L`élection présidentielle au Mali (juillet et août 2013) : un aperçu.

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L`élection présidentielle au Mali (juillet et août 2013) : un aperçu.
L’élection présidentielle au Mali (juillet et août 2013) : un aperçu.
Par Ndongo Samba Sylla
Dakar, le 15/07/2013
Bureau Afrique de l’Ouest de la
Fondation Rosa Luxemburg
Depuis le renversement du régime de Moussa Traoré en 1991, arrivé au pouvoir en 1968 à la suite du
coup d’État contre Modibo Keita (le premier président malien), le Mali a connu deux présidents élus :
Alpha Omar Konaré (1992-2002) et Amadou Toumani Touré (2002-2012). Ayant atteint la limite de
deux mandats consécutifs qu’autorise la constitution malienne, Amadou Toumani Touré (ATT) était
censé ne pas se présenter pour un nouveau mandat. Son successeur devait être choisi lors d’une
élection présidentielle dont le premier tour était prévu initialement le 29 avril 2012.
A l’époque, les conditions pour la tenue d’élections crédibles n’étaient pas réunies. Depuis janvier
2012, la rébellion touarègue au nord-est du Mali, menée sous les auspices du MNLA (Mouvement
National pour la Libération de l’Azawad), avait souligné les carences de l’armée malienne qui ne
pouvait pas assurer l’intégrité territoriale du pays. De nombreux cas de désertions de militaires furent
notés ainsi que des exécutions, notamment à Aguel hoc. Les femmes des militaires protestèrent contre
le peu de soutien dont bénéficiaient leurs maris. Elles furent reçues par ATT, en vain apparemment. La
réalité était que les indépendantistes du MNLA étaient mieux armés que l’armée malienne qui s’est
retrouvée parfois à court de munitions sur certains théâtres d’opération. En effet, une partie des armes
utilisées dans la guerre de l’OTAN en Libye a été redéployée dans le nord du Mali du côté du MNLA.
Alors que la Constitution du 25 février 1992 en son article 118 stipule « qu’aucune procédure de
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révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire » , ATT
pensait pouvoir organiser les élections à bonne date malgré la situation qui prévalait dans le Nord. Ce
qui était d’autant plus irréaliste que se posait également la question du fichier électoral, question sur
laquelle il n’existait pas encore de consensus auprès des différents acteurs politiques à quarante jours
de la date retenue pour le premier tour.
Le 22 mars 2012, un coup d’État renverse le régime de ATT à qui il est reproché entre autres d’avoir
mal géré la rébellion touarègue et d’avoir fait reculer la démocratie malienne. Le capitaine Amadou
Haya Sanogo, chef de cette junte militaire, mit en place un « Comité National pour le Redressement de
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la Démocratie et la Restauration de l’État » (CNRDRE) et suspendit la constitution du Mali . La
« communauté internationale » condamna aussitôt le coup d’État, réclamant un retour à la « normalité
constitutionnelle ». Ce qui fut fait avec la mise en place d’un gouvernement de transition dirigé depuis
avril 2012 par Dioncounda Traoré, jusqu’alors le président de l’Assemblée Nationale.
Alors que le coup d’État a été justifié au motif que le régime d’ATT était corrompu et « incompétent »,
il a paradoxalement permis aux partisans du MNLA d’avancer encore plus. En trois jours, le MNLA,
1
https://www.maliweb.net/news/politique/2012/03/20/article,55608.html
2
Voir leur premier communiqué de presse sur : http://www.journaldumali.com/article.php?aid=4385
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Ansar eddine (un groupe djihadiste d’obédience salafiste) et quelques factions dissidentes d’AQMI (Al
Qaïda au Maghreb Islamique) prennent les trois capitales régionales du Nord du Mali : Kidal, Gao et
ensuite Tombouctou. C’est ainsi que le Nord du Mali tomba dans l’escarcelle « islamiste », un
qualificatif qui cache des motivations loin d’être homogènes : le MNLA réclame un État touareg
indépendant au Nord du Mali. Il parle de « libération », expression qui semble vouloir dire que les
« Maliens » auraient occupé illégalement le Nord du « Mali ». Si Ansar eddine a soutenu pour la
circonstance le MNLA, il ne revendique pas un État indépendant mais plutôt l’application de la Charia
sur tout le Mali, une option non-négociable de son point de vue. Avec la présence d’AQMI, le spectre
d’une « afghanisation » du Nord du Mali était le scénario craint par la plupart des observateurs.
Après moult tergiversations de la CEDEAO et des acteurs politiques maliens, il a fallu l’intervention de
la France, à travers l’opération SERVAL, pour « libérer » le Nord Mali de la menace « terroriste » qui
ambitionnait déjà de se déployer vers le sud du Mali. Cette intervention militaire qui a débuté en
janvier 2013 n’a cependant pas résolu tous les problèmes.
Acclamé en « libérateur » du Mali (et protecteur des femmes maliennes à l’encontre des islamistes qui
auraient voulu leur imposer la Charia !), le président François Hollande a dit qu’il serait « intraitable »
sur la tenue imminente d’une élection présidentielle. Sous la pression donc de l’Elysée, la date du 28
juillet 2013 a été retenue pour le premier tour de la présidentielle et celle du 11 août pour le second
tour. Quant aux élections législatives, elles sont prévues en septembre.
La rhétorique des « élections crédibles » :
De l’avis du président de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) du Mali, monsieur
Mamadou Diamoutani, les conditions ne sont nullement réunies pour l’organisation d’une élection
présidentielle crédible le 28 juillet. « Nous n’avons pas l’intention d’observer le silence sur les violations
graves de la loi observées dans la préparation du scrutin présidentiel. Nous allons prendre toute notre
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responsabilité…», aurait-il déclaré devant la presse . Certains candidats à la présidentielle ont émis le
même son de cloche. C’est le cas de Tiébilé Dramé, le leader du PARENA (Parti pour la Renaissance
Nationale), qui a déposé une requête auprès de la Cour constitutionnelle pour un report du scrutin du
28 juillet.
De manière générale, les arguments en faveur d’un report du scrutin présidentiel semblent tout à fait
fondés. Avec l’introduction de la biométrie, sept millions de cartes d’électeur devront être distribués en
2
l’espace d’un mois sur un territoire dont la superficie est de 1,2 million de km . Or, le mois de juillet
coïncide avec le Ramadan et la saison des pluies, deux facteurs contraignants qui vont probablement
jouer négativement sur le calendrier des opérations prévues et le taux de retrait des cartes d’électeur.
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Au 05 juillet, il semble que seul un tiers des inscrits avait retiré leur carte d’électeur . Deuxième
problème : les listes actuelles proviennent d’un fichier de recensement national (RAVEC - recensement
administratif à vocation d’état civil) et non d’un fichier à vocation électorale. Vu les délais, il ne sera
matériellement pas possible de procéder à une révision conséquente des listes électorales pour
prendre en compte quatre catégories d’électeurs : ceux qui sont devenus majeurs et dont le nombre
est estimé entre 350 000 et 400 000 ; les nombreux déplacés et réfugiés estimés à près de 400 000 ;
3
http://maliactu.net/election-presidentielle-du-28-juillet-le-president-de-la-ceni-denonce-les-atteintes-faites-aux-droits-des-electeurs/
4
http://maliactu.net/au-mali-la-rapide-echeance-electorale-pourrait-etre-un-handicap/
2
ceux qui ne figurent pas sur les listes électorales (comme les Maliens expatriés par exemple) et ceux
qui ont été inscrits hors de leur lieu de vote. De plus, les cartes NINA (numéro d'identification
nationale) ne comporteraient apparemment pas d’indication au sujet du lieu et du bureau de vote.
Troisième problème : contrairement à ce que stipule la loi, les listes ne sont pas disponibles sur
l’ensemble du territoire malien. Il y a notamment le cas Kidal, la dernière région à être « libérée » et où
les listes électorales ne sont pas encore disponibles. Le gouverneur qui doit veiller au bon déroulement
du scrutin s’est réfugié à Bamako pour des motifs de sécurité. Il a fait un rapide « aller-retour » à Kidal
le 11 juillet pour s’apercevoir que la situation était tendue et que les locaux du gouvernorat étaient
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occupés par les forces du MNLA . Son retour définitif est prévu pour le 15 juillet.
Kidal a certes un poids démographique et électoral mineur (0,5% de la population totale ; une
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population adulte d’un peu moins de 39 000 personnes, selon un recensement datant de 2009) . Mais
c’est une région qui a un statut très symbolique sur le plan politique, étant en ce moment le bastion
du MNLA. L’enjeu du vote à Kidal, c’est de montrer que le Mali est devenu à nouveau « un et
indivisible », au moins pour ce qui est de son « intégrité territoriale ».
Enfin, il semblerait que la MINUSMA (Mission multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la
Stabilisation du Mali) qui vient de prendre le relais de la MISMA (Mission Internationale de Soutien au
Mali) ne sera véritablement opérationnelle qu’à partir de la fin 2013. Ce qui pose le problème de la
sécurité des Maliens et du processus électoral.
Toutes ces raisons ont poussé certaines organisations comme OSIWA et International Crisis Group à
demander un report du scrutin présidentiel. Elles craignent notamment le chaos et l’instabilité que
peuvent susciter des élections bâclées et au rabais.
Il y a peu de chances cependant que le scrutin présidentiel soit reporté. En dehors de la CENI, les
principaux protagonistes sont plutôt favorables au maintien de la date du 28 juillet. La France tient à
ces (ses ?) élections, entre autres parce qu’il s’agit pour la « communauté internationale » d’avoir un
interlocuteur ayant une « légitimité démocratique ». « L’élection se fera comme elle se fera » d’après
Laurent Fabius. Réagissant à ce propos, Tiébilé Dramé a fait remarquer de manière ironique que « le
chef de la diplomatie française [Laurent Fabius] est devenu notre Directeur général des élections
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(DGE) » . De même, face à la requête de report du scrutin présidentiel, la Cour constitutionnelle risque
d’avoir une attitude plus « politique » que « légale ». Un report risquerait d’introduire de nouvelles
certitudes en rallongeant davantage la « transition ». Il pourrait également s’interpréter comme un
non-respect des accords entre l’État Malien et le MNLA signés le 18 juin 2013 à Ouagadougou,
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lesquels prévoient l’organisation d’une élection présidentielle pour le mois de juillet . Il n’est pas dit
non plus qu’un report produise les gains escomptés (la paix, des taux de participation plus élevés, etc.).
5
http://www.malijet.com/actualite-politique-au-mali/flash-info/76384-retour-avorte-du-gouverneur-de-kidal-a-cause-des-tensions-dans-l.html
6
International Crisis Group, Mali : sécuriser, dialoguer et réformer en profondeur, Rapport Afrique N°201, 11 avril 2013, p.12
7
http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20130712173740/mali-tiebile-drame-kidal-laurent-fabiustiebile-drame-je-constate-que-fabiusest-devenu-le-directeur-des-elections-au-mali.html
8
http://www.afrik.com/mali-pourquoi-tiebile-drame-exige-une-report-de-la-presidentielle; http://www.journaldumali.com/article.php?aid=6559
3
Il y a enfin le fait que les principaux leaders de parti qui rêvent déjà d’être à Koulouba (le palais
présidentiel) sont pressés d’en découdre. Comme le souligne une note de l’OSIWA :
« La majorité des acteurs politiques maliens – les candidats notamment – par leur silence sur
les multiples insuffisances du processus et par l’état de leur préparation à y participer donnent
l’impression d’adhérer au processus électoral tel qu’il est actuellement conduit. Cependant, il
est peu probable qu’ils soient tous disposés à en accepter les résultats quels qu’ils soient,
comme on a pu le voir ailleurs dans la sous-région. Bien au contraire, les "recalés" seront les
premiers à rappeler toutes les faiblesses du processus, pourtant actuellement bien visibles, et à
s’en servir pour contester les résultats. »9
L’opinion des citoyens maliens est plus difficile à jauger. Selon un sondage effectué en février 2013 à
Bamako auprès de 384 citoyens maliens âgés de 18 ans et plus, trois quart d’entre eux souhaitent que
les élections soient organisées « après la libération totale des régions du nord et le retour des
déplacés, des réfugiés et de la sécurité ». La moitié d’entre eux estime leur organisation impossible en
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juillet 2013 . Pour certains intellectuels maliens comme le professeur Naffet Keïta, « Ce n’est pas une
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élection malienne, c’est juste une élection au Mali. Nous ne sommes pas décisionnaires » .
La conclusion qui s’impose est que le scrutin présidentiel du 28 juillet (et du 11 août éventuellement)
ne sera ni « libre » ni « crédible ». Il ne sera pas « libre » car beaucoup d’électeurs ne seront
certainement pas en possession de leur NINA. Il ne sera pas « crédible » non plus car les taux de
participation seront sans doute faibles, et très probablement en dessous de 30%. Rappelons que le
Mali « démocratique » (1992-2012) n’a jamais atteint un taux de participation de 39% aux élections
présidentielles et législatives. Il n’a jamais pu faire déplacer 2,5 millions d’électeurs aux urnes. Alpha
Omar Konaré, le premier président malien « démocratiquement » élu, a remporté la présidentielle de
1992 dès le premier tour avec 693 000 voix sur un nombre d’inscrits de 4,9 millions. Dix ans plus tard,
Amadou Toumani Touré, le « soldat de la démocratie » a pu être élu au second tour avec 926 000 voix
sur un total de 5,7 millions. En 2007, il est réélu dès le premier tour avec seulement 1,6 million de voix
12
sur un total de 6,9 millions .
Le défi sera donc de rendre « transparent » le scrutin présidentiel, c’est-à-dire de faire en sorte qu’il n’y
ait pas beaucoup d’irrégularités ou de fraudes et que les résultats puissent être acceptés par tous.
C’est dans cet esprit que le président intérimaire Dioncounda Traoré avait pris l’initiative de rencontrer
le 09 juillet dernier les représentants des partis dont la candidature à la présidentielle a été validée.
Après avoir reconfirmé la date de l’élection, il les a encouragés à faire preuve de Fair Play : « Il ne
saurait y avoir d’élection parfaite, encore moins dans un pays en sortie de crise et pour lequel,
justement, nous voyons ces élections comme un moyen d’en sortir dans les délais les plus brefs. Les
imperfections du processus électoral peuvent être compensées par l’esprit civique des candidats et des
9
http://www.osiwa.org/fr/portal/newsroom/705/Les-%C3%A9lections-au-Mali--Pourquoi-elles-doivent-%C3%AAtrereport%C3%A9es.htm#sthash.loAZdT9y.dpuf
10
Friedrich Ehbert Stiftung, « Mali - Mètre Enquête d’opinion ‘Que pensent les Maliens’ ? », 13 – 20 février 2013, Bamako.
11
http://maliactu.net/mediapart-election-au-mali-francois-hollande-a-passe-un-coup-de-fil/
12
Sur les statistiques électorales du Mali, voir http://africanelections.tripod.com/ml.html
4
électeurs »13. Ceci est également la position de Ban Ki-Moon : « Les résultats, même si l'élection peut
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être imparfaite, doivent être respectés par toutes les parties » . En bref, de l’esprit civique pour
compenser des élections au rabais…
Les forces en présence
La campagne électorale a démarré officiellement le 07 juillet, soit un jour après la levée de l’État
d’urgence qui était en vigueur depuis le 12 janvier. Elle va s’achever le 26 juillet. Sur une liste initiale de
36 candidats, 28 ont été finalement retenus par la Cour Constitutionnelle. Les candidats favoris à la
présidence ne sont pas des inconnus. Il s’agit essentiellement de personnalités qui au vu de leur
parcours sont d’une certaine manière comptables de l’état de délabrement avancé de l’État malien. On
compte en effet parmi les candidats nombre d’anciens premiers ministres, d’anciens ministres et de
15
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« mastodontes » de la « classe politique » malienne .
Ibrahima Boubacar Keïta, 68 ans, surnommé « IBK », est considéré par certains de ses partisans
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comme le Winston Churchill malien . Ancien premier ministre (1994-2000), président de l’Assemblée
Nationale (2002-2007) et chef du Rassemblement pour le Mali (RPM), il est arrivé deuxième lors de la
présidentielle de 2007 (19,1% des voix au premier tour). Il est annoncé comme le grand favori de ce
scrutin.
Soumaïla Cissé, 63 ans, ministre des finances sous Alpha Omar Konaré et ancien président de la
Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Il est le chef de file de
l’Union pour la République et la Démocratie (URD). Comme IBK, il a cheminé un moment avec
l’ADEMA.
Dramane Dembélé, 46 ans, est le candidat de l’ADEMA (Alliance pour la Démocratie au Mali), le plus
grand parti du pays. Ingénieur des mines et proche de Dioncounda Traoré, il n’a pas une grande
expérience politique.
Tiébilé Dramé, 58 ans, a été chercheur à Amnesty International. Ministère des affaires étrangères sous
le gouvernement de transition de 1991-1992, il a été en sa qualité d’émissaire de Bamako l’un des
artisans de l’accord de Ouagadougou de juin 2013 - accord entre l’État malien et le MNLA. Leader du
Parena (Parti pour la Renaissance Nationale), il avait récolté 4% des suffrages lors de la présidentielle
de 2002 puis 3% des suffrages cinq ans plus tard. Apparemment, il a le « projet révolutionnaire » de
13
http://www.rfi.fr/afrique/20130710-presidentielle-mali-dioncounda-traore-appelle-candidats-fair-play
14
http://www.romandie.com/news/n/_ALERTE___Presidentielle_au_Mali_meme_si_l_election_est_imparfaite_les_resultats_doivent_etre_respectes_7815
0720131139.asp?
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http://www.slateafrique.com/299293/mali-presidentielle-campagne-dominee-mastodontes
http://www.france24.com/fr/20130702-mali-presidentielle-juillet-2013-poids-lourds-nouveaux-venus-candidats-36
« Gloire historique : IBK sur les traces de Winston Churchill » : http://maliactu.net/gloire-historique-ibk-sur-les-traces-de-winston-churchill/
5
supprimer l’élection présidentielle, une institution très coûteuse, en vue d’utiliser les fonds ainsi
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économisés pour « construire en 5 ans plus de lycées qu’il y en a eu depuis l’indépendance » .
Cheikh Modibo Diarra, 61 ans, astrophysicien de réputation internationale. Il est nommé directeur de
Microsoft Afrique en 2006. Ancien premier ministre de la transition avant sa démission forcée
provoquée par la junte militaire en décembre 2012, ce citoyen américain est marié à la fille de l’ancien
« dictateur » Moussa Traoré.
Soumana Sacko, 63 ans, a été ministre des Finances dans les années 1980 puis premier ministre
durant le gouvernement de transition de 1991 à 1992. C’est un fidèle du président Amadou Toumani, à
l’instar de Modibo Sidibé, 60 ans, secrétaire général de la Présidence (2002-2007) puis premier
ministre (2007-2011).
Haïdara Aïchata Cissé, 54 ans, seul candidat de sexe féminin pour cette présidentielle. Élue députée
en 2007, à Bourem (Gao), Chato, pour reprendre une appellation affectueuse de ses proches, est
connue pour son activisme syndical dans le domaine du transport aérien. Faute d’avoir pu être investie
par le Parti pour le développement économique et social (PDES), lequel regroupe d’anciens partisans
de ATT, elle concourt à l’élection présidentielle comme indépendante.
Dr Oumar Mariko, 54 ans, leader du SADI (Solidarité Africaine pour la Démocratie et l’Indépendance)
fait partie des artisans de l’avènement de la démocratie malienne dans les années 90. C’est le seul
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candidat de « l’extrême gauche souverainiste malienne » . Élu député en 2007, il est arrivé quatrième
lors de la présidentielle de 2007 avec 2,7% des suffrages.
Enjeux
Cette élection présidentielle aura pour principal enjeu la paix : retrouver l’intégrité territoriale du Mali
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et retourner à une certaine « normalité » constitutionnelle . En l’état actuel, c’est tout ce que les
Maliens peuvent raisonnablement espérer de la part du président qui sera élu. Malgré les promesses
des différents candidats, le développement économique, la lutte contre la corruption, la satisfaction de
la demande sociale, le renforcement de la démocratie, etc. attendront. Il y a à cela deux raisons au
moins.
Tout d’abord, dans la théorie libérale, théorie qui fonde la pratique et l’idéologie de la « démocratie
représentative », le but recherché à travers le mécanisme de la représentation n’a jamais été de
concourir à la poursuite d’un Bien commun ou de rendre les citoyens ordinaires plus prospères. Loin
de là. Le principe originel et fondateur du système représentatif est et a toujours été la quête du
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http://www.bbc.co.uk/afrique/region/2013/07/130714_malicampaign.shtml
http://www.slateafrique.com/299293/mali-presidentielle-campagne-dominee-mastodontes
http://www.jolpress.com/mali-election-presidentielle-candidats-francis-simonis-article-820633.html
6
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« moindre mal » : la paix et la paix uniquement, c’est-à-dire tout sauf la guerre civile idéologique . Au
Mali, le « moindre mal », c’est le retour à une situation de paix : pas de dictature (autre que celle du
capital), pas de coup d’État, pas de Charia, pas de rébellion. Pour reprendre les termes de Jean-Yves Le
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Drian, le ministre français de la Défense, il s’agit pour le Mali de « retrouver une légitimité » ,
« légitimité » sans laquelle l’aide financière promise par la « communauté internationale » ne pourra se
matérialiser.
Ensuite, d’un point de vue pratique, l’outil électoral en l’état actuel, loin de servir à exprimer les
préférences des peuples, participe avant tout de la reproduction du système oligarchique en place,
système qui a besoin de temps à autre d’organiser une rotation compétitive en son sein. Les peuples
africains ont bien compris cela : la démocratie a été « phagocytée » par la ploutocratie depuis belle
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lurette, le reste n’est qu’illusion . C’est pourquoi ils refusent souvent de servir de « bétail électoral »,
pour reprendre une expression attribuée à la militante altermondialiste et anti-impérialiste malienne
Aminata Traoré.
Les faibles taux de participation aux élections dérivent moins de l’ignorance ou de l’analphabétisme
des peuples que du fait qu’ils se disent qu’ils ne peuvent rien attendre de substantiel de leur
participation électorale. Pour reprendre les résultats du sondage cité plus haut, « les deux tiers des
enquêtés expliquent la faible participation des populations aux élections par le manque de crédibilité
des candidats et leur conviction que leur vote n’a pas d’effet sur l’amélioration de leur conditions de
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vie » . C’est la même opinion qu’exprime un éditorialiste malien : la campagne électorale, c’est avant
tout « le temps des promesses mirifiques ». Mais, souligne-t-il,
« …la musique est archi-connue des électeurs et le disque complètement rayé. Sur eux, la
magie n’opère plus depuis belle lurette. On raconte même qu’après avoir retiré leurs cartes
NINA nombreux sont les électeurs qui confient, volontiers, ne plus savoir pour qui voter, tant
les politiques les ont déçu par le passé. Cependant, malgré tout ce qui est arrivé à notre pays,
en grande partie par la faute de son élite politique, s’abstenir de voter ne sera pas la meilleure
attitude à avoir. Ici, il faut plutôt appliquer la formule de la solution du moindre mal, en
choisissant le candidat ou la candidate présentant le moins d’inconvénients possibles. Car
refuser d’exercer son droit de vote équivaudra à offrir sur un plateau d’argent la possibilité au
premier opportuniste venu de jouer à votre place en donnant le pouvoir à n’importe quel
aventurier. Et prendre ainsi l’avenir du pays en otage. »25
La perspective du « moindre mal » a de beaux jours au Mali car ce n’est sans doute pas le prochain
scrutin présidentiel qui apportera la rupture espérée des Maliens. Ces derniers s’acheminent vers une
nouvelle « transition démocratique » guidée par la France et porteuse de nombreuses incertitudes.
21
Voir Pierre Manent, Histoire intellectuelle du libéralisme, Fayard/Pluriel, 2012 ; Jean-Claude Michéa, L’empire du moindre mal. Essai sur la
civilisation libérale, Champs Flammarion, 2010.
22
http://www.operationspaix.net/35493-details-actualite-mali-les-elections-permettront-de-retrouver-une-legitimite-.html
23
http://maliactu.net/maliens-et-elections-quand-la-ploutocratie-phagocyte-la-democratie/
24
25
Friedrich Ehbert Stiftung, « Mali - Mètre Enquête d’opinion ‘Que pensent les Maliens’ ? », 13 – 20 février 2013, Bamako.
« Présidentielle 2013 : Pour quel candidat voter? », http://maliactu.net/presidentielle-2013-pour-quel-candidat-voter/
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