment retrouvé, cet appétit, depuis le réveillon de Noël. — Oh… Eh bien on est deux. — On n’a jamais vraiment pris le temps de discuter sérieusement, toi et moi, de ces évènements. Le ton grave de Jonathan fit prendre une autre tournure à la conversation. Dan qui appelait pour une confrontation réalisa que les choses se goupillaient d’une manière inattendue. — Il y a cette omerta que tout le monde semble vouloir respecter, mais je n’achète plus ce genre de chose. J’en ai marre de cette loi du silence. Dan renifla. Jonathan avait toujours été très fort à ce jeu de l’innocent. C’était principalement la raison pour laquelle Dean le détestait cordialement. Lorsqu’on ne donnait pas à cet homme le bon Dieu sans confession, on se surprenait malgré soi à l’absoudre de tout péché. — Nat… Tu sais que la vérité va te coûter cher ? — Si je te dis que j’ai de quoi payer ? — Je te dirai que tu affabules. — Et pourquoi ? — Parce que moi, je n’ai pas de quoi la payer. Et je suis le fils de Vince. Le grognement de frustration de son cousin lui donna raison. — Tu es en train de me dire que tu fais aussi parti du club des Ignorants Anonymes. — J’ai toujours pensé qu’I.A voulait dire Intelligence Artificielle. Pas Ignorants Anonymes. — Très drôle, Dan. Non, vraiment ! Je te signale qu’il s’agit de ton neveu. Ça ne te fait pas rien ? — Cette remarque est presque déplacée, venant de toi ! gronda Dan, tombant les masques. Aurais-tu la mémoire courte ? C’est ton propre filleul que tu as vendu à la folie de Ritchie et compagnie. — Qu’est-ce que tu me chantes ? — Tu aurais dû prendre sa défense ! Ou du moins, t’y prendre autrement pour dissuader Rudy de vouloir succéder à Vince. 17 Hot chili _ Epice©. All rights reserved — Mais ça remonte à perpète les oies, ça ! — Mais tout part de là ! Ne me dis pas que tu es aveugle à ce point ! Vous n’aviez réussi qu’à lui monter la tête, et stimuler son ego. Alors il vous a défié. Il est comme toi et moi, il a horreur de perdre. On a ça dans le sang. Vous auriez dû vous y attendre, c’était la réaction la plus prévisible, enfin ! — Je ne vois pas le rapport… Dan ne lui laissa pas le temps de finir, son ire atteignant des sommets. Si Jonathan en avait marre de l’omerta, qu’il commence par se retirer le balai de déni qu’il avait dans le cul ! — Oh, tu crois vraiment que ce malade aurait pu mettre la main sur Rudy si vous ne l’aviez pas incité à revendiquer cet héritage ? C’est parce qu’il a voulu assumer sa position d’héritier pour vous prouver qu’il pouvait y arriver, qu’il est devenu la cible parfaite de Chayton. Ça, c’est la version officielle. Celle qui arrange tout le monde. Tous ceux qui ont joué en division officieuse. Ceux qui ont joué à ce jeu ridicule de lui coller une bonne frousse. C’était quoi le but ? Lui donner un avant-goût des dangers auxquels s’exposerait le futur C.E.O de White Enterprise© ? L’enlèvement de Rudy visait-il à lui foutre les chocottes, ou à donner une bonne leçon à Vince, d’avoir viré « sénile » ? Je parie que ça partait de l’idée de faire d’une pierre deux coups. C’est une pratique courante dans la famille ! renifla-t-il, hautement sarcastique. Il y eut un silence durant lequel il laissa à Jonathan le temps d’encaisser. Lorsque ce dernier prit la parole, ce fut pour asséner d’un ton glacial : — Sur quoi bases-tu ces lourdes accusations ? — Sur mes déductions. Et tu serais avisé de ne pas sous-estimer mon intelligence ! gronda Dan. Vince ne va plus mettre Rudy à la tête de White Enterprise©. Vous avez gagné. — Tu vas cesser avec ces insinuations. Tes foutues déductions, tu peux te les foutre où je pense ! — Je choisis de les foutre dans ta gueule ! cracha Dan. Cela dut faire un véritable choc à Jonathan, car il put enchainer sans que son cousin ne l’interrompe. Chose en soi rare. Mais ce devait être encore plus rare qu’il hausse la voix de cette manière. Ils s’étaient toujours bien entendus jusqu’ici, même si Nat avait parfois son sale caractère. C’était avec Dean que ça tournait au vinaigre. Ce soir, la donne avait changé. — Tout le monde est coupable, tu le comprends, ça ? Tout le monde a les mains salies de boue, pour avoir un jour ou l’autre pataugé dans la marre. Et à cause d’individus à la vision étriquée, se raccrochant à des valeurs puritaines ridicules, capables de faire passer la vie 18 Hot chili _ Epice©. All rights reserved d’un innocent en second plan, nous sommes tous en sursis. Et quand je dis tous, c’est tous ! Toi, ta petite famille. Elly et ses enfants nés Leblanc. La White chain va revenir à Dean, Nat ! Et tu paries combien que cet égoïste notoire voudra bien partager ? Chacun de nous, en son âme et conscience, devra apporter une « preuve d’innocence » pour espérer conserver ses acquis. Autrement, nous sommes tous dans son viseur. Et crois-moi, il fera de Rudy son parfait petit soldat. Lui, il a des raisons légitimes de faire tomber l’Empire. — Attends… Attends deux secondes ! souffla Jonathan, alarmé. Qu’est-ce que tu entends par la White chain va revenir à Dean ? C’est absurde ! Tu sais bien que c’est impossible. — Impossible n’est pas Leblanc. C’est encore officieux, mais grave dans ton esprit que Vince lègue White Enterprise© à Dean. — Et tu vas laisser faire ça ? Tu es l’ainé ! s’insurgea Jonathan. Ou est-ce vrai que tu as abandonné ? Tu t’es retiré du schéma ? demanda-t-il avec un certain écœurement. Dis-lemoi clairement, que je prenne mes dispositions en conséquence. Dan ricana. C’était à lui d’être écœuré. Tout ce que Jonathan voyait, c’était un candidat de moins dans la course vers le siège du grand patron de White Enterprise©. Que son cousin se rassure, il n’avait jamais fait partie du « schéma » pour commencer. Toutefois, il était temps d’ébranler ses illusions. — Nat, as-tu seulement saisi que donner sa place à Dean est l’unique façon qu’a trouvée Vince de se faire « pardonner » pour l’enlèvement de son petit-fils ? Même moi, je ne peux aller contre ça. Personne ne peut. Encore moins ceux impliqués de près ou de loin dans cette sordide affaire ! — Quoi ? — Lui qui n’est pas coupable est prêt à faire un tel sacrifice. Je te laisse déduire la valeur du tribut des véritables fautifs. — Et tu m’inclus là-dedans, si j’ai bien compris ! renifla Jonathan, répugné. — Vois ça avec ta conscience. La mienne ne m’empêche pas de dormir. C’est la manière saugrenue qu’a Père de faire amende honorable qui me cause des insomnies. Prie que le jour ne vienne pas, où Dean s’alliera à nos détracteurs pour faire payer cette dette à qui de droit ! Parce qu’il vous la fera payer. C’est un Leblanc, après tout. — Dan, quel est ton propos ? s’énerva Jonathan. Cesse de tourner autour du pot. Je suis fatigué de ces non-dits ! Dis-moi les choses clairement. Je ne sais plus gérer les quiproquos. J’en suis las. 19 Hot chili _ Epice©. All rights reserved — Mon propos est que Vince est en train de donner les clés de l’Empire à son fils terrible. Et Dean agira impunément, parce qu’il aura la bénédiction de son père. — Que fait-il de celle du patriarche ? — Te souviens-tu d’une fois où Dean a tenu compte de l’avis de Ritchie ? Et si Vince est jugé « sénile », quid de son père ? Recourir à l’avis de cette vieille plante de Ritchie vous rend encore plus séniles que Vince. C’était avant qu’il aurait fallu y penser ! Jonathan ne réagit pas au sarcasme, preuve qu’il commençait à se méfier. À moins que son silence ne soit simplement un aveu de culpabilité. — Pourquoi en es-tu aussi convaincu ? finit-il par demander. Je veux dire, par rapport à Dean. Vince te l’a dit ? — Il a reçu son notaire dernièrement. Il est en train de modifier, une fois de plus, son testament. Il ne dirait pas à Jonathan que ses spéculations avaient été confirmées par un autre parti. Un individu auquel il ne s’attendait pas du tout : Nathan Edwards Meister. Ceci dit, il n’était pas homme à se laisser facilement entuber. Cet autre parti prêchait pour sa propre église. Sir Edwards VIII pouvait très bien tenter de le manipuler au nom des Meister. Raison pour laquelle il tenait à rencontrer Dean pour être fixé. — Vince ne peut pas faire ça ! Les lois de succession… — Jonathan, réveille-toi, bon sang ! Ce sont ces fichues loi qui ont failli couter la vie à Rudy ! — Je croyais que ça, c’était lié à l’ancien projet Swordfish ? — Et que sais-tu de ce projet ? s’impatienta Dan. — Suffisamment pour déduire que les « chefs » de notre illustre famille l’ont plongée dans un merdier qui lui est retombé dessus 20 ans plus tard. Et c’est Rudy qui a trinqué en son nom. Je suis navré, mais ce sont les incartades de Vince et Ritchie qui sont en cause ici. Alors c’est un peu normal qu’il se sente coupable ! Nous n’avons pas à payer pour ça ! — Va le dire à Dean. Je te souhaite bonne chance, ricana Dan. Parce que tu crois qu’il ne le sait pas ? Il te dira que ça lui fait une belle jambe. N’importe lequel d’entre nous aurait pu « trinquer », comme tu dis. Mais il a fallu que ce soit son fils. Juste au moment où celui-ci est perçu comme un nuisible dans la famille, parce qu’il revendique une part d’héritage trop lourde pour ses petites épaules. C’est tellement commode, tu ne trouves pas ? Jonathan inspira fortement. Faisait-il enfin le rapprochement, ou avait-il cessé de se voiler la face ? 20 Hot chili _ Epice©. All rights reserved — Par définition, nous sommes tous coupables aux yeux de Dean. En gros, vous l’avez purement et simplement désinhibé. — Cesse donc avec ce « vous » vague et accusateur ! s’agaça Jonathan. Et ne me dis pas qu’il te fait peur, rit-il. On parle bel et bien de ce Dean qui a toujours été désinhibé. Et on sait tous à quel point cela le rend improductif. Il n’a que des paroles. Certes, intimidantes, mais ça ne reste que ça : du vent. — C’est toi qui as une vision erronée de lui, à force de jouer les perroquets, soupira Dan. Improductif… De toi à moi, tu emploierais toujours ce mot pour le qualifier, après Tekhnopolis© et l’affaire Sloan ? — Les circonstances étaient différentes. — C’est ça, railla-t-il. Différentes parce qu’elles impliquaient une de vos conquêtes communes ? — Je t’interdis de me parler de ça sous mon toit. Ceci ne te regarde en rien ! siffla Jonathan. Dan gronda, avec une envie de secouer son cousin comme un cocotier. — Vois un peu plus loin que ta petite personne ! Le deuxième filleul MIP de Dean, Blain Lhomann, sais-tu qui c’est ? Si le changement de sujet prit un peu Jonathan au dépourvu, sa curiosité n’en fut pas moins piquée. — Tu vas me l’apprendre, je présume. — C’est le petit-fils de Sir Hughs Bacchum. Le fils ainé de la sœur cadette de Miranda. Son prénom m’a toujours échappé. — Et dire que tu as été fiancé à son aînée, la pauvre, la plaignit Jonathan. — Là n’est point le sujet ! fit Dan avec sècheresse. Figure-toi que Dean passe par son biais pour greffer une firme pharmaceutique au programme White Healthcare©. — Hein ?! (L’exclamation résuma tout l’effarement, toute l’incompréhension, et toute l’incrédulité de Jonathan.) Un Bacchum ? Il n’est pas sérieux ! — Il part du principe que c’est un Lohmann. Le père de Blain est co-directeur général de Lhomann Hauer©. Sa firme était au départ spécialisée dans les adjuvants de prise en charge de patients cancéreux. Va savoir comment, et/ou pourquoi, certainement par amitié, il s’est associé à Barak Hassan Hauer, de Hauer society© qui fait dans la nutrition du sportif de haut niveau. 21 Hot chili _ Epice©. All rights reserved — Pourquoi me parles-tu d’un projet qui n’aboutira pas ? La grande commission opposera un refus dès lors qu’un lien est possible avec Bacchus Industries©. — Hé, tu m’as écouté jusqu’ici ou pas ? s’exaspéra Dan. Je ne suis pas en train de souligner une évidence. Dean ressemble plus à Vince que je ne lui ressemblerai jamais. Si tu as déjà pu cerner ton oncle, je présume que tu n’auras aucun mal à cerner ton cousin, lâcha-t-il, sarcastique. Si Vince savait parfois contourner les refus de la grande commission, Dean, lui, se tamponnerait de sa décision. Il comptait bien avoir les pleins pouvoirs pour faire fi du système. Son idée n’était pas mauvaise en soi, elle comportait juste trop de risques et de variables non maitrisables. Son frère pourrait faire entrer un loup dans la bergerie Leblanc, à vouloir donner dans cette voie. Et ce, quand Vince lui lâchait la bride. Cette fois, Jonathan fut en proie au doute. — Il y a des règles à respecter. Vince et Dean ne peuvent pas faire comme bon leur semble. Le système fonctionne ainsi depuis des décennies. Les engrenages sont bien trop solides pour qu’ils les ébranlent de manière inconsidérée. — Cessons de nous voiler la face. Il ne fallait pas toucher à Rudy, pour commencer. Vous avez un peu occulté que c’est le sang de son sang. — Un sang qu’il a renié ! gueula Jonathan. Comme c’était étrange… Il appréciait de moins en moins cet amalgame avec les coupables, pensa Dan, ironique. Il était bien décidé à pousser son cousin à bout ; à le faire craquer. Jouer à la psychologie du mauvais flic semblait porter ses fruits. Continuellement accusé des pires maux, Jonathan passerait aux aveux afin de se dédouaner. — Et donc, était-ce une raison suffisante pour justifier vos actes ? cracha-t-il. Il ne t’a jamais traversé l’esprit que tout cela, ce sang renié, était une mascarade bien orchestrée ? susurrat-il avec vice, finissant d’arroser l’arbre du doute chez Jonathan. — Qu’es-tu en train de me dire ? hoqueta celui-ci, suspicieux. — Dean n’a jamais voulu faire partie du plan d’héritage W. Ent. Il a toujours revendiqué sa « liberté ». Et si Vince la lui avait accordée ? — C’est n’importe quoi ! — Réfléchis, Nat. À l’heure actuelle, si tu voulais partir, on te ferait comprendre que c’est impossible. Tout le monde a son maillon à forger dans la White chain. Et une fois fait, il faut l’entretenir, le polir, s’assurer de sa solidité. Et surtout éviter qu’il ne devienne le maillon 22 Hot chili _ Epice©. All rights reserved faible. On est enchainé, sans jeu de mot, au destin de cette multinationale, une fois qu’on y a accroché son maillon. — Tu t’entends parler ? souffla Jonathan, choqué. Dan eut le désagréable sentiment de dialoguer avec un réactionnaire. Comment osait-il seulement tenir un discours aussi progressiste à son cousin, fervent adepte du conservatisme familial ? Tous ces imbéciles n’avaient pas conscience de faire le jeu de ce prédicateur du passé qu’était Ritchie ! — Mets ton indignation en sourdine ! Nous avons le seul modèle de business familial qui fonctionne sur ce schéma bancal. Je ne suis pas en train de dire qu’il est inefficace. Bien qu’un brin rétrograde, il a prouvé sa quasi-perfection sur le plan politico-économique. Sur le plan social par contre, son efficacité n’est qu’apparence. Et sur le plan humain, c’est un désastre, Nat. Reconnais-le ! Si on en arrive à envoyer un ange à la mort pour lui flanquer une frousse, alors je pèse mes mots. C’est une catastrophe. Et je refuse de m’identifier à ce genre de famille ! — Termine ton hypothèse, maugréa Jonathan, soudain froid. — Eh bien, supposons que pour te détacher de cette chaine maudite, on te bannisse. Pour rendre cela plus authentique, le déshéritement est appuyé par un comportement allant contre la politique familiale. Pose-toi la question, Nat. Si Dean avait réellement été renié, crois-tu qu’il aurait bénéficié de tous les avantages dont il a pu disposer dernièrement ? — Mais c’est absurde ! — Je conçois que tu sois dans le déni, soupira Dan, conciliant. C’est une réaction légitime. Si son cousin rejetait cette hypothèse, il n’allait pas insister. Convaincre Jonathan serait trahir Vince, quelque part. Il se contenterait d’avoir semé cette graine. À l’autre de la faire germer, s’il voulait un jour s’amender auprès de Dean. — Toujours est-il qu’aujourd’hui, Dean est de retour avec l’intention d’arracher les rênes de l’Empire à ceux que son jury a reconnu coupables dans l’enlèvement de son fils. Pour Vince, il est enfin prêt à assumer son héritage. Et si au passage il rafle les parts des présumés coupables, pourquoi Père l’en empêcherait, puisqu’il est du même avis ? — Donc Vince « nous » juge coupables ? lâcha Jonathan, sa respiration se faisant hachée comme s’il avait reçu un coup dans l’estomac. Et c’est qui ce « nous », bordel de merde !? — Tss, je me casse le cul pour rien avec un crétin ! s’irrita Dan. — Je ne te permets pas ! Et si tu te montrais un peu moins nébuleux, ça aiderait ! 23 Hot chili _ Epice©. All rights reserved — La question n’est pas de savoir qui est ce « vous », Jonathan. Mais de prouver que tu n’en fais pas partie, fichtre ! Si tu en es incapable, alors c’est ton problème ! Le seul conseil que je te donnerai sera de te trouver un avocat que le golem hors de contrôle de Vince n’écrasera pas d’une pichenette. — Le golem de Vince… Dan eut la décence de grimacer. Il y allait un peu fort en désignant ainsi son frère. Mais l’image se rapprochait le plus de sa vision des choses. Vince avait bel et bien perdu son contrôle sur son golem. Même s’il le nierait, ou donnerait l’illusion de l’avoir conservé. — Permets-moi l’expression, tu nous servirais une version « berserk » de toi si on s’en prenait à Eliel. Peu importe les raisons. D’ailleurs rien ne pourrait justifier qu’un innocent subisse ce qu’a vécu Rudy ! — Je ne dis pas le contraire ! s’agaça Jonathan. — Dean ne fera pas de quartier, asséna durement Dan. — Pour l’amour du ciel, je n’y suis pour rien dans cette putain d’histoire ! Et tu le sais ! — Ce n’est pas moi que tu dois convaincre ! La voix de son cousin était montée dans les aigus, preuve qu’il commençait à craquer. Parfait ! Une tête de moins à abattre pour Dean était une de plus dans son camp, pensa froidement Dan. Il la jouerait stratège jusqu’au bout. S’il voulait empêcher le massacre de son frère en passe de devenir la Faucheuse Leblanc, il lui fallait mener cette campagne. Trouver les véritables coupables, afin que son abruti de frangin ne fasse pas de dommages collatéraux. La famille ne s’en relèverait pas, et tout ce qu’avait bâti Vince au prix de nombreux sacrifices s’écroulerait. Son père était guidé par sa culpabilité. Qui ne le serait pas après ce qu’avait vécu Rudy ? Malheureusement, la conséquence en était un manque de lucidité. Et bien que Dan lui en veuille en ce moment, il le comprenait. Alors en tant que fils aîné, il porterait la charge paternelle le temps que l’orage cesse. L’heure était venue pour lui de véritablement seconder Vince ; de prouver de manière irrévocable qu’il méritait sa place. Peu importait que ce soit dans l’ombre. Personne d’autre n’était assez qualifié pour prendre le relais. Son cousin devait à présent saisir qu’il n’y avait qu’un seul moyen pour qu’il le considère comme un allié. Soit Jonathan se pliait à ses directives, soit il faisait cavalier seul, livré à la colère de Vince et Dean. Et lui mieux que quiconque savait dans quel état Dean avait fait la promesse de détruire White Enterprise© de ses propres mains, si Rudy ne lui était pas rendu. 24 Hot chili _ Epice©. All rights reserved En outre, subsistait l’éventualité que ce dernier soit inclus dans ce « projet de vengeance ». Dean ne manquerait pas d’engrainer son fils. Ça n’étonnerait même pas Dan qu’il baptise un white project « Vendetta ». Et au-delà de cette revanche par procuration, Rudy pourrait se révéler à la longue plus dangereux que son père. Lorsque le jeune homme viendrait à bout de son stress post-traumatique, les murs trembleraient, si bien entendu rien n’avait été fait en amont pour le mettre dans de bonnes dispositions à l’égard de tout un chacun. C’était le moment de cesser avec le « vous » accusateur et de passer au « on » fédérateur ; au « nous » solidaire. Même si Dan ne se sentait pas le moins du monde solidaire de la condition des membres gangrénés de cette famille malade ! — Le fait est que Vince a été poussé à bout. On a oublié que c’est le genre d’homme à aider son prochain à cacher un cadavre. Et il connait chacun des cadavres dans nos placards. Une fois que Dean aura White Enterprise©, il s’attèlera à phagocyter le reste parce que Père lui aura révélé leur emplacement. Alors tu as le choix de maintenir tes œillères et de continuer à te raccrocher aux règles qui régissent ta vie de pantin comme sur du papier à musique, ou de m’aider à contenir la tempête Dean. Parce qu’il va tout ravager sur son passage. Vince ne le contrôle plus. Il a démissionné. Délibérément. Ce dernier mot dut avoir raison des écailles de Jonathan. À moins tout simplement que la crainte de Vince soit responsable de sa capitulation. — Qu’est-ce que tu proposes ? Son cousin saurait à l’avenir qu’il n’était point avisé de s’en prendre à la prunelle des yeux d’un être puissant. On ne s’attaquait pas au fils de Zeus en espérant ne pas subir ses foudres. Vince avait décidé de les punir en les laissant à la merci de Dean, l’électron libre. Et s’il ne les atomisait pas, toujours était-il que ç’allait déménager ! *o*o* — Ça va me faire encore tout bizarre de déménager. — Ce ne sera qu’un au revoir, puisque la maison sera bientôt à ton nom. — Tu m’aideras à convaincre Rey de l’acheter avec moi ? En même temps. Je veux dire, ensemble. Pas l’un après l’autre, comme vous l’avez fait pour Riddleshire, Andy et toi. — Rudy, tu as pris cette décision tout seul. Ne compte pas sur moi pour te chaperonner. — Mais euh… ! 25 Hot chili _ Epice©. All rights reserved Son fils se mordit la lèvre inférieure d’inquiétude, lui arrachant un sourire. Ils tenaient cette conversation dans la chambre de Rudy. Dean avait voulu être présent au moment où il remettrait les pieds dans son antre, pour la première fois depuis son enlèvement. Il ne l’avouerait pas, mais il avait craint que son garçon fasse une crise d’angoisse s’il le laissait seul. Il ne pouvait que remercier le ciel de s’être trompé. Pour autant, Dean n’était pas serein. Il lui semblait que Rudy avait été sujet à un moment d’absence, en dessinant des arabesques abstraites sur le manteau de poussière de son bureau. Puis, avec naturel, il s’était attelé à ranger le bazar. Et Dean s’était retrouvé à lui filer un coup de main. Non pas que la chambre de son fils soit bordélique ; c’était surtout un prétexte pour partager un moment ensemble. Ils ignoraient alors qu’ils se lanceraient dans un grand nettoyage hivernal de toute la maison, à une heure indécente de la nuit. Comme si par cette action compulsive un peu incongrue, ils remettaient tous deux de l’ordre dans leur existence. Car une page se tournerait bel et bien, mettant fin à un chapitre de leur vie pour s’ouvrir sur de nouvelles aventures. — Pourquoi tu souris ? — Parce que je suis rassuré. — De quoi ? — Tu n’as que 18 ans. Et j’en suis fort aise. Si son fils s’était montré flegmatique face à cette question de propriété immobilière, ça l’aurait vraiment inquiété. — D’autres disent « tu as déjà 18 ans » ! C’est à ce point bizarre que t’aies pas envie de me voir grandir, marmonna Rudy, pensif. — Bien sûr que j’aime te voir grandir. Mais pas trop vite. Quand tu me parles de mariage, sincèrement fiston, ça va trop vite pour ton père. Et ce n’est pas récent. Depuis cette histoire de fiançailles avec Isadora, tu ne sais pas à quel point c’est un enfer pour moi de t’imaginer casé, enchainé par ces fameux liens que certains disent sacrés. Tu n’as que 18 ans, mon ange, insista-t-il. Profite de la vie, avant. Rudy en fut attendri. Oui, il trouvait ces petits tourments mignons. Même s’il se mariait, il vivrait toujours dans le « périmètre » de Dean. Il avait besoin de cette proximité, aussi bien physique qu’intellectuelle. Sa complicité avec son géniteur lui était vitale. Son père n’avait pas à s’inquiéter, il ne le perdrait pas au profit de quelque lien sacré nuptial. — Mais je profite, p’pa. Je me suis teint les cheveux. 26 Hot chili _ Epice©. All rights reserved Dean eut une moue presque déçue. Si c’était cela sa définition de « profiter de la vie », ils n’étaient pas sortis de l’auberge… Devait-il apprendre à son fils à s’amuser ? Sa Petite Voix lui murmura que Rey s’en chargeait très bien. Il n’y avait qu’à voir la surprise de taille qu’il réservait à Rudy. L’agent Sainsbury allait certainement ronchonner de faire partie des bagages… — D’ailleurs, tu m’as pas dit ce que t’en penses. Dean leva mentalement les yeux au ciel. — Elle te plait, cette nouvelle couleur ? Rudy fit oui de la tête. — Ça plait à Rey ? Rudy opina vigoureusement du chef, comme pour mettre un accent particulier dessus. — Alors tu n’auras absolument rien à faire de mon avis ! Tu cherches juste à me titiller, en posant cette question. Il pouffa, percé à jour. — Oui, mais dis quand même. Je suis pas beau comme ça ? Rey trouve que je ressemble à un personnage super classe de TMBC VI. — Zayn Pierce ? Le père y jouait aussi. Et d’après le fils, il trichait en soudoyant Korgan – le geek des Beat’ONE – pour les cheat-codes. — Toi aussi tu trouves ? s’extasia Rudy. Dean tua sans merci son ravissement. — Niet. Commence par te faire les abdos et pectoraux que ton père. Si je me teins en grisargent, alors je suis Zayn Pierce. Toi, tu n’es qu’un pâle doppelgänger. Rudy en resta bouche bée, tant la vantardise de l’autre était d’un niveau supérieur. Le pire, c’est que Dean avait raison. — Je te déteste ! — C’est la répartie de celui qui reconnait sa défaite. — C’est toi le défait ! Zayn Pierce a les yeux verts, d’abord ! 27 Hot chili _ Epice©. All rights reserved Rudy croisa les bras et renifla d’un air victorieux. Dean s’esclaffa. — Il parait qu’ils ont inventé des lentilles de couleur, fiston. Dans ton cas, il te faudra donner de ta personne pendant des mois, pour espérer t’en approcher « musculairement ». C’est qui le « défait » ? — Va au diable ! Ouais, c’était une discussion classique entre un père et son fils. — En parlant de diable… Je vois ton cher oncle demain soir. — Ah ouais ? Rudy marqua tout de même un mouvement de recul face à cette transition peu gratifiante pour son oncle. Il ne valait mieux pas relever. — Il se pourrait qu’on dine ensemble. J’aurai besoin de ta présence. Dean avait le pressentiment que Dan l’attendait de pied ferme. Rudy serait donc une variable imprévisible qu’il utiliserait à escient afin de déstabiliser le « jeu » de son frère. Il ne discuterait plus avec aucun membre de sa famille sans se conditionner au préalable pour une partie d’échecs. Et il ne serait satisfait que lorsqu’il aurait fait un échec et mat à cette bande de rapaces. — J’allais justement proposer de taper l’incruste. Ça fait longtemps que je l’ai pas vu. — Ça ne fait même pas deux semaines ! — C’est quand même long, protesta Rudy. Et on n’avait pas terminé notre discussion à la réception MIP, au sujet des cours de soutien qu’il doit nous donner, à Blain et moi. — Si tu crois que Blain t’a attendu… — Quoi ? s’indigna Rudy. Il est en train de me la faire à l’envers ? C’est mon oncle, ho ! — Mais non. Qu’est-ce que tu racontes ! Disons qu’il met un point d’honneur à ne pas se laisser distancer par Rey. C’était une bonne chose de les avoir mis en rivalité. Le côté introverti de Blain s’effaçait littéralement face au challenge. Ce trait de caractère était probablement à l’origine de sa passion de hacker. Il ne supportait pas que les choses – en l’occurrence, les verrous informatiques – lui résistent. Et Rey était presque un ordinateur… — Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, Rudy. Bayer aux corneilles n’a jamais avantagé personne. 28 Hot chili _ Epice©. All rights reserved — Pourquoi il ne m’en a pas parlé ? On est deux dans cette affaire ! — Tu lui poseras la question. Mais s’il a un semblant d’avance, c’est parce que je l’ai assigné de la mission de soumettre quelques idées à Dan. — À quel sujet ? — Le programme White Healthcare© gagnerait en notoriété avec l’implication d’une firme pharmaceutique. La santé est une vaste sphère qui implique le système hospitalier, le médicament et les patients. White Healthcare© se cantonne aux cliniques, avec la White touch© comme accréditation médicale. Or l’industrie pharmaceutique est une des pièces maitresses du système. On commencera avec Lhomman Hauer©, pour voir ce que ça donne. Il se chargerait de glisser cette idée au père de Blain, une fois que Dan se montrerait intéressé. Et il suffisait de susciter l’intérêt de Dan pour que l’affaire remonte à Vince. C’était ainsi qu’il avait procédé avec Tekhnopolis©. Or cette fois, il ne miserait pas sur un pari. Il ferait aboutir ce projet par tous les moyens possibles. Il en avait besoin pour hameçonner Sir Bacchum. Ce dernier dresserait l’oreille à l’idée de son beau-fils intégrant un white project. — L’une des finalités est éventuellement de faire évoluer la White touch© vers une accréditation qualité en industrie pharmaceutique. Et si c’est possible de l’appliquer là, ce sera d’autant plus simple de faire basculer cet audit dans l’agroalimentaire. Mais ce n’est qu’un white project à l’état trophoblastique. Dan sera mon cheval de Troie. Il l’ignore encore, mais c’est lui qui introduira l’idée à la grande commission qui la validera. Le fait que Blain soit stagiaire à White Enterprise© endormira sa méfiance. Je compte donc sur ta discrétion, à ce diner. Rudy en était juste sidéré. Et le mot était faible. Mais de toute cette diatribe, il ne retint qu’une seule expression. — C’est quoi « trophoblastique » ? — Le trophoblaste est le nom que porte un placenta à peine âgé d’une semaine. Quand tu avais encore une gueule informe, six jours après que mon spermatozoïde-champion-dumonde ait rencontré l’ovule-élu dans la matrice de ta mère. Rudy grimaça. Comment s’attribuer même le mérite d’une fécondation aléatoire ?! Voyez avec Dean Leblanc. — Rappelle-moi, t’as fait management, c’est ça ? demanda-t-il, partagé entre dépit et sarcasme. — Je suis aussi cultivé, fiston. — Normalement, ce n’est pas avec ce genre de chose que l’on se cultive ! grommela Rudy. 29 Hot chili _ Epice©. All rights reserved — On se cultive avec tout et rien, Rudy, ricana Dean. Surtout quand on a la chance d’avoir une bibliothèque presque aussi fournie que la bibliothèque municipale, au manoir, renifla-til avec ironie. Tu sais qu’aux environs de sept ans, ton oncle Danny avait une fascination pour le cycle de reproduction humaine ? — Sérieux ? Comment étaient câblés les hommes de sa famille ?! Ses centres d’intérêts volaient vers d’autres latitudes à cet âge ! — Si bien que notre mère pensait qu’il développerait un penchant pour la gynécologie, ou la médecine en général. Mais c’était avant qu’il n’atteigne ses huit ans, se rembrunit Dean. Même s’il ne savait pas encore le pourquoi, Rudy n’ignorait plus que cet âge était fatidique dans la destinée d’un Leblanc de l’élite. Lorsqu’il avait atteint ce seuil, Dean avait mis les voiles. — D’après Mère, il a avalé tous les chapitres traitant de ce sujet dans l’encyclopédie. Il parait qu’il était obnubilé par les spermatozoïdes, dont il n’arrivait à prononcer le nom qu’une fois sur deux. Ça faisait rire tout le monde, quand ça ne mettait pas dans l’embarras. Son obsession était telle qu’il a fini par convaincre Val de lui en montrer un. — Val ? — Valentin, le père d’Isadora. C’était un vrai trublion, celui-là. Il devait avoir dans les 13-14 ans à l’époque. Évidemment, la puberté aidant, il a pu assouvir la curiosité de Dan en lui montrant des millions de spermatozoïdes. Le pauvre a été déçu de constater qu’il ne s’agissait que d’un amas liquidien visqueux et blanchâtre. Ils étaient plus « cool » dans l’encyclopédie illustrée, avec leur tête chercheuse et leur queue à propulsion. OK. Que devait-il faire de cette anecdote ? se demanda Rudy, ne sachant que choisir entre ahurissement ou mort par hilarité. — Je peux m’en servir contre mon oncle ? fit-il le plus « innocemment » possible, après avoir repris son souffle. Pour une raison totalement irrationnelle, Dean s’affola. — Il saura que ça vient de moi… Il se sentait un peu coupable d’avoir divulgué un si vieux dossier sur son frère. Enfin, c’était plus par crainte de la revanche, car Dan ne raterait pas la moindre occasion de lui rendre la monnaie de sa pièce. Il avait des fichiers qu’il espérait tenir éloignés de son garçon. — Je lui dirai que je tiens ça de grand-mère. 30 Hot chili _ Epice©. All rights reserved — Mais bien sûr, fiston. Comme si ta grand-mère te parlerait de sperme ! — Eh ben t’assumeras, p’pa. T’avais qu’à pas mettre des images mentales de ce genre dans la tête de ton fils ! — Mais de quel côté es-tu, chenapan ! Rudy esquiva habilement un coup de chiffon. Dean arqua un sourcil. Les séances d’arts martiaux de son fils commençaient à s’imprimer lentement dans ses réflexes. C’était encourageant. — Tu m’as pas dit pourquoi tu veux que je vienne demain avec toi. Si Rudy avait appris une chose, c’est que Dean ne faisait jamais rien sans raison. Il n’y avait qu’avec lui – et Red, rajouta-t-il –, qu’il se permettait d’agir sans qu’il n’y ait forcément d’arrière-pensées. — Pour éviter de te rendre « orphelin d’oncle », si tu me permets l’expression. Rudy s’assombrit, son expression se faisant préoccupée. — Le mot « fratricide » a été inventé pour ce genre de cas. Tu crois que tu pourras discuter « fraternellement » avec lui, un jour ? Dean haussa les épaules. Ça dépendait de la définition que l’on avait de « fraternellement ». Son lien de fraternité avec Dan était marqué du sceau « chien et chat ». Ils ne connaissaient pas d’autre schéma que celui-là. Si, du jour au lendemain, ils se mettaient à agir différemment, il aurait le sentiment que ça sonnait faux. Ça impliquerait que l’un d’eux se comportait de manière hypocrite, ou donnait dans le surjeu. C’était aussi retors que cela. — Il a le don d’appuyer sur mes mauvais boutons. En général quand on appuie sur un bouton, le principe veut qu’il se produise une réaction… quelque part, dit-il avec désinvolture, face au regard blasé et paradoxalement accusateur de son fils. Tu serviras de solution tampon. C’est une noble tâche. — Ça dépend si je ne vire pas acide, moi aussi. N’étant pas encore fixé sur le rôle joué par oncle Danny dans son enlèvement, Rudy nourrissait des réserves. Il adorait cet oncle, mais on avait trop entamé sa confiance pour qu’il livre le peu qu’il lui restait avec naïveté. — Eh bien, si ça venait à se produire, que le plus corrosif gagne ! — Franchement, tu devrais m’éduquer avec des valeurs plus positives, maugréa Rudy. 31 Hot chili _ Epice©. All rights reserved — Les négatives t’ont réussi jusqu’ici. Malgré mes manquements, tu restes envers et contre tout mon ange. C’est ce qui m’empêche – et m’empêchera toujours, je pense –, de devenir un véritable démon. Il sourit au dit ange avec tendresse. Alors ne change pas, fils. — Mouais, il n’empêche que tu restes infernal, grommela Rudy, comme pour casser ce moment d’émotion. Il faut bien que quelqu’un rééquilibre tout ça. *o*o* Le Physalis Hotel était l’un des ventricules du cœur de Nior. Encadré d’autres hôtels à grande capacité, il se trouvait non loin du quartier branché d’Heath Milner. Reconnaissant les environs, Red l’avait invité à les rejoindre au Nightshade, et si possible avec son mec, Ran. S’il était disponible, le bassiste de Naytray se ramènerait sans aucun doute avec un autre membre de sa bande. Ambiance de convention oblige, la plupart des artistes d’un groupe se la jouaient collégial. C’était difficile de tomber sur un membre sans ses acolytes dans les parages. Aussi, les invitations individuelles passaient pour celles de toute la bande. Et plus on était de fous, plus la soirée promettait d’être fun ! Pour commencer, il ne fallait pas craindre le vertige en mettant les pieds au sommet du Physalis Hotel. Seuls les clubbers téméraires de Nior pouvaient vivre la véritable expérience « Nightshade ». Une expérience de sensations fortes, consistant à « flotter » à 25 étages audessus de la ville. En effet, l’un de ses trois bars se trouvait sur un promontoire avançant dans le vide. C’était à ce poste qu’officiait Iris. La terrasse du Physalis était entièrement occupée par un night-club. L’endroit était particulièrement indiqué pour les couchers de soleil, surtout en été, car ils avaient le don de se prolonger par des nuits chaudes et magiques dont Paradize-City avait le secret. Nior était connue pour son excellente durée d’ensoleillement et ses hivers relativement doux. Ce qui justifiait que la plateforme soit tout autant visitée en plein mois de février. Il n’y avait pas meilleure adresse pour surplomber le centre-ville en soirée, un verre de cocktail à la main. Red tira sur les pans de sa veste lorsqu’une bourrasque lui arracha quelques frissons. Il aurait encore plus apprécié de vivre ce moment bien au chaud, dans les bras de Dean. De là-haut, on embrassait une vue panoramique superbe, si on n’était pas allergique aux néons. Toute la beauté du spectacle tenait du contraste entre les lumières artificielles et la chaîne naturelle de montagnes en filigrane, qui entourait la cuvette un peu désertique de la région. Le 32 Hot chili _ Epice©. All rights reserved chanteur ne comptait plus le nombre de photos prises avec ce décor urbain lumineux et montagneux en fond. Il avait été sollicité de tous côtés dès son arrivée, aussi bien par des fans que par d’autres stars. Pour un peu, il aurait cru débarquer à une soirée people. Le nombre de célébrités croisées dans le club lui avait fait hausser les sourcils. On n’était pas loin d’un gala tapis rouge de Brown Alley, mais façon night fever. D’après Iris, le Nightshade était un incontournable de Nior. L’établissement était aménagé avec luxe, des comptoirs aux différents carrés VIP en passant par la grande piste de danse. Avec ses allures de loft, la salle accueillait parfois de petits concerts. On pouvait y dîner sur un air de soul, siroter un verre au bar-lounge intérieur, danser jusqu’aux aurores sur les mix des DJs, ou faire tout cela à la fois. Le concept tournait autour de l’Entertainment musical. Ce soir-là, l’endroit avait revêtu sa plus belle robe de discothèque au design flashy. Ça tombait bien, Red se sentait des envies disco. Il allait se trémousser jusqu’au bout de la nuit. Les murs de la piste de danse étaient habillés d’un panel coloré de fines lampes barrettes LED. Elles étaient raccordées au son, donnant aux danseurs l’illusion d’être dans un gigantesque égaliseur audio. Tout le mobilier avait été conçu pour marier la lumière à la musique. Les pieds des sièges s’illuminaient en suivant le rythme des percussions. Le pourtour du plateau des tables pulsaient au son des basses. Le comptoir du bar intérieur, de forme circulaire, s’illuminait de manière synchrone aux guitares. Quant aux boules à facettes, elles se calaient sur le synthé et les arrangements électroniques. C’était une véritable orgie visuelle. Épileptiques, s’abstenir. — Avec une déco pareille, la facture d’électricité doit frôler le sommet de l’Everest, souffla Korgan. — Dans le pire des cas, l’hôtel gère la facture, dit Jay. — La gérante étant très certainement pleine aux as, et vu le prix exorbitant des bouteilles, elle n’a pas de quoi s’inquiéter ! lança Red. Elle dit que c’est ce facteur « wow ! » qui fait du Nightshade LE club du centre de Nior. — C’est pas un gérant ? s’étonna Jeff. — Cameron préfère qu’on dise « elle ». Et tu ferais mieux de la prendre pour une femme, si tu veux rester poli. Les trois autres firent de gros yeux à Red qui haussa les épaules. Ils avaient vu le bougre. C’était un homme tout ce qu’il y avait d’authentique, visuellement parlant. De taille moyenne, en costume Gilano et chaussures de ville rutilantes, il n’avait rien d’un travesti. 33 Hot chili _ Epice©. All rights reserved Mais il fallait croire que c’était « elle », et pas autrement... Ce monde était plein de surprises. Comme croiser un visage auquel l’on ne s’attendait pas. La jeune femme venait de passer devant leur carré VIP. Elle arrivait du fond du couloir et rezippait sa chemise blouse, laissant deviner qu’elle ne portait pas de soutien-gorge. Avec sa mini-jupe-shorty en laine blanche, ses talons-glitters, son maquillage ultra-brillant, elle était en mode oiseau de nuit. Le problème, c’était son geste qui portait à équivoque. Un homme à la mine patibulaire la suivait de près, certainement un membre du staff de sécurité. Cette scène laissait très spéculatif. Faisait-elle une gâterie au doberman, il y a quelques minutes ? Ses joues rougies, son souffle court, ses cheveux s’échappant de son headband en perles, tout poussait à croire qu’elle s’était adonnée à une activité peu catholique en coulisses. Mais aux dernières nouvelles, elle était lesbienne. Ce qui alarma Red. Pourquoi le ferait-elle avec un homme ? Ce salaud l’avait-il forcée ? Sans réfléchir plus, il se lança à sa poursuite. — Shelly ? Il la saisit par le bras et la retourna. Le vigile tenta de s’interposer. — C’est quoi ton problème ? grogna Red, le toisant de la tête aux pieds, nullement impressionné malgré sa carrure de brindille. Le regard de l’homme s’éclaira, preuve qu’il le reconnut. — Oh my God, Red Kellin ?! s’excita Shelly. Le monde est petit ! Le chanteur vit le vigile prendre ses distances et fronça les sourcils. — Tu sors d’où comme ça ? — J’étais dans une strip box. — Ah ouais, laquelle ? La jeune femme désigna l’un des tubes gigantesques en verre dépoli disposés en hauteur tout autour de la piste de danse. Il y en avait un au beau milieu, à l’intérieur duquel se trouvait une barre de pole-dance. Il fallait quitter la salle principale pour y accéder. Le sol de la strip box s’abaissait et libérait son occupant au niveau inférieur, avant de remonter avec un nouveau candidat. Le dispositif était plutôt original. La semi-opacité du verre et l’éclairage intérieur ne laissaient apparaitre qu’une image en noir et blanc, permettant d’offrir aux spectateurs un striptease en ombre chinoise. Pros et amateurs se déshabillaient selon leur convenance derrière ces vitres traités, et égayaient le public de leurs prouesses. 34 Hot chili _ Epice©. All rights reserved Il fallait réellement danser ou faire le show. Y assouvir une simple pulsion d’exhibitionnisme vous octroyait un ticket vers la sortie. C’était l’expulsion sans autre forme de procès si l’on se contentait d’exposer ses « parties ». Aussi fallait-il être assez confiant en ses qualités de showman ou showgirl avant de s’y risquer. Il était possible de tout retirer, du moment que l’on avait un accessoire pour masquer son intimité. Voilà qui expliquait l’air un peu échevelé de la jeune femme. Mais ça ne justifiait pas la présence de Doberman, à qui Red lança une œillade suspicieuse. — Tu le connais ? — C’est Tripp, mon garde du corps, sourit Shelly. Papa ne me laisse pas sortir sans, dit-elle en roulant des iris. J’aimerais bien m’en passer, mais depuis l’affaire de l’héritier W. Ent., il est un peu devenu parano, dit-elle avec indulgence. — Je ne l’en blâmerai pas, se rembrunit Red suite à ce sordide rappel. Effectivement c’était à l’occasion d’un évènement « grand public » dans cette même ville, que Rudy s’était fait enlever. Le chanteur fut soulagé de s’être fait de fausses présomptions au sujet de la jeune femme. Il désigna une strip box au hasard. — C’est comment, dedans ? Ça le tentait d’essayer celui à la barre verticale. Il replongerait sans doute dans une époque de sa vie peu gratifiante, mais il avait toujours aimé danser. Il était épanoui aujourd’hui. Ce serait peut-être une façon de conjurer le sort, que de remonter à nouveau sur une scène de pole-dance s’adonner à un striptease juste pour le fun. — C’est assez spécial. Mais t’as un meilleur retour du son. Je savais pas que Red Kellin venait au Nightshade, dit-elle en battant des cils. Elle devait bien être la seule. À cause de ce qui circulait sur les réseaux sociaux, tout le club avait été sur le qui-vive à leur arrivée. Ç’avait été assez impressionnant d’être autant attendus. Ils n’étaient pourtant pas les seules célébrités à fouler le sol suspendu du Nightshade. Le lieu était bondé de personnalités et de fans privilégiés, mais les Beat’ONE semblaient mis à l’honneur. Ça faisait du bien à l’ego. Ils soupçonnaient leur accueil particulier d’être l’œuvre d’Iris. Celui-ci avait à coup sûr tiré des ficelles pour que son patron – pardon, sa patronne – sensibilise les vigiles. À cette période de l’année, ces derniers se montraient encore plus exigeants que d’habitude. Rien d’étonnant à cela, sachant la fréquentation huppée du club et l’évènement rock au rythme duquel vivrait Nior durant ces trois prochains jours. 35 Hot chili _ Epice©. All rights reserved Après s’être fait tamponner au dos de la main le motif étoilé phosphorescent d’une fleur de morelle noire1 à son entrée, Red avait été directement conduit dans la loge du DJ. Le Nightshade se faisait son kiffe sur son dos en le priant de lancer son fameux « HOLY ! », auquel tous avaient répondu « SUCKERS ! ». La soirée ne pouvait pas mieux commencer. Peut-être que Shelly était arrivée plus tard. — Et toi, tu es à Nior pour quoi ? — Bah, la Rock-Feast ! fit-elle comme si c’était évident. C’est le cadeau de Ria pour la Saint Valentin. Attends, vous y jouez aussi ! réalisa-t-elle, soudain surexcitée. — Je suis déçu que tu ne le saches pas. Red la vit se décomposer. Elle s’en voulut d’avoir loupé une information aussi capitale. — Quelle fan indigne je fais ! On a acheté nos pass depuis janvier, et vous n’étiez pas à l’affiche. On n’a pas pensé à vérifier récemment. — Et vous êtes censées faire un jeu, genre sur ma vie, c’est ça ? Vous surfez vachement sur l’actualité ! — Pardon, je suis confuse ! pleurnicha-t-elle, mortifiée. C’était amusant de la mener en bateau. Il l’invita à les rejoindre, s’enquérant des nouvelles de Ria. Sa petite-amie n’était pas avec elle ce soir-là. Après quelques secondes de « fangirlisme » saupoudrées de « kyaaa ! » stridents face aux Beat’ONE, Shelly prit place sur l’une des banquettes. Rebecca était convaincue que c’était une pimbêche, mais il ne faisait aucun doute qu’elle restait une bonne grosse Holy Sucker. Les animateurs de MCS-Radio la dévisagèrent, des interrogations plein les yeux. Ils donnaient sans doute dans le cliché, mais difficile de lui coller une image de programmeuse de jeu PC. Or c’était en ces termes que Red l’avait présentée. — Je suis la graphiste de HSM®, rectifia-t-elle. Rendons à César ce qui est à César, la programmeuse, c’est Ria. Faut que je prévienne Ariel, dit-elle en pianotant sur son smartphone. Il est censé m’attendre au bar. — Qui ça ? s’enquit Red. — Yuri, soupira-t-elle. J’oublie toujours que vous l’appelez comme ça. Il couvre la Rock-Feast pour le Canal 6. 1 La morelle noire se dit « nightshade » en anglais. 36 Hot chili _ Epice©. All rights reserved — Ah oui, vous êtes parentés. C’est qui déjà, ton frère ? (Rebecca leur en avait touché un mot, mais il n’y avait pas accordé d’importance.) — Presque. C’est mon cousin jumeau. — Ton quoi ? pouffa Korgan. — Il me connait mieux que mes frangins. Si j’avais un jumeau, ce serait lui. — Il n’est pas un peu vieux pour être ton jumeau ? fit remarquer Jeff, ironique. — C’est pas grave, neuf ans d’écart. Il en fait encore 22 dans sa tête, si vous voulez savoir. Il n’est pas si mature que ça, dit-elle comme si c’était normal. — On s’en doutait un peu, grogna Jay. Elle dépeignait là un portrait fort sympathique d’une personnalité médiatique. Cousin ou non, pas sûr qu’Ariel Yurievich apprécie. Celui-ci se ramena sur les instructions de sa cadette, au bras d’une charmante créature. — Je vois que ça n’a pas chômé en mon absence, marmonna Shelly dans sa barbe, coulant regard suspicieux à la fausse blonde pulpeuse accrochée à la veste de son cousin. Yuri l’ignora et s’intéressa aux stars. Il ne prit pas la peine de présenter sa conquête, preuve qu’il s’agissait de son coup d’un soir. Elle était de toute façon trop occupée à gober des mouches face aux Beat’ONE pour entretenir une conversation. — Vous passez demain au stand du Canal 6, décréta-t-il. — On est à celui de MCS-Radio, rétorqua Jeff. C’est un stand premium. Pourquoi voudrait-on le quitter ? le nargua-t-il. Yuri retint une moue ennuyée et dévisagea Lawson que Jeff avait désigné du menton. — MCS-Radio ? Je ne connais pas, fit-il, lèvres pincées, comme s’il était inconcevable que cela lui échappe. Le fait qu’il ignore tout de cette radio indiquait qu’elle n’était pas connue, et donc ne prévalait pas sur une chaine aussi populaire que le Canal 6. Mais comment se faisait-il que la station ait obtenu un statut premium ? C’était comme qui dirait avoir droit au « MIP » des stands ! Emy Event© en était pingre. Ces gens devaient copiner avec les organisateurs de l’évènement. Lawson soutint le regard du chroniqueur de télévision, appréciant moyennement ce que sous-entendaient ses yeux accusateurs. Évidemment qui ne connaissait pas Yuri ? Il était fidèle à l’image qu’il renvoyait à l’antenne : un tantinet imbu de sa personne. Certainement 37 Hot chili _ Epice©. All rights reserved parce que l’émission New Project avait un audimat que n’importe quel animateur média envierait. — C’est une radio musicale qui diffuse depuis Narven, dit sa fausse blonde, gagnant soudain en intérêt pour les concernés. Les Beat’ONE sont les guests de leur Hit Rock cette semaine. Une auditrice de MCS-Radio ? Si ce n’était pas excellent, ça ! Yuri dut en prendre pour son grade. Il la toisa, un brin agacé. — À Narven ? Alors qu’ils ont un show au même moment à Nior ? De toute évidence, il la prenait un peu pour une quiche. — C’est une édition spéciale Rock-Feast, intervint Rihanne, la rouquine du lot. On diffuse de Nior. Stand premium, vous vous souvenez ? Elle n’aimait pas les manières supérieures du chroniqueur télé. Yuri s’agita sous son regard dur, un peu mal à l’aise. Il choisit de revenir aux Beat’ONE. — Mais vous passerez quand même, insista-t-il. Soyez cool, les gars ! Vous serez nos invités. — Mais oui, on va passer, chiale pas, soupira Jeff. Yuri ravala un grommèlement. Sincèrement, ça le faisait chier d’en arriver à supplier. Mais il courait une rumeur autour des Beat’ONE, stipulant qu’ils étaient le lièvre à suivre de la RockFeast. Info ou intox, il fallait croire que ça valait un ego martyrisé. — Pourquoi ai-je l’impression que notre côte a grimpé en deux jours ? s’enquit Korgan. Je veux dire, on n’a pas vraiment été chouchoutés par les médias dernièrement. Et subitement, on nous désire de partout. Sa remarque était justifiée. Depuis leur arrivée à Nior, ils croulaient sous les invitations à des soirées, des festivals, et des after, sans compter celles de chaînes radio. P. organisait une soirée « Cléopâtre » à l’hôtel Beaumont sur l’avenue Nyala, et voulait y voir Red Kellin. C. espérait que les Beat’ONE fassent un tour à son cocktail, et testent la piscine disco de sa villa. M. avait appris l’arrivée de Jeff Scott et tenait à voir les Beat’ONE sur son tapis rouge, pour l’inauguration d’un énième festival du film. Z. invitait les Beat’ONE à la première de sa comédie musicale. G. souhaitait que les Beat’ONE soient vus à la soirée d’ouverture du nouveau spa d’une grande maison de cosmétique. Il avait fallu choisir avec soin quelles invitations honorer et lesquelles décliner. Dans ce milieu, les susceptibilités des uns et des autres pouvaient salement rejaillir sur votre réputation. Même si les Beat’ONE avaient tendance à s’en ficher royalement, ils n’étaient pas dans un état d’esprit propice à gérer toute autre polémique que celles sur la musique. 38 Hot chili _ Epice©. All rights reserved S’ils voulaient réussir leur festival de rock, certaines distractions étaient à éviter. Surtout qu’ils ne disposaient que de très peu de temps de répétition. — T’essayerais pas de te faire mousser ? sourit Yuri. — Non, on est sincèrement curieux de savoir, dit Jay, préoccupé. Sans langue de bois, ça se bousculait au portillon jusqu’au réveillon de Noël, l’année dernière. Et subitement, électrocardiogramme plat. Mais depuis qu’on est à Nior, notre manager ne sait plus où donner de la tête. — Je n’ai aucune idée de ce dont vous parlez. Mais en même temps, vous êtes à Nior. Cette ville ne dort jamais. Faut s’attendre à ce qu’on vous invite non-stop. Ceci expliquait certainement cela. Mais le fait que Yuri ait un peu détourné le regard en rétorquant ne l’aida pas à paraitre crédible auprès des Beat’ONE. Ils choisirent de ne pas relever. Rebecca les avait alertés sur cette curieuse censure qui leur pendait au nez depuis le rapt de Rudy à la fin de leur concert. Peut-être parce qu’ils étaient à Balmer. Ils devaient mener subtilement leur enquête pour savoir ce qu’il en était réellement. — Tant que je vous ai sous la main, reprit Yuri, il s’est passé quoi exactement avec le jeu HSM® ? Cette godiche refuse de m’en dire plus, alors que c’était la condition pour laquelle j’acceptais de leur trouver un créneau dans mon émission. — Donc elles t’ont carotté toi aussi, comprit Jay. — Tu veux dire qu’elles ont carotté tout le monde, rectifia Yuri, lançant un regard réprobateur à Shelly. — Mais euh ! On en a discuté et tout est en ordre, bougonna-t-elle. Ceci dit, je suis plutôt d’avis que les carottées, c’est nous. Je vous trouve injustes d’avoir réclamé 40% des parts d’un jeu qu’on a conçu dans son entièreté. — 40 ? s’étonna Yuri. Tant que ça ? — Injustes ? renifla Jeff. L’injustice aurait été de vous coller un procès pour diffamation, exploitation et utilisation non consentie de notre image, sourit-il, perfide. — C’est pénalement sanctionné, ajouta Korgan. On aurait été en droit de le faire. On s’est montrés indulgents. — Donc quoi, vous n’aviez pas obtenu l’autorisation préalable des concernés ? s’alarma Yuri. — Mais on l’a ! s’indigna Shelly. (Ce qui n’invalidait en rien les propos de son cousin.) Le problème est réglé. 39 Hot chili _ Epice©. All rights reserved Elle avait une moralité très élastique. Cette fois, elle ne se démonterait pas. Lors de leur rendez-vous avec les Beat’ONE, Ria et elle avaient été complètement intimidées. Il fallait dire qu’ils l’avaient joué « hard » en les invitant au White Viscount du Sérénissime – juste le barlounge-terrasse de l’hôtel le plus prestigieux de Balmer, quoi ! – en compagnie de Dean Leblanc – juste le prochain Mr Univers, quoi ! Sans compter que leur manager peu commode avait été d’une froideur à faire geler les enfers ! — Je tenais à dire que ça n’avait rien d’une captation illicite de l’image d’autrui, puisqu’on se base sur des données en libre circulation sur le net, débita-t-elle d’un ton académique. Nous coller un procès aurait impliqué que vous poursuiviez aussi en justice toutes nos sources. Ce qui irait à l’encontre du droit de libre expression. — Mais c’est qu’elle a bachoté son cours de droit, la petite miss, se moqua Jay. — Lou-Ahn nous a prévenus qu’elle était intelligente, concéda Korgan. — Elle a aussi ajouté vénale et viciée, compléta Jeff. Shelly s’outragea, bouche grande ouverte sur une indignation hilarante. — Non, ça c’était Blake, pouffa Red. — Je le savais ! grogna-t-elle. Cette meuf a toujours été jalouse de… — Est-ce que tu réalises que c’est grave, ce que vous avez fait ? souffla Yuri, balayant sa plainte d’un geste de la main. — On connaissait les risques, dit-elle, agacée. Et on allait les assumer. — Ça j’en doute ! gronda-t-il. Je t’ai fait confiance et tu as été à deux doigts de me mettre dans l’embarras ! Que ce soit vis-à-vis de ma production, ou envers les téléspectateurs. Admettons qu’ils aient décidé de démentir publiquement ? T’imagines le tollé sur les réseaux sociaux ? Et tu aurais aussi mis ton père dans la mouise, s’il avait eu affaire à leurs avocats. Cette fille te fait filer un mauvais coton ! — Ria n’a rien à voir avec ça ! siffla Shelly. C’était mon idée, si tu veux savoir, asséna-t-elle, farouche. (Ce qui trancha étrangement avec ses allures de nunuches.) Au fond, on n’a jamais personnellement porté atteinte à la vie privée de Red Kellin. On l’adore, ce mec. Ça n’a jamais été notre but. On n’est pas des paparazzis. Et il ne peut pas invoquer une atteinte à son image, puisque notre jeu n’a rien de dégradant envers sa personne. Au contraire, c’est lui la star mise à l’honneur dans HSM®. — C’est qu’elle insiste, ricana Jeff. 40 Hot chili _ Epice©. All rights reserved — Bah, sans langue de bois – pour citer Jet –, on l’a un peu en travers de la gorge, dit-elle en se frappant ladite gorge du tranchant de la main. Les Devon brothers nous ont quasiment lâchées sur ce coup-là. On pensait pouvoir compter sur eux, mais ils ont freiné des quatre fers au dernier moment. On ne sait même pas pourquoi ! Et vu leur attitude avec nous dernièrement, on ne le saura jamais. Ils nous assuraient que ça se passerait bien et tout. Et là, on doit partager avec eux notre pourcentage déjà rogné de moitié. On est déçues, Ria et moi. — S’ils étaient galants, ils auraient pris 1% symbolique, avança Jay. Ils n’ont franchement pas besoin de ce profit-là. Pour jouer à HSM® en ligne, il faut obligatoirement un compte ownet©. Si je ne m’abuse, ça figure dans les conditions de votre partenariat. Avec plus de huit millions de joueurs à votre actif, ça leur fait un gain d’utilisateurs. — N’est-ce pas ? appuya-t-elle. Je suis sûre que vous savez pourquoi ils nous ont vendues à votre manager, ces geeks ! Eh bien, la jauge de fanatisme était au plus bas, ne purent que constater les musiciens. — C’est parce qu’il n’y a pas que mon image en jeu, expliqua Red, la prenant en pitié. Il pensait qu’elle aurait fait les bonnes déductions depuis lors. Mais à la voir aussi larguée, elle ne s’était pas encore remise de leur entrevue au White Viscount. Rebecca n’avait fait qu’une seule bouchée d’elles. La manager ne leur avait pas laissé le temps d’en placer une. Elle attendait des deux étudiantes qu’elles gardent leur clapet fermé – ayant apparemment épuisé leur quota en conneries sur le Canal 6 –, et qu’elles signent au bas d’un contrat dument rédigé par ses soins. Si Shelly et Ria savaient ce qui était bon pour elles, en gros, si elles ne voulaient pas conjuguer le « scandale » au présent et au futur, elles se devaient d’obtempérer. Un homme politique de la trempe d’Allen Van Der Litz n’avait pas survécu au matraquage médiatique des Beat’ONE. Croyaient-elles avoir plus de chances ? Certes, l’autre couillon était coupable des pires exactions. Mais la perspective d’une existence pourrie par leurs idoles n’entrait pas dans leur projet professionnel. Aussi avaient-elles capitulé sans discuter. En outre, face à Dean Leblanc, les Devon Fischer avaient vite saisi que l’autre parti était appuyé par une personnalité qui promettait un back-up juridique de squales, à faire trembler le conseil de prud’hommes en cas de litige et de rupture de contrat. Ils s’étaient donc « un peu » rétractés. — Parmi les candidats au poste de mon potentiel amant parfait, il se trouve des individus quasiment intouchables. (Le « parfait » étant à revoir à la baisse, maugréa-t-il in petto.) — Comme ? firent Yuri et Shelly en chœur. 41 Hot chili _ Epice©. All rights reserved Les Beat’ONE la dévisagèrent, impatientés. Ils comprenaient que Yuri soient perplexe, mais pas elle ! Pourquoi jouait-elle les ingénues ? Lawson, Dragan et Rihanne suivaient cette conversation, à la fois largués et intéressés. C’était quoi ce délire ? Y’avait intérêt à se renseigner pour ne pas avoir l’air bête face aux questions des auditeurs, lorsqu’ils recevraient les membres du groupe sur leur plateau. — Dean Leblanc ? proposa finalement Shelly. Sincèrement, je ne vois pas où se situe le problème. Leblanc ou pas, Dean est mannequin. Par conséquent, il « vend » son image. Qu’on utilise cette dernière n’a rien de choquant ni d’illégal. De mon humble avis, rajouta-telle avec ironie. Décidément, elle n’avait pas froid aux yeux. — Tu n’es pas de Balmer, saisit soudain Jeff. — J’étudie à Darney, mais je suis de Saunes. Pourquoi ? — Tu m’étonnes qu’elle n’ait aucune idée du degré d’intouchabilité de Dean ! soupira Jay. Ils étaient eux aussi passés par là. — C’est le pape ou quoi ? s’étonna-t-elle. Les Beat’ONE se frappèrent le front dans un bel ensemble. — Mais quoi ?! s’inquiéta-t-elle. N’obtenant rien de probant des stars, elle questionna les autres du regard. Ils ne furent qu’impuissance. Les Narveniens ne comprenaient absolument rien de ce qui se passait. Voyant son propre cousin grogner de dépit, elle tenta de se justifier. — Il est vrai que je me suis basée sur lui et son fils pour dessiner certains de nos personnages. Ouais, leur famille est super riche et il faut vénérer le sol de Balmer qu’elle foule de ses pieds, et blablabla… Yuri claqua de la langue, irrité par son discours inconscient. — Il y a une censure médiatique étatique sur cette famille, Shelly ! Les Beat’ONE le dévisagèrent avec plus d’attention. Visiblement, le chroniqueur savait de quoi il retournait. Mais ils n’avaient jamais entendu parler de cette expression : « censure médiatique étatique ». Il leur sembla que les professionnels dans ce milieu prenaient au préalable acte d’un avis de motion au sujet du nom Leblanc. Jusqu’où s’étendait réellement l’influence de la famille de Dean ? C’était quand même un peu flippant… et aussi illégal, non ? Mais qui dirait tout haut ce que l’on pensait tout bas ? 42 Hot chili _ Epice©. All rights reserved — À moins de travailler chez Wassup’Mag® ou au Canal 3, il faut y aller avec des pincettes. Voilà qui en disait long. Le proprio de ces deux médias étant la première fortune nationale, il pouvait se permettre des libertés que d’autres n’oseraient pas. — Bah, et votre liberté d’expression alors ? demanda Shelly. — Vois ça comme une sorte d’anti-néo-marxisme. Tu auras beau revendiquer ce droit formel à la liberté d’expression, tu évolues malgré tout dans un milieu qui ne t’assure pas toujours les moyens matériels de l’exercer. Tu as ce droit, c’est clair, on te le dit. Mais on te met aussi face à une réalité où tu ne peux t’en prévaloir. Il faut que tu fasses très attention, princesse. Shelly eut une moue à la fois soucieuse et boudeuse. — C’est nul ! Dean et Rudy sont les plus beaux spécimens mâles de notre écurie ! s’écria-telle. On ne va pas nous en vouloir de proposer de l’excellente qualité à Red Kellin, si ?! Yuri laissa échapper un long soupir. Il abdiquait. D’autant plus que l’autre fêlé à crinière écarlate l’encourageait dans son délire. — Bien sûr que non, ma cocotte. Vous assurez grave ! Ce choix est parfait. La jeune femme s’illumina, toute contrariété envolée. — Et comme Rudy n’a pas les yeux bleus, on a pris la liberté de faire une entorse à votre fétichisme du blond aux yeux bleus, lui dit-elle. — C’est un fantasme, pas un fétichisme, rectifia Red. Elle ne l’écoutait plus, à fond dans son trip. — Et puis ces Leblanc ne sont pas les seuls blonds qui nous « prêtent » leur plastique. On a aussi pris pour modèle votre batteur, l’acteur Devin Smith, le mannequin et acteur anglais Alex Pettyfer, énuméra-t-elle sur ses doigts. Pas moyen qu’on ne le mette pas, celui-là ! On s’est même inspirées de l’autre australien là, Chris Hemsworth. On a hésité à mettre son frère Liam, mais entre nous, Thor est quand même plus sexy, avoua-t-elle d’un air coquin. — Hah ! fit Jay, choqué. — Attendez, me dites pas vous n’êtes même pas allés voir à quoi ressemble tous nos personnages ! exhala-t-elle, sidérée. Je me suis cassé le cul… ahem, je veux dire, je me suis appliquée pour vous dessiner, vous savez ! Cette fois, Red était plié de rire. Elle était vraiment offusquée qu’on ne considère pas son travail à sa juste valeur. Il promit d’y jouer. Ce serait marrant de s’épouser soi-même. Les autres soupirèrent en chœur. On l’avait définitivement perdu, maintenant qu’il avait 43 Hot chili _ Epice©. All rights reserved contracté le virus de frénésie de la darneyenne. Il lui proposa de créer un personnage basé sur Andy Rell et non Red Kellin. Ainsi, Andy pourrait épouser Red tellement il s’aimait. C’était officiellement du gros n’importe quoi… — Bon sang, y’a de l’idée géniale, là-dessous ! (…Visiblement pas de l’avis de Shelly.) Je propose qu’on le mette en personnage à débloquer. Genre comme un trophée super compliqué à décrocher. Il faut vous mériter, pardi ! — Je plussoie, ma belle. Il allait renvoyer cette réplique à Dean lorsque le bellâtre reviendrait vers lui, faire amende honorable comme à son habitude. Son amant devrait le mériter, pardi ! — Je vous refilerai les cheat-codes, à vous. — Merci. Il y a qui d’autres parmi mes prétendants ? (Il s’était complètement pris au jeu.) — Y’a un qui a le charme espiègle de Neil Patrick Harris. J’ai particulièrement réussi sa version manga, dit-elle, pas peu fière. Ria a un faible pour les versions HSM® de Charlie Hunnam et Stephen Amell. Qui ne craquerait pas pour Jax Teller et The Vigilente ? — Ma foi, rien que pour leurs tablettes de chocolat, je valide ce choix. Les autres Beat’ONE s’en retournèrent à leur conversation avec Yuri, comme si tout cela était routinier. Pour leur santé mentale, ils avaient appris à ne pas trop suivre Red dans ses conneries. Ils conseillèrent à Lawson et ses acolytes d’en faire autant. Double chromosome X oblige, Rihanne et la copine de Yuri ne purent qu’être happées dans ce vortex. Comment ne pas intervenir alors que ça discutait beaux mâles ? — On voulait mettre Ryan Gosling, puis on s’est dit qu’il y avait des espèces vachement plus sexes, confia Shelly. Comme Ian Somerhalder ou Jared Leto de Thirty Seconds To Mars. — C’est clair, appuya Rihanne, soutenue par un franc hochement de tête de la nana du chroniqueur. (Elles allaient sûrement finir copines.) — Ou encore Terry Ebenezer de Naytray, compléta Shelly, approuvée par les filles. — Ah ouais, vous le trouvez sexe, Terry ? s’étonna Red. L’illustratrice ouvrit l’application « album » de son smartphone, sélectionna une photo et la lui montra. Le cliché parla de lui-même. — Wow, il est méga bien gaulé, le batteur de Naytray ! fit-il en tapotant le bras de Jay. — Ça me fait une belle jambe, Andy, marmonna son batteur sans se retourner. 44 Hot chili _ Epice©. All rights reserved — J’ai jamais fait gaffe. — Vous êtes plus ami avec Ran, c’est peut-être pour ça, dit Shelly. En même temps, Terry s’expose rarement, contrairement à Nigell qu’est tout le temps à moitié à poil dès qu’il voit une scène. Cette photo a été dure à trouver. Mais ils ne sont pas blonds, déplora-t-elle. Du coup, Red, j’ai une faveur à vous demander. (Elle joignit ses mains comme en pleine prière et fit des yeux de faon fardé.) Vous accepteriez virtuellement d’épouser un beau brun ? Dites oui, s’il vous plait, minauda-t-elle. — Bah, mon valentin de ce samedi étant un brun caliente, je suppose que je peux faire une concession. — Ah ouais ? C’est génial ! glapit-elle, attirant l’attention des autres. C’est qui ? demanda-telle sans une once de retenue. Red ne faisait certainement pas allusion à Jeff. Elle lança une œillade à Lawson qui fronça les sourcils, soudain tendu. Pourquoi s’intéressait-elle à lui tout d’un coup ? Pour se donner contenance, il sirota son cocktail, le regard plongé dans son verre à martini. Pour Shelly, c’était le seul brun capable de prétendre au job, bien qu’elle le trouve plus mignon que caliente. — Le barman latino, lui apprit Red. Lawson avala de travers et dut se faire violence pour ne pas toussoter comme un idiot. — Oh, fit Shelly, déçue de s’être trompée. (Puis ses yeux s’agrandirent de réalisation.) Oh ! dit-elle à nouveau en haussant les sourcils, avec une emphase toute différente. Superbe choix ! (Elle se leva d’un bond.) Je retourne le mater. Euh… c’est pas qu’il m’intéresse, hein ! C’est pour les besoins de la recherche documentaire, ajouta-t-elle pour justifier son attitude déplacée. J’avais prévu de dessiner un bar, en fait. — C’est ça, va donc te documenter, ricana Red. Tu as carte blanche. — Vous êtes le meilleur. Bisous de moi ! Elle lança un baiser de loin au groupe et fila. Un sacré boute-en-train ! Iris ne savait pas ce qui l’attendait. — Tu sors avec ce type ? — Pourquoi discuterai-je de ce sujet avec toi, Yuri ? — On en parle demain. (Vu son regard de rapace, il ne lâcherait pas l’affaire.) Donc techniquement, tous les Beat’ONE ne sont plus célibataires ? 45 Hot chili _ Epice©. All rights reserved — En quoi ça te regarde ? s’indigna Red. — Hey, ce n’est pas à moi de t’apprendre qu’il y a des gens que ça intéresse, lâcha le chroniqueur sans scrupule. C’est dans mon émission qu’on a appris que Jeff ne l’était plus. Je veux aussi l’exclusivité pour Red Kellin. Korgan toisa Red avec sérieux, l’air de lui demander : « Dean est au courant ? » Justement, non, se retint de frissonner le chanteur, tandis que le portable de Jay se manifestait. — C’est Dean, fit-il à l’attention de Red, surpris. De toute évidence selon sa logique, l’homme aurait dû passer par son amant. Red se contenta de hausser nonchalamment les épaules, réaction en totale contradiction avec son accélération cardiaque. Ce type était devin ou quoi, pour appeler à ce moment précis ?! C’était abusé ! Jay sortit prendre l’appel. — Disons que pour la Saint Valentin, j’ai quelqu’un, revint-il à Yuri. Après, je suis toujours aussi libre que l’air. Donc tu n’as rien d’officiel. De plus, pour le jeu HSM®, une clause de contrat fixée avec les Devon brothers stipulait qu’il ne devait pas mettre fin à son célibat « médiatique » avant le lancement de la licence du jeu PC. Bien entendu, ça ne l’empêchait pas de se mettre en couple, de se marier ou de faire comme bon lui semblait, du moment que ça ne filtrait pas dans la presse avant une certaine date. Sinon, ç’aurait été une clause de célibat pur et simple, illicite aux yeux du droit. Il espérait par contre que les conquêtes d’un soir ne contreviennent pas à cette stipulation. Red se demanda à quoi pouvait bien penser Lawson. C’était un peu nul de casser son coup à l’animateur, mais hé, il était là avant ! Il lui expliquerait plus tard qu’il n’était pas un rival. Il faisait juste les pieds à Dean. Si Iris l’intéressait toujours, il lui laisserait le champ libre, non sans l’avoir prévenu du paramètre « Jimmy » de l’équation. Lawson lui avait dit ne pas lorgner sur des mecs déjà casés. Ce devait être un homme à principes, certainement bien plus qu’Iris ne le serait jamais. En parlant de ce dernier, une annonce retentit, indiquant que c’était l’heure de son show. Ceux qui étaient intéressés, furent priés de rejoindre le bar suspendu pour un numéro de flair bartending. On pouvait y assister de loin, mais la vue était meilleure sur le promontoire juché dans le vide, à plus d’une vingtaine d’étages au-dessus de l’horizon. Le club avait trouvé une formule qui marchait du tonnerre de Zeus. Et pour cause, Iris était juste époustouflant. Red était loin de s’imaginer que l’on pouvait manipuler des bouteilles, des verres et des shakers de cette manière. Il n’ignorait pas le principe du flair bartending, mais le voir en live lui faisait réaliser qu’il en savait si peu, au fond. C’était très technique, et toute la beauté du 46 Hot chili _ Epice©. All rights reserved geste résidait dans la façon de le faire paraitre facile. Iris avait un tel naturel qu’on l’aurait dit né pour ça. Il était dans son élément. On sentait qu’il adorait en mettre plein la vue. Ça correspondait tout à fait à sa personnalité. Il jonglait avec ces contenants comme s’il n’y avait aucun liquide à l’intérieur. Le shaker rebondissait contre son épaule, la bouteille se nichait dans le creux de son coude, et une coupe se rajoutait au lot juste pour le plaisir de complexifier l’épreuve. Il les rattrapait au vol au-dessus du comptoir, sur le côté, ou encore dans son dos, se passant de ses yeux dans certains mouvements. Le finish fut le plus spectaculaire. Le contenu du shaker se déversa en un arc-en-ciel liquide dans des verres à pied disposés en pyramide. Au repos, le cocktail se déphasait en trois couches de couleur différente, la dernière étant constituée de mousse rose pâle. Red eut la grâce de goûter au premier verre. En plus d’être « visuellement bon », c’était divin en bouche. Il en fut bêtement radieux. Maintenant il comprenait pourquoi Jimmy était tombé amoureux. C’était « top » classe ! Recevoir le premier verre de ce chef d’œuvre lui donnait l’impression d’avoir été sacré roi du bal. Et ça le frappa soudain. Si Iris faisait ce coup à tous les mecs qui lui tapaient dans l’œil – peu importe que ce soit ou non intéressé – il ne devait pas s’étonner que Jimmy le prenne mal. Il était prêt à parier que de nombreuses « victimes » de ce numéro de charme exquis s’étaient par la suite montrées bien disposées à l’égard du barman. Il n’y avait qu’à voir comment ça bavait sur le comptoir, femmes et hommes, dans l’espoir de s’attirer les faveurs du beau latino. Iris était une star au Nightshade, au beau milieu d’une constellation de tentations. Ça donnait du « Maestro » par ci, du sourire aguicheur par-là, à chaque fois que ça passait commande. Ça glissait ses coordonnées avec le pourboire. Difficile de ne pas péter un câble lorsqu’on était un amant jaloux. Jimmy avait sans doute fini par renoncer, en comprenant qu’il ne pourrait tenir rigueur à son mec en le voyant si épanoui dans son job. Le contact avec le client, si spontané, parfois osé, un brin charmeur, était ce qui donnait du piment à la vie nocturne d’Iris. C’était l’aspect de son métier qui lui faisait dire qu’il adorait ça, et ne le changerait pour rien au monde. Pauvre Jimmy ! Il était un peu à plaindre pour le coup, sachant qu’Iris avait une âme hédoniste, ne se brimant pas dans le plaisir. Il aurait fallu, dans cette situation, que le barman soit irrévocablement fou amoureux du croupier pour ne pas se laisser tenter. Or la concurrence était de taille. Comment garder son assurance face à de telles plantes de la jet-set, richement vêtues, bien gaulées, certainement pleines aux as, et pourquoi pas stars du petit écran ? De quoi vous cheviller vos insécurités au corps. 47 Hot chili _ Epice©. All rights reserved Il fallait avoir un ego en parfaite santé pour tenir tête à de potentiels rivaux de cet acabit. Jimmy avait certes une langue pendue, mais il lui manquait parfois le bagage nécessaire pour faire le poids. C’était idiot qu’Iris ne s’en soit pas rendu compte ! Cet abruti était trop égocentrique. — Sacré tombeur, va ! ricana Red, quand celui-ci lui fit un clin d’œil. — Il est canon, c’est vrai, dit une voix de femme avec une certaine dérision, faisant presque sursauter le chanteur par son apparition pop-up. Red dut la dévisager à deux fois, doutant un instant de sa vue. Arborant un total look homme, elle avait poussé le travestissement jusqu’aux accessoires. Sa montre en acier et or rose était un modèle clairement masculin. Ses cheveux étaient coupés à la racine sur les côtés, mais de longues mèches lui faisaient une grande frange balayée d’un produit à effet métallisant. Elle avait une certaine allure avec son maquillage gothique, son blouson sans manche en cuir sur une chemise en denim délavé, enfilé dans un pantalon en laine retenu par une ceinture slim à clous mariée à ses creepers à studs. Vraiment atypique. — Vous avez appris à les choisir plus de votre âge, ajouta-t-elle. Red fronça les sourcils. C’était lui ou il y avait de l’ironie dans cette assertion ? Elle lui parlait comme si elle avait tous les droits de le faire sur ce ton railleur. Il voulait bien être une star accessible, mais il savait répondre aux hostilités lorsqu’on les lui déclarait. Peu importait que ce soit par une parfaite inconnue. Certes, on répondait aux imbéciles par le silence, mais il estimait avoir toute légitimité de riposter. Toutefois, il s’assurerait au préalable de ne pas être en tort. C’était peut-être un quiproquo. Le procès de Sloan lui avait passé l’envie d’avoir à nouveau affaire à la justice pour des broutilles, comme par le passé. Et puis il fallait ménager Dean. Il ignorait comment son amant réagirait dans ce genre de situation, tant ce dernier se montrait imprévisible. Il prit donc sur lui pour rester courtois. — Puis-je savoir à quoi tu fais allusion ? — Le barman. (Du menton, elle désigna Iris qui servait un autre client.) Il fait pas le double de ton âge. À la base c’est ton truc, les mecs vieux, non ? T’es du genre à aimer qu’un sugar daddy2 s’occupe de ton cas. — Pardon ?! Elle lui opposa une expression qui disait qu’elle n’était pas dupe. 2 Sugar daddy : anglicisme désignant un homme d’un certain âge entretenant un(e) amant(e) très jeune. 48 Hot chili _ Epice©. All rights reserved — Aller, c’est connu ! Tous les journaux nous ont soulés avec, l’année dernière. L’autre là, AVDL, il faisait bien le double de ton âge. Attends… même plus, je crois, rectifia-t-elle après avoir fait mine de réfléchir. Et tu t’es aussi tapé ton ancien producteur quand t’étais à Bosco Record©. Il avait 50 piges, t’en avais 25, dit-elle avec une grimace de dégoût. Red retint un horrible frisson. C’était limpide, ça n’avait pas la couleur d’un malentendu mais bien celle d’une franche hostilité. Que lui voulait cette jeune femme ? Qui était-elle ? Une journaliste ? Non, pas le look de la maison, et sans doute un peu jeune pour être du métier. Il la mettait dans la tranche d’âge de Shelly. Une anti-fan ? Peut-être. Mais vu ses atours de marque, elle ne correspondait pas tout à fait au profil de la rageuse qui critiquait par jalousie. Quoique… la jalousie pouvait tout à fait être le nerf de cette guerre qui se profilait. Mais pourquoi venait-elle en ennemie ? Quelles étaient ses réelles motivations ? Devait-il entrer dans son jeu ? D’où savait-elle qu’il avait eu une aventure avec Ethan Bosco, nom d’un chien !? Enfin, « aventure » était un bien grand mot pour lui. Il avait déjà eu à déplorer que cette histoire d’un soir devienne une affaire de trois nuits. À présent, il en était à regretter qu’elle n’ait tout simplement pas été multipliée par zéro. — On peut savoir d’où tu débarques ? intervint Jeff. Il questionna Red du regard. Il avait cru entendre AVDL, ce qui justifiait probablement le trouble de son ami. Qui avait eu le culot d’évoquer ce salaud d’Allen Van Der Litz en présence de son chanteur ? Il allait lui refaire le portrait, à ce gueux imberbe ! Le plus chiant avec les emmerdes, c’était que Jeff Scott ne les cherchait pas. Elles le trouvaient. *o*o* 49