LA SANCTION EN MATIERE ADMINISTRATIVE DANS LE DROIT

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LA SANCTION EN MATIERE ADMINISTRATIVE DANS LE DROIT
LA SANCTION EN MATIERE ADMINISTRATIVE
DANS LE DROIT FRANÇAIS
Rapport présenté par
M. M. ROUGEVIN - BAVILLE
Maître des requêtes au Conseil d'Etat
de France
L'action de l'Administration se traduit juridiquement à l'égard des administrés,
soit par l'élaboration de normes réglementaires, soit par des décisions unilatérales
exécutoires par elles-mêmes (privilège dit "du préalable"), soit par des activités matérielles, telles que la réalisation de travaux publics ou d'ouvrages publics. Dans
tous les cas, cette action implique pour les administrés certaines obligations : ils
seront tenus, soit de faire quelque chose (payer l'impôt, répondre à l'appel au service armé), soit de ne pas faire quelque chose (ne pas vendre au-dessus du prix taxé,
ne pas construire saris autorisation), soit au moins de laisser faire l'Administration
(laisser les agents du service pénétrer sur leur terrain en cas d'occupation temporaire).
Le propre de toute obligation juridique est d'être sanctionnée. Il va donc de soi
que l'Administration doit disposer de moyens de contraindre les administrés à observer la conduite qui est attendue d'eux. Ces moyens de contrainte peuvent être
de deux catégories : l'Administration peut d'abord utiliser directement la force
pour obtenir le résultat souhaité, dès qu'elle se heurte à une résistance : c'est l'exécution forcée des décisions administratives. Elle peut aussi se contenter de réagir
a posteriori en infligeant au récalcitrant une pénalité, ou en provoquant l'intervention d'une pénalité : c'est le procédé de la sanction. Il a pour objet à la fois de réprimer une infraction passée, mais aussi et surtout d'exercer un effet de dissuasion
sur les contrevenants potentiels.
Le présent rapport laissera de côté la question de l'exécution forcée. On se contentera de noter qu'elle n'est possible que dans trois cas :
— lorsqu'elle est prévue par un texte de valeur législative, ce qui va de soi (1) (par
exemple, pour le recouvrement des impôts, l'exécution des réquisitions militaires,
etc.) ;
— lorsqu'elle est justifiée par l'urgence, ou par les "circonstances exceptionnelles" ;
ces deux notions étant interprétées de façon très restrictive par la jurisprudence.
L'urgence n'est notamment admise qu'en cas de "péril imminent pour la sécurité,
la salubrité ou le bon ordre" (2) : les circonstances exceptionnelles s'entendent
d'événements tels que l'invasion du territoire, la guerre civile ou, localement, un cataclysme ou une épidémie de caractère catastrophique ;
— lorsqu'il n'existe pas d'autre moyen pour l'Administration d'obtenir l'exécution
de sa décision, ce qui signifie qu'il n'existe pas de sanction pénale, administrative
ou autre.
Le troisième cas, défini par une jurisprudence ancienne de soixante-dix ans (3) montre bien la liaison qui existe entre l'exécution forcée et la sanction : la décision de
l'Administration ne pouvant rester lettre morte, elle doit pouvoir utiliser la force si
elle ne dispose pas de la contrainte indirecte que constitue la sanction. Mais dans
un régime juridique qui se veut libéral, la sanction constitue le droit commun, et
l'exécution forcée l'exception ; nous aurons d'ailleurs à revenir sur cette idée que
le développement contemporain de la sanction en matière administrative n'est pas
nécessairement un témoignage de la dégradation des libertés publiques. Frappant
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le citoyen a posteriori,entourée de précautions procédurales, contrôlée par le juge,
c'est en soi un procédé plus respectueux de l'autonomie de la volonté ; tout dépend
évidemment de la nature des obligations dont elle assure le respect et des autorités
compétentes pour la prononcer ; en fin de compte, le dernier mot appartient à la
force publique, quand ce ne serait que pour assurer l'exécution matérielle de la sanction (saisie des biens de celui qui se refuse à payer l'amende, incarcération du condamné à la prison, fermeture effective du débit de boissons, etc.). Il y a d'ailleurs
des cas où l'exécution forcée coexiste avec un système de sanctions : par exemple,
le jeune homme "insoumis" sera amené au régiment entre deux gendarmes, et sera
poursuivi devant le Tribunal militaire ; le débiteur du fisc fera l'objet d'une exécution forcée (saisie, etc.) mais supportera aussi une amende.
Il reste que les obligations de caractère administratif ne sont pas les seules à être
sanctionnées : c'est le propre de toute obligation juridique. Pour traiter de la
"sanction en matière administrative", il est donc nécessaire de définir ce qu'il faut
entendre par "matière administrative". Il va de soi qu'elle exclut les relations entre particuliers (sanction des obligations de caractère civil ou commercial) : et nous
en profiterons pour exclure toute la matière des activités administratives entièrement soumises au droit privé (relations des services publics "à caractère industriel
ou commercial" avec leurs usagers, contrats de droit privé de l'Administration).
Elle exclut aussi la répression des crimes, délits et contraventions commis à l'encontre des particuliers : les peines infligées aux voleurs, escrocs ou assassins ne relèvent évidemment pas de la sanction "en matière administrative". Mais il existe
une zone intermédiaire où il est permis d'hésiter. Ainsi, la méconnaissance par un
médecin de ses obligations professionnelles ne pouvait donner lieu au XIXème
siècle qu'à la responsabilité civile ou pénale : elle entre aujourd'hui dans la sphère
administrative, puisque la loi a institué un régime de sanctions professionnelles infligées par des Conseils à l'activité desquels la jurisprudence reconnaît un caractère
de service public (4) et qui sont soumis au contrôle de la juridiction administrative
supérieure. De même, la sanction encourue par le commerçant qui vend une marchandise impropre à la consommation, ou dont l'origine est indiquée mensongèrement est une peine correctionnelle instituée avant tout pour la protection du consommateur privé ; comment cependant, ne pas y voir une sanction "en matière
administrative" quand on sait que les règles dont ces peines punissent la violation
sont entièrement définies par des règlements administratifs, et qu'il existe un service administratif spécialement chargé de les faire respecter (5) ?
On pourrait citer encore la répression qui frappe le conducteur d'une automobile,
auteur d'un accident ayant entraîné des dommages corporels, et bien d'autres exemples.
La sanction "en matière administrative" recouvre donc un domaine extrêmement
vaste, et l'on pourrait notamment y inclure, sans forcer les limites du sujet, une très
grande partie de ce que la doctrine juridique appelle "le droit pénal spécial".
Pour traiter des principaux problèmes posés sans donner à ce rapport des proportions démesurées, nous procéderons en allant du général au particulier. Dans un
premier temps, nous adopterons une conception extensive : nous considérerons
comme "sanctions en matière administrative" toutes celles qui ont été instituées
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pour assurer le respect des règles permettant le fonctionnement des services publics,
ou régissant des activités soumises par la loi, dans l'intérêt général, à la surveillance
de l'Administration. Mais nous n'examinerons, à ce niveau, que des problèmes généraux : apparition de la sanction administrative proprement dite à côté de la sanction
pénale, institution d'un régime répressif, combinaison de plusieurs systèmes de sanctions. Dans un second temps, nous laisserons de côté les sanctions pénales qui ne
relèvent pas (ou qui ne relèvent que très exceptionnellement, et par une survivance
juridique) de la juridiction administrative ; nous nous attacherons plus concrètement à la sanction administrative proprement dite : c'est-à-dire à celle qui est prononcée par l'Administration elle-même ou par un juge administratif, mais en dehors
de tout caractère pénal. Nous examinerons son régime juridique en droit français,
en partant pour l'essentiel de la jurisprudence du Conseil d'Etat.
A. PROBLEMES GENERAUX POSES PAR LA SANCTION EN MATIERE
ADMINISTRATIVE
1. De la sanction pénale à la sanction administrative proprement dite
a) Selon le Commissaire du Gouvernement ROMIEU (6), "le mode d'exécution habituel et normal des actes de la puissance publique e s t . . . la sanction pénale confiée
à la juridiction répressive". Les principes de la légalité des délits et des peines, de
l'interprétation restrictive et de la non-rétroactivité des lois pénales, le formalisme
de la procédure pénale, l'indépendance de la magistrature sont, en effet, autant de
garanties qui conduisent une société libérale à s'en tenir à cette catégorie de sanctions.
On a pu écrire, peut-être avec une certaine exagération, que les sanctions non pénales prononcées par l'Administration elle-même constituaient en droit français, avant
la seconde guerre mondiale, une sorte de "curiosité" juridique (7). Mis à part les ré
gimes disciplinaires applicables aux agents de l'Etat et des collectivités publiques (civils, militaires et même magistrats, sous réserve des garanties constitutionnelles de
ces derniers), on ne pouvait guère citer, en effet, que des exemples assez marginaux
par rapport à la société française : le régime dit de 1' "indigénat" dans les colonies ;
ou encore la police de la prostitution. Le citoyen français qui n'était ni fonctionnaire ni femme galante échappait en principe à tout régime de sanctions non pénales.
b) Cette situation s'est brutalement renversée dès l'été de 1940. On assiste alors à
une véritable floraison de régimes répressifs purement administratifs. Le caractère
autoritaire du Gouvernement de Vichy explique en partie cette tendance, mais c'est
surtout la nécessité où s'est trouvé ce Gouvernement de contrôler étroitement l'ensemble de la vie économique et sociale de la nation. C'est l'époque du "ravitaillement" et de la "répartition des produits industriels" ; chaque nouvelle législation
hâtivement mise en place comporte son cortège de sanctions allant de l'amende
administrative au retrait de la carte d'agrément sans laquelle toute activité commerciale est interdite, voire à la confiscation. Tous les secteurs : agriculture, industrie,
commerce, services, sont plus ou moins dotés de mécanismes de ce genre : les textes,
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nombreux et enchevêtrés, défient l'analyse. Le pouvoir législatif appartenait alors
aux bureaux qui s'en donnaient à coeur joie ; les doubles emplois, les contradic-
tions foisonnent.
La Libération n'entraîna pas immédiatement un renversement de tendance. Les régimes répressifs existants furent pour la plupart maintenus, voire perfectionnés
(ordonnances du 30 juin 1945 sur les prix et la répression des infractions économiques) ; d'autres furent institués pour répondre à des problèmes nouveaux, nés de
la guerre. C'est tout le contentieux de "l'épuration" dans la fonction publique,
mais aussi dans les services publics, les professions réglementées et certaines entreprises privées ; c'est la confiscation des profits illicites nés de la guerre, ce sont les
difficultés du ravitaillement qui se prolongent.
Survient ensuite un mouvement de repli, au fur et à mesure de la reconstruction de
l'économie et du retour vers une société de type libéral. Beaucoup de législations
de la période de guerre furent expressément abrogées ou modifiées : c'est ainsi qu'
en matière de prix, la répression est redevenue exclusivement pénale depuis la loi
du 28 novembre 1955, modifiant l'ordonnance précitée du 30 juin 1945. Plus curieusement, d'autres législations ont cessé d'être appliquées en fait, sans qu'aucune
mesure d'abrogation soit intervenue. C'est ainsi que lorsque le Gouvernement a
voulu réglementer sur des bases nouvelles en 1971, le commerce des fleurs et plantes aromatiques, on s'est avisé qu'une loi du 16 juillet 1941 permettait aux dirigeants
du "Groupement interprofessionnel" qu'elle créait, de prendre à l'encontre des professionnels récalcitrants des sanctions extrêmement rigoureuses ; mais le Groupement était en sommeil et aucune sanction n'était intervenue depuis de nombreuses
années. Les tables du "Recueil Lebon" sont un témoignage de cette évolution : la
rubrique "répression des infractions à la législation économique" représente 70 pages dans les Tables vicennales 1935 - 1954 (plus de 400 décisions y sont citées, la
plupart intervenues entre 1942 et 1950). Elle ne comporte plus que quelques numéros dans les tables des années récentes, lorsqu'elle n'a pas disparu.
Malgré ce recul de la sanction administrative depuis les années 1950, l'héritage de
la période de la guerre et de l'après-guerre reste important :
— au point de vue quantitatif, de nombreux régimes de sanction apparus à cette époque sont encore en vigueur et d'usage courant. Nous en tenterons une classification
dans la seconde partie de ce rapport.
— au point de vue de la doctrine et de la jurisprudence, qui ont dû approfondir la
notion de sanction administrative et élaborer un régime de droit pour le contrôle
de ces sanctions ;
— au point de vue de la pratique administrative enfin, l'Administration connaît maintenant ce procédé qui a fait ses preuves. Si elle hésite à en demander l'institution
(ou à se servir de ceux qui existent) en période normale, elle pensera à y recourir en
cas de crise : c'est ainsi que pendant la durée de la guerre d'Algérie, et notamment
en 1961, lorsque le Président de la République a eu recours à l'article 16 de la Constitution, l'Administration a reçu des pouvoirs répressifs étendus.
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c) Le passage de la sanction pénale à la sanction administrative n'est pas seulement
une question de conjoncture ni de régime politique ou économique. Si une partie
importante de l'arsenal répressif de 1940 - 1948 est restée en place, si la France est
aujourd'hui dotée d'un ensemble impressionnant de sanctions administratives —et
elle n'est pas le seul pays dans ce cas, comme le montre le choix de ce sujet pour le
présent colloque— c'est que ce mode de répression correspond à des besoins de
l'Administration moderne.
(1) Nous citerons en premier lieu l'insuffisance des sanctions pénales, qui ne sont
plus toujours adaptées aux nécessités administratives. Souvent trop lourdes, à tel
point que l'Administration hésite à les provoquer et le juge à les prononcer, elles
sont parfois trop légères : dans le domaine économique où l'on a affaire à de puissants promoteurs ou à de gros commerçants, il va de soi que l'amende pénale, souvent accompagnée du sursis pour les délinquants "primaires", n'a guère d'effet dissuasif. La fermeture de l'établissement ou l'interdiction d'exercer l'activité sont
autrement plus efficaces. Sans doute pourraient-elles être prononcées par le juge pénal, à titre de condamnation accessoire : mais on rencontre ici d'autres insuffisances
réelles ou prétendues, mais en tout cas ressenties comme telles, de la répression judiciaire. On a le sentiment qu'elle est lente, surtout lorsque de gros intérêts sont en
jeu, et qu'une instruction complexe doit précéder la mise au rôle, instruction que
des avocats habiles parviennent à ralentir et à parsemer d'embûches. Tout ce que
nous signalions il y a un instant comme de précieuses garanties pour les citoyens
apparaît pour le fonctionnaire comme autant d'obstacles qui privent la répression
de tout effet dissuasif. Le principe de la légalité des incriminations ("nullum crimen
sine lege") paraît souvent incompatible avec le caractère multiforme et imprévisible
de la délinquance, en matière économique ou en matière professionnelle notamment;
l'interprétation restrictive du droit pénal ("poenalia sunt restringenda"), le principe
selon lequel le doute profite toujours à l'accusé, risquent de laisser échapper des
coupables patents, ce qui ne va pas sans démoraliser l'Administration et faire naître
de nouvelles vocations de fraudeurs.
Nous pensons,pour notre part, qu'une utilisation plus systématique des possibilités
offertes par la loi pénale existante, surtout si elle s'accompagnait d'un effort de rapidité et de simplification de la part de l'autorité judiciaire, et principalement des Parquets, permettrait de limiter très largement le recours à la sanction administrative.
Mais le fait est que les fonctionnaires ressentent la Justice pénale comme une machini lourde à mettre en marche, lente à sévir, et dont le "rendement" est aléatoire.
Leurs voeux s'orientent tout naturellement vers un système de sanctions beaucoup
plus souple, plus rapide, et qui soit entre leurs mains ou entre celles des organismes
placés sous leur contrôle.
(2) Nous abordons ici une seconde série de besoins, qui concerne spécialement le
domaine professionnel. Il est de plus en plus courant aujourd'hui, lorsqu'il apparaît
utile de soumettre les membres d'une profession à une certaine discipline, de confier
le pouvoir répressif, sous le contrôle de l'Administration ou du juge, à des organismes
représentatifs de la profession elle-même. La solution est ancienne pour les auxiliaires de la Justice, elle a été progressivement étendue à toutes les professions dites
"libérales". A l'Ordre des médecins, sont venus s'ajouter les Ordres des chirurgiens262
dentistes, des pharmaciens, des sages-femmes, des vétérinaires et des experts-comptables ; et il ne se passe pas d'année que d'autres professions ne réclament une législation de ce genre (8). Les secteurs agricole, industriel et commercial avaient suivi, pendant la période où l'économie était étroitement dirigée ; les "comités d'organisation"
et autres organes interprofessionnels, recevaient le plus souvent, avec le pouvoir de
prendre des décisions individuelles ou réglementaires s'imposant à leurs ressortissants,
celui de les assortir de pénalités variées, en vertu d'un pouvoir propre ou d'une délégation du Ministre. Si le procédé est en recul depuis le retour au libéralisme, il a
laissé une certaine nostalgie parmi les milieux professionnels, auxquels il arrive de le
ressusciter de manière privée ; la Commission technique des ententes et positions dominantes a dénoncé à plusieurs reprises, dans ces dernières années, des tentatives de
répartition du marché par un système de quotas sanctionnés par de véritables pénalités (9).
Il ne nous appartient pas d'apprécier si cette tendance correspond à une évolution démocratique (la moralisation de la profession par les intéressés eux-mêmes serait à la
limite une forme d'autogestion) ou, au contraire, à une réaction corporatiste. Il est
de fait qu'elle existe et qu'elle explique la création ou le maintien de toute une série
de systèmes répressifs.
(3) Dans un tout autre ordre d'idées, il convient de relever une évolution essentiellement
jurisprudentielle, qui conduit à reconnaître le caractère de sanctions à des mesures que
l'Administration a toujours eu la possibilité de prendre, mais qui relevaient autrefois d'un
pouvoir entièrement discrétionnaire. Il en est ainsi notamment, comme on le verra, en
matière de police administrative, et en matière domaniale ; dès lors que la mesure intervient principalement pour réprimer un manquement, et non pas pour remédier d'urgence à
un trouble à l'ordre public, ou pour la sauvegarde du domaine public, le juge la considérera comme une sanction. Cette jurisprudence est étroitement liée au principe des "droits de
la défense" que nous commenterons plus loin. Le principal intérêt qui s'attache, en effet,
à cette distinction qui n'est pas fondée sur la nature de l'acte mais sur ses motifs, et qui
n'est jamais aisée, est d'obliger l'Administration, lorsqu'elle agit pour des motifs disciplinaires, à respecter le minimum de garanties exigées par le juge en pareil cas. Le législateur a parfois suivi le mouvement : c'est ainsi que la suspension ou le retrait du permis de
conduire, autrefois simple mesure de sûreté d'origine purement réglementaire (comme le
permis de conduire lui-même) est devenue une sanction soumise à des conditions de fond
et de forme très précises.
C'est en songeant à cette évolution jurisprudentielle (10) que nous écrivions que l'extension des régimes de sanctions peut revêtir un esprit positif au regard de la protec-
tion des libertés publiques, puisqu'elle limite les pouvoirs de l'Administration et apporte aux administrés des garanties indiscutables, là où ils étaient livrés autrefois au
pouvoir discrétionnaire.
d) Il convient enfin de noter qu'entre les deux extrêmes que sont la peine prononcée par le juge répressif de droit commun et la sanction infligée par l'administrateur
actif, le droit français connaît plusieurs catégories intermédiaires, dont les unes sont
traditionnelles et d'autres correspondent à des besoins nouveaux :
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— Nous avons déjà évoqué le contentieux pénal confié aux juridictions administratives : il s'agit essentiellement de la répression des "contraventions de grande voirie",
c'est-à-dire des atteintes portées à l'intégrité de certaines parties du domaine public
(maritime, fluvial, ferroviaire, etc.). Il constitue une véritable survivance historique,
d'ailleurs limitée depuis que les réformes de 1926 ont attribué aux tribunaux judiciaire la protection du domaine public routier. Les tribunaux administratifs et le Conseil d'Etat y exercent une compétence de caractère authentiquement pénal.
— Il faut ensuite citer les amendes qui peuvent être infligées par la Cour des comptes
aux comptables publics, notamment lorsqu'ils ne produisent pas les justifications exigées par elle, ainsi qu'aux "comptables de fait" (11). Ont été assimilées à ces amendes, celles que prononce la Cour de discipline budgétaire (12) à l'encontre des ordonnateurs qui méconnaissent les règles d'engagement et d'ordonnancement des dépenses publiques. Ces amendes ont un caractère "sui generis" et ne relèvent ni du droit
pénal ni du droit disciplinaire (ce qui implique la coexistence possible de trois formes de répression pour les mêmes agissements).
— Il existe enfin un très grand nombre de sanctions qui sont prononcées par des organismes administratifs agissant en forme juridictionnelle, c'est-à-dire par des juridictions administratives spécialisées : il en est ainsi notamment des organes disciplinaires des ordres professionnels, des instances disciplinaires compétentes à l'égard des
membres de l'enseignement public, de la Commission de contrôle des banques, etc.
Si cette forme constitue pour les assujettis une garantie précieuse, ces sanctions qui
sont ainsi prononcées n'en ont pas moins un caractère administratif et sont tout à
fait comparables, par leur nature et par leurs motifs, à celles qui sont infligées par
l'Administration elle-même. C'est pourquoi nous les considérerons comme des
"sanctions administratives" et nous les étudierons plus en détail dans la seconde partie.
2. Problème de la compétence : quelle autorité a le pouvoir d'instituer un régime
de sanctions ?
On sait qu'avant la Constitution du 4 octobre 1958, la règle de droit était posée, à
titre initial par le législateur ; le pouvoir réglementaire ne pouvait intervenir que
sur le fondement d'une habilitation législative, mais cette habilitation pouvait être
extrêmement large, sous réserve des matières réservées à la loi "par la Constitution
et la tradition constitutionnelle républicaine", au nombre desquelles figuraient notamment le droit pénal et la protection des libertés publiques (13). Depuis l'entrée
en vigueur de l'actuelle Constitution, le Président de la République et le Premier Ministre ont reçu un pouvoir réglementaire "autonome" dans toutes les matières non
expressément réservées à la loi par l'article 34 de la Constitution. Tous les auteurs
insistent sur l'idée qu'il s'agit à la fois d'une véritable "révolution juridique" et que,
dans les faits, le domaine du pouvoir réglementaire a été considérablement élargi.
Toutefois, treize années de jurisprudence restrictive de la part du Conseil constitutionnel et du Conseil d'Etat (14) amènent à nuancer ce jugement, en particulier dans
la matière que nous étudions et qui touche de près à la propriété et aux libertés publiques ; nous verrons même que, dans certains domaines, la compétence du législateur est plus étendue depuis 1958 qu'elle ne l'était en fait auparavant.
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Précisons que nous entendons ici par "loi" tous les textes de valeur législative : lois
proprement dites votées par le Parlement, ordonnances intervenues dans les périodes
de transition constitutionnelle où il y avait confusion du pouvoir législatif et du pouvoir réglementaire entre les mains du Gouvernement, décisions du Président de la
République prises en matière législative en application de l'article 16 de la Constitution (15). Quant aux ordonnances prises en vertu d'une loi d'habilitation (ordon-
nances prévues par l'article 38 de la Constitution), elles restent des textes de caractère réglementaire tant qu'elles n'ont pas été ratifiées par le Parlement, mais elles
peuvent prendre des mesures qui relèvent du domaine de la loi sous réserve de respecter les limites fixées par la loi d'habilitation (16).
Ceci posé, le problème de la compétence doit être examiné séparément pour les différentes catégories de sanctions.
a) Sanctions pénales
Avant 1958, la règle était simple : seul le législateur était compétent pour définir une
infraction pénale, pour fixer les pénalités applicables et pour régler la procédure en
matière pénale. Toutefois, rien ne lui interdisait de se décharger sur le pouvoir réglementaire de la plus grande partie de la première de ces tâches, c'est-à-dire de la définition des éléments constitutifs de l'infraction : il lui suffisait de poser quelques principes très généraux, d'habiliter le pouvoir exécutif à en déterminer les modalités d'
application et de prévoir des sanctions pénales à l'encontre des auteurs d'infractions
à la réglementation ainsi définie. C'est ainsi que procède, par exemple, la loi du 1er
août 1905 sur la répression des fraudes, à laquelle nous avons déjà fait allusion. La
loi se borne à définir des peines et une procédure, mais le fond du droit est entièrement déterminé par des règlements d'application.
La Constitution du 4 octobre 1958 introduit une distinction fondamentale : les infractions qualifiées crimes ou délits, c'est-à-dire celles qui sont punies des peines les
plus graves, continuent à relever exclusivement du législateur : par contre les contraventions (c'est-à-dire les infractions punies d'une peine d'emprisonnement inférieure
à deux mois ou d'une amende inférieure à 2.000 frs) peuvent être instituées par le
pouvoir réglementaire autonome (17).
Il y a là, sans aucun doute, une extension notable du pouvoir réglementaire. Toutefois, cette extension se trouve compensée par deux restrictions importantes :
— Le Conseil d'Etat (18) et, depuis 1969, le Conseil constitutionnel (19) ont posé
en principe que la compétence attribuée au législateur pour réprimer les crimes et
les délits est intégrale et exclusive, ce qui signifie qu'elle s'étend à la définition de
l'infraction. Il suffit dorénavant qu'une règle soit assortie de sanctions supérieures
aux minimaux indiqués ci-dessus pour que cette règle relève dans son entier du domaine de la loi, même si la matière traitée relève en elle-même du domaine réglementaire, même s'il s'agit d'adoucir la règle. Autrement dit, un mécanisme comme celui de la loi du 1er août 1905 ne pourrait être institué aujourd'hui.
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La jurisprudence estime toutefois que les habilitations antérieures à 1958 demeurent valables, même si elles sont assorties de sanctions relevant du domaine législatif.
— La procédure pénale relève, dans son entier, du législateur, ce qui signifie qu'une
loi est nécessaire, par exemple, pour définir les autorités habilitées à constater les
infractions, quelles que soient les peines prévues (20).
Ces deux restrictions, et tout spécialement la première, ont pour résultat pratique
de réduire à très peu de chose la compétence réelle du pouvoir réglementaire en matière de sanctions pénales. Dès que l'on aborde une matière où des lois antérieures
ont prévu des sanctions correctionnelles, dès que l'on ne peut se contenter des sanctions contraventionnelles, dès que l'on veut innover en matière de procédure, le recours à la loi est nécessaire. Si les professeurs de droit continuent à enseigner que la
Constitution de 1958 a considérablement restreint le domaine de la loi, les fonctionnaires actifs en doutent de plus en plus après treize ans de pratique.
b) Sanctions non pénales prononcées par des organismes juridictionnels
La compétence du pouvoir législatif pour instituer un mécanisme de ce genre est, là
encore, la règle générale. L'article 34 de la Constitution réserve en effet à la loi la
"création de nouveaux ordres de juridictions" et la jurisprudence interprète cette notion dans un sens favorable à une extension maximale : c'est ainsi qu'a été jugée illégale la substitution, par décret, d'une juridiction paritaire composée de médecins et
de représentants des organismes de sécurité sociale aux anciennes juridictions ordinales composées uniquement de médecins (21). De même, la modification de la
compétence ratione materiae de juridictions existantes ne peut être réalisée que par
la loi (22). A supposer enfin qu'on ne porte atteinte ni à la composition ni à la compétence de la juridiction, il y a lieu de penser que toute autre modification d'envergure concernant par exemple le barème des sanctions qui peuvent être prononcées,
relèverait encore de la loi, comme portant atteinte aux garanties fondamentales de
la propriété, des libertés publiques ou du statut des fonctionnaires et agents publics.
En revanche, la procédure suivie devant les juridictions administratives relève, en
principe, de la compétence réglementaire. La jurisprudence a toutefois dégagé des
"principes généraux de procédure" applicables à toutes les juridictions administratives. Certains sont de caractère supplétif et peuvent être écartés par le règlement ;
d'autres au contraire s'imposent au pouvoir réglementaire : c'est le cas, par exemple
du principe du caractère contradictoire de la procédure (23).
c) Sanctions prononcées par des autorités administratives
(1) Ainsi que nous venons de l'indiquer, l'article 34 de la Constitution range dans
le domaine de la loi, entre autres matières :
— les garanties fondamentales accordées aux citoyens par l'exercice des libertés publiques ;
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— les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de
l'Etat ;
— les principes fondamentaux du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales.
Compte tenu de l'interprétation assez large que la jurisprudence donne de l'adjectif
"fondamental", il en résulte qu'un régime de sanctions administratives devra le plus
souvent trouver son fondement dans un texte législatif, car il serait exceptionnel
qu'il ne porte pas atteinte à l'une de ces garanties ou à l'un de ces principes, soit par
son objet même, soit par la nature des pénalités encourues. C'est ainsi que le régime
disciplinaire des fonctionnaires relève de la loi, parce qu'il constitue l'une des "garanties fondamentales" que comporte leur statut : il en sera de même des régimes disciplinaires applicables aux professions réglementées, parce que, par leur objet même,
ils portent atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie, ou à la liberté d'exer-
cice de la profession, qui sont au nombre des libertés publiques.
Quant aux pénalités encourues, elles cherchent à atteindre le délinquant, soit dans sa
personne (internement, assignation à résidence), soit dans ses biens (amende, confiscation), soit dans l'exercice de sa profession (retrait d'autorisation, fermeture, suspension, interdiction d'exercice) ; dans les trois cas, il y aura atteinte aux libertés
ou à la propriété.
(2) Cette compétence du législateur ne résulte toutefois pas d'un principe général,
elle a des fondements divers dans chaque cas. Il s'ensuite qu'elle comporte des exceptions dont l'une au moins est fort importante.
En premier lieu, la notion de "garanties fondamentales" doit garder un sens ; elle
implique logiquement que le pouvoir réglementaire autonome conserve la possibilité d'édicter certaines sanctions lorsque l'atteinte portée par elles aux libertés ou
aux biens est de faible importance. C'est ainsi que les sections administratives du
Conseil d'Etat paraissent admettre l'institution, par décret, d'amendes non pénales,
d'un montant très limité ; de même pourrait-on concevoir, en matière disciplinaire,
l'institution en dehors du législateur de sanctions telles que le blâme ou l'avertissement.
En second lieu, la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d'Etat ne
mettent pas toutes les libertés publiques sur le même pied ; si toute atteinte relève
du domaine législatif lorsqu'il s'agit de la liberté de la personne ou de la liberté d'expression, il n'en va pas de même avec les libertés moins fondamentales, comme celle
dite "du commerce et de l'industrie". A l'intérieur même de celle-ci, on distingue
entre les activités qui n'ont jamais été réglementées pour lesquelles l'intervention
initiale du législateur est toujours requise (24) et celles qui ont fait l'objet, dès avant
1958, d'une étroite réglementation législative et réglementaire : lorsqu'il s'agira de
ces dernières, la frontière entre les mesures qui mettent en cause les "garanties fondamentales" et les autres mesures sera sensiblement déplacée au profit du pouvoir
réglementaire autonome (25). On peut donc penser que l'institution de certaines
sanctions par voie de règlement est possible lorsqu'il s'agit de cette catégorie d'ac267
tivités (nous ne pouvons donner toutefois aucun exemple jurisprudentiel sur ce
point précis).
En troisième lieu et surtout, la jurisprudence admet d'une manière très générale que
l'autorité administrative qui est compétente pour accorder une autorisation, est normalement compétente, même dans le silence des textes, pour prononcer le retrait de
cette autorisation, et qu'elle peut notamment le faire pour réprimer l'attitude fautive du bénéficiaire (elle peut aussi le faire en dehors de toute idée de sanction, pour
des motifs d'intérêt général). S'agissant donc des activités soumises à autorisation,
il existe toujours au moins une sanction, qui est la suppression de l'autorisation.
L'activité peut être soumise à autorisation (ou encore : agrément, licence, permission, . . . toutes ces expressions sont à peu près synonymes) en vertu d'un texte législatif ; en ce cas, il faut distinguer deux hypothèses. Si l'autorisation est accordée
de plein droit à ceux qui remplissent certaines conditions, le retrait ne sera possible
que si la loi l'a prévu, ou si l'intéressé cesse de remplir l'une de ces conditions. Lorsque, parmi ces conditions, certaines ont trait à la moralité ou au respect de la réglementation, le retrait s'analyse bien comme une sanction administrative. Si, au contraire, l'autorisation n'est pas accordée de plein droit, mais suppose un certain pouvoir d'appréciation, la possibilité de retrait existera même si la loi a négligé de la prévoir (26).
L'activité peut aussi être soumise à autorisation en vertu des pouvoirs propres de 1'
Administration : il peut s'agir notamment des pouvoirs de police administrative générale (maintien de l'ordre, de la tranquillité et de la salubrité publique) et des pouvoirs de gestion et de conservation du domaine public. Ces deux matières sont les
domaines d'élection du retrait considéré comme une sanction. Nous avons déjà signalé la possibilité de retirer une permission de voirie pour sanctionner l'attitude du
permissionnaire (10); on peut citer aussi la jurisprudence intervenue en matière de
retrait du permis de conduire avant que le législateur ait pris la question en mains
(27) ou encore celle qui permet au maire, dans le cadre de ses pouvoirs de police, de
prévoir le retrait, en cas d'infraction, des autorisations données aux exploitants de
"taxis" pour exercer leur activité sur la voie publique (28).
Le retrait disciplinaire n'est toutefois possible que s'il n'est pas exclu par le législateur. C'est le cas notamment lorsque celui-ci a pris soin d'organiser lui-même un système de sanctions comprenant par exemple des amendes : l'Administration ne peut,
en prononçant le retrait, ajouter au mécanisme répressif institué par la loi (29). De
même, le pouvoir réglementaire ne peut aggraver les conséquences d'une sanction
définie par la loi (30). Par contre, il a été jugé que le maire peut, en cas de danger
pour la sécurité, ordonner la fermeture d'une salle de spectacles, alors même qu'il
existerait un système de sanctions : mais en ce cas, la fermeture a le caractère d'une
mesure de police, et non d'une pénalité.
(3) Les développements qui précèdent nous conduisent à la constatation que l'autorité compétente pour instituer un régime de sanctions administratives est normalement le législateur. Dans une mesure limitée, et pour certaines sanctions seulement,
elle peut être aussi :
268
— soit le titulaire du pouvoir réglementaire autonome, c'est-à-dire le Premier Ministre agissant sous le contreseing des Ministres chargés de l'exécution de la mesure ;
— soit l'autorité habilitée pour délivrer une autorisation administrative et notamment celle qui est investie du pouvoir de police (maire - Premier Ministre) ou celle
qui est chargée de la gestion du domaine public.
Il n'appartient à aucune autre autorité administrative d'instituer des sanctions ;
c'est ainsi que le Conseil d'Etat a censuré de telles initiatives prises par des Ministres
(31) — par un Conseil municipal qui avait décidé que toute bête amenée sur le pâturage communal en plus du maximum autorisé pour chaque cultivateur donnerait
lieu à la perception d'une redevance majorée (32) — ou encore, par une caisse de sécurité sociale qui avait décidé d'instituer une majoration de cotisation à titre de pé
nalité de retard (33).
Cette jurisprudence est parfois fort subtile : c'est ainsi que si les Ministres de l'Economie et de la Marine marchande étaient incompétents pour prévoir par voie réglementaire l'exclusion des autorisations d'importation à l'égard des importateurs de
poisson non en règle avec l'organisme de péréquation (parce que ces deux Ministres
n'avaient pas de pouvoir réglementaire en cette matière), ils pouvaient par contre
refuser une licence d'importation à une société tant qu'elle n'aurait pas régularisé sa
situation (parce que le pouvoir de refuser est inhérent à celui d'octroyer la licence)
(34).
3. Combinaison de plusieurs systèmes répressifs
Un même fait peut être justiciable à la fois d'une sanction pénale et d'une sanction
administrative (voire d'une des sanctions de caractère intermédiaire et "sui generis"
dont nous avons reconnu l'existence). Dans ces conditions, deux questions se posent : peut-il y avoir cumul de sanctions ? Quelle est l'autorité de la décision prise
par le juge pénal sur la décision à prendre (ou déjà prise) par le pouvoir répressif non
pénal ?
a) Le cumul des sanctions
( 1 ) Cette matière obéit à deux principes très simples :
— l'indépendance de l'action disciplinaire et de l'action pénale, et plus généralement,
l'indépendance des systèmes répressifs entre eux ; ce principe implique que le cumul
de sanctions est possible lorsqu 'elles sont prononcées sur la base de systèmes répressifs différents ;
— à l'intérieur d'un même système répressif, la règle "non bis in idem" est par contre applicable.
C'est ainsi que les faits qui ont donné lieu à une condamnation pénale émanant d'un
269
Tribunal militaire peuvent servir de base à une mesure disciplinaire à l'égard d'un
officier (35), cette procédure disciplinaire pouvant d'ailleurs aboutir à la perte du
grade, alors que la condamnation pénale n'était pas assez grave pour emporter par
elle-même cette conséquence (36). La jurisprudence en tire la conséquence que
le pénal ne tient pas le disciplinaire en l'état, c'est-à-dire que l'autorité investie du
pouvoir disciplinaire peut prononcer une sanction à l'encontre d'un fonctionnaire
pour des faits qui font, par ailleurs, l'objet de poursuites pénales en cours, sans at-
tendre l'issue de ces poursuites (37). Elle peut toutefois, si elle le juge utile, attendre que le juge pénal se soit prononcé : en ce cas,le fonctionnaire pourra être provisoirement suspendu, mesure qui n'a par elle-même aucun caractère disciplinaire.
Dans le même ordre d'idées, les amendes prononcées par la Cour des comptes et la
Cour de discipline budgétaire peuvent se cumuler tant avec des sanctions p'énales
qu'avec des sanctions disciplinaires (38) : un fonctionnaire ou un maire prévaricateur peut donc être frappé à la fois, et pour les mêmes faits, d'une peine de prison
par le Tribunal correctionnel, d'une amende par la Cour de discipline budgétaire et
de la révocation par l'autorité hiérarchique ou de tutelle.
On a même vu des cas où le cumul de deux sanctions administratives était possible,
parce qu'elles étaient prononcées par deux autorités différentes agissant en vertu de
deux législations distinctes : c'est ainsi qu'un même fait a pu donner lieu à la fermeture du magasin ordonnée par le préfet et à une amende infligée par le directeur du
Contrôle économique (39).
(2) Les deux principes ainsi dégagés ne sont, bien entendu, valables qu'en l'absence
de dispositions législatives contraires.
C'est ainsi que la loi peut exclure l'indépendance des systèmes répressifs, en organisant une option entre eux : sous le régime antérieur à la loi du 28 novembre 1955,
les infractions à la législation sur les prix pouvaient donner lieu, soit au prononcé
d'une amende administrative, soit à l'ouverture d'une instance pénale. L'Administration avait le choix entre ces deux solutions, qui étaient exclusives l'une de l'autre. Bien que les amendes administratives aient disparu, il subsiste quelque chose
de ce système avec l'institution de la transaction : saisie d'un procès-verbal constatant une infraction en matière de prix, l'Administration peut offrir au coupable de
renoncer aux poursuites pénales moyennant le paiement d'une amende transactionnelle. De même, la durée de la suspension du permis de conduire prononcée par le
préfet s'impute, le cas échéant, sur celle qui est prononcée par le Tribunal à titre de
peine accessoire (40).
En sens inverse, la loi peut autoriser une dérogation à la règle "non bis in idem" et
prévoir le cumul possible de deux ou trois sanctions relevant du même système répressif : en matière pénale, l'emprisonnement, l'amende et les peines accessoires
— en matière administrative— l'amende, la fermeture de l'établissement et l'interdiction de diriger une entreprise du même ordre (41) ou encore l'amende et la confiscation (42). Notons cependant que des règles d'une telle sévérité ne se rencontrent guère que dans la législation économique d'exception de la période de guerre :
le droit commun des sanctions administratives reste la règle "non bis in idem", et
270
nous ne lui connaissons pas de véritable dérogation actuellement en vigueur. Cette
règle n'empêchera pas le cumul d'une sanction et d'une mesure prononcée dans l'intérêt du service en dehors de toute idée de sanction : c'est ainsi qu'un fonctionnaire
qui s'est rendu coupable de faits à la fois répréhensibles et de nature à le déconsidérer dans sa circonscription peut faire l'objet d'une sanction disciplinaire et d'un déplacement d'office (non disciplinaire) (43) ; par contre, le déplacement d'office sera jugé illégal s'il résulte de l'instruction qu'il a été prononcé en vue d'infliger une
sanction supplémentaire (44) . Nous avons déjà cité le cas de la fermeture d'une
salle de spectacles par l'autorité de police pour des raisons de sécurité, qui peut se
cumuler avec la sanction prononcée par ailleurs par l'autorité compétente (45).
b) L'autorité de la chose jugée au pénal
L'indépendance de la répression administrative et de la répression pénale implique
la possibilité de divergence, voire de contradictions. Il va de soi que le juge pénal est
toujours pleinement indépendant et ne saurait en aucun cas être lié par l'appréciation
de fait ou de droit portée par l'Administration sur les circonstances de l'espèce : il
lui appartient de décider souverainement —sous réserve des voies de recours— si les
faits reprochés sont exacts et s'ils tombent sous le coup de la loi pénale. Il se livre à
cette mission en utilisant les techniques juridiques du droit pénal, et notamment les
règles de la légalité des délits et des peines, et de l'interprétation restrictive de la loi
pénale. La seule limite à son pouvoir est l'impossibilité d'interpréter un acte administratif individuel qui ne serait pas clair, ou de constater l'illégalité de cet acte (sauf
si l'acte lui-même constitue l'infraction poursuivie, ou si son illégalité est manifeste) :
le Tribunal des conflits lui reconnaît par contre le pouvoir d'apprécier la légalité des
actes réglementaires invoqués devant lui (46).
La question d'une contrariété éventuelle ne peut donc se peser que dans un seul sens :
dans quelle mesure l'Administration (ou la juridiction disciplinaire) est-elle liée par
les jugements pénaux, et tout spécialement par les jugements de relaxe ? Peut-elle
sanctionner là où le juge a absous ? Si elle s'est prononcée la première, qu'advientil si la personne punie par elle se trouve ultérieurement relaxée par le juge ?
Pour résoudre ces questions, la jurisprudence distingue deux catégories d'hypothèses :
les unes normales et les autres exceptionnelles.
(1) Le cas normal est celui où il n'y a pas d'autre lien entre les poursuites pénales et
administratives que les faits qui leur servent de base. En ce cas, le Conseil d'Etat admet que l'autorité de la chose jugée s'impose à l'Administration, mais seulement en
ce qui concerne les constatations de fait opérées par le juge pénal et qui servent de
support nécessaire à sa décision, à l'exclusion des conséquences juridiques qu'il en a
tirées (47). L'autorité disciplinaire ne peut donc retenir des faits dont le juge pénal
a affirmé qu'ils sont inexacts, ou qu'ils n'ont pas été commis par la personne à laquelle ils sont reprochés ; en sens inverse, un requérant qui a été condamné au pénal ne
saurait utilement soutenir (à l'encontre de la sanction disciplinaire) qu'il n'a pas commis les faits pour lesquels il a été condamné (48).
271
Par contre, l'Administration n'est pas liée par la qualification juridique opérée par
le juge : en règle générale, en effet, un fait peut être "de nature à justifier une sanction disciplinaire", alors même qu'il ne constituerait pas une infraction pénale. Dès
lors que le juge pénal n'a pas nié les faits, l'Administration recouvre son entier pouvoir d'appréciation, sous le contrôle du juge administratif.
Cette autorité de la chose jugée ne s'étend :
— ni aux ordonnances ou arrêts de non-lieu, même motivés, rendus par les juridictions d'instruction, et a fortiori aux décisions de classement sans suite prises par le
Parquet (49);
— ni aux arrêts de relaxe des Cours d'assises, qui ne sont pas motivés ;
— ni même aux jugements ou arrêts de relaxe prononcés "au bénéfice du doute" (50).
L'Administration peut, en effet, estimer que les pièces ou présomptions dont elle
dispose établissent suffisamment la culpabilité, et le juge administratif, en cas de recours, vérifiera cette appréciation, sans être aucunement lié par une décision pénale
qui n'affirme ni ne nie aucun fait.
Encore faut-il que la sanction administrative ne soit pas encore prononcée, ou du
moins ne soit pas devenue définitive (faute de recours en annulation dans le délai de
deux mois), au moment où intervient le jugement ou l'arrêt qui constate l'inexistence des faits invoqués. Si la sanction est devenue définitive, l'Administration n'est
nullement tenue de la rapporter, et, par exemple, de réintégrer le fonctionnaire révoqué (51). Celui-ci pourra tout au plus demander des dommages-intérêts.
Le Conseil d'Etat a donc poussé très loin le principe de l'indépendance de la répression administrative ; il ne fait place au principe antagoniste de l'autorité absolue de
la chose jugée au pénal que dans la mesure où une solution contraire conduirait à
une contrariété de fait incompatible avec les exigences d'une bonne justice.
(2) Telle est du moins l'hypothèse normale. Il existe une série d'hypothèses exceptionnelles, où l'autorité de la chose jugée au pénal va beaucoup plus loin. Il en est
ainsi lorsque la sanction administrative est fondée, non pas seulement sur des faits
par ailleurs constitutifs d'une infraction pénale, mais sur l'infraction pénale elle-même
ou sur une condamnation. Il est logique qu'en pareil cas, l'affirmation par le juge
compétent de la non-culpabilité prive la sanction administrative de base légale.
Le lien entre la poursuite administrative et l'infraction peut avoir été établi par 1'
Administration elle-même ; il en est ainsi chaque fois que l'autorité qui a pris la sanction invoque comme motif exclusif ou principal, l'existence d'une infraction pénale,
ou a fortiori celle d'une condamnation. Si la condamnation vient à être annulée en
appel (52) ou si la poursuite pénale ouverte se termine par une relaxe (53), la sanction administrative sera annulée sans autre examen si elle a fait l'objet d'un recours.
Si, par contre, elle est devenue définitive, le fonctionnaire évincé peut demander à
l'Administration de réexaminer sa situation en vue d'une réintégration, mais celleci pourra être refusée si les faits étaient par ailleurs de nature à justifier une sanction (54).
272
La loi peut aussi subordonner la possibilité d'une sanction administrative à l'existence d'une infraction : il en est ainsi en particulier en matière de fermeture de débits
de boissons (55) et de retrait du permis de conduire (56). Ces mesures ne peuvent
être prononcées par le préfet que s'il est saisi d'un procès-verbal constatant l'une des
infractions prévues par la loi. En pareil cas, la relaxe a pour effet de priver la sanction administrative de base légale (57), même si cette relaxe est intervenue au bénéfice du doute (58). Il faut toutefois qu'il s'agisse d'une décision de la juridiction de
jugement : comme il a été déjà indiqué, les décisions de classement ou de non-lieu
ne lient pas le juge administratif. Saisi d'un recours contre la sanction, celui-ci recherchera donc si les éléments constitutifs de l'infraction étaient réunis, sans être
obligé de se conformer à la disposition prise sur ce point par le Parquet ou par le magistrat instructeur.
B. LES SANCTIONS ADMINISTRATIVES PROPREMENT DITES
1. Définition et classification
a) Le critère de la sanction administrative
(1) La sanction administrative sera définie comme l'acte administratif unilatéral
émanant d'un administrateur actif et destiné à punir un manquement à une obligation imposée par l'Administration dans l'intérêt général. On peut étudier parallèlement les sanctions de caractère non pénal prononcées par des juridictions administratives spécialisées.
Cette définition est exclusivement fondée sur le motif de l'acte, sur sa finalité répressive ; elle fait abstraction de sa nature. Nous avons déjà indiqué que la sanction cherche à atteindre le délinquant, soit dans sa personne, soit dans ses biens, soit dans 1'
exercice de sa profession ; mais beaucoup de décisions administratives peuvent avoir
l'un de ces effets sans revêtir pour autant le caractère d'une sanction, parce qu'elles
sont prises pour des motifs étrangers à toute idée de répression. Or,la distinction est
lourde de conséquences, car les sanctions sont assujetties à un régime juridique beaucoup plus protecteur de l'individu que les autres actes : elles sont soumises à des règles de forme (droits de la défense) et de fond (contrôle par le juge de la qualification
du "fait de nature à justifier une sanction") qui limitent singulièrement l'arbitraire
administratif. L'administré frappé d'une mesure portant atteinte à sa situation ou à
son patrimoine cherchera donc très souvent, à l'appui d'un recours contre cette mesure, à démontrer au juge qu'il s'agit en réalité d'une sanction qui doit être annulée
comme ayant été prise en méconnaissance de ces règles. Réciproquement, l'Administration soutiendra qu'il s'agit d'une mesure préventive ou d'intérêt général n'ayant
pas le caractère d'une sanction, et qu'elle opère en vertu de ses pouvoirs généraux en
matière de police, de gestion du personnel ou d'administration domaniale, ou encore
des pouvoirs spéciaux qui lui sont reconnus par tel ou tel texte particulier.
273
L'abondante jurisprudence intervenue en la matière nous permet d'exclure de la
notion de sanction administrative deux catégories d'actes : ceux qui, par leur nature, n'ont pas le caractère répressif et ceux qui pourraient avoir ce caractère, mais
qui ne le possèdent pas dans l'espèce considérée en raison de leurs motifs.
( 2) La liste des actes auxquels la jurisprudence dénie en principe le caractère de
sanction est passablement hétérogène. On retrouve la même idée à la base : l'absence de motif répressif ; mais alors qu'elle va de soi dans certaines hypothèses, elle
suppose dans d'autres cas un réel effort du juge. Cet effort est souvent motivé par
des considérations d'opportunité : le désir de ne pas pousser trop loin le contrôle
juridictionnel dans les domaines où le Conseil d'Etat estime que le Gouvernement
doit garder une grande liberté d'action est certainement à la base de solutions qui
peuvent paraître surprenantes à la lumière des seuls principes théoriques. Sous le
bénéfice de cette observation, nous rous bornerons à évoquer les principales mesures en question, sans prétendre en donner une enumeration exhaustive.
Nous citerons en premier lieu les mesures par lesquelles l'Administration se borne
à constater une situation, à en tirer les conséquences juridiques, sans prendre aucune
décision à proprement parler : ainsi de la perte du grade d'officier à la suite d'une
condamnation pénale (59), de la radiation des cadres d'un fonctionnaire qui a perdu ses droits civiques (60), de la démission d'office d'un conseiller municipal pour
les mêmes raisons (61). A la même idée se rattache la solution selon laquelle le
fonctionnaire qui a refusé de reprendre son service ou de rejoindre son poste malgré
une mise en demeure peut être rayé des cadres sans procédure disciplinaire, car 1'
Administration se borne à constater qu'il a rompu par son fait son lien avec le service (62). De même a-t-il été jugé que le retrait des allocations familiales pour les
enfants de plus de seize ans en cas de défaut d'assiduité dans l'établissement d'enseignement où ils sont inscrits n'est pas une sanction, mais la simple constatation
du fait que les conditions requises pour le maintien de ces allocations n'est plus
rempli (63) ; par contre, ce même retrait pour la même raison constituerait une
sanction (d'ailleurs illégale) s'il s'agit d'un enfant de moins de seize ans, car pour
lui, les allocations sont attachées à l'âge et non à la scolarité, et il existe d'autres
sanctions pour le non-respect de l'obligation scolaire (64).
Vient ensuite la vaste catégorie des mesures de police au sens large, c'est-à-dire celles
qui ont pour objet essentiel la sauvegarde de l'ordre, de la sécurité ou de la santé
publique, même si elles ont aussi certains des aspects d'une sanction. Il en est ainsi
des mesures prises à l'égard des étrangers,notamment l'expulsion (65), le refus de
renouveler l'autorisation de séjour (66), le retrait de l'autorisation accordée à une
association étrangère (67)(par contre, la déchéance de la qualité d'étranger "résident
privilégié" est une sanction)(68). Même solution pour la fermeture d'une usine entrant dans la catégorie des "établissements dangereux, incommodes ou insalubres"
et fonctionnant sans avoir obtenu l'autorisation requise : non seulement ce n'est
pas une sanction, mais l'Administration est tenue de la décider, de sorte que les
moyens présentés contre elle sont inopérants (70). Même solution pour le retrait
de visa d'un produit pharmaceutique, pour le refus de renouvellement d'un passeport, etc...
274
Il est plus surprenant que la jurisprudence refuse le caractère de sanctions à des mesures qui ont indiscutablement un objet répressif, mais qui interviennent au sein de
services où la discipline est nécessairement stricte, et que le Conseil d'Etat qualifie
de "mesures d'ordre intérieur":ainsi des "punitions" militaires (arrêts simples, arrêts de rigueur, etc.) par opposition aux sanctions disciplinaires proprement dites,
c'est-à-dire celles qui ont une influence sur la carrière de l'intéressé (71). Même solution pour les punitions scolaires (retenues, etc.), mais l'exclusion de l'élève est une
sanction (72). Enfin, sont aussi qualifiées de "mesures d'ordre intérieur", les décisions prises par l'Administration pénitentiaire à l'égard des détenus (73). La solution est évidemment dictée par l'opportunité plus que par la stricte logique : elle
s'accompagne de l'irrecevabilité du recours contentieux contre de telles mesures et
de la possibilité de leur cumul avec des sanctions disciplinaires proprement dites (74).
En matière de fonction publique, civile ou militaire, l'Administration peut prendre
à l'égard de ses agents un certain nombre de mesures dans l'intérêt du service, qui n'
ont pas le caractère d'une sanction, même si elles interviennent en considération de
la conduite ou de la personnalité de l'intéressé. C'est le cas notamment des mesures
d'exclusion fondées sur l'inaptitude de l'agent : la solution va de soi s'agissant d'une
inaptitude physique, elle est plus délicate lorsque l'inaptitude alléguée touche à la
manière de servir. Elle est cependant affirmée par la jurisprudence : c'est ainsi que
le licenciement pour insuffisance professionnelle peut être prononcé en prenant en
considération des faits qui ont entraîné ou auraient pu entraîner une sanction (75).
De même, n'ont pas le caractère disciplinaire;
— le refus de titulariser un fonctionnaire stagiaire en fin de stage (76) ;
— le refus d'intégration d'un agent lors de la constitution d'un nouveau corps, même
fondé sur "un sens insuffisant de ses responsabilités" (77) ;
— l'exclusion du peloton des élèves officiers de réserve après une enquête menée par
la Sécurité militaire (78) ;
— le refus de rengagement opposé à un militaire (79).
Sont encore exclues de la liste des sanctions administratives, les mesures qui ne constituent que le préalable d'une éventuelle sanction : ainsi la mise en demeure accom-
pagnée d'une menace de poursuites (80) et surtout la suspension provisoire d'un
agent public sous le coup de poursuites pénales ou disciplinaires, mesure toujours
possible, même en l'absence de texte la prévoyant expressément (81). Toutefois,
l'Administration commettrait une faute susceptible d'ouvrir droit à dommagesintérêts si elle prolongeait abusivement la suspension.
Enfin, le refus d'un avantage sollicité pour la première fois ne constitue jamais une
sanction : ainsi du refus d'inscription sur une liste d'aptitude (82), sur un tableau
d'avancement (83) ou du refus d'autorisation d'un établissement financier (84).
Il n'en est pas de même du refus de renouvellement, ou de retrait, qui peuvent
avoir le caractère répressif.
275
(3) Il existe, d'autre part, des mesures qui selon leurs motifs, revêtent ou non le caractère d'une sanction.
Le cas se rencontre fréquemment en matière de fonction publique : ainsi de la mutation d'office, qui est une peine figurant sur l'échelle des sanctions prévues par le
statut général des fonctionnaires, mais qui peut aussi, nous l'avons vu, être prononcée dans l'intérêt du service ; ainsi des diverses mesures permettant l'éviction des
militaires, telles que la mise en réforme, la mise en non-activité par retrait d'emploi,
la mise à la retraite d'office, qui peuvent toutes trois être prononcées, soit par mesure disciplinaire, soit dans l'intérêt du service, et qui obéissent à des règles de fond
et de forme différentes dans chacune de ces deux hypothèses.
Il en va de même en matière de police : c'est ainsi que la fermeture des débits de
boissons peut être prononcée, soit à titre préventif, en vue du maintien de l'ordre
(86), soit à titre répressif,lorsqu'une infraction a été constatée. De même, l'autorité de police peut interdire la vente du lait provenant d'une production donné pour
des motifs tirés de la protection de l'hygiène, alors même qu'une interdiction peut
être prononcée à titre de sanction selon une procédure différente (87).
En matière économique, le retrait d'enregistrement d'un établissement financier
peut être prononcé par la Commission de contrôle des banques, soit à titre de sanction disciplinaire, soit parce que cet établissement ne correspond plus à un besoin
économique (88). En matière domaniale, nous avons déjà cité plusieurs fois le cas
du retrait des permissions de voirie, qui peut être prononcé à tout moment pour des
motifs tirés des nécessités de l'administration du domaine public, mais qui peut aussi intervenir à titre de sanction.
Dans tous ces cas, le juge saisi d'un recours recherchera dans les pièces du dossier,
et dans l'ensemble des circonstances de l'affaire, les éléments qui lui permettront
de décider si c'est l'aspect préventif ou au contraire l'aspect répressif qui a été déterminant (89). Il est quelquefois assez hardi dans cette recherche : c'est ainsi que
le Conseil d'Etat a regardé comme dépourvue de caractère disciplinaire la mise à la
retraite d'office d'un général d'armé aérienne prononcée pour "inaptitude au commandement", alors qu'il était clair que c'est l'attitude prise par cet officier à Alger
en 1943 qui avait motivé la mesure, et non pas les qualités militaires de l'intéressé
(90). Il est vrai qu'à ce niveau de la hiérarchie, une prise de position politique malencontreuse peut priver un chef de l'autorité morale nécessaire pour exercer un commandement.
On pensera peut-être que le Conseil d'Etat pousse très loin le raffinement et que cette analyse (voire cette "psychanalyse") des motifs réels de l'auteur de l'acte prête à
l'incertitude et à l'arbitraire. Dans la pratique cependant, la conviction du juge est
assez vite faite dans la plupart des cas, et cette subtilité a le mérite de faire la juste
part des garanties dues aux administrés contre les sanctions qui les menacent, et des
prérogatives que l'Administration doit conserver pour le bon fonctionnement du
service public. A la limite, cependant, il est parfois impossible de dire si l'aspect
sanction l'emporte sur l'aspect prévention ou réciproquement : ainsi, la fermeture
d'un établissement classé déjà autorisé pour infraction à la réglementation applica276
ble a pour motifs inséparables la punition de cette infraction, et la protection du
voisinage. Fort heureusement, la loi définit avec précision la procédure à suivre pour
cette fermeture, et il suffit de suivre ses prescriptions.
Mentionnons enfin que les pouvoirs généraux de l'Administration ne peuvent être utilisés dans un but répressif qu'en l'absence d'un système de sanctions organisé par un
texte. S'il existe un tel système de sanctions, toute mesure ne figurant pas dans l'échelle des peines prévues et prise pour des motifs disciplinaires constituerait une
"sanction déguisée" entachée de détournement de pouvoir (cf. ci-après, par. 3).
b) Classification des sanctions administratives
Il n'est pas question de tenter l'énumération des sanctions administratives existant
en droit français : elle serait à la fois fastidieuse et incomplète ; elle risquerait d'ailleurs, nous l'avons signalé, de donner une fausse idée de l'état réel du droit en prenant en compte des systèmes répressifs tombés en désuétude. Nous tenterons simplement de classer sommairement les principales catégories de sanctions existantes.
(1) Pour effectuer ce classement, on peut se placer, en premier lieu, du point de vue
de l'autorité compétente pour prononcer la sanction. On distinguera selon que cette
autorité relève de l'Etat (Ministre, préfet, conseil ou commission dotée de pouvoirs
propres), d'une collectivité locale (préfet ou maire) ou d'un organisme privé chargé
d'un service public (ordre professionnel, comité d'organisation, caisse de sécurité sociale, groupements de producteurs). On pourra aussi distinguer les sanctions administratives proprement dites des sanctions prononcées par une juridiction administrative. Ces dernières se rencontrent essentiellement en matière disciplinaire : discipline
des membres du corps enseignant, discipline des professions organisées en ordres, discipline des banques et établissements financiers. A noter d'ailleurs que c'est la jurisprudence du Conseil d'Etat qui a distingué dans les décisions des Conseils régionaux
et nationaux des ordres professionnels et de la Commission de contrôle des banques,
celles qui ont le caractère juridictionnel (décisions en matière disciplinaire) et celles
qui ont un caractère administratif (inscription au tableau de l'Ordre et sur la liste professionnelle des banques et établissements financiers) (91) : la loi était muette sur ce
point.
(2) On peut en second lieu tenter une classification du point de vue de la nature de
la peine.
En l'absence de texte, la seule mesure qui peut intervenir est le retrait d'une autorisation administrative éventuellement nécessaire : la fermeture d'un établissement
n'est possible qu'à titre de mesure de police (92).
Lorsqu'un texte est intervenu, au contraire, la gamme des sanctions qu'il peut instituer est beaucoup plus étendue. On peut distinguer :
— celles qui touchent à la personne : internement, assignation à résidence, interdiction de séjour, expulsion. Elles étaient relativement fréquentes dans la législation
277
de guerre (n'a-t-on pas été jusqu'à envisager la peine de mort pour les infractions en
matière de ravitaillement ! ) . Elles ont disparu aujourd'hui de l'arsenal des sanctions
administratives. L'expulsion des étrangers existe toujours, mais c'est une mesure de
police et non une sanction.
— celles qui touchent aux biens : essentiellement l'amende et la confiscation. Très
fréquente dans la législation de guerre, l'amende administrative est aujourd'hui relativement rare, si l'on excepte les pénalités fiscales ; elle a notamment perdu ses domaines d'élection qui étaient la répartition des produits industriels, le ravitaillement,
et surtout le contrôle des prix et des pratiques anticoncurrentielles. Elle subsiste encore dans des secteurs professionnels soumis à un contrôle corporatif étroit : ainsi
pour les producteurs de raisin et de vin de Champagne (93), dans le secteur du cinéma (94), etc. La confiscation figure, comme peine accessoire, dans un certain nombre de ces législations.
Citons, pour mémoire, la mise en fourrière du véhicule en stationnement irrégulier,
voire son immobilisation (le "Sabot de Denver"), dont la légalité serait d'ailleurs
douteuse s'il ne s'agissait pas de mesures de police.
— celles qui touchent à l'exercice de la profession et aux rapports de l'intéressé avec
le service public : ce sont les retraits d'autorisation, assortis ou non d'une interdiction d'exercer la profession, définitive ou à temps. Ce sont ensuite les différents régimes disciplinaires des agents publics (les sanctions pouvant aller de l'avertissement
à la révocation avec ou sans pension, en passant par le retard à l'avancement, l'abaissement d'échelon ou de grade, le déplacement d'office, la suspension pendant un délai donné (95), etc... ), ou des membres des professions réglementaires (avertissement,
blâme, interdiction d'exercer pendant un certain délai, radiation du Tableau). Ce
sont, enfin, les mesures qui touchent à certains avantages honorifiques : privation
de certaines décorations, retrait de l'honorariat.
(3) La classification la plus intéressante nous paraît en définitive être sectorielle,
c'est-à-dire celle qui s'attache aux différents types d'activités pouvant donner lieu
à sanction administrative.
Nous distinguerons à cet égard :
— le régime disciplinaire des agents publics, qui est sans doute, historiquement, le
secteur où la sanction a existé de tous temps. Nous nous séparerons, à cet égard,
de certains auteurs qui veulent distinguer "sanction disciplinaire" et "sanction administrative" (96). Nous ne voyons pas l'intérêt de cette distinction du point de
vue qui nous occupe, les mêmes principes jurisprudentiels étant applicables aux
unes et aux autres ; nous considérerons donc les sanctions disciplinaires comme
une variété de sanction administrative.
Le droit français connaît actuellement un assez grand nombre de régimes disciplinaires : celui des fonctionnaires titulaires de l'Etat, défini par le statut général des
fonctionnaires (97), celui des militaires d'activé et de réserve, celui des magistrats,
défini par la loi organique, et caractérisé par des garanties particulières pour les
278
magistrats du siège. Nous avons déjà signalé que les membres du corps enseignant
public relèvent de juridictions disciplinaires particulières (Conseils académiques,
Conseils d'université, Conseil supérieur de l'Education nationale). Les fonctionnaires titulaires des communes et ceux des hôpitaux sont dotés de régimes qui leur sont
propres, plus ou moins décalqués sur le statut général des fonctionnaires de l'Etat.
Les agents non titulaires des collectivités publiques, lorsqu'ils relèvent du droit public (98), sont en général dotés d'un embryon de statut qui définit un régime disciplinaire. Lorsque ce n'est pas le cas, la seule peine possible est le licenciement, il en
va de même des agents soumis au droit privé : il faut toutefois mettre à part les personnels des entreprises publiques dites "à statut" qui sont soumis à un régime fixé
par décret (99).
— le régime disciplinaire des professions organisées : nous avons déjà signalé le développement remarquable des "Ordres professionnels" dans les trente dernières années.
Chacun de ces Ordres est doté d'instances disciplinaires plus ou moins complexes ;
ainsi, l'Ordre des médecins comporte des Conseils départementaux, régionaux et
nationaux, mais seuls les deux derniers échelons possèdent des attributions disciplinaires, le Conseil régional statuant en première instance et le Conseil national en appel, sous réserve du recours en cassation devant le Conseil d'Etat. Les fonctions disciplinaires sont souvent exercées par des formations spécialisées, qui peuvent être
composées uniquement de professionnels élus ou comporter aussi des membres désignés par l'Etat : ainsi existe-t-il une "section des assurances sociales" au sein des
conseils régionaux de l'Ordre des médecins, qui comporte un certain nombre de représentants des organismes de sécurité sociale (100). Beaucoup de ces juridictions
professionnelles sont présidées par un magistrat de l'ordre administratif ou judiciaire : c'est ainsi qu'un conseiller d'Etat préside la section disciplinaire du Conseil national de l'Ordre des médecins, ou qu'un conseiller de la Cour d'appel préside la
chambre de discipline des commissaires aux comptes de sociétés.
A côté des professions organisées en Ordres, on peut en citer d'autres qui sont soumises à un pouvoir disciplinaire exercé par l'autorité administrative, avec ou sans
l'assistance d'un organe consultatif composé de professionnels : ainsi des pilotes
maritimes, des agents de change, des mandataires aux Halles, des marins de commerce, des "agents d'affaires" en Alsace-Lorraine . . . Rappelons qu'un tel régime doit,
en principe, être institué par la loi : si le pouvoir de police peut, par exemple, sou-
mettre l'exploitation d'un taxi à autorisation, il ne peut organiser un régime disciplinaire des chauffeurs de taxis, avec échelles de peines, conseils de discipline, etc. (101).
Dans le cas de certaines professions, nous sommes d'ailleurs à la limite entre le régime
disciplinaire et la catégorie des sanctions économiques : c'est le cas pour les banques
et établissements financiers, l'aspect de déontologie individuelle s'effaçant, en effet,
devant le souci de faire respecter l'organisation du marché. Au demeurant, les sanctions prononcées par la Commission de contrôle des banques visent des entreprises
et non des individus, contrairement à celles qui sont infligées par les Ordres professionnels.
— les sanctions économiques : nous avons déjà amplement signalé leur développe-
279
ment considérable pendant la pé riode de guerre, et leur actuel déclin. A part les
rares cas où les amendes administratives sont encore possibles, ce sont essentiellement des retraits d'agrément ou d'autorisation : ainsi pour les compagnies d'assurance, les sociétés de capitalisation et d'épargne, les centres d'insémination artificielle
(102), les négociants en céréales, etc. Notons au passage que la législation française
des ententes et positions dominantes (103) ne prévoit pas de sanction administrative
à proprement parler : la Commission technique qu'elle institue peut seulement donner son avis au Ministre de l'Economie sur l'opportunité des poursuites pénales. Le
plus souvent, cet avis aboutira à une injonction aux intéressés d'avoir à dissoudre l'entente (ou à prendre telle autre mesure dans un certain délai, sous peine de poursuites. Une telle injonction n'est pas une sanction mais peut faire l'objet d'un recours
pour excès de pouvoir (104). La Commission observant d'ailleurs une procédure
contradictoire, on pourrait parler d'un régime quasi-répressif.
— les sanctions en matière sociale sont, elles aussi, le plus souvent, des retraits d'agrément, concernant les établissements privés médicaux ou médico-sociaux les plus divers : établissements de bienfaisance, associations pour le placement d'enfants, dispensaires, établissements antituberculeux, instituts médico-pédagogiques, maisons
de retraite, maisons d'enfants à caractère sanitaire, etc. Ces retraits sont en général
prononcés par l'Etat (Ministre de la Santé ou préfet) : ils entraînent alors la fermeture. Ils peuvent aussi ne porter que sur l'autorisation de recevoir des assurés sociaux, et peuvent en ce cas émaner des organismes de sécurité sociale ; la possibilité du retrait d'agrément concerne aussi les sociétés mutualistes et certaines caisses
de retraite privées.
A l'égard, non plus des établissements, mais des assujettis et des praticiens, les organismes de sécurité sociale disposent de certaines mesures répressives (majoration de
retard sur les cotisations, privation des "avantages d'ordre économique" assurés aux
agriculteurs en cas de non-paiement des cotisations sociales agricoles, peines applicables aux médecins et aux pharmaciens en matière d'aide médicale gratuite, etc.).
En matière d'enseignement, qui se rattache au domaine social, il faut citer les sanctions applicables aux établissements privés (retrait de l'autorisation de recevoir des
bénéficiaires de bourses nationales, fermeture) ou à leur personnel enseignant ou de
direction (interdiction d'exercer). Certaines d'entre elles ne peuvent être prononcées que par des conseils à caractère juridictionnel (105). Mentionnons également
le régime disciplinaire des élèves de l'enseignement public (mises à part les punitions
"d'ordre intérieur" déjà évoquées) et surtout celui des étudiants des universités, qui
vient d'être renouvelé en vertu de la loi d'orientation sur l'enseignement supérieur
du 12 novembre 1968 (106).
— les sanctions intervenant dans le cadre d'un régime de tutelle sur des collectivités
publiques décentralisées, ou des organismes privés soumis au contrôle de l'Etat.
Ces sanctions peuvent viser des individus isolés : suspension ou révocation des maires, suspension des dirigeants de sociétés de crédit différé (107), démission d'office
des membres des Conseils généraux. Elles peuvent aussi concerner des organes délibérants : dissolution des conseils municipaux, des conseils d'administration des
coopératives agricoles (108), des conseils de direction des caisses d'épargne. La
280
dissolution peut enfin être prononcée à l'égard de l'organisme lui-même : associations de jeunesse, sociétés d'habitations à loyer modéré ... Il va de soi, compte tenu de leur gravité, que de telles mesures ne peuvent être prononcées que si elles sont
prévues par une loi (109). Notons au passage que la dissolution par décret de certaines associations, prévue par la loi du 10 janvier 1936, sur les groupes de combat
et les milices privées, n'est pas une sanction, mais une mesure de police.
— les sanctions fiscales sont évidemment très variées, et chaque contribution est en
général assortie de son cortège de sanctions : majorations pour retard, doubles ou
triples droits, confiscation, etc. Ces sanctions obéissent aux principes de la légalité
des délits et des peines : et si elles sont prononcées par l'Administration, elles peuvent évidemment être contestées devant le juge de l'impôt au même titre que l'imposition principale elle-même, dont elles ne sont pas réellement détachables.
— Nous avons déjà fait allusion à de nombreuses reprises aux sanctions intervenant
en matière domaniale et de police, le principal problème étant de les distinguer des
autres mesures prises dans les mêmes matières et dépourvues de caractère répressif.
Outre les exemples déjà cités, on peut mentionner le retrait des concessions de terres domaniales, intervenant pour défaut de mise en valeur ou non-respect des autres
clauses de la concession (il s'agit d'ailleurs d'un contentieux en voie de disparition,
car il concernait essentiellement les territoires d'outre-mer), les déchéances de concessions de mines (110), les retraits de concessions de pêche sur le domaine public
maritime (111). En matière de police, les régimes des débits de boissons, du permis de conduire et des auto-écoles, des exploitants de taxis, et des établissements
classés, ont déjà été largement évoqués. Par contre, l'exclusion des champs de course et l'exclusion des établissements de jeux ne sont pas des sanctions, mais des mesures préventives.
Tels sont les principaux domaines dans lesquels on rencontre le plus souvent des
sanctions administratives. Nous avons exclu de cette énumeration les sanctions
prononcées par l'Administration à l'égard de ses co-contractants ; pénalités de retard, mise sous séquestre ou en régie, résiliation-sanction. Les relations contractuelles ont, en effet, été expressément écartées du sujet par le Comité permanent
réuni à Bruxelles le 29 octobre 1971. Il convient cependant d'indiquer qu'il existe en matière de marchés publics, une sanction qui peut être prononcée en dehors
de tout contrat précis, et qui est l'exclusion d'un fournisseur des adjudiciations ou
marchés à venir.
2. Les recours dirigés contre les sanctions administratives
a) Les recours administratifs
Ils sont bien entendu exclus lorsque la sanction émane d'un organisme juridictionnel. Par contre, les mesures répressives prononcées par une autorité administrative
peuvent toujours faire l'objet, comme tous les actes administratifs, d'un recours,
soit devant l'auteur de l'acte lui-même (recours gracieux), soit devant son supérieur
(recours hiérarchique).
281
Le recours gracieux peut aboutir au retrait de la sanction. Celle-ci n'ayant en principe pas le caractère d'un acte créateur de droit, ce retrait peut intervenir à tout moment, même si la mesure est devenue définitive en raison de l'expiration du délai du
recours contentieux. Cette règle subit toutefois une exception en matière de fonction publique, car la sanction a pu créer au profit des collègues de l'intéressé, une
situation au maintien de laquelle ils ont des droits acquis ; elle ne peut donc être
rapportée (112) et il ne peut qu'être mis fin à ses effets pour l'avenir, sans reconstitution de carrière. Si, par contre, la sanction n'est pas encore devenue définitive, et
si elle est entachée d'illégalité, l'Administration peut et doit en prononcer le retrait.
Enfin, le retrait d'une sanction est une mesure créatrice de droits ; l'Administration
ne peut y revenir qu'en cas d'illégalité et dans le délai du recours (113). Pas davantage ne peut-elle retirer une sanction pour lui en substituer une autre, plus grave (114).
Le recours hiérarchique obéit aux mêmes règles, à ceci près que l'illégalité entachant
la décision du subordonné peut être "couverte" par la décision confirmative du supérieur : c'est ainsi qu'une sanction prononcée par une autorité incompétente peut
être valablement confirmée, sur recours hiérarchique, par l'autorité compétente (115);
de même, le supérieur hiérarchique peut-il substituer un motif correct au motif erroné ou illégal retenu par l'auteur initial de la sanction (116).
Notons enfin que le recours administratif introduit dans le délai du recours en annulation (c'est-à-dire dans les deux mois de la notification individuelle de la sanction)
sauvegarde ce délai jusqu'à ce qu'il y ait été répondu, soit par une décision explicite,
soit par le silence de l'Administration prolongé pendant quatre mois (silence qui
vaut décision de rejet).
b) Les recours contentieux (sanctions non juridictionnelles)
Les sanctions administratives ont le caractère d'actes administratifs unilatéraux et
peuvent faire l'objet des mêmes voies de recours que tous les actes de cette nature.
Il n'est pas question de traiter ici en détail de ce contentieux, mais seulement d'indiquer les incidences de son organisation et de ses règles sur les garanties offertes
aux administrés contre l'arbitraire dont l'Administration pourrait faire preuve dans
l'utilisation de son pouvoir de sanction.
(1) La compétence pour connaître des recours est normalement celle de la juridiction administrative, puisqu'une sanction est essentiellement un acte de puissance
publique émanant d'une autorité administrative. Deux catégories de problèmes
peuvent cependant se poser.
— Les sanctions disciplinaires infligées aux magistrats du Parquet, ainsi qu'aux
collaborateurs de la justice, relèvent de la compétence de la juridiction administrative lorsqu'elles sont infligées par une autorité administrative (117) (118). La même solution était applicable, avant la Constitution de 1958, aux sanctions prises
à l'égard des magistrats du siège par le Conseil supérieur de la magistrature, siégeant
en formation disciplinaire (c'est-à-dire hors la présence du Président de la République et du Garde des Sceaux) (119). Le Conseil d'Etat estime actuellement, compte
tenu des termes de l'article 65, dernier alinéa, de la Constitution que ce Conseil su-
282
périeur a le caractère d'une juridiction administrative, relevant de lui par la voie de
recours en cassation (120). Ces solutions, inattaquables du point de vue des principes, puisqu'il s'agit de décisions relatives à l'organisation du service public de la justice, et non à son fonctionnement, ne laissent pas d'être assez gênantes : c'est ainsi
que, saisi d'un recours contre une sanction, le Conseil d'Etat s'estime incompétent
pour examiner au fond les griefs fondés sur l'attitude de l'intéressé au cours d'une procédure donnée, ce qui conduit à un déni de justice (121). Il a été remédié à cette
difficulté pour les magistrats du Parquet par la loi organique du 17 juillet 1970,
qui organise une commission spéciale auprès de la Cour de cassation, chargée d'apprécier si le magistrat poursuivi a commis une faute : sa décision sur ce point s'impose
au Gouvernement et au Conseil d'Etat.
— Certains systèmes répressifs organisent une procédure mi-administrative, mi-pénale:
c'était le cas en matière de prix jusqu'en 1955, c'est toujours le cas en matière de débits de boissons. En ce cas, la compétence du juge administratif s'arrête à la saisine
de la juridiction pénale (122) ; c'est ainsi que l'avertissement donné par le Procureur
de la République à un tenancier de débit de boissons ne peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir (123).
A l'intérieur de la juridiction administrative, la compétence est en premier ressort,
celle des Tribunaux administratifs, à charge d'appel devant le Conseil d'Etat ; toutefois, celui-ci connaît directement des sanctions prononcées à l'égard des agents publics nommés par décret du Président de la République en vertu de la Constitution
ou de la loi organique sur les nominations aux emplois civils et militaires ; il doit
aussi être saisi des litiges ne relevant de la compétence territoriale d'aucun tribunal
administratif (par exemple, une sanction prononcée dans un territoire d'outre-mer
à l'encontre d'un agent de l'Etat en poste dans ce territoire : ou encore une sanction
prononcée par une autorité française ayant son siège à l'étranger).
(2) Du point de vue de la recevabilité des recours, il faut d'abord rappeler que ceuxci doivent être dirigés contre la sanction elle-même, à l'exclusion des actes préparatoires (citation devant le Conseil de discipline - avertissement, etc.). En raison de la
gravité de ces actes, un recours est cependant possible entre les mesures de suspension provisoire et les mises en demeure accompagnées de menaces précises. Par contre, les "mesures d'ordre intérieur" ne sont pas susceptibles de recours, pas plus que
les lettres informant l'intéressé de la perte de son grade ou de la perte du droit de
porter une décoration à la suite d'une condamnation (124).
Seule la personne sanctionnée justifie d'un intérêt suffisant pour former un recours :
toutefois, la veuve a été admise à le faire lorsque la sanction préjudiciait à ses intérêts (125). Un organisme collégial n'est pas recevable à se pourvoir contre une sanction frappant son président (126), ni surtout une association ou un syndicat contre
une sanction frappant un de ses membres (127). Toutefois, l'association ou le syndicat peut "intervenir" à l'appui de l'action formée par son ressortissant et produire
des observations.
Enfin, le délai du recours en annulation ne part que de la notification de la sanction :
il ne peut être prorogé que par un seul recours administratif (128).
283
(3) Les types de recours possibles sont au nombre de deux : le recours en annulation (recours pour excès de pouvoir) et le recours en indemnité.
Le recours pour excès de pouvoir, dispensé du ministère d'avocat, mais enfermé
dans un délai très bref, ne peut pas être exercé dans les matières où il existe un "recours parallèle" (sanctions fiscales, sanctions contractuelles, fermeture d'un établissement classé). Il ne peut tendre qu'à l'annulation de la sanction attaquée, à l'exclusion de toute autre conclusion. Lorsque cette annulation est prononcée, elle fait
disparaître la sanction avec effets rétroactifs, ce qui pose à l'Administration des problèmes extrêmement complexes, sur lesquels existe une abondante jurisprudence.
Si l'annulation est fondée sur le motif que les faits reprochés n'étaient pas de nature à justifier une sanction, l'Administration ne peut plus reprendre la procédure disciplinaire ; elle peut le faire par contre, sous réserve qu'une loi d'amnistie ne s'y oppose pas, si l'annulation est fondée sur un motif de légalité externe, notamment le
vice de procédure, ou même sur l'inexactitude de l'un des motifs de la sanction :
une nouvelle sanction peut être prononcée en respectant la procédure applicable,
ou en se fondant sur les seuls motifs corrects. En tout état de cause, la nouvelle
sanction ne peut être prononcée que pour l'avenir (129), de sorte que l'Administration est tenue de rétablir —au moins jusqu'à la nouvelle sanction— la situation telle qu'elle se serait présentée si la sanction annulée n'avait jamais existé. A vrai dire,
la question se pose surtout dans le droit disciplinaire de la Fonction publique : lorsqu'il s'agit d'un retrait d'agrément visant une activité économique ou professionnelle, les conséquences passées de la sanction annulée ne peuvent guère se résoudre qu'
en dommages-intérêts. Au contraire, l'annulation d'une sanction frappant un agent
public, donne lieu à la reconstitution rétroactive de sa carrière, telle qu'elle se serait
"normalement" déroulée en l'absence de la sanction : c'est la célèbre jurisprudence
RODIERE (130). Cela oblige l'Administration à se livrer, sous le contrôle du juge,
à des appréciations rétroactives fort délicates : le fonctionnaire irrégulièrement évincé aurait-il bénéficié d'un avancement au choix ? A quelle date (131) ? Aurait-il
été intégré lors de la constitution d'un nouveau corps, et à quel niveau (132) ?
Aurait-il été reçu à tel concours auquel la sanction annulée l'a empêché de se présenter (133) ? En cas de recours contre les conditions de reconstitution de la carrière,
le juge tranche ces différents points d'après son "intime conviction", fondée sur les
circonstances de l'affaire : notes de l'intéressé, profil "normal" de la carrière, résultats obtenus par des agents de valeur comparable . . .
Inversément d'ailleurs, la reconstitution de carrière doit tenir compte des événements
défavorables qui se seraient normalement produits : dégagement des cadres, non-renouvellement du contrat (134), mise en disponibilité ou à la retraite (135). Cette reconstitution doit être effectuée selon les règles posées par les textes applicables à
l'époque à laquelle elle se réfère, même si ces règles ont été modifiées depuis lors (136).
Le recours en indemnité peut être formé en même temps que le recours pour excès
de pouvoir, ou après le succès de celui-ci, ou encore à titre principal, lorsque l'intéressé renonce à poursuivre l'annulation de la sanction, ou qu'il est forclos pour le
faire. Ce recours n'est soumis, en effet, à aucune autre condition de délai que la
prescription trentenaire du droit commun : toutefois, la personne publique poursuivie peut opposer la déchéance quadriennale applicable aux dettes de l'Etat et des
284
collectivités publiques lorsque le recours est introduit après l'expiration d'un délai
de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle
les droits ont été acquis (137). Mais cette déchéance n'est pas d'ordre public et
doit être expressément invoquée devant le juge.
Même si la sanction est devenue définitive, faute de recours en annulation dans le
délai, son illégalité, qui constitue une faute de l'Administration, peut être invoquée
à l'appui d'une demande d'indemnité. L'indemnisation correspond à l'intégralité du
préjudice subi ; toutefois, le Conseil d'Etat tient compte de la gravité respective des
fautes commises par le requérant et par l'Administration et l'on a vu accorder des in-
demnités symboliques (138), voire rejeter la demande (139), lorsque l'illégalité se
ramenait à un vice de forme mineur et qu'au contraire, les faits reprochés étaient
graves et bien établis.
L'agent public irrégulièrement évincé n'a pas droit au versement de son traitement,
en l'absence de service fait, mais la jurisprudence lui accorde une indemnité qui prend
pour base le traitement et les accessoires de rémunération dont il a été privé, somme
qui peut être diminuée (notamment des rémunérations privées dont il a bénéficié)
ou, au contraire, majorée (pour tenir compte de l'atteinte à la réputation et de ce
que le Conseil d'Etat appelle les "troubles de toute nature dans les conditions
d'existence" ) (140).
Il se pose parfois des problèmes d'imputabilité, lorsque la sanction a été prononcée
au nom d'une collectivité ou d'une entreprise par une autorité relevant de l'Etat
(par exemple : épuration dans les collectivités locales et les entreprises publiques) ;
après quelques flottements, la jurisprudence a décidé que la responsabilité incombait en ce cas à l'Etat (141).
c) Le recours contre les sanctions infligées par des organismes juridictionnels
Il n'existe pas de recours en indemnité, en vertu du principe général de l'irresponsabilité de la puissance publique à raison des actes juridictionnels (142). Les seuls
recours possibles sont donc l'appel (lorsque le régime répressif comporte deux degrés
de juridiction) et surtout le recours en cassation devant le Conseil d'Etat, qui est de
droit commun, à moins d'être formellement exclu par la loi (143).
Le recours en cassation, qui doit être présenté par ministère d'avocat, ne peut être
fondé, en principe, que sur des moyens de droit. Toutefois, le Conseil d'Etat contrôle
la qualification des faits par le juge du fond (étaient-ils ou non constitutifs d'une infraction au sens du texte applicable ) ? Il contrôle aussi leur "dénaturation" et même leur exactitude matérielle (au vu des seules pièces du dossier soumis au juge du
fond). Compte tenu de ce triple contrôle, il ne reste plus une grande marge pour l'appréciation des faits par le juge du fond, traditionnellement qualifiée de "souveraine" (144). Pratiquement, cette appréciation non contrôlée par le juge de cassation
(sauf "dénaturation") porte surtout sur des questions techniques : par exemple sur
le point de savoir si des méthodes thérapeutiques relèvent du "charlatanisme" (145).
285
Le Conseil d'Etat a été amené à pousser assez, loin son contrôle de cassation, notamment pour lutter contre les tendances corporatistes de certaines juridictions professionnelles : c'est ainsi qu'il a fréquemment censuré des décisions du Conseil national de l'Ordre des Médecins frappant de sanctions, au nom de l'exercice "libéral"
de la profession, des médecins qui avaient passé avec des institutions sociales des
contrats que l'Ordre estimait contraires au Code de déontologie.
Le recours en cassation ne peut aboutir, s'il est jugé fondé, qu'au renvoi de l'affaire
devant la juridiction qui a statué, ou devant une autre de même nature, s'il en existe plusieurs (ce qui est exceptionnel en matière de sanctions).
d) L'amnistie
En principe, les lois d'amnistie ne s' appliquent pas par elles-mêmes à la répression
administrative. Il en résulte qu'une sanction administrative peut être infligée à raison de faits qui, du point de vue pénal, sont amnistiés : par contre, elle ne pourrait
être prononcée à raison d'une condamnation pénale amnistiée.
Toutefois, la plupart des lois d'amnistie intervenues depuis la seconde guerre mondiale comportent un article prévoyant l'amnistie des faits ayant entraîné ou susceptibles d'entraîner une sanction disciplinaire ou professionnelle. L'application de ces
textes amène à distinguer trois cas :
— aucune sanction n'a encore été infligée avant la survenance de l'amnistie : toute
sanction est désormais impossible ;
— une sanction est intervenue, mais fait l'objet d'un recours en annulation ou en cassation lorsque survient l'amnistie : en ce cas, la juridiction saisie du recours prononce le non-lieu à statuer lorsque la sanction n'a pas encore été exécutée, ou qu'elle est
purement morale (blâme) ; elle se prononce au contraire, si la sanction a reçu exécution totale ou partielle (quand ce ne serait que le paiement des dépens devant les
juridictions professionnelles), mais en cas d'annulation, aucune sanction ne peut
plus intervenir (146) ;
— la sanction est devenue définitive, faute de recours, lorsque survient l'amnistie.
En ce cas, la sanction disparaît pour l'avenir, et toute mention doit en être effacée
dans le dossier de l'intéressé : mais, en matière de fonction publique, l'amnistie n'ouvre pas droit à réintégration, sauf si la loi en décide autrement (147).
La plupart des lois d'amnistie excluent les faits "contraires à l'honneur ou à la probité", ce qui a donné lieu à un contentieux extrêmement abondant et parfois pittoresque : C'est ainsi que constituent des manquements à l'honneur ou à la probité,
le fait pour un chirurgien-dentiste d'avoir des intérêts dans un hôtel de passe (148);
pour un architecte, de plagier un confrère (149) ou pour un médecin d'user de procédés charlatanesques (150). Ne constituent pas de tels manquements des propos
injurieux vis-à-vis de confrères (151) ni la prescription d'une médication "incohérente et polymorphe" (152).
286
3. Le droit des sanctions administratives
Il s'agit maintenant d'examiner les principales règles appliquées par la juridiction
administrative pour décider au fond de la légalité ou de l'illégalité d'une sanction.
Conformément à la distinction la plus couramment reçue en doctrine et en jurisprudence, nous distinguerons les conditions de légalité externe et de légalité interne.
a) Conditions de légalité externe
Il n'y a pas grand chose à dire à propos de la compétence de l'auteur de l'acte, qui
obéit à des règles identiques à celles de tous les autres actes administratifs : notons
seulement qu'en matière de fonction publique, le pouvoir disciplinaire appartient
normalement à l'autorité investie du pouvoir de nomination : c'est ainsi que le Conseil municipal ne peut décider de la révocation d'un agent communal, qui ne relève
que du maire (153). Il a déjà été signalé que la compétence pour accorder une autorisation entraîne normalement la compétence pour en prononcer le retrait. Enfin,
les délégations de compétence ou de signature sont possibles à condition d'être prévues ou autorisées par décret : le juge examine minutieusement, s'il est saisi d'un
moyen en ce sens, l'existence, l'étendue et la régularité de la délégation.
Par contre, les conditions tenant à la régularité de la procédure sont d'une importance capitale : elles s'inspirent toutes du principe "audi alteram partem" selon lequel
aucune mesure ayant le caractère d'une sanction ne peut intervenir sans que la personne visée ait eu la possibilité de faire valoir ses moyens de défense à l'encontre des
accusations qui sont formées contre elle.
En l'absence de texte applicable, le Conseil d'Etat a dégagé des règles minimales
qui sont applicables à toutes les mesures qui ont le caractère d'une sanction : c'est
la célèbre jurisprudence TROMPIER-GRAVIER (10) dite aussi des "droits de la
défense". Cette jurisprudence met à la charge de l'Administration, avant de prendre une sanction, une triple obligation :
(1) elle doit aviser l'intéressé qu'elle envisage de prendre une mesure à son encontre.
Aucune forme particulière n'est d'ailleurs imposée : il suffit que la personne concernée ne puisse se méprendre sur les intentions de l'Administration.
(2) elle doit mettre l'intéressé en mesure de prendre communication des griefs qui
lui sont reprochés. La jurisprudence n'exige pas la communication systématique
des griefs : il suffit que l'intéressé ait été dûment avisé de ce qu'une sanction ait
été envisagée. S'il ne se manifeste pas, l'autorité peut passer outre (154), mais s'il
demande les motifs de la mesure qui le menace, ces motifs doivent lui être communiqués d'une manière ou d'une autre : soit en lui permettant de prendre connaissance
du rapport administratif dressé à son sujet, soit en lui indiquant par lettre ou même
verbalement l'essentiel des reproches qui lui sont faits. La jurisprudence est dépourvue de tout formalisme à cet égard : la seule chose importante est que la personne
sanctionnée ait eu la possibilité de discuter tous les motifs de la sanction.
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(3) elle doit accorder à l'intéressé un délai raisonnable entre la communication des
griefs et la prise de la décision, pour formuler ses moyens de défense. Ce délai varie
selon les circonstances : il ne peut jamais être inférieur à 24 heures : un délai de 15
jours est par contre toujours suffisant.
Il peut arriver que le délai soit excessif : c'est ainsi que si l'avertissement a été donné six
mois ou un an avant la sanction, les droits de la défense ne sont pas regardés comme respectés, l'intéressé ayant pu croire que l'Administration avait abandonné son projet.
Tout est question de circonstances.
Il ne faut pas confondre l'obligation du respect des droits de la défense avec celle de
la communication du dossier. Celle-ci est fondée sur un texte législatif, l'article 65
de la loi de finances du 22 avril 1905. Elle a un champ d'application à la fois plus
restreint et plus large que celui du respect des droits de la défense :
— plus restreint, parce qu'elle s'applique seulement aux agents publics de toute nature, fonctionnaire ou non ;
— plus large, parce qu'elle concerne non seulement les sanctions, mais aussi toutes
les mesures prises "en considération de la personne", comme le déplacement d'office
non disciplinaire (155), le licenciement d'un agent contractuel (156), la fin mise aux
fonctions d'un agent titulaire d'un poste "à la discrétion du Gouvernement", tel qu'
un directeur d'administration centrale ou un directeur d'établissement public (157).
Cette communication doit être intégrale, c'est-à-dire porter sur la totalité des pièces
du dossier individuel de l'intéressé (pièces qui sont en principe cotées et énumérées
sur un bordereau) : toutefois, la jurisprudence ne prononce l'annulation des mesures
prises sur une communication incomplète que si les pièces manquantes étaient de nature à influer sur la décision prise par l'Administration ou à faciliter la défense de la
personne visée.
Lorsqu'un texte organise une procédure disciplinaire, celle-ci doit être respectée par
l'Administration ; cette observation ne dispense des obligations minimales (droits de
la défense, et éventuellement communication de dossier) que lorsqu'elle comporte
des garanties au moins égales.
La quasi-totalité de ces procédures comportent l'intervention d'un organisme collé gial(commissions administratives paritaires pour la fonction publique), lequel a le plus
souvent un caractère consultatif, mais qui partage en fait le pouvoir de décision,l'Ad ministration ne s'écartant qu'exceptionnellement des avis émis.
La jurisprudence relative à la régularité de ces consultations est extraordinairement
abondante : ses exigences sont si poussées qu'en exagérant un peu. on pourrait dire
qu'un avocat adroit pourrait faire annuler pour vice de procédure les trois quarts des
sanctions ainsi prononcées par l'Administration. Nous ne ferons ici qu'évoquer les
principales têtes de chapitre :
— il faut, bien entendu, que la consultation ait lieu chaque fois qu'elle est obligatoire. Notons toutefois que la jurisprudence admet l'absence de consultation, lorsque
288
celle-ci se révèle impossible (par exemple en cas de défection systématique de certains
membres) (158) ;
— il faut ensuite que l'organisme consulté soit légalement institué, c'est-à-dire que le
texte qui en fixe la composition et en nomme les membres soit publié et légalement
pris (159) ;
— les membres présents doivent être régulièrement désignés et avoir qualité pour siéger. Toutefois, la légalité de la désignation des membres ne peut plus être contestée,
même par voie d'exception, après l'expiration du délai de recours contre cette désignation, délai qui court normalement à compter de sa publication (160). La présence
de personnes non membres n'entraîne la nullité de la sanction que si elle a été de nature à influer sur l'avis émis: ce n'est pas le cas d'un secrétaire qui n'a pas pris part à
la délibération (161). Les membres régulièrement désignés ne peuvent se faire remplacer par un suppléant que si cette suppléance est prévue et organisée par un texte :
faute de quoi, la présence du suppléant irrégulier vicie la délibération (162).
— les membres de l'organisme doivent être en nombre suffisant pour délibérer : faute
de texte spécial, le quorum exigible est de la moitié plus un (163) ;
— l'organisme ne doit pas comporter de membres personnellement intéressés à l'affaire examinée, et en particulier de personnes ayant fait preuve d'animosité envers la
personne poursuivie (164). Par contre, la présence du chef de service de l'intéressé ne
vicie pas par elle-même la délibération, même s'il est à l'origine des poursuites (165);
— tous les membres doivent avoir été régulièrement convoqués, suffisamment à l'avance ;
— l'avis doit résulter d'un vote, après délibération en commun : la consultation par
lettre ou par téléphone de tous les membres du Conseil serait irrégulière ;
— l'intéressé doit avoir eu la faculté de présenter sa défense aux membres de la commission. Toutefois, l'audition n'est obligatoire que lorsqu'un texte la prescrit ou la
permet ; dans les autres cas, la défense présentée par écrit (ou l'expiration du délai
raisonnable imparti pour la présenter)suffit. Lorsque l'audition de l'intéressé est prévue, celui-ci a la faculté de se faire assister d'un avocat, sauf texte exprès contraire
(166) ou si les règles de l'organisation de l'organisme considéré s'opposent à cette possibilité. (167).
La motivation de la décision infligeant une sanction n'est obligatoire que s'il s'agit
d'une décision juridictionnelle, ou si un texte la prévoit expressément (168).
289
b) Conditions de légalité interne.
(1) Les faits de nature à justifier une sanction.
En droit pénal, on sait qu'un fait ne peut donner lieu à condamnation que si l'infraction est expressément définie par la loi : c'est la règle "nullum crimen sine lege".
Cette règle ne s'applique qu'exceptionnellement en droit administratif. Il arrive que
certaines sanctions soient subordonnées à l'existence d'une infraction bien définie :
c'est le cas en matière de retrait de permis de conduire, de fermeture de débits de
boissons ou d'établissements classés, etc. Mais le plus souvent, le texte applicable ne
donne des infractions qu'une définition extrêmement vague (ex. Code de déontologie des médecins), ou même pas de définition du tout (statut général des fonctionnaires). Il ne s'ensuit pas que l'Administration jouisse d'un pouvoir discrétionnaire : le
juge administratif décide en effet dans chaque cas si les faits reprochés sont " de nature à justifier une sanction", autrement dit, s'ils entrent dans la catégorie juridique
des "faits de nature à ...", catégorie que le législateur a créée en laissant au juge le
soin d'en citer le contenu. C'est là une opération de qualification juridique des
faits, et l'abondante jurisprudence intervenue à ce sujet constitue un véritable droit
disciplinaire.
L'idée est qu'il y a "fait de nature à..." chaque fois que l'on constate un manquement
à une obligation préexistante Mais une fois cette affirmation très générale formulée,
il est impossible de donner une enumeration, ni même de tenter une classification
sommaire des incriminations, car elles sont aussi variées que la vie administrative
elle-même. Les violations de la règle de droit constituent en principe un tel manquement : il en va de même de la méconnaissance des obligations générales qui s'imposent au fonctionnaire, et notamment de l'obligation de réserve, dont on sait qu'elle
est très variable selon le niveau hiérarchique et l'emploi occupé. C'est ainsi que la
signature d'un tract violemment hostile au Gouvernement peut être pardonnée à un
agent subalterne, mais non à un directeur de service. (169). Le refus d'exécution
d'un ordre est fautif, sauf si cet ordre est à la fois manifestement illégal et de nature
à compromettre gravement un intérêt public (170).
La faute disciplinaire peut se rencontrer dans la vie privée, si elle est nature à rejaillir sur les fonctions de l'intéressé (171). Elle peut être recherchée dans son comportement général (172).
La grève ne constitue pas une faute de nature à justifier une sanction, sauf si elle est
prohibée par la loi (cas des forces de police) ou par des instructions ministérielles
légalement prises pour restreindre le droit de grève des agents strictement nécessaires
au fonctionnement des services publics essentiels (173). Encore doit-elle être précédée du dépôt du préavis prévu par la loi du 31 juillet 1963, et la grève "politique"
est-elle en principe interdite (174).
290
(2) Le contrôle des motifs
Comme tous les actes administratifs, les sanctions prononcées par l'Administration
sont annulées par le juge lorsque leurs motifs sont entachés d'inexactitude matérielle
ou d'erreur de droit. Le premier point n'appelle pas de commentaires, si ce n'est que
la charge de la preuve appartient à l'Administration : en cas de doute, le juge annulera la sanction par le motif "qu'il ne résulte pas de l'instruction que les faits reprochés
soient établis". Toutefois, le juge, en cette matière comme dans les autres, décide
d'après son intime conviction.
L'erreur de droit dans les motifs se confond le plus souvent avec l'absence de fait de
nature à justifier une sanction : elle peut exister de manière autonome lorsque l'Administration retient des faits qu'elle n'a pas le droit de retenir, par exemple des faits
amnistiés, des faits niés par une décision du juge pénal revêtue de l'autorité de la
chose jugée, ou des faits qui ont déjà donné lieu à une sanction (règle "non bis in
idem").
Le problème le plus délicat est celui de la coexistence de plusieurs motifs, dont l'un
est entaché d'inexactitude matérielle ou d'erreur de droit, et les autres sont corrects.
La jurisprudence ancienne conduisait en ce cas à l'annulation, sauf si le motif incorrect pouvait être regardé comme "surabondant" (175); la jurisprudence actuelle recherche si l'autorité compétente "aurait pris la même décision" si elle n'avait retenu
que les motifs corrects, ce qui représente un certain infléchissement favorable à
l'Administration, et implique de la part du juge une recherche nécessaire assez
subjective.(176).
(3) Le contrôle des mobiles : détournement de pouvoir et détournement de
procédure.
Les annulations de sanctions administratives pour détournement de pouvoir (c'est-àdire comme ayant été prises en vue d'un but étranger à celui en vue duquel le pouvoir de les prendre a été conféré à l'Administration) sont extrêmement rares (177).
Cela ne signifie pas que certaines sanctions n'aient pas comme véritable mobile une
animosité politique, voire personnelle : mais ce mobile est difficile à établir. Le
Conseil d'Etat préférera d'ailleurs, lorsqu'il a le soupçon qu'il en est ainsi, annuler,
parce que les griefs invoqués ne sont pas établis ou parce qu'ils ne sont pas de nature
à justifier une sanction, plutôt que de prononcer une annulation pour détournement
de pouvoir qui inflige à l'Administration une sorte de note d'infamie.
En revanche, le détournement de procédure est relativement fréquent, sous forme de
la "sanction disciplinaire déguisée". La procédure disciplinaire paraît parfois à l'Administration trop lourde ; elle voudrait bien se débarrasser d'un agent en évitant de
convoquer une commission paritaire, de communiquer les griefs, de mobiliser les
syndicats, d'étaler parfois devant l'opinion publique les éléments d'un litige encore
brûlant. Il est beaucoup plus simple de muter l'intéressé dans une résidence éloignée,
de le mettre à la retraite d'office, ou de le mettre en disponibilité.
Lorsque le mobile disciplinaire ressort de l'instruction, le juge annulera ces mesures
291
pour détournement de procédure : l'Administration a utilisé une procédure destinée
à un objet donné (la mutation dans l'intérêt du service, par exemple) pour obtenir un
résultat qu'elle ne pouvait légalement atteindre qu'en suivant une autre procédure
(la procédure disciplinaire, qui l'aurait peut-être d'ailleurs conduite à prononcer la
même mesure, mais à titre de peine, et après observation des formalités disciplinaires). La difficulté vient, nous l'avons déjà signalé, de ce que l'intérêt du service peut
aussi commander l'éloignement de l'agent : il s'agira donc de rechercher quelle a été
la préoccupation dominante de l'auteur de l'acte, s'il a vraiment pris en considération le seul intérêt du service, ou s'il n'a pas en réalité voulu "sanctionner" la respon-
sabilité imputée à l'agent dans la genèse de la situation nuisible qui résulterait de son
maintien en poste, comme s'exprime - à peu près - l'une des décisions les plus nettes
rendues en la matière(l 78).
On rencontre aussi parfois, au lendemain des élections municipales et dans les communes où la majorité a changé, de prétendues suppressions d'emplois qui sont en
réalité destinées à évincer le secrétaire de mairie en place, et que le juge annule pour
ce motif (179).
Mais la matière de la fonction publique n'a pas le monopole des sanctions déguisées:
il s'en est beaucoup rencontré en matière de législation économique. C'est ainsi que
sont illégales :
— une réquisition prononcée pour sanctionner une infraction en matière de prix
(180).
— le refus systématique d'attribution de matières premières (181).
— l'utilisation du pouvoir de police pour punir un commerçant suspect de collaboration avec l'ennemi (183).
Cette jurisprudence nuancée montre le souci constant du Conseil d'Etat de préserver les garanties dont doivent bénéficier les intéressés, dès lors que la mesure qui les
frappe revêt un caractère répressif.
*
*
*
Le lecteur de ce rapport aura peut-être eu l'impression que le droit français des sanctions en matière administrative était particulièrement complexe, en raison de l'abondance et de la diversité des textes applicables et surtout des subtilités de la jurisprudence. Une telle impression ne serait pas entièrement fondée : les solutions, en réalité, découlent toutes de quelques principes de base assez simples et, dans l'immense
majorité des cas, leur application ne pose pas de problème majeur au juge saisi d'un
recours. La jurisprudence s'est toujours efforcée de concilier les droits des administrés et l'efficacité de l'action des pouvoirs publics ; si la sanction en matière admi-
292
nistrative - et de plus en plus souvent la sanction administrative proprement dite sont des maux nécessaires, le Conseil d'Etat français s'est efforcé de les assortir de
garanties de procédure et de fond qui les rendent supportables pour des citoyens
d'un pays libre.
293
NOTES
(1) — La question de la constitutionnalité d'une disposition législative de ce genre ne peut se poser qu'à l'occasion de son élaboration, en cas de saisie du
Conseil constitutionnel par l'une des quatre autorités qui ont compétence
pour le faire (Président de la République, Premier Ministre, Président de
l'Assemblée Nationale, Président du Sénat). On sait qu'il n'existe pas en
France de possibilité pour le citoyen ni pour le juge de mettre en cause la
constitutionnalité d'une loi en vigueur.
(2) -
R.ODENT - Contentieux administratif - Cons. 170-71, p. 419.
(3) -
Trib. Conflits - 2 décembre 1902 - Société Immobilière de Saint-Just, p.713
(a).
(4)— C.E. 2 avril l943-BOUGENp. 86.
(5) — Loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes, et service du même nom.
(6) — Conclusions sous l'affaire précitée en note (3), rapportées au Dalloz
(1903.3.41).
(7) — C.A.COLLIARD - La sanction administrative. Annales de la Faculté de
Droit d'Aix-en-Provence - 1943,p.5.
(8) — Citons, parmi les professions dont on parle parfois à ce sujet : les journalistes, les agents immobiliers, les auxiliaires médicaux ou sociaux de tous
ordres.
(9) — Cf. par exemple, avis du 21 février 1969 (Syndicat des usiniers réunis du
nettoyage à sec). J.O. Documents administratifs 1971, p. 122.
(10)— La décision la plus célèbre concerne le retrait de l'autorisation d'exploiter un
kiosque à journaux sur la voie publique, lorsque ce retrait intervient pour
sanctionner l'exploitant qui ne s'est pas conformé à la réglementation :
CE. 5 mai 1944, dame veuve TROMPIER-GRAVIER, p. 133.
(11)— C'est-à-dire aux fonctionnaires ou aux élus locaux qui ont manié irrégulièrement des deniers publics.
(a)
Les paginations sans autre indication s'entendent du "Recueil des décisions
du Conseil d'Etat statuant au Contentieux, du Tribunal des Conflits et des
Jugements des Tribunaux administratifs", appelé plus communément "Recueil LEBON". Les décisions sont publiées dans le volume correspondant à
l'année pendant laquelle elles ont été rendues.
294
(12) — Créée par une loi du 25 septembre 1948 et récemment réorganisée par la
loi du 13 juillet 1971.
(13) - Avis du Conseil d'Etat du 6 février 1953 : Revue du Droit Public 1953,
p. 170.
(14) — Le Conseil constitutionnel est compétent pour préciser le domaine respectif
de la loi et du règlement lorsqu'il est saisi de la recevabilité d'un amendement
ou d'une proposition de loi ou de la constitutionnalité d'une loi avant sa
promulgation. Le Gouvernement peut aussi lui demander de déclarer que des
dispositions de forme législative postérieures à 1958 relèvent en réalité du
domaine réglementaire et peuvent être modifiées par décret. De son côté,
le Conseil d'Etat intervient à un double titre : lorsque le Gouvernement
veut modifier par décret des dispositions de forme législative antérieures à
1958 (il agit alors à titre consultatif, sous forme d'avis de ses sections administratives), ou lorsqu'un requérant forme un recours en annulation ou oppose une exception d'illégalité à l'encontre d'un décret réglementaire, en
soutenant que ce décret porte sur des matières qui relèvent du domaine législatif. La jurisprudence des deux Conseils est dans l'ensemble concordante. Toutefois, des divergences se sont produites, notamment à propos de la
notion de sanction pénale. Le Conseil constitutionnel s'est en définitive
rallié à la doctrine restrictive du Conseil d'Etat (cf. R. ODENT op. cit. pp.
186- 188).
(15) — Rappelons que l'article 16 n'a été utilisé qu'une fois, lors du "putsch" des
généraux d'Algérie du 22 avril au 30 septembre 1961 (cf. C.E. 2 mars 1962,
RUBIN de SERVENS, p. 143).
(16) — C'est ainsi que la célèbre décision CANAL et autres rendue par le Conseil
d'Etat le 19 octobre 1962 (p.552) a annulé une ordonnance portant création d'une Cour de justice militaire, parce qu'elle outrepassait les limites de
l'habilitation en excluant le recours en cassation contre les décisions de la
juridiction ainsi créée.
(17) — C.E. 12 février 1960 - Société EKY p. 101.
(18) — C.E. 3 février 1967, Confédération générale des vignerons du Midi, p.55.
(19) — Conseil constitutionnel, 26 juin 1969, décision numéro 69. 55 L (Recueil
Cons. Constit. p. 27).
(20) — C'est ainsi qu'en matière de protection du domaine public routier, c'est un
décret du 27 décembre 1958 qui définit les infractions et les punit de peines
contraventionnelles. Mais il a fallu une ordonnance (législative) du même
jour pour régler les questions de procédure, notamment pour permettre au
Tribunal saisi d'ordonner la réparation du dommage causé par le contrevenant à la voirie.
295
(21) — C.E. 13 juillet 1962. Conseil national de l'Ordre des Médecins, p. 479.
(22) — Conseil constitutionnel 22 mai 1964.
(23) — C.E. 13 décembre 1968 - Association syndicale des propriétaires de Champigny s/Marne, p. 645.
(24) — C.E. 22 juin 1963 - Syndicat du personnel soignant de la Guadeloupe, p.386.
(25) — Conseil constitutionnel 27 novembre 1959.
— Recueil Cons. constit. p. 71.
— Conseil d'Etat 28 octobre 1960- Martial de Laboulaye, p. 570.
(26) — C.E. 17 décembre 1954 - Dame Samuel SIMON, p. 678.
— C.E. 31 octobre 1952 - Ligue pour la protection des mères abandonnées,
p.480.
(27) — En vertu de cette jurisprudence, l'autorité réglementaire compétente pour
instituer le permis de conduire en vertu de ses pouvoirs de police à l'échelon
national, était aussi compétente pour en prévoir le retrait - C.E. 25 février
1959 - BALESTRE - Tables p. 887.
(28) — C.E. 13 juin 1952 - BERTHO - Tables p. 682.
(29) — CE. 31 mars 1944 - DE WEIRDT p. 105.
— C.E. 14 février 1951 - Fédération nationale des syndicats d'utilisateurs de
lait, p. 88.
(30) — C.E. 6 mars 1959 - Syndicat des grandes pharmacies, p. 164.
(31) — C.E. 28 février 1947 - Syndicat français des directeurs de cinémas, p.88.
C.E. 22 mai 1936 - RETAIL - p. 585.
(32) — C.E. 1er mars 1968 - Commune de Ferrières-le-Lac, p. 153.
(33) — C.E. 4 mai 1962 - Société GEO, p. 294.
(34) — C.E. 19 novembre 1958 - Société IMPOINORD, p. 563.
(35) — C.E. 1er avril 1942 - BOIREAU, p. 102.
(36) — C.E. 17 novembre 1950 - LUCERAT, p. 559.
(37) — C.E. 9 mars 1956, Dame AUD1C, Tables p. 690.
(38) — C.E. 17 avril 1963, Ministre des Anciens Combattants, p. 24.
296
(39) - C.E. 22 mai 1946, Consorts MUGNAINI, p. 142.
(40) - Code de la Route, article L. 18, al. 4.
(41) - CE. 14 décembre 1945 - Société FAURE, p. 256.
(42) - C.E. 14 décembre 1945, - TELLIER, p. 256.
(43) - C.E. 25 février 1955 - BOUCEKINE, p. 121.
(44) - C.E. 15 juillet 1955 - CHRESTIA - BLANCHINE, p. 446.
(45) - C.E. 7 mai 1952 - ARROUA, p. 232.
(46) - Tribunal des Conflits, 5 juillet 1951, AVRANCHES et DESMARETS,
p. 638.
(47) — Jurisprudence ancienne et constante : voir par exemple C.E. 9 novembre
1932, Société WEIL-HAERINGE, p. 941 ; 13 mai 1959, VALETTE-VIALARD, p. 309.
(48) - C.E. 10 mars 1961, Ministre de l'Agriculture - Tables p. 929.
(49) - C.E. 17 juin 1959 - Dlle VICTOR, p. 366.
- C.E. 4 novembre 1969 - PATROLIN. p. 459.
(50) - C.E. 11 mai 1956 - CHOMAT, p.200.
(51) - C.E. 7 février 1958 - FERRANDEZ, p. 84.
(52) - CE. 22 mai 1957 - LECORNEC, p.333.
(53) - C.E. 3 mai 1963 - ALAUX, p. 352.
(54) — même décision.
(55) — Code des débits de boisson, article L. 62.
(56) — Code de la Route, article L. 18.
(57) - C.E.8 janvier 1971 - Ministre de l'Intérieur c/Dame DESAMIS, p. 59.
(58) - C.E. 7 juillet 1971 - Ministre de l'Intérieur c/GERARD ( non encore
publié ).
(59) - C.E. 14 décembre 1951 - POISSON, p. 591 ;
14 mars 1956 - ARNAUD, p. 119.
297
(60) — C.E. 10 février 1961 - Délégué Général du Gouvernement en Algérie,
p. 74.
(61) - CE. 14 octobre 1962 - JOVENET - Tables p. 906.
(62) - C.E. 30 octobre 1968 - PONAMA, p. 538.
(63) - C.E. 10 mars 1950 - GUILLOUX, p. 150 ;
C.E. 18 mars 1959 - Union nationale des associations familiales, p. 185.
(64) — C.E. 10 décembre 1958 - Caisse d'allocations familiales de Lyon. p. 633.
(65) - C.E. 23 novembre 1956 - FOCK-PIOU - Tables p. 717.
L'expulsion est un acte de police qui peut être pris discrétionnairement.
Toutefois, la loi organise en faveur des étrangers titulaires d'une carte de
séjour, une procédure contradictoire (appel possible devant une commission) qui est obligatoire sauf "extrême urgence" et le Conseil d'Etat recherche si cette dernière condition était réunie ; C.E. 16 janvier 1970 - MIHOUBI
Mohand TAYEB, p. 25.
(66) - C.E. 31 janvier 1964 - Epoux BONJEAN, p. 73.
(67) - C.E. 22 avril 1955 - Association franco-russe, p. 202.
(68) - CE. 16 octobre 1959 - GHATTOS, p. 518.
(69) - C.E. 7 mars 1958 - ZAQUIN, p, 150.
(70) - C.E. 29 mai 1961 - PETCO - Tables p. 907 ;
C.E. 16 novembre 1962 - Société industrielle de tôlerie, p. 618.
(71) - C.E. 11 juillet 1947 - DEWAVRIN, p.307.
(72) - C.E. 29 avril 1955 - ALLEMAND, p.224.
(73)- C.E. 2 mars 1938-ABET, p.224.
( 74) — Cumul entre les arrêts et la mise en non-activité pour motif disciplinaire :
C.E. 8 février 1939 - LECUSSAN, p. 61.
(75) - C.E. 20 juin 1962 - KLEY, p. 635. Il convient toutefois de signaler que, s'agissant des fonctionnaires titulaires, le licenciement pour inaptitude professionnelle est entouré par la loi de garanties pratiquement équivalentes aux
garanties disciplinaires.
(76) - C.E. 11 mai 1953 - SOULIER, p. 712 ;
C.E. 14 mars 1952 - BIGOIN et autres, p. 165.
(77) - C.E. 18 décembre 1963 - Ministre de l'Intérieur, p. 908.
298
(78) - C.E. 11 juin 1958 - CHARTRAIN, p. 33.
(79) - C.E. 20 février 1963 - PETITET, p. 102.
(80) - C.E. 29 juin 1960 - Ministre de l'Education nationale, p. 426. Une telle mise en demeure constitue une décision susceptible de recours contentieux,
mais n'a pas le caractère d'une sanction.
(81) - C.E. 15 juillet 1958 - MARCUCCINI, p. 456.
(82) - C.E. 22 juillet 1938 - POUJADE, p. 711.
(83) - C.E. 6 avril 1935 - DURAND, p. 451.
(84) - C.E. 15 juillet 1957 - Société Union Mutuelle Immobilière, p.484.
(85) - C.E. 15 février 1961 - GALIBERT - Tables p. 1070.
(86) - CE. 30 mars 1960 - BENOUALI, p. 239.
(87) - C.E. 2 novembre 1956 - Société coopérative laitière de HERNES, p. 402.
(88) - C.E. 27 mai 1959 - NORDMANN, p. 319.
(89) — Cf. sur ce point l'article du Professeur de CORAIL en Actualité juridique -
droit administratif - 1967, p.3.
(90) - C.E. 28 juillet 1952 - BERGERET, p. 410.
(91) - C.E. 12 décembre 1953 - de BAYO, p. 544.
(92) — par exemple pour une maison meublée abritant des rendez-vous galants :
CE. 30 septembre 1960 - JAUFFRET, p. 828.
(93)- Loi du 12 avril 1941.
(94) - Loi du 25 octobre 1946.
(95) — La suspension pour un temps déterminé, peine disciplinaire, est à distinguer
de la suspension provisoire prononcée dans l'intérêt du service dans l'attente de poursuites disciplinaires ou pénales.
(96) - Par exemple, le Pr. DURAND-PRINBORGNE, auteur du fascicule 202 du
"jurisclasseur administratif" ; pour lui, la sanction disciplinaire est celle qui
est prononcée "à l'intérieur d'un groupe professionnel organisé".
(97) — Ordonnance législative numéro 59-244 du 4 février 1959 et décret numéro
59-311 du 14 février 1959.
299
(98) — C'est-à-dire presque tous les agents non titulaires des services qui n'ont
pas le caractère "industriel et commercial". Le Conseil d'Etat estime en
effet que relèvent du droit public tous les agents qui "participent à l'exécution même du service public", ce qui n'exclut que quelques agents chargés de tâches très subalternes ou à temps très partiel : C.E.4 juin 1954 AFFORTIT et VINGTAIN, p. 342.
(99) — En cas de litige, l'application de ces statuts est appréciée par les Tribunaux
de l'ordre judiciaire ; toutefois, les agents de la Banque de France relèvent
de la juridiction administrative, en vertu d'un texte législatif remontant
à la période révolutionnaire.
(100) -
Nous avons déjà signalé que la création de ces sections par un décret du
12 mai 1960 a été jugée illégale (note 21 ci-dessus). Mais elle a été reprise par une loi ultérieure.
(101) - C.E. 8 octobre 1954 - PEULVEY, p. 522.
(102) — La sanction peut viser soit le chef de centre (interdiction d'exercer), soit
le centre lui-même (fermeture).
(103) — Ordonnance du 30 juin 1945, art. 59bis et suivants, modifiés en dernier
lieu par l'ordonnance du 28 septembre 1967.
(104) - C.E. 22 octobre 1965 - Société "La Langouste", p. 543.
(105)
Par exemple, le conseil départemental de la formation professionnelle,
de la promotion sociale et de l'emploi, substitué par la loi numéro 71577, du 16 juillet 1971, à l'ancien conseil départemental de l'enseignement technique.
(106) - Décret d'application numéro 71-216, du 24 mars 1971.
(107) - C.E. 10 octobre 1954 - Ministre des Finances, p. 492.
(108) — C.E. 17 octobre 1951 - Coopérative agricole du Sancerrois, p. 483.
(109) — C.E. 8 janvier 1943 - Société de secours mutuels de Malines, p. 5.
(110)
- Loi du 21 avril 1810, art. 49.
(111) - C.E. 29 novembre 1961 - MADEC, p. 667. Le texte applicable est le
décret du 21 décembre 1915.
(112)
- C.E. 4 février 1955 - RODDE, p. 72.
(113)
- C.E. 21 novembre 1947 - Dlle INGRAND, p. 429.
300
(114)
- C.E. 29 juin 1945- CORBY, p. 144.
(115)
- C.E. 14 octobre 1954 - Dame BONNETBLANC, p. 491.
(116)
- CE. 23 avril 1965 - Dame DUCROUX, p. 281.
(117) — Par contre, les décisions disciplinaires du Conseil des Ordres d'avocats relèvent, en appel, de la Cour d'Appel : il s'agit d'un contentieux judiciaire
par détermination de la loi. (Solutions analogues pour les avoués, les notaires et les commissaires-priseurs).
(118) — En ce sens, pour une sanction infligé à un magistrat du Parquet : C.E.
22 novembre 1946 - MAUGAIN, p. 278 ; à un greffier : C.E. 10 octobre
1962-ERNATUS, p. 524.
(119)
- C.E. 18 mai 1956 - DOMPIETRINI, p. 214.
(120)
- C.E. 12 juillet 1969 - L'ETANG, p. 388.
(121) - C.E. 26 juin 1953 - DORLY, p. 326 et 10 octobre 1962 - ERNATUS
précité.
(122) - Tribunal des Conflits - 10 juillet 1947 - Dame OULES, p. 505.
(123) - CE. 11 juillet 1952-DELRIEU, p. 371.
(124) - C.E. 14 décembre 1951 - POISSON, p. 59, précité.
(125)
- CE. 23 mai 1947 - Dame veuve MESMER, p. 218.
(126) - CE. 21 mars 1947 - BORGERES et Chambre des Métiers de Pille et
Vilaine, p. 117.
(127) — C.E. 13 mars 1950 - Union générale des fédérations de fonctionnaires,
p. 26.
(128) — Cette règle est une des causes qui explique la rareté du contentieux administratif dans les Etats d'Afrique noire issus de l'ancienne Union française, ainsi qu'il nous a été donné de le constater au Sénégal. Les fonctionnaires forment de multiples recours, gracieux et hiérarchiques et ne s'adressent au juge (en l'espèce la section administrative de la Cour suprême)
qu'à un moment où ils sont forclos depuis longtemps.
301
(129)
- CE. 6 juin 1952 - FOURCHER, p. 297.
(130)
- C.E. 26 décembre 1925 - RODIERE, p. 1065.
(131)
- CE. 18 octobre 1961 - PARMENTIER, p. 570.
(132) - C.E. 23 mars 1956 - POLI, p. 139.
(133) - C.E. 13 juillet 1956 - BARBIER, p. 338.
(134) - C.E. 1er juin 1956 - LEROUX - Tables p. 697.
(135) - C.E. 18 octobre 1961 - PARMENTIER, précité.
(136) - C.E. 11 juillet 1958 - FONTAINE, p. 483.
(137) — Cette règle résulte de la loi du 31 décembre 1968. Auparavant, ce délai
courait du 1er janvier de l'année au cours de laquelle le dommage était
apparu, ce qui revient à dire qu'il était d'un an plus court.
(138) - C.E. 3 décembre 1952 - DUBOIS, p.555.
(139) - C.E. 15 juillet 1957 - DUFFOUR - Tables p. 950.
(140)
- C.E. 7 avril 1933 - DEBERLES, p. 459.
C.E. 8 février 1957 - Préfet de police, p. 97.
(141) - Tribunal des Conflits, 12 décembre 1955 - THOMASSON, p. 626.
(142)
- C.E. 4 janvier 1952 - POURCELET, p. 4.
(143) — Il a été jugé qu'une loi prévoyant qu'un organisme jugerait "sans aucun
recours" n'excluait pas le recours en cassation : C.E. 7 avril 1947 d'AILLERES, p. 50.
(144) — Contrôle de la qualification juridique des faits : C.E. 2 février 1945 -
MOINEAU, p. 27 ;
Contrôle de l'exactitude matérielle des faits : C.E. 12 janvier 1951 Union commerciale de BORDEAUX - BASSENS, p. 19 ;
Contrôle de la dénaturation des faits : C.E. 4 janvier 1952 - SIMON, p.13.
(145) - C.E. 16 janvier 1951 - AVELINE, p. 36.
(146) - C.E. 17 février 1956 - BASIGNAN et LARGENTIER, p. 75.
(147) - C.E. 15 avril 1953 - FREYRE - Tables p. 612.
(148) - C.E. 7 octobre 1964 - BERAUD, p. 450.
(149)
- C.E. 2 mars 1956 - BERSON et MOUILLARD, p. 104.
(150) - C.E. 2 octobre 1959 - RAYNAUD, p. 484.
(151)
- C.E. 5 février 1958 - SABADINI - Tables p. 838.
302
(152)
- CE. 22 juin 1962 - BRIAULT, p. 427.
(153)
- C.E. 4 novembre 1949 - WITTWER, p. 457.
(154) - C.E. 23 juin 1967 - MIRAMBEAU, p. 272.
(155) - C.E. 3 mars 1937 - VALLON, p. 270.
(156)
- C.E. 15 février 1961 - Hôpital de Bayeux, p. 126.
(157)
- C.E. 20 janvier 1956 - NEGRE, p. 124.
(158)
- CE. 12 octobre 1956 - BAILLET, p. 356.
(159)
- CE. 23 mars 1962 - REVERS, p. 202.
(160) - CE. 11 octobre 1967 - dame GONZALES, p. 526.
(161)
- C.E. 12 mars 1958 - Gouverneur général de l'Algérie, p. 156.
(162) - La jurisprudence récente de l'arrêt MEUNIE (C.E. 18 avril 1969, p.208),
qui assouplit cette règle, n'est certainement pas applicable en matière
disciplinaire.
(163)
- C.E. 2 novembre 1957 - Aérium de Biarritz, p. 578.
(164)
- C.E. 20 janvier 1960 - MAZIERES, p. 27.
(165) - CE. 11 juillet 1958 - TORDO, p. 431.
(166) - C.E. 8 novembre 1963 - Ministre de l'Agriculture, p. 532.
(167) - CE. 6 mai 1962 - LACOMBE, p. 300.
(168)
- C.E. 13 juillet 1967 - Ministre de l'Education nationale, p. 334.
(169) - C.E. 13 mars 1953 - TEISSIER, p. 133.
(170) - C.E. 10 novembre 1944 - LANGNEUR, p. 288.
(171) - C.E. 20 juin 1958 - LOUIS, p. 368. Il s'agissait des rapports d'un professeur de l'enseignement supérieur avec l'une de ses élèves. A en juger par
une affaire qui a défrayé la chronique en fin 1968, l'esprit public a beaucoup évolué depuis.
303
(172)
- C.E. 7 avril 1944 - COLLIN
(173)
- C.E. 7 juillet 1950 - DEHAENE, p. 426, et l'abondante jurisprudence qui
a suivi. Avant la constitution du 27 octobre 1946, dont le préambule pré voit que le "droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent" la grève des agents publics était toujours fautive.
(174) - C.E. 18 janvier 1963 - PERREUR, p. 34.
(175) - C.E. 14 janvier 1948 - CANAVAGGIA, p. 18.
(176) - C.E. 12 janvier 1968 - dame veuve PERROT, p. 39.
(177) - Voir cependant C.E. 26 octobre 1960 - RIOU, p. 558 (licenciement d'un
contractuel pour des motifs politiques étrangers au service).
(178)
- CE. 13 juillet 1961 - Dlle SEBAOUN, p. 514.
(179) - C.E. 23 janvier 1935 - GORGEON, p. 85.
(180)
- C.E. 21 février 1947 - GUILLEMET, p. 66
(181) - C.E. 6 octobre 1944 - SASSOT, p. 258.
(182)
- C.E. 4 février 1948 - VERECCHIA - Tables p. 609.
304