logan

Transcription

logan
’
Lors de l’ouverture
du Salon de l’Auto à
Paris,
fin
septembre
2004,
le
patron
de
RENAULT,
LOUIS
SCHWEITZER, crée la
sensation en annonçant
que la LOGAN, fabriquée
en Roumanie où elle est
commercialisée depuis le
16
septembre,
sera
également vendue en
Europe
occidentale
l’année prochaine.
La LOGAN, « la voiture à 5000€ » sera mise sur le marché français à 7500 €, à la
fois à cause des coûts de distribution supérieurs et d'un équipement de base un peu plus
riche - sans doute l'ABS et la direction assistée seront-ils ajoutés. Elle arrivera en France
en juin 2005 et en Belgique dans les semaines qui suivent, commercialisée sous la
marque roumaine DACIA, avec la mention «by RENAULT »…
Il s'agit d'un virage à 180°. Au départ conçu pour les pays émergents, le modèle
vient d'être lancé en Roumanie, où il est produit dans les usines DACIA, propriété du
constructeur français, en attendant la Russie et l'Iran. RENAULT ne songeait nullement la
vendre dans nos pays mais le constructeur a changé ses plans après la présentation de la
voiture en juin, de nombreux clients français ayant manifesté leur intérêt. Il s'agit d'une
voiture de conception moderne, suffisante pour 5 adultes mais équipée frugalement. Elle
n'aura aucun concurrent à ce tarif.
Ce faisant, le constructeur français prend soin ainsi de désamorcer par avance les
éventuels trafics suscités autour de la LOGAN , jusque là connue sous son nom de code
X90 ; laquelle aurait fort bien pu un jour finir par se retrouver sur le sol national en vertu
de la libre circulation des produits dans l’espace européen.
Avec à la clé, pourquoi pas, le lancement d’un nouveau segment, à l’image des
monospaces d’il y a vingt ans.
1
UN PARI INDUSTRIEL
Une voiture à 5 000 euros
TTC pour les pays émergents: tel
était le pari lancé par RENAULT en
1998 avec le projet X90. Il prend
aujourd’hui les traits d’une voiture
moderne et répondant à l’ensemble
des normes européennes en
matière de sécurité, de dépollution
et de recyclage. Robuste et fiable,
avec
peu
d'informatique
embarquée,
elle
pourra être
réparée simplement. Conçue pour
démarrer par grand froid sans
problème, elle dispose d'une garde au sol rehaussée afin de lui permettre de rouler sur
des réseaux routiers dégradés. RENAULT mentionne que les marchés auquel est
destinée la LOGAN sont soumis à des climats parfois extrêmes, que la voiture devra
supporter des conditions d'utilisation sévères, et d'être irrégulièrement entretenue. En bref
une bonne caisse bien solide et vendue à bas prix.
Longue de 4,25 m et large de 1,735 m, LOGAN offre cinq vraies places. La
première version commercialisée en Roumanie est proposée en deux motorisations
essence (1,4l et 1,6l). Une version diesel sera disponible en 2005 et une version au gaz
naturel en 2006. Dotée d’un coffre généreux (510 litres), elle devrait répondre en matière
de fiabilité et de robustesse aux exigences d’une clientèle qui conserve son véhicule
acheté neuf durant au moins cinq à six ans (en parcourant en moyenne 20 000 Km par
an), voire plus de huit ans dans certains pays. La mécanique, la climatisation et les
ouvrants de LOGAN ont été conçus pour rouler confortablement et sans risque là où
habituellement la poussière dérange et provoque des dégâts.
Louis Schweitzer a insisté sur la modernité de la voiture, notant que c’était bien là
l’impression qui ressortait des premiers tests menés auprès des futurs clients de la
LOGAN dans les pays en voie de développement. « C’est une voiture moderne avec des
composants modernes, ce n’est pas une Lada, pas du tout », a-t-il ajouté.
Mais comment RENAULT a-t-il réussi là où d’autres comme Citroën, avec l’Oltcit –
développée sur une base de Visa –, lancée en 1976 et rebaptisée Axel en France, ou Fiat
avec la Palio, commercialisée en 1996, ont échoué? En révisant complètement la façon
de concevoir et de fabriquer une automobile.
La LOGAN est une véritable performance. Pour parvenir à concevoir un véhicule
qui puisse être vendu au prix plancher de 5000 € dans les pays en transition, le
constructeur a dû recourir au design to cost : une technique qui permet de maîtriser au
maximum les coûts de production. Ainsi, le design est sommaire, les composants utilisés
étaient déjà en stock et le recrutement en interne des compétences a été exploité à plein
grâce aux filiales de RENAULT. Un design to cost ne signifie cependant pas designer low
cost. La marque au losange a en effet fait appel au père des lignes de la Mercedes SLK. Il
2
fallait un homme de talent pour allier les contraintes imposées par les moyens réduits et
l’exigence esthétique.
Le développement de la LOGAN a été fait en France, au Technocentre RENAULT
de Guyancourt avec, dès le premier coup de crayon, un objectif économique. Le design a
dû jouer avec des vitres latérales verticales, des blocs optiques au dessin simplifié, une
planche de bord d’une seule pièce, des pièces de tôle sans arêtes vives pour limiter les
coûts d’emboutissage… « Nous avons fait du vrai design, fonctionnel, économique, pas
du style, mais avec toujours la volonté de faire beau, explique Patrick Le Quément,
directeur du design industriel. Nous avons travaillé en permanence avec les techniciens
pour simplifier, éliminer, fusionner des pièces entre elles. »
La réalisation de la voiture a reposé sur la recherche systématique de solutions
simples. La carrosserie emploie des aciers classiques. Les canalisations de freins sont
protégées par les longerons, sans pièces rapportées… La quête d’économie a été jusqu’à
concevoir des rétroviseurs et des baguettes de protection se montant indifféremment à
droite et à gauche du véhicule.
Autre outil de réduction des coûts: l’utilisation d’un maximum d’éléments communs
à d’autres véhicules. La LOGAN reprend la plate-forme B de l’Alliance RENAULTNISSAN. Le module de chauffage est celui qui équipera la Modus. Les fonctions
électroniques viennent de la Twingo et de la Clio. La voiture reçoit aussi des moteurs, les
trains avant, la direction, et jusqu’aux poignées de portes, volant et commodos de
l’actuelle Clio. Autant de pièces largement rentabilisées.
Les économies ont aussi porté sur les outils de conception. La LOGAN a ainsi
constitué un programme pilote pour l’utilisation de simulations numériques, avec 20
millions d’euros d’économies à la clé. « Cela nous a permis de nous passer des premières
vagues de prototypes en tôle nécessitant un outillage spécifique et cher. Nous avons
utilisé du prototypage rapide en plastique, et les premiers prototypes en tôle ont été
réalisés à partir des outillages définitifs », explique Jean-Marie Hurtiger, le directeur du
projet.
Pour l’assemblage de la LOGAN, RENAULT a choisi d’utiliser des processus « à
haute intensité de main-d’œuvre ». Traduction: l’usine roumaine de Pitesti, où va débuter
la fabrication de la LOGAN, compte un minimum d’automatismes – l’atelier de tôlerie
compte un seul robot –, et pour cause: le salaire horaire des ouvriers est environ dix fois
inférieur à ceux pratiqués en Europe occidentale. Un atout d’autant plus important que
l’usine DACIA et les fournisseurs installés sur le site produisent et usinent un nombre très
important de pièces.
Quant à l’outil industriel, datant de 1968 et resté dans son jus jusqu’au rachat de
DACIA par RENAULT en 1999, il a été remis à niveau aux forceps, en reconditionnant les
installations existantes ou en recyclant des outillages d’autres usines du groupe. Pour
Louis Schweitzer, l’équation est claire: « L’objectif de prix n’avait pas de sens sans une
base de production compétitive. » Et RENAULT n’a pas hésité à investir près de 500
millions d’euros dans l’usine DACIA de Pitesti.
Au total, RENAULT a investi 1,2 milliard d’euros dans ce véhicule et dans les sites
de production qui, à terme, devraient être répartis dans six pays : la Roumanie, la Russie,
l’Iran, la Colombie, le Maroc et vraisemblablement la Chine. Sur ce montant, près de 500
millions ont été investis dans la modernisation du site de DACIA. Quelque 230 millions
d’euros ont été investis dans une unité de production à Moscou en vue de produire, dans
un premier temps, 60.000 véhicules. Au Maroc, RENAULT a investi 22 millions d’euros
pour une capacité de 30.000 unités par an. En Colombie, il va investir 16 millions d’euros
3
pour une capacité de production de 44.000 voitures et en Iran, 300 millions d’euros seront
investis pour une capacité de 300.000 véhicules.
Depuis 1998 RENAULT avait lancé l'étude d'une auto familiale à bas prix. Début
99 RENAULT rachète le site de production complètement dépassé mais compétitif :
DACIA, inauguré à l'époque de Nicolae Ceausescu, en 1968. Par exemple: un ouvrier
d'une cinquantaine d'années avec 17 ans d'ancienneté touche 150 euros par mois, soit un
revenu 16 fois plus bas qu'un employé de RENAULT- France. Il y a 17 ans les allées de
l'usine étaient en terre battue, les bâtiments en mauvais état et les accidents de travail
pratiquement quotidiens.
DACIA compte 12.800 employés, le plus gros effectif d'une usine RENAULT; alors
que la marque au losange à Palencia, en Espagne, dispose de 4.000 employés et 3.000
robots. A Pitesti, beaucoup d'ouvriers parlent français et près de 400 d'entre eux ont reçu
une formation en France, pour pouvoir mettre la LOGAN sur les rails. Une trentaine de
cadres français ont pour leur part été dépêchés en Roumanie afin de transmettre leur
savoir-faire aux ouvriers roumains. Plus de 14.000 personnes ont été licenciées depuis
1999 lorsque RENAULT a repris DACIA pour 50 millions d'euros, mais « grâce aux
mesures d'accompagnement, leur départ n'a pas provoqué de tensions sociales », a
expliqué Simon Valin directeur de DACIA « Ce qui frappe chez les ouvriers roumains,
c'est leur capacité d'adaptation », a-t-il ajouté, en soulignant que pour la première fois les
employés n'étaient plus contraints à « utiliser le marteau, comme ils le faisaient pour
l'ancienne DACIA Touti, une version de la R12, dont la fabrication va cesser en fin de
cette année ».
Selon lui, environ un million d'heures de travail ont été nécessaires pour que les
ouvriers roumains puissent sortir le nouveau modèle. « Même si la LOGAN sera par la
suite fabriquée dans d'autres pays, comme la Russie ou la Colombie, les usines de Pitesti
seront toujours la base mondiale de ce modèle. C'est ici qu'on va prendre les décisions
importantes et fabriquer des pièces pour d'autres pays », a-t-il assuré.
4
UN PARI ÉCONOMIQUE
En Europe de l’Ouest, le secteur automobile continue d’être affecté par des
capacités de production excédentaires, une demande faible et l’émergence de nouveaux
concurrents à l’Est. Les ventes de voitures neuves ne devraient progresser cette année
que de 2 %, selon les prévisions des constructeurs. « Prendre des parts de marché en
Europe est incroyablement difficile », se lamente Fritz Henderson, le président de General
Motors (GM) Europe. Sous la poussée des constructeurs asiatiques, qui ont gagné 1,2
point de parts de marché depuis le début de l'année, la plupart des marques européennes
et américaines souffrent.
Ainsi, en Allemagne, en juillet dernier, la direction de DaimlerChrysler, fabriquant
de Mercedes, a arraché au syndicat IG Metall un accord sur un plan de réduction des
coûts contre l’engagement de maintenir les emplois dans le pays jusqu’en 2012. Selon la
direction, l’enjeu portait bien sur la capacité de l’Allemagne, troisième constructeur
mondial, à demeurer un « lieu de production ». Sa marque phare, Mercedes, s'est fait
doubler au premier semestre par sa rivale BMW. Smart marque le pas. Le patron de la
marque, Andreas Renschler, a annoncé, mercredi 22 septembre, que l'objectif de 170 000
ventes en 2004 ne serait pas atteint, tablant plutôt sur 160 000 unités. Volkswagen, où les
négociations avec les syndicats ont démarré le15 septembre, veut, à son tour, réduire les
coûts de 30% d’ici 2011. En cas d’échec, la direction brandit la menace de 30 000
suppression d’emplois. Les coûts de production élevés de la nouvelle Golf et ses débuts
difficiles pèsent sur les résultats du groupe. Général Motors va devoir réduire ses
capacités en Europe. Trois mille emplois pourraient être supprimés. Le groupe américain,
qui vend en Europe les marques Opel, Saab et Vauxhall, a perdu près de 2 milliards de
dollars (1,63 milliard d'euros) de ce côté de l'Atlantique durant les quatre dernières
années. Ford n'est pas totalement sorti d'affaire. Grâce au succès de son petit
monospace C-Max, le constructeur américain commence à regagner des parts de marché
en Europe, mais il perd toujours de l'argent. Ford a décidé de restructurer son pôle de
luxe, qui regroupe notamment les marques Volvo, Lard Rover et Jaguar. Cette dernière
vient d'annoncer la fermeture de son usine historique de Coventry. Il n'y a guère que
l'allemand BMW pour damer le pion aux constructeurs français en termes de bonne santé.
Le groupe bavarois poursuit son impressionnante offensive de produits avec la présentation à Paris de sa nouvelle Série 1.
En France, qui se voit disputer la place de quatrième constructeur mondial par la
Chine, la conjoncture est plus favorable pour PSA PEUGEOT CITRÖEN et pour
RENAULT, après des années de restructurations douloureuses. (On se souvient de la
fermeture de l’usine RENAULT de Vilvorde en Belgique, en 1997). Les deux groupes ont
annoncé leur intention d’embaucher dans l’Hexagone. Dans ce contexte morose, les
constructeurs français tirent plutôt bien leur épingle du jeu. RENAULT et PSA PEUGEOTCITROËN sont les deux constructeurs généralistes européens les plus rentables. « Les
Français ont mieux géré la réduction du temps de travail que leurs concurrents », estime
Xavier Mosquet, associé au Boston Consulting Group. PSA comme Renault commencent
à toucher les dividendes de l'annualisation du temps de travail négociée dans le cadre des
35 heures, qui leur offre plus de flexibilité pour s'adapter aux soubresauts de la
conjoncture. « Si les constructeurs français s'en sortent mieux, c'est aussi parce qu'ils se
5
sont positionnés sur des niches de marché qui se sont transformées en véritable segment
», souligne Rémy Cornubert, spécialiste de l'automobile chez Mercer Management
Consulting. Leur internationalisation réussie les a menés à produire partout dans le
monde, mais à maintenir en France conception, recherche et design.
PSA a ainsi limité les dégâts ces derniers mois, alors que sa gamme était
vieillissante. Un passage à vide qui va prendre fin avec la présentation au Mondial de
plusieurs nouveautés. Chez Peugeot, on mise ainsi sur la 1007, une petite voiture urbaine
dotée d'une porte coulissante.
PEUGEOT mise surtout sur les marchés de l’Est : il a inauguré en 2003 à Trnava
près de Bratislava l’usine où sera construite la future 207. De cette usine sortira un tiers
de la production automobile de la petite Slovaquie (5 millions d’habitants), qu’on appelle
déjà « le nouveau Detroit européen » : elle atteindra le plus fort taux de production de
voitures par habitant au monde.
Mais PEUGEOT s’est aussi associé à TOYOTA pour développer, dans une usine
construite en Tchéquie à Kolin-Ovcàry à 65 Km de Prague, une petite voiture à moins de
8000€. Elle doit répondre au besoin du marché européen de seconde, voire de troisième
voiture pour un rapport qualité-prix exceptionnel, en mariant les compétences de
PEUGEOT pour la définition du produit et la connaissance du marché et le savoir-faire
TOYOTA pour l’industrialisation à bas coût. On prévoit une production de 300 000
véhicules à l’horizon 2007. Sur trois, l’un sera un TOYOTA, l’autre le PEUGEOT 107 et le
troisième le CITROEN C1, qui se différencieront par leur face avant. Les petits moteurs
essence seront TOYOTA, les diesels PEUGEOT. Pratiquement toutes les machines
viennent du Japon et ont même été testées là-bas avant d’être embarquées. L’usine
emploiera 3000 personnes (en 3 postes, pratique importée par PEUGEOT de ses usines
françaises) pour 300 000 voitures, soit presque 1500 de moins que la moyenne.
A l'heure où les modèles rivalisent d'options, RENAULT croit avoir flairé un marché
pour une voiture au confort rudimentaire. Initialement RENAULT voulait faire le coup de la
Ford T dans les pays à l'économie émergente. En 1908, le constructeur américain avait
vendu 15 millions de son modèle mythique en produisant pour la première fois une voiture
au prix abordable pour les ouvriers qui la construisaient. Vendue à 5000 euros depuis
septembre, RENAULT espère que sa voiture, produite en
Roumanie par sa filiale DACIA, rencontrera le même
succès dans les anciens pays de l'Est, du Maghreb et du
Moyen-Orient mais aussi en Iran et en Colombie, où elles
seront bientôt produites. Voire en Chine. La LOGAN sera
vendue dans les pays d'Europe centrale, en Turquie, au
Maghreb et au Moyen Orient sous la marque DACIA.
La LOGAN constitue une étape clef dans l’objectif de RENAULT de vendre quatre
millions de véhicules d’ici 2010. Le constructeur en a commercialisé 2,4 millions l’an
dernier, dont un tiers en dehors d’Europe occidentale. « Nous nous sommes rendu
compte qu’atteindre notre objectif n’était possible que par une vigoureuse expansion à
l’international, l’Europe occidentale ne pouvant pas nous offrir les perspectives de
développement que nous voulions », a souligné Louis Schweitzer.
6
UN PARI COMMERCIAL
« Avec LOGAN, l'aspect prix a été essentiel, nous avons créé un véritable nouveau
modèle pour les nouveaux marchés automobiles. LOGAN n'est pas un produit ouesteuropéen qu'on aurait adapté pour d'autres marchés; c'est une voiture directement
conçue pour ses marchés cibles. »
« Cela sera une expérience intéressante parce qu'au fond il n'y a pas de
précédents. C'est une innovation absolue : pas au sens haute technologie, mais en terme
d'idée, c'est une innovation sur le marché automobile », a expliqué Louis Schweitzer qui a
reconnu ne pas vraiment savoir quelle serait la clientèle pour ce modèle. Plus grande
qu'une Twingo et même qu'une Mégane, la LOGAN n'en offre pas le confort. Le patron
français imagine que sa voiture intéressera des gens qui auraient opté pour une occasion,
ou des gens qui veulent une seconde voiture dans leur maison de campagne. « Nous
n'attendons pas des ventes massives en France et en Europe occidentale », a-t-il
toutefois reconnu. « Le fait est que les berlines tricorps ne se vendent pas beaucoup en
Europe occidentale. Mais en même temps, avec une idée nouvelle, un concept nouveau,
il y a toujours des choses imprévues », a encore déclaré Louis Schweitzer. François
Hinfray, directeur commercial du groupe, a observé à cet égard que les versions
ultérieures de la LOGAN (en break et en fourgonnette) pourraient se révéler plus
adaptées au marché ouest-européen que la berline présentée actuellement.
D'autres constructeurs se sont déjà aventurés - ou vont s'aventurer - dans le
créneau des voitures à bas prix. Fiat l'a fait avec un succès mitigé dans les années 1990.
Sa Palio que la firme italienne comptait vendre à plus d'un million d'exemplaires n'a pas
dépassé les 500 000 unités écoulées. Ford et GM, avec qui RENAULT compte désormais
rivaliser, réfléchissent aussi à des modèles de voitures populaires. sans compter la voiture
à 8000 euros annoncée par PSA en collaboration avec Toyota et construite en
République Tchèque.
La vente de la LOGAN en Europe de l'Ouest, peut permettre à RENAULT de
reconquérir une clientèle qui n'a pas les moyens d'acheter de voiture neuve, mais risque
aussi de concurrencer ses propres petits modèles, selon les analystes.
« C'est un pari commercial, qui vise sans doute à récupérer une partie du marché
de l'occasion et une clientèle seulement en quête d'un moyen de transport. Car toute une
partie de la population, notamment les jeunes et les ménages modestes, est exclue
actuellement du marché des voitures neuves », considère Yannick Lung, directeur du
Groupe d'études et de recherches permanent sur l'industrie et les salariés de l'automobile
(Gerpisa). Il se vend deux à trois fois plus de voitures d'occasion que de neuves en
France, soit environ 5 millions cette année, contre 2 millions de neuves. « Elle risque
néanmoins de poser des problèmes à ses concessionnaires pour vendre leurs voitures
d'occasion », prévient cet économiste.
Avec cette berline robuste et basique dotée d'un grand coffre, RENAULT fournit
certes une voiture plus grande que ses petits modèles, susceptible de séduire les actuels
acheteurs de petites voitures asiatiques, mais « il risque surtout de concurrencer ses
propres modèles d'entrée de gamme (...) comme la Modus, la Clio et la Twingo »,
rétorque un analyste parisien. Le mini-monospace Modus est commercialisé depuis
7
début septembre. Les nouvelles Clio et Twingo le seront respectivement en 2005 et 2006.
« Une partie de la clientèle de ces petites voitures préfèrera peut-être se tourner vers une
voiture plus spacieuse à 7.500 euros, estime l'analyste. Du coup, RENAULT pourrait
perdre en résultat par véhicule ce qu'il gagnerait en volume et en part de marché ».
M. Schweitzer estime que la LOGAN ne s'adresse pas exactement à la même
clientèle que les petits modèles, faisant valoir qu'elle est plus grande qu'une Twingo et
même qu'une Mégane. « Cela sera une expérience intéressante parce qu'au fond il n'y a
pas de précédents », selon le patron de RENAULT. Mais il n'attend pas de « ventes
massives » vu le faible succès des véhicules avec une malle arrière séparée. Et si
RENAULT échoue, comme ce fut le cas avec les voitures haut de gamme, le risque
financier reste limité, juge le directeur du Gerpisa. « L'enjeu stratégique reste de vendre
aux pays émergents », rappelle-t-il.
Quoi qu’il en soit, la LOGAN demeure en soi un pari osé. « Car l’idée
fondamentale, précise Philippe Barrier, analyste chez SG Securities, est bien de
permettre à toute une clientèle à faible pouvoir d’achat mais très demandeuse d’accéder
à sa première voiture neuve. Et de rompre ainsi avec le cycle des achats d’occasion de
modèles dépassés sinon largement usés ». D’où le seuil symbolique des 5 000 euros
pour la version d’entrée de gamme du fameux véhicule. Car, aussi curieux que cela
puisse paraître pour un modèle présenté comme le concept abouti de « voiture
mondiale», la LOGAN se déclinera en une multitude de versions, du break au pick-up,
intégrant telle ou telle option, de la direction assistée à la climatisation. En Roumanie, par
exemple, son partenaire DACIA lancera ainsi une ligne allant de 5 à 8000 euros. En
Russie, il faudra compter jusqu’à 10.000 euros. «La tactique de RENAULT s’avère subtile
en tant qu’elle joue sur deux registres : le prix en Roumanie et l'habitabilité en Russie. Du
reste, ce n’est pas un hasard si la marque au losange ira en propre dans ce pays ». Pour
autant, la LOGAN n’aura strictement rien à voir avec les Lada et autres
RENAULT 12/ DACIA. Montée sur la plate-forme de la future Clio, elle est finalement un
mix-technique surprenant entre l’ex-voiture vedette du groupe et son dernier mini-van,
Modus. Dotée d’un châssis robuste, sans fioriture dans l’habitacle, la LOGAN est censée
s’écouler à près de 700 000 unités d’ici à 2010, dont les deux tiers sous la marque
RENAULT, un tiers DACIA.
On peut se demander si, à l’origine, RENAULT n’avait pas décidé de fabriquer une
voiture au rabais pour se développer sur des marchés où l’automobile demeure encore un
luxe pour une grande partie des habitants. Mais les conséquences d’une mondialisation
dans laquelle RENAULT est entrée en scène en s’alliant notamment avec NISSAN font
que les exigences en matière de modernité et d’équipements pour l’achat d’une voiture
sont aujourd’hui aussi fortes en Roumanie ou en Russie qu’en France. Tout en se
contraignant à offrir un prix extrêmement compétitif, LOGAN se devait donc d’être
moderne. Outre des prestations dynamiques et une sécurité aux standards européens,
cette voiture présente des atouts qu’on aimerait bien retrouver sur d’autres véhicules,
comme une grande habitabilité et une robustesse à toute épreuve conçue pour les routes
et les climats les plus difficiles.
Si la LOGAN de base offre un équipement minimum, les versions proposées à
8000 euros auront peu de chose à envier aux derniers modèles à succès du segment en
Europe occidentale (RENAULT Mégane, Peugeot 307, VW Golf…), vendus près du
double de prix. Une parenté suffisamment frappante pour se poser la question de la
commercialisation de la LOGAN en France dans sa version berline quatre portes, mais
aussi dans ses déclinaisons à venir (fourgonnette et break sept places). Curieusement,
8
RENAULT tente de minimiser l'impact de sa décision en indiquant ne pas « attendre de
ventes massives », puisque « ce type de véhicules » ne se vend pas très bien en ce
moment. Pourtant, RENAULT identifie les véhicules concurrents : « Fiat Panda, Seat
Cordoba, Skoda Fabia Sedan, Daewoo Kalos, Hyundai Accent, Kia Rio Sedan... » Autant
de véhicules parfaitement connus en France, qui composent un segment pesant : 38 %
du marché français !
La décision de RENAULT s'inscrit aussi dans une tendance à l'hypersegmentation
du marché automobile, qui pousse les constructeurs à chercher des niches sur lesquelles
dégager des micro-bénéfices. Fort d’être parvenu à réaliser un OVNI automobile, bon
marché sans être une voiture au rabais, RENAULT a la ferme intention d’en tirer le
maximum de bénéfice, quitte à revoir sa stratégie de départ qui était de réserver la
LOGAN aux seuls pays émergents.
« Notre ambition est que le chiffre de 700.000 soit considéré comme un chiffre
conservateur », a déclaré Louis Schweitzer, président du constructeur automobile
français, lors de la présentation de ce nouveau modèle à la presse.
JEAN-PAUL BUDILLON 2004. Réalisé par compilation de textes : Guillaume Evin, Philippe Lacroix, Gilles Dobbelaere,
Paul Burel, Claude Baïotti, Pierre Agudo ; AFP, REUTERS, service presse RENAULT, Le Monde, Libération,
L’Humanité, Web Car Center, Auto-Innovation.com, Russie.net. Toute diffusion et utilisation réservés.
9
RENAULT ET PSA : LA MONDIALISATION HEUREUSE
par Paul BUREL.
Au moment où certains de leurs concurrents donnent des signes de faiblesse - Volkswagen, Ford,
Opel -, PSA Peugeot-Citroën et Renault tiennent même le haut du pavé au hit-parade des
meilleurs compétiteurs mondiaux. Comme par ailleurs, dans leur spécialité, un certain nombre de
groupes français, Air France et Accor, Carrefour et EDF, Lafarge et Saint-Gobain... Ne soyons pas
toujours masos et fatalistes. Nous avons des graines de champions du monde.
Ni fatalité du déclin ni miracle de la réussite. Si les constructeurs automobiles tricolores gagnent,
aujourd'hui, des parts de marché, de l'argent et... des emplois, c'est qu'ils s'en sont donné les
moyens. Qu'ils ont trouvé les bons leviers, les bonnes clés de la croissance durable. Quatre sont
majeures.
- La clé « produit » est centrale. Fiat l'a expérimenté, un ou deux modèles boudés par le public
peuvent provoquer le tête-à-queue d'une marque : perte des ventes et perte d'image entretenant
la spirale du déclin. En inventant, il y a vingt ans, dans l'incrédulité, le monospace à la prolifique
descendance et, aujourd'hui, la Logan, la voiture pas chère à l'ancienne, Renault illustre bien une
créativité française durable.
- Innovation sans saine gestion n'est pas raison. Renault a su désamorcer un modèle social,
national et coûteux, Peugeot-Citroën en créer un de toutes pièces, depuis l'arrivée de Jean-Martin
Foltz aux commandes. Ils ont ouvert la voie d'un accord gagnant-gagnant, conciliant gains de
productivité et gains sociaux, aussi nécessaires les uns que les autres. Mais, en substance, si les
deux constructeurs nationaux n'avaient eu le courage de trancher dans les effectifs au temps des
vaches maigres - dans les années 80 et au début des années 90 -, ils auraient, à coup sûr, connu
le crash. Ils seraient probablement passés sous la coupe de groupes étrangers. Filialisés,
dévalorisés, marginalisés.
- Bonne gestion, soit, encore faut-il alimenter le moteur de l'ambition pour avancer. Les trois
marques ont compris que le repliement franco-français n'était plus de mise sur un marché ouvert
au grand large. Que l'internationalisation était le passage obligé de l'avenir, la Chine et le Brésil
les nouvelles bastides à conquérir. Ça fait quinze ans que Citroën a posé ses premiers jalons
dans l'empire du Milieu, là où tout le monde débarque aujourd'hui.
- Ultime clé, celle des alliances. Malgré des options opposées, les deux grands constructeurs ont
su sceller des partenariats apparemment solides et bénéfiques. Renault dans le registre d'un
mariage inédit et culotté avec le japonais Nissan. PSA en pratiquant l'union libre des coopérations
techniques démultipliées : moteurs avec Ford et BMW, véhicules avec Toyota et Fiat.
Les succès restent nécessairement provisoires et fragiles pour des marques françaises encore
absentes du principal marché mondial, les États-Unis. Et qui patinent dans le haut de gamme, le
segment le plus rentable.
Il n'empêche qu'au moment où l'on fantasme beaucoup sur les délocalisations, ces exemples de
mondialisation « heureuse » sont plutôt les bienvenus dans un pays où le secteur automobile sous-traitants compris - fait pratiquement travailler un salarié français sur dix.
10
Renault joue la berline à bas prix, PSA la petite voiture mieux équipée.
A une époque où les études sur les attentes des consommateurs modèlent les stratégies
industrielles, voilà un propos surprenant: le lancement de la Logan en France est «une
décision instinctive qui n'a été précédée d'aucune étude sur le marché français». Dans
une interview au Journal du dimanche, hier, Louis Schweitzer, le PDG de Renault, dit tirer
les conséquences du «succès du lancement» de cette voiture à bas coûts en Roumanie
et confirme son lancement en Europe de l'Ouest, «dans une version de base mieux
équipée. D'abord en Allemagne et en France en juin Puis dans tous les pays de l'Union».
Petite taille.
Un tel modèle a-t-il une chance sur le marché français? Le concurrent Peugeot n'y croit
pas et préfère miser sur des modèles plus onéreux et mieux équipés. Un différend
industriel qui rappelle la querelle entre Airbus et Boeing sur la viabilité de l'avion géant
A380, un type d'appareil auquel le constructeur américain ne croit pas.
«En matière de voiture à bas prix, il y a deux approches, résumait samedi JeanMartin
Folz, le PDG de PSA Peugeot-Citroën sur Radio Classique. Soit on veut qu'elle ne soit
pas chère, c'est un marché qui existe, c'est celui de la voiture d'occasion. Soit on veut une
voiture avec un style attractif, qui ait de vraies prestations.» Et de vanter «ce choix que
nous avons fait», avec «la Citroën Cl et la Peugeot l07que nous présenterons en février».
Folz aurait pu ajouter que, pour Peugeot, la voiture à bas prix est de petite taille. La 107
sera certes «moins chère» que la 106, mais ne dépassera pas 3,50 m. Elle s'annonce
comme une nouvelle petite voiture, tandis que la Logan est une berline familiale de
4,26m.
A l'Est.
Préparée en coopération avec Toyota, la 107 sera dotée de tous les éléments de sécurité
(airbags, ABS, direction assistée), a précisé samedi sur RTL le directeur des produits et
marchés de PSA, Bruno de Guibert. Si Renault peaufine comme il l'entend sa Logan pour
l'Europe de l'Ouest, les deux constructeurs pourraient se rejoindre dans leur approche.
Pour l'heure, chacun campe sur sa définition de la voiture pas chère. Et semble reléguer
au second plan un point commun essentiel: le recours aux pays d'Europe de l'Est pour la
fabrication. Tandis que la Logan est produite par Dacia, la filiale roumaine de Renault,
l'accord entre PSAPeugeot-Citroén et Toyota, annoncé en 2002, s'était traduit par la
construction d'une usine commune en République tchèque.
11
TROIS QUESTIONS A ... PAUL
YONNET
1
En tant que sociologue, comment expliquez-vous que la Logan, qui était
initialement destinée aux marchés émergents, puisse être commercialisée dans
les pays occidentaux?
Cette voiture correspond à une tendance qui monte en puissance dans les pays
développés, celle du refus du luxe ostentatoire. Une partie de la population est en rupture
avec la demande fantasmatique qui consiste à acheter quelque chose plus en fonction de
l'image projetée sur les autres que pour l'objet lui-même. Ces comportements de
rationalisation de la dépense expliquent, d'une certaine façon, la montée du hard discount
face aux grandes surfaces traditionnelles.
Dans l'automobile, nous sommes aux antipodes du phénomène 4 x 4, véhicule
suréquipé, complètement disproportionné par rapport à l'usage qu'on en fait. On tourne la
page de certains comportements adolescents qui idolâtrent les marques ou le paraître.
2
Selon vous, certains clients passent donc à l'âge adulte...
Les gens commencent à comprendre qu'on tente de leur faire acheter des choses
dont ils n'ont pas fondamentalement besoin. Des études ont montré que 80% des
propriétaires de magnétoscopes utilisaient leur appareil en tant que lecteur, mais qu'ils ne
se servaient jamais de la fonction enregistrement. Par ailleurs, certains acheteurs de
voiture se disent qu'il n'est peut-être pas normal de continuer à payer un véhicule un prix
important alors que, quelle que soit la marque, ils ne sont pas à l'abri d'une panne.
Dans ce contexte, la Logan constitue une petite révolution : promettre une fiabilité
honorable à un prix défiant toute concurrence peut constituer une offre attractive. A terme,
cette voiture peut très bien devenir un phénomène de mode, une façon de se distinguer
de l'offre automobile traditionnelle. Un peu comme lors de la chute des régimes
communistes, et qu'il était dans le vent de porter une montre de l'armée rouge.
impact peut avoir le lancement de la Logan sur le marché automobile ?
3 Quel
Ce qui est étonnant, c'est que personne n'y ait pensé avant. On croirait presque que
cela faisait l'objet d'intérêts bien compris entre concurrents. L'apparition de la Logan va
certainement obliger les constructeurs à restructurer leurs gammes. Des petites voitures
économiques vont se retrouver disqualifiées dans le rapport prix/prestations, ce qui
devrait faire évoluer l'offre de bas de gamme. La Logan va également contribuer à
segmenter encore un peu plus le marché, en créant un nouveau créneau sans en
supprimer d'autres, ce qui va compliquer encore un peu plus la tâche des industriels.
Propos recueillis par Stéphane Lauer / Le Monde
12
LE POIDS DU BARIL, LE CHOC DE LA LOGAN
UNE VOITURE à 5 000 euros ; un baril à 50 dollars. Tels sont les deux termes de
l'équation économique complexe que va devoir résoudre l'industrie automobile au cours des
prochaines années.
En annonçant, quelques jours avant l'ouverture du Mondial de l'automobile de Paris, que la
Logan - la voiture à bas prix fabriquée par Renault chez Dacia, en Roumanie, à destination des
pays émergents - serait finalement vendue aussi à l'Ouest, Louis Schweitzer, le PDG de Renault,
a, mine de rien, sifflé la fin d'une époque. Celle du « toujours plus ».
Toujours plus d'équipements, d'accessoires, apportant certes plus de confort et de sécurité, mais
aussi toujours plus de poids et de prix pour les automobiles. Avec la Logan à 7 500 euros - en
attendant celle à 5 000 euros, dont Renault aura du mal à empêcher les importations parallèles à
travers l'Europe des Vingt-Cinq -, le client occidental va, paradoxalement, en avoir pour son
argent...
La Logan lui offrira les prestations d'une Mégane un peu rustique pour le prix d'une
Twingo. Il y a probablement un public pour ce type de véhicule dans les pays riches. Celui qui fit
naguère le succès de Lada... Sauf qu'aujourd'hui Renault - ou plutôt, «Dacia by Renault » - ne leur
vendra pas une voiture des années 1960 ou 1970, mais une auto au goût du jour, seulement plus
dépouillée que la moyenne.
A l'Est ou en Asie, le pari n'est pas gagné d'avance. Dans ces régions, les acheteurs
solvables de voitures veulent du standard - et du standing - occidental.
Ils pourraient tordre le nez devant cette Dacia, même « made by Renault ». C'est pourquoi l'avenir
de la Logan, quoi qu'on dise à Boulogne-Billancourt, se jouera tout autant à l'Ouest qu'à l'Est.
Malgré leurs railleries initiales, les concurrents vont suivre à la loupe les premiers pas du nouveau
bébé de Renault. S'il se met à marcher plus vite que prévu, on peut déjà parier sur l'éclosion d'une
nouvelle gamme de voitures « premier prix », voire d'une multiplication des modèles d'entrée de
gamme à tous les niveaux, sur les marchés développés. En attendant une baisse généralisée du
prix des automobiles, qui prendra sans doute plus de temps.
Reste à savoir jusqu'où le consommateur occidental est prêt à payer en nature ce qu'il ne
veut plus payer en numéraire. Autrement dit, jusqu'où il est prêt à déshabiller sa voiture pour la
payer moins cher. Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Quand le coût d'utilisation explose, le
consommateur cherche fatalement à se rattraper sur le coût d'acquisition.
L'automobile n'échappera sans doute pas au phénomène qui a touché d'autres grandes
familles de produits techniques. Ainsi, dans l'informatique, l'utilisateur dépense toujours plus
d'argent en communications, téléchargements, logiciels ou services en tout genre, mais il rechigne
de plus en plus à payer cher pour la machine elle-même. Or, à 50 dollars le baril de pétrole, le
principal coût d'utilisation d'une voiture, sa consommation de carburant, risque de devenir
prohibitif.
Le pétrole brut vaut aujourd'hui très exactement le double du prix « idéal » fixé par l'Opep
elle-même - et accepté par les pays consonunateurs - en 2000, soit 25 dollars. Certes, les cours
ne resteront sans doute pas à 50 dollars, ils connaîtront probablement quelques décrochages, de
ci, de là, au gré de la conjoncture économique mondiale, des aléas de tel ou tel pays producteur
ou du manque de discipline des membres de l'OPEP.
UNE ÈRE IRRÉVERSIBLE
Mais, compte tenu du recensement désormais quasi complet des réserves existantes ou
probables d'or noir, il y a de fortes chances que le brut oscille plutôt, dans les prochaines années,
entre 30 et 50 dollars qu'entre 10 et 30 dollars comme il le fit au cours de la décennie 1990.
La civilisation industrielle est entrée dans une ère irréversible d'énergie chère, dont elle ne
sortira à long terme que de deux façons : soit par un effondrement général, façon empire romain -
13
c'est la thèse de Jeremy Rifkin dans son livre “L'Economie hydrogène” (La Découverte, 2002) -,
soit par le haut, en changeant radicalement de source d'énergie primaire. Nucléaire, hydrogène,
énergies naturelles et renouvelables (solaire, éolienne...) seront appelés à se substituer aux
hydrocarbures.
En attendant ces jours nouveaux, le pétrole est encore là pour « un certain temps », c'està-dire pour deux, trois ou quatre décennies, au-delà desquelles son extinction, sinon totale du
moins comme source d'énergie de masse, sera consommée. La perspective visible d'une pénurie,
pour un produit aussi indispensable, est inévitablement source d'une flambée des prix, surtout
lorsque la demande ne cesse de croître. Or, avec l'envol économique de la Chine et de l'Inde - la
moitié de la population du globe à elles deux - la consomnnation d'énergie n'a pas fini
d'augmenter, et les prix avec.
Ainsi, au-delà des facteurs conjoncturels ou géopolitiques qui expliquent l'actuel maintien à
un haut niveau des cours du brut - Irak, OPEP, affaire Ioukos, terronsnie... - le renchérissenent
structurel du pétrole semble inéluctable à long terme.
L'automobile est évidemment en première ligne, elle qui est incapable de se passer du
pétrole, malgré tous les efforts de communication déployés par Merceries, PSA ou Toyota pour
vanter, qui les vertus de la pile à combustible, qui le succès de la voiture hybride, qui l'avenir des
carburants végétaux (les visiteurs du Mondial sauront de quoi l'on parle).
Avec le prix du carburant va inexorablement augmenter le coût d'utilisation des voitures.
Un coût déjà alourdi par l'amoncellement d'équipements toujours plus sophistiqués, qui rendent
prohibitifs les coûts d'entretien et ceux des pannes, obligeant les automobilistes à souscrire des
assistances, assurances et autres garanties supplémentaires, payantes naturellement.
Une étude récente, commandée à l'IFOP par Europ Assistance, vient de montrer que
quatre Français sur cinq sous-estiment largement le coût annuel de leur voiture, qui représente
pourtant leur troisième poste de dépenses après le logement et l'alimentation. Les dépenses
moyennes annuelles s'élèvent à 4 536 euros pour une voiture à essence et à 7 324 euros pour
une diesel, d'après le «Budget de l'automobiliste 2003», établi par la Fédération française des
automobile-clubs. Or, selon le sondage en question, seulement 21 % des personnes interrogées
estinnent leurs dépenses dans la bonne fourchette.
PRENDRE LE TEMPS DE CALCULER
Le jour où l'automobiliste prendra le temps de calculer ce que lui coûte vraiment sa voiture,
les marques pourront commencer à trembler - et à baisser leurs prix. Sans prôner le retour au bon
vieux carburateur réglable « à l'oreille » et à la tête de Delco que l'on nettoyait d'un coup de
chiffon, la Logan apporte de l'eau au moulin de ceux qui prédisent que la perpétuelle
augmentation des prix des voitures, au nom de leur enrichissenient technologique, ne pourra pas
durer.
Ce n'est pas l'incident récent - réel ou fantasmé sur une Renault Vel Satis dont le moteur
se serait emballé tout seul sur une autoroute, qui va les démentir.
Pascal Galinier Le Monde - 9/10/04
14