270112 Télévangélisme islamique
Transcription
270112 Télévangélisme islamique
47 rue de Babylone • 75007 Paris • France Tél. : 33 (0)1 53 63 37 70 • Fax : 33 (0)1 42 22 65 54 [email protected] • www.futuribles.com Note de veille, 27 janvier 2012 Égypte : l’influence grandissante du télévangélisme islamique Depuis les années 2000, les talk show dans lesquels s’illustrent de jeunes prêcheurs islamiques, partisans d’un islam modernisé, emportent l’adhésion de nombreux téléspectateurs musulmans à travers le monde. Le discours de ces télévangélistes rompt, sur le fond et sur la forme, avec la prédication traditionnelle, et l’influence des nouveaux prêcheurs pourrait s’accroître dans les pays du « printemps arabe », actuellement en phase de transition politique. Le télévangélisme islamique a été popularisé, à partir de 2001, par Amr Khaled, un prédicateur musulman de nationalité égyptienne dont les conférences et les émissions télévisées sont très populaires et touchent toutes les franges de la population. Dans ces émissions, le prêcheur mène des discussions avec les téléspectateurs sur l’islam dans la vie courante à travers des sujets tels qu’aller au cinéma, boire de l’alcool, etc. Amr Khaled a commencé à prêcher dans des clubs privés, il est très proche des milieux de la jet set. Depuis son succès, d’autres prédicateurs, comme Moez Masoud, se sont illustrés à la télévision et sur Internet. C’est à l’université américaine du Caire, dont il est diplômé, que Moez Masoud a commencé ses prêches : son ancrage est davantage populaire que celui de Amr Khaled. Ces « nouveaux prédicateurs » présentent une double rupture par rapport aux prêcheurs traditionnels. La différence se situe, d’un part, sur la forme. Ils sont jeunes (33 ans pour Moez Masoud et 44 ans pour Amr Khaled) : le rapport entre aînesse et autorité religieuse est ainsi brisé. Ils ont fait des études et sont habillés à la mode : chemise, jean et barbe rasée. Les supports à travers lesquels ils s’expriment sont modernes et mercantiles : les talk show des prêcheurs représentent un véritable business, ne serait-ce qu’en terme d’appels téléphoniques. Les prêches prennent la forme de divertissements à l’américaine et sont diffusés sur des chaînes dont les programmes sont variés et populaires. Le fait que les télévangélistes islamiques acceptent de passer sur des chaînes où les présentatrices ne respectent pas forcément les règles de pudeur qu’ils recommandent, témoigne d’une plus grande tolérance envers le pluralisme. C’est d’ailleurs le point central du discours de ces nouvelles stars du petit écran : ils prêchent un islam basé sur l’individu, sur l’équilibre personnel et sur la tolérance. La rupture avec les prêcheurs traditionnels se situe donc également sur le fond. Selon certains observateurs, l’engouement des musulmans pour le télévangélisme islamique © Futuribles, Système Vigie, 27 janvier 2012 1 témoigne d’une entrée de l’islam dans la modernité religieuse 1, processus que la sociologie des religions avait déjà décrit pour les nouvelles communautés chrétiennes 2. L’influence de ces nouveaux prêcheurs dans le monde musulman semble importante. Popularisés par la chaîne satellitaire saoudienne privée Iqraa TV, leurs prêches sont désormais diffusés sur un grand nombre de chaînes, dont certaines généralistes, comme MBC, basée à Dubaï (comme tous les personnages influents, Moez Masoud avait l’interdiction d’apparaître sur les chaînes nationales égyptiennes pendant le règne de Hosni Moubarak) 3. Ces programmes seraient regardés par des millions de musulmans au Moyen-Orient, mais également en France et au Royaume-Uni 4. Les vidéos de Moez Masoud sur YouTube remportent un immense succès, « The True Message of Islam », prononcé à la conférence interreligieuse de Dubaï en 2006, est le prêche le plus connu et le plus visionné sur Internet 5. En 2007, le Time a classé Amr Khaled parmi les 100 hommes les plus influents au monde 6 et, en novembre 2011, Moez Masoud est décrit par The Economist comme l’un des cinq prêcheurs musulmans les plus influents. Les deux hommes sont aussi très actifs sur les réseaux sociaux : en octobre 2011, Amr Khaled avait 178 271 followers (suiveurs) sur Twitter et Moez Masoud en avait 75 974 7. Ce phénomène n’est pas exclusivement égyptien : en Indonésie, le prêcheur Abdullah Gymnastiar est extrêmement populaire (même si l’annonce de son second mariage lui a fait perdre de l’auditoire, car il était considéré comme un mari et un père de famille modèle) et, en Arabie Saoudite, Ahmad AlShugairi connaît également un grand succès 8. La présence de ces partisans d’un islam modéré dans les (nouveaux) médias leur a permis d’acquérir une certaine visibilité. En janvier 2011, Amr Khaled a rencontré Mohamed Ahmed al-Tayeb (imam de la mosquée Al-Azhar), une des plus haute autorité religieuse d’Égypte, afin de discuter de la modernisation du discours de l’Islam. 1 Sur ce sujet, voir HAENNI Patrick, « Au-delà du repli identitaire… Les nouveaux prêcheurs égyptiens et la modernisation paradoxale de l’islam », Religioscope, novembre 2002, http://www.religioscope.com/articles/2002/029_haenni_precheurs.htm. Voir aussi HAENNI Patrick, L’islam de marché. L’autre révolution conservatrice, Paris : Le Seuil (La République des idées), 2005, 110 p. 2 HERVIEU-LEGER Danièle, La religion en miettes, Paris : Calmann-Lévy, 2001. 3 « Holy Smoke: Islamic Preachers are Drawing on a Christian Tradition », The Economist, 29 octobre 2011. URL : http://www.economist.com/node/21534763 4 SULLIVAN Kevin, « Young Muslims turning in upbeat voices », The Boston Globe, 6 décembre 2007. URL : http://www.boston.com/news/world/articles/2007/12/06/young_muslims_tuning_in_upbeat_voices/?p age=1 5 Vidéo sur YouTube : http://www.youtube.com/watch?v=zDJVUnX0rwQ 6 « The Time 100 », Time, 3 mai 2007. URL : www.time.com/time/specials/2007/time100/article/0,28804,1595326_1615754_1616173,00.html 7 « Holy Smoke », op. cit. 8 WORTH Robert, « Preaching Moderate Islam and Becoming a TV Star », The New York Times, 2 janvier 2009. URL : http://www.nytimes.com/2009/01/03/world/middleeast/03preacher.html?pagewanted=all © Futuribles, Système Vigie, 27 janvier 2012 2 Le jour de la chute de Hosni Moubarak, Moez Masoud est intervenu sur la BBC : il a dit vouloir « déradicaliser » l’environnement religieux en Égypte et se consacrer à la vie spirituelle des Égyptiens 9. Pour le moment, aucun des deux prêcheurs ne s’est impliqué en politique mais, s’ils le faisaient, il se pourrait qu’ils acquièrent une certaine notoriété. En Tunisie, la liste d’un célèbre télévangéliste islamique, Mohamed Hechmi Hamdi vient de rafler 19 sièges à l’assemblée constituante de 2011 faisant de son parti (Aridha Chaabia) la quatrième force politique du pays 10. Laurie Grzesiak Champ de veille : Valeurs, croyances, culture Mots clefs : Islam / Télévision / Internet 9 LOBL Tony, « The spiritual view of Egypt in transition », The Christian Science Monitor, 15 février 2011. URL : http://www.csmonitor.com/The-Culture/Articles-on-Christian-Science/2011/0215/Aspiritual-view-of-Egypt-in-transition 10 SOUDANI Seif, « Tunisie – Hechmi Hamdi ou le télévangélisme politique », Le courrier de l’Atlas, 2 novembre 2011. URL : http://www.lecourrierdelatlas.com/112002112011Tunisie-Hechmi-Hamdi-oule-televangelisme-politique.html © Futuribles, Système Vigie, 27 janvier 2012 3