Mémoire 2012 2011 - Sophie Queval Parola

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Mémoire 2012 2011 - Sophie Queval Parola
Département des Sciences de l'Information et de la Communication
Master 1 Information, Communication et Cultures
Le Storytelling ou la communication narrative,
support de la culture organisationnelle
dans la vidéo d’entreprise.
Soutenu par
Sophie Queval
Sous la direction de
Mme Christel TAILLIBERT,
Maître de Conférences en Sciences de l’Information et de la Communication
et Docteur en Histoire du Cinéma
Université de Nice Sophia-Antipolis
UFR Lettres, Arts et Sciences Humaines
Année universitaire 2011/2012
Département des Sciences de l'Information et de la Communication
Master 1 Information, Communication et Cultures
Le Storytelling ou la communication narrative,
support de la culture organisationnelle dans la
vidéo d’entreprise
Soutenu par
Sophie Queval
Sous la direction de
Mme Christel TAILLIBERT,
Maître de Conférences en Sciences de l’Information et de la Communication
et Docteur en Histoire du Cinéma
Université de Nice Sophia-Antipolis
UFR Lettres, Arts et Sciences Humaines
Année universitaire 2011/2012
Remerciements
Il m’est agréable par la présente d’adresser ma profonde reconnaissance à toutes les
personnes morales ou physiques qui ont de près ou de loin contribué à la réalisation de
ce mémoire.
J’aimerais remercier plus particulièrement Madame Taillibert Chrystel, Maître de
Conférences en Science de l’Information et de la Communication à l’Université de NiceSophia Antipolis et Docteur en Histoire du Cinéma, pour son excellent travail de
supervision, sa pédagogie et sa bienveillance à mon égard. Tout au long de ma démarche
de recherche et de rédaction, elle a su être un guide attentionné, enthousiaste et
disponible. Je tiens donc à lui faire part de mon entière gratitude pour ses qualités de
directrice de mémoire et pour ses qualités humaines.
Je souhaiterais remercier également le Ministère de la Défense, notamment l’ECPAD, et
le service de communication de l’armée de terre. Les personnels que j’ai rencontrés et
avec qui j’ai communiqué, ont été d’une grande qualité d’écoute. Leur réactivité et leur
disponibilité ont grandement facilité mes démarches de chercheur notamment dans la
sélection de mon corpus vidéographique. Je leur adresse mes remerciements les plus
sincères.
Enfin, j’aimerais remercier les personnes de mon entourage pour leur présence lors de
certaines relectures, leur avis m’a permis de prendre du recul et de mettre au clair
quelque unes de mes idées lors de la rédaction de ce mémoire.
Sommaire
Introduction
p. 8
Partie I : Pour une approche documentaire
p. 14
A) La représentation de la culture organisationnelle
p. 15
1) Pour une définition de la culture organisationnelle
p. 15
1) a) La culture dans l’organisation
1) b) Le processus de construction de l’identité salariale
1) c) L’individu et le groupe, ou l’acquisition de la mémoire collective
p. 16
p. 18
p. 21
2) La dimension culturelle de l’ordre symbolique
p. 23
2) a) Le langage : ce que l’organisation veut dire
2) b) Les rites et les rituels au temps des organisations
2) c) La narration et les mythes : il était une fois l’histoire d’une organisation
p. 24
p. 27
p. 30
B) La communication interne des organisations, le champ d’action des
pratiques dans la gestion managériale
p. 34
1) La Communication écrite et orale
p. 35
1) a) Les moyens oraux et l’exemple formel des réunions
1) b) Les moyens écrits, ou la pratique d’outils traditionnels
p. 35
p. 36
2) La Communication informatique et audiovisuelle
p. 40
2) a) L’Intranet et les moyens informatiques
2) b) Les vidéos d’entreprise pour donner à voir et à avoir
p. 41
p. 42
C) Le storytelling ou l’art de narrer des histoires
p. 46
1) Le Storytelling ou la communication narrative, la construction d’une histoire p. 48
1) a) Genèse d’un mythe ou comment le storytelling a-t-il été théorisé ?
1) b) Une formule pensée pour l’homme
1) c) Les applications contemporaines du storytelling ou le narrativist turn
p. 48
p. 51
p. 55
2) Les typologies narratives, le storytelling décrypté et décomposé
p. 58
2) a) Pour comprendre la structure du récit
p. 58
2) b) Ethos, Pathos et Logos, la trilogie narrative
p. 61
3) Le nouveau marché du storytelling
et le soulèvement des entreprises narratives
p. 66
3) a) Un outil de la gestion interne
3) b) Le storytelling à l’heure de la communication
p. 66
p. 71
Partie 2 : Pour une analyse filmique des vidéos d’entreprise
p. 73
Introduction
Présentation de l’organisation, le Ministère de la Défense et l’ECPAD
p. 74
A) Analyse de la culture organisationnelle
p. 78
1) La quête identitaire
p. 78
1) a) Personnalité individuelle et personnalité organisationnelle
1) b) La constitution du lien social : la cohésion avec le groupe
1) c) Le vécu professionnel, transposition de l’expérience
1) d) La formation et l’internalisation des valeurs sociales
p. 78
p. 82
p. 83
p. 85
2) La manifestation de la mémoire collective
p. 87
2) a) Mémoire individuelle et mémoire collective
2) b) Les valeurs et les modèles de référence pour une continuité culturelle
2) c) « L’autre » continuité de soi
p. 87
p. 89
p. 90
3) La symbolique du langage
p. 92
3) a) Le parler organisationnel
3) b) Le langage symbolique
p. 92
p. 93
4) Les pratiques ritualisées
p. 95
4) a) Le rite de passage
4) b) Les « rites d’interaction »
p. 95
p. 96
B) Analyse du Storytelling au service de la communication managériale
p. 98
1) La mise en scène du dispositif émotionnel
p. 98
1) a) L’expérience humaine et l’expérience imaginaire
1) b) Le canevas des émotions
p. 98
p. 100
2) A la recherche d’une typologie narrative
p. 104
2) a) Les invariants, archétypes des pratiques sociales ?
2) b) La structure narrative, trame allégorique d’un engagement professionnel ?
p. 103
p. 107
3) Le schéma rhétorique au service du récit
et de la stratégie communicationnelle
p. 110
3) a) L’exposition de l’ethos
3) b) La formulation du pathos
3) c) La compréhension du logos
p. 110
p. 112
p. 113
Conclusion
p. 116
Bibliographie
p. 120
Annexes
p. 128
Introduction
8
L’âme de toute recherche, autrement dit, son germe, celui qui permettra de mettre
à jour les premiers bourgeons de l’objet de recherche, puis l’épanouissement d’un sujet
construit et fécond, a représenté pour moi la première façon de m’implanter dans une
démarche de chercheur. J’ai donc porté toute mon attention, les premiers temps, à trouver
où avait pu s’enraciner ce germe. Les motifs et les circonstances qui avaient fondés et
régis mon orientation en Sciences de l’information et de la communication devaient par
logique, s’inscrire non loin de cette jeune pousse. Il fallait donc commencer par le
commencement avant toute action et trouver l’origine de mes motivations.
C’est la dimension symbolique des mots et de leurs usages qui m’est alors apparue
comme l’essence même de cette inspiration. Il s’agissait bien de cette envie d’écrire et de
travailler sur les différentes substances du récit, de comprendre les fondements de cette
intentionnalité porteuse de sens : communiquer, énoncer, exploiter les vertus des mots et
celles du langage articulée, des expressions et des sons, bref, de la richesse de la langue
pour parfaire et léguer un message emprunt de clarté.
Mon admiration pour les discours éloquents et de leurs mises en scène dans des
dispositifs techniques ou technologiques, me démontrait en tout point que les ressources
transdisciplinaires dans laquelle j’allais évoluer en communication étaient prédicables. Il
était question de poursuivre un parcours en écriture et de convier ma réflexion vers la
portée émancipatrice de l’ordre écrit et oral. C’est en ce sens, que j’ai choisi de travailler
sur le dialogue dès les premiers mois.
Je sentais qu’il pouvait être judicieux de mettre à profit mon cheminement universitaire
au service d’un travail personnel comme le mémoire. L’idée a été de l’adapter au départ
au format cinématographique particulièrement riche en contenus symboliques. Et puisque
« le langage ne cesse d’accompagner le discours en lui tendant le miroir de sa propre
structure1 », il devenait réellement passionnant de se pencher sur le métier de scénaristedialoguiste dans le cinéma français où certains noms comme Prévert ou Audiard
exerçaient. Le dialogue filmique a donc été mon premier élément de recherche.
1
BARTHES R., Introduction à l’analyse structurale du récit, In : Communications, 8, 1966, p 6.
9
Puis, dans le contexte de l’apprentissage, j’ai dévié ce thème de recherche autour des
vidéos d’entreprise afin d’en montrer la culture d’entreprise. Il a fallu alors étoffer la
démarche analytique non plus seulement sur le fond, c'est-à-dire non plus uniquement sur
la structure linguistique (devenu lisse et prosaïque sous ce format) mais aussi sur la
forme. C’est enfin que le sujet a pris son sens grâce au concours de l’atelier
méthodologique de recherche où la notion de storytelling a été abordée. C’est non sans
questionnements de ma part et d’hésitations quant à la conduite à tenir face à cette
nouvelle matière que j’ai pu tenter de comprendre la pertinence du sujet : la
communication narrative ou le storytelling, l’art d’utiliser les mots pour révéler les
images d’une histoire interactive.
Ce format du discours mis en place dans des contextes de communication de plus en plus
souvent organisationnels pouvait donc très largement s’adapter aux vidéos d’entreprise.
Appuyé par une analyse structurale du récit, la démarche de recherche quant à montrer
l’intentionnalité du storytelling dans les supports de communication audiovisuels, pouvait
alors se faire. Fallait-il encore circonscrire et délimiter ce que je souhaitais y trouver.
Le storytelling a comme particularité de donner une place importante non plus seulement
au conteur lui-même, mais aussi à son auditoire, à l’activité réceptrice de ses
destinataires. L’homme a en effet toujours eu une admiration sans borne pour les histoires
qui lui étaient narrées, contées à travers les âges. Depuis son enfance, il baigne dans un
schéma narratif destiné à l’instruire par sa propre capacité imaginative. Porté par le récit
d’aventures et d’autres contes féériques, l’Homme s’est forgé l’illusion d’une structure
familière et rassurante grâce à laquelle il a pu formater une mémoire collective. Et c’est
en passant par l’émotion et l’envergure du sentiment communautaire que la
compréhension spontanée de la narration s’est introduite, elle qui, s’affranchit de toute
raison et s’échappe du discours pour répondre au désir du rituel commun, du vivreensemble : « Le récit est présent de tous les temps, dans tous les lieux, dans toutes les
sociétés, le récit commence avec l’histoire même de l’humanité, il n’y a jamais eu nulle
part aucun peuple sans récit »2.
2
Ibid., p. 1.
10
Le sens et la compréhension découleraient ainsi de l’histoire en intronisant l’expérience
du conteur, représentant séculaire de la sagesse et de la connaissance à travers toutes les
sociétés. Le storytelling permettrait sans nul doute d’accompagner une démarche
communicationnelle par ses capacités à proposer un contexte, à interpeller la pensée et les
sentiments, à induire une activité mémorielle grâce à la volonté de son émetteur. Dans le
courant des années 90, il accompagna sur le continent américain les premiers
changements managériaux des marketeurs et autres communicants. Il participa à polir les
angles des nouvelles politiques managériales. Par cette tradition narrative de l’histoire et
du « rêve américain », par ses vagues successives d’immigration et par cette culture
cosmopolite régie par l’élévation individuelle, dans cet imbroglio des structures
communautaires, le storytelling s’est répandu comme une traînée de poudre. L’essor de
cette nouvelle discipline s’est propagé aux sciences sociales et humaines dès lors que les
théoriciens l’ont appliqué à la politique, à la publicité et au management. Fallait-il donc
examiner la portée de cette évolution et de son lien rationnel et manifeste avec les
principes de la culture d’entreprise. Rappelons donc que celle-ci a permis, dès les années
60, de penser les organisations comme des communautés sociales, révélant la part
anthropologique des différentes formes de cultures présentes dans les entreprises.
Son approche bien que moins expérimentale que le storytelling, a permis d’étudier par
une démarche psychologique les tenants de la gestion et de l’intégration des salariés. Les
notions même rattachées au concept de culture venaient à expliquer la formation d’un
intellect communautaire dans les organisations.
Ainsi la culture dans les entreprises que l’on observe, s’est instaurée au fil du temps, au
fil des changements, des activités et résulte d’un même processus collectif
d’accumulation sociohistorique. C’est donc en partie l’histoire de l’entreprise qui guide la
conduite de la culture. À l’image de l’expression de la vie sociale de l’homme qui y prend
part, la culture en entreprise guiderait d’un même pas les hommes vers ce besoin
communautaire. Ce sont les représentations et les valeurs partagées par les membres
d’une communauté sociale à l’échelle de l’entreprise qui organisent les rapports de ces
membres, et le cadre général de leurs actions. Les ensembles de pratiques
comportementales et intellectuelles reflèteraient alors la part d’adhésion et présenteraient
les conditions pour la performance de l’entreprise.
11
En ce sens, la méthodologie appliquée dans la démarche managériale pour asseoir une
identité culturelle dans l’organisation n’est-elle pas conjointement solidaire au format qui
l’exprime ? Mon sujet de mémoire portera donc sur l’énoncé suivant : Le storytelling ou
communication narrative, support de la culture organisationnelle en communication
audiovisuelle.
Il fallait donc pouvoir porter cette démarche de gestion des organisations sous une
lumière différente, en tentant de convenir à une analyse pertinente du format. La vidéo
d’entreprise et plus précisément le storytelling à l’intérieur de celle-ci, pouvait alors
correspondre à mon intention de cerner la dimension symbolique des discours qui y
étaient traités et, appréhender l’ampleur de la culture des organisations qui y était
exprimé de manière implicite. Ainsi, au delà de son intentionnalité de transmettre des
données informatives, et, à travers les structures du récit ou du langage, le storytelling
appelle à une communication substantielle appliquée aux principes même de sa
rétroaction. Ma problématique est donc de montrer en quoi le storytelling est un vecteur
de la culture organisationnelle dans les vidéos d’entreprise. Je tenterai ainsi de démontrer
dans quelles mesures la communication narrative est significative des composantes de la
culture au sein des structures entrepreneuriales, notamment par le biais de sa
communication audiovisuelle.
C’est donc vers une orientation sémiologique qu’il me faudra appréhender ce mode de
communication, en recherchant toutes les possibilités de son application.
Dans une première partie d’abord, grâce à une approche documentaire, je m’efforcerai de
décrypter toute la mesure sociologique de la culture d’entreprise, en identifiant les
facteurs de son application dans les structures. Je m’appuierai pour cela sur une collection
d’ouvrages retraçant toute la théorisation de la culture organisationnelle et notamment
d’articles scientifiques issus de revues spécialisées. Dans un second temps, je présenterai
les dimensions de la communication d’entreprise, en introduisant notamment le support
audiovisuel. Enfin, j’aborderai le cœur de la problématique, le storytelling, en rapportant
son introduction dans le domaine des sciences sociales et économiques et en présentant
12
son empreinte contemporaine à travers des revues de théorie et d’analyse, des lectures
actuelles.
Je porterai ensuite une attention toute particulière à l’analyse d’un corpus vidéographique
dans une seconde partie. Je mènerai un raisonnement détaillé sur l’articulation du fond et
de la forme de ces vidéos d’entreprise en établissant des grilles d’analyse. Cela me
permettra d’étudier d’une part, dans une première sous partie, les éléments qui se
rattachent à la culture organisationnelle et à son maniement par le médium
cinématographique. Puis, dans une seconde sous partie, j’analyserai la structure narrative
propre à la mise en œuvre du storytelling dans une perspective stratégique.
Le storytelling dans la vidéo d’entreprise avance donc la possibilité de tisser des liens
avec l’auditoire dans un cadre lié à sa mobilisation, à son adhésion et à son recrutement.
Il a fallu alors, pour commenter cela, convenir d’un contexte et délimiter le type
d’entreprise dans lequel cette étude serait pertinente.
Le Ministère de la Défense a semblé refléter une variable judicieuse. Le budget afféré à la
communication audiovisuelle afin de recruter de nouveaux membres, ou d’affirmer une
éthique pouvait rendre compte de l’ampleur des techniques de communication déployées
et d’une politique communicationnelle productive. L’implication nouvelle dans les
stratégies média et la restructuration de l’Armée ces dernières années au niveau de la
gestion interne m’ont encouragé à choisir cette organisation pour mon terrain de
recherche. Pour se faire, je me suis donc rendue à l’ECPAD, photothèque et vidéothèque
de la Défense qui assure la sauvegarde du patrimoine audiovisuel et photographique des
Armées. Le corpus de ce mémoire a été délimité par les documents audiovisuels transmis
par le gouvernement et l’armée française afin d’en montrer la portée sémiologique au
regard de ma problématique.
13
Première partie :
Pour une approche documentaire
14
A) La représentation de la culture organisationnelle
La place des facteurs culturels dans les organisations reste encore aujourd’hui implicite. Il
est clair que l’importance que l’on donnait autrefois à la culture d’entreprise s’est
dissipée, considérant qu’elle est devenue l’objet de manipulations qui ne sont plus en
accord avec le fonctionnement des entreprises actuelles. Les mécanismes de
fonctionnement des valeurs symboliques permettent toutefois de rendre compte d’une
activité sociologique qui régit les activités entre les membres. La culture est un socle
social commun, qui rassemble les individus dans une collectivité. Elle représente bien
plus qu’un guide formel de la conduite des salariés. Elle est le produit d’un sens social,
un phénomène de co-construction de significations. Je présenterai ici les fondements de
sa construction, et ce qu’elle détermine dans les interactions sociales d’un point de vue
sociologique.
1) Définition de la culture organisationnelle
Définir l’homme et sa culture revient à concevoir l’environnement dans lequel il
s’est forgé et la sphère de valeurs dans laquelle il a évolué comme une continuité
implicite sociale dictant ses actions et justifiant son mode de pensée. La culture serait
alors le fruit d’une cohésion sociale pour l’humain, un enjeu du potentiel collectif des
individus afin de renforcer leur légitimité et la puissance du groupe ainsi formé. La
cohésion sociale plus que la culture elle-même, pourrait être envisagée comme une
programmation bio-culturelle de l’homme qui, selon les mots des anthropologues
Lebailly et Simon lui permettrait « d’assumer son destin d’animal social »3
Ainsi, la culture forgerait un homme autant qu’elle ne l’élève. Grâce à elle, l’homme
engendrerait un mode de pensée spécifique lié directement aux relations qu’il a tissées
avec les individus de cette même culture et une articulation logique de ses actions. En
somme, la culture serait une source indiscutable de « capacités »4 , de possibilités
3
4
LEBAILLY M., SIMON A., Anthropologie de l’entreprise, Paris, Ed. Village Mondial, 2004, p.19.
Selon la définition du terme par CROZIER M. et FRIEDBERG E., L’Acteur et le Système, Paris, Seuil, 1977.
15
d’entrevoir le monde sous un regard formel et partagé, transmis dans le temps. Cette
sphère de valeurs portée par la culture serait alors elle-même à l’image de l’homme qui la
véhicule et qui en porte le blason : en constante évolution et en perpétuelle recherche de
stabilité. De même qu’une culture ne fixe pas de rôle particulier aux hommes, elle
influence les comportements par le seul jeu de significations qui leur permet de
comprendre le langage et les codes partagés, les règles mutuelles.
a) La culture dans l’organisation
A moindre échelle, ces notions de culture s’exploitent pour n’importe quel autre
groupe social isolé relevant d’une réalité historique ou sociale. A l’image de l’entreprise
ou de l’organisation, la culture serait alors « fondamentalement collective et acquise au
cours de l’histoire par la répétition »5. Comme la tribu, la famille, le clan, ou comme
toute autre communauté humaine, l’organisation comme lieu d’une action collective
organisée aurait donc elle aussi sa propre culture. Les sciences sociales ont permis de
comprendre les caractéristiques communes qui permettaient de relier des définitions de la
culture à l’entreprise grâce à des notions systémiques, anthropologiques et
sociohistoriques sous l’angle du culturalisme. L’entreprise est donc devenue un lieu
d’intérêt pour la socialisation : une sphère organisationnelle spécifique en faveur de
l’interaction sociale, propice à l’expression des capacités de chacun, modelant tour à tour
les modes de vies et les modes de pensée des acteurs qui y prennent part. Une
organisation sociale complexe pourrait-on dire, à l’intérieure de laquelle se jouent toutes
sortes de relations hiérarchiques, de rapports de force liés au pouvoir et à l’autorité, de
conflits et où, chaque individu et groupe d’individus tiennent une place centrale. Car c’est
bien parce que l’entreprise a évolué et redéfini ses méthodes de travail et que l’homme
s’est vu de plus en plus intégré à l’organisation depuis l’ère industrielle qu’il est possible
d’envisager désormais une culture à travers elle. Ce regroupement fonctionnel
d’individus dans l’organisation pourrait alors se rapprocher des travaux entrepris par
Norbert Elias sur « les structures d’interdépendance dans le groupe humain »6.
5
6
GODELIER E., La culture d’entreprise, Paris, La découverte, 2006, p. 10.
ELIAS N., La société des individus, Paris, Fayard, 1987, p. 37.
16
L’approche systémique tient une place considérable sous cet angle, chaque fonction
salariale est alors tournée vers l’autre.
L’entreprise n’est plus seulement une entité suprême de production, elle a glissé
lentement vers une infrastructure où l’importance des besoins de l’homme et de son
intégration au travail sont devenues une source de rendement. La culture d’entreprise est
née de ces nouvelles considérations sociologiques et managériales.
On parle ainsi de culture organisationnelle au sens de programmation mentale collective
chez Hosfstede qui « distingue les membres d’une organisation de ceux d’une autre
organisation »7. Cette culture est alors considérée par les « autres parties prenantes » qui
sont en relation externe avec l’entreprise, à l’image des fournisseurs, de la presse ou
clients potentiels qui reconnaissent à l’entreprise un climat spécifique. Dans cette
considération d’un mode de pensée collectif, on entrevoit parallèlement la place de la
culture nationale, toujours chez le même auteur, qui permet de prendre en compte la
programmation mentale selon différents champs anthropologiques tels que la distance
hiérarchique, l’individualisme et le collectivisme, la féminité et la masculinité mais
encore le contrôle de l’incertitude… Cependant, la culture organisationnelle ne peut être
comparée à une culture nationale dans le sens où elle programme des individus qui s’y
greffent au cours de leur vie et non pas depuis la naissance. Elle est en quelque sorte une
fraction de la culture nationale dans laquelle elle est indubitablement immergée.
L’organisation est alors un lieu où une culture se re - crée en réactualisant les traits
spécifiques de la culture nationale, et en marquant sa propre cohésion interne. Elle relève
notamment du choix de l’individu d’y prendre part et de s’y intégrer.
Ce concept de culture repensé dans les années 1970 dans le cadre d’études sur le
management d’entreprise est alors assez récent. Il a permis de pressentir la gestion par la
culture et l’utilité de dynamiser les ressources humaines. Le potentiel humain est alors
conjuguer en ces termes à la création de valeurs et à la performance économique.
7
HOFSTEDE G., MINKOV M., Cultures et Organisations nos programmations mentales, Paris, Pearson
Education France, 2010, p.407.
17
Mais auparavant, pour intégrer ce concept de culture à l’entreprise, il fallait comprendre
de quelles façons les notions identitaires de la dynamique culturelle pouvaient s’ancrer à
l’organisation pour mener à bien les objectifs de l’entreprise. Renaud Sainsaulieu donne
une réponse à ce nouvel engouement de l’appropriation de la culture par l’organisation,
dans son ouvrage Sociologie de l’entreprise : « Le phénomène majeur est ici la
découverte du rôle des personnes et des relations et des groupes dans les systèmes
sociaux. D’une certaine façon, l’analyse stratégique de l’organisation est venue compléter
cette vision culturelle des rapports humains au travail en introduisant une compréhension
de l’action comme résultant de ces jeux informels dès lors qu’ils répondaient
effectivement à la maîtrise de problèmes concrets du travail »8. Ainsi chaque individu ou
groupe d’individus devient-il acteur de cette culture par sa seule volonté de devenir partie
prenante d’une action collective. Un acteur étant un individu ou un groupe qui participe à
une action et qui a des intérêts communs pour cette action.
Le système social est alors compris à travers la culture de l’acteur et la coexistence des
différentes identités qui permettent de résoudre des difficultés d’ordre entrepreneuriales.
Cela dit, ce concept de culture d’entreprise converge vers une définition plus globale et
communément partagée par les auteurs qui l’étudient et qui peut être judicieux d’étayer.
Les différents points de cette définition autorisent en effet une compréhension plus
sommaire de son fonctionnement qu’il conviendra de présenter : la culture d’entreprise
est alors décrite comme holistique, déterminée par la trace historique de l’organisation,
socialement construite et, comme nous l’avons dit plus haut, concourante à des termes
anthropologiques (rituels ou symboles par exemple).
b) Le processus de construction de l’identité salariale
Ainsi cette culture d’entreprise s’enracine lorsque l’individu entre dans la vie
active et rejoint l’organisation alors même que celui-ci est solidement attaché à ses
propres schémas culturels, à sa propre mémoire individuelle. Le travail dans une
8
SAINSAULIEU R., Sociologie de l’entreprise, Paris, Presses de Science Po et Dalloz, 1997, p. 245.
18
organisation y est décrit par les sociologues comme le moyen pour les salariés de
procéder à un croisement social entre l’individu et la société, tel un phénomène humain
où sens et réalité s’expriment au cœur de l’entreprise. Cette dernière serait alors à même
de produire des valeurs, des principes ou des idéaux identificatoires normatifs pour les
individus, car ceux-ci seraient porteurs et créateurs des ces mêmes valeurs.
Par définition, les institutions et les organisations modèlent les esprits par leur vocation
d’organiser les rapports entre les individus, à faire en sorte que ceux-ci soient conscients
de leurs existences par les relations qu’ils intègrent face à la communauté. Cette
structuration identitaire devient efficiente selon l’anthropologue Mary Douglas en
marquant ses propres frontières : « Ce que définissent les institutions, ce sont des modes
de classification de questions, de problèmes ou de « bonnes » façons de faire et de penser
»9. Ces valeurs se voient sacralisées d’une certaine façon par l’institution. L’organisation
fait alors en sorte de proposer une méthode de pensée porteuse de sens et de liens
communautaires afin de rallier les identités et de produire une cohésion sociale
productive. La légitimité de ces valeurs pourrait alors tenir de l’existence d’une continuité
culturelle selon Philippe d’Iribarne. Cette continuité « prend sens dans des repères qui
sont beaucoup plus stables qu’elle. […] c’est en référence à des repères fondamentaux
communément partagés que les réformateurs peuvent faire apparaître comme sensés les
changements qu’ils préconisent à un niveau moins fondamental. Et ils contribuent ainsi à
assurer la pérennité de ces repères fondamentaux »10.
C’est sans doute en ce sens que l’identité prend place au sein de l’organisation pour
l’individu. Se socialiser au groupe passe donc par l’acquisition du savoir collectif et de la
mémoire collective en référence à un acquis culturel préexistant. Exister dans l’entreprise
ou dans un groupe au sein de l’entreprise serait donc en partie lié aux phénomènes
identificatoires, un groupe « produit des règles et des coutumes qui ne dépendent pas de
lui et qui existaient avant lui et fixent sa place »11. Cette forme dynamique du lien social
propre à la communauté d’appartenance est autonome, si bien qu’elle perdure dans le
temps et continue de s’imposer aux esprits. Pour faire simple, il s’agirait de se retrouver
dans le regard de l’autre afin de se voir soi-même : reconnaître une part de nous même
9
DOUGLAS M., Ainsi pensent les institutions, Ed. Brochée, 1986.
D’IRIBARNE P., La logique de l’honneur, Paris, Seuil, 1989, p.6.
11
HALBWACHS M., La Mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1994, p. 147.
10
19
chez l’autre, et discerner une trame, une réminiscence commune, pour accéder à sa propre
image, à une continuité de soi.
Ainsi, comme dans n’importe quel autre système culturel, l’individu a nécessairement
besoin de se sentir appartenir à ce système pour y survivre. La construction du lien social
bâtit ses fondements sur ce schéma, offrant à cette pensée collective ou mémoire
collective le soin d’adapter son organisation aux possibilités qu’elle perçoit. Ce « savoir
intuitif » serait alors le signe indubitable de l’appartenance au groupe, de même que
l’action collective se verrait renforcer par le besoin d’agir et de revendiquer
l’appartenance à une communauté de travail en défendant des idées, des convictions et
des valeurs communes. A l’image des grévistes qui s’unissent (au détriment du risque que
peut produire de telles actions à l’encontre de l’organisation) soit pour postuler cette
appartenance de valeurs, soit pour s’arroger de leur intégration dans cet ensemble : « Ce
qui permet une action collective ce n’est pas l’extrême dénuement, la totale dépossession.
C’est, au contraire, un début au moins de l’appropriation du travail, de possession d’un
capital professionnel d’entraide et d’échanges […] une place dans un ensemble social et
dans un réseau d’échanges et surtout la participation à des convictions et des valeurs
communes. Les individus peuvent agir ensemble dans la mesure où ils forment un corps
»12.
Selon Philippe Bernoux, il y aurait alors deux façons de concevoir cette identité au sein
de l’entreprise, l’attribution par les autres (l’appellation officielle pour catégoriser
l’individu alors affecté à un rôle par exemple) et, la construction du soi
autonome (l’enracinement par acte d’appartenance par l’individu lui-même). Ces deux
facettes correspondraient au processus d’acquisition de l’identité qui se joue au sein de
l’entreprise. Mais l’entreprise propose des voies de consolidation de cette identité bien
plus solide encore, confortant ce double mécanisme par tout un tas de schémas
organisationnels tels que les procédures d’apprentissage par exemple. En effet, au cours
d’une formation en entreprise, l’individu conçoit sa performance, son expérience et son
profil professionnel comme un exercice de composition auquel il doit faire correspondre
sa trajectoire à celle de l’organisation. La réussite de l’individu et de l’entreprise sont
12
REYNAUD J.-D., Sociologie des conflits du travail, Paris, PUF QSJ, 1982, pp. 96-97.
20
alors étroitement liés, le salarié se doit d’évoluer dans le même sens que l’entreprise s’il
veut parfaire son appartenance au groupe, à l’organisation. Les formes de reconnaissance
au sein de celle-ci accompagnent alors cette identité et ce désir d’exister dans le groupe,
et c’est l’organisme lui-même qui octroie la codification, la normalisation de cette
expérience. L’entreprise est en somme ce qui produit des modèles de références pour le
salarié qui souhaite s’intégrer et prendre part à l’activité de l’entreprise. Douglas
McGregor, l’un des représentants de l’Ecole des motivations poursuit ce propos. Pour
l’auteur, le formé adhère à l’idéologie des formateurs, de l’entreprise, dans une optique
de stratégie personnelle afin de coller au plus près aux modèles de références. Il change
de mentalité et de comportements pour plaire à sa direction et faire carrière. L’identité
relève de cette part d’appartenance grâce à laquelle l’individu se définit, cette
appartenance devient l’objet de désir de l’individu.
c) L’individu et le groupe, ou l’acquisition de la mémoire collective
L’individu au travail se nourrit de liens. C’est en fonction des différents modèles de
références proposés et des divers univers d’appartenances suggérés par les acteurs de
l’entreprise qu’il puise des ressources identitaires. Ces modèles sont en quelques sortes la
base sur laquelle il va construire les racines de son identité salariale et une voie vers une
rationalité personnelle, une existence sociale au travail. Ces modèles de références ou
mémoire collective sont élaborés par le biais de l’entité des groupes formés en fonction
d’expériences vécues. Ils véhiculent ces valeurs partagées afin de veiller à une
coopération collective et opérationnelle du travail.
L’individu aurait besoin du groupe pour formaliser son statut. Ce mécanisme
pourrait s’expliquer par une défense quotidienne de son unité et la confrontation aux
autres dans l’entreprise : « La constitution de l’identité, la sortie du fantasme, et
l’organisation rationnelle des structures de l’esprit se font au travers des expériences
conflictuelles qui renvoient chacun à la mesure de sa dépendance envers les autres, pour
accorder son désir aux réalités concrètes des situations sociales où l’on vit ses
21
relations »13. C’est alors le jugement de valeurs, « comme un jugement conscient sur des
moyens de lutte »14, qui permettrait à l’individu d’affronter les rapports sociaux et les
difficultés contraintes par l’environnement socioprofessionnel. « Face au risque de perdre
la reconnaissance de soi et de la possibilité d’édifier une rationalité personnelle, le sujet
accède dans le conflit à la conscience de ses forces et celles de l’adversaire. »15. La vie
sociale du salarié doit être nourrie de ces dilemmes, de ce besoin de se construire
perpétuellement en fonction de l’autre et des différents acteurs grâce à la notion de
valeurs. C’est ensuite au chef d’entreprise ou aux acteurs détenant les clés de l’idéologie
de l’entreprise de créer une synergie à partir de ces désirs conflictuels. Le propre de la
culture est alors de contenir ces relations, ce rapport à l’identité, en équilibrant les apports
opposés par des normes et des valeurs. L’essentiel étant de retenir que l’identité sert le
domaine de la représentation et qu’elle est fondamentalement ostentatoire pour qui
souhaite la voir.
La notion de valeur ou de jugement de valeur constitue par définition le référent central
stigmatisé par la culture ou le collectif qui permet d’appréhender les contextes en
fonction de conceptions telles que « ce qui est bien » ou « ce qui est mal ». Elle
accompagne le processus identificatoire de l’individu, accordant à celui-ci le pouvoir de
se construire et de se recentrer sur ce qu’il est et sur ce qu’il souhaite être en fonction de
la communauté. Dans une culture, cette notion de valeur est formatée et, inscrite comme
force de loi par les acteurs qui conduisent l’organisation, que ce soient des individus ou
un groupe d’individus. Le salarié s’en sert donc pour comprendre des contextes et des
situations auxquelles il doit répondre, en somme pour agir et être acteur du collectif.
13
SAINSAULIEU R., L’identité au travail, Paris, Presses de la fondation nationale de Sciences Politiques,
1988, p. 347.
14
Ibid., p.347.
15
Ibid., p.347.
22
2) La dimension culturelle de l’ordre symbolique
L’ordre du symbolisme est un système de significations et de représentations qui
communiquent. Il est fondamentalement culturel et social, en d’autres mots, il n’existe
de rapports sociaux et culturels sans actes symboliques. Par ses manifestations, il
perpétue des mécanismes de production et de reproduction de la culture et tisse des liens
vers un passé commun. Il relève du domaine de la représentation et de l’ostentatoire
parfois mais il permet surtout à l’organisation d’être reconnue et à ceux qui y
appartiennent de se reconnaître à leur tour. Il est en soi structurant.
Les manifestations symboliques s’imposent donc d’elles-mêmes et permettent aux
individus de comprendre la place qu’ils occupent dans la collectivité. La
conceptualisation de la culture organisationnelle en ce sens tient de la pensée
fonctionnaliste. Les phénomènes de socialisation de la culture s’opèrent sous un angle
déterministe, contrôlant tour à tour le système social, la personnalité de l’individu et
l’organisme. L’ensemble de pratiques, de croyances, de normes et de valeurs forment
alors une matrice culturelle qui conditionne et influence les individus à l’image de
l’organisation.
Ces manifestations signifiantes peuvent être alors de deux ordres, déclarées ou
opérationnelles. Elles peuvent donc faire référence à des documents officiels, à des règles
normatives et concourantes à des usages formelles ou informelles au sein de
l’organisation, bref à un discours idéologique propre aux valeurs de direction... Mais elles
peuvent être aussi opérantes ou opérationnelles. Dans ce deuxième ordre, les
manifestations symboliques se maintiennent et se multiplient au quotidien, en suivant
l’évolution de la culture organisationnelle. On peut alors comprendre ces valeurs
opérantes par la manière dont elles sont intériorisées par les individus, par la manière
grâce à laquelle elle se fixe à leur schéma réflectif. Ces manifestations opérantes sont
l’authentique reflet de la dimension culturelle.
Le nombre de ces passeurs de culture est innombrable et se décline par de multiples
usages, presque autant, pourrait-on dire qu’il existe de représentations et de figurations du
temps et de l’espace dans l’entreprise. Ils agissent alors comme des médiums inconscients
ou instinctifs, des repères stables, et sont en ce sens des vecteurs communicationnels
23
propices à l’expression d’une mémoire collective. Ils interagissent les uns par rapport aux
autres et suivent souvent une même logique.
Ainsi, cultiver et donner du sens à la culture organisationnelle par le seul jeu des
significations symboliques, conscientisées ou non, c’est aussi comprendre la portée
sémiotique des interactions, des discours, des rituels ou des habitudes et enfin, les
traduire dans le temps, et dans l’histoire de l’organisation.
a) Le langage : ce que l’organisation veut dire
Les sciences du langage et de la communication ont permis de comprendre les enjeux de
la communication verbale ou non verbale, écrite ou orale. L’émission d’un message par
un émetteur jusqu'à un récepteur utilise un canal, celui-ci prend alors de multiples formes
qu’il s’agisse d’une communication interpersonnelle ou de masse. Mais c’est alors le
contexte d’interprétation et d’action qui va grandement influencer la compréhension des
discours et des messages. En effet, le sens du langage prend toute son ampleur et son
étendue dès lors que le message se conçoit dans un contexte ou un cadre déterminé. Nous
ne rentrerons pas dans la définition même du cadre ou du contexte qui relève d’un
paradigme singulier pour les linguistes, et dont l’explication sémantique dépend d’une
situation donnée. Cela dit, il est possible de partir d’une définition plus sommaire du
contexte telle que le contexte de l’organisation, là où règne plus largement et de manière
constante une codification des jeux d’interactions liés au pouvoir, à la subordination, à la
coopération mais encore à des interdépendances communicationnelles et culturelles.
Le recours au langage est donc omniprésent et inconditionnel. Les échanges
langagiers et les systèmes de langage qu’ils soient écrits ou oraux, verbaux ou non
verbaux sont propres à la faculté innée de l’individu de pouvoir interagir et de partager sa
pensée. Ils témoignent de convergences liées « à des rapports langage-action, à des récits
ou des scénarios plus ou moins imaginaires, à des agencements organisationnels, et aussi
à l’exploration de nouvelles sources de matériaux langagiers ou symboliques »16.
16
Termes employés lors de l’appel à communication du colloque « Autour du langage et des
organisations » en hommage à J. Girin en octobre 2006.
24
L’utilisation du langage en ce sens dans l’organisation est donc indispensable à la fois
pour coordonner des activités, imposer des commandements sous l’angle du management
mais aussi pour propager des acquis culturels : en somme guider, nourrir et orienter les
projets collectifs de l’organisation. La production et la reproduction d’énoncés oraux ou
écrits et leurs interprétations par les acteurs de l’organisation engendrent alors une
actualisation de la culture au quotidien et sont un recours indispensable pour une
coopération des individus. Le langage disperse dans le paysage organisationnel un jargon
particulier, un vocabulaire spécifique, des termes qui traduisent les fondements de la
structure culturelle en présence : « De la dénotation à la connotation, les mots indiquent
des choses ou des réalités reconnaissables en commun, et ils traduisent en même temps
l’imaginaire, le cadre social ou le mode de relations dans lesquelles ces réalités sont
perçues »17.
Le langage absorbe donc naturellement les moyens de communication existants au sein
de l’organisation afin de transmettre des valeurs culturelles ou traditionnelles. Il constitue
donc une source signifiante et maîtrisable pour les acteurs de l’organisation qui l’intègre
communément au processus d’apprentissage culturel. Peu à peu il prend place, tel un
levier de productivité et d’action. Il permet par exemple de guider les individus à travers
le temps en s’inscrivant comme un moyen de préserver et de libérer la mémoire,
d’archiver des savoirs. Il codifie les informations et permet de les répertorier, de les
classer, de les réactualiser, de les critiquer et de les échanger… L’écriture plus que
l’oralité dans ces termes devient selon les mots de Jack Goody, une technologie
intellectuelle : « La distribution visuelle et spatiale de l’écriture, la possibilité de l’inscrire
ou de la consulter, de la stocker ou de la faire circuler contribuent à toutes sortes
d’évolutions cognitives »18.
L’organisation devient donc un lieu de production de discours où sont déterminés des
normes et des valeurs, des récits et des données grâce auxquels l’individu développe ses
actions. Dans ces conditions, le langage dans l’organisation peut être aussi une source de
17
FLORIS B., L’identité du salarié moderne et l’acculturation à l’entreprise globalisée, Communication et
organisation [En ligne], 24 | 2004, mis en ligne le 27 mars 2012, consulté le 05 avril 2012. URL :
http://communicationorganisation.revues.org/2894
18
HONET C., Jack Goody : Entre oralité et écriture, décembre 2010, consulté le 02 avril 2012.
URL : http://alecsic.hypotheses.org/147
25
prescription c'est-à-dire une communication qui servirait de manière utilitaire la
coopération collective et stratégique. C’est en fait les moyens langagiers mis en place
pour donner des commandements, des indications ou des conseils de conduite par le biais
d’un langage spécifique à l’organisation qui traduiraient en quelque sorte une volonté
managériale propre, une idéologie.
Ainsi le langage propose de multiples supports communicationnels et de multiples voies
d’expression qui se glissent et se dessinent dans la vie de l’organisation comme des outils
imparables à la préservation de l’identité organisationnelle et de sa conduite.
La production d’énoncé est donc une communication à part entière qui permet de
valoriser la dynamique sociale et d’en perpétuer le sens. Cette activité langagière
quotidienne devient relationnelle pour l’individu et représente dès lors un atout de sa
productivité. Elle est constitutive de sa part d’intégration au sein de la communauté de
travail. L’individu est constamment sollicité pour exprimer sa pensée par la parole, ou
pour justifier ses actions et sa productivité à l’écrit. Le langage est un outil de son activité
et de son intégration, d’autant plus s’il est ritualisé. Les termes d’adresse ou de salutation
marquent alors l’expression d’un ordre symbolique particulier dans lequel s’exercent
souvent l’autorité hiérarchique et le maintien du lien social.
Le langage permet donc de partager une vision commune, de marquer l’intégration des
volontés managériales, ou de favoriser l’émancipation des individus dans leur
compréhension commune de l’environnement de travail. Par ailleurs, le langage
symbolique bien qu’il soit moins figuratif, rentre aussi dans cette conception culturelle de
la socialisation. Ce sont alors les codes et les signes, les tenues vestimentaires, les
insignes et la représentation de l’espace qui permettent de comprendre un discours
commun.
La compréhension collective de toutes ces langues et de leurs terminologies
poinçonneraient symptomatiquement la présence d’une acculturation.
26
b) Les rites et les rituels au temps des organisations
Dans toute forme de culture, des traces innombrables subsistent comme des repères
historiques marquant l’impact des valeurs communautaires. C’est ce que l’on nomme des
pratiques ritualisées ou rites, qui ponctuent la vie de l’organisation de manière répétitive
et régulière et qui jalonnent l’activité sociale du salarié. L’anthropologue Claude Rivière
nous en livre une définition assez large, ce qui nous permettra avant toute chose d’en
cerner les contours et d’en dessiner distinctement les traits. Il définit le rite comme suit :
« ensemble de conduites individuelles ou collectives, relativement codifiées, ayant un
support corporel (verbal, gestuel, postural), à caractère plus ou moins répétitif, à forte
charge symbolique pour leurs acteurs et habituellement pour leurs témoins, fondées sur
une adhésion mentale, éventuellement non conscientisée, à des valeurs relatives à des
choix sociaux jugés importants, et dont l’efficacité attendue ne relève pas d’une logique
purement empirique qui s épuiserait dans l’instrumentalité technique du lien cause-effet
»19.
Le groupe social peut donc sentir un manque sans ces représentations
systématiques qui lui confère le socle d’un système relationnel identifiable. Ils sont
nécessaires au marquage du temps symbolique dans l’organisation, matérialisant ainsi les
passages et les événements, les cérémonies et les coutumes. Pourtant cette représentation
du temps n’est pas la plus significative de la vie en organisation à laquelle on attribuerait
plus logiquement le temps quantitatif et linéaire. Les rituels sont donc envisageables
comme une autre manière de considérer la courbe du temps au sein de l’organisation,
comme une autre façon de visualiser son cheminement grâce à une temporalité parallèle :
« Il existe d’autres types de temps que le temps mesuré au sein des organisations, qui ont
aussi un rôle à jouer, une fonction à remplir. Ils viennent s’entremêler au temps linéaire
pour lui donner une raison d’exister »20. Ainsi ce n’est plus seulement une conception du
temps qui se fixe dans l’activité de l’entreprise mais bien plusieurs : un temps pour
l’organisation et sa productivité et, d’autre part, le temps vécu par les salariés qui leurs
permettent de coopérer et de coexister au sein du groupe social. Le temps de
19
20
RIVIERE C., Les rites profanes, PUF, Sociologie d’aujourd’hui, Paris, 1995, p. 29.
JARDEL J-P., LORIDON C., Les rites dans l’entreprise, Editions d’Organisation, Paris, 2000, p. 28.
27
l’organisation s’appréhende donc en ce sens, via une conception formelle de la tâche à
exécuter, du devoir à accomplir et, une autre plus informelle, celle du temps à gérer ou
subi du salarié, dans lequel il peut contrôler son temps de travail.
Ainsi les fonctions du rite offriraient des voies intermédiaires. Elles permettraient à
l’individu de pouvoir faire une jonction entre l’ordre concret et sacralisé de l’organisation
et sa nature humaine, entre le temps formel et informel ou encore entre la structuration
collective et individuelle. Les rites deviennent alors des sortes de prescriptions grâce
auxquelles l’individu se doit de discipliner sa conduite et ses actes afin de mieux se
comporter devant les objets sacrés, autrement dit devant l’objet hégémonique
organisationnel. Le rite est alors un « acte formel et conventionnalisé par lequel un
individu manifeste son respect et sa considération envers un objet de valeur absolue, à cet
objet ou à son représentant »21.
Les pratiques deviennent des sources de communion en resserrant les liens entre ceux qui
se rassemblent et en marquant leur degré d’appartenance à l’organisme : « le rite revêt
des fonctions multiples mais son rôle reste le même, dissocier le profane du sacré, en
établissant cependant une médiation entre les deux »22.
Pour partager le sentiment d’identité collective, la communauté de travail doit entretenir
ses pratiques rituelles et les installer durablement. Ces valeurs sont alors renforcées par
leur degré cyclique et périodique. Elles sont répétées et traduites à travers l’assiduité des
membres qui y contribuent et qui les perpétuent entre passé et présent.
Dans la vie d’une organisation, les rites cadencent les différentes phases de progression et
d’émancipation de l’individu. Ce sont alors les différents temps d’intégration qui sont
ponctués par ces manifestations ritualisées. Le rite de passage par exemple est un
événement très important dans la vie d’un individu puisqu’il signe une nouvelle étape de
sa vie et sa première entrée dans l’organisation. Il se manifeste en trois phases
successives selon l’ethnologue Arnold Van Gennep : la séparation du groupe d’origine, la
mise provisoire hors du groupe et, la phase de l’agrégation ou de résurrection dans la
communauté avec un autre statut. Ce type de rite peut se concevoir dans l’organisation à
21
GOFFMAN E., Les relations en public, Editions de Minuit, Paris, 1973, p. 73.
JARDEL J-P, LORIDON C., op cit. p. 37.
22
28
travers l’entrée de nouvelles recrues par exemple. Leurs venues dans ce nouvel
environnement les contraints de se séparer de quelque chose, de ce qu’ils avaient acquis
avant leur arrivée ou de ce qu’ils ont été. On pense alors à l’exemple du jeune diplômé
qui quitte le milieu scolaire pour rejoindre l’environnement professionnel, ou qui choisit
de quitter la vie civil pour rentrer dans le corps militaire. Le temps de formation l’oblige à
se voir écarter de la communauté d’origine pendant un certain moment afin d’être initié
puis, de rejoindre à nouveau un groupe grâce aux acquis qu’il aura intégrés. Le rite de
passage est donc une expérience troublante, une épreuve existentielle qui conditionne
l’individu. Celui-ci quitte une part de son identité centrée sur un monde singularisé à son
image pour atteindre une identité collective dont il doit assimiler les nouveaux repères.
Le rituel est ici simplement l’outil de navigation qui va permettre à l’individu d’aller de
l’avant, de franchir les étapes de sa vie et de changer de statut social. Le rite de passage
par son découpage et ses trois phases va ainsi permettre de réguler le trouble intérieur
ressenti par l’individu et de réduire le désordre de la métamorphose. Il va en ce sens
réduire l’angoisse du changement et selon les termes de Geert Hofstede « réduire le degré
d’incertitude »23.
Mais le rite conduit également aux pratiques d’interactions quotidiennes qui traduisent
des règles de savoir vivre ou de savoir être. Erving Goffman les appelle « rites
d’interactions »24. Ils sont notamment efficaces pour mettre en exergue les relations
hiérarchiques ou plus simplement l’organisation sociale dans son ensemble par les
différents jeux de statuts. « Cet ordre rituel est fondé avant tout sur l’accommodement et
le principe d’acceptation de règles formelles ou informelles »25. Ils se définissent alors
par les rites de présentation, de respect, ou de détournements codifiés par un langage
spécifique. Les « rites d’institution » méritent également d’être souligné tant ils spécifient
de la même manière la valeur symbolique de l’identité au sein de l’organisation en
entretenant les limites structurantes. On comprend dès lors grâce à la définition suivante
de Pierre Bourdieu que ces comportements ritualisés sont fabriqués artificiellement par
l’organisation qui les instituent : « Parler des rites d’institution, c’est indiquer que tout
23
HOFSTEDE G., MINKOV M., Cultures et Organisations nos programmations mentales, Paris, Pearson
Education France, 2010, p. 113.
24
GOFFMAN E., Les rites d’interactions, Paris, Minuit, 1967.
25
JARDEL J.-P., LORIDON C., ibid. p. 107.
29
rite tend à consacrer ou à légitimer… »26 Enfin, il y a des rituels qui réactualisent le
temps mythique ou temps long de l’organisation, celui des origines, représentatif de
l’âme de l’organisation. Cette quête commémorative avantage la transmission d’une
mémoire encore une fois collective, tout en donnant du sens à l’histoire et en renforçant
le processus de socialisation des individus : « La seconde fonction rituelle est le drama, la
narration, le récit qui accompagne le rite. Le rite est aussi un coup de théâtre, un
événement hautement chargé d’émotions et de symboles qui se jouent sous ses visages
divers. Le rite réalise la valeur d’un symbole, d’un mythe du fait qu’il devient, par le rite,
signifiant »27.
c) La narration et les mythes : il était une fois l’histoire d’une organisation
Les histoires font partie d’un patrimoine commun dans une collectivité. Elles sont
souvent produites par les instances qui détiennent le pouvoir et parlent au nom de tous.
Elles sont partagées par ses membres et se traduisent dans l’organisation dans le temps
long, autrement dit, dans son temps mythique comme nous l’avons vu plus haut. Les
histoires se content pour transmettre des informations guidées par le reflexe du récit.
Elles sont portées par l’inconscient collectif et sont généralement fédératrices. Elles se
narrent pour marquer une tradition passée et faire prendre conscience des évidences
culturelles qui règnent dans l’organisation. En ce sens, les histoires tout comme les rites
sont des mécanismes symboliques instinctifs qui relient passé et présent afin de
conditionner les actions futures.
L’esprit humain est de nature, conditionné par le récit. « A ses yeux [Ricœur],
l’activité de raconter une histoire est une expression privilégiée du caractère temporel de
l’expérience humaine. C’est pourquoi il s’agit d’une donnée anthropologique
fondamentale qu’on retrouve dans toutes les cultures humaines »28.
26
BOURDIEU P., Les rites comme actes d’institution dans Les rites de passage aujourd’hui. Actes du
colloque de Neuchâtel, Edition l’âge d’homme, 1981, p. 206.
27
D’ALLONDAS T.G, Rites de passage rites d’initiation, Presse universitaire de Laval, Laval, 2002, p. 61.
28
GREISH J., Rationalité narratologique et intelligence narrative, in Le Récit, Q. Debray et B. Pachould,
Paris, 1993, p. 9.
30
Il ne peut alors s’empêcher d’être acteur de ces histoires, ne serait-ce qu’en les écoutant,
en les relayant ou en y prenant plaisir. L’histoire ou le récit historique, serait donc un
moyen de communication imparable tant il est capable de faire écho à un schéma de
pensée instinctif et archaïque, celui de la narration. Son pouvoir de persuasion serait ainsi
d’autant plus efficace qu’il utilise des mécanismes narratifs pour marquer les esprits. Son
degré rationnel le positionne comme un objet véridique et avéré, qui sacralise les
pratiques ritualisées en éclairant leurs origines. Cette référence au passé et à un certain
nombre d’événements de la vie de l’organisation est censée posséder alors une apparence
terrienne et vérifiable, ouverte à la réflexion rationnelle de chacun sur les actions
humaines accomplies.
Au même titre que le langage et les rites, ces récits stabiliseraient un système de
représentations et de valeurs. Les histoires ne se cantonnent alors plus seulement à une
élucubration de faits et d’informations sur le passé de l’organisation, leur rôle est aussi de
charger ce dernier d’une valeur symbolique propre. « Myrsiades adopte un point de vu
interprétatif et affirme qu’une histoire a pour fonction de fournir un contexte à la saisie
du sens dans une organisation. Elles ne font pas que transmettre des informations. Elles
sont des métaphores qui aident à saisir symboliquement l’organisation »29.
Le récit fait graviter les groupes d’individus autour d’images ré enchantées que les esprits
se projettent pour donner du sens à leur action. S’ensuivent donc des histoires magnifiées
par le temps que des auteurs comme Martin30 ou Myrsiades31 classent comme étant des
sous ensemble de la catégorie des histoires, à savoir les mythes et autres légendes. A juste
titre, c’est en rapportant des faits qu’ils évoluent dans le temps, s’ornant de détails au fil
des ans, au gré des narrations. Ils racontent toujours un processus de création ou sont liés
à l’origine des choses et des événements. Ces mêmes auteurs ainsi que Feldman32,
Hatch33 et Sitkin34 proposent alors une classification des différents mythes présents dans
l’organisation. On retrouve les mythes rationnalisateurs, qui permettent en autres de
légitimer les faits par un lien cause-effet et ainsi promouvoir des actions futures du même
29
BERTRAND Y., Culture organisationnelle, Presse universitaire du Québec, Québec, 1991, p.125.
MARTIN J., Stories and scripts in organizational settings, Elvesier North Holland, N-Y, 1982.
31
MYRSIADES L. S., Corporate stories as cultural communications in the organizational setting, Ouartely,
Management Communication, 1987.
32
FELDMAN S., The storytelling stone, Lincoln, University of Nebraska Press, 1972.
33
Hatch M.J., Organization Theory. Modern Symbolic and Postmodern Perspectives, 1997
34
SITKIN S.B, MARTIN J., FELDMAN M. S, M J HATCH, The Uniqueness Paradox in Organizational stories,
Cornell University, 1983
30
31
ordre. Les mythes de valorisation et d’identification qui s’appuient sur le système de
valeurs de l’organisation entre ce qui est approprié et ce qui ne l’est pas, ou, en
intronisant un personnage en opposition par exemple. Les mythes de dualité qui
traduisent des tensions pouvant exister entre ce qui représente la valeur des individus et la
réalité de l’entreprise.
Ces diverses formes de mythes naissent tous d’une pratique dérivée de la narration, celle
de l’imagination et de ses possibles. Les représentations mentales remplacent alors peu à
peu le réel, le supplantant en surface. Les bons sentiments font écho au désir d’orner la
réalité : « […] il arrive fréquemment qu’un groupe de salariés essaye de défendre et
d’illustrer une mémoire, une identité par des rappels historiques de ce qui a été réalisé.
On comprend ici l’éventuel écueil : celui d’un récit passionné, quelquefois écorché où le
sentiment l’emporte sur la volonté de distanciation »35. L’histoire léguée possédera une
dimension plus forte sans pour autant mentir sur les faits. Lalande décrira le mythe
comme une « exposition d’une idée ou d’une doctrine sous une forme volontairement
poétique et narrative où l’imagination se donne carrière, et mêle ses fantaisies aux vérités
sous jacentes »36, offrant ainsi une conception du mythe proche de l’histoire optimisée
comme un exemple à reproduire.
Les mythes servent ainsi la collectivité en produisant du sens pour motiver les individus
autour de déterminations symboliques au caractère riche et énigmatique. Ce sont alors des
images positives et rassurantes qui sont véhiculées, mettant en scène parfois des héros
auxquels les individus dans l’organisation peuvent se rallier ou s’identifier. L’histoire
permet en quelque sorte de lier les différents comportements autour de références et de
repères utiles à l’organisation. « C’est sans doute ce que les dirigeants et le personnel
doivent espérer de l’histoire de leur entreprise : certes un moyen de renforcer son identité,
d’affirmer sa fierté mais surtout le biais pour comprendre évolutions et blocages dans une
perspective globale, actions et réactions de l’interne et de l’externe, dialectique entre le
passé (ou ses représentations) et le présent »37.
35
BELTRAN A., L’Histoire d’entreprise pour la connaissance et l’efficacité, [En ligne], 7 | 1995, mis en ligne
le 26 mars 2012, consulté le 05 avril 2012. URL : http://communicationorganisation.revues.org/1762
36
LALANDE A., Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, 1960. p. 665.
37
BELTRAN A., op. cit.
32
D’autre part, l’approche psychanalytique des organisations confirme la présence de
dimensions cachées qui régulent les interactions par le biais de l’instance mythique
notamment : « L’instance mythique existe dans toutes les grandes institutions (Armée,
Eglises, Etats, entreprises) qui ont besoin de mythes fondateurs. Ceux-ci donnent sens à
l’institution, la légitiment et la valorisent ; ils fixent des normes de conduite, des valeurs
et des rites. Ils font l’objet d’investissement amoureux, d’identification »38.
En parallèle, on comprend pourquoi l’action individuelle peut être fortement mobilisée.
Le potentiel d’action de l’individu se transcende à travers l’histoire ou le mythe énoncé
qu’il souhaite d’une certaine façon reproduire. C’est le domaine de l’affectif qui frappe
d’abord le jugement de l’individu afin de répondre aux buts et aux stratégies collectives
de l’organisation. Dans ce sens, l’identité individuelle et celle culturelle se forment
conjointement. Les histoires et les mythes activent donc la mémoire collective au profit
d’une volonté commune, celle de saisir et d’interpréter l’environnement social de
l’organisation.
38
CABIN P., CHOC B., Les organisations, états des savoirs, Sciences Humaines éditions, Auxerre, 2005, p.
53.
33
B) La communication interne des organisations, le champ d’action des
pratiques managériales
La communication interne dans les organisations existe dans toutes les structures,
quelque soit la taille de celles-ci. Elle dépend surtout de l’état d’esprit de l’entreprise et
des objectifs qu’elle souhaite mettre en place auprès de son personnel. Certains objets de
communication qui vont marcher dans une société, peuvent ne pas être opérants dans une
autre. La stratégie de communication mérite donc d’être réfléchie en fonction de
l’environnement organisationnel et de la culture qui y règne. La préoccupation des
salariés à ce titre, est assez récente et la multiplication des supports a explosée depuis que
les entreprises s’inquiètent des répercussions de la satisfaction et de la motivation au
travail. Le climat social et les valeurs socioculturelles sont donc ici une des sources du
fondement de cette communication interne. Celle-ci met en relief les anticipations et
l’orientation future des salariés pour qu’advienne un mouvement dans le présent,
mouvement qui ne peut se conduire que si le personnel de l’organisation prospère dans un
contexte incitatif. « En affirmant ce qu’est le monde de l’entreprise, en définissant les lois
qui président à sa transformation, la communication interne définit, en creux, quel doit
être le comportement des salariés pour qu’advienne le futur »39.
Nous allons donc tenter de décrypter les messages émis par l’entreprise au regard des
informations descendantes qui sont propagées comme un levier de management auprès
des salariés. Ces informations diffusées par la hiérarchie nous permettrons d’y voir plus
clair sur les possibilités existantes au niveau de la formation et de l’information du
personnel.
Nous montrerons succinctement en quoi les moyens oraux et écrits, web et audiovisuels
sont efficaces, notamment par leur aspects intégratifs, et, comment ils contribuent à
fédérer le personnel et à la motiver.
39
NICOTRI V-B., La communication interne comme récit : de l’intériorisation à la convention. In :
Communication et langages, n° 130, 2001, p. 113.
34
1) La communication écrite et orale
La communication écrite et orale fait partie du premier vecteur de la
communication interne. Elle se destine ici à l’encadrement du salarié, et à permettre que
celui-ci distribue à son tour des informations et des messages en cohérence avec la
signature institutionnelle de l’entreprise. Dans ces conditions, le personnel est donc aussi
un ambassadeur de la qualité de la communication. Mais les messages articulés par
l’information descendante doivent être particulièrement habiles afin de mettre en
confiance le personnel dans le contexte de l’entreprise. Pour cela, les moyens écrits
comme ceux oraux s’appliquent aux attentes, et anticipent les besoins humains qui
subsistent dans n’importe quelle structure sociale.
a) Les moyens oraux et l’exemple formel des réunions
La communication orale bien que plus naturelle doit être immanquablement maîtrisée,
même si elle relève de l’immédiateté. Ce sont alors les relations humaines qui vont être le
pivot de sa bonne conduite. Les démarches prises par la direction en ce sens doivent tenir
compte des conséquences que pourrait avoir une communication orale mal contrôlée.
L’indifférence et le manque d’implication peuvent être alors une source de conflits et de
complications pour une structure si celle-ci induit des échanges froids, inanimés ou
distants. Les moyens oraux développés au sein de l’organisation à toutes les échelles
hiérarchiques exigent donc une intentionnalité justifiée : « Qu’elle (la communication
orale) soit informelle ou pas, elle doit être intentionnelle. Cela signifie qu’il faut adopter
une démarche volontariste. Certains dirigeants l’adoptent naturellement, d’autres doivent
faire des efforts pour l’intégrer dans leur comportement quotidien »40.
Nous parlerons ici des réunions organisées par la direction et qui ont pour but de
transmettre des informations, que ce soit pour étudier un problème ou susciter des
réactions. La fonction du langage est alors omniprésente et décisive. Des outils visuels
40
DEMONT – LUGOL L., KEMPF A., RAPIDEL M., SCIBETTA C., Communication des entreprises, stratégies et
pratiques, Paris, Ed. Arman Collin, 2006, p. 265.
35
sont souvent utilisées dans ce cadre, afin d’illustrer les idées plus volatiles ou moins
limpides, et, retenir l’attention.
La réunion de travail dépend des conditions dans lesquelles elle est mise en place,
c'est-à-dire du problème qui va être discuté. Il peut s’agir de problèmes techniques,
commerciaux, d’organisation ou sociaux. Le public et le personnel convoqués peuvent
être ici restreints, cela dit la diffusion des résultats des travaux pourra être étendue à un
public plus large via une communication écrite ou informelle. Il s’agit donc de
responsabiliser le personnel et de le pousser à la créativité et à l’approbation d’une
solution collective. La réunion de travail permet de sensibiliser les salariés à des
problèmes qui sont inhérents à leur fonction et à la mission qu’ils accomplissent pour
l’organisation. La reconnaissance de la direction s’impose ici par l’acceptation de
l’opinion du personnel et des solutions consenties.
La réunion d’information ou les conférences, elles, se destinent à communiquer la vie de
l’entreprise ou d’un service ou d’une catégorie du personnel. Le public admis lors de ces
réunions dépend donc du sujet qui sera discuté et traité. Les échanges ont pour but d’être
souples et directes, en adaptant toujours un langage approprié à l’auditoire afin de
recueillir un ralliement unanime : « Elle sont fortement recommandées pour impliquer le
personnel à des décisions importantes et recueillir son adhésion »41.
La communication orale tient donc d’une volonté d’établir un dialogue avec les salariés,
immédiate et économe. Parfois, cette communication est un gain de temps précieux. Cela
dit, les risques de réception peuvent être conséquents et la désinformation peut être une
des causes de cette incompréhension. C’est pourquoi la communication écrite doit faire le
relais de la communication orale.
b) Les moyens écrits ou les pratiques des outils professionnels
Elle peut être papier ou électronique, cela dit beaucoup d’entreprises et
d’organisations ont du mal à se passer du support traditionnel imprimé. La crédibilité de
la communication écrite est donc certainement liée à son format officiel qui engage son
41
Ibid., p. 267.
36
auteur, et retranscrit la pensée de la direction, judicieusement formulée. Il est alors par
logique indispensable de ne pas saturer les salariés de documents écrits, et d’informations
répétitives ou encombrantes. La communication écrite passe donc par une cohérence
globale pour orienter, informer et conduire le salarié vers une perspective commune à
celle de l’entreprise. Les principes de rédaction sont la simplicité et la clarté afin de
faciliter l’accessibilité de lecture.
La note d’information par exemple, donne toutes les consignes, les explications et les
directives nécessaires au salarié afin de pouvoir s’éveiller entre les murs de la structure
organisationnelle. La note doit être claire, précise et simple afin que la réception de
l’information soit optimale. Elle est donc opérationnelle et s’utilise dans le quotidien de
l’organisation, rythmant ainsi les journées du personnel au gré des événements et des
signes de vie. C’est par conséquent une référence pour le personnel et les groupes de
travail. Chacun est alors directement impliqué dans l’activité et l’animation de
l’organisation. D’autre part, l’affichage permet lui aussi d’impliquer le salarié en ce sens.
Bien souvent, il s’agit d’un tableau ou d’un panneau qui est disposé par la direction dans
un lieu propice aux interactions sociales et humaines. Le sentiment d’appartenance et la
souplesse d’utilisation qu’un tel support peut produire est idéal pour l’expression et le
maintien de la culture d’entreprise. « En réalité l’affichage offre de nombreuses
possibilités, à condition de considérer ses lecteurs – le personnel – comme un public à
séduire. A l’instar d’un publicitaire ou d’un journaliste, il faut essayer d’accrocher son
public, puis de maintenir son intérêt »42.
Les informations peuvent être de l’ordre hiérarchique, ou descendante, c'est-à-dire
qu’elles
relèvent
d’informations
générales
(résultats,
retombées
de
presse),
d’informations fonctionnelles (lois, organisation du travail) ou sociales (rémunération,
condition de travail). Mais la diffusion peut être également ascendante. Dans ce cas,
l’affichage est un lieu d’expression où fleurissent des messages divers et personnels
propre à l’incarnation de l’identité salariale, ce sont alors par exemple des petites
annonces ou des carnets de naissance qui sont affichés.
42
WESTPHALEN M.-H., Communicator, le guide de la communication d’entreprise, Paris, Ed. Dunod, 2001,
p. 85.
37
La lettre au personnel quant à elle, est particulière, notamment en France. Elle conserve
en effet pour ce type de communication écrite une connotation paternaliste. Ce courrier
adressé aux salariés par le chef d’entreprise est donc ponctuel et périodique. Il intervient
dans la vie de l’organisation pour de grands événements : anniversaires, fêtes, bilans,
remerciements… Son impact est fort car la lettre au personnel possède un caractère
exceptionnel et s’inscrit dans un contexte souvent singulier. Elle est donc bien souvent
influente et permet de rassurer la condition salariale.
Enfin, pour finir cette présentation des supports de communication écrits et descendants,
nous pouvons décrire l’utilisation du livret d’accueil et du journal.
Le livret d’accueil premièrement présente l’entreprise dans une large exposition des
valeurs, des activités, du rayonnement régional ou national et surtout de l’histoire ou des
histoires de l’entreprise. Il est donné systématiquement à chaque employé qui rejoint
l’entreprise ou lors de journées de recrutement afin de décrire l’organisation à la lumière
des grands moyens déployés par la structure pour ses employés. C’est pourquoi ce
support s’accompagne habituellement d’un discours oral moins formel ou d’un entretien,
afin de témoigner plus officieusement de la vraisemblance des informations décrites.
Le journal interne quant à lui est de plus en plus répandu dans les entreprises. Il est lui
aussi commandité par la direction et fait office, dans certaine structure, de véritable
institution. A l’intérieur de grandes firmes, il peut prendre la forme d’un vrai magazine à
papier glacé, dans d’autres, plus modestes, il peut être simplement imprimé sous forme de
bulletin recto verso. Ainsi, ce support s’adapte à l’envergure de l’organisation, le nombre
d’exemplaire étant publié dépendamment du lectorat. EDF par exemple, diffuse son
magazine interne « Vivre EDF » à plus de 120 000 exemplaires43, l’Armée de Terre
présente quant à elle un format de 72 pages numérisé depuis le premier janvier 201144.
« Terre Information Magazine » (TIM) est devenu un cyber journal interne, il s’est
enrichie de contenus interactifs et se destine aussi aux proches qui souhaitent être
informé.
43
Source: Stratégies, http://www.strategies.fr/actualites/marques/r76596W/edf-prepare-un-appel-doffres-sur-son-journal-interne.html, juillet 2003.
44
Source : CAUCHEBRAIS T., Pas de papier pour les publications, novembre 2011,
http://www.defense.gouv.fr/actualites/communaute-defense/pas-de-papier-pour-lespublications/(language)/fre-FR#SearchText=terre information magazine#xtcr=5
38
La cible, autrement dit les salariés est donc tenue au courant de l’activité et des résultats
de l’entreprise mais aussi d’informations parallèles, qui décloisonnent les convenances
hiérarchiques. Des tribunes libres ponctuent alors la structure du journal interne, des
articles sur les différents métiers ainsi que des « gros plans » sur certaines fonctions
permettent de développer l’esprit de groupe et le sentiment de valorisation. La
construction sociale du journal interne permet d’incorporer et de confronter des opinions
comme dans un vrai journal de presse, « il est la trace des attentes et des points de vue
des dirigeants, le produit du service de communication interne, un objet d’interprétations
des salariés (Duterme 2002) et potentiellement l’agent de certains comportements chez
les uns et les autres »45.
La communication écrite a donc pour principe d’intégrer le personnel dans la vie de
l’entreprise et de lui faire comprendre les problèmes de gestion autant que les raisons de
certains choix économiques ou stratégiques. Selon les types de supports ou de médias, le
dispositif communicationnel incite le salarié à s’investir. La participation à la rédaction
du journal interne ou l’affichage de documents personnalisés en est une belle illustration.
Mais à l’heure des nouvelles technologies de l’information et de la communication, cette
communication interne se diversifie. Les moyens de communication informatiques et
audiovisuels des entreprises s’adaptent aux nouvelles pratiques et ne font plus office de
gadgets.
45
Morillon L., Le journal de communication interne, un agent des enjeux stratégiques organisationnels,
Semen [En ligne], 28 | 2009, mis en ligne le 01 octobre 2009, consulté le 23 avril 2012. URL :
http://semen.revues.org/8690
39
2) La communication informatique et audiovisuelle
Il y a quelques années encore, l’utilisation et l’assimilation de certains outils
informatiques et audiovisuels pouvaient poser problème car ils étaient encore trop
sophistiqués, mal maîtrisés et peu démocratisés. Mais, depuis que nos sociétés ne vivent
plus qu’à l’ère du numérique et de la cyberculture, il est logique que la communication
des organisations s’en imprègne à son tour. Le numérique sert donc dorénavant la
stratégie des entreprises et la gestion de la relation client. Les dirigeants sont d’ailleurs
près de 80% à utiliser un Smartphone et 59% à posséder une tablette numérique. Selon la
même source, 39 % d’entre affirment savoir s’en servir parfaitement et « trois
entrepreneurs sur quatre mènent une réflexion sur l’environnement de travail de demain
(mobilité, télétravail, collaboration à distance, management des équipes virtuelles et
réparties sur plusieurs sites, etc.) » 46.
D’autre part, dans cette envolée et ce mouvement perpétuel de l’information, l’individu et
ses dispositifs cognitifs se sont acclimatés. La technique a reconfiguré nos pratiques, et,
cette aspiration nouvelle s’est imposée aux utilisateurs dans une logique de progrès : « La
tendance introduite par une technique n’est pas irréversible ou inévitable, mais elle
constitue une ligne de force constitutive des évolutions et des mutations de nos pratiques
et de nos comportements »47. De quoi imposer à l’organisation une réactualisation
continuelle de ses pratiques communicationnelles même si elles sont aussi destinées à
l’interne.
46
Source : Baromètre IDC/Synthec numérique/Top management de la maturité numérique des dirigeants,
BAHAR E., Les dirigeants s’impliquent de plus en plus dans la stratégie numérique, avril 2012,
http://pro.01net.com/editorial/564020/les-dirigeants-s-impliquent-dans-les-problematiques-it-de-leursentreprises.
47
BACHIMONT B., Images et audiovisuel : la documentation entre technique et interprétation, Critique et
perspectives, Documentaliste-Sciences de l'Information, 2005/6 Vol. 42, p. 348.
DOI : 10.3917/docsi.426.0348
40
a) L’Intranet et les moyens informatiques
La cyberculture a introduit des modèles communicationnels novateurs ces quinze
dernières années qui sont venus enrichir la sphère des traditionnels supports usités dans la
communication d’entreprise. L’utilisation des ces nouvelles technologies rentreront ici
dans le cadre de la communication interne, et nous montrerons en quoi ces outils
deviennent fort appropriés au sein de la gestion managériale notamment au regard de
l’Intranet.
L’Intranet est un réseau privé de l’organisation, un lieu d’échange d’informations
instantanées, de documents administratifs, de courriers électroniques et une place
réservée aux forums de discussion. Il fonctionne en circuit privé et tous les contenus qui y
sont référencés appartiennent strictement au domaine de l’organisation. Il propose selon
l’interface mise à disposition par l’organisation un accès à Internet permettant ainsi
l’ouverture vers une communication externe.
Dans cette démarche de fonctionnement, les organisations gagnent un temps inestimable
d’autant que les coûts sur ce type de réseau sont limités au frais d’installation et de
maintenance : « Un intranet permet de constituer un système d’information à faible coût,
concrètement le coût d’un intranet peut très bien se réduire au coût du matériel (serveur et
poste de travail), de logiciels, d’un serveur et de son entretien et de sa mise à jour »48. Les
utilisations sont donc multiples et dépendent de la stratégie souhaitée par l’organisation.
Chaque salarié peut trouver de la documentation interne, des documents techniques via
des moteurs de recherche documentaires, des annuaires du personnel, le e-journal et des
accès à des listes de diffusion, des forums et des canaux de visioconférence. Il permet
entre autres de faciliter pour chaque salarié son organisation personnelle, c'est-à-dire de
gérer son emploi du temps, de consulter des documents qualité. L’information circule en
circuit fermé mais elle est transversale, on restreint les distances de manière à ce que
chacun puisse travailler ensemble sans contrainte de temps ni d’espace. L’Intranet
favorise donc les échanges d’informations entre les salariés de manière à limiter les
erreurs, il accélère la circulation des contenus à la fois ascendante, descendante et
latérale. D’une manière générale, ce réseau informatique interne est un moyen efficace
48
DEMONT – LUGOL L., KEMPF A., RAPIDEL M., SCIBETTA C., op cit., p. 277.
41
pour rappeler les perspectives communes, inviter le personnel à inscrire ses propres
actions et coordonner l’espace social que constitue l’organisation.
b) Les vidéos d’entreprise, pour donner à voir et à avoir
« Au sein de la grande famille audiovisuelle, le film d’entreprise a des allures de
‘vilain petit canard’. Comme lui, il souffre de ses particularités : il relève de la
commande, ce qui le rend servile ; il est fonctionnel, ce qui le rend vulgaire ; sa référence
est le monde du travail, ce qui le rend ennuyeux. De plus, oublié de la programmation
cinématographique ou télévisuelle, le genre doit se contenter des créneaux restreints de sa
fonctionnalité. Acculé dans sa mare, sous le regard de rares observateurs, il est alors la
proie facile des préjugés »49.
La vidéo d’entreprise rentre dans une catégorie de support communicationnel atypique,
elle se reconnaît au carrefour de termes tels que film d’entreprise ou vidéo de commande.
Ce format audiovisuel proche du court métrage, est destiné à servir d’un point de vue
représentatif l’organisation que ce soit à l’interne comme à l’externe. Les vidéos
d’entreprise adoptent d’ailleurs de plus en plus souvent maintenant le format broadcast,
afin de s’ajuster à différents types de supports numériques.
Elle se pilote et se commande à partir d’une volonté de l’entreprise d’améliorer son
image, elle complète en ce sens une action de communication multi média par laquelle il
devient nécessaire de maîtriser les savoir-faire de plus en plus diversifiés. Chaque type de
format audiovisuel s’harmonise en fonction de la stratégie souhaitée par l’organisation et
vient ainsi compléter les supports de communication plus traditionnels. Les structures
utilisent principalement ce médium pour sa grande qualité esthétique et pour la matière
riche qu’il constitue si le projet est géré par des professionnels de l’image, dans des
conditions privilégiées (budget adapté au story-board, stratégie pesée et cible
concrètement cernée).
49
HELLER T., Pouvoir et création dans l’audiovisuel d’entreprise, Communication et organisation [En
ligne], 15 | 1999, mis en ligne le 26 mars 2012, consulté le 29 avril 2012. URL :
http://communicationorganisation.revues.org/2219
42
D’une manière générale, les outils et les compétences de la vidéo d’entreprise sont
largement empruntés à l’univers de l’audiovisuel traditionnel, on pense alors au format
reportage, à la fiction ou à l’interview. L’organisation utilise d’ailleurs les préceptes de
l’image animée depuis de nombreuses années, avant même que l’on ne soit habitué aux
images télévisuelles et cinématographiques : « Pour anecdote, le premier film de
l’histoire du cinéma est un film d’entreprise, La sortie des usines Lumières à Lyon, signé
par ses inventeurs en 1885. L’entreprise est donc présente dans l’audiovisuel depuis ses
premiers pas »50. Cependant, la vidéo d’entreprise est devenue un réel outil de
communication dans les années 1980. A cette époque, c’étaient surtout les firmes les plus
fortunées, disposant de gros moyens budgétaires, qui pouvaient supporter la production
de films institutionnels, mais, depuis quelques années, le support audiovisuel est devenu
accessible à de nombreuses entreprises. L’apparition et l’utilisation généralisée des
nouvelles technologies de l’information et de la communication, la croissance des
équipements, à nettement tirer le budget des entreprises vers le bas, permettant ainsi à de
moyennes structures de pouvoir tirer parti du matériel et des compétences audiovisuelles
modernes.
Les applications sont donc diverses, et les professionnels disposent d’une logique de
l’image nourrie par l’évolution des techniques. La prédisposition des spectateurs face à
l’image animée s’est parallèlement très largement imposée comme étant une voie de
fonctionnement communicationnel à grande échelle, appelée à toucher un large public.
De surcroît, les nouvelles générations qui sont issues de la vidéo culture, sont beaucoup
plus sensibles à une projection audiovisuelle qu’à de simples supports écrits. Celles –ci
partagent d’ailleurs plus facilement sur la toile des vidéos que des articles, ou des
supports écrits.
La fonction d’une vidéo d’entreprise dépendra donc de la stratégie consentie par
l’organisation au regard de la politique communicationnelle. Elle peut introduire,
illustrer, ponctuer ou conclure des actions de communication. Ce qu’elle recherche, c’est
avant tout de créer une confiance par le biais de l’image afin de toucher une cible et de
crédibiliser ainsi sa conduite. Le support vidéo dispose donc de qualités opérantes qui
facilitent la réception des messages. Les images animées attirent et retiennent l’attention
50
BECKER N., Vidéo d’entreprise et communication, Paris, Ed. Vuibert, 2008, p.20.
43
par une dynamique de l’ouïe et de la vision. Elles peuvent focaliser une audience en
stimulant l’espace dans lequel elles sont diffusées : « Le visiteur d’un salon ou d’un
magasin va être attiré par l’image, oublier son empressement et rester devant l’écran
durant plusieurs minutes. Il se produit la même chose sur un site Web, où l’on constate un
temps de visite très supérieur quand on y place une vidéo »51. La réception est alors assez
passive car elle demande très peu d’efforts de la part du spectateur, qui n’a qu’à
s’abandonner aux images pour comprendre et s’informer. Elle impose une pensée
ordonnée qui permet grâce à un agencement visuel, de percevoir un sens global. Le sens
du message, mis en image, suit une logique et une fluidité favorisant la compréhension et
la mémorisation. Bien souvent, des enquêtes préliminaires sont d’ailleurs établies afin de
cerner les attentes de la cible et les retranscrire dans le contenu vidéo. Il faut donc savoir
encourager et maintenir l’attention et l’adhésion du spectateur, du destinataire, en
adaptant tous les moyens possibles.
En outre, quelques règles de base concernant la réalisation d’un projet audiovisuel font
état d’impératif. La cohérence entre la méthodologie, les objectifs, la nature du message
et le format doit être appliquée en fonction d’un environnement de réception déterminé.
A l’ère d’Internet, il est de plus assez judicieux de faire preuve de transparence et de
crédibilité et, d’employer des techniques plus perméables. En empruntant des méthodes
inventives et un style déguisé qui permettent de ne pas trahir la détermination première de
l’organisation et qui échappent au discours rabâché et cérémonieux de l’entreprise, la
communication audiovisuelle a su intégrer des formats originaux. Le style et le concept
de la vidéo s’accordent donc au projet de l’entreprise, dans une volonté d’action globale
dans laquelle la vidéo vient dynamiser l’impact visuel.
Le film institutionnel ou corporatif, utilise un format classique et traditionnel de carte de
visite, dans lequel sont présentés de manière séquentielle tous les aspects de l’entreprise.
Généralement, les moyens afférés à ce type de vidéo sont conséquents car il s’agit de
promouvoir de la meilleure façon possible la représentation de l’entreprise, sa qualité et
son prestige : « Ce type de film coûte entre 50 000 et 150 000 euros selon la taille de
l’entreprise, ses ambitions, la géographie de ses implantations et la difficulté à mettre en
51
Ibid., p. 27.
44
image ses activités »52. Les effets graphiques, le montage, le son, la musique, tout est
réfléchi afin d’adapter des techniques de la télévision à la communication d’entreprise
avec, cela dit, un budget moindre. C’est pourquoi le cadre est donc rigoureusement défini
à l’avance via une démarche de gestion de projet afin de convaincre et de vendre des
valeurs, des produits ou un message institutionnel persuasif et efficace.
Les scénarii types du film institutionnel peuvent alors évoquer l’historique de l’entreprise
en entremêlant des images d’archives à la composition du montage, des valeurs humaines
propres à des métiers et des hommes ou encore étayer des valeurs liées à la performance
ou aux perspectives de développement.
Par ailleurs, la vidéo de recrutement est comme son nom l’indique, destinée à recruter de
nouveaux collaborateurs, de nouveaux salariés. Elle montre la capacité de l’organisation à
accueillir, à former dans les meilleures conditions de nouveaux membres en valorisant le
facteur humain. Ce genre de vidéo d’entreprise exploite bien souvent des sujets relatifs à
la culture organisationnelle tels que le sentiment d’appartenance, et la collaboration.
Cependant, le but de l’organisation est avant tout de pouvoir engager des salariés qui
s’incarnent dans les images : « L’objectif est d’obtenir des CV de meilleure qualité, des
recrues mieux informées des réalités de l’entreprise et qui postulent en connaissance de
cause »53.
Il est possible d’autre part de rencontrer des vidéos de formation. Celles-ci servent alors
d’outils pédagogiques en mimant des gestes, des postures ou des attitudes. Elles
accompagnent la formation mais ne la remplace pas. En général, elles privilégient le clip
visuel, le titrage ou la voix off pour une meilleure mémorisation.
Au travers de ces différents types de formats, l’option de mise est généralement
d’entrecouper les scènes en donnant la parole à des personnalités reconnues au sein de
l’organisation, notamment pour crédibiliser les messages. Les témoignages sont alors
beaucoup plus percutants en ce sens. L’interview peut donc venir ponctuer l’agencement
d’une vidéo afin de rassurer d’une certaine façon sur la vraisemblance des contenus
informatifs.
52
53
Ibid., p. 43.
Ibid., p. 47.
45
C) Le storytelling ou l’art de conter des histoires
Communiquer dans l’organisation demande une grande part de connaissances
managériales afin d’employer le bon support et le bon modèle au bon moment et faire
ainsi adhérer une cible. Il faut alors employer le bon ton, l’image forte et opérante afin
d’adapter de la manière la plus efficace possible l’information à l’émetteur. La
communication s’approprie donc continuellement de nouveaux supports, modifiant et
trouvant sans cesse de nouvelles voies d’expression, de nouveaux canaux afin de saisir le
contexte le plus profitable. Sa conduite dans le temps ne cesse d’être aménagée par de
nouveaux modèles qui s’adjoignent alors de technologies de l’information et de la
communication toujours plus novatrices, efficientes et techniques. Mais à l’heure où ces
TIC et où les modèles communicationnelles sont à leur apogée et que nous sommes
dorénavant submergés de supports communicationnels, on voit apparaître un énième
modèle beaucoup plus commun et familier cette fois, répondant à un besoin plus
élémentaire, celui de narrer. Le storytelling ou la communication narrative s’est insérée
dans le paysage de la communication organisationnelle pour de multiples raisons.
A partir des années 80, on note l’apparition d’articles scientifiques mettant à jour la
portée communicationnelle du modèle narratif notamment dans les revues de gestion et
de sociologie anglaises et les universités anglo-saxonnes54. Mais c’est également en
tentant de combler le manque de rationalité produit par des médias bien souvent trop
systématisés, que la communication narrative s’est vue attribuée une place conséquente
dans l’organisation, la publicité ou le marketing. Elle utilise alors des modèles très variés,
on la reconnaît au carrefour de termes employés de-ci de-là tels que le conte, l’histoire, la
saga ou le récit. Néanmoins, bien qu’un éventail de mise en récit la diversifie au regard
de ceux qui la perçoivent, la communication narrative préserve systématiquement le
même format narratif. Elle s’approprie le processus de mise en situation de personnages,
impliquant une quête et un mécanisme de transformation à travers les différentes phases
du récit que peuvent être la situation initiale, l’apparition d’un élément perturbateur, le
nouement et le dénouement afin d’atteindre la phase finale.
54
Voir p. 49.
46
Travailler avec les histoires c’est donc cela, utiliser leurs mécanismes longuement polis à
travers les âges pour traduire un échange et communiquer vers une partie plus
vraisemblable de l’information. Se servir du schéma narratif paraît être ainsi l’un des
meilleurs angles dans ces conditions afin d’appréhender la logique introspective d’un
auditoire, en touchant notamment à des mécanismes qu’il intériorise inconsciemment
depuis des temps immémoriaux.
Le storytelling était préexistant et a été redéfini seulement il y a peu par des entreprises
américaines qui y ont vus un support imparable pour répondre à une société de plus en
plus portée vers l’émotion. Il serait ainsi beaucoup plus juste de le décrire comme un
format qui utilise les rouages de la narration pour dire, montrer, raconter ou narrer des
histoires. C’est une redécouverte en somme de bases communicationnelles que l’homme
utilise depuis des siècles pour retranscrire des faits, les enjouer par le biais d’une
narration et de certains éléments qui permettent à l’auditoire de travailler et d’écouter par
la pensée. Faire travailler son imagination au profit d’une communication plus humaine et
plus proche de la réflexion rationnelle était la condition profitable au vide que laisser
transparaître la communication organisationnelle ou le marketing.
C’est donc ce lien entre rationalité des faits propices au positionnement d’une histoire et
la présence omniprésente du registre émotionnelle qui donne au storytelling son pouvoir
sublimatoire. L’approche narrative dans la gestion des organisations est donc une réponse
certaine au besoin d’humanisation, d’appropriation de volontés identificatoires au cœur
de l’entreprise tournée aujourd’hui plus que jamais vers l’individu.
47
1) Le Storytelling ou la communication narrative, la construction d’une histoire
Dans cette première sous partie, il sera d’abord nécessaire de repositionner le storytelling
ou la communication narrative depuis les premières démarches de théorisation qui ont
lieu dans les années 1980 dans une perspective communicationnelle. Nous essayerons
ainsi de poser les bases du format discussif aux regards des différents auteurs qui l’ont
traité en Amérique du Nord et en Europe. Il sera alors question de donner un aperçu
représentatif des diverses connaissances qu’ont apporté ces chercheurs sur le concept du
storytelling ou plus précisément sur la structure du récit. Par la suite, il conviendra de
présenter les raisons qui lient de manière cognitive le récit à l’homme par le biais de la
réceptivité de l’émotion. Puis nous introduirons les motifs de
cet essor
communicationnel du storytelling à travers la culture managériale et marketing, et plus
précisément parmi les grandes firmes américaines, précurseurs de cet engouement sur le
continent nord américain.
a) Genèse d’un mythe ou comment le storytelling a-t-il était théorisé?
Fisher, au début des années 1980 dans son ouvrage Human communication as
narration55, suggérait le fait que l’homme n’était non plus seulement un « homo sapiens »
mais également un « homo narrans », un narrateur né. Suivant cette logique, l’auteur
proposait l’idée selon laquelle l’homme se serait construit à travers les histoires et les
narrations et que ce seraient grâce à elles que les humains établiraient la compréhension
du monde dans lequel ils vivent. Sa réflexion sociologique sur cette « rationalité
narrative » fonctionnerait donc par suggestion et par identification, elle serait alors
morale, non élitiste et descriptive : « Pour lui, la grande force de la narration est de faire
appel à la raison et à l’émotion et de mobiliser simultanément plusieurs de nos sens. La
narration se réfère tout autant à des valeurs qu’a des faits »56. D’autres auteurs
poursuivront cette théorisation de la narration comme puissant vecteur communicationnel
55
FISHER W R., ARNOLD C. C., Human communication as narration, toward a philosophy of reason, value
and actions, University of South California Press, 1989.
56
GIROUX N., MARROQUIN L., L’approche narrative des organisations, Revue française de gestion, 2005 –
2006 n°159, p.16.
48
chez l’homme, c’est ainsi que A. D. Brown57, J. Bruner58, ou encore H. Whyte59
enrichissent cette compréhension de la narration d’un point de vue sociologique. On
retient alors certaines hypothèses telles que celle avancée par Whyte qui présente la
narration comme « un méta code commun à l’humanité par lequel sont transmis des
messages sur la nature de la réalité partagée et cela au-delà des différences
culturelles »60 ou celle de J. Bruner penchant vers le récit comme « constituant à part
entière de l’expérience humaine en même temps qu’un moyen puissant de donner sens au
monde, à la fois socialement et psychologiquement »61. L’approche cognitiviste de
Bruner implique souvent une définition du récit aux portes de la narratologie et à celles
de la psychologie interactionniste. De nombreux travaux reprennent ainsi les différentes
hypothèses qu’il a développées. Et c’est notamment sa définition du récit développée au
travers d’une vision intégrative engagée à la fois par des fonctions sociales et des
fonctions psychologiques (maîtrise du temps, développement du langage, compréhension
de soi par le truchement de personnages emblématiques) qui rend son travail singulier.
D’autre part, une grande partie des textes fondamentaux ont aussi été rédigé par des
auteurs français, il convient donc de les présenter. En 1966, Roland Barthes inaugurait
dès les premières lignes de son article Introduction à l’analyse structurale62 du récit une
définition partagée du récit, comme une source totalisante et globalisante de l’expérience
humaine : « Innombrables sont les récits du monde. C’est d’abord une variété prodigieuse
de genres, eux-mêmes distribués entre des substances différentes, comme si toute matière
était bonne à l’homme pour lui confier ses récits : le récit peut être articulé par le langage
articulé, oral ou écrit, par l’image, fixe ou mobile, par le geste et par le mélange ordonné
de toutes ces substances, il est présent dans le mythe, la légende, la fable, le conte, la
57
BROWN A. D., Narrating the Organization :Dramas of Institutional Identity, Human Relations, vol 52,
n°4, 1999.
58
BRUNER J., The narrative construction of reality, critical Inquiry, 1991.
59
WHYTE H., The value of narrative in representation of reality, On narrative, Etats - Unis. Mitchell (Ed.),
The university of Chicago Press, 1980.
60
GIROUX N., MARROQUIN L., op. cit., p.16.
61
LE MANCHEC C., Le récit, constituant à part entière de l'expérience humaine, Le Français aujourd'hui
4/2003 (n° 143), pp. 123-127.
62
BARTHES R., op. cit.
49
nouvelle, l’épopée […] le fait divers, la conversation »63. Roland Barthes fût ainsi l’un
des premiers auteurs à revendiquer la narration dans les sciences sociales modernes et,
par la même occasion à inspirer une nouvelle discipline à Tzvetan Todorov, la
narratologie. Celui-ci la baptisa notamment au moyen de la tournure suivante : « une
science qui n’existe pas encore, disons la narratologie, la science du récit »64.
Dans cet article, il intronisait la compréhension et la décomposition du récit, en
distinguant par exemple des « fonctions » qui caractérisent des actions, des « indices » et
des « informations » qui viennent apporter des précisions sur le déroulement de l’histoire.
Roland Barthes complètera par la suite ses recherches en avançant le fait que si le sens
d’un écrit ne peut provenir de son auteur c’est qu’il émane naturellement du lecteur par
son analyse du texte. Ce qui nous permettra de compléter dans une certaine mesure la
compréhension et l’application du storytelling dans nos sociétés modernes.
Plus tard, d’autres auteurs viendront compléter le panel des savoirs sur la portée du récit
dans des disciplines parfois plus éclatées, Christophe Bremond65 et Gérard Genette66 dans
le domaine de la narratologie, mais encore Michel de Certeau67 dans le domaine de
l’histoire, ou Paul Ricœur68 en philosophie herméneutique. On retrouve parallèlement
d’autres positions rapportées cette fois par Michel Foucault, qui se réfèrent à l’influence
du pouvoir sur nos perceptions. Selon lui, nos standards sociaux seraient induits par des
discours ou des récits institutionnalisés qui prêchent le vrai et le bon. Ceux qui y
dérogeraient seraient alors considérés comme faux. Dans cette perspective, le discours ou
le récit seraient constitutivement caractérisés par une forme de pouvoir en prenant la
forme d’un jeu stratégique langagier de l’ordre de la domination et de l’esquive : « Il y a
chez beaucoup, je pense, un pareil désir de n'avoir pas à commencer, un pareil désir de se
retrouver, d'entrée de jeu, de l'autre côté du discours, sans avoir eu à considérer de
l'extérieur ce qu'il pouvait avoir de singulier, de redoutable, de maléfique peut-être »69.
Ainsi, tous ces auteurs développent de manière conjointe un cheminement vers la portée
63
BARTHES R., op. cit., p 1.
TODOROV T., La grammaire du Décaméron, La Haye, Mouton, 1969, p.10.
65
BERMOND C., La Logique du récit. Collection Poétique, Editions du Seuil, 1973.
66
GINETTE G., Discours du récit, Seuil, coll. « Points essais », Paris, 2007.
67
De CERTEAU M., L'Écriture de l'histoire, Paris, Gallimard, 1975.
68
RICOEUR P., Temps et récit tome I, Paris, Seuil, 1991.
69
FOUCAULT M., L’ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971, p. 8.
64
50
du sens dans la forme du récit, plaçant ainsi la narration au fondement de la pensée
discursive pour l’homme.
b) Une formule pensée pour l’homme
Le mécanisme narratif permettrait de relier la narration à l’expérience humaine et
de montrer comment se nouent la raison et l’émotion dans le processus d’interprétation.
Raconter une histoire ou employer des méthodes discursives afin d’emprunter les voies
de la narration serait un des fondements de l’action chez l’être humain, et, une partie de
son essence. J. Bruner nous précise dans son introduction à l’ouvrage Pourquoi nous
racontons nous des histoires ?, le cas d’une fillette américaine dont il a étudié le
mécanisme narratif dans une étude sur le soliloque. La petite fille était enregistrée à l’aide
d’un magnétophone placé sous son lit. Chaque soir, elle se racontait à elle-même les
histoires et les événements qui avaient marqués sa journée, narrant ainsi les péripéties les
plus émotionnantes. Alors même qu’elle ne disposait d’aucune grammaire, la fillette
savait comment raconter ces histoires : « Elle était si appliquée à bien raconter ses
histoires que nous en sommes venus à considérer que les progrès qu’elle manifestait dans
la maîtrise du langage étaient conduits par une sorte de pulsion narrative »70. Cette
prédisposition au récit, nous explique l’auteur, est inconditionnelle à l’homme notamment
parce que les histoires nous permettent de mettre en forme le monde pour mieux le
comprendre. Intuitivement, nous sommes à même de prendre le pas sur les événements
inattendus, sur les péripéteia que nous présentait Aristote, pour les mettre en forme et les
assimiler. Les récits que nous nous racontons ou que nous présentons au monde seraient
alors à la base une arme qui nous permettraient entre autres de lutter contre les confusions
de la vie et donner sens à celles-ci : « Concevoir une histoire, c’est le moyen dont nous
disposons pour affronter les surprises, les hasards de la condition humaine, mais aussi
pour remédier à la prise insuffisante que nous avons sur cette condition »71.
Le mécanisme narratif est un moyen d’embellir les objets du quotidien afin de les
appréhender et d’en appliquer un certain contrôle. De la même façon, il permet aussi
70
71
BRUNER J., Pourquoi nous racontons nous des histoires ?, Paris, Ed. Retz, 2002, p.32.
Ibid., p.79.
51
d’intégrer leur compréhension par son fonctionnement didactique. : « Les modèles
narratifs ne se bornent en effet pas à donner forme au monde ; ils façonnent également les
esprits qui cherchent à lui donner un sens. »72. Par exemple, le cas du patient qui raconte
son existence au cours des séances de sa psychanalyse montre bien à quel point cela
affecte la façon dont il la vit. Cela lui permet aussi d’aller mieux. En fait, d’une manière
plus concise, donner du sens à une situation par le biais la narration reviendrait alors à
dire que la narration est au cœur même du processus de création de significations, surtout
du point de vue psychanalytique.
C’est donc grâce à cette fonction que le récit représente pour l’auteur J. Bruner un vecteur
de transmission culturelle pédagogique où la pensée et l’émotion sont pratiquement
indissociables : « Situé dans un processus de ‘subjonctivation’ qui permet de rendre le
monde ouvert constamment à la re-création, le récit présenté à l’école en particulier
permet à l’enfant de structurer autrement son expérience »73 . Ces questions posées se
tournent vers une compréhension du récit à travers la signification de l’expérience
humaine et narrative, et, par la structuration de l’imagination dans le mécanisme de
construction de l’individu, notamment dès l’enfance. Le réel est alors une construction
mentale, dotée de dimensions symboliques et imaginaires quelles soient partagées par la
société ou par un groupe d’individus. Cette ouverture nous renvoi aux rapports
dialectiques et didactiques admis entre réel et imaginaire, réalité et fiction.
Mais au demeurant, l’imagination n’est pas une fuite ou un refuge de l’esprit contre la
réalité. Elle peut être une quête plus appropriée vers elle, vers un regard plus exalté du
quotidien. On pense alors à la puissance du schéma métaphorique pour l’esprit qui permet
d’élever l’histoire au-delà des détails. L’imaginaire est donc un moteur pour l’esprit et
permet d’assembler les sentiments comme les souvenirs, les images et les expériences :
« L’imaginaire est une distorsion involontaire du vécu qui se cristallise comme une
empreinte individuelle ou collective »74. Il construit l’individu et les groupes d’individus
72
Ibid., p. 27.
Ibid., pp.123 -127.
74
MACHADO DA SILVA J., Les technologies de l’imaginaire, médias et culture à l’ère de la communication
totale, Paris, Ed. de la Table ronde, 2008, p. 17.
73
52
et « surgit de la relation établit entre la mémoire, l’apprentissage, l’histoire personnelle et
l’insertion au monde des autres »75.
Le cerveau humain ne travaille donc pas seulement avec des visions immédiates, sa
perception ne s’accommode pas uniquement d’une rationalité prosaïque. Il travaille aussi
grâce à une profondeur plus inconsciente. Les images ont un rôle décisif dans cette
dimension, en tant que messages symboliques poussés par la pensée indirecte et peuvent
devenir la clef d’un désir inavoué : « L’image où qu’elle se manifeste, est une sorte
d’intermédiaire entre un inconscient inavouable et une prise de conscience avouée »76.
Mais l’imaginaire permet surtout à l’individu de construire sa psyché. Carl – Gustav Jung
expose le rôle de l’image comme modèle de l’auto-construction, telle une
« individuation »77 de cette dernière.
Mais penchons nous plus précisément sur l’aspect émotionnel inconditionnellement
propre au facteur humain. L’émotion, par définition, est donc un état affectif
multidimensionnel impliquant des manifestations cognitives, physiologiques, ou
expressives et qui est associé à des sensations de plaisir, de déplaisir, ou à des tonalités du
type agréable ou désagréable. La démarche de Darwin78 nous éclaire sur la portée
communicative des émotions, ces théories néo-darwiniennes défendues par plusieurs
auteurs identifient cinq émotions de base qui sont le fondement des autres émotions : la
tristesse, la joie, la colère, le dégoût et la peur. Chacune des ces émotions renvoient
respectivement à cinq comportements qui sont la réintégration, la reproduction, la
destruction, le rejet et la protection. L’émotion se vit donc au travers de répercussions
psychiques intériorisées, et par une expressivité physique et sensorielle.
Dans les organisations, les affects et les émotions représentent une large part de ce qui est
reconnu comme étant un axe de la productivité cognitive. La régulation des
comportements par la compréhension des schémas cognitifs sont désormais acquis à la
gestion organisationnelle. La motivation de chacun et la satisfaction au travail sont ainsi
75
Ibid., p. 82.
DURAND G., L’imaginaire, essai sur la science et la philosophie de l’image, Paris, Ed. Hatier, 1994, p 23.
77
JUNG C.-G., Métamorphoses et symboles de la libido, Montaigne, 1932.
78
DARWIN C., L’expression des émotions chez l’homme et les animaux, Paris, Ed. Complexe, coll. De la
science, 1981.
76
53
appréhendées comme des vecteurs potentiels de la productivité. La mobilisation des
salariés et leurs synergies répondent à des valeurs communes, la culture dans les
organisations en est l’expression. L’émotion a donc une place centrale dans les
organisations depuis que l’on s’intéresse notamment à la gestion des rapports humains et
à ses modes de fonctionnement au sein de ces structures. Le rapprochement de l’agir et
du ressentir permet de comprendre alors comment l’engagement se créait chez l’individu
lorsqu’il met toutes ses volontés au service de l’organisation. Ces dernières années, les
émotions au travail ont pu être analysées par plusieurs théoriciens mettant en avant
notamment en Amérique du nord la notion d’intelligence émotive79. L’une des premières
définitions de ce précepte nous vient donc des Etats-Unis, elle nous fournit la description
suivante : « Une forme d’intelligence sociale qui implique l’aptitude à contrôler ses
propres émotions et celles des autres, à les discriminer entre elles et à utiliser cette
information pour guider à la fois sa pensée et son action »80. Les quatre qualités de base
de cette intelligence émotionnelle se déclineraient alors par la conscience de soi, la
gestion de soi, l’intelligence interpersonnelle et la gestion des relations, elles seraient
alors indispensables pour susciter une résonnance émotive auprès des collaborateurs ou
des salariés. Sur le territoire français, Maurice Thévenet81 ne nous en donne qu’une
approche partielle, définissant cette intelligence émotive comme une transcription de
l’implication et un régulateur de l’activité humaine.
Si l’on observe le fonctionnement du storytelling, il est alors aisé de comprendre
pourquoi et comment les histoires peuvent si bien évoluer dans des conditions
professionnelles. Les histoires sont donc des messages empreints d’émotions grâce
auxquelles l’intrigue se trame et le message se disperse. La valeur émotive induite par le
cours d’une histoire permet de tenir l’auditoire en haleine tout en colportant le bon
message. Elle est en quelque sorte le fondement de la démarche narrative dans les
organisations par le degré de mystification qu’elle leur soumet et aux changements
relationnels qu’elle leurs propose. Mais, cette valeur émotive est opérante à certaines
conditions. Dans une étude portée sur le caractère émouvant d’un récit fictif, les
79
GOLEMAN D., L’intelligence émotionnelle, Paris, J’ai lu, 2000.
SALOVEY P., MAYER J., Emotional intelligence, Imagination, cognition and personality, n°24, 9 (3), pp.
185- 211.
81
THEVENET M., Le plaisir de travailler, Favoriser l’implication des personnes, Paris, Ed. d’Organisations,
2000.
80
54
chercheurs ont pu évaluer les conséquences d’une évaluation affective. Ils découvrent
ainsi que les informations d’intensité affective forte sont plus facilement ressaisies en
mémoire que celles d’intensité faible ou neutre. « Les informations très émouvantes sont
susceptibles d’être retraitées et peuvent ainsi donner lieu à une excellente récupération
quand on procède à un examen ultérieur de la mémoire »82.
c) Les applications contemporaines du storytelling ou le narrativist turn
Lorsque que l’on prend le recul nécessaire et que l’on retrace les différentes théories
proposées au fil du temps sur le récit et ce que cela implique dans la construction du sens
chez l’homme, on se rend compte à quel point sa potentialité peut impliquer des enjeux
contemporains. Et c’est à l’aube des années 1990 que des firmes américaines s’emparent
des modèles théoriques et les appliquent au domaine marketing, nourries depuis quelques
décennies par un large répertoire de sociologues et de corpus savants traitant du récit. La
clairvoyance des marketeurs nord-américains travaillant pour ces firmes et leur attrait
soudain pour le schéma narratif n’est pas née d’un heureux hasard. La cause, s’il on en
croit Naomi Klein dans son ouvrage No Logo83, serait une crise passagère qui a obligé la
majeure partie des multinationales à repenser leur vision de la marque, autrement dit à
revisiter le branding84 auprès des consommateurs.
Ainsi, c’est avec l’histoire de la firme américaine Phillip Morris et de sa marque
Malboro, nous explique l’auteur, que le storytelling est entré dans l’histoire de la
communication. Dès lors, le monde du marketing s’est inséré dans un processus de
changement en étant contraint de reconsidérer la valeur de la marque garante universelle
jusque là de l’identité de l’entreprise sur les marchés globalisés. En effet, jusqu’ à la
veille des années 90, la notion de branding offrait sa toute puissance à la notion de
marque, à son logo ou à son image. Mais, le 2 avril 1993, la célèbre entreprise de
cigarettes choisit de baisser ses prix pour résister à la concurrence, faisant alors chuter le
82
MARTINS D., Les facteurs affectifs dans la compréhension et la mémorisation des textes, Paris, Presse
universitaire de France, 1993, p. 134.
83
KLEIN N., No Logo : la tyrannie des marques, Arles, Actes Sud, 2001.
84
Définition branding : n choix d’une marque, Robert & Collins du management anglais français, Paris,
Dictionnaire le robert, 1992, p. 254.
55
cours des multinationales à Wall Street. Celles – ci comprennent alors qu’une marque ne
peut plus se suffire à elle-même, en témoigne la réaction inattendue de la colossale
société de tabac. Cette crise marketing et de la publicité est entraînée de plus par la
dénonciation des conditions de production des objets de consommation. L’exploitation
d’enfants en Asie travaillant à la fabrication de chaussures de sport ou de ballons de foot
pour la célèbre marque à la virgule (Nike) par exemple, a largement favorisé cette
impulsion soudaine pour le storytelling. Il fallait désormais raconter des histoires plus
réjouissantes et moins sordides, plus exaltées, symboliques, et loin de la dure réalité des
faits et de la forte concurrence. Christian Salmon confirme cette déperdition et
« l’épuisement du pouvoir prescripteur des marques »85 dans son ouvrage Storytelling, la
machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits. Il dévoile au lecteur le propos
suivant : « A l’intérieur des marques, il y avait des histoires, et c’étaient de sales
histoires… La seule urgence, pour effacer et sauver les marques, c’était donc d’inventer
des histoires édifiantes »86.
Le narrativist turn (ou tournant narratif) des années 90 fait alors son arrivée, le branding
a lui seul n’est plus suffisant pour maintenir les entreprises sur les marchés
concurrentiels. Les consultants en stratégie marketing doivent désormais riposter en
tentant de repenser les marques et de les ré enchanter. Les grandes firmes s’efforcent
alors de renouer quelque chose de plus fort avec le consommateur par le biais de belles
histoires, car, comme le dit Steve Denning qui a théorisé le storytelling en
communication, « une marque c’est essentiellement une relation »87.
La lente évolution du marketing poursuit donc sa longue traversée et devient plus nette
encore : la politique de produit s’est transformée peu à peu en politique de marque qui a
laissé place in fine à un nouveau modèle, l’historisation de la marque ou le storytelling.
La marque devient donc peu à peu le moyen d’exprimer un mode de vie ou un style. Ce
sont des histoires que l’on raconte et que l’on propage afin de mettre en lumière la
marque qui occupent dorénavant le paysage communicationnel. Le marketing change
ainsi de cap en étayant les contenus et en leur donnant une charge émotionnelle plus
85
SALMON C., Storytelling, la machine à fabriquer des histories et à formater les esprits, Paris, Ed. La
Découverte, 2007, p.30.
86
Ibid., p.31.
87
DENNING S., The leader’s guide to storytelling. Mastering the Art and Discipline of Business Narrative ,
Etats- Unis, Jossey-Bass, 2005, p. 105.
56
symptomatique. Le storytelling devient alors le maître mot des campagnes marketing et
sert aussi bien les valeurs politiques que la renommée des grandes firmes américaines.
Aux Etats – Unis d’ailleurs, les traits de la culture américaine révèlent et légitiment pour
bien des raisons cette appétence pour la narration et les histoires convaincantes. Les
vagues successives de pionniers à la recherche d’une terre dorée, d’esclaves afroaméricains contraints au travail forcé et le passé des natifs américains a éveillé au fil des
décennies la pratique narrative au sein des foyers. Raconter des histoires de générations
en générations afin de ne pas oublier comment s’est construite l’histoire, et comment les
événements ont pris une tournure plus favorable, plus représentative de la prospérité
capitaliste. « Le renouveau du conte aux Etats – Unis est passionnant et nous réserve
encore des surprises. On recherche un sens de communauté à travers le conte. […] On
veut établir des rituels communs dans un pays où la variété des cultures est à la fois un
trésor et un imbroglio »88. Le mythe collectif et fédérateur qui s’établit dans les notions
de rituels et de contes est apparu alors sous le bon mot de ‘rêve américain’, et c’est
notamment le marketing narratif qui a entreprit de l’ancrer aux esprits. Une vision du
monde galvanisée par les récits fictifs des agences de marketing et de publicité où la
conduite du consommateur et du citoyen américain est appelé à répondre, à se conformer.
88
CALAME-GRIAULE, Le Renouveau du conte, Paris, Edition du Centre National de la Recherche
Scientifique, 1991, p. 62.
57
2) Les typologies narratives, le storytelling décrypté et décomposé
La dynamique du storytelling comme celle du récit doit pouvoir impliquer le destinateur.
Pour cela, la marque ou l’organisation doit pouvoir jouer sans cesse avec des schémas
narratifs et maîtriser ses mécanismes. Garder le destinateur en haleine tient lieu d’une
volonté de stimuler les sens de l’auditoire entre information, action, émotion et tension.
Les techniques employées sont alors diverses mais elles sont symptomatiquement
répétitives et schématisées et tiennent lieu d’une relation rapprochée avec les analyses
littéraires du récit. Il faut comprendre alors méthodiquement la structure du storytelling et
les éléments constitutifs du récit afin de maîtriser son application. Agencer une stratégie
de communication sur la base du schéma narratif et d’éléments rhétoriques demande alors
de définir et de circonscrire les aspects les plus variés de sa composition. Nous ferons
donc ici le tour d’horizon des différents outils propres à la discipline en tentant
d’expliciter ce que la « mise en récit » exige du storyteller.
a) Pour comprendre la structure du récit
Une définition aussi large possible du récit et qui permettrait d’introduire cette
partie serait celle de Gérard Genette qui désigne distinctement trois phénomènes propres
au récit. Premièrement, le récit au sens strict, c'est-à-dire l’énoncé oral ou écrit rapporte
un événement ou une succession d’événements. Deuxièmement, la succession
d’événements, réels ou fictifs et les relations d’enchaînement, d’opposition ou de
répétition qui la structurent compose la trame d’une histoire. Troisièmement, l’acte de
raconter lui-même, c'est-à-dire la présence d’une narration est formée d’une
performativité propre, autrement dit elle ne se dessine pas obligatoirement sous les traits
d’un roman.
L’auteur poursuit et complète cette définition : « Comme narratif, il [le récit] vit de son
rapport à l’histoire qu’il raconte ; comme discours, il vit de son rapport à la narration qui
le profère »89. Ainsi on note que tout récit implique deux aspects complémentaires mais
89
GENETTE G, Figures III, Paris, Seuil, 1972, p. 74.
58
qui doivent être compris séparément, le récit fait référence à l’histoire d’une part et, à une
manifestation discursive d’autre part grâce à la narration. Ainsi l’histoire correspond à
« une représentation cognitive, incluant des événements et des états »90 c'est-à-dire à un
narré et, le discours à « une énonciation, un (ou plusieurs) acte de paroles par lequel
l’auteur se situe par rapport à un destinataire, dans un cadre interlocutif et, cela, même
lorsque la trame narrative est celle d’un conte »91, autrement dit à une narration.
D’autre part, pour ce qui est de l’histoire et de sa structure même, il est important de
préciser les invariants, autrement dit les objets du récit qui sont identifiés comme stables.
V. Propp par « la distribution unique des rôles »92 permet de les identifier. Il cerne ainsi le
sujet (A1), celui qui dénie, recherche ou quête (le héros); l’objet (A2) ou l’objet de désir,
le recherché ; le destinateur (A3), celui qui envoie l’objet ; le destinataire (A4), celui à
qui est destiné l’objet ; l’adjuvant (A5), celui qui aide à la recherche et enfin l’opposant
(A6) qui s’oppose en créant des obstacles. Ainsi, les régularités inscrites comme
fonctions ou règles dans la formation du récit peuvent être identifiés au regard des
travaux de V. Propp comme nous venons de le voir mais aussi grâce à ceux de Barthes,
Bremond ou Greimas93. Ils mettent en lumière des catégories isolées du récit relatives à
son agencement interne et « conduisent à concevoir un récit comme un ensemble de
séquences organisées temporellement et causalement même si les relations causales ne
sont pas clairement explicitées »94.
Ainsi pour faire simple, ces régularités dans le récit permettent d’établir une sorte de
cadre universel dans la forme et non dans le contenu. Cette logique de l’organisation du
récit s’applique aussi naturellement au schéma narratif afin d’ordonner les péripéties.
Cela permet, entre autre, à l’auditoire ou au destinataire de guider sa compréhension par
les attentes successives qu’implique l’appréciation d’une histoire. Par exemple, nous
connaissons tous plus ou moins ce que les notions rapportées de la linguistique structurale
mettent en lumière par l’enchaînement des diverses étapes d’une histoire. A force d’être
90
FAYOL M., Le récit et sa construction, une approche de psychologie cognitive, Paris, Ed. Delachaux et
Niestlé, 1984, p. 10.
91
Ibid, p.10.
92
PROPP V., Morphologie du Contes, Paris, Ed. Seuil, 1965, p.173.
93
GREIMAS A.- J., Sémantique structurale, recherche et méthode, Paris, Ed. PUF, 2002.
94
DEBRAY Q., PACHOUD B. (sous la direction de), KEKENBOSH C., Le récit, aspects philosophiques, cognitifs
et psychopathologiques, Paris, Ed. Masson, 1992, p. 75.
59
exposés à celles-ci, nous sommes capables de cerner en surface ce qui est susceptible de
composer le début, le milieu et la fin de l’histoire. Aristote95 avait défini huit étapes au
total, elles sont restées la base de la structure narrative universellement connu dans le
processus de création d’une histoire. La première étape introductive implique d’abord le
dispositif initial, autrement dit le décor et le contexte où l’intrigue va se dérouler. Puis
vient la description des personnages, il s’agit alors de décrire les aspirations, les besoins,
les désirs ou la crainte du héros. Celui-ci doit alors dégager une image positive tout en
sachant que le héros peut être aussi apprécié pour ses défauts. La montée de l’action qui
se situe dans une temporalité plus rapide va alors annoncer qu’il va se passer quelque
chose dans la vie de ce héros. Le retournement de situation va être l’élément déclencheur
de l’intrigue, le nœud par lequel les problèmes plus complexes vont apparaître. On peut
alors ici retenir l’idée fournie par François Meuleman dans son analyse du storytelling :
« Le drame est fondateur : il incarne la face brutale du destin, celle qui force l’individu à
devenir quelqu’un, à se transcender pour s’accomplir en tant que héros »96. Il peut s’agir
en quelque sorte d’une sublimation du héros ou du sujet qui va être touché par le destin.
Enfin, survient l’étape de la reconnaissance qui implique un choix ou une confrontation à
un dilemme dont la réponse va permettre au personnage de devenir un être spécial. La
situation finale, elle, ou le point culminant de l’histoire montre les conséquences des
choix du héros. Pour finir, la chute de l’action et le dénouement viennent conclure la
trame narrative.
Ainsi, bien que les termes qui permettent de définir ces différentes étapes du schéma
narratif diffèrent d’un auteur à l’autre, les descriptions restent approximativement les
mêmes, ou du moins, elles comportent de grandes similitudes quant aux entités qui sont
censées intervenir. Traditionnellement, les règles discursives qui permettent de structurer
les récits sont regroupées sous l’appellation de « grammaire des récits » et sont illustrées
par la grammaire de Thorndyke97.
Dans les schémas actanciels d A.-J. Greimas98, on retrouve dans cette cartographie
l’essence des huit étapes d’Aristote avec un rôle important attribué aux actants. Greimas
95
ARISTOTE, Poétique, trad. Michel Magnien, Paris, Librairie générale française, 1990.
MELEMAN F., Storytelling, Paris, Ed. Edipro, 2009, p. 77.
97
THORNDYKE, Voir schéma en annexe p. 134.
98
GREIMAS A.-J., op cit., Voir schéma en annexe p. 135.
96
60
y ajoute 3 axes permettant de comprendre la relation des actants entre eux : le sujet et
l’objet se situent sur l’axe du désir ou de la quête, le destinataire et le destinateur se
positionnent sur un axe communicationnel, et, les adjuvants et les opposants sur l’axe du
pouvoir.
Michel Fayol précise également le rôle du schéma narratif par la définition suivante : « Il
exprimerait les régularités rencontrées dans les rappels d’histoires et dans le traitement de
celles-ci. Il prendrait la forme d’un ensemble limité de catégories abstraites liées entre
elles par des relations précises et, elles aussi, en nombre restreint »99. Le schéma narratif
répondrait donc à un besoin de cohérence du aux attentes engendrées par l’intrigue.
Littéraires et linguistes s’accordent donc sur le fait qu’il existerait une forme stéréotypée
sous-jacente à tous les récits.
D’un point de vue cognitif, il est alors intéressant de comprendre comment le sujet ou le
destinateur comprend ce schéma. Ainsi, la structure narrative se construit par contacts
répétés du sujet au récit, par automatisme, et permet d’incorporer des places vides pour
chacun des constituants identifiés (ce qui est propice au placement de n’importe quel
scénario). Après une complication dans l’histoire, le sujet s’appuie alors sur
l’hypothétique survenue d’une résolution ou de l’étape appelée point culminant.
b) Ethos, Pathos et Logos, la trilogie rhétorique
Pour aller plus loin dans la compréhension du récit, il devient nécessaire
d’apprécier aussi les schémas ancestraux qui composent nos histoires et celles du
storytelling. Il s’agit ici de décrypter plus précisément les composantes séculaires qui
nous sont présentées par la fameuse triade ethos, pathos et logos.
Un discours soigné, s’il veut être opérationnel et efficace doit donc recourir à différentes
phases devenues incontournables dans la construction de la structure narrative. Depuis
99
FAYOL M., op. cit., p. 45.
61
Aristote, ces phases n’ont pas véritablement changé, du moins elles sont restées la base
d’un équilibre qui permet d’intégrer le public, le destinataire.
L’ethos est donc une norme en matière de communication qui traverse les âges pour
parfaire une logique culturelle liée au schéma narratif. Dans la rhétorique d’Aristote,
l’ethos est représentatif de qualités morales portées par l’orateur devant la plèbe. Ces
qualités s’expriment alors implicitement et permettent alors de faire adhérer un
destinataire au discours, au récit.
La notion d’ethos a été définie à travers diverses voies par les auteurs et les sociologues
au cours des trente dernières années de recherche. Quelques variantes théoriques
subsistent quant à saisir ce qui semble se caractériser par l’éthique. Dans un contexte
sociologique, le terme ethos semble être au carrefour de deux notions, celles de la
coutume et du caractère. Par sa racine grecque on cerne aussi cette facette du discours par
les quelques définitions suivantes : « coutume, usage »100, « disposition de l’âme, de
l’esprit »101. Globalement l’ethos trouve donc une définition commune et partagée dans le
fait que l’acteur du récit a intériorisé certaines valeurs qu’il reconduit dans son discours
ou dans le récit par la façon dont il mène l’interaction sociale. Dans une conception plus
classique, il est représentatif du narrateur et de ses valeurs et transpose le message
conduit par cette communication narrative. C’est donc le personnage central de l’histoire
autrement dit le héros qui transpose les significations et les vertus. On s’identifie à lui, on
visualise les situations qu’il vit et les personnes qui l’accompagnent.
L’ethos s’adresse donc à des individus et des collectifs d’individus, il doit donc pour
fonctionner emprunter des échelles de valeurs mutuellement partagées. La notion d’ethos
doit pouvoir parvenir notamment à retranscrire les normes de la communauté à laquelle
elle s’adresse. Par exemple, s’il s’agit d’une collectivité de travail, il faudra calquer
certains éléments de langage (ways of speaking102 ) de la culture organisationnelle, et
donc cibler un ensemble d’individus supposé homogène. « Un membre normal d’une
communauté possède un savoir touchant à tous les aspects du système de communication
100
BAILLY A., Dictionnaire grec-français, Paris, Hachette, 1950, p. 894.
Ibid., p. 894.
102
HYMES D. H., Vers la communication compétente, Paris, Hatier Credif, 1984.
101
62
dont il dispose. Il manifeste ce savoir dans la façon dont il interprète et évalue la conduite
des autres, tout comme la sienne propre »103.
Le pathos quant à lui, nous l’avons évoqué indirectement dans la partie dédiée à
l’émotion, a pour fonction de conditionner le public ou le destinataire qui écoute
l’histoire et notamment dans le processus émotionnel d’interprétation. L’objet de passion
ou le ressenti émotionnel qu’implique l’histoire ferait alors l’objet d’un mécanisme
particulier, où l’intentionnalité serait inversée. La mise en forme du pathos serait alors le
vecteur qui permettrait de souligner le degré de passivité du sujet face à l’objet au sens ou
celui-ci n’agirait pas sur l’objet mais se laisserait affecter par lui. Ses actions seraient
alors une réponse au questionnement induit par l’affect, l’émotion ou la passion. Les
dimensions actives et passives se compléteraient alors dans une dualité entre affect et
cognition.
Le plus important serait alors de vivre des émotions par le biais de personnages,
notamment grâce à ceux qui représentent l’ethos, autrement dit les valeurs transposées et
le message de l’histoire. Le choc émotionnel induit par la tristesse, la joie, le dégout, la
peur ou la colère subjugue le destinataire qui se laisse prendre au jeu de l’imprégnation.
Ce qu’il veut, c’est se sentir vivant lorsqu’il est face à l’histoire. Cela dit, il reste toujours
conscient, conscient de lui-même dans cette intentionnalité, dans cette intériorisation du
récit. La conscience qui nous est présentée théoriquement par la conscience de soi en
philosophie, inclut par exemple la définition topique de René Descartes104 « Je pense
donc je suis » (cogito, ergo sum) ou « je suis, j’existe » (ego sum, ego existo). Cela
signifie que le sujet est conscient d’être un sujet qui ressent autrement qu’un autre,
différemment qu’autrui, ce qui lui donne le sentiment d’exister, d’être vivant. L’émotion
émane donc de la conscience. Mais cette conscience renvoie parallèlement à autre chose
qu’elle-même selon Jean-Paul Sartre105 : « La conscience n’a pas de dedans, elle n’est
rien que le dehors d’elle-même ». La conscience de cet état émotif porté par le pathos
pourrait être alors une fuite du soi vers le moi, une identité qui trouverait sa place dans
l’évasion, dans une quête vers une liberté d’être un autre.
103
Ibid., p. 89.
DESCARTES R., Discours de la méthode, Paris, Ed. Flammarion philosophie, 2000.
105
SARTRE J.-P., La transcendance de l’ego, Paris, Ed. Vrin, 1992.
104
63
Ainsi, si l’émotion tend à sublimer et à transcender la réalité, on peut comprendre à quel
point les repères narratifs comme les mythes et les aventures entrepreneuriales peuvent
faire écho à la sensibilité du salarié. La narration à travers le pathos devient le moyen de
saisir les potentialités au cœur de le l’organisation et de s’immerger dans l’histoire de
celle-ci. L’affect étant la clé qui va permettre de favoriser le passage de celle-ci :
« Prendre en compte la dimension passionnelle du récit revient ainsi à concevoir que la
narrativité consiste précisément en la mise en scène de l’indétermination du monde et/ou
du devenir, c’est le lieu où l’action se représente dans son incertitude, le lieu où peuvent
être explorées les obscurités du passé, du présent et du futur dans lesquelles s’enracinent
nos angoisses et nos espoirs »106.
Le logos ou l’élément logique est donc le troisième élément qui vient rééquilibrer les
effets produits et induits par l’ethos et le pathos. Il vient charpenter l’histoire de sorte
qu’une cohérence vienne construire la forme du récit. On parlera alors du squelette du
récit articulé par les schémas narratifs qui engage alors l’esprit rationnel de
l’interlocuteur. Cette rationalité est relative et concoure à l’instrumentalisation du récit
par l’émotion. Elle a notamment été explicitée par Fisher107, auteur que nous avons
introduit au début de cette partie. Il cerne une rationalité narrative relative à une
cohérence narrative et à une fidélité narrative. La première comporte trois aspects, la
cohérence structurelle propre aux éléments de l’histoire qui ne se contredisent pas, la
cohérence matérielle dans le sens où le récit doit être congruent avec d’autres récits qui
lui sont reliés, et la cohérence des personnages qui doivent être crédibles et dont le
comportement doit répondre aux schémas du sens commun et de la représentation sociale.
La fidélité narrative engage quant à elle la fiabilité du récit grâce à laquelle le lecteur,
l’auditeur ou le destinateur peut consentir au message. Ce sont les bonnes raisons
exposées par le récit qui vont permettre l’investissement du sujet à celui-ci. Il rajoute
quelques ingrédients nécessaires à l’intériorisation de ces bonnes raisons : la factualité du
récit, son degré de distorsion et de vraisemblance, son exhaustivité, et la pertinence des
affirmations ou des arguments rapportés par le récit.
106
BARONI R., Approches passionnelles et dialogiques de la narrativité, Cahiers de Narratologie [En ligne],
14 | 2008, Varia, mis en ligne le 06 mars 2008, consulté le 13 avril 2012. URL :
http://narratologie.revues.org/579
107
FISHER W R., ARNOLD C. C., op cit.
64
D’autre part, il conviendra de mettre en avant ce que la tradition poétique et rhétorique a
permis de mettre à jour dans les manifestations narratologiques. Raphael de la Baroni
nous oriente vers celles modernisées et revues grâce aux travaux de Meir Sternberg108 qui
« distingue, parmi les effets poétiques engendrés par le récit, trois modalités principales,
liées chacune à différents « modes d’exposition » de l’action : le suspense (qui dépend
d’une narration chronologique), la curiosité (qui est produite par une exposition retardée
et énigmatique) et la surprise (qui fait surgir soudainement une information qui avait été
dissimulée) »109. Raphael de la Baroni introduit de plus la notion de tension narrative,
dérivée de la tension dramatique, et, qui s’exerce dans le cadre d’une affectivité éprouvée
par le destinataire face à l’indétermination de l’intrigue. Cette tension est alors source
d’émotions et de passions dès lors qu’elle est entendue comme un effet esthétique du
récit. Cette tension est mise en exergue d’autre part grâce à « l’incertitude anticipatrice »
de Ricœur110, au sens où elle est liée aussi à la représentation de la temporalité de
l’expérience humaine : « Cette profondeur temporelle n’apparaît jamais avec autant
d’éclat que dans l’incertitude anticipatrice qu’éprouve l’interprète durant l’expérience
esthétique, dans ce suspense ou cette curiosité qui font la force des intrigues
fictionnelles »111.
108
STERNBERG M., Telling in time (II): Chronology, teleology, narrativity, Poetics Today, n° 13, 1992.
BARONI R., Op cit.
110
RICOEUR P., Op cit.
111
Ibid., p.18.
109
65
3) Le nouveau marché du storytelling et le soulèvement des entreprises narratives
Le storytelling qui avait pris ses sources du côté de la psychologie et de la pédagogie
s’incruste donc dorénavant dans le paysage du management des organisations, dans la
politique ou en marketing. Il façonne les esprits ou du moins les conduits vers une
représentation mentale servant les intérêts de l’entreprise. Il produit des histoires dont le
potentiel de séduction et de conviction est fort, dans le seul but de faire adhérer et de
maintenir des consommateurs, des électeurs ou des salariés à une idéologie. Le marketing
relationnel puis le domaine politique aux Etats – Unis par exemple ont été les premiers à
inaugurer cette nouvelle manœuvre auprès du consommateur et du votant, en tentant de
fidéliser ses attentes, en créant un lien de proximité par le simple jeu de la mise en récit.
On individualise ainsi les services en mettant en place des moyens de suivis, de prospects
personnalisés dans lesquels se retrouvent les indices narratifs de l’histoire.
Pour créer un lien singulier entre la marque et le consommateur, ou l’organisation et
l’individu, portant notamment sur la relation émotionnelle, on doit parler au cœur pour
atteindre l’esprit. Voilà donc le créneau du storytelling appliqué aux sciences de la
gestion, du management et du marketing que nous allons étayer dans cette troisième sous
partie.
a) Un outil de la gestion interne
Dans les organisations, les histoires se narrent aussi bien en interne qu’en externe
et se perpétuent au fil des ans et des générations de salariés et de clients qui y voient à
long terme, une représentation inconditionnelle de leurs propres valeurs. Raconter des
histoires, nous l’avons vu, apportent de nombreux avantages qui sont aussi applicables au
domaine des organisations. Le storytelling permet tout autant de retenir l’attention, de
marquer les esprits, de susciter l’émotion et de donner confiance, il
place ainsi
l’interprétation, la perception et l’individu au cœur des pratiques managériales dans le but
de réguler les relations humaines et de les rendre fructueuses. Ici c’est l’expérience
professionnelle qui va conditionner l’histoire et le mythe qui va prendre place.
66
Du point de vue de la communication interne, le storytelling révèle diverses vertus dont la
gestion organisationnelle s’accommode pour maintenir la culture d’entreprise et ses
effets. Partant du mythe ou du récit historique, l’histoire est un vecteur très opérant dans
le processus de compréhension de l’entreprise. Les histoires permettent d’encourager une
intelligibilité spontanée du contexte entrepreneurial. Ce sont alors ces repères portés par
le récit et « l’instance mythique » qui vont rassembler les individus autour d’un passé
commun. Nous avons vu dans un chapitre précédent comment les mythes permettaient
de relier passé et présent pour soutenir les actions futures. Mais il s’agit ici de
comprendre les histoires « au service de » l’entreprise et non celle « de » l’entreprise.
Cette dernière peut alors tout aussi bien créer de nouvelles histoires, et promouvoir par le
bais de la communication interne des supports narratifs novateurs où l’histoire se
redécouvre autrement. Ces nouvelles données magnifiées par la technique et colportées
par les bruits de couloirs vont être capitalisées comme un savoir supplémentaire de
l’organisation, qui, à son tour, va propager la bonne conduite, les bonnes pratiques à tenir.
A la différence des mythes et des récits historiques (qui gardent quand même l’étoffe de
valeurs sacralisées par le temps), les nouvelles histoires, elles, accréditées par la
communication narrative, vont figurer sans conteste dans l’air du temps. Elles offrent
contrairement aux mythes un point de vue beaucoup plus moderne et peuvent ainsi
mobiliser les collaborateurs de l’organisation dans une optique de résonnance actuelle.
Les histoires d’entreprise provoquent et entretiennent de fait les discours et les
commentaires autour de ces péripéties et de ces aventures narrées. Les bavardages
ceinturant ces histoires sont une source de production, de propagation et de création de
sens et de points de vue. Ils sont un très bon moyen pour transmettre une mémoire
collective, redorée cette fois par l’étiquette de la narration et pour intégrer ce savoir
culturel aux piliers de l’entreprise comme contrefort de mobilisation et d’implication.
Dans un article appartenant à une revue psychothérapeutique et psychanalytique de
groupe, l’auteur nous expose justement le cas d’une étude réalisée dans les entreprises en
2007 intitulée « Le silence fait échouer ». Il nous indique la chose suivante : « Menée
auprès de mille dirigeants, dans quarante entreprises, elle visait à évaluer deux mille deux
cents projets industriels dans des secteurs très différents. Conclusion : 85 % de l’échec de
ces programmes seraient liés au silence organisationnel : non-dits, conflits non réglés et
67
culte de la communication par Internet. Recommandation : faire parler, créer l’entreprise
volubile, conteuse, exiger des histoires à contenu émotionnel »112. Les recueils d’histoires
et de stories accumulés dans les entreprises sont donc des incroyables transmetteurs de
volonté de groupe et de contribution collective dans les équipes de salariés car ils
resserrent les liens sociaux, et favorisent les échanges. Les esprits se développent autour
des mêmes schémas narratifs et des mêmes exploits, des mêmes événements et des
mêmes anecdotes. Ainsi, en entrant dans l’entreprise les salariés prennent part à ces
histoires et les font vivre, les perpétuent : « Dans l’entreprise, la narration, l’art de la
narration devrais-je dire, est un levier d’animation favorisant la construction d’une
culture d’entreprise partagée par son réseau social »113.
D’autre part, dans le domaine de la gestion des connaissances ou du knowledge
management qui distingue deux grands types de connaissances, celles tacites (ancrées au
vécu et aux compétences innées, et acquises dans le temps) et celles explicites
(procédurales et partageables), le storytelling peut tenir un rôle prépondérant, et ce dans
ces deux formes de connaissance. Il peut par exemple formaliser les connaissances tacites
en les incluant dans le récit et rendre celles explicites plus récréatives : « Grâce au
storytelling,
l’ontologie,
c'est-à-dire
la
structuration
des
connaissances,
leur
représentation formelle, permet de structurer, de conserver et développer le cœur de
métier de l’entreprise »114.
Cela dit, les histoires racontées au sein de l’organisation ne sont pas toutes achevées.
Certaines peuvent être des fragments, des bribes d’événements rapportés au gré des
discussions, elles ont alors pour but de pousser les auditeurs à proférer une hypothétique
suite, un possible dénouement. Ce sont donc des fragments que le chercheur américain
David Boje115 nomme des histoires « antenarratives ». Pour Stéphane Dangel et JeanMarc Blancherie, « La véritable expérience narrative est au bout. Invention et authenticité
112
AMADO G., Emprise et dégagement dans les organisations et les relations de travail,
Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, 2008/2 n° 51, p. 15-32. DOI :
10.3917/rppg.051.0015
113
DANGEL S., Storytelling, le guide, Paris, Ed. Désir de savoir, 2009, p. 6.
114
CLODONG O., CHETOCHINE G., Le storytelling en action, Paris, Ed d’Organisation, Paris, 2010, p. 106.
115
BOJE D., Storytelling and the future of organizations: an Antenarrative Handbook, London, Routledge
studies in management, 2011.
68
sont ici des principes actifs »116. L’histoire peut donc être tronquée pour laisser place à
l’inventivité et à l’imagination du salarié qui va concevoir la suite, ou qui peut se servir
des informations qu’il a reçues pour s’en construire d’autres. Le principe du storytelling
n’est donc pas de donner tous les éléments au destinataire, il faut qu’il puisse s’insérer
dans l’histoire d’une manière ou d’une autre afin de prendre part aux événements et
s’imaginer possiblement à l’intérieur de celle-ci : « Pour être efficace, avoir une
influence, un impact, une histoire ne doit pas être délivrée clé en mains à ses auditeurs, il
faut laisser une place à ses derniers, un espace pour qu’ils puissent s’y exprimer, se
l’approprier, la dépasser, qu’elle agisse comme un tremplin »117. L’imagination tient alors
ici une position principale, notamment dans la construction de l’identité salariale et dans
la projection des actions à mener. C’est ainsi que des structures soumises au principe de
réalité en viennent à considérer l’histoire comme une injonction, une expérience concrète
pour la formation. Christian Salmon nous présente en introduction de son ouvrage, un
entraînement militaire virtuel agencé par une mise en récit expertisé à la manière
hollywoodienne. Dans cet exercice virtuel, l’immersion est entretenue par une histoire
imaginaire dans laquelle le soldat se fond afin de « déclencher des réponses rapides et
autonomes dans un environnement hostile »118.
Les entreprises sont donc devenues ces dernières années des narrateurs hors pair, créant
de nouvelles mythologies contemporaines où le héros peut revêtir l’apparence du
fondateur par exemple, celui qui incarne les traits du patriarche audacieux, instigateur
d’une vie professionnelle accomplie : « Anne Lauvergeon, patronne d’Areva, ne revisitet-elle pas le mythe de Jeanne d’Arc, seule dans un monde d’homme ? »119.
Mais il peut s’agir aussi d’un héros personnifié sous les traits d’un salarié ordinaire,
promu à un poste inespéré ou à une carrière exemplaire parce qu’il a gravi les échelons de
l’entreprise à la seule force de son courage et du terrain favorable que lui a fourni
l’entreprise. L’emprise émotionnelle peut être de l’ordre de la joie et de l’inspiration. Cet
émoi est insufflé par la mise en récit d’un parcours atypique, dont les secrets et les voies
pour y arriver apparaissent avec limpidité. Le chemin parcouru existe alors réellement, et
116
DANGEL S., J.-M. BLANCHERIE, Storytelling du luxe, Paris, Ed. du désir, 2011, p.137.
DANGEL S., J.-M. BLANCHERIE, op. cit., Storytelling le guide, p. 92.
118
SALMON C., op cit. p. 7.
119
DURAND S., Storytelling, réenchantez votre communication, Paris, Ed. Dunod, 2011, p. 11.
117
69
fait autant partie du décor narratif de l’histoire que de l’entreprise. De quoi offrir alors
aux salariés des motivations et des buts plus précis et réalisables à atteindre au sein de
l’organisation. Les chercheurs qui ont étudié la motivation au travail confirment
d’ailleurs l’efficience de ce genre de démarche auprès des salariés, « un but précis est
motivant, ce qui n’est pas le cas d’un objectif vague, du genre ‘faites de votre
mieux’ »120 ; « Il faut souligner que la difficulté du but n’est pas ici une notion objective
et abstraite. Elle est définie par rapport à la probabilité d’atteindre un résultat donné,
probabilité estimée en fonction des performances observées dans le passé »121. Le niveau
de performance d’un salarié peut donc être influencé par l’organisation, notamment par
cet effet de but et de motivation induit par la promotion d’une histoire édifiante. Olivier
Clodong et Georges Chétochine nous en livre une illustration pertinente : chez Orange
par exemple, l’opérateur de France Télécom, une chaîne de télévision d’entreprise a été
créée et diffuse une fois par semaine des petits films d’entreprise retraçant les innovations
de ses ingénieurs. Ces histoires mises en récit et en images connaissent des audiences
internes record et créent un enthousiasme jusqu'à lors jamais vu : « Suite à cette
expérience réussie, pour accélérer la naissance d’une culture commune au groupe,
l’opérateur téléphonique a décidé de programmer tous les quinze jours un vrai JT en
plateau qui présente les histoires (les petites et la grande) de l’entreprise »122.
Le renouveau de l’écrit s’instaure donc dans les services de communication en interne
mais il s’implante aussi à l’extérieur de l’organisation notamment par les différentes
démarches mises en place auprès des clients sur les marchés, des futurs salariés lors de
recrutement ou avec les partenaires. Ce sont alors les blogs, le site internet ou la
newsletter par exemple qui vont permettent de diffuser ces histoires grâce à des supports
écrits, ou vidéo. Les blogs notamment deviennent des supports idéaux sur lesquels sont
partagés et discutés les expériences de l’entreprise. Les histoires sont alors traduites sur
les réseaux proposant ainsi une notoriété et une attractivité propice à une politique
d’embauche ou à une amélioration de la relation client.
120
LEBOYER-LEVI C., La motivation au travail, modèles et stratégies, Paris, Ed. d’Organisation, 2006, p. 98
Ibid., p.98.
122
CLODONG O., CHETOCHINE G., op. cit, p. 112.
121
70
b) Le storytelling au cœur de la communication
On constate que le web 2.0 a grandement facilité l’entrée en marche des nouvelles
techniques marketing soutenues par la narration. Que ce soient alors les blogs, les sites
spécialisés, les réseaux sociaux, le suivi du consommateur lambda est enregistré. On
traite alors ces informations et on les ajuste au format de l’histoire. Les communautés
prennent essor autour de ces thématiques proposées par les marques, générant de
l’interactivité propice au maintien de la marque : « 30 % de ce qui se dit au sujet d’une
marque provient désormais des consommateurs. Les entreprises doivent adapter leur story
en conséquence »123.
Certains chiffres nous informent du pouvoir donné au consommateur sur la blogosphère
et de leur implication dans ce processus de création de contenu. Plus de 4 millions de
pages de blogs seraient publiées aujourd’hui. Google Insights informe en parallèle que
depuis 2004 ce chiffre ne cesse d’augmenter. Le site de référence de blogs
Technorati.com confirme de manière plus précise cette envolée pour ces types de
journaux de bord personnalisés : en 3 ans, de mars 2003 à juillet 2006, le nombre de
blogs a été multiplié par 100, passant ainsi la barre des 50 millions de blogs 124. Et puis, il
y a aussi la présence d’autres modèles acquis par le concept plus technique de storytelling
interactif transmédia, qui se propage sur la toile en s’imposant à tous les types de
supports numériques (jeux vidéo, œuvres interactives etc.). En 2010 avait lieu par
exemple, une journée de conférences autour du sujet « Nouveaux écrans ; le storytelling
interactif », dans le cadre de la 16eme édition de Cinéma Tous Ecran 125 à Genève. Ces
débats avaient pour but de sensibiliser et de faciliter l’approche des professionnels de
l’audiovisuel au nouveau marché de communication narrative et interactive.
De plus, dans cette même trajectoire, on envisage de plus en plus la notion de storymaps,
notamment par le biais de réseaux sociaux tels que Facebook qui cartographie la vie des
internautes et leurs histoires via des photos, des sons ou des vidéos.
123
CLODONG O., CHETOCHINE G., op. cit, p. 112.
Sources: Web blog cumulative, March 2003 – July 2006, Technorati.com
(http://www.sifry.com/alerts/archives/000436.html), 7 août 2006.
125
Sources : http://www.cinema-tous-ecrans.com/2010/
124
71
Le web et Internet deviennent des supports essentiels au relais d’information dans ces
conditions et incitent ainsi les individus et les internautes à partager leurs propres canevas
narratifs. Ainsi, une page blog ou une « storymaps » peut être créé aujourd’hui par
n’importe quel individu capable de pianoter sur un clavier, d’autant que la sphère
médiatique à l’heure des nouveaux médias nous pousse à la surexposition de nos vies, à
la subjectivation d’une parole portée sur nos destins. Ces actes de témoignage ont donc
une influence certaine dans l’omnipotence communicationnelle et nous montre l’emprise
du storytelling dans nos sociétés modernes.
D’autre part, dans son livre consacré au storytelling, Stéphane Dangel nous rapporte les
propos d’un journaliste américain, Jeff Jarvis, sur sa conception des stories (histoires) à
travers les articles de journaux. Il évoque la continuelle activité d’une histoire rapportée
sur le web : « Pour lui, une histoire – article est devenue un mouvement perpétuel,
puisqu’avec les nouvelles technologies et le web 2.0, l’histoire d’origine peut s’enrichir
de commentaires, liens, citations, photos, vidéos, corrections, flux de récits
complémentaires formulés par le lecteur, l’auditeur » 126. Cette conception de l’histoire,
poursuit l’auteur, peut être ainsi riche en enseignements pour les organisations qui
doivent donc s’emparer de ces mécanismes produits par le net pour faire interagir en
externe les potentiels clients, ou en interne, les salariés.
126
DANGEL S. BLANCHERIE J.-M., Storytelling, le guide, Paris, 2009, Ed. du désir, pp. 83 – 84.
72
Deuxième partie :
Pour une analyse filmique des vidéos
d’entreprise
73
Introduction
Présentation de l’organisation, le Ministère de la Défense
La communication des forces armées s’applique à toutes les armées, elle
n’échappe ni à l’armée de terre, ni à l’armée de l’air, ni à la marine nationale ou à la
gendarmerie nationale. Elle agit autant à l’externe qu’à l’interne grâce à des structures
conséquentes regroupés sous les noms de DICOD, délégation à l’information et à la
communication de la défense et le SIRPA d’armée, service d’information et de relations
publiques rattaché à chacune des armées précédemment citées.
A l’externe, la communication de l’Institution militaire tente de maintenir une certaine
transparence de ses actions de commandement, en entretenant une image forte et positive
auprès du public dans les médias, et en renforçant notamment le lien entre l’armée et la
nation. A l’interne, l’objectif est de faire circuler une information permettant à chaque
membre de l’armée de se renseigner sur la diversité des actions et des fonctions, et de
retrouver à travers les différents supports une cohésion des troupes, que ce soit à l’égard
du personnel civil ou militaire.
En 1998, le Ministère de la Défense a entrepris une démarche de modernisation de sa
communication au regard de l’évolution de la communication dans la société civile et
dans
les
mentalités
contemporaines.
Les
voies
de
diffusion
des
supports
communicationnels ont été rénovées dans une optique d’actualisation des outils issus des
technologies numériques et de la professionnalisation du corps militaire dans le domaine
de la communication. Il s’agissait clairement d’améliorer la coordination des actions de
communication dans les différents services du Ministère de la Défense, et de mettre à jour
les différentes branches de métiers de la communication au sein de l’organisation
militaire : « La mise en place d’une armée de métier modifia radicalement la position de
la Grande Muette en obligeant cette dernière à communiquer en externe, afin de séduire
et de recruter des citoyens pour combler les effectifs manquants des anciens conscrits.
Elle eut également des conséquences assez similaires en interne »127.
127
BRYON-PORTET C., L’essor de la communication interne dans les armées et ses limites : du
commandement au management ?, Communication et organisation [En ligne], 34 | 2008, mis en ligne le
01 décembre 2011. URL : http://communicationorganisation.revues.org/645
74
Ainsi, même si l’organisation du Ministère de la Défense était assez complète, il
subsistait des disfonctionnements de l’ordre de la transparence et de l’intelligibilité qui
ont posés problème dans la représentation et la mutation des armées. Le Ministère a donc
très vite saisi l’importance de la circulation de l’information pour documenter l’opinion
publique de ses actions, justifier l’importance des budgets afférés à la défense du pays ou
soutenir la professionnalisation croissante des armées. Les rapports hiérarchiques se sont
d’ailleurs à cette occasion transformés, réduisant l’écart considérable entre le statut
militaire et celui de fonctionnaire ou de salarié. L’assouplissement des pratiques de
commandement a contraint l’armée à revoir, d’une certaine manière, ses principes de
communication interne. « Cela est d’autant plus manifeste que le personnel militaire
travaille de plus en plus étroitement avec le personnel civil de la défense et les entreprises
privées – conséquences d’une externalisation croissante relative au nouveau format des
armées – et adopte parfois un comportement identique, par mimétisme »128.
D’autre part, la performance de la communication institutionnelle au sein de l’armée tient
lieu d’une volonté de maintenir une stratégie globale de communication dans la durée.
Cette stratégie s’opère à long terme et doit être vigoureusement contrôlée et maîtrisée.
C’est pourquoi elle s’engage dans une implication à maintenir une confiance auprès des
médias, une crédibilité auprès des internautes qui sont potentiellement susceptibles
d’étendre une communication virale. La qualité des supports proposés par l’armée fait
donc partie de l’équation de cette stratégie. Le budget alloué aux produits
communicationnels est donc réellement pensé et adapté pour satisfaire la qualité des
contenus.
Au travers de l’ensemble de cette architecture communicationnelle développée par le
Ministère de la Défense, nous nous intéresserons plus particulièrement ici à l’ECPAD,
établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense. Celui-ci
recense un grand nombre de documents cinématographiques et photographiques des
armées dont les archives n’ont cessé d’être enrichies depuis 1915. L’établissement
catalogue dans ses fonds plus de 4,8 millions de photos et de clichés et à peu près 26 000
titres de films, il est ainsi nommé par ses pères le « digne héritier du cinéma des
DOI : en cours d'attribution
128
Ibid.
75
armées ». Ce projet de vitrine documentaire a même été prolongé par l’inauguration d’un
site internet, www.ecpad.fr, en 2010, à l’occasion du 70e anniversaire de l’appel du 18
juin. Il a pour but de renforcer cette détermination de transparence auprès des publics en
donnant accès à des contenus multimédias et à une boutique en ligne. Cet établissement
figure d’ailleurs de par son organisation budgétaire avec la DICOD, dans la mission
appelée « mémoire et lien avec la nation »129.
Renouvelé en 2001, l’ECPAD a subi une restructuration de sa communication afin de
permettre une évolution des pratiques de communication dans une optique de
transparence et d’efficience. Le pilotage des métiers de l’audiovisuel a donc été confié à
l’ECPAD dans une logique de centralisation et d’identification des métiers recensés pour
une meilleure rationalisation des actions.
Les premiers clients de cet établissement sont les forces armées, les directions et les
services du ministère, cela dit, une grande partie des contenus sont accessibles à la
population civile. L’ECPAD donne donc accès à des archives qu’il est possible de se
procurer dans une démarche de recherche ou de loisir pour des amateurs de photographies
par exemple. L’établissement propose notamment un catalogue listant tous les nouveaux
documents d’une année sur l’autre. L’ECPAD dispose aussi d’un centre de consultation,
la médiathèque du Fort d’Ivry dans laquelle des bases de données documentaires et des
équipes de documentalistes guident et orientent le public.
Au regard de l’ampleur des contenus audiovisuels retraçant la politique de
communication interne et de la logique de cohésion souhaitée par le ministère au sein de
sa gestion interne, il semblait donc assez judicieux de s’intéresser aux contenus des films
institutionnels ou des vidéos d’entreprise.
Je me suis donc rendue à l’ECPAD afin de trouver un corpus vidéographique qui pouvait
témoigner de la volonté de l’institution de mettre en évidence la culture organisationnelle.
Les vidéos que j’ai réunies utilisent de plus un format relatif au storytelling. J’ai donc trié
les documents en prenant en compte tous les éléments pouvant permettre de transcrire la
129
CHEVALIER G., MIQUEL F., Rapport sur la fonction communication dans les forces armées, Mission
d’audit de modernisation, avril 2006, Contrôle général des armées et Contrôle générale économique et
financier, pp. 6/17.
76
vie à l’intérieur de la structure sous un format narratif. De façon à pouvoir décomposer ce
corpus par une analyse pertinente, j’ai finalement sélectionné cinq vidéos.
Les Vidéo 1 et 4 présentent le parcours de deux femmes qui ont fait carrière au sein de
l’Institution militaire, dans la gendarmerie et, dans la marine nationale. A partir de leurs
histoires respectives, une narration expose les événements qui ont marqué leur ascension,
celle-ci est entrecoupée de témoignages et de commentaires personnels.
La vidéo 2 intitulée Marsouin Toujours prend la forme d’un documentaire à travers
lequel des images d’archives et un conteur retrace le parcours des troupes de marine
depuis la création de ce régiment au 19e siècle. La mise en récit magnifie le cheminement
de ces hommes dans l’histoire en abordant notamment la sauvegarde du territoire national
et le dévouement patriotique.
La vidéo 3 prend l’apparence d’un clip en images. Le son allié à l’image et au texte se
combinent, constituant une trame narrative détournée, qui se distingue nettement des
autres supports. Cette vidéo s’adresse de manière pédagogique à des membres de
l’organisation qui souhaiteraient acquérir des informations relatives à l’utilisation et à la
gestion des moyens de communication.
Enfin la vidéo 5 Premier Pas est une fiction de 18 minutes, c’est une vidéo de
recrutement. Elle retrace les démarches d’un jeune civil qui souhaite rejoindre la vie
active en s’engageant dans la structure de l’armée de terre. La ligne de conduite de cette
jeune recrue et les objectifs qu’il s’impose vont alors constitués le début d’une intrigue
grâce à laquelle il sera possible d’observer les étapes de l’apprentissage et de la
formation.
J’utiliserai ce corpus vidéographique afin d’illustrer une argumentation ouverte à
l’analyse de la communication organisationnelle tournée à la fois vers la culture et la
communication narrative.
77
A) Analyse de la culture organisationnelle
Dans un premier temps, je vais tenter de rendre compte du lien social et des
manifestations symboliques qui se mettent en place dans les structures. Je révèlerai les
séquences porteuses de sens au regard de la conduite de la culture organisationnelle et de
sa valorisation. Comme dans toutes les autres parties dédiées à l’analyse de ces supports
vidéo, il s’agira de mettre en évidence de manière transversale l’utilisation de procédés
filmiques et de techniques cinématographiques pouvant constituer un discours de
l’organisation.
1) La quête identitaire
a) Personnalité individuelle et personnalité organisationnelle
A l’intérieur de chaque structure organisationnelle se coordonnent des activités de
groupe, relative au travail collectif ou à l’organisation des interactions. Ces activités
s’harmonisent autour de notion de communauté de travail mais pour se construire et
devenir opérante, la personnalité des membres doit se convertir aux valeurs de la
structure. On observe alors la transformation de la personnalité individuelle en
personnalité organisationnelle à l’intérieur des murs de l’entreprise. Je vais donc
m’intéresser ici aux éléments qui transcrivent cette mutation.
Dans la fiction intitulée Premier Pas, le récit conduit le spectateur à suivre le parcours
d’un jeune homme, en quête de réussite sociale. Confronté à ses désirs intimes de
construire un projet de vie, il va être induit par le hasard de ses mésaventures
professionnelles à répondre à une campagne de recrutement de l’armée de terre. Dès lors,
il sera possible d’observer la transformation de la personnalité individuelle lorsque celleci rejoint la sphère professionnelle de l’organisation.
Le protagoniste est présenté comme un jeune homme sportif, appréciant les sorties. Il vit
seul et il a une petite amie. Sa famille souhaite l’aider à se construire en lui proposant du
travail alimentaire mais il n’est pas intéressé. Jusqu’à son intégration à la formation, ni
78
son nom, ni son prénom ne sont indiqués alors même qu’il est possible de cerner son
profil. Son identité et son patronyme n’apparaissent que sous le nom de recrue Delvaux
lorsqu’il rejoint la structure. Le personnage est alors clairement en quête d’une
personnalité à laquelle son nouveau statut doit correspondre, une personnalité
organisationnelle.
Deux séquences permettent de confronter ces phases de la quête identitaire au sein de
l’organisation, l’avant et l’après en somme. La première présente le personnage
s’entraînant à saluer, la seconde montre celui-ci cette fois en condition réelle devant son
supérieur. La séquence 1 montre la jeune recrue hésitante, peu sûre d’elle, dans un décor
inexistant. La séquence 2, cadrée sur un même plan, montre à l’inverse un visage plus
assuré, la tête est haute, l’éclairage révèle le décor d’un bureau au second plan. Le
cadrage est identique dans les deux séquences. La composition du plan analogue dans ces
deux scènes permet alors d’entreprendre une comparaison afin de montrer la
métamorphose du personnage. La transformation de la personnalité individuelle en
identité salariale se lit à travers un décor, un contexte, celui de l’organisation.
On remarque aussi dans la séquence 2 le cadrage légèrement en contre-plongée, marquant
le caractère plus affirmé du personnage et sa supériorité sur l’objectif.
1. 00 : 30 : 44 vidéo 5 Premier Pas
2. 00 : 38 : 54 vidéo 5 Premier Pas
Dans un deuxième support vidéo, une voix off présente le premier officier féminin de la
gendarmerie. On distingue là aussi très nettement deux oppositions accentuées par la
prise de vue.
79
Lorsque l’officier fait part de son expérience personnelle, il est situé face caméra. On
distingue en arrière plan, les autres gendarmes à l’entraînement (3). A l’inverse,
lorsqu’elle aborde son parcours dans l’institution, la caméra incruste son visage entre
deux galons, situés cette fois au premier plan, l’intégrant ainsi physiquement dans
l’organisation (4).
3. 00 : 00 : 35 vidéo 1 DOC JDD- 2007- 004
4. 00 : 00 : 57 vidéo 1 DOC JDD- 2007- 004
De plus, au début du film Premier Pas que j’ai présenté plus haut, dans la scène initiale,
on observe le personnage principal sur le banc de touche. Il est seul, son entraîneur lui
tourne le dos, ce dernier se concentre sur le match de foot et sur l’interaction des joueurs
sur le terrain (5). La valeur symbolique de la scène, imposée par le contexte du sport
d’équipe, offre d’entrée un regard contrasté sur le personnage principal, il n’a pour
l’instant pas la figure d’un héros.
Dans cette même séquence, le personnage décide de résoudre la situation et engage le
dialogue avec son entraîneur. Celui –ci lui répond, cette fois –ci sur un plan d’opposition
en face à face, qu’il est trop individualiste (6). Les couleurs sont éteintes et bleutées, le
point de vue est celui de l’individu qui se retrouve confronté à lui-même.
Le dilemme interne du personnage principal est alors exprimé par l’affrontement social
qui se joue entre lui et les autres, et qui le contraint à rester à l’écart. La personnalité
individuelle se présente ici à travers le conflit personnel.
80
5. 00 : 24 : 51 vidéo 5 Premier Pas
6. 00 : 25 : 35 vidéo 5 Premier Pas
Cette séquence introductive nous amène alors à une deuxième interprétation. Elle
présente alors le rapport entre l’acquisition de l’identité organisationnelle et la
construction du lien social avec les autres membres de l’organisation.
b) La constitution du lien social : la cohésion avec le groupe
Un peu plus loin dans le déroulement de l’histoire, on observe le processus
d’acquisition de la personnalité organisationnelle par le biais de l’interaction qui se noue
grâce à l’intégration dans le groupe. C’est en partie parce que le personnage intègre des
notions d’entraide et de cohésion, valeurs portées par l’organisation, qu’il peut cette fois
rejoindre l’entraînement collectif et mettre un pied sur le terrain.
Le propos est alors de comprendre que la personnalité doit s’assujettir à la forme
structurée de l’organisation afin de devenir un membre à part entière de celle-ci. Cette
démarche d’incorporation se joue notamment à travers la volonté de tisser des relations
avec la communauté, d’établir des liens d’interaction avec des individus qui partagent les
valeurs de l’entreprise. C’est alors la vie en communauté qui va permettre d’instaurer
cette conformité au groupe.
81
7. 00 : 32 : 56 vidéo 5 Premier Pas
8. 00 : 40 : 31 vidéo 5 Premier Pas
Dans ces séquences, le personnage principal partage des valeurs d’unité et de solidarité.
La norme qui lui est imposée est celle du travail d’équipe et du lien de camaraderie. La
séquence 7 expose le personnage dans une allégorie triangulaire pendant une scène de
communion à l’écart de l’action, la séquence 8 le montre sur le terrain, proposant de
l’aide à son co-équipier lors d’une marche nocturne.
c) Le vécu professionnel, transposition de l’expérience
Il peut être intéressant de cerner aussi la représentation de l’expérience au sein de
l’organisation. C’est alors l’occasion pour l’entreprise de montrer comment
l’environnement professionnel peut être profitable et enrichissant au regard des épreuves
et du pragmatisme des usages, ancrés à la gestion interne.
La vidéo 2 intitulée Marsouin Toujours est elle aussi une vidéo institutionnelle, sa mise
en récit diffère des autres formats que nous avons pu voir précédemment. Elle utilise des
images d’archives entremêlées à des images récentes afin de narrer l’histoire des troupes
de la marine française. Elle s’articule grâce à la voix d’un conteur, une voix off qui met
en avant la portée héroïque de ces combattants autour de la sauvegarde du territoire
national et de l’expansion de l’empire colonial. Clairement, c’est donc la notion
d’expérience professionnelle qui est invoquée. La narration par l’image et la voix
82
structure un lien dans le temps qui perdure entre présent et passé. C’est le vécu
professionnel dans la structure, au fil des décennies et des épreuves, qui permet de
retranscrire la valeur inaltérée des qualifications de ces hommes.
9. 00 : 13 : 46 vidéo 2 Marsouin Toujours
10. 00 : 13 : 49 vidéo 2 Marsouin Toujours
Le parallélisme entre ces séquences livre manifestement le lien de continuité de
l’expérience. La séquence 10, nous montre des images d’archives en noir et blanc de
soldats en immersion, camouflés dans des rizières. La séquence 9, qui la précède dans la
narration, évoque les mêmes actions, en immersion cette fois dans les cours d’eau
guyanais et en couleurs.
11. 00 : 14 : 00 vidéo 2 Marsouin Toujours
12. 00 : 13 : 53 vidéo 2 Marsouin Toujours
Le rapport entre actualité et antériorité s’établie dans un prolongement de l’apprentissage
et de la formation dans le temps long de la structure. Ce sont les mêmes actions qui sont
83
décrites par l’image, actions opérantes dans le présent qui sont les mêmes que celles
utilisées par le passé. Le raccord du montage est ici utilisé dans l’optique de préserver
une qualité d’articulation entre ces images, et de figer dans l’esprit du spectateur
l’impression de continuité temporelle entre passé et présent, entre vécu et avenir. De plus,
dans une certaine interprétation, la poutre dans les séquences 11 et 12 rappelle le
symbolisme de la constance et de la stabilité, celle d’un passage en équilibre entre deux
temps de l’expérience. La mise en récit du vécu et de l’expérience permet alors de faire
valoir la formule « être puissant et le rester ».
d) La formation : l’internalisation des valeurs sociales
Lorsque l’individu rejoint le cadre de l’organisation et qu’il intègre une formation,
ses capacités sont testées, remises en question dans but de sonder la motivation et la
détermination du salarié. L’étape de l’apprentissage confronte l’individu à sa perspective
d’intégration, il doit alors assimiler dans un temps court les qualités attendues par les
recruteurs. La recherche de la personnalité organisationnelle et plus largement de cette
quête identitaire s’organise alors dans cette première étape. Il semble donc intéressant de
montrer comment la communication audiovisuelle et narrative retranscrit ce processus.
Il était possible d’observer dans le début du film Premier Pas, le personnage principal
confronté à lui-même, à sa personnalité individuelle, en conflit avec son environnement
social. Lorsqu’il intègre la structure, il amorce un désir de changement et devient une
personnalité organisationnelle. La première scène était celle de l’entraînement sportif sur
un terrain de foot alors que le personnage était exclu de la partie. On retrouve un lien
avec cette séquence introductive dans la suite des événements, alors qu’il intègre
l’entraînement militaire.
Cette fois, la formation lui permet de gagner des valeurs d’interaction avec les autres
joueurs, il joue donc sur le terrain et participe à l’action.
84
13. 00 : 32 : 54 vidéo 5 Premier Pas
14. 00 : 32 : 56 vidéo 5 Premier Pas
La métaphore sportive permet une comparaison entre la personnalité individualiste
contrainte à rester sur le banc de touche, et celle en processus de formation touchant au
but grâce à de nouvelles valeurs acquises dans l’organisation.
Le cadre de la structure organisationnelle lui donne donc la possibilité d’absorber des
valeurs. Pour les intérioriser, la jeune recrue doit suivre cette formation en tentant de
s’imbriquer à ce cadre, de se fondre à sa structure.
Le large carré lumineux dans lequel est inséré le personnage en séance d’entraînement
permet alors d’entreprendre sur un plan symbolique une compréhension de la formation.
Le décor dynamique de ce plan évoque une forme structurée au graphisme linéaire, sorte
d’ouverture vers le monde, dans lequel le héros est la figure centrale.
15. 00 : 33 : 04
vidéo 5 Premier Pas
85
16. 00 :33 :05 vidéo 5 Premier Pas
La cible qu’il vise est à l’intérieur de
ce cadre. Son but est de l’atteindre.
Les
plans
progressivement
se
du
rapprochent
personnage
suivant une échelle de plus en plus
grossissante, favorisant une logique
et une interprétation introspective.
17. 00 : 33 : 06 vidéo 5 Premier Pas
18. 00 :33 : 08 vidéo 5 Premier Pas
Dans ce raisonnement, il est possible alors de relier cette cible au personnage.
19. 00 :33 :08 vidéo 5 Premier Pas
L’œil fixe un objectif représenté par
une silhouette réfléchissante, comme
un miroir faisant écho au personnage
et à son conflit interne. Calée sur un
même plan, cette cible chatoyante est
un reflet de lui-même qu’il doit
toucher pour réussir ses épreuves
d’apprentissage dans l’organisation.
Les séquences sont donc orientées du point de vue du futur membre par sa volonté de
faire correspondre une identité en phase avec des qualités promues par l’organisation.
86
2) La manifestation de la mémoire collective
La mémoire collective est présente dans chaque culture comme une représentation
socialement partagée de l’expérience, elle permet à chaque individu de profiter de repères
stables, de moyens de commémoration. Elle inscrit les membres d’une structure dans
l’histoire et fixe une part de leur identité. A travers les vidéos de communication de
l’organisation, je tenterai ici de comprendre sa représentation.
a) Mémoire individuelle et mémoire collective
La vidéo 4 propose sur un même format que la vidéo 1, une présentation de la
carrière d’une femme dans l’institution militaire. Chantal Desbordes, première femme à
obtenir le grade d’amiral de la marine témoigne de son expérience. Le support
audiovisuel retrace ici son ascension et sonde les impressions de cette pionnière à
l’occasion de la publication de son livre autobiographique. Dès les premières images se
sont ses souvenirs personnels qui sont évoqués. On observe alors cette officier parcourant
un album photographique rapportant les différentes étapes qui ont balisé sa carrière.
20. 00 : 21 : 28 vidéo 4 JDD – 2007- 005
21. 00 : 21 : 32 vidéo 4 JDD – 2007- 005
La séquence 21 est un arrêt sur image qui suspend dans le temps le personnage et l’action
de la séquence précédente (20) permettant ainsi d’interpeller le spectateur sur le souvenir.
87
Même si elle accorde une sensibilité personnelle à ces images du passé, c’est ensuite la
voix off qui va accoler une histoire à ces clichés. Ces photographies rapportent un temps
révolu dans lequel elle s’est élevée, en gravissant les échelons de la pyramide
hiérarchique. Cette mémoire individuelle a donc pour simple but d’être ici partagée pour
devenir collective.
La trame de la vidéo est de rendre compte de l’empreinte que laisse derrière elle cette
haut gradée au regard de la place des femmes dans cette institution tournée malgré tout
vers une certaine notion de force et de masculinité. Il s’agit de promouvoir le parcours
atypique et instigateur de l’individu comme souvenir de l’expérience vécue et transmise.
La notion de mémoire collective apparaît alors par le truchement du livre, qui résonne
comme une réalité symbolique, l’archétype d’un récit de vie modèle. Il devient le relai
entre les souvenirs intimes et les valeurs à transmettre. Ces mémoires sont un moyen
d’homogénéiser des représentations du passé, de sorte que ces souvenirs deviennent
collectifs.
22. 00 : 22 : 18 vidéo 4 JDD – 2007- 005
L’empreinte des deux visages de l’amiral
apparaît en filigrane sur cette transition. Le
poids du passé est perpétué par
cette
intentionnalité de transmettre dans le présent.
23. 00 : 22 : 42 vidéo 4 JDD – 2007- 005
L’autobiographie est dédicacée de la main de
l’auteur. Celle-ci appose le sceau, la trace
écrite qui authentifie ce passé. La lumière
rend compte de l’apposition solennelle.
88
b) Les valeurs et les modèles de référence pour une continuité culturelle
Les valeurs transmises à travers la mémoire collective maintiennent des normes et
des règles dans l’organisation. Elles sont promues comme un héritage commun aux
membres de l’organisation. Puisqu’il s’agit dans ce cadre d’analyse de l’institution
militaire, il semblait presque évident que la notion de mémoire nationale pouvait être
évoquée au regard de la conduite de la culture et des modèles de référence à l’intérieur de
celle-ci. Dans la vidéo d’archives n°2, intitulée Marsouin Toujours, c’est le souvenir des
combattants et des missions opérées par les troupes de marine qui est mis à l’honneur.
Les images racontent alors un patrimoine commun, ouvert sur l’avenir grâce au savoirfaire qui a su se perpétuer à travers les âges et les conflits en Europe et dans le monde.
Cette mémoire collective emprunte donc à la culture nationale des traits culturels proche
de la notion de commémoration patriotique et de la tradition.
24. 00 : 14 : 04 vidéo 2 Marsouin Toujours
25. 00 : 14 : 14 vidéo 2 Marsouin Toujours
La première séquence entre en résonnance avec la seconde, c’est donc ici le poids de la
tradition militaire qui s’impose comme valeurs culturels et comme objet de la mémoire.
Les deux séquences montrent ainsi la même scène de revue entre l’autorité et les soldats
avec une distance temporelle qui figent les images dans l’histoire.
89
Les dernières images s’achèvent sur le drapeau français et le mot « Patrie », les
commentaires de la voix off concluent sur les phrases suivantes : « Le neuvième R.I.Ma a
toujours célébré avec fierté la mémoire de ses anciens. Pour que chaque marsouin puisse
affronter l’avenir en restant fidèle à sa devise : Marsouin Toujours ».
26. 00 : 14 : 21 vidéo 2 Marsouin Toujours
27. 00 : 15 : 06 vidéo 2 Marsouin Toujours
La séquence se termine sur ce fondu lent, où se superpose deux images, celle du drapeau
et de l’horizon que l’on imagine alors au lever du jour. Comme pour rendre compte du
passage du temps et de la transition entre vécu et avenir, cette séquence présage une
volonté de continuité culturelle des valeurs.
c) « L’autre » continuité de soi
Dans la vidéo 2, Chantal Desbordes explique ses intentions lors de la rédaction de
ses confessions: « J’ai essayé de porter un regard de femme sur ce monde d’homme sans
que se soit pour autant un livre féministe ». Ces souvenirs sont orientés de son point de
vue, suivant une réflexion personnelle sur sa propre expérience. Elle poursuit son propos
par la phrase suivante : « J’ai trouvé par moment pénible de travailler sous le regard
pressant des uns et des autres, sous la critique ». Elle exprime alors la difficulté de
prospérer dans une structure sous le jugement des autres membres de l’organisation.
Mais, c’est précisément dans le conflit avec l’environnement de travail que se construit
l’individu dans l’organisation, c’est dans ces conditions que le sujet peut concevoir ses
forces et ses faiblesses. Les confrontations quotidiennes avec « l’autre », entre les
90
différents types d’identités et, de mémoires individuelles sont nécessaires à l’élévation
des individus au sein de la structure et à la construction de la mémoire collective.
La mémoire collective est orientée au regard de l’expérience, elle ordonne clairement un
lien qui devient culturel. C’est la possession des connaissances relatives aux anecdotes
individuelles, aux aventures collectives et au vécu qui permet d’ériger le support de
l’enrichissement, de l’émancipation dans la structure.
Les récits donnent à vivre, à habiter l’espace d’un instant ces personnages ancrés à la
mémoire collective et organisationnelle. Ils retracent des carrières et exposent des
individus qui sont reconnus à leurs justes valeurs. Ce qui compte ici, c’est alors de retenir
comment ces personnages et les valeurs qu’ils continuent de léguer, ont marqué la vie de
l’organisation et peuvent continuer de le faire en touchant la sensibilité d’un public. Le
registre émotionnel appelle à l’affect et au souvenir, à l’évocation d’une expérience qui
peut être celle de l’auditoire pour que continuent ces histoires et ce vécu dans le temps
présent.
91
3) La symbolique du langage
Le système symbolique recouvre un large panel de signes ostentatoires et intériorisés qui
matérialisent la présence d’une culture. Je commencerai par rendre compte du langage en
tentant de déchiffrer les éléments qui y font référence, il s’agira premièrement de relever
tous les composants du langage organisationnel puis de recueillir les codes
communicationnels symboliques.
a) Le parler organisationnel
De manière générale, ces supports audiovisuels rapportent tous un langage
commun, et ce même s’il ne s’agit pas forcément du même corps d’armée. Ce langage
peut être parfois plus technique, retranscrivant un langage-action permettant de
coordonner les activités. Il peut être aussi plus symbolique, correspondant alors à
l’institution militaire dans lequel il circule. Ce système symbolique de valeurs se rattache
ici inconditionnellement à l’ensemble des éléments institutionnels militaires dont la
fonction se veut normative.
Il est possible alors de signifier le langage technique qui rend compte d’une nécessité
fonctionnelle, dans la vidéo 2 Marsouin Toujours et la vidéo 5 Premiers Pas, les
termes « progression colonne par un » ou « ordre serré » apparaissent simultanément.
La vidéo 3, qui est un clip en images et en musique, permet de présenter elle aussi des
termes techniques relatifs cette fois aux outils de communication ou au langage de
planification stratégique. Le vocabulaire s’insère dans l’image animée par une inscription
bleue et un bruitage, en contraste avec le décor. Le langage est imagé, les termes sont
illustrés de manière visuelle et auditive.
92
28. 00 :18 :08
29. 00 :19 : 39
vidéo 3 00 - 7 - 97 Au cœur de l’Armée de terre, les métiers de commandements
Mais ce sont surtout, de manière transversale, des mots exprimant l’organisation comme
institution d’appartenance qui sont utilisés dans les discours: « expériences », « partage »,
« cohésion », « solidarité », « relation de travail » (Vidéo 1 et 5).
La vidéo 2 présente quant à elle les champs lexicaux du mérite et de la force avec la
présence des termes suivants : « vaillance et fierté », « instants de gloire », « défense
héroïque », « aguerrissement ».
Les mots trouvent un sens en fonction d’un contexte, celui de l’organisation doit tenir
compte des individus à qui ils se destinent. Leur charge émotionnelle possède alors plus
d’impact si la référence est expérientielle, c’est à dire si elle s’applique dans l’action, ou
si elle est sensorielle, lorsqu’elle renvoie à un univers imagé de l’organisation.
b) Le langage symbolique
Le langage symbolique fait référence aux empreintes figuratives qui demeurent dans
l’organisation en tant que signes. Ils permettent aux individus de se reconnaître par une
même représentation de l’espace de travail. Dans ces supports audiovisuels ce sont alors
les tenues vestimentaires et les insignes relatifs à l’institution militaire qui permettent
d’afficher les identités. La codification s’utilise de manière à être manifeste par des
signes visuels qui attestent des règles et des normes.
93
30. 00 : 26 : 34 vidéo 5 Premier Pas
31. 00 : 27 : 00 vidéo 5 Premier Pas
Dans la scène précédente où le personnage participe aux premiers entretiens, les
codes vestimentaires permettent de renseigner sur l’identité organisationnelle et celle du
monde extérieur. Les deux personnages sont vêtus d’une même chemise blanche, celle du
responsable hiérarchique se différencie du candidat par ses grades et ses insignes. De
plus, sur la partie gauche de la séquence 2, il est possible de lire « armée de terre », ce qui
accrédite son appartenance à la communauté de travail.
Le langage est un idiome reflétant alors explicitement les traits spécifiques d’une
communauté de travail, et de ses codes culturels. Il précise ici le fonctionnement et la
figuration de l’organisation comme des instances stables et normatives dont les membres
doivent en reconnaître la légitimité.
L’intention de cette mise en image du langage est de dessiner encore une fois l’identité de
l’organisation. Bien qu’il s’agisse de l’Institution militaire et que celle-ci se détermine par
des signes fortement identifiables et spécifiques, la communication d’entreprise ne peut
passer à côté de la manifestation du langage comme incarnation typique de l’organisation.
94
4) Les pratiques ritualisées
Le système symbolique d’une organisation se traduit aussi par des manières de faire. Il
peut s’appliquer à des pratiques réglées à la fois par le temps de l’organisation, et, par des
manifestations plus largement sociologiques dues à l’intégration dans une communauté
par exemple. Le rite d’initiation ou de passage peut permettre de favoriser les
changements internes vécus par les nouveaux membres. J’ai tenté ici d’en identifier les
traits, notamment au regard du processus de formation.
a) Le rite de passage
Le rite de passage est une épreuve forcée pour un individu qui doit se confronter à
une transition d’un groupe à un autre. Il s’opère dans une situation sociale définie, ici
celle de l’organisation et permet par son rythme ternaire d’accompagner la transformation
de l’individu en une identité de l’entreprise. Les différentes phases du rite de passage sont
la séparation du groupe d’origine, la mise provisoire hors du groupe et la phase de
résurrection, d’agrégation dans la nouvelle communauté. Elles sont toutes mises en image
dans la vidéo 5 Premiers Pas.
32. 00 : 25 : 07 vidéo 5 Premier Pas
33. 00 : 27 : 23 vidéo 5 Premier Pas
34. 00 : 27 : 55 vidéo 5 Premier Pas
35. 00 : 37 : 43 vidéo 5 Premier Pas
95
36. 00 : 39 : 05 vidéo 5 Premier Pas
37. 00 : 40 : 26 vidéo 5 Premier Pas
La séquence 32 lie le personnage à sa provenance, aux individus qui reflètent son groupe
d’origine, le personnage se promène ici au bras de sa petite amie.
Dans la séquence 33, il s’engage, ce qui implique le début du processus rituel et la
séparation avec sa vie antérieure et ses habitudes passées.
La séquence 34 est celle qui inaugure la phase de mise provisoire hors du groupe afin
d’acquérir par la séparation et le retranchement de nouvelles qualités. Les nouvelles
recrues sont isolées le temps d’un entraînement (35) qui leur donnera droit, si elles le
réussissent, de poursuivre grâce à la troisième phase, celle de la renaissance en accord
avec le nouveau groupe d’appartenance.
Les scènes 36 et 37 relèvent de cette dernière étape, le personnage a réussi ses épreuves,
il fait parti de la nouvelle communauté et accède à une nouvelle identité.
La séquence 37, le montre retrouvant des personnages de son groupe d’origine dont sa
petite amis à l’arrière plan, en leur présentant sa nouvelle identité.
b) Les coutumes et les différents temps du rite
C’est aussi pendant ces premières années au sein de la structure que l’individu acquière
les coutumes du groupe, les actes formels et conventionalisés. Nous avons vu
précédemment dans la formation de l’identité organisationnelle, l’image de ce personnage
s’entraînant à saluer et à se présenter par exemple.
Le temps dans l’organisation peut être aussi perçu du point de vue du vécu du salarié,
dans lequel se noue les interactions sociales ritualisées. Les vidéos de communication de
l’armée en offre un aperçu dans les scènes de repas et de détente pendant les temps de
96
pause. Ces scènes jalonnent les activités des individus comme des temps propices à
l’expression de la cohésion sociale. Il est question de démontrer aussi les occupations
relatives au temps libre dont la manifestation est plus informelle, et qui marque le temps
géré par les membres de l’organisation.
38. 00 : 01 : 51 vidéo 1 DOC JDD- 2007- 004
Dans la vidéo 1, les images exposent des
temps ritualisés réservés au personnel.
97
B) Analyse du Storytelling au service de la communication managériale
La mise en récit introduit des modes de représentation qui incite les individus à
s’identifier à l’histoire narrée, à se conformer à ses modèles. C’est en prenant en compte
tous les éléments constitutifs de la communication narrative et du storytelling qu’il sera
possible dans cette partie, de comprendre comment ces supports audiovisuels se les
approprient. Je tenterais de comprendre comment le récit est mis en place par le système
de signes que propose le format audiovisuel.
Dans cette deuxième partie de l’analyse vidéographique, je mettrais en évidence
l’organisation des contenus narratifs, l’articulation des structures narratives, et la façon
dont ces mécanismes sont énoncés.
1) La mise en scène du dispositif émotionnel
Ma première approche de la communication narrative dans ces supports audiovisuels sera
de cerner l’agencement du dispositif émotionnel. Puisque celui-ci est caractéristique de la
construction du récit et de ses significations, je tenterai de rapporter les éléments
constitutifs de sa mise en récit.
a) L’expérience humaine et l’expérience imaginaire
L’utilisation du récit est propice à la mise en contexte du destinataire, elle revête
de particularités si spécifiques à l’homme qu’il se captive pour les composantes de
l’histoire, s’approprie les actions par le biais de l’imagination. La symbolisation des
images rejoint alors une totalité par le simple jeu de la narration. Cette dernière éveille
l’individu à une expérience humaine, celle qui lui est présentée, et, qui le renvoi à une
conscience imaginaire.
L’instance narrative est omniprésente dans la vidéo 2, « Marsouin Toujours ». Elle nous
conte l’histoire des hommes qui ont marqué le passé des troupes de marine. On peut
98
considérer que le narrateur commente des images d’archives pour nous faire voir l’action
sous son propre regard, ou que ces images paraissent au rythme mesuré de sa voix. Cette
instance narrative est alors extra-diégétique et guide le spectateur sur un ton posé et
solennel. Dans ces séquences, elle choisit de nous rapporter des péripéties précises par
une description des faits, tout en ornant le discours de détails valeureux. Sa supériorité
dans le récit est ici de connaître tous les événements qui ont marqué la vie de tous les
personnages présentés.
39. 00 : 01 : 51 vidéo 2 Marsouin Toujours
Cette voix off s’introduit à l’écran,
dès la première image par un texte
d’Antoine de Saint Exupéry. L’image
en arrière plan est celle d’une écume
qui s’abandonne au rythme de la
lecture sur le banc de sable, le fond
sonore intronise une musique épique.
D’entrée, cette voix organise le récit autour d’une réflexion, d’une pensée, comme dans
les premières pages d’un recueil, le narrateur impose le socle d’une histoire qui va être
marquée par un ordre symbolique et spirituel. L’itinéraire que propose cette voix va
permettre de conditionner le spectateur à lier l’expérience humaine à l’expérience
imaginaire.
Ce sont ainsi des personnages illustrés que nous présente le narrateur, issus de
représentations picturales. L’image de gauche ci-dessous est une scène d’un tableau
intitulé « La dernière cartouche » d’Alphonse de Neuville, elle représente un événement
historique de la guerre franco-prussienne, pendant lequel les troupes de marine ont résisté
aux assauts jusqu'à la dernière balle.
99
40. 00 : 04 : 25 vidéo 2 Marsouin Toujours
41. 00 : 04 : 56 vidéo 2 Marsouin Toujours
Ces images restent figées mais le cadrage effectue des zooms sur certaines parties du
tableau, guidant le regard et chargeant ainsi les illustrations d’éléments symboliques.
Une histoire subjective se mêle dans ce contexte à une réalité objective, certifiée par le
souvenir d’estampes dans les livres d’école et l’Histoire elle même, pour que réalité de
l’expérience humaine et imaginaire puissent rester indissociables.
La communication utilise le récit afin de proposer une rencontre entre deux possibilités
de l’expérience, celle réelle et conditionnée par les événements historiques, et, celle
imaginaire que le spectateur peut alors s’approprier en fabriquant une suite au récit, une
continuité de l’action. C’est alors dans ces conditions que la mémoire collective peut
prendre place et s’instaurer solidement à la culture organisationnelle.
L’histoire permet de proposer une expérience à vivre au travers de ces personnages, de
l’intrigue et de ses tensions émotionnelles. Elle prouve que ces individus ont été reconnus
par leurs actes dans le passé, reconnus par des valeurs qui reflètent la culture de la
structure à laquelle ils sont rattachés.
b) Le canevas des émotions
Mon positionnement sera de comprendre quel registre émotionnel est utilisé et comment
il sert le message institutionnel. Certaines images m’ont permis de traduire une volonté
esthétique dans le récit. Je m’oriente une fois de plus vers la vidéo Marsouin Toujours car
100
elle utilise particulièrement bien le panel d’émotions propre à l’exposition d’un passé
héroïque, où l’on souhaite montrer par la force des sentiments la grandeur, le prestige
d’hommes au service de la patrie et des populations. Cette vidéo rend compte d’une
mémoire collective et d’un passé prestigieux dans laquelle le pathos submerge
l’expérience humaine.
On remarque avant toute chose, que les transitions s’opèrent en créant un lien
symbolique entre des images de visages, des images de personnes civiles mêlées aux
différents conflits armés. En effectuant un lien entre plusieurs réalités, entre des images
issues de contextes différents, la trame narrative aspire à toucher la sensibilité du
spectateur. Ces enchaînements sont motivés par la démarche d’interprétation du
spectateur, du lien qu’il peut faire seul et sur les émotions qu’il peut apposer à l’image.
La musique qui accompagne ces transitions avec une intensité lyrique, approfondit le fait
que ces images sont chargées de connotations affectives et émotives.
42. 00 : 14 : 04 vidéo 2 Marsouin Toujours
43. 00 : 14 : 06 vidéo 2 Marsouin Toujours
Les deux images montrent ainsi le même geste de salutation, de révérence et de respect.
Le registre émotionnel est alors positif et interpelle la sensibilité du spectateur par cette
résonnance commune aux deux images.
Différentes émotions stéréotypées permettent de construire l’histoire de ces hommes.
Parmi celles-ci, la tristesse pour la mort au combat, la joie pour les liens qui ont su se
construire avec les populations. La narration balise alors ces émotions d’une intonation
plus grave ou plus enjouée.
101
44. 00 : 08 : 33 vidéo 2 Marsouin Toujours
45. 00 : 11 : 36 vidéo 2 Marsouin Toujours
Le récit renvoie ici à l’expérience d’une émotion esthétique qui est avérée à la fois par
l’histoire, et attestée par une réalité. La rencontre entre la sensation ressentie à la vue de
ces images et l’idée de vraisemblance permet alors de rendre compte d’une impression
plus profonde et plus mémorable ouverte à la réflexion symbolique.
L’expérience esthétique née donc de ce croisement en utilisant subtilement des ressentis
de l’ordre de l’empathie et de la sympathie, ou encore du discernement. La
communication audiovisuelle d’entreprise peut donc largement s’affirmer grâce à une
argumentation émotionnelle et passionnelle afin de faciliter l’appropriation du message
institutionnel. Ces repères favorisent l’appropriation de l’histoire et l’authentification des
héros, notamment parce qu’ils proposent un cadre préétabli des constructions mentales.
En storytelling, il faut donc garder à l’esprit que si l’histoire parle de héros c’est que le
format transpose cette empreinte au destinataire lui-même, au membre de l’organisation à
qui est adressé le support communicationnel. L’expérience esthétique encourage le
sentiment de vivre une expérience particulière en introduisant « du faire » dans le
« raconter ».
Les expériences vécues par ces figures héroïques ne se parent pas de détails et de signes
caractéristiques, ils permettent à chaque personne de se retrouver à travers ces modèles.
Et s’il est possible de s’identifier, c’est notamment parce que ces schémas imaginaires
revêtent une part de réalisme, de cohérence lié au vécu. Le principe de cette
communication est alors de revivre l’expérience humaine encore et encore par le biais de
l’imaginaire dans un premier temps et, pourquoi pas réellement dans un second temps, en
rejoignant les troupes de marine par exemple.
102
2) A la recherche d’une typologie narrative
Le storytelling se pare des éléments du récit pour construire des histoires dont les
schémas sont reconnaissables, identifiables et sécurisants. Il détourne dans ce cadre la
substance du récit dans une démarche marketing servant une politique de communication.
Au regard de cette communication interne, les schémas actanciels et fonctionnels, les
phases du récit sont simplifiés, cela dit, il peut être intéressant de relever leurs
utilisations.
a) Les invariants, archétypes des pratiques sociales ?
Dans la logique du récit, les éléments de la structure narrative se reproduisent
autour de constructions stables telles que des actants, c’est ce que l’on nomme les
invariants. Ces formes préétablies sont la base d’une histoire, on y reconnaît alors le sujet
qui recherche ou qui en est en quête d’un objet de désir, le destinateur et le destinataire,
les adjuvants et les opposants. A partir des vidéos de communication organisationnelle
que j’ai sélectionnée, on repère systématiquement la présence d’invariants qui
remplissent des rôles significatifs dans le déroulement de l’histoire.
Dans les vidéos 1 et 4, le commandant en second, Isabelle de Meritens et l’amiral Chantal
Desbordes tiennent la place de l’actant principal. Ces femmes sont montrées par la
structure du récit comme étant des sujets-héros à partir desquelles sont déclinés des
valeurs. C’est principalement la réussite d’une carrière féminine au sein d’une structure à
forte résonnance masculine alors l’objet du désir qui les assigne à ce rôle. Dans la vidéo 2
Marsouin Toujours, la forme du sujet est celle des troupes de marine, autrement dit un
actant collectif, héros valeureux de l’institution militaire dont la quête est la préservation
du territoire nationale et la sauvegarde de la nation. Dans la vidéo 5, le sujet revête les
traits d’un personnage fictif, la recrue Delvaux en quête de réalisations professionnelles,
d’une identité sociale et salariale. Le sujet peut être aussi transposé par un objet plus
simple ou une réalité abstraite, dans la vidéo 3 c’est par exemple la communication qui
adopte cette place.
103
Ces personnages ou ces signes comme sujets actanciels prennent donc la forme d’une
force mythique, d’une idée transmise par la force du récit. Autour de ces personnages
sont placés en orbite d’autres actants, qui sont eux aussi composants de ce schéma
narratif. Le destinateur, par exemple, est l’actant qui pousse le sujet à agir, la force qui va
conduire l’action et qui en retour va en être le bénéficiaire. Je me tourne de nouveau vers
la vidéo Premiers Pas qui permet de mettre clairement en avant l’application du schéma
actanciel.
Dans les séquences qui suivent la scène initiale du terrain de foot, le personnage se
retrouve en conflit, semble-t-il avec lui-même parce qu’il est individualiste, peu tourné
vers les autres et sans véritables projets de vie.
47. 00 : 26 : 29 vidéo 5 Premier Pas
48. 00 : 27 : 23 vidéo 5 Premier Pas
Les images gardent un même coloris bleuté, les teintes sont froides, symptôme de ce mal
être et de cette crise personnelle depuis l’apparition du héros dans la structure narrative.
Dans la séquence 48, le plan est incliné, marquant un contraste avec les lignes
horizontales et verticales que l’on peut voir à la fois au premier plan par le cadre du
miroir, et, à l’arrière plan par la décoration suspendue au mur. Ce déséquilibre évoque
une tension dans la scène, impliquant le sujet filmé en gros plan. La lumière se concentre
uniquement sur son visage et ses émotions. Il a l’air désabusé, les épaules sont voutées et
le regard perdu dans le vide. La composition de la séquence traduit alors les pensées
intimes du personnage, mises à mal. C’est notamment son reflet dans le miroir, qui
permet de comprendre que la tension s’incarne à travers sa propre image, à travers sa
personnalité.
104
On cerne alors le destinateur. Cette crise personnelle est déclenchée par son
environnement, la société et le regard d’autrui. C’est parce que le héros ne trouve pas sa
place dans la collectivité qu’il échappe au regard des autres et au sien (séquences cidessus), notamment parce qu’il n’a ni de véritable identité ni de travail.
Le destinataire nous est alors évoqué implicitement. L’objet de la quête, c'est-à-dire,
acquérir un statut social et de la reconnaissance, est destiné à lui-même ou plus
précisément à sa personnalité organisationnelle, afin de trouver une identité dans la
société.
La quête de l’identité va être alors conduite grâce aux journées de recrutement que
propose l’armée de terre, ouvrant ainsi la voie au personnage à des étapes d’apprentissage
et d’initiation.
Les adjuvants seront symbolisés ici par les éléments, les personnages et les instances qui
permettent de guider le héros tout au long de sa quête. Ce seront alors le respect de
l’autorité, la discipline, la maîtrise de soi qui lui accorderont la possibilité d’atteindre un
statut social à l’intérieur de l’organisation comme dans la société civile. Ces valeurs
symboliques sont précisément celles que l’on impose et qui reflètent les membres de
l’Institution militaire. L’un des principaux adjuvants est alors le cadre de l’armée de terre.
Mais c’est également la cohésion et l’unité qui aident le personnage à entreprendre les
bonnes actions. Ici la notion d’entre-aide est personnifiée par un personnage féminin, qui
assiste la jeune recrue tout au long de l’histoire.
49. 00 : 31 : 09
vidéo 5 Premier Pas
105
Pendant cette séquence, le protagoniste s’entraîne à saluer et c’est son adjuvant, situé à
droite, qui va l’aider à faire les bons gestes et à prononcer les bons termes. Elle est située
dans un halo lumineux qui éclaire à la fois son visage et l’escalier derrière elle. On peut
aisément y voir une valeur dramaturgique, montrant à la fois la quête ascensionnelle et la
bienveillance de l’adjuvant au pied des marches, au début de la quête.
A l’inverse les opposants sont incarnés par des valeurs contraires. Elles sont d’ailleurs
personnifiées par des individus qui font preuve de faiblesse et d’anticonformisme au
regard de l’institution : égocentrisme, laisser-aller, dispersion…
Alors que les autres personnages s’affèrent autour de l’opposant afin de ranger la
chambre pour une inspection générale, celui-ci décide de ne rien faire, transcrivant son
manque de cohésion et son individualisme.
50. 00 : 32 : 53 vidéo 5 Premier Pas
L’opposant cherche à empêcher le
héros d’atteindre l’objet. Il est en
conflit direct avec l’adjuvant qui est
représenté à la fois par le cadre de
l’organisation et les valeurs d’unité
parmi les membres. Il incarne ce qu’il
ne faut pas être ou ne pas faire si l’on
souhaite rejoindre cette formation.
Tous ces supports nous montrent dans des formes variées, l’utilisation du schéma
actanciel propre à la formation des histoires comme vecteur du message organisationnel.
Dans les autres vidéos, les actants qui entourent la progression du sujet-objet se
reconnaissent sous des traits moins explicites mais leur nature et tout aussi équivoque. Ils
accompagnent le déroulement des histoires au travers de valeurs servant l’organisation.
Par exemple, l’opposant dans la vidéo 4, présentant la carrière de Chantal Desbordes est
la notion de critique à l’intérieur de la sphère professionnelle, qui parfois a pu déstabiliser
ou perturber son ascension dans la pyramide hiérarchique. Comme on a pu le voir
précédemment, cette confrontation de l’individu aux autres, permet de forger la
106
personnalité, d’appeler à la conscience des forces de l’individu. L’opposant dans la trame
narrative, opère lui aussi cette fonction émancipatrice parce qu’il confronte le personnage
à ses difficultés.
On repère donc ici les éléments constitutifs de la structure narrative qui permettent
d’alléguer une cohérence à l’histoire et de s’appuyer sur une identification simplifiée des
actants au sein de l’organisation. Cette composition propre au récit favorise alors une
compréhension des tensions et du propos même de l’histoire, en figeant les rôles dans la
formulation du message. La communication audiovisuelle s’empare des modalités de
pénétration de l’intrigue, en tentant de faire écho à une expérience individuelle. Encore
une fois, le héros est construit à travers le storytelling pour correspondre à un auditoire,
pour se conformer à un individu qui souhaiterait rejoindre l’organisation dans l’exemple
présent. Les personnages ou les objets qui s’opposent au héros seront donc susceptibles
d’être perçu comme des obstacles potentiels par l’individu. Ce processus d’internalisation
s’applique naturellement aux autres actants.
b) La structure narrative, trame allégorique de l’engagement professionnel ?
Une structure hiérarchisée relative à la formation d’une histoire permet dans une
même logique, d’appliquer des modèles de référence. Les phases du récit permettent
d’amorcer des temps dans l’histoire relatifs aux différentes péripéties. J’analyserai dans
cette sous partie leurs applications concrètes et ce qu’elles révèlent de la stratégie
communicationnelle.
Le dispositif initial met en place un contexte dans lequel va se dérouler l’intrigue. Il fait
référence logiquement à un lieu, celui de la structure organisationnelle dans ces supports
vidéo. Mais, la mise en place du décor peut cela dit varier afin d’inscrire l’histoire dans
un cheminement plus élaboré. C’est le cas dans la vidéo Premier Pas où le terrain de
football permet de rendre compte des perceptions du personnage dans son environnement
social. Ces premières séquences où l’on découvre le milieu et l’entourage du personnage
nous informent sur des éléments qui vont conditionnés sa personnalité et même ses
actions. De même que la présentation de son conflit interne représente ici le point de
107
départ de l’histoire qui va introduire la face brutale du destin, celle qui force l’individu à
agir. Autrement dit, le manque de reconnaissance va lui permettre d’entreprendre une
quête.
C’est à partir de ce premier temps qu’il va enclencher une motivation et trouver la
possibilité de changer la situation, de combler ce manque de reconnaissance sociale. La
montée de l’action a amorcé un changement qui va modifier la vie du héros. Il doit pour
cela s’exposer à des épreuves afin d’acquérir des compétences qui lui permettront de
réaliser cette quête. Il s’engage alors dans l’armée, et l’on nous présente des personnages
qui feront preuve d’une morale en opposition avec le sujet-héros, ou au contraire en
harmonie avec ses désirs.
La réalisation de la quête s’applique alors sur le terrain de la formation, dans lequel la
recrue Delvaux est isolée du groupe : s’il acquière les compétences, il réalisera ce qu’il
est venu chercher, c'est-à-dire trouver une identité, un statut magnifié et authentifié par
l’organisation. Il est seul pour se confronter à la nature polémique de ce dilemme et pour
prendre ses responsabilités. Cela dit, il est aidé par des alliés qui sont, nous l’avons vu, le
cadre favorable de l’armée de terre porté par des valeurs de discipline et de cohésion. Il a
identifié notamment ses ennemis, l’individualisme par exemple.
Au terme de ces épreuves, ses performances ont été soumise à une évaluation, il en sort
vainqueur et devient héros de sa propre destinée. La chute de l’action lui apporte des
perspectives d’avenir, il peut intégrer le corps d’armée de son choix.
Dans le dénouement final, il se présente par son nouveau statut, il a rejoint son
environnement initial mais il a acquis une légitimité sociale grâce à l’organisation et à sa
réussite attestée par celle-ci. La société ou du moins le destinateur en est la principal
bénéficiaire.
Il faut donc agir pour se sauver soi-même grâce à une éthique, l’aide qui est proposée
s’incarne par l’Institution et son cadre structuré : voilà la morale de l’histoire et le
message communicationnel. Les autres vidéos transcrivent toutes ce même message, en
étayant les détails de l’histoire différemment. Globalement les péripéties adoptent un
point de vue de l’ordre de l’anodin, de l’affectif, du vécu et une ligne temporelle où
l’avant et l’après marquent le changement, la sublimation du sujet-héros.
108
Le champ d’action s’inscrit grâce à l’éthique, à des valeurs et à un comportement, en
somme, par l’identité. Les détails proposés par la nature du storytelling ont permis de
théâtraliser ces histoires afin de rendre le contexte moins distant et prosaïque. Ces
histoires sont construites pour être celles à qui elles se destinent, à savoir les membres de
l’organisation. Elles sont donc formalisées par des éléments constitutifs de la vie dans
l’organisation. Le dilemme interne de la recrue Delvaux lorsqu’il rejoint le terrain
d’entraînement reprend la nature du rite de passage par exemple. Les aspirations, les
craintes des personnages sont précisément celles qui incombent à l’intégration dans la
culture organisationnelle.
109
3) Le schéma rhétorique au service du récit et de la stratégie communicationnelle
La trilogie rhétorique est un fondement de la construction du récit notamment parce
qu’elle instaure un équilibre du discours à l’intérieur de l’histoire. L’ethos, le pathos et le
logos harmonisent la structure de l’histoire en fonction du message qui est émis, de la
morale qui finit par émerger du récit. Le storytelling s’applique à ordonner équitablement
ces phases pour un usage stratégique et habile du récit.
Je décompenserai dans cette dernière partie la manière dont sont construites les séquences
sur cet équilibre du schéma rhétorique, qui permet non seulement de conserver l’attention
du public sur des objectifs précis, mais aussi de maîtriser la tension narrative, la lisibilité.
a) L’exposition de l’ethos
Les valeurs sont portées par l’ethos, par la disposition sociale et humaine du
narrateur ou du sujet-héros à l’intérieur du récit. Elles transcrivent ici un discours
unanime autour du sens de la solidarité enraciné dans la tradition, et de l’éthique de
l’organisation. Les qualités morales sont représentées à travers des identités. Parfois elles
peuvent être fictives, mais la communication audiovisuelle d’entreprise tente lorsque cela
est possible, de les faire vivre à travers des réelles personnalités de l’organisation, afin de
donner plus de poids et d’authenticité à l’histoire. C’est ce que l’on a pu observer
particulièrement à travers les vidéos 1, 3 et 4. La personnalité des deux femmes par
exemple et ce qu’elles ont accompli permet de mettre l’accent sur cette légitimité du
discours à l’intérieur des récits.
L’importance des valeurs et le partage de celles-ci transcrit alors une norme de la
communauté à qui elle s’adresse. On reconnaît d’ailleurs les qualités de l’orateur par la
façon dont il construit les interactions sociales avec les autres membres de la
communauté, c’est pourquoi le sujet orateur n’est d’ailleurs jamais isolé tout au long de
l’histoire. Cette dernière est construite aussi en fonction des autres, relativement à ce
qu’ils représentent et comment ils se conduisent envers le sujet-héros, et d’autre part,
comment en retour, celui-ci s’en défend ou jouit de leur présence. Dans tous les cas, c’est
110
alors les valeurs transposées par la structure narrative qui conduisent le héros vers le
dénouement positif de la quête.
Le storytelling communique grâce à l’individu et à la réussite de celui-ci, sur ce qu’il
représente, dans le seul but de proposer dans le cadre de la communication audiovisuelle
d’entreprise une représentation de l’identité, et du métier de groupe. C’est alors la
cohésion, l’entre-aide, l’initiative combinées à l’obéissance et l’unité qui nous sont
induites dans le discours général de ces vidéos. Les personnages ou le narrateur illustrent
dans cette même logique les bonnes pratiques, et avisent quant à la conduite à tenir pour
bénéficier du même gage de sérieux et de respectabilité.
L’ethos fait parti de l’ingrédient rhétorique nécessaire à la construction d’un récit
convaincant, non seulement parce qu’il rend compte d’une crédibilité, mais parce qu’il
introduit une certaine sympathie des personnages. L’univers du héros est ici galvanisé
parce qu’il porte symboliquement les emblèmes de l’armée et qu’il correspond à un
attribut. Il est le modèle par excellence du médaillé, récompensé pour sa bravoure.
Toutefois, le profil social du héros est éclairé notablement à la lumière de ses qualités
humaines, valeurs anoblies par le récit. Il est accessible et ordinaire (vidéo 5), il se livre à
la caméra (vidéo 1 et 4), se transpose à travers les générations futures (vidéo 2) ou à des
principes d’action (vidéo 3). Il s’agit de construire alors des prototypes de personnalités
organisationnelles idéaux qui inspireraient les membres de l’organisation à poursuivre les
mêmes objets que ces héros, objets à la fois symboliques et imaginaires. Ces objets du
désir et de la quête sont alors accessibles grâce aux modèles de valeurs que nous
fournissent ces héros dans l’histoire, ils font écho à une expérience individuelle réalisable
et accessible, et non pas à des odyssées mythologiques.
Le sens qui est proposé par la recherche de reconnaissance, par le statut ou la compétence
se reconnaît à la fois à l’intérieur du groupe d’individus et plus généralement par la
société de travail. L’objet est donc lui aussi porteur d’une éthique, qui permet à la fois de
s’intégrer comme le héros ou de se faire reconnaître. La dimension imaginaire quant à
elle, permet de tracer un espace pour que ces valeurs sublimées par le héros deviennent
un continuum dans l’environnement de travail, une porte ouverte aux opportunités qui
111
sont présentées par le récit. La communication narrative encourage alors la notion
d’éthique et de responsabilité pour que les membres atteignent des valeurs émancipatrices
qui libèrent de l’asservissement routinier souvent manifesté par ces trois mots : individu –
travail – contrainte.
L’ethos permet donc de se projeter dans l’histoire en embrassant les mêmes aspirations
que le sujet-héros ou que le narrateur, en donnant une légitimité aux valeurs dans
l’organisation pour que celles –ci soient consenties comme émancipatrices et émérites.
Ces valeurs deviennent alors des archétypes, des représentations dans lesquelles la
collectivité peut se reconnaître et grâce auxquelles toute l’histoire se forme et gravite.
b) La formulation du pathos
Le pathos permet de favoriser le passage de l’histoire, le degré affectif est lié à la
façon dont est formulée la mise en récit. Une belle histoire se construit par la force des
émotions, cela dit chacun possède son propre espace de représentation. Le pathos doit
pouvoir permettre d’étendre la conscience de l’auditoire au-delà de l’espace de chacun, et
connecter ainsi le public à un niveau émotionnel fort.
L’axe communicationnel qui est proposé dans la vidéo 2 Marsouin Toujours repose sur
une suite d’événements intenses abordant la vie et la
mort. Il interpelle nos émotions par l’imagination du
soi face à de telle réalité, par l’empathie éprouvée
face à ces soldats. L’implication subjective du
spectateur peut donc être élevée, d’autant que ce
recours est utilisé pour intensifier le registre
dramatique autour du sujet- héros.
51. 00 : 08 : 58 vidéo 2 Marsouin
Toujours
Ces histoires s’inscrivent dans une démarche qui élève le récit au-delà des informations
factuelles. Recourir à des thématiques plus théâtrales et sensationnelles qui imposent une
distance avec la matérialité, permet d’atteindre la notion de légende ou de mythe.
D’autant que dans ce cas, l’histoire est fondatrice et revient aux sources, aux racines de
112
l’organisation. Elle sert d’autres histoires, et devient le point d’appui grâce auxquelles les
récits parallèles se réfèrent. L’équilibre doit être par contre justement formulé afin que la
sensibilité due à la vérité soit préservée. L’expérience émotionnelle doit donc être dotée
d’un sens, dessiné à la fois par l’ethos et le logos. Le propos doit être signifiant et
vraisemblable et doit témoigner de faits avérés afin de laisser place à l’émotion.
La métaphore peut elle aussi rendre compte d’une histoire à fort degré de résonnance
émotionnelle, parce qu’elle implique une distance à la réalité par l’imagination et
l’illustration. C’est une valeur sûre qui concède un message indirect dont l’évocation est
sous entendue, mais parsemée de significations. La métaphore sportive par exemple,
utilisée dans la vidéo Premier Pas, bien qu’elle soit assez classique en communication
organisationnelle, rappelle des notions authentiques de dépassement de soi, de courage,
du respect des règles ou d’esprit d’équipe. Elle habille le message de visions
universellement partagées dont l’implication émotionnelle rejoint une appréciation de la
collectivité. Elle est naturellement comprise et présente l’intérêt d’être beaucoup plus
marquante étant donné qu’elle ponctue l’histoire de perceptions saisissantes.
L’expérience esthétique, la tension, la curiosité, le suspens à l’intérieur du récit sont mis à
profit dans le cadre du storytelling pour persuader à agir, à réévaluer les perceptions et les
valeurs que nous portons à l’égard de l’environnement salarial. Elle se tourne alors vers
une certaine liberté de pouvoir se glisser dans le récit, et d’occuper la place du sujet. Le
pathos initie une forme d’engagement, d’abord émotionnel puis, dans un second temps
objectif. Le storytelling incite ainsi l’esprit de coopération et le sentiment d’appartenance
parce qu’il est d’ordre affectif et qu’il renvoie à la représentation que l’individu se fait de
lui-même dans la société, confronté perpétuellement au regard des autres.
e) L’exposition du logos
La structure narrative appliquée au storytelling fait appel à une logique, un logos
qui s’adresse au bon sens, à la cohérence d’une histoire bien ficelée. Elle prend en compte
des éléments de vraisemblance sans quoi l’histoire ne tiendrait pas debout, mais elle
n’appelle pas au raisonnement pur et absolu. Le storytelling invite à admettre par le
113
truchement du récit une histoire bien faite, et à se laisser porter par les tensions qu’elle
implique, les émotions qu’elle disperse. Elle conduit alors instinctivement sur des sentiers
que l’on connaît, que l’on a foulé cent fois et que l’on continu de fréquenter
machinalement. Son schéma est simplement construit pour que le spectateur, le
consommateur, l’employé ou le membre de l’organisation rentre dans une intrigue
cohérente, qui est elle-même au service de l’entreprise, au service de sa communication,
au service d’un objectif stratégique et managériale. La logique devient donc programmée
et intentionnelle, elle reconduit une constance souhaitée par l’organisation.
La vidéo Premier Pas s’adresse au recrutement des jeunes dans l’armée de terre, nous
l’avons vu. Elle exploite l’idée selon laquelle, bien souvent, l’armée est perçue comme
une institution de la dernière chance dans laquelle une voie de promotion sociale est
possible si l’on se conforme aux règles institutionnelles et militaires.
Le héros présenté sous les traits de la recrue Delvaux possède toutes les caractéristiques
permettant de s’identifier au sujet. Il est le modèle incarnée dont l’armée a besoin pour
agrandir le nombre de ses agents. Il représente le jeune qui se sent perdu, sans
perspectives d’avenir professionnel et ouvert aux opportunités fiables, notamment parce
qu’il est volontaire. Ce qui le rend valable et cohérent, c’est sa représentation stéréotypée
et vraisemblable du jeune qui sort se divertir, fait du sport et veut s’émanciper du cocon
familial. On peut alors s’identifier à lui car il reflète une cible à part entière, il est
identique à des milliers de jeunes de son âge en quête d’avenir. Il correspond de plus au
profil que souhaite recruter l’organisation. Quiconque se reconnaîtra à travers lui est
susceptible alors, comme le héros, de s’intégrer par l’effort et le désir de réussite dans un
cadre bienveillant, celui de l’armée.
Le storytelling propose ou impose cette identification, permettant ainsi au spectateur,
dans le cadre de ces vidéos, d’entrevoir les valeurs adjuvantes à la culture
organisationnelle.
Dans cette vidéo intitulée Premier Pas, la présentation du cadre de l’armée dans ce
processus de quête est alors l’objet communicationnel dont le storytelling se sert pour
montrer ses valeurs, son ouverture aux jeunes.
114
En tant qu’actant, l’objet du désir dans la construction de la communication narrative
représente le produit que l’on souhaite vendre, l’idée que l’on veut transmettre. Dans
cette vidéo, c’est alors la possibilité de se réaliser dans un projet de vie personnel qui
devient l’objet, répondant d’ailleurs à une logique de stratégie communicationnelle
encore valable aujourd’hui. En témoigne le slogan de la campagne de recrutement lancée
en 2010, « Devenez-vous-même » qui implique en sous entendu « Engagez-vous dans
l’armée ». A l’image de cette vidéo institutionnelle de recrutement, l’information est
implicite, elle est insérée à l’histoire en revêtant les traits de la structure narrative.
De ce fait, si le format narratif s’utilise ici dans le cadre d’une communication interne,
c’est pour montrer comment la culture organisationnelle tient une place prépondérante
dans une organisation, qu’elle en est la toile de fond. C’est pourquoi si le but est de
recruter, l’histoire doit être logiquement celle qui reflète au mieux la vie en communauté,
la cohésion sociale et l’épanouissement de l’identité organisationnelle. L’opposant
incarnera au contraire ce qui peut nuire à la mise en pratique de cette idée, comme
l’individualisme et le laisser aller dans le cadre d’une formation ou d’un apprentissage
conditionné aux valeurs de l’organisation.
La logique narrative place le récit dans la formulation et la communication de la stratégie
de l’organisation. Cette argumentation narrative est lissée, le message est diapré par le
rayonnement du pathos, de l’ethos et de la structure narrative. Cela dit, elle reste
reconnaissable et reflète distinctement la mission auxiliaire de l’organisation : offrir une
reconnaissance sociale.
115
Conclusion
116
A travers les âges et les cultures, le monde n’a cessé de se construire grâce à des
histoires et des récits, des contes et des épopées afin de léguer à l’humanité un passé, un
patrimoine, des modèles de référence et bien d’autres objets de l’élévation individuelle et
collective. Les histoires sont liées à l’homme, et cette réalité ne peut être mise en doute.
En s’emparant des préceptes séculaires du récit, le storytelling est devenu un objet de
communication d’un genre nouveau, à dimension humaine, dont la dynamique de
réception est devenue un réel vecteur de performance. Ses schémas narratifs et sa
structure proposent des applications propices à la réception active d’une audience. En
intronisant les résonnances sacrées de la narration, le storytelling invite à une approbation
du discours, à un engagement des émotions, à une motivation de la conscience.
A travers ce mémoire, il a été question de comprendre en quoi ce modèle de
communication pouvait transmettre la culture organisationnelle. J’ai tenté d’y répondre
en discernant, grâce à une approche analytique des contenus vidéographiques
d’entreprise, quelques voies d’interprétation.
Ainsi, s’il est vrai que les histoires reportent sur nos perceptions un équilibre favorable à
l’expression de nos émotions, elles disséminent aussi des archétypes rassurants et
empreints de sagesse et de distinction, dont la stature appelle au désir d’incarner autre
chose que soi-même. Le héros, le décor, la quête d’un objet pouvant réguler les conflits,
l’angoisse et l’incertitude, deviennent les structures d’un discours qui
engage à la
transcendance, en dépassant l’horizon quotidien, en pénétrant nos émotions.
Dans le domaine de la communication interne, les actions du storytelling s’inscrivent
dans une intentionnalité portée vers l’humain et son sens social, nous l’avons vu. C’est
parce que la communication narrative engage la morale et l’affect, parce qu’elle permet
de rappeler la dimension humaine des histoires à l’intérieur d’une structure, qu’elle
devient garante d’une réceptivité touchant l’individu sur sa propre condition. Le
storytelling est donc un outil qui permet à l’homme autant qu’au membre de
l’organisation de développer, d’épanouir certaines composantes de sa personnalité au
regard d’une construction narrative retentissant comme l’écho d’un contexte personnel et
117
professionnel, comme le reflet d’une expérience individuelle. L’histoire est construite
pour lui, orientée vers des modèles culturels qu’il côtoie dans sa sphère quotidienne de
travail. Elle se sert donc naturellement de ce qui conditionne son attachement au travail et
à son statut, à savoir la culture dans l’organisation. Bien plus qu’un simple formatage, le
storytelling au service de la culture ouvrirait la voie à l’interpénétration de l’imaginaire et
du sens, dans un contexte social.
Par ailleurs, son usage ne semble pas être une fin en soi. Le storytelling est un outil de
communication qui encourage implicitement les membres de l’organisation à devenir des
ambassadeurs de cette culture, en incarnant les personnages des fictions qu’il propose, la
mémoire à transmettre. C’est alors une continuité culturelle qu’il suggère.
Le storytelling est un médium qui permet d’ouvrir la réflexion, de se représenter des
valeurs qui touchent l’individu dans son implication à la communauté. Il est efficace pour
orner la représentation de la culture d’entreprise car il touche les points sensibles de la
quête identitaire et de la reconnaissance, des liens communautaires et de l’émotion. Il
participe à compléter et à enrichir le sens social préétabli dans la communauté de travail
par sa vocation humaine, s’il reste toutefois en accord et en cohérence avec celui-ci.
Les récits sont donc des représentations de notre monde, ils sont composés de vérités
brodées d’images introspectives et de réel afin que l’individu les approuve comme
familière, et leur accorde du sens. Une histoire bien faite, avérée et cohérente ouvre la
porte des perceptions aux hommes notamment parce qu’ils sont indubitablement guidés
par l’émotion, et par le lien à l’autre. L’affect en est alors le point d’ancrage.
Toujours est-il qu’en adoptant un point de vue critique, il est possible de penser que ces
schémas restent dans le fond assez manipulateurs. En tant que soumission à des
représentations identitaires, le storytelling dans la communication d’entreprise pourrait
être envisagé comme une simplification contrefaite de la réalité, une arme à manipuler les
esprits autour de croyances, un arsenal permettant de colporter des schémas fallacieux...
Un pilotage de la communication interne en somme, pour maintenir des valeurs, une
stratégie de communication au service de l’organisation qui ordonnerait les mérites pour
lier les intérêts du salarié à ceux de l’entreprise.
118
J’aimerais alors pouvoir répondre que l’auto-détermination et le libre-arbitre sont la
source du mécanisme qui va régir l’interprétation des valeurs du discours narratif et
stratégique de l’entreprise. Tout comme nous savons que la culture est l’objet d’une
volonté, et qu’elle est issue d’une co-construction des acteurs de l’organisation. Dans ce
sens, il s’agit bien de croire en elle pour qu’elle soit efficiente et véritablement ancrée aux
mentalités.
Mais il faudrait partir sur de nouvelles trajectoires de recherche pour étayer cette
hypothèse. Une seconde approche du sujet pourrait permettre par exemple de démontrer
que le storytelling est un support en accord avec des principes libertaires de
l’interprétation, et de l’émancipation sociale, qu’il conduit à une représentation des
modèles culturels si une culture est déjà préexistante, notamment dans le domaine de
l’entreprise.
Les limites de cette recherche sur le storytelling en tant que vecteur des prérogatives de la
culture et du lien social se précisent donc ici. Compléter mon approche documentaire par
une compréhension plus aboutie de la sociologie des structures et de ses interactions, afin
d’aller plus loin dans la compréhension des mécanismes pourrait être intéressant. Pour
cela il faudrait alors enrichir la recherche par une méthodologie plus engagée, vers une
portée psychosociologique par exemple, ou en ouvrant le terrain de recherche à des
enquêtes de réception.
Le storytelling envisagée comme un outil de la quête sociale mérite donc encore bien
d’autres attentions, d’autant qu’il occupe des sphères communicationnelles bien plus
conséquentes que le contexte entrepreneurial. Tournons nous alors vers des applications
contemporaines pour comprendre l’omniprésence des histoires dans nos vies, comme
empreinte et stigmate d’une société destituée de symboles collectifs et œcuméniques…
119
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Vidéo 2 01 - 7 - 004 Marsouin Toujours, 2001, ECPAD France, France, 13 min 18.
Réalisateur : Jean-Marc MEA, Production : LV Eric Wacongue, Techniciens : Kevin
Bernard, Alain Dussert, Claude Mounier, Jean Noel Pillet, Alexandre Catrain, Arnaud
Rosenstigl, Monique Wisnieswski, Jean Negroni.
Vidéo 3 00 - 7 - 97 Au cœur de l’Armée de terre, les métiers de commandements, 2000,
ECPAD France, 05 min 40. Réalisateur : Cédric Boisset, Production : SLT Stéphanie
Sublemontier, Techniciens : CCH Alexis Martzolf, CM Oliver Bartolomeo, BCH Jeremy
ARNAUDY, PM Thierry Anne, SCH Vincent Begon, Eric Gandois, Kévin Benard,
Benoit Dufeutrelle, Jean Noel Pillet, Alexandre Catrain, Arnaud Rosenstigl, ADH
Philippe Casanova, ADJ Christophe Telliez, Monique Wisnieswski, Claude Dodeler.
Vidéo 4 JDD – 2007- 005, 2007, ECPAD France, 02 min 52.
126
Vidéo 5 02-7-018 Premier Pas, 2002, ECPAD France, 18 min 25. Réalisateur : Cédric
Boisset, Production : SLT Stéphanie Sublemontier, Techniciens : Raymond Greliche,
Eric Gandois, CAL Mathieu Colin, Monique Wisnieswski, Sébastien Rossignol.
Acteurs : Samuel Dupuy, Erik Maillet, Jean Baptiste Puech, Yann Reuzeau, Julien
Guyomard, Maia Guente.
127
Annexes
128
FICHES TECHNIQUES DU CORPUS VIDEOGRAPHIQUE
Titre
Vidéo 1 DOC JDD- 2007- 004
Durée
00:02:05 min
Année de création
2007
Réalisation
Producteur du projet
Genre
Type d'acteurs
Type d'action/ de situation
Objectif
Structure de la vidéo
Interview témoignage
Salariés
Présentation carrière
Film informatif et institutionnel
Reportage Journal de la Défense
129
Titre
Vidéo 2 01 - 7 - 004 Marsouin Toujours
Durée
00:13:18 min
Année de création
Réalisation
Chargé de Production
Images
Animation 3D
Barc-Titre
Montage
Mixage
Infographie
Montage son
Illustration musiacle
Narration
Genre
Type d'acteurs/ personnages
Type d'action/ de situation
Objectif
Structure de la vidéo
Période de réalisation
Copyright
2001
Jean-Marc MEA
LV Eric WACONGNE
RFO Guyanne Paris Maurice TIOUKA Gilles RAMON
Kevin BERNARD
Alain DUSSERT
Claude MOUNIER
Jean Noel PILLET
Alexandre CATRAIN
Arnaud ROSENSTIGL
Monique WISNIESWSKI
Jean NEGRONI
Documentaire
salariés
Présentation carrière
Film informatif et institutionnel
archives ECPA 9e Rima
2001
ECPAD France 2001
130
Titre
Durée
Année de création
Réalisation
Chargé de Production
Images
Photographie Plateaux
Story border
Animation 3D
Montage
Mixage
Infographie
Montage son
Son
Illustration musicale
Chef Lumière
Genre
Type d'acteurs/ personnages
Type d'action/ de situation
Objectif
Structure de la vidéo
Période de réalisation
Copyright
Vidéo 3 00 - 7 - 97
Au cœur de l’Armée de terre, les métiers de
commandements
00 :05 :40 min
2000
Cédric BOISSET
SLT Stéphanie SUBLEMONTIER
CCH Alexis MARTZOLF
CM Oliver BARTOLOMEO
BCH Jeremy ARNAUDY
PM Thierry ANNE
SCH Vincent BEGON
Eric GANDOIS
Kévin BENARD
Benoit DUFEUTRELLE
Jean Noel PILLET
Alexandre CATRAIN
Arnaud ROSENSTIGL
ADH Philippe CASANOVA
ADJ Christophe TELLIEZ
Monique WISNIESWSKI
Claude DODELER
Clip images- son
salariés
Présentation des moyens de communication
Film informatif et pédagogique
ECPA
2000
ECPAD France 2000
131
Titre
Vidéo4 JDD – 2007- 005
Durée
00 :02 :52 min
Année de création
2007
Réalisation
Chargé de Production
Genre
Type d'acteurs/ personnages
Type d'action/ de situation
Objectif
Structure de la vidéo
Période de réalisation
Copyright
Interview témoignage
Salariés
Présentation de carrière et d’un ouvrage
autobiographique
Film informatif et Institutionnel
Reportage Journal de la Défense
2007
ECPAD France 2007
132
Titre
Durée
Année de création
Vidéo 5 02-7-018
Premier Pas
00 :18 :25
2002
Réalisation
Cédric BOISSET
Ecrit par
Marc FITOUSSI
Chargé de Production
Directeur photographie
Story border
Montage
Son
Genre
Type d'acteurs/ personnages
Type d'action/ de situation
Objectif
Période de réalisation
Copyright
SLT Stéphanie SUBLEMONTIER
Raymond GRELICHE
Eric GANDOIS
CAL Mathieu COLIN
Monique WISNIEWSKI
Sébastien ROSSIGNOL
Fiction
Acteurs professionnels et salariés
Recrutement dans l’armée de terre
Film de recrutement
2002
ECPAD France
133
Grammaire de THORNDYKE,
Extrait de : DEBRAY Q., PACHOUD B. (sous la direction de), KEKENBOSH
C., Le récit, aspects philosophiques, cognitifs et psychopathologiques,
Paris, Ed. Masson, 1992, 126 pages.
134
Schéma actanciel de GREIMAS,
GREIMAS A.- J., Sémantique structurale, recherche et méthode, Paris, Ed.
PUF, 2002, 263 pages.
135