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Le Monde Vétérinaire
Blandine Declercq, Bernard Bouvy et Anne-Laure Etienne
Un diverticule
sous-arachnoïdien thoracique
chez un Bouledogue français
Le diverticule sous-arachnoïdien, anciennement nommé kyste sous-arachnoïdien, est une
accumulation de liquide céphalorachidien dans l’espace sous-arachnoïdien qui comprime la
moelle épinière, le plus souvent dorsalement.
INTRODUCTION
En fonction de sa localisation, ce type
de diverticule entraîne des symptômes
neurologiques tels que de la parésie
d’un ou plusieurs membres, de l’ataxie,
de l’hypermétrie et plus ou moins de
l’incontinence fécale et urinaire.
C’est une pathologie rarement
rencontrée en médecine vétérinaire
qui peut être confondue avec d’autres
étiologies. En effet, les signes nerveux
associés à la présence d’un diverticule
sous-arachnoïdien peuvent faire
suspecter, entres autres, une hernie
discale ou une instabilité/malformation
vertébrale. L’appel à l’imagerie avec
contraste (myélographie, myéloscanner) voire l’IRM s’avère nécessaire
afin d’obtenir un diagnostic définitif,
le diverticule présentant une image
caractéristique « en goutte » localisée
dorsalement à la moelle épinière.
Le traitement est chirurgical et vise
à décomprimer la moelle, de façon
durable.
CAS CLINIQUE
urinaire est suspectée. Il ne semble pas
douloureux. Son appétit et sa prise de
boisson sont conservés.
Examen clinique
L’examen général est dans les normes.
Examen neurologique
L’animal apparaît paraparétique
ambulatoire de type motoneurone
central (MNC). En effet, un déficit
proprioceptif complet est remarquable
aux 2 membres postérieurs et les
réflexes panniculaires et de retrait sont
présents.Une atrophie de la cuisse
gauche est également constatée.
la vertèbre thoracique 11(T11) jusqu’à
mi-corps de la vertèbre thoracique 12
(T12) créant une sévère compression
médullaire (elle occupe environ
80% du canal vertébral) (Figures 1
et 2). Plusieurs protrusions discales
ne comprimant pas la moelle ont
été également notées. Plusieurs
malformations vertébrales thoraciques
compatibles avec la race de l’animal ont
été également observées (Figure 2).
Diagnostic et plan thérapeutique
Un diagnostic de diverticule sousarachnoïdien dorsal en T11-T12 a donc
Diagnostic différentiel
A partir de ces informations, nous avons
inclus dans notre diagnostic différentiel
diverses pathologies, à savoir une
malformation vertébrale congénitale,
une instabilité vertébrale, un diverticule
sous-arachnoïdien et une hernie discale,
notamment.
Scanner
Anamnèse
Un Bouledogue français mâle de 5 ans
est présenté à la Clinique Vétérinaire
Universitaire pour faiblesse progressive
des membres postérieurs depuis
2 mois. Il défèque souvent tout en
marchant et urine assis au lieu de lever
la patte. Une incontinence fécale et
Afin d’établir un diagnostic, un scanner
et un myéloscanner de la colonne
vertébrale thoraco-lombaire ont étés
réalisés. Ces examens ont permis
de mettre en évidence une dilatation
focale, allongée, en forme de goutte,
de l’espace sous-arachnoïdien dorsal
en regard du tiers crânial du corps de
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Figure 1 : Image transversale reformatée de myéloscanner de la
11ième vertèbre thoracique
du Bouledogue français,
montrant la compression
médullaire causée par la
dilatation focale de l’espace
sous-arachnoïdien dorsal(*).
Dorsal vers le haut,
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été posé grâce aux images du scanner/
myéloscanner.
Un traitement chirurgical a été ensuite
proposé et a été accepté par les
propriétaires.
Traitement chirurgical et
anesthésie
au niveau du tissu médullaire exposé.
La fermeture de la plaie est effectuée
en trois plans : une suture du fascia
musculaire à l’aide de points simples, un
surjet simple au niveau du sous-cutané
et un surjet intradermique, le tout au
moyen de monocryl 3-0.
Post-opératoire immédiat
Le bouledogue est placé en décubitus
ventral et une tonte dorsale est réalisée
au niveau des vertèbres thoraciques et
lombaires.
L’anesthésie consiste en une prémédication à base de méthadone IV
(0.3 mg/kg) et de midazolam IV (0.3 mg/
kg). Le chien a été induit par du propofol
IV (3 mg/kg) et intubé via une sonde
de taille 6. La suite de l’anesthésie
s’est déroulée sous gazeuse à l’aide
d’isoflurane. Les paramètres vitaux et la
gestion de la douleur ont été monitorés
et une infusion de FLK (fentanyl 3 µg/kg,
lidocaïne 1 mg/kg et kétamine 1 mg/kg)
à 3ml/kg/h a été mise en place.
De la céfalexine (20 mg/kg) a été
administrée en début de chirurgie.
Une laminectomie dorsale est effectuée
au niveau des vertèbres thoraciques 11,
12 et 13 afin d’exposer la dure-mère. La
dure-mère est moins souple au niveau
de la région supposée du diverticule.
Une durectomie dorsale de 3 mm de
large sur 2 cm de long est faite au
niveau des vertèbres thoraciques 11 et
12. Une quantité importante de liquide
céphalorachidien est ainsi libérée.
L’espace du diverticule en tant que
tel n’est pas visualisé, la moelle ayant
repris sa place aussitôt. La dure-mère
est adhérente à la moelle au niveau de
la vertèbre thoracique 11. Un Gelfoam
® est placé pour favoriser l’hémostase
Le chien s’est réveillé sans difficulté
et a reçu de la prednisolone à dose
anti-inflammatoire (0,5 mg/kg 1
fois par jour en sous-cutané), de la
céfalexine (20mg/kg 3 fois par jour en
intraveineuse) comme antibiotique et de
la méthadone (0.2 mg/kg 6 fois par jour
en intraveineuse) comme analgésie. Le
lendemain de la chirurgie, l’animal est
resté ambulatoire mais s’est légèrement
dégradé.
Lors des premières 24 heures, le
patient a présenté des vomissements
et un état d’abattement léger. Du
riopan (1/2 sachet 2 fois par jour) et de
l’oméprazole (1 mg/kg une fois par jour
en intraveineuse) ont donc été rajoutés
au traitement et prescrits pour 10 jours.
48 h après l’intervention, l’état
neurologique post-opératoire redevient
identique à celui pré-opératoire et
le patient a pu rentrer chez lui sous
oméprazole, riopan et prednisolone (5
jours).
Un repos strict a été imposé durant 4
semaines afin d’éviter toute dégradation
de l’état de l’animal.
malgré une légère ataxie un peu plus
prononcée au membre postérieur
gauche. Un retard proprioceptif est
présent sur ce dernier.
Un second contrôle est réalisé 5
mois après la chirurgie et une nette
amélioration de l’état neurologique du
chien a pu être constatée : l’examen
à distance n’a rien révélé de flagrant
au niveau de la démarche et l’examen
neurologique est dans les normes
(plus de retard, ni déficit proprioceptifs
objectifs).
Nous pouvons donc conclure que le
traitement chirurgical a permis d’obtenir
un très bon résultat clinique, à ce stade
de suivi.
Discussion
Le diverticule sous-arachnoïdien est une
pathologie rare de compression de la
moelle épinière.
Il consiste en l’accumulation focale
de liquide céphalorachidien (LCR), le
plus souvent dorsale, dans l’espace
sous-arachnoïdien. Le diverticule sousarachnoïdien a longtemps porté le nom
de kyste. Mais, cette accumulation de
LCR n’est pas entourée par des cellules
épithéliales et est simplement délimitée
par l’arachnoïde et la pie-mère (Skeen et
al., 2003).
Le terme de cavitation ou de diverticule
arachnoïdien apparaît donc plus
approprié pour décrire cette dilatation
de l’espace sous-arachnoïdien (Flegel et
al., 2013).
Suivi post-opératoire
Le patient est contrôlé 1 mois plus tard
et présente une bonne récupération
de la démarche : elle est correcte
Les diverticules sous-arachnoïdiens
sont classifiés en 3 catégories en
médecine humaine : les diverticules
de catégories I et II sont extraduraux
Figure 2 : Image sagittale reformatée du myéloscanner de la colonne thoraco-lombaire du Bouledogue montrant la zone de
transition ( ) entre l’espace sous-arachnoïdien dorsal normal et sa partie dilatée. Notez les anomalies vertébrales
propres à la race.
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et sont principalement décrits chez
l’homme et non rapportés en médecine
vétérinaire. La catégorie III concerne
les diverticules intraduraux et semblent
correspondre à ceux décrits chez le
chien (Skeen et al., 2003).
L’étiologie reste encore sombre. La cause
congénitale est la plus souvent citée
lorsque le diverticule apparaît chez des
chiots. Si le diverticule apparaît chez un
chien adulte, comme ce fut le cas ici, on
soupçonne une cause traumatique primaire favorisant la formation du diverticule
(Skeen et al., 2003). Toutefois les commémoratifs du cas décrit ici ne comportait
pas d’élément probant de ce type.
En ce qui concerne la physiopathologie,
différentes hypothèses sont émises.
Parmi celles-ci, la présence d’une valve
unidirectionnelle présente à l’entrée
crâniale de la lésion provoquerait une
accumulation de LCR par un flux entrant
rapide et un flux sortant lent (Bentley et
al., 1991). Une autre hypothèse suggère
que le diverticule sous-arachnoïdien se
forme suite à des séquelles de traumas
sur les méninges. Le développement
d’adhérences au niveau de l’arachnoïde
entrainerait l’apparition de turbulence du
flux de LCR et, ainsi, son accumulation
(Gnirs et al., 2003).
La localisation des diverticules diffère
en fonction de la taille du chien. Pour les
chiens de petite race, les diverticules
sont le plus souvent localisés en région
thoracique caudale (T13 - L1) et, pour
les chiens de grande race, en région
cervicale (C2 - C3). Les Rottweilers,
les carlins et les Bouledogues français
feraient partie des races prédisposées,
50 % de ces derniers présentant des
pathologies concomitantes telles qu’une
malformation ou instabilité vertébrale.
Par ailleurs, les mâles sont également
plus souvent atteints que les femelles,
une influence hormonale pourrait donc
favoriser la formation de diverticule
(Mauler et al., 2014).
Notre cas, de par son signalement,
répond aux critères des prédispositions.
Lorsque les diverticules sont
cervicaux, les signes cliniques sont une
tétraparésie et une ataxie caractérisées
par une démarche hypermétrique des
membres thoraciques. Il est rare que
de la cervicalgie et de l’incontinence
urinaire et fécale soient présentes. Si
les diverticules sont thoraciques, une
ataxie hypermétrique et une parésie
MNC des postérieurs sont observées.
La présence d’incontinence urinaire
et fécale est fréquente (Skeen et al.,
2003). L’ataxie hypermétrique s’explique
par une compression dorsale des
voies proprioceptives ascendantes
et des voies spino-cérébelleuses
et l’incontinence fécale par une
compression des voies sensorielles de
défécation (Mauler et al., 2014).
Dans les deux cas de figure, les signes
cliniques apparaissent progressivement
et dépendent du degré de compression
de la moelle exercée par le diverticule
(Skeen et al., 2003). Notre cas
correspond bien à ces descriptions.
Pour diagnostiquer cette pathologie, une
résonance magnétique ou des radiographies voire un scanner accompagné
d’une injection sous-arachnoïdienne de
contraste iodé, non ionique est nécessaire. L’image caractéristique sur une
myélographie ou un myéloscanner d’un
diverticule sous-arachnoïdien est une accumulation focale de contraste en forme
de goutte qui comprime la moelle épinière
généralement dorsalement, évoquant un
élargissement de l’espace sous-arachnoïdien (Schwarz and Saunders, 2011). Le
myéloscanner s’est avéré univoquement
diagnostique, dans notre cas.
Le traitement chirurgical a pour but
de décomprimer la moelle en libérant
l’accumulation de LCR. Pour ce faire,
une (hémi)laminectomie des vertèbres
concernées sera réalisée afin de
visualiser la moelle épinière entourée
de sa dure-mère. Une fenestration
de la dure-mère est effectuée afin de
mettre à nu la moelle et la dure-mère
devra idéalement être marsupialisée ou
largement réséquée pour éviter qu’un
nouveau diverticule ne se forme. Le
contenu du diverticule est ainsi évacué
(Skeen et al, 2003). Notre intervention
a correspondu à ces préceptes et
s’est déroulée sans complications, à
l’exception du caractère délicat des
adhérences entre moelle et dure-mère.
Enfin, le pronostic dépend de la mise en
place d’un traitement. Si la pathologie
n’est pas traitée, il est très probable
que l’atteinte neurologique s’aggrave
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et persiste. Tandis que si le diverticule
est réséqué, les animaux présentent
en général une amélioration de l’état
neurologique dans les quatre semaines
qui suivent l’opération. Cependant, dans
20 % des cas traités, une récidive peut
se manifester 14 à 16 mois après le
traitement (Flegel et al., 2013).
Notre Bouledogue a évolué
favorablement, jusqu’à 5 mois de suivi
mais ceci ne présage pas de l’évolution
à long terme. D’autant moins que, si
nous n’avons pas détecté de parésie ou
déficits récidivants, le maître du chien
s’interrogeait sur la résurgence subtile
d’ataxie visible à ses yeux depuis peu
ou au moment du dernier contrôle. Nous
avons prévu un scanner de contrôle
dans les trois mois si ses impressions
se confirment.
CONCLUSION
Le diverticule sous-arachnoïdien est
une pathologie rarement rencontrée en
médecine vétérinaire.
Les signes nerveux qui peuvent
interpeller les vétérinaires généralistes
sont ceux liés à une compression de la
moelle épinière, avec pour particularité
une apparition progressive d’une
parésie d’un ou de plusieurs membres.
Le diagnostic définitif est obtenu
grâce au myéloscanner, notamment.
Le traitement chirurgical chez notre
Bouledogue français a permis d’obtenir
un état neurologique apparemment
normal à 5 mois de suivi.
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