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55-Cover-FR.qxd 15/11/2002 15:42 Page 1 Cahiers de Chaillot Octobre 2002 n° 55 Quel modèle pour la PESC ? Hans-Georg Ehrhart 55-Cover-FR.qxd 15/11/2002 15:42 Page 2 En janvier 2002, l’Institut d’Études de Sécurité (IES) est devenu une agence autonome de l’Union européenne, basée à Paris. Suite à l’Action commune du 20 juillet 2001, il fait maintenant partie intégrante des nouvelles structures créées pour soutenir le développement de la PESC/PESD. L’Institut a pour principale mission de fournir des analyses et des recommandations utiles à l’élaboration de la politique européenne. Il joue ainsi un rôle d’interface entre les experts et les décideurs à tous les niveaux. L’IESUE succède à l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, auquel une décision du Conseil de l’UEO avait donné naissance en 1990 afin de catalyser le débat européen en matière de sécurité. Les Cahiers de Chaillot sont des monographies traitant de questions d’actualité et écrites soit par des membres de l’équipe de l’Institut soit par des auteurs extérieurs commissionnés par l’Institut. Les projets sont normalement examinés par un séminaire ou un groupe d’experts réuni par l’Institut et sont publiés lorsque celui-ci estime qu’ils peuvent faire autorité et contribuer au débat sur la PESC/PESD. En règle générale, la responsabilité des opinions exprimées dans ces publications incombe aux auteurs concernés. Les Cahiers de Chaillot peuvent également être consultés sur le site Internet de l’Institut : www.iss-eu.org 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 1 Cahiers de Chaillot Octobre 2002 n° 55 Traduit de l’anglais la version originale est également disponible Quel modèle pour la PESC ? Hans-Georg Ehrhart Institut d’Etudes de Sécurité Union européenne Paris 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 2 L’auteur Hans-Georg Ehrhart est chercheur et chef adjoint du département chargé de la sécurité européenne à l'Institute for Peace Research and Security Policy de l'université de Hambourg. Il est également membre du réseau Team Europe de la représentation de la Commission européenne en Allemagne. Il a été visiting fellow à Bonn, Paris et Kingston (Canada), pour travailler sur divers aspects de la problématique de la paix et de la sécurité. Ses nombreuses publications portent sur le désarmement, le maintien de la paix, la prévention des conflits, la politique post-soviétique, les relations franco-allemandes, et sur la politique européenne de sécurité et de défense. Institut d’Etudes de Sécurité Union européenne Paris Directeur : Nicole Gnesotto © Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne, 2002. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. ISSN 1017-7574 Publié par l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne, imprimé à Alençon (France) par l’Imprimerie Alençonnaise, conception graphique : Claire Mabille (Paris). 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 3 Sommaire 1 2 n° 55 octobre 2002 Préface Nicole Gnesotto 5 Introduction 7 Un modèle - pourquoi et lequel ? • Les différents modèles pour le rôle international de l’UE • Le nouveau dilemme de sécurité • Un acteur de sécurité coopérative 10 Evaluation et recommandations • Dimension normative • Prévention des conflits • Instruments et institutions • Culture opérationnelle • Coopération avec l’OSCE /ONU 23 Conclusion 69 Annexes • Sigles • Bibliographie 74 10 14 19 23 28 38 54 61 74 76 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 4 Page 4 55-text-FR.qxd 15/11/2002 Préface 15:30 Page 5 Nicole Gnesotto urope espace ou Europe puissance ? Puissance civile ou puissance militaire ? Ces alternatives ont, pendant de longues années, encadré les débats sur la finalité de l'intégration européenne et le mode d'action de l'Union sur la scène internationale. Certes, il s'agissait là de deux modèles extrêmes permettant chacun de nourrir et de légitimer une certaine forme d'action extérieure de l'Union. Chacun s'alimentait de cultures et d'héritages historiques différents selon les Etats membres - choix de l'interventionnisme militaire chez les uns, politique plus abstentionniste chez les autres - tout en reflétant des conceptions divergentes des relations à établir entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'une part, entre l'Union et la notion même de puissance d'autre part. Mais, en tant que modèles conceptuels, ils ont sans aucun doute servi, avec d'autres variantes comme la notion de puissance normative ou les concepts de sécurité collective, à décrypter l'ensemble des positions, des plaidoyers et des réticences des Etats membres sur l'avenir de l'Union comme acteur international. Le Traité de Maastricht représente sans doute la synthèse la plus ambiguë mais aussi la plus harmonieuse possible de ces visions de la PESC dans le monde. Dix ans plus tard, l'Union se trouve confrontée à l'obligation de réorienter sa politique étrangère, de sécurité et de défense commune à l'aulne de deux facteurs majeurs d'évolution : l'imminence de l'élargissement et la transformation de la violence internationale. Alors que le spectre du terrorisme plane sur la sécurité des citoyens européens et que les opinions publiques sont en demande de sécurité européenne accrue, la Convention est entrée dans un exercice de révision globale des objectifs, des moyens, des procédures et des missions de ce que sera une politique étrangère et de défense commune à 25. S'il est difficile de présager aujourd'hui du modèle européen qui émergera de l'ensemble de ces évolutions, au moins peut-on sans grand risque prédire la fin des deux modèles extrêmes d'il y a vingt ans. Ni grande puissance absolue où tous les Etats seraient toujours d'accord pour intervenir ensemble sur tout, ni simple espace civil de coopérations nationales arbitraires et réversibles, l'Union a d'ores et déjà dépassé le faux dilemme de l'omnipotence ou de l'inexistence en matière internationale. Mais pour devenir quoi ? C'est à cette interrogation sur ce que pourrait être un modèle de PESC que se consacre Hans-Georg Ehrhart, senior visiting fellow à l'Institut en automne 2001 et actuellement chef adjoint du département chargé de la politique européenne en matière de sécurité de l'Institute for Peace E 5 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 6 Préface Research and Security Policy de Hambourg. La notion de sécurité coopérative constitue l'épine dorsale de cette réflexion. En confrontant systématiquement les principes de l'action extérieure de l'Union et les acquis récents de la PESC et de la PESD, l'auteur propose un concept de politique étrangère fondé sur une conception globale - civile et militaire - et une approche multidimensionnelle de la sécurité de l'Union. A l'heure où les nuages s'accumulent sur la sécurité de l'ensemble de la planète, où les principes mêmes du système international - la régulation multilatérale, le respect du droit, la codification minimale de l'usage de la force - sont susceptibles d'être remis en question, ce Cahier de Chaillot maintient le cap de l'exigence démocratique en matière de politique étrangère et revendique un modèle d'Union européenne capable de réconcilier le réalisme de la puissance et la fidélité aux valeurs constitutives du projet européen lui-même. Paris, octobre 2002 6 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 7 Quel modèle pour la PESC ? Introduction Selon un sondage d’Eurobaromètre publié en juillet 2001, les Européens sont de plus en plus sceptiques ou indifférents à l’égard du processus d’intégration européenne1. Devant ces résultats, les ministres des Affaires étrangères de l’UE ont reconnu « qu’un abîme s’est ouvert entre les citoyens européens et leurs institutions »2. Le mécontentement de l’opinion publique est particulièrement fort dans les quatre principaux pays membres, notamment sur la façon dont l’UE est gérée3. Selon le ministre belge des Affaires étrangères, Louis Michel, « le lien entre les objectifs et l’action que mène l’Union au moyen de ses différentes politiques n’apparaît plus clairement »4. C’est dans ce contexte que les chefs d’Etat et de gouvernement ont exprimé leur souhait (dans une annexe au Traité de Nice) de lancer un débat public général sur l’avenir de l’UE5. Ils ont expressément défini quatre missions – principe de subsidiarité, Charte des droits fondamentaux, simplification des traités et rôle des parlements nationaux – sans mentionner pourtant la Politique européenne de Sécurité et de Défense (PESD). L’année suivante, le Conseil européen décidait de réunir une convention afin de garantir « une préparation aussi large et transparente que possible de la prochaine Conférence intergouvernementale »6. Dans la Déclaration de Laeken annexée, les questions concernant la PESC (Politique étrangère et de Sécurité commune) et la PESD étaient, là encore, à peine évoquées, chose d’autant plus curieuse que l’importance de la PESC pour l’UE est généralement reconnue. Pour le Secrétaire général/Haut représentant (SG/HR) de l’UE, Javier Solana, la PESD est, après le succès de l’introduction de l’euro, le principal projet d’intégration de l’UE de cette décennie7. Le débat est d’autant plus nécessaire que les objectifs initiaux de ce projet – maintien de la paix, stabilité et prospérité – courent le risque de disparaître de la mémoire collective8. 1. Eurobaromètre 55 (printemps 2001), IP/01/1005, Bruxelles, 17 juillet 2001. 2. International Herald Tribune, 20 juillet 2001, p. 1. 3. Dans un sondage réalisé pour Le Monde en décembre 2000, 54% des Italiens n’étaient pas très, voire pas du tout, satisfaits de la manière dont l’Union européenne se construit actuellement, 13% de moins par rapport à l’année précédente. Pour les trois autres grands pays, les pourcentages sont les suivants : Allemagne 61 (51), France 61 (49), RoyaumeUni 54 (50). Voir Le Monde, 16 janvier 2001, p. 4. 4. Discours du ministre des Affaires étrangères, Louis Michel, devant le Conseil Affaires générales le 16 juillet 2001, www.euconvention.be/contributions/bynamedetailFR.asp?ID=. 5. Voir « Déclaration sur l’avenir de l’Union », Traité de Nice, Journal officiel des Communautés européennes, 2001/C 80/85. 6. Conseil européen, Laeken, « Conclusions de la présidence », 14 et 15 décembre 2001, SN 300/01, p. 1. 7. Voir Javier Solana, « Die Gemeinsame Europäische Sicherheits – und Verteidigungspolitik – Das Integrationsprojekt der nächsten Dekade », Integration, 1/2000, p. 1. 8. Voir Louis Michel, op. cit. 7 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 8 Quel modèle pour la PESC ? Ce débat ne doit pas, pour l’instant, inquiéter les responsables politiques, l’opinion publique semblant soutenir dans une large mesure le développement de la PESC, y compris son volet défense. Dans un contexte où l’intégration européenne en général suscite de plus en plus de scepticisme, c’est l’exception qui confirme la règle. Selon une enquête Eurobaromètre effectuée en automne 1999, peu après l’intervention internationale au Kosovo, les missions de maintien de la paix et les arrangements de sécurité arrivaient en seconde place des priorités attribuées à l’Union, avec 89%, un point seulement de moins que la lutte contre le chômage9. Le sondage de mi-2001 confirme l’augmentation de ce soutien à la fois pour la PESC (65%) et pour la PESD (73%). Depuis le printemps 1995, cet appui est passé de 60 à 68%, et de 60 à 75% respectivement10. Ces pourcentages montrent que la PESC/PESD est l’une des politiques européennes les plus populaires et que l’opinion publique accepte le principe de son développement. Mais les chiffres restent muets sur le type de politique étrangère à promouvoir. Cette question délicate a été tragiquement mise en exergue par les attaques terroristes du 11 septembre 2001. Un sondage d’opinion dans l’ensemble de l’UE sur la crise internationale engendrée par ces événements a révélé un soutien mitigé à l’envoi de troupes en Afghanistan (48% pour, 43% contre). En revanche, l’enquête a montré que l’opinion était très favorable à la fourniture d’aide humanitaire (90%), à une action préventive empêchant la contagion aux autres pays (85%), à la restauration de la démocratie (84%) et au financement de la reconstruction (70%)11. Le débat sur la PESC/PESD doit porter sur tout un éventail de questions. Il faut se demander quel type de sécurité recherche l’UE et comment son approche de la sécurité s’est adaptée aux changements du contexte international depuis la fin des années 1980, notamment aux événements du 11 septembre. Comment mettre en œuvre les principaux objectifs de la PESC et quelle importance attacher à une politique efficace de prévention des conflits ? Quel rôle les militaires sont-ils susceptibles de jouer dans la gestion des crises internationales ? Quels autres instruments sont nécessaires pour la prévention et la gestion des crises ? Il s’agit donc ici essentiellement de savoir quelle sorte de rôle l’UE devrait aspirer à jouer sur la scène sécuritaire internationale. 9. Voir Commission européenne, Les Européens vus par eux-mêmes. Les enseignements des sondages d’opinion, Office des publications officielles des Communautés européennes, Luxembourg, 2001, p. 33. 10. Ibid. p. 37 et Eurobaromètre 55, op. cit. 11. http://europa.eu.int/comm/ dg10/epo/flash/fl114_ip_en.ht ml. 8 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 9 Introduction Pour répondre à cette interrogation, le rôle de l’UE ne sera pas considéré dans ce Cahier sous l’angle de ses différents Etats membres, mais du point de vue structurel et fonctionnel12. Nous commencerons par analyser rapidement les différents modèles possibles pour l’UE – puissance civile, militaire ou normative – et l’impact de la nouvelle donne internationale sur les futurs défis de sécurité. Face à ces défis, il est suggéré ici que l’UE devrait devenir un « acteur de sécurité coopérative ». Ce modèle se fonde sur un ensemble de critères permettant de vérifier dans quelle mesure l’UE lui ressemble et ce qu’elle peut faire pour s’en rapprocher. 12. Voir Roy H. Ginsberg, Conceptualizing the European Union as an International Actor, Journal of Common Market Studies, 3/1999, pp. 429-454. 9 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 10 Un modèle – pourquoi et lequel ? Quel modèle pour la PESC ? 1 Les différents modèles pour le rôle international de l’UE Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la construction européenne et plusieurs modèles conceptuels pour son développement ont évolué côte à côte. Ces modèles ont abouti à toutes sortes d’intérêts politiques, de conceptions et de principes normatifs concurrents de l’ordre international. Par exemple, à l’époque du Congrès de La Haye et de la création du Conseil de l’Europe en 1948, l’idée d’Etats-Unis d’Europe a vu le jour. Puis est apparue la notion d’intégration européenne, qui a rapidement absorbé plusieurs autres concepts de l’Europe, considérée à la fois comme un processus et comme un objectif politique. Les modèles d’Europe fédérale et confédérale, que ce soit leurs versions libérale, conservatrice ou socialiste, ont suscité bien des controverses13. Le débat sur le rôle international de la CE/UE14 pendant les années 1970 à 1990 ainsi que les modèles de référence correspondants ont évolué en fonction du contexte international et du stade atteint par l’intégration européenne. Au cours de cette période, trois modèles de rôle international de l’UE ont été examinés. Puissance civile 13. Voir Heinrich Schneider, Leitbilder in der Europapolitik. Der Weg zur Integration, Verlag für Europäische Politik, Bonn, 1977. C’est François Duchêne qui, au début des années 1970, a rendu populaire le modèle de puissance civile pour l’UE15. Il a très justement affirmé que, dès le départ, l’idée d’intégration européenne comprenait deux aspects fondamentaux : l’un privilégiait la réconciliation entre les anciens ennemis et d’éventuelles contributions à la paix mondiale, l’autre se fondait sur la volonté de puissance. Le contexte international de l’époque se caractérisait entre autres par une concurrence économique croissante entre l’Europe occidentale et les Etats-Unis, ainsi que par la normalisation des relations 14. C’est le sigle UE qui sera utilisé ici. 15. François Duchêne, « The European Community and the Uncertainties of Interdependence », dans Max Kohnstamm et Wolfgang Hager (dir.), A Nation Writ Large? Foreign Policy Problems before the European Community, Macmillan, London, 1973, pp. 1-21. 10 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 11 1 Un modèle – pourquoi et lequel ? avec l’Union soviétique. Le processus d’intégration européenne entrait en outre dans une nouvelle phase grâce aux efforts entrepris pour créer une union politique et à l’élargissement de l’UE au Royaume-Uni, à l’Irlande et au Danemark. Pour l’auteur, l’UE était parvenue à un carrefour où elle devait choisir la voie à suivre. Trois options étaient possibles : superpuissance, neutralité et puissance civile. F. Duchêne avait une préférence pour l’Europe en tant que puissance civile. Il partait du principe que l’Europe n’était pas capable de se défendre durablement et que l’interdépendance économique croissante nécessitait une gestion collective par les puissances dirigeantes. Pour devenir un acteur respecté, l’UE devait devenir plus cohérente, y compris dans le domaine de la sécurité. L’objectif n’était pas de remplacer la garantie sécuritaire des Américains, mais de la renforcer afin de décourager d’éventuelles tentations soviétiques et la propension des Etats-Unis à exercer des pressions économiques en échange de leur sécurité. L’UE allait surtout devenir un acteur collectif qui mettrait en œuvre des actions communes à l’intérieur et à l’extérieur de la communauté. Elle se caractérisait par la nature civile de ses moyens et de ses objectifs. Pour « vendre » ce modèle, F. Duchêne soulignait trois spécificités : le « génie politique » de la culture de l’Europe occidentale ; la situation unique de l’Europe, ruinée aussi bien politiquement que militairement par les deux guerres mondiales (la population était donc la moins militarisée du monde) ; enfin, le statu quo nucléaire et sa double conséquence – dévalorisation de la puissance militaire et renforcement des influences civiles, surtout économiques. Puissance militaire Environ une décennie plus tard, Hedley Bull critiquait le concept de l’UE en tant que puissance civile, qu’il considérait comme une « contradiction sémantique »16. A l’époque, l’échiquier international était de plus en plus divisé sur « l’expansionnisme soviétique », la crise des missiles consécutive à la double décision de l’OTAN sur la modernisation nucléaire et l’arms control, l’avenir de la détente et l’« eurosclérose » dont souffrait l’UE. Selon la thèse de H. Bull, qui se fondait sur la vulnérabilité militaire des pays d’Europe occidentale, les Européens devaient « s’efforcer de devenir plus autosuffi- 16. Hedley Bull, « Civilian Power Europe: A Contradiction in Terms? », Journal of Common Market Studies, 1-2/1982-83, p. 149. 11 55-text-FR.qxd 15/11/2002 1 15:30 Page 12 Quel modèle pour la PESC ? sants en matière de défense ou de sécurité »17 pour trois raisons. Premièrement, il existait selon lui une sérieuse divergence d’intérêts entre les deux rives de l’Atlantique dans plusieurs domaines politiques importants. La cause essentielle en était l’incapacité de l’Europe d’assumer une plus grande part du fardeau en matière de défense, ce qui lui aurait pourtant permis d’avoir davantage son mot à dire au sein de l’Alliance atlantique. Deuxièmement, l’Union soviétique continuait de représenter une menace. Par conséquent, si l’Europe occidentale se dissociait de l’Alliance, donc de sa dépendance de Washington, il lui faudrait maintenir elle-même l’équilibre des forces en Europe. Troisièmement, « le premier travail de toute communauté est de garantir sa sécurité »18. Le développement du potentiel militaire européen accélérerait les réformes de l’Europe occidentale et correspondrait à son statut en termes de richesse, de savoir-faire et de position historique. H. Bull posait ensuite plusieurs conditions à une véritable stratégie européenne. Premièrement, l’Europe occidentale devait posséder un minimum de forces de dissuasion nucléaires qui lui soient propres. Deuxièmement, elle devait promouvoir qualitativement et quantitativement ses forces conventionnelles. Troisièmement, l’Allemagne de l’Ouest devait jouer un plus grand rôle en matière de sécurité. Quatrièmement, la France devait rester fidèle à l’approche gaullienne. Cinquièmement, le Royaume-Uni devait changer de politique. Sixièmement, il fallait être très attentif aux réactions des superpuissances. Enfin, les Européens de l’Ouest devaient développer « une forme appropriée d’unité politique et stratégique »19. Puissance normative Le troisième modèle que pourrait adopter l’UE sur la scène internationale est celui de puissance normative. A certains égards, le concept de puissance civile de F. Duchêne fait déjà référence à l’idée fondamentale de diffusion des valeurs civiles et démocratiques. Pour des analystes politiques tels que Johan Galtung, le pouvoir idéologique est le pouvoir des idées. Cela se manifeste dans la culture, et joue un rôle significatif dans l’évaluation du rôle international de l’UE20. Surtout après la fin du conflit Est-Ouest, avec l’apparition de la théorie du constructivisme social dans l’analyse des 17. Ibid., p. 152. 18. Ibid., p. 156. 19. Ibid., p. 163. 20. Voir Johan Galtung, The European Community: A Superpower in the Making?, Allen & Unwin, Oslo, 1973, pp. 33-47. 12 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 13 1 Un modèle – pourquoi et lequel ? relations internationales, les spécialistes se sont beaucoup intéressés à l’étude des normes internationales et à la dimension normative de l’UE21. Ian Manners suggère ainsi que l’UE ne représentait ni une puissance civile ni une puissance militaire, « mais une puissance normative caractérisée par des principes communs »22. Il considère les normes internationales comme « une façon abrégée d’exprimer ce qui passe pour ‘normal’ »23. Autrement dit, une puissance normative se caractérise par sa capacité de façonner des normes de sens commun. La puissance normative de l’UE se traduit par un ensemble de normes élaborées, allant des principes fondateurs classiques (liberté, démocratie, Etat de droit, droits de l’homme) aux objectifs (progrès social, non-discrimination, développement durable), des conclusions du Conseil européen comme les critères de Copenhague aux droits tels que définis dans le projet de Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ces normes n’ont pas seulement un objectif déclaratoire puisqu’elles « présentent les caractéristiques constitutives cruciales d’une politique qui crée une identité supérieure à l’Etat »24. Elles concernent également les relations extérieures de l’UE dans la mesure où elles exercent une influence en dehors de ses frontières. Ces normes définissent ainsi l’identité internationale de l’UE. La question au cœur du débat dans les années 1980 et 1990 était de savoir si l’UE était ou devrait être un acteur international plutôt civil ou plutôt militaire. Selon Panos Tsakaloyannis, l’UE avait déjà perdu son rôle de puissance civile au début des années 198025. Analysant le développement de la PESC/PESD à la fin des années 1990, Karen Smith a conclu que l’UE « abandonne aujourd’hui son image de puissance civile »26. Christopher Hill distinguait quant à lui puissance civile et bloc politique, lequel pouvait utiliser la puissance économique à des fins politiques, mais en aucun cas la force militaire27. Selon le modèle de Hanns Maull, l’UE en tant que puissance civile n’a guère d’autre choix que de maintenir son statut civil. Conscients de la nécessité de coopérer pour atteindre des objectifs internationaux, les Etats membres se concentrent sur les moyens non militaires et considèrent le recours à la force comme l’ultime recours. Ils sont également prêts à développer les structures supranationales afin de traiter les problèmes internationaux les plus graves28. Mais ce concept n’exclut pas totalement l’usage de la force militaire pour défendre les principes de la puissance civile s’il n’y a pas d’autre moyen29. 21. Voir Gert Krell, Weltbilder und Weltordnung. Einführung in die Theorie der internationalen Beziehungen, Nomos, Baden-Baden, 2000, pp. 240-260. 22. Ian Manners, « Normative Power Europe: A Contradiction in Terms? », COPRI Working Papers 38/2000, p. 29. 23. Ibid., p. 32. 24. Ibid., p. 33. 25. Voir Panos Tsakaloyannis, « The EC: From Civilian Power Integration », dans J. Lodge (dir.), The European Community and the Challenge of the Future, Pinter, Londres, 1989. 26. Karen Smith, « The End of Civilian Power EU: A Welcome Demise or Cause for Concern? », dans The International Spectator, n. 2, avril-juin 2000, p. 12. 27. Voir Christopher Hill, « European Foreign Policy: Power Bloc, Civilian Model – or Flop? », dans Reinhard Rummel (dir.), The Evolution of an International Actor: Western Europe’s New Assertiveness, Westview, Boulder, 1990. 28. Voir Hanns W. Maull, « Germany and Japan: The New Civil Powers », Foreign Affairs, 5/1990, pp. 92ss. 29. La puissance civile de H. Maull est très proche du modèle d’UE présenté ici comme puissance concertée de paix. Mais elle est très liée à la dichotomie civilo-militaire, même si ce n’est que théoriquement. Une raison en est peutêtre que ses études de cas sont l’Allemagne et le Japon, et probablement aussi la volonté de conserver un lien avec le concept plus large de civilianisation de Norbert Elias, « Über den Prozess der Zivilisation », 2 Bde., Suhrkamp, Bern/München, 1969. 13 55-text-FR.qxd 15/11/2002 1 15:30 Page 14 Quel modèle pour la PESC ? Tous ces modèles ont leurs forces et leurs faiblesses. Ce sont des abstractions concurrentes d’un « monde réel » éminemment complexe, qui offrent un tableau général de plusieurs visions de l’UE. Développés dans des contextes historiques différents, ils ont été adaptés de plusieurs manières. Le modèle de puissance civile s’est transformé en modèle de puissance normative, tout en restant à distance des aspects militaires de la puissance. Quant à l’idée de puissance militaire, elle a été soit abandonnée pour son manque de réalisme soit transformée en puissance civile dotée de moyens militaires. La valeur de ces modèles pour l’UE est néanmoins discutable car ils sont dépassés ou ne répondent pas vraiment aux défis complexes du monde actuel. Le nouveau dilemme de sécurité Au début des années 1990, James N. Rosenau utilisa un cadre théorique pour expliquer ce qu’il appelait la « turbulence dans la théorie politique internationale »30. La nouvelle structure émergeant à l’échelle mondiale est un système à double lecture : un monde centré sur l’Etat et un monde à centres multiples. Les sources de puissance étant beaucoup plus variées, les relations s’éparpillent. Les allégeances se dispersent et dépendent de la performance des acteurs ; désormais, elles ne sont plus concentrées ni sur l’autorité de l’Etat ni sur sa légitimité. A l’intérieur des Etats, il existe des unités relativement autonomes caractérisées par des hiérarchies plates. Le pouvoir appartient à de nombreux groupes bien organisés et/ou puissants, dont les sentiments de loyauté et de légitimité varient et qui sont prêts à braver les directives gouvernementales. D’une façon générale, les individus deviennent de plus en plus interactifs et interdépendants. La thèse de J. Rosenau est que l’avènement de l’ère post-industrielle, avec sa dynamique technologique et sociale, est au cœur de cette turbulence mondiale. L’évolution de l’environnement modifie à la fois positivement (grâce aux opportunités offertes) et négativement (à cause des risques impliqués) les relations et les mécanismes décisionnels internationaux. Elle a donné naissance à la « politique post-internationale », expression utilisée par J. Rosenau pour parler du « déclin des schémas traditionnels sans que l’on sache où l’évolution peut conduire. Elle suggère le flux et la transition tout en présupposant la présence et le fonctionnement 30. Voir James S. Rosenau, Turbulence in World Politics. A Theory of Change and Continuity, Harvester Wheatsheaf, New York, 1990. 14 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 15 1 Un modèle – pourquoi et lequel ? de structures stables. Elle permet le chaos tout en recherchant la cohérence. Elle nous rappelle que les questions ‘internationales’ traditionnelles ne sont peut-être plus la dimension dominante de la vie mondiale, ou, du moins, que d’autres dimensions ont émergé, qui mettent en cause ou occultent les interactions des Etats-nations »31. Tous ces changements ont des répercussions sur notre interprétation de la sécurité. La turbulence signifie incertitude et peut conduire à un conflit violent ou à une guerre. Reste à savoir si, pour y répondre, il faudra accroître ou diminuer le recours à la force. La réponse dépend en partie de l’évolution du conflit. Malgré une tendance manifeste à limiter l’usage de la coercition violente dans le « monde » de l’OCDE, la paix mondiale demeure une utopie. Les Etats conserveront leur pouvoir coercitif et leur capacité de mener des guerres. Mais ce sera une façon moins viable et moins crédible de contrôler d’autres acteurs, surtout non étatiques. Dans le « nouveau dilemme de sécurité », les Etats sont confrontés beaucoup moins à d’autres Etats qu’à des forces sociales agissant selon des règles diverses et poursuivant des objectifs multiples et concurrents avec des calendriers différents et tout un éventail de moyens coercitifs32. En fait, le mode de coercition qui prédomine est le conflit de faible intensité à l’intérieur d’un Etat. Par exemple, en 2000, environ 90% de toutes les guerres étaient des guerres intra-étatiques, menées par des forces armées régulières ou irrégulières33. Le dilemme traditionnel de sécurité est l’interaction entre des Etats à la recherche d’une sécurité unilatérale, laquelle crée le cercle vicieux de l’armement et du contrearmement, affaiblissant ainsi l’objectif sécuritaire initial. Le « nouveau dilemme de sécurité » est qu’avec la mondialisation de l’économie, les richesses sont réparties de façon encore plus inégale et que les Etats sont de moins en moins capables de gérer les renégats de tous poils de l’ordre international. Les facteurs se multiplient qui encouragent certains acteurs non étatiques surtout à se démarquer des règles, des normes et des valeurs internationales, et favorisent l’insécurité. Selon Philippe Cerny, les tentatives d’intervenir pour imposer la sécurité « peuvent provoquer un choc en retour qui, par son interaction avec des processus de mondialisation complexes, crée de nouvelles sources d’incertitude : réseaux de pouvoirs transfrontaliers concurrents et se superposant, dérive des allégeances et des identités, et nouvelles sources de conflits endémiques de faible intensité34. 31. Ibid., p. 6. 32. Voir Philip G. Cerny, « The New Security Dilemma: Divisibility, Defection and Disorder in the Global Era », Review of International Studies, 4/2000, pp. 623-646. Voir également Hans-Georg Ehrhart, « Militärische Macht als Instrument der Auenpolitik », Streitkräfteamt, Informations- und Medienzentrale der Bundeswehr (dir.), Reader Sicherheitspolitik, Ergänzungslieferung 3/02. 33. Pour la définition de la guerre et du conflit armé et les données statistiques, voir www.sozialwiss.uni-hamburg, de/Ipw/Akuf/ kriege00_text.htm. 34. Philippe G. Cerny, op. cit., p. 623. 15 55-text-FR.qxd 15/11/2002 1 15:30 Page 16 Quel modèle pour la PESC ? Le terrorisme entre traditionnellement dans la catégorie des conflits de faible intensité. Ce type de violence est souvent lié aux Etats et aux sociétés « défaillants », rongés par la fragmentation sociale, la violence et la pauvreté : un contexte particulièrement propice au terrorisme. Ce n’est pourtant pas un phénomène nouveau. Pour Martin van Crevelt, le terrorisme est aussi ancien que la guerre elle-même et a trois grandes caractéristiques : ◗ il tend à se produire dans les pays sous-développés ; ◗ il implique habituellement des armées régulières d’un côté et des forces irrégulières de l’autre, appelées guérillas, bandits, terroristes ou combattants de la liberté ; ◗ il n’a pas besoin des armes collectives très sophistiquées qui font « l’orgueil et la joie de toute armée moderne »35, mais ne sont pas, en l’occurrence, d’une grande utilité36. Ce qui est nouveau est la grave menace sécuritaire que représente l’actuelle privatisation de la violence et la fermeté que lui oppose la communauté internationale. En novembre 2001, le Conseil de sécurité des Nations unies a, pour la première fois, condamné des actes de terrorisme international : « l’une des menaces les plus graves à la paix et à la sécurité internationales au XXIe siècle »37, reconnaissant dans ce contexte « le droit inhérent à la légitime défense individuelle ou collective conformément à la Charte »38. Pour la première fois de son histoire, l’OTAN a invoqué l’article 5 du Traité de Washington39. L’UE a, quant à elle, adopté plusieurs positions communes relatives à la lutte contre le terrorisme40. Le 16 janvier 2002, une première également, le Conseil de sécurité approuvait une résolution prévoyant des sanctions extraterritoriales contre l’organisation Al-Qaeda, un acteur non étatique transnational. La multiplication des conflits intra-étatiques violents ainsi que l’usage de formes (apparemment) nouvelles de coercition peuvent être interprétés comme une expression de la politique post-internationale. De tels conflits n’ont pas encore mis en danger l’existence même des Etats occidentaux, mais ils peuvent nuire à la stabilité régionale. Ils menacent les intérêts et les valeurs des citoyens et des Etats, que ceux-ci soient impliqués directement ou indirectement. Ils mettent également en cause les fondements de l’ordre national et international, ainsi que la légitimité des institutions nationales et internationales. Par conséquent, les Etats et les acteurs internationaux s’engagent plus souvent que par le passé dans des crises ou des conflits 35. Martin van Crevelt, On Future War, Brassey’s, Londres, 1991, p. 20. 36. Ibid., pp. 205ss. 37. Résolution 1377 (2001) du Conseil de sécurité de l’ONU. 38. Résolution 1368 (2001) du Conseil de sécurité de l’ONU. 39. Voir www.nato.int/docu/update/2001/1001/e1002a.htm. 40. Voir, par exemple, Position commune du 27 décembre 2001 du Conseil relative à la lutte contre le terrorisme (2001/930/PESC) et Position commune du 27 décembre 2001 relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme (2001/931/PESC). 41. Résolution 1390 (2002) du Conseil de sécurité de l’ONU. Voir également Le Monde, 18 janvier 2002. 16 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 17 1 Un modèle – pourquoi et lequel ? intra-étatiques. Les individus, les groupes et les acteurs transnationaux réagissent de la même manière. Dans un monde interdépendant, le sacro-saint principe de souveraineté est de plus en plus remis en question et la sécurité n’est plus seulement du ressort national. Selon un analyste, nous assistons au « développement d’une société à ‘risque commun’ »42. La sécurité dans la politique post-internationale s’articule autour de ce que le Secrétaire général des Nations unies Kofi Annan a appelé la « sécurité humaine ». Selon les déclarations de responsables politiques comme le président Bill Clinton ou le Premier ministre britannique Tony Blair lors de la 54e Assemblée générale des Nations unies en automne 1999, l’intervention humanitaire sera une mission essentielle de la politique internationale pendant cette nouvelle décennie. Depuis les événements du 11 septembre, la lutte contre le terrorisme est considérée comme une autre tâche cruciale. Il a malheureusement fallu ces effroyables attaques terroristes contre les Etats-Unis pour que la communauté internationale prête l’attention nécessaire à ce type de menace transnationale. On a pourtant l’impression que les Etats-Unis agissent comme toujours en se focalisant sur l’Etat. Ce qui était au début une guerre contre l’organisation terroriste Al-Qaeda s’est rapidement transformé en guerre contre le gouvernement taliban d’Afghanistan, voire, dans le futur, contre les Etats de « l’axe du mal » Iran, Irak et Corée du Nord. Si la perspective d’une guerre inter-étatique a l’avantage d’être un engagement concret que les forces américaines sont capables de prendre, cette approche traditionnelle non seulement n’atteint pas l’objectif initial, mais court le risque d’aggraver l’instabilité régionale43. Comme chacun sait, la nature du système international a radicalement changé depuis la fin du conflit Est-Ouest. Mais l’effondrement de l’Union soviétique et de son empire est moins la cause qu’un symptôme de cette évolution complexe de la société mondiale. Il a fallu plus de dix ans à certains dirigeants pour réaliser que la guerre froide était vraiment finie. Certains d’entre eux utilisent aujourd’hui l’argument des attaques terroristes du 11 septembre pour demander un accroissement du potentiel militaire traditionnel. Cet instrument n’a pourtant qu’un impact limité sur les conflits asymétriques, un ennemi sans visage, qui n’est ni un Etat ni un gouvernement ni une armée. Trois questions doivent être prises en compte : 42. Voir Martin Shaw, « The development of a « Common-Risk » Society », dans Jürgen Kuhlmann et Jean Callaghan (dir.), Military and Society in the 21th Century Europe, Lit, Hambourg, 2000, pp. 13-26. 43. Selon Julian Lindley-French, « Aujourd’hui, le monde attend trois choses des Etats-Unis. Premièrement, une concrétisation plus soutenue de sa puissance. Deuxièmement, une application avisée et altruiste de cette puissance. Troisièmement, un concept global de puissance et d’engagement. Une condition sine qua non d’un engagement européen plus grand dans un partenariat avec l’Amérique sera l’expression claire, cohérente et compétente d’un engagement de l’Amérique à exercer une gouvernance mondiale efficace et juste », Cahier de Chaillot 52, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, 2002, p. 25. Voir également William Pfaff, « A prospect of one war after the other », International Herald Tribune, 21 février 2002, p. 8. 17 55-text-FR.qxd 15/11/2002 1 15:30 Page 18 Quel modèle pour la PESC ? ◗ la situation caractéristique des Etats défaillants, un véritable terreau pour ce type de menace44 ; ◗ la possibilité de rallier les « renégats » en leur offrant un meilleur accès aux bénéfices de la mondialisation ; ◗ les conséquences des conflits post-modernes de faible intensité pour la structure, l’équipement et la doctrine des forces armées45. Notre propos n’est pas ici d’entrer dans la polémique sur l’intervention humanitaire ou la lutte contre le terrorisme. Ces deux thèmes reflètent un débat beaucoup plus fondamental sur la dynamique et la nature des conflits violents dans notre monde turbulent. « Intervention humanitaire » et « lutte contre le terrorisme » sont des expressions à la mode qui ne font que masquer la crise profonde de la pensée traditionnelle en matière de défense et de sécurité. Si nous ne procédons pas à la reconnaissance et aux adaptations nécessaires, nous serons incapables de gérer correctement le nouveau dilemme de sécurité. D’une part, le monde rapetisse et la croissance rapide de l’interdépendance technologique le rend encore plus vulnérable ; de l’autre, les clivages se creusent à l’intérieur des sociétés et entre elles. Les Etats qui ne sont pas capables de répondre aux besoins fondamentaux de leurs sociétés, notamment en ce qui concerne la « sécurité » au sens large, s’exposent à la fragmentation sociale, à la politisation des questions ethniques, à une quête destructrice d’une identité de groupe, voire à un processus pathologique de violence et de destruction46. Ce nouveau dilemme de sécurité ne peut être traité comme l’est traditionnellement la politique de défense et de sécurité, avec ses définitions précises de l’intérêt et de la menace et les instruments militaires qu’elle nécessite. Et pourtant, il faut répondre aux défis posés par la nouvelle donne étant donné les effets négatifs qu’ils peuvent avoir sur l’ordre régional et mondial. Le problème est que ces effets ne deviennent visibles que lentement et indirectement. Ils sont diffus et ne sont souvent pris en considération que si les écrans de télévision montrent les atrocités et les atteintes aux droits de l’homme, ou en cas d’« hyperterrorisme »47. Les responsables politiques peuvent alors être fortement poussés par l’opinion publique à « faire quelque chose » et se lancer dans un activisme militaire onéreux et pas toujours très efficace. 44. Voir Robert I. Rotberg, « The New Nature of Nation-State Failure », The Washington Quarterly, été 2002, pp. 85-96. 45. Voir Paul Kennedy, « Puissance de l’ennemi et fragilité américaine », Le Monde, 27 septembre 2001, p. VI ; voir également Bruno Racine, « La guerre et les armes », ibid., p. XI. 46. Voir Winrich Kühne, « Globalisierung und humanitäre Intervention – ein Diskussionsbeitrag zur Global Governance in der Friedens- und Sicherheitspolitik » dans Jens van Scherpenberg et Peter Schmidt (dir.), Stabilität und Kooperation: Aufgaben internationaler Ordnungspolitik, Nomos, BadenBaden, 2000, p. 431-449. 47. Voir François Heisbourg, Hyperterrorisme : La nouvelle guerre, Odile Jacob, Paris, 2001. 18 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 19 1 Un modèle – pourquoi et lequel ? Un acteur de sécurité coopérative Face à de tels défis, une solution serait que la PESC fasse de l’UE un « acteur de sécurité coopérative ». Ce modèle se fonde sur les cinq principes suivants, définis en fonction du nouvel environnement international et de l’actuel dilemme de sécurité : Normativisme L’usage de la puissance militaire doit être réglementé par des normes civiles comme le prévoit le droit international public. Selon l’interprétation post-moderne, elle a essentiellement pour objectif de transformer les conflits violents en dynamiques non violentes, de garantir un niveau minimum de dissuasion ainsi qu’une capacité de défense suffisante, et de contribuer à la sécurité générale. Pertinence Les relations extérieures doivent évoluer en fonction des problèmes de sécurité auxquels notre monde est confronté et des attentes des opinions publiques. La politique de sécurité doit relever les véritables défis, qui vont de l’interdépendance post-industrielle, de la mondialisation et de l’intégration d’une part à la fragmentation, aux Etats défaillants, à l’érosion de la souveraineté et aux menaces transnationales, de l’autre. Inclusivité Une politique traitant de questions aussi complexes doit également comprendre tous les aspects du pouvoir. La dialectique puissance civile/puissance militaire montre bien l’existence de ces deux approches différentes, mais n’offre pas de modèle réaliste et acceptable. D’un côté, une puissance civile sans moyens militaires manquerait d’un instrument important pour maintenir et modeler l’ordre international. De l’autre, les moyens militaires ne peuvent répondre qu’à un petit nombre de défis. Le modèle doit donc être inclusif, autrement dit exclure l’hypothèse artificielle selon laquelle l’approche civile et l’approche militaire sont incompatibles. 19 55-text-FR.qxd 15/11/2002 1 15:30 Page 20 Quel modèle pour la PESC ? Approche multidimensionnelle Avec le dédoublement du système post-international en un monde d’Etats et un monde d’entités « sub-étatiques », une situation donnée dépend désormais d’un plus grand nombre d’acteurs. La complexité des défis sécuritaires est telle aujourd’hui que l’on doit traiter avec les acteurs non étatiques de questions de nature essentiellement sociale et les intégrer dans la gestion de la sécurité. Multilatéralisme Relever les nouveaux défis pour la paix et la sécurité demande une coopération multilatérale intense. Les protagonistes doivent être suffisamment forts et convaincants pour contribuer à façonner l’ordre international. Ils doivent en outre coopérer étroitement avec les organisations internationales afin de renforcer les normes et les institutions régionales et mondiales. L’ensemble de ces principes – sur lesquels se fonde le modèle d’acteur de sécurité coopérative – forme une politique que l’on peut qualifier de « gouvernance sécuritaire internationale ». L’UE a deux bonnes raisons au moins de suivre ce modèle : premièrement, il consiste en tout un éventail de politiques et d’instruments, qui lui permettent de répondre sur tous les fronts à la complexité de l’environnement sécuritaire actuel. Deuxièmement, ce rôle correspond à la nature propre de l’UE : elle est le premier exemple de multilatéralisme, une entité collective dotée d’un corpus juridique, fondée sur la coopération et l’intégration. De plus, les Etats membres de l’UE préfèrent, et de loin, la diplomatie à l’usage de la force militaire. Après un siècle de « guerre civile » en Europe, cette préférence, aussi discutable soit-elle aujourd’hui, ne risque guère de disparaître tant elle est enracinée dans la mémoire collective des Européens. Par conséquent, à supposer qu’elle joue un jour un rôle international important, l’UE ne deviendra jamais une superpuissance militaire comme les Etats-Unis. Le modèle d’acteur de sécurité coopérative semble donc être celui qui correspond le mieux à la fois aux spécificités européennes et aux défis de sécurité du XXIe siècle. Toutefois, ce modèle ne conviendra à la PESC qu’à trois conditions : premièrement, il doit être défini par rapport à un contexte historique et social précis ; deuxièmement, la mise en œuvre de la 20 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 21 1 Un modèle – pourquoi et lequel ? politique sécuritaire doit correspondre à son interprétation normative – autrement dit, la PESC doit être acceptée par la société ; troisièmement, il faut pour le concrétiser définir des principes d’action : en ce qui concerne l’UE, ils sont au nombre de cinq. 1) La dimension normative Un ensemble approprié de normes et de valeurs doit guider la politique étrangère de l’Union, renforçant ainsi la stabilité et la paix internationales. Si l’action entreprise ne correspond pas aux normes et aux valeurs proclamées, la définition d’une identité propre et la crédibilité de l’UE en pâtiront. 2) Prévention des conflits La priorité doit être la prévention des conflits48, car il vaut toujours mieux prévenir que guérir. Ses « coûts » politiques, financiers, économiques, moraux et humains sont en effet moins élevés que ceux de l’approche traditionnelle. 3) Institutions et instruments Il faut développer les institutions et les instruments appropriés. Les déclarations d’intention sont totalement inutiles si l’on ne dispose ni d’institutions efficaces ni des instruments civils et militaires nécessaires pour les mettre en œuvre. Ces instruments sont une condition non suffisante mais nécessaire pour réunir la volonté politique des Etats membres et la traduire en actes. 4) Culture opérationnelle Une nouvelle culture opérationnelle doit voir le jour. La nature des conflits a changé et, avec elle, l’environnement opérationnel. Il est urgent de repenser les relations civilo-militaires. Comme l’affirme James Rosenau, « le monde centré sur l’Etat et le monde à centres multiples doivent être combinés de façon concertée et efficace ». 5) La coopération avec l’OSCE et les Nations unies Il faut intensifier la coopération avec les principales organisations internationales. Les tâches doivent être réparties entre l’UE, l’OSCE et les Nations unies. Il faut, en outre, s’occuper de la difficile question du mandat, une problématique d’autant plus importante qu’elle concerne la légitimité et la légalité internationales. 48. Voir la définition de la prévention au chapitre 2. 21 55-text-FR.qxd 15/11/2002 1 15:30 Page 22 Quel modèle pour la PESC ? Ces principes d’action peuvent servir de critères pour déterminer dans quelle mesure l’UE est déjà conforme au modèle d’acteur de sécurité coopérative. Aujourd’hui, la question de savoir quelle sorte d’acteur l’Union deviendra est toujours ouverte. L’UE est beaucoup plus que le concert de puissances du XIXe siècle, maintenu en équilibre par les rapports de force et les politiques d’alliance. Mais elle n’est pas non plus un Etat hiérarchisé. On peut la définir comme un mécanisme décisionnel à plusieurs niveaux, dans lequel les Etats membres prévalent dans le domaine de la PESC, mais sont de plus en plus liés par des actes juridiques tels que les stratégies, les actions et les positions communes, ainsi que par une tendance au fédéralisme, que légitime et encourage la recherche d’efficacité49. D’ores et déjà, l’Union remplit probablement certains des critères mentionnés plus haut. C’est ce que nous allons examiner dans le deuxième chapitre 49. Le processus pourrait être le même dans le deuxième pilier que dans le premier. Les Etats membres considèrent que la puissance extérieure est générée par une action commune fondée sur une plus grande cohérence interne. La cohérence se fonde sur l’harmonisation et la construction des institutions, conduisant progressivement à la mise en place d’un système politique à part entière capable de répondre efficacement à un conflit externe. Voir Reinhardt Rummel, « Regional Integration in the Global Test », dans Reinhardt Rummel (dir.), Toward Political Union. Planning a Common Foreign and Security in the European Community, Nomos, Baden-Baden, 1992, p. 27ss. 22 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 23 Quel modèle pour la PESC ? Evaluation et recommandations 2 Dimension normative Comme nous l’avons vu, le concept de sécurité évolue en fonction de l’environnement international. L’interprétation de la sécurité est donc plus large que ce n’était le cas pendant la guerre froide, lorsque l’attention se focalisait sur la défense territoriale et la survie du système socio-politique, y compris ses valeurs et ses normes. Deux questions se posent aujourd’hui : qui bénéficie de la sécurité et quelles sont les valeurs à défendre ? La réponse est – là encore – normative. La grande nouveauté concerne le bénéficiaire de la sécurité : il ne s’agit plus exclusivement de l’Etat, mais de plus en plus de l’individu. Quant aux valeurs à protéger, elles sont liées au respect des droits de l’homme. L’Etat ne joue plus de façon aussi claire son rôle traditionnel de puissance souveraine : l’émergence de questions inédites et de nouveaux acteurs de sécurité ne lui permet plus de gérer seul le cours des événements. Il doit donc s’en remettre progressivement à la coopération internationale et aux organisations de sécurité multifonctionnelles, conçues pour traiter toutes sortes de problèmes et de missions de sécurité. L’OTAN, par exemple, a tenté de s’adapter à la nouvelle donne en transformant son organisation de défense politico-militaire en une organisation de sécurité multifonctionnelle. Elle veut être la garante de la stabilité au-delà des frontières de ses Etats membres à travers la coopération et la gestion des crises, tout en conservant sa mission classique qui est de protéger l’intégrité territoriale de ses membres50. De son côté, l’UE s’adapte elle aussi au nouvel environnement en approfondissant et en élargissant ses structures, en promouvant notamment son projet PESD afin de répondre plus efficacement aux défis posés à la paix et à la sécurité51. Le déclin du rôle des Etats a également incité à renforcer la dimension normative et juridique du système « post-international ». La politique internationale devient de plus en plus un système de droits et de devoirs dans lequel les actions, notamment 50. Voir le processus de transformation de l’OTAN dans William Hopkinson, « Elargissement : une nouvelle OTAN », Cahier de Chaillot 49, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, 2001. 51. Pour la dimension transatlantique et la question du partage du fardeau, voir Hans-Georg Ehrahrt, « The Balkan Test Case for EU Foreign Policy », Internationale Politik Transatlantic Edition, septembre 2002. 23 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 24 Quel modèle pour la PESC ? en matière de sécurité, doivent avoir un bon rapport coût-efficacité et être légitimées par le droit international. Dans ce contexte, la question des droits de l’homme revêt une importance croissante52, mais demeure néanmoins un aspect seulement des relations internationales. Celles-ci sont elles-mêmes tributaires de l’équilibre des forces et de l’intérêt national, lequel demande une interprétation plus éclairée tenant compte de la nouvelle donne internationale. On peut donc conclure qu’à l’heure actuelle, « la politique de sécurité devient un instrument permettant davantage de garantir le droit que de défendre ses intérêts propres dans un système anarchique. Le respect de la démocratie et les droits de l’homme deviennent des conditions de la sécurité »53. Quant à savoir si cette approche sera consensuelle, cela dépendra en partie de l’évolution de l’UE et de la PESC. C’est vrai pour l’OTAN également, mais l’intégration européenne va encore plus loin. L’UE a non seulement des responsabilités plus étendues, que reflète sa structure à trois piliers, mais elle est aussi plus ambitieuse. Malgré la lenteur de son évolution et l’absence de consensus sur sa finalité politique, elle semble devenir un acteur ou une entité semi-fédéral(e) d’un type nouveau54. Pour que cela soit possible, la compatibilité des normes et des valeurs fondamentales ne suffit pas ; il faut aussi une confiance mutuelle née de l’expérience et des activités communes, une certaine symétrie de l’interdépendance, une similarité politico-structurelle et différentes voies de coopération et de communication transcendant le niveau gouvernemental. Les Etats membres de l’UE doivent satisfaire l’ensemble de ces conditions. Ils doivent en outre avoir pour objectif de développer une identité commune, en promouvant, par exemple, l’émergence d’une Europe pacifique et unie. Cette approche est indispensable pour répondre aux défis que posent à la fois le prochain élargissement de l’Union, en particulier ses répercussions sur les acteurs et les sociétés concernés, et les conflits réels et potentiels aux frontières de l’UE et ailleurs. Autrefois, le principal objectif du processus d’intégration était la création d’une communauté de paix parmi les pays membres de l’UE. L’hubris du nationalisme, à l’origine des deux guerres mondiales et de tout leur cortège de destructions et de souffrances incroyables, mais aussi la menace d’anéantissement nucléaire pendant la guerre froide constituent une expérience fondamentale qui, en fai- 52. Les progrès les plus récents sont la création par le Conseil de sécurité des Nations unies du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et de celui pour le Rwanda, ainsi que le projet de Cour pénale internationale permanente (CPI). L’UE, très favorable à la CPI, contribuera vraisemblablement aux trois quarts de son budget. Voir International Herald Tribune, 1er juillet 2002, p. 1, 6. Pour l’administration Bush, ce projet est assez naïf, mais un « délitement du droit international risquerait de porter atteinte à l’essence même de l’Union européenne, qui part du postulat que les Etats peuvent passer des accords juridiques entre eux ». Voir Dan Plesch, Sheriff and Outlaws in the Global Village, Menard Press, Londres, 2002, pp. 22ss. Pour les arguments américains contre la CPI, voir Robert Kagan, « Europe should be more sensitive to American concerns », International Herald Tribune, 1er juillet 2002, p. 8. 53. Helene Sjursen, « New Forms of Security Policy in Europe », ARENA Working Papers, 4/200, p. 17. 54. La notion ambiguë de « fédération d’Etats nations » est devenue familière dans le débat politique. Juridiquement, le processus d’intégration est décrit dans le Traité sur l’Union européenne comme le « processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe ». La situation actuelle de l’UE a également été considérée comme « étroitement couplée à la communauté de sécurité ». Emmanuel Adler et Michael Barnett, Security Communities, Cambridge University Press, Cambridge, 1998, pp. 56ss. 24 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 25 2 Evaluation et recommandations sant naître le sentiment d’appartenir à une communauté de valeurs, a profondément influencé la formation identitaire. L’UE a donc été largement considérée comme un modèle pour résoudre les conflits profondément enracinés entre ses Etats membres et parvenir à la « paix démocratique » définie par les théoriciens des relations internationales. L’idée maîtresse était qu’il existait une relation de cause à effet entre la démocratie et la paix. La démocratie, fondée sur la séparation des pouvoirs, le pluralisme, l’Etat de droit et la protection des droits de l’homme, est en effet un système non seulement de droit mais aussi de normes, privilégiant une évolution pacifique. Pourtant, alors que les intellectuels étaient convaincus du caractère improbable d’une guerre entre Etats démocratiques, la réalité a montré que cette relation de cause à effet n’existait pas. En effet, seuls ou dans le cadre de coalitions, de tels Etats ne poursuivent pas nécessairement une politique étrangère pacifique et non violente. L’Histoire a du reste montré qu’une démocratie pouvait avoir recours à la force militaire pour des raisons autres que la défense territoriale : dans les années 1950, par exemple, lors des guerres coloniales et pendant toute la guerre froide pour maintenir les sphères d’influence. La force a également été employée pour garantir l’ordre international (seconde guerre du Golfe), pour des raisons humanitaires (Kosovo), ou pour combattre le terrorisme. Les deux premiers cas de figure ne sont pas envisageables pour l’UE. En revanche, les trois derniers pourraient relever de la future PESD. Bien que l’article 17 du TUE stipule que la PESC « inclut l’ensemble des questions relatives à la sécurité de l’Union, y compris la définition progressive d’une politique de défense commune […] qui pourrait conduire à une défense commune », il fait exclusivement référence aux « missions de Petersberg », c’est-à-dire aux missions humanitaires et de secours, de maintien de la paix, des missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris pour le rétablissement de la paix. La lutte contre le terrorisme n’est pas expressément mentionnée. L’UE ne s’en considère pas moins comme « l’un des principaux partenaires de la coalition mondiale contre le terrorisme »55. Dix jours après le 11 septembre, le Conseil européen décidait que la lutte contre le terrorisme serait « une priorité de l’Union européenne »56. Le terrorisme est généralement perçu comme un réel défi pour le monde et l’Europe. Plus spécifiquement, les attentats perpétrés par Al-Qaeda ont été considérés 55. External Relations, « 11 September attacks: The European Union’s broad response », http://www.europa.eu.int/com m/110901. 56. Conseil européen, Conclusions et Plan d’Action de la Réunion extraordinaire du Conseil européen le 20 septembre 2001, SN 140/01, p. 1. 25 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 26 Quel modèle pour la PESC ? comme une « attaque contre nos sociétés ouvertes, démocratiques, tolérantes et multiculturelles »57. L’Union a donc appelé à « une coalition globale aussi large que possible contre le terrorisme, sous l’égide des Nations unies », l’objectif étant de « défendre nos valeurs communes »58. Cette approche est couverte par le TUE. S’agissant plus précisément de la dimension normative de la PESC telle que définie dans l’article 11 du TUE, les deux premiers objectifs sont « la sauvegarde des valeurs communes, des intérêts fondamentaux, de l’indépendance et de l’intégrité de l’Union, conformément aux principes de la Charte des Nations unies », et « le renforcement de la sécurité de l’Union sous toutes ses formes ». Autrement dit, la sécurité des Etats membres devrait être préservée contre toute menace, y compris le terrorisme. De plus, les objectifs qui en découlent sont liés à la stabilité en général, mais aussi à celles des Etats membres : « le maintien de la paix et le renforcement de la sécurité internationale, conformément aux principes de la Charte des Nations unies, ainsi qu’aux principes de l’Acte final d’Helsinki et aux objectifs de la Charte de Paris, y compris ceux relatifs aux frontières extérieures », ainsi que « la promotion de la coopération internationale ». Enfin, la PESC contribuera au « développement et [au] renforcement de la démocratie et de l’Etat de droit, ainsi qu’[au] respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Cela signifie que l’UE cherche à exporter les normes de son propre ordre pacifique au-delà de ses frontières afin de renforcer la stabilité et la paix. Selon le préambule du TUE, l’ensemble de la PESC a essentiellement deux fonctions normatives : le renforcement de l’identité et de l’indépendance européennes ; la promotion de la paix, de la sécurité et du progrès en Europe et dans le monde. Autrement dit, la PESC ne se limite pas à l’Europe comme certains se plaisent à le répéter ; elle implique une approche globale correspondant aux valeurs universelles et aux droits fondamentaux, mais aussi à tous les risques et défis attribués au processus de mondialisation59. Le continent européen n’en reste pas moins au cœur de cette approche, ne serait-ce que pour des raisons géographiques. L’exportation de la stabilité comprend l’usage de la force conformément aux principes de la Charte des Nations unies. Les Etats membres de l’UE sont à cet égard confrontés à trois problèmes normatifs. D’abord, la légitimité et le respect du droit national et international sont très importants dans les sociétés 57. Ibid. 58. Ibid. 59. Selon Javier Solana, « S’il existe un fil qui relie tous les défis de sécurité auxquels l’Europe est confrontée au XXIe siècle, c’est leur dimension véritablement mondiale (…) L’Europe ne peut pas ériger des barrières autour de sa sécurité. Nous devons avoir des réponses du XXIe siècle aux défis du XXIe siècle. Bref, nous devons nous engager au niveau mondial si nous voulons fournir une assurance à notre stabilité et à notre prospérité futures. L’avenir de l’Union européenne est directement lié à sa volonté d’être ouverte au reste du monde ». Javier Solana, Europe: Security in the TwentyFirst Century, The Olof Palme Memorial Lecture, Stockholm, 20 juin 2001, p. 4. 26 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 27 2 Evaluation et recommandations occidentales, mais les normes juridiques existantes ne sont pas adaptées aux nouveaux défis que représentent les conflits violents internes et transnationaux60. Cela justifie-t-il un droit de « préemption militaire », comme le préconise l’administration Bush61 ? Et faut-il que l’UE, ainsi qu’un diplomate britannique l’a récemment suggéré, adopte une politique deux poids deux mesures et louvoie, comme le font déjà les Etats-Unis, « entre le monde post-moderne et le monde pré-moderne »62 ? En outre, les groupes, les bandes ou les réseaux adverses adhèrent probablement à d’autres systèmes de normes, de valeurs et de convictions. La lutte contre ces forces autorise-t-elle à violer les principes les plus profondément enracinés de la démocratie et du respect des droits de l’homme ? Enfin, la nécessité de combattre les conflits de faible intensité « ramènera les forces régulières à des forces de police ou, si le combat se prolonge, à de simples gangs armés »63. Comment s’arrêter sur cette pente savonneuse ? Recommandations L’UE a consolidé un ensemble de normes et de valeurs que reflètent les objectifs et les orientations de la PESD. Cette approche normative s’articule autour d’une interprétation large de la sécurité allant plus loin que la simple absence de guerre. Elle tente en particulier d’englober à la fois l’exportation progressive du système de paix représenté par l’UE vers d’autres pays européens, à travers un élargissement dont les limites restent à définir, et la volonté déclarée de renforcer la stabilité, la sécurité et la paix dans le monde. La perspective d’utiliser la force militaire soulève néanmoins plusieurs questions. Comme en témoignent ses actions de politique étrangère, l’UE est un fervent défenseur des droits de l’homme. Dans la mesure où elle est une communauté de droit, ces actions sont en principe limitées, même si, dans la pratique, chaque pays est libre d’interpréter le droit international et les valeurs communes comme il l’entend. Cette liberté relative pourrait se voir réduite par le lent mais constant rapprochement des différents systèmes de sécurité nationaux, que pourrait accélérer l’application des recommandations suivantes : ◗ Le développement d’un « Livre blanc européen sur la sécurité et la paix » serait un progrès important en rapprochant les cultures 60. Voir, par exemple, Claire Tréan, « Au nom de la lutte antiterroriste, des dérives répressives », Le Monde, 12 mars 2002, p. 3 ; Rajiv Chandrasekaran et Peter Finn, « US bypasses law in fight against terrorism », International Herald Tribune, 12 mars 2002, pp. 1, 6 ; Florian Hassel, « Moskau lässt im Kaukasus morden », Frankfurter Rundschau, 12 mars 2002, p. 1. 61. Voir « When to strike first », International Herald Tribune, 24 juin 2002, p. 10. 62. Robert Cooper, « Why we still need empires », The Observer, 7 avril 2002, www.observer.co.uk/ comment/story/0,6903,680096, 00.html. 63. Martin van Clevelt, op. cit., p. 207. 27 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 28 Quel modèle pour la PESC ? sécuritaires, malgré la difficulté de traduire des normes et des valeurs abstraites dans la réalité de la PESC/PESD. ◗ La crédibilité interne et extérieure de tout acteur international étant constamment menacée par des politiques « deux poids deux mesures », il faut définir très clairement le lien entre les valeurs et les normes pour chacune des activités concrètes de politique étrangère64. ◗ Une gestion satisfaisante des menaces, anciennes ou actuelles, respectueuse des valeurs et des normes fondamentales ne sera certainement pas facile. Le débat sur l’attitude des Américains vis-à-vis des prisonniers d’Al-Qaida à Guantanamo Bay montre bien combien il est difficile de traiter avec des acteurs non étatiques qui ne se soucient ni du droit de la guerre ni du droit international, et sont dans une « logique » complètement différente. Il n’en demeure pas moins essentiel de renforcer le droit international et de l’appliquer à travers des actions et des accords multilatéraux internationaux. ◗ L’UE ne doit pas participer à des actions militaires préemptives sans l’approbation du Conseil de sécurité des Nations unies. ◗ L’UE ne doit pas subordonner les droits de l’homme à la recherche d’efficacité dans sa lutte contre le terrorisme, mais continuer à promouvoir une véritable sécurité en mettant en relief les liens entre le développement, les droits de l’homme et la démocratie65. Prévention des conflits Les acteurs qui deviennent des « fournisseurs » de sécurité doivent élaborer une double politique de prévention : structurelle et d’urgence. La prévention structurelle ou à long terme, mise en œuvre à un stade précoce, s’adresse aux causes du conflit, alors que la prévention opérationnelle de court terme, qui a un caractère aigu, tardif et éphémère, a pour but d’empêcher des crises existantes de dégénérer et de se propager66. La difficulté de l’approche structurelle réside dans l’ampleur de son objectif politique, impliquant tout un éventail d’acteurs entre lesquels il faut assurer une coordination et une coopération étroites. Le principal problème d’une prévention d’urgence est qu’elle s’inscrit davantage dans la réaction que dans l’action. En général, une politique de prévention (diplomatie préventive) a pour but de gérer une situation extérieure dans laquelle un conflit civil grave n’a pas encore éclaté. L’alterna- 64. L’engagement de l’UE en Macédoine est un relativement bon exemple d’opération globale bien expliquée aux opinions publiques. Voir Javier Solana, « Pourquoi nous sommes en Macédoine », Le Monde, 25 août 2001, pp. 1 et 11. 65. Voir Mary Robinson, « Human rights are as important as ever », International Herald Tribune, 21 juin 2002, p. 8. 66. Dans cette analyse, l’auteur utilise les termes prévention structurelle et d’urgence. 28 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 29 2 Evaluation et recommandations tive serait de laisser le conflit dégénérer, puis soit de rester en dehors et de laisser les événements suivre leur cours soit de s’impliquer trop tard et de courir ainsi des risques beaucoup plus importants en utilisant la force militaire. Dans ce cas, c’est l’expression « gestion de crise » qui est en général utilisée et que l’UE définit comme des « actions entreprises en vue de prévenir l’escalade verticale (intensification de la violence) ou horizontale (extension à d’autres territoires) des conflits violents existants »67. Autrement dit, la gestion de crise est également une politique de prévention, mais tardive. Etant donné que la prévention peut échouer, la communauté internationale doit également être capable d’entreprendre des missions de gestion de crise. Il y a au moins quatre bonnes raisons de préférer la prévention à une simple gestion de crise : ◗ La première concerne les coûts. Une analyse coût-efficacité est un argument très sobre mais convaincant. Des études empiriques ont montré qu’une prévention coûte moins ou aurait coûté beaucoup moins à la communauté internationale que les conflits euxmêmes ; elle est donc beaucoup plus économique68. Comme nous l’avons vu, une politique de laisser-faire en matière de sécurité régionale n’est pas réaliste étant donné le risque de débordement du conflit. Dans le cas d’un grave conflit interne, les intérêts des Etats voisins sont tôt ou tard mis en cause. L’aide aux réfugiés, la perte d’opportunités économiques, les dépenses militaires ou les coûts de reconstruction et de réhabilitation sont en outre des charges financières communes pour les acteurs extérieurs. Par conséquent, du point de vue économique, la communauté internationale a intérêt à s’engager le plus tôt possible dans la prévention des conflits. ◗ La deuxième raison concerne le coût politique pour le pays qui intervient. Ici, le facteur financier joue également un rôle majeur. Dans les démocraties surtout, parlements et gouvernements doivent répondre de leurs dépenses. Les responsables politiques ont donc tout intérêt à dépenser de manière efficace (par exemple, plutôt pour prévenir d’éventuels conflits que pour accroître les budgets de défense). D’autant que les Etats membres de l’UE sont eux-mêmes confrontés à des contraintes sociales et politiques qui les empêcheront dans les années à venir d’augmenter significativement leurs dépenses militaires. En outre, il n’est pas garanti que l’opinion publique d’un Etat soutienne l’engagement de son pays dans un conflit : d’une part, la population n’aime pas voir des êtres 67. Voir les définitions et les catégorisations employées par la Commission européenne, http:// europa.eu.int/comm/development/prevention/definition.htm. 68. Les études en question n’analysent que le coût pour les puissances extérieures, indépendamment du coût national pour le pays et les populations concernées. Voir Michael Brown et Richard N. Rosecrance (dir.), The Cost of Conflict, Rowman & Littlefield, Lanham, 1999. 29 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 30 Quel modèle pour la PESC ? humains souffrir ; de l’autre, elle n’accepte pas l’échec d’une intervention armée. Enfin, si un gouvernement se révèle incapable de gérer un conflit grave, les médias et les partis d’opposition peuvent le mettre dans une situation difficile. ◗ La troisième raison de promouvoir la prévention est la sécurité extérieure. Les pays de l’UE ne sont pas directement menacés par des conflits internes, mais ils s’intéressent à la stabilité de leur voisinage. Par exemple, étant donné le risque d’escalade horizontale, l’engagement de l’UE dans les Balkans est indispensable afin de contenir, transformer et résoudre la crise qui y sévit. Un autre argument pour un engagement préventif est la nature des « nouveaux » conflits et des risques qui leur sont liés, comme l’existence de chefs de guerre, les trafics d’armes, de drogue et d’êtres humains, le terrorisme ou la criminalité internationale. Ces problèmes de sécurité sont trop diffus pour être résolus par les recettes traditionnelles de l’establishment militaire et plus ils sont gérés tard, plus la tâche devient complexe et dangereuse. ◗ La quatrième et peut-être la principale raison concerne l’ordre international et les normes afférentes, cadre essentiel à la stabilité internationale et régionale, donc à l’investissement et aux échanges commerciaux, surtout à l’ère de la mondialisation. Bien entendu, ce n’est pas un conflit de faible intensité qui déstabiliserait le système post-international, mais en se multipliant, les petites crises risquent, par leurs incidences, de conduire à son érosion. Si l’idée se répand que la force à l’état pur donne des résultats, on risque d’entrer dans un processus de « décivilisation » qui mettra en danger l’ordre international69. Depuis le début des années 1990, la communauté internationale est de plus en plus consciente, dans les discours du moins, de l’importance de formes et de méthodes nouvelles de prévention des conflits et les responsables politiques en ont plus d’une fois souligné la logique irréfutable. Les institutions et les événements internationaux, tels que la déclaration présidentielle du Conseil de sécurité des Nations unies de novembre 1999 et la réunion de décembre 1999 du Groupe des Huit Nations industrialisées (G8), en soulignent la nécessité. Près de dix ans après l’appel à la diplomatie préventive de l’Agenda pour la Paix du Secrétaire général des Nations unies, cette approche de la sécurité commence à prendre forme. Entre temps, les massacres épouvantables perpétrés en Bosnie-Herzégovine et au Rwanda par exemple ont provoqués bien des examens de conscience afin de savoir qui était respon- 69. Voir Carnegy Commission on Preventing Deadly Conflict, Final Report, Carnegy, New York, 1997, pp. 1139. 30 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 31 2 Evaluation et recommandations sable de tels désastres et quelles étaient leurs implications à la fois pour les pays directement concernés et pour la communauté internationale. Experts, praticiens et décideurs suggérèrent de développer une « culture de la prévention »70. Les événements du 11 septembre ont, quant à eux, poussé les hauts fonctionnaires à s’interroger sur les racines du terrorisme et à se demander ce que l’on pouvait faire en termes d’action préventive71. Malgré cette évolution et quelques résultats initiaux, la prévention des conflits n’est, comme l’a très justement remarqué Michael Lund, « pas encore une politique régulière »72. Cet échec peut s’expliquer en partie pour trois raisons : ◗ Plus la prévention commence tôt, plus il est difficile de savoir quelle sera sa nature exacte. Autrement dit, si toute politique est prévention, il sera difficile de faire la différence et la notion même de prévention courra le danger de devenir une expression idéologique. ◗ La prévention structurelle est une tâche sur le long terme, difficilement compatible avec le fonctionnement des démocraties modernes dans nos sociétés « médiatisées ». Même s’ils sont alertés rapidement, les responsables politiques (et l’homme de la rue) ne réagissent habituellement que s’ils sont directement mis en cause. ◗ D’ordinaire, bien peu de personnes s’aperçoivent que la prévention a porté ses fruits. De même, on a du mal à reconnaître le lien entre les réformes structurelles et leurs effets préventifs car il est toujours difficile de déceler pourquoi un conflit n’a pas eu lieu. Parfois, la prévention a lieu secrètement ; c’est le cas lors d’une action diplomatique sur la délicate question des minorités, qu’il ne faut pas porter à la connaissance des médias si on ne veut pas aggraver la situation. Aussi difficile soit-elle, la prévention n’est pas une tâche impossible. Elle pose simplement des défis aussi bien fondamentaux que concrets qu’il faut relever. Trois problèmes pratiques pourraient, en particulier, être résolus. 1. La prévention des conflits est, par essence, l’objet d’une confusion conceptuelle. Elle se limite souvent aujourd’hui à une prévention d’urgence, autrement dit à une intervention humanitaire « réactive » à un conflit violent. Certes, cette « réaction » fait partie du cycle de crise, mais un conflit ne tombe pas du ciel, il se développe progressivement. L’ignorer aurait des conséquences non négligeables pour les tierces parties impliquées car c’est le stade auquel se trouve le conflit qui détermine l’opportunité de la 70. Voir, par exemple, Assemblée générale/Conseil de sécurité des Nations unies, Prévention des conflits armés, Rapport du Secrétaire général, 7 juin 2001, A/55/985-S/2001/574. 71. Voir, par exemple, Financial Times, 15 février 2002 et International Herald Tribune, 31 janvier 2002. 72. Michael Lund, « Introduction and overview », dans Michael Lund et Guenola Rasamoelina (dir.), The Impact of Conflict Prevention Policy. Cases, Measures, Assessments, SWP-CPN Yearbook 1999/2000, Nomos, Baden-Baden, 2000, p. 11. 31 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 32 Quel modèle pour la PESC ? réponse et la définition des moyens. La prévention doit donc traiter les racines du conflit aussi bien du point de vue structurel que dans l’urgence. Dans les deux cas, toutes sortes de mesures politiques, économiques, juridiques et militaires et différents types d’action sont possibles73. L’objectif général ne doit pas se limiter simplement à éviter la violence ; il faut traiter les aspects structurels du conflit sur le long terme, tels que le sous-développement, l’inégale répartition des richesses, la faiblesse des structures sociales ou le caractère non démocratique d’un régime politique. 2. Trop souvent, l’accent est mis sur la prévention, sans penser à la nécessité d’un diagnostic avant de prescrire les « remèdes » appropriés. La prévention des crises non seulement concerne la volonté et l’action politiques, mais aussi consiste « à rendre l’action efficace, ou, du moins, ‘à ne pas faire de mal’ »74. Pour être efficaces, les techniques et les instruments de la tierce partie doivent répondre aux circonstances locales et spécifiques. En conséquence, la prévention des conflits doit se fonder surtout sur une analyse correcte et objective du conflit. 3. L’échec relatif de la prévention peut être attribué à des habitudes d’organisation profondément enracinées et aux intérêts spécifiques qui leur sont associés. L’appareil bureaucratique agit habituellement en fonction de procédures bien connues et strictement dans le cadre de ses compétences. Il aura des difficultés à changer de voie et à sortir de son pré carré, surtout en l’absence d’encouragements ou de pressions politiques dans ce sens. Pour promouvoir une culture de la prévention, les acteurs internationaux doivent internaliser le savoir-faire et les habitudes existants car il n’y a pas de culture sans coutumes. On peut donc également conclure qu’il faut rationaliser la prévention des conflits, c’est-à-dire analyser régulièrement et systématiquement les effets que peuvent avoir toutes sortes d’activités à l’égard d’une région ou d’un pays dans une situation de conflit donnée ou potentielle. Quel rôle la prévention des conflits joue-t-elle dans la politique étrangère de l’UE ? Dans le premier chapitre, il a été question du rôle de l’intégration à l’UE pour faire évoluer une situation. L’intégration, pendant les années 1980, de jeunes démocraties du sud de l’Europe, comme l’Espagne, le Portugal et la Grèce a joué un rôle stabilisateur. La politique adoptée à l’égard des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) dans le cadre des accords de Yaoundé et Lomé semble elle aussi avoir implicitement contribué à la stabilité régionale. Enfin, certaines dispositions de la PESC 73. Pour une « boîte à outils » des deux types de prévention, voir Annika Björkdahl, « Developping a Toolbox for Conflict Prevention » dans Preventing Violent Conflict. The Search for Political Will, Strategies and Effective Tools, Rapport du séminaire Krusenberg, organisé par le ministère suédois des Affaires étrangères, le Stockholm International Peace Research Institute et le Swedish Institute of International Affairs, 19-20 juin 2000, SIPRI, Stockholm, 2000, pp. 20ss. 74. Michael Lund, « Creeping institutionalizing of the Culture of Prevention », op. cit., p. 26. 32 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 33 2 Evaluation et recommandations définies dans les traités de Maastricht et d’Amsterdam répondent aux besoins fondamentaux de la prévention en promouvant les droits de l’homme et le renforcement de la démocratie, l’Etat de droit et l’inclusion des missions de Petersberg. Toutefois, c’est au milieu des années 1990 seulement que l’UE a commencé de travailler explicitement à la prévention et ce, dans trois domaines. Premièrement, la Commission et le Conseil se sont occupés de l’Afrique, avec, tout d’abord, les conclusions sur « La diplomatie préventive, la résolution des conflits et le maintien de la paix en Afrique », annoncées le 4 décembre 1995, l’adoption d’une position commune sur « La prévention et la résolution des conflits en Afrique » le 2 juin 1997 et la communication de la Commission intitulée « Coopération avec les Etats ACP impliqués dans les conflits armés comme point de départ75. Deuxièmement, l’UE a lancé sa première action commune avec le Pacte de Stabilité pour l’Europe centrale et orientale. Cette initiative positive a été un acte explicite de diplomatie préventive, suivi par des actions telles que l’initiative de Royaumont et le Pacte de Stabilité pour l’Europe du Sud-Est76. L’ensemble du processus d’élargissement de l’UE peut être considéré comme de la prévention structurelle, surtout avec la nouvelle approche de la « conditionnalité » qui a été développée. Les efforts menés par l’UE pour promouvoir la coopération régionale et l’intégration à l’échelle mondiale entrent également dans ce cadre. Troisièmement, l’UE s’est engagée à prévenir et à combattre le trafic illégal d’armes conventionnelles ainsi que la diffusion des armes légères, contribuant ainsi aux régimes d’instauration de la paix77. Il y a quelques années, la Commission tenta, dans une communication au Conseil, de formuler une base conceptuelle pour la prévention et la gestion des conflits78. Ce document préconise un cycle de réponse aux crises en quatre phases. La première a lieu en temps de paix et la prévention fait intervenir des moyens structurels tels que la promotion de la démocratie, l’Etat de droit et les droits de l’homme. Si les tensions s’aggravent, des arrangements sont pris sur le court terme pour désamorcer la crise : dialogue politique, sanctions, déploiement préventif et mesures de stabilisation sociale et politique. Si le conflit dégénère, l’objectif est de réduire la violence à travers des dispositions aussi bien coercitives que non coercitives. Dès la fin du conflit, commence alors une phase d’imposition de la paix utilisant des instruments tels que la démilitarisation, l’arms control, le retour à la normale, la sur- 75. Pour ces documents et d’autres textes officiels sur l’instauration de la paix et la prévention des conflits, voir http://europa.eu.int/comm/development /prevention/index_fr.htm. 76. Voir Hans-Georg Ehrhart et Albrecht Schnabel, « EU Conflict Prevention in the Balkans: The Royaumont Initiative and Beyond », dans Peter Cross et Guenola Rasamoelina (dir.), « Conflict Prevention Policy of the European Union. Recent Engagements, Future Instruments », CPN Yearbook 1998/99, Nomos, Baden-Baden, 1999, pp. 55-69. 77. Voir Conseil de l’Union européenne, « Programme de l’UE pour la prévention du trafic illicite d’armes conventionnelles et la lutte contre ce trafic », 9057/97, 26 juin 1997 et Journal officiel, « Action commune du 17 décembre 1998 adoptée par le Conseil sur la base de l’article J.3 du traité sur l’Union européenne, relative à la contribution de l’Union européenne à la lutte contre l’accumulation et la diffusion déstabilisatrices des armes légères et de petit calibre » (1999/34/CFSP). 78. « Communication de la Commission au Conseil sur l’Union européenne et le problème des conflits africains », SEC(96)332, Bruxelles, 6 mars 1996, pp. 5-7. 33 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 34 Quel modèle pour la PESC ? veillance, le dialogue politique et les réformes institutionnelles. Toutes ces mesures ont pour objectif de promouvoir la stabilité structurelle comme but ultime. Ce cycle, défini au départ par la Commission pour la gestion des conflits en Afrique, n’a cependant pas débouché sur une stratégie politique générale de prévention des conflits – il n’a pas non plus été appliqué79. Cet échec est peut-être dû au fait que ce concept émanait des ministres chargés du développement et de la DG VIII de la Commission, et fut donc jugé secondaire. Il s’explique aussi par le manque de cohérence et l’insuffisance des instruments nécessaires. L’UE a commencé à s’intéresser à la prévention des conflits pour plusieurs raisons. Elle prend lentement mais progressivement conscience qu’un conflit grave survenant hors de ses frontières peut avoir des effets très négatifs sur ses membres. De plus, l’Union étant la plus grande puissance commerciale du monde, et le plus grand donateur d’aide humanitaire et d’aide officielle au développement, la prévention des crises est compatible avec ses activités. La Commission a en outre un intérêt bureaucratique à s’engager dans la prévention car la plupart des instruments relèvent de ses compétences et justifient le rôle significatif qu’elle entend jouer dans le domaine de la PESC. Il s’agit du reste d’un domaine politique relativement bon marché et consensuel, supposé donner à la PESC un profil plus visible. Enfin, certains Etats membres ont eux aussi fait des efforts dans ce sens que ce soit pour des raisons nationales (pressions croissantes des ONG et des organisations humanitaires), ou pour des questions de statut dans le cas des Etats neutres de l’UE. Lors du lancement du projet PESD, la prévention des conflits s’est trouvée sous les feux de la rampe. L’histoire de l’engagement au Kosovo a montré une fois de plus que la communauté internationale en avait fait trop peu et trop tard pour empêcher l’escalade d’un conflit qui couvait depuis plus d’une décennie. Les membres de l’UE en particulier ont été confrontés à leur propre manque de capacités aussi bien militaires que non militaires pour prévenir et gérer les crises. Au début de la PESD, la Grande-Bretagne et la France ne s’intéressaient qu’à la dimension militaire, tandis que les membres scandinaves de l’UE redoutaient la militarisation de l’Union. L’Allemagne servit de médiateur. Alors que la prévention est à peine mentionnée dans les principaux documents du Conseil européen de Cologne80, le Conseil de Helsinki a jugé nécessaire 79. Après tout, le Conseil a adopté une position commune en mai 2001 concernant la prévention des conflits, la gestion et la résolution des crises en Afrique, Journal officiel des Communautés européennes, L 132/3. 80. « (…) Nous sommes convaincus que le Conseil devrait être en mesure de prendre des décisions ayant trait à l’ensemble des activités de prévention des conflits et des missions de gestion des crises définies dans le traité sur l’Union européenne les « missions de Petersberg ». Conseil européen de Cologne des 3 et 4 juin 1999, « Déclaration du Conseil européen de Cologne concernant le renforcement de la politique européenne commune en matière de sécurité et de défense », dans « De SaintMalo à Nice : les textes fondateurs de la défense européenne », réunis par Maartje Rutten, Cahier de Chaillot 47, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, 2001, p. 44, cité ci-après sous le nom de De Saint-Malo à Nice. 34 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 35 2 Evaluation et recommandations d’améliorer et de rendre plus efficace l’usage des ressources dans la gestion civile des crises81. Concernant les programmes, de nombreux progrès ont été réalisés. Le rapport conjoint du Secrétaire général/Haut Représentant et de la Commission, présenté au Conseil européen de Nice, contient plus de vingt recommandations sur l’amélioration de la cohérence et de l’efficacité de la prévention des conflits par l’UE. Il est recommandé, par exemple, de maintenir la prévention des conflits comme priorité de l’action extérieure de l’UE, d’établir et de renforcer les priorités dans ce domaine et d’« avancer la séquence de l’action de l’UE en adoptant une approche progressivement anticipatoire moins réactive »82. Ce rapport, premier véritable effort de l’UE pour améliorer les synergies en matière de prévention des conflits, a été suivi d’une communication de la Commission contenant une longue liste d’instruments réels et potentiels et suggérant des activités futures dans ce domaine83. Sans entrer dans les détails, deux raisons majeures semblent expliquer l’échec de la politique de prévention. La première est qu’« il est évidemment nécessaire de renforcer notre analyse commune des causes profondes de conflit et de leurs signes annonciateurs ». La deuxième concerne la mise en cohérence. La Commission prend des mesures dans cette direction en développant et en intégrant les indicateurs de conflit pour toutes les fiches-pays, et des outils de programmation concrets comme le Livre sur la prévention des conflits sont développés afin de rationaliser les mesures de prévention. Le Conseil européen de Göteborg a approuvé un programme de l’UE pour la prévention des conflits violents, « qui améliorera la capacité de l’Union de prendre en charge de manière cohérente l’alerte rapide, l’analyse et l’action ». La prévention des conflits y est décrite comme « l’un des principaux objectifs des relations extérieures de l’Union et devrait être intégrée dans tous ses aspects pertinents, y compris la politique européenne en matière de sécurité et de défense, l’aide au développement et le commerce »84. Le programme élaboré par le COREPER précise que « conformément aux valeurs fondamentales de l’UE, la priorité politique la plus élevée sera accordée à l’amélioration de l’efficacité et de la cohérence de l’action extérieure de l’Union en matière de prévention des conflits »85. Ce programme exprime en outre la volonté de « se fixe[r] des priorités politiques précises en matière d’actions préventives, [d’]améliore[r] la cohérence aux niveaux de l’alerte 81. Bien que l’expression « prévention des crises » soit utilisée une fois dans le rapport d’avancement des travaux de la présidence de Helsinki de l’annexe I à l’annexe IV, elle n’est pas mentionnée du tout dans le rapport sur la gestion des crises non militaires figurant dans l’annexe 2 de l’annexe IV. Toutefois, la gestion des crises est considérée comme faisant partie intégrante d’une prévention poussée dans la mesure où les efforts de l’UE ont pour but de lui permettre de « répondre plus rapidement et plus efficacement à des crises naissantes ». Conseil européen d’Helsinki, Rapport de la présidence sur la gestion non militaire des crises par l’Union européenne, annexe 2 à l’annexe IV, dans De Saint-Malo à Nice, op. cit., page 96. Le rapport de la présidence sur le renforcement de la politique européenne commune en matière de sécurité et de défense est plus explicite lorsqu’il indique qu’il faut faire face aux crises : - « en œuvrant pour prévenir l’apparition ou l’intensification des conflits ; - en consolidant la paix et la stabilité interne dans les périodes de transition ; - en assurant une complémentarité entre les aspects civils et militaires de la gestion des crises de manière à couvrir tout l’éventail des Missions de Petersberg ». Conseil européen de Santa Maria da Feira, 19 et 20 juin 2000, conclusions de la présidence sur la PESD, appendice 3, dans De SaintMalo à Nice, op. cit., pp. 144-145. 82. Conseil européen de Nice, rapport présenté au Conseil européen de Nice par le Secrétaire général/Haut Représentant et la Commission, « améliorer la cohérence et l’efficacité de l’action de l’Union européenne dans le domaine de la prévention des conflits », dans De Saint-Malo à Nice, op. cit., p. 227. 83. Commission européenne, Communication de la Commission sur la Prévention des conflits, Bruxelles, 11 avril 2001, COM(2001)211 final. 84. Conseil européen de Göteborg, 15 et 16 juin 2001, dans « De Nice à Laeken – les textes fondamentaux de la défense européenne », vol. II, réunis par 35 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 36 Quel modèle pour la PESC ? rapide, de l’action et de la définition de la politique, [de] renforce[r] ses instruments de prévention à long et court termes, et [de] mettr[e] en place des partenariats efficaces ». Enfin, les mesures permettant la mise en œuvre de ces objectifs ont été e.xpliquées. Reste à savoir comment elles seront appliquées86. Il en va de même pour la lutte contre le terrorisme. L’UE a adopté une position ferme à ce sujet, en particulier « contre les Etats qui aideraient, soutiendraient ou hébergeraient des terroristes (…) à travers une approche coordonnée et interdisciplinaire incorporant toutes les politiques de l’Union ». Elle considère toutefois le développement d’« un système mondial équitable de sécurité, de prospérité et de meilleur développement [comme] la condition d’une communauté forte et durable pour lutter contre le terrorisme »87. En termes de soft security, l’UE a une contribution importante à faire : elle fournit actuellement 55% de l’assistance au développement dans le monde et les deux tiers des subventions. Selon Chris Patten, le 11 septembre a montré à quel point il est important de soutenir les Etats défaillants (failed states) et de commencer par les empêcher de faillir. L’Union doit donc s’attaquer aux « racines du terrorisme et de la violence »88. Cela étant, la prévention structurelle pouvant ne pas porter ses fruits, l’UE doit également avoir les instruments de hard security nécessaires pour traiter aussi bien avec les Etats qui soutiennent le terrorisme qu’avec le terrorisme transnational lui-même89. Maartje Rutten, Cahier de Chaillot 51, Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne, Paris, avril 2002. 85. Programme de l’Union européenne pour la prévention des conflits violents, Communiqué de Presse n. 9537/1/01, Bruxelles, 7 juin 2001, p. 1. 86. Un pas dans cette direction est l’Accord de Cotonou, qui a été signé en juin 2000 et gouverne les relations entre l’UE et les pays ACP. Cet accord comprend pour la première fois une dimension politique concernant les questions qui n’ont pas été considérées jusqu’ici comme faisant partie du programme de développement tel que le dialogue politique renforcé, l’imposition de la paix, la prévention et la résolution des conflits, les droits de l’homme, les principes démocratiques et l’Etat de droit. Voir, par exemple, pour une analyse générale, . D’autres mesures concrètes ont été entre autres l’élaboration d’une liste de surveillance des pays prioritaires fondée sur des évaluations de la Commission et la mise sur pied d’un processus d’alerte rapide fondé sur des rapports et des évaluations des risques, faits par le Secrétariat du Conseil. Voir CAG, Implementation of the EU Programme for the Prevention of Violent Conflicts, 9991/02, Bruxelles, 18 juin 2002, p.3. Recommandations 87. De Nice à Laeken, op. cit., pp. 158 et 161. Pour résumer, l’Union accorde à la prévention des conflits une place de plus en plus grande dans sa politique extérieure et ce, depuis le milieu des années 1990. Aujourd’hui, la prévention est – au niveau des programmes surtout – un objectif politique majeur, dont il importe surtout d’accroître l’efficacité, et l’UE en est l’un des plus actifs défenseurs. Mais il faut déterminer pour chaque cas si l’impact sur la situation sera positif ou négatif. Parallèlement, un consensus de principe existe à la Commission sur l’urgence d’incorporer les activités de prévention dans son travail quotidien. La prévention des conflits doit être mise en pratique dans le cadre de toutes les politiques communes, qu’il s’agisse de l’environnement, du commerce ou de l’agriculture. être incorporées dans le deuxième pilier, puisque – comme l’a indiqué un de ses fonctionnaires – la 88. The Guardian, 9 février 2002. 89. Le Conseil européen a confirmé cette approche globale dans sa « Déclaration sur la contribution de la PESC, y compris la PESD, à la lutte contre le terrorisme », annexée à la Conclusion de la présidence, Séville, 21 et 22 juin 2002, annexe V. Selon ce document, l’Union doit en priorité concentrer ses efforts sur la prévention des conflits et le dialogue politique avec les pays tiers ; elle doit également renforcer les mécanismes d’échange de renseignements et recourir davantage à l’évaluation des situations et aux rapports d’alerte rapide, se doter d’une évaluation commune de la menace terroriste qui pèse sur les 36 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 37 2 Evaluation et recommandations prévention doit « faire partie de tout aspect pertinent du travail de l’Union »90. De plus, la politique de prévention de l’UE se heurte toujours à certaines limites géographiques et fonctionnelles. Il n’existe en effet aucune entité centrale capable d’analyser et d’évaluer globalement les engagements préventifs sur le long terme. Enfin, même si l’on a surtout recours actuellement à la prévention d’urgence pour gérer les conflits, l’Union remplit grosso modo le second critère d’un acteur de sécurité coopérative. Reste à savoir dans quelle mesure l’engagement politique à l’égard de la prévention portera ses fruits, compte tenu des divergences de priorités nationales en matière de sécurité et de la difficile question de la cohérence91. La capacité de prévention des conflits de l’UE pourrait toutefois être renforcée grâce aux mesures suivantes : ◗ Le ferme engagement de considérer la prévention des conflits comme le principal objectif de la PESC dans le contexte du TUE en 2004 serait un signe clair de l’institutionnalisation de cette question. ◗ Dans les actions civiles de prévention, l’application de l’article 27a du TUE sur la coopération renforcée devrait être prise en compte dans le processus décisionnel. ◗ Bien que la prévention des conflits et la gestion des crises soient les deux faces de la même médaille, la prévention structurelle est dans tous les cas la meilleure solution et devrait donc être préférée à la prévention d’urgence. ◗ Le SG/HR et le Commissaire aux Relations extérieures devraient élaborer un rapport annuel commun sur les activités de prévention des conflits de l’UE, notamment une liste d’exemples positifs de prévention. ◗ Il convient de réfléchir à la façon de mieux informer les fonctionnaires nationaux et européens sur les techniques de prévention. ◗ La création d’une mémoire institutionnelle est une question à examiner. Trois mesures doivent être envisagées : ❙ accroître significativement la capacité de planification de l’Unité de planification politique et d’alerte rapide (UPPAR) ; ❙ évaluer systématiquement les importantes connaissances acquises ces dernières années sur la prévention des conflits, demeurées trop diffuses jusqu’ici. Cette tâche pourrait être effectuée de diverses manières : réaménagement de l’UPPAR ; création d’une agence susceptible d’agir comme centre de traitement des données sur la prévention à l’intention des fonctionnaires, des unités administratives s’occupant du conflit et des états-majors forces de l’UE, déterminer les capacités militaires nécessaires pour protéger des attentats les forces déployées et étudier plus avant comment des capacités militaires ou civiles pourraient être utilisées pour contribuer à protéger les populations civiles contre les effets d’attentats. 90. Commentaire de Martin Landgraf de l’Unité de gestion des crises de la Commission, dans « Future Challenges to Conflict Prevention. How Can the EU Contribute? », rapport d’un séminaire organisé par le Swedish Institute of International Affairs, Paris, 22 septembre 2000. 91. Le CAG s’est entendu, en mai 2002, sur une « approche systématique » de la prévention des conflits. Sur la question de la cohérence, voir Antonio Missiroli, « Introduction », dans Antonio Missiroli (dir.), « Coherence for European security policy. Debates, cases, assesments », Occasional Papers 27, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, 2001, pp. 1-16. 37 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 38 Quel modèle pour la PESC ? sur le terrain ; fusion des services de politique étrangère de la Commission et du Secrétariat du Conseil ; ❙ procéder à une analyse continue des pays et des conflits est une condition préalable d’un système efficace d’alerte rapide. Il faut pour cela envisager une coopération étroite avec les instituts de recherche et les académies92. Instruments et institutions Pour pouvoir mettre en œuvre les différentes mesures envisagées dans le cycle de réponse à la crise, l’Union doit développer les moyens appropriés et pallier le manque d’instruments pour les missions civiles et militaires de prévention et de gestion des crises. Elle doit également s’adapter aux nouvelles tâches. Dans le domaine civil, l’UE dispose déjà, avec les instruments communautaires, de toute une variété de moyens de prévention structurelle, mais en possède très peu pour la prévention d’urgence. Quant à l’outil militaire, les capacités des Etats membres ont diminué et n’étaient pas supposées jusqu’ici être employés dans le cadre de l’UE. Seule l’évolution de la position britannique, exprimée dans la déclaration franco-britannique de Saint-Malo, a ouvert la voie à la PESD93. Le développement de la PESD a ensuite rendu les réformes institutionnelles incontournables. Certes, l’UE a toujours tendance à se concentrer sur les institutions, mais une réforme s’imposait pour au moins trois raisons. Premièrement les organes existants étaient inefficaces et ne correspondaient pas aux nouvelles tâches. Deuxièmement, qui d’autre que l’UE pouvait offrir un cadre d’ensemble à la prévention des conflits et à la gestion des crises par l’Europe ? Troisièmement, l’intégration européenne progresse toujours grâce à la définition commune de normes et à la construction institutionnelle94. 92. La création du Réseau universitaire de prévention des conflits (CPN) a été une mesure dans ce sens. Créé en 1997 à l’initiative de la Commission et du Parlement européen, ce Réseau est devenu complètement opérationnel en 2000. Le CPN a été dirigé par la Stiftung Wissenschaft und Politik sur une base contractuelle. Il a été une interface pour les instituts de recherche, les experts, les universitaires et les ONG s’occupant de prévention des conflits, en fournissant aux institutions de l’UE des analyses approfondies sur des questions d’actualité. Malheureusement, la Commission a modifié le contrat prématurément. Il a été mis fin officiellement à ce projet original et prometteur à la fin de 2001. 93. Le Royaume-Uni n’a pas pour autant modifié sa politique générale concernant l’UE, mais a simplement adapté son approche de la PESC dans le domaine de la sécurité militaire. Voir Alrun Deutschmann, « Die britische Position zur GASP/ESVP: von Maastricht nach Nizza », dans Hans-Georg Ehrhart (dir.), Die Europäische Sicherheits- und Verteidigungspolitik: Positionen, Perzeptionen, Probleme, Perspektiven, Nomos, Baden-Baden, pp. 58-73. Pour une bonne analyse des positions nationales à l’égard de la PESD, voir Jolyon Howorth, « L’intégration et la défense européenne : l’ultime défi », Cahier de Chaillot 43, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, 2000, pp. 4759. Nouveaux instruments D’emblée, l’aspect militaire s’est trouvé au cœur de la PESD. C’est l’expérience du Kosovo surtout qui a fait prendre conscience du manque de structures politiques et de capacités militaires dans les Etats membres de l’Union. La France et la Grande-Bretagne ont jugé essentiel que l’Europe s’occupe de la question des capacités 94. Voir Gilles Andréani, « Why Institutions Matter », Survival, été 2000, pp. 82ss. 38 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 39 2 Evaluation et recommandations militaires en vue de réduire le fossé croissant dans ce domaine au sein de l’Alliance atlantique95. Le Conseil européen d’Helsinki a donc défini des objectifs militaires. Le headline goal prévoit que « les Etats membres devront être en mesure, d’ici 2003, de déployer dans un délai de 60 jours et de soutenir pendant au moins une année des forces militaires pouvant atteindre 50 000 à 60 000 personnes, capables d’effectuer l’ensemble des missions de Petersberg »96. Le Conseil a en outre décidé de fixer des objectifs concernant les capacités collectives en matière de commandement et de contrôle, de renseignement et de transport stratégique. Lors d’une première conférence d’engagement des capacités, tenue le 20 novembre 2000, les Etats membres ont proposé d’engager plus de 100 000 soldats, 400 engins aériens et 100 navires. Le lendemain, quinze Etats européens n’appartenant pas à l’UE ont fait leurs premiers engagements. Pour l’instant, la mise en œuvre du headline goal est satisfaisante sur le plan quantitatif. En revanche, les aspects qualitatifs tels que la mobilité, la logistique et le C3I sont plus difficiles à concrétiser. Lors du sommet de Göteborg, ayant cerné les insuffisances, les Etats membres se sont engagés « à prendre des mesures supplémentaires spécifiques pour remédier aux déficiences constatées »97. Mais ils ne sont pas parvenus à adopter un mécanisme de développement des capacités détaillé lors de la Conférence sur l’amélioration des capacités militaires tenue le 19 novembre 2001 à Bruxelles98. Ils se sont néanmoins entendus sur un plan d’action européen sur les capacités (European Capability Action Plan – ECAP), fondé sur plusieurs principes : efficacité des efforts militaires européens, approche d’aval en amont de la coopération européenne en matière de défense, coordination entre les Etats membres de l’UE, coopération avec l’OTAN et recherche du soutien de l’opinion publique99. Un rapport sur l’ECAP montre que les Etats membres n’ont satisfait que 104 des 144 objectifs. Ce demi-succès n’est pas dû à un manque de ressources financières puisque les pays de l’UE dépensent 180 milliards d’euros pour leur défense, mais plutôt à la manière dont l’argent est dépensé. En outre, les Etats membres semblent hésiter à s’engager dans des solutions multilatérales100. S’agissant de l’impact du terrorisme mondial, le SG/HR a affirmé lors d’une réunion informelle des ministres de la défense de l’UE en octobre 2001 que la lutte contre le terrorisme n’avait pas relégué les missions de Petersberg au second plan. Toutefois, les Etats membres de l’UE devraient réexaminer leurs capacités « afin 95. Voir David S. Yost, « The NATO Capabilities Gap and the European Union », Survival, vol. 42, hiver 2000-2001, pp. 97-128. Voir également William Hopkinson et Julian Lindley-French, « Europe is not ready to respond to new threats », International Herald Tribune, 20 février 2002, p. 6. 96. Conseil européen, Helsinki, 10 et 11 décembre 1999, De SaintMalo à Nice, op. cit., p. 88. 97. Conseil européen, Göteborg, Rapport de la présidence, op. cit., p. 35. 98. Voir « Conférence sur l’amélioration des capacités militaires de l’UE », Bruxelles, 19 novembre 2001, dans De Nice à Laeken, op.cit., pp. 100-108. 99. Voir CAG avec la participation des ministres de la défense de l’Union européenne, déclaration sur l’amélioration des capacités européennes, Bruxelles, 19 novembre 2001. L’ECAP a été officiellement lancé le 12 février 2002. 100. Voir Kim Sengupta, « Delays hit rapid reaction force », The Independent, 28 juin 2002. 39 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 40 Quel modèle pour la PESC ? de garantir que nous prenons pleinement en compte la menace terroriste pour nos forces lorsqu’elles sont déployées pour des opérations de gestion des crises ». M. Solana a en outre souligné l’importance d’améliorer les renseignements dont disposent les responsables politiques. Cela concerne « non seulement les menaces posées par le terrorisme lui-même, mais aussi le processus d’alerte rapide, concernant des tendances dangereuses et des causes potentielles de terrorisme ainsi que d’autres menaces pour les intérêts européens ». Il a donc proposé de renforcer la capacité du Secrétariat général à gérer les informations confidentielles101. Enfin, dans sa déclaration sur les contributions de la PESC/PESD à la lutte contre le terrorisme, le Conseil européen a pris un engagement plus ferme et plus détaillé concernant l’action et le développement des instruments appropriés102. Les décisions sur les capacités militaires se sont accompagnées de progrès de la dimension civile de la PESD. Afin de mettre en œuvre les objectifs définis dans le plan d’action du rapport de la présidence sur la gestion de crise non militaire, un inventaire a été dressé des ressources nationales et collectives et une base de données a été créée. Les enseignements tirés des situations de crise passées servent en outre à définir des objectifs clairs pour les Etats membres. Les Européens ont ainsi identifié quatre priorités pour la dimension civile de la gestion des crises, dans laquelle ils ont peu à peu commencé à coordonner leurs efforts103. La première de ces priorités concerne les capacités en matière de police. Lors du sommet de Feira, les Etats membres se sont engagés à mettre à disposition 5 000 policiers d’ici 2003, dont 1 000 peuvent être déployés en moins de trente jours104. Des procédures et des principes ont été définis compte tenu des expériences récentes de gestion des conflits et des capacités jugées nécessaires. Deux concepts ont également été mis au point : le premier sur le renforcement et le second sur le remplacement des forces de police locales105. Une conférence des chefs de police nationaux a eu lieu le 10 mai 2001 sur les capacités en matière de police et des dispositions concrètes ont été prises dans ce domaine : plan d’action, critères de sélection, de formation et d’équipement des policiers, principes et modalités des contributions des Etats non membres de l’UE et programme d’exercices pour les forces de police106. Une conférence d’engagement des capacités en matière de police a eu lieu au niveau ministériel le 19 novembre 2001 afin de réunir les engagements nationaux pour répondre aux objectifs en matière de 101. Résumé de l’intervention de Javier Solana lors de la réunion informelle des ministres de la défense, Bruxelles, 12 octobre 2001, http://www.ue.eu.int/solana/ 102. Voir Conseil européen, « Déclaration sur la contribution de la PESC, y compris la PESD, à la lutte contre le terrorisme » op. cit. 103. D’autres questions ont été jugées prioritaires pour le développement des capacités collectives et en ce qui concerne par exemple les armes légères, la démobilisation, la médiation et la réintégration. Ces priorités ne sont cependant pas encore véritablement prises en compte. 104. Voir Conseil européen, Santa Maria da Feira, « Rapport de la présidence sur le renforcement de la politique européenne commune de sécurité de défense », annexe I, dans De Saint-Malo à Nice, op. cit., p. 126. 105. Voir Conseil européen, Nice, « Le renforcement des capacités de l’Union européenne pour les aspects civils de la gestion des crises », annexe II à l’annexe VI, p. 198-203. 106. Voir Conseil européen, Göteborg, « Rapport de la présidence sur la politique européenne en matière de sécurité et de défense », annexe I, op. cit., p. 34-35, 37. 40 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 41 2 Evaluation et recommandations police définis par le Conseil européen de Feira. A cette conférence, les Etats membres ont pris des engagements quantitatifs et qualitatifs en vue de mettre sur pied une capacité européenne de police. L’objectif de réunir 5 000 policiers d’ici 2003 a été atteint. Quant au headline goal de Feira prévoyant de mobiliser 1 000 policiers en moins de trente jours, 400 hommes supplémentaires ont été mis à disposition107. La deuxième priorité est de promouvoir l’Etat de droit, autrement dit de renforcer et de restaurer les systèmes judiciaires et pénaux locaux. Une base de données spécialisée a été élaborée et les premiers objectifs ont été définis, comme celui de mobiliser, d’ici 2003, 200 fonctionnaires chargés de soutenir la police dans le domaine de la justice criminelle. Des normes et des modules communs d’entraînement ont en outre été développés depuis 2001. Enfin, une méthode doit être développée pour répondre aux objectifs quantitatifs. Lors de la Conférence d’offres d’engagements en matière de capacités d’Etat de droit tenue à Bruxelles le 16 mai 2002, il a été annoncé que les objectifs concrets fixés à Göteberg avaient été dépassés108. Les deux autres priorités concernent l’administration civile et la protection de la population. Des objectifs généraux ont été formulés dans le domaine administratif, surtout pour le renforcement des capacités globales de l’UE. Cela a été fait en créant une cellule d’experts et une base de données, avec des capacités d’entraînement et d’évaluation fondées sur les normes et les modules d’entraînement communs. Des objectifs quantitatifs ont été définis pour la protection de la population civile. Ceux-ci comprennent : la création de deux ou trois équipes d’évaluation et/ou de coordination, soit en tout dix experts, qui pourraient être mises à pied d’œuvre en trois à sept heures ; des équipes d’intervention de protection civile de 2 000 personnes disponibles sur le champ ; et des forces supplémentaires comprenant des organisations non gouvernementales et d’autres entités pouvant être mobilisées en deux à sept jours. L’échéance pour répondre à ces critères est dans les deux cas 2003109. Comme le montrent ses activités sur les aspects civils de la gestion des crises, l’UE a donc adopté une approche pragmatique. Elle concentre ses efforts sur la gestion des conséquences d’une crise, une faiblesse notoire dans le passé. Une leçon majeure de ses expériences est que restaurer la sécurité publique dans un environnement volatile exige non seulement des soldats mais aussi des poli- 107. Voir Conseil Affaires générales avec la participation des ministres responsables de la police de l’UE, Conférence d’engagement des capacités en matière de police, Déclaration, Bruxelles, 19 novembre 2001. 108. Voir Conseil européen, Séville, « Rapport de la présidence sur la politique européenne de sécurité et de défense », 10160/02 REV 2, Bruxelles, 22 juin 2002. 109. Voir Conseil européen, Göteborg, « Rapport de la présidence », op. cit., p. 33-38. 41 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 42 Quel modèle pour la PESC ? ciers, un système pénal et judiciaire au moins rudimentaire et la mise en place d’une administration locale. L’UE cherche donc à se doter des capacités suffisantes pour empêcher qu’un conflit ne dégénère et pour consolider l’après-conflit. Dans ce contexte, il est à la fois essentiel et particulièrement difficile de garantir la cohérence et la synergie des approches militaires et civiles. Le plus important à l’heure actuelle est d’assurer la sécurité sur le court terme par une prévention et une gestion d’urgence des crises. Alors seulement, une prévention structurelle pourra être entreprise sur le long terme. Le Conseil européen d’Helsinki a donc demandé à la Commission de mettre sur pied un mécanisme de réaction rapide (RRM) dans le cadre de sa décision sur la PESD. Le nouveau budget du RRM a été approuvé en conséquence par le Conseil le 26 février 2001, à hauteur de 20 et 25 millions d’euros pour 2001 et 2002 respectivement. Le RRM permet à la Commission de mener de manière plus efficace ses interventions à court terme dans le monde. Il répond à la volonté de surmonter les obstacles budgétaires, géographiques et administratifs qui gênent l’usage des instruments communautaires pour gérer efficacement les crises. Il permettra d’accélérer la capacité d’action dans des domaines tels que la surveillance des élections, la construction institutionnelle, le soutien aux médias, la formation de la police, le secours des civils, le retour à la vie normale, la médiation, etc. Le principal objectif est de lancer un processus de stabilisation et de jeter les bases d’une éventuelle assistance sur le long terme110. On a reproché aux fonds impliqués dans le mécanisme d’action rapide d’être trop modestes par rapport au coût des headline goals militaires111. Sous un angle plus positif, précisons que c’est le premier budget de l’UE pour la prévention d’urgence des conflits. Comme les Balkans l’ont montré, le principal problème n’était pas le manque de fonds mais leur gestion exagérément bureaucratique. Dans certains cas, l’aide a mis huit ans pour parvenir à son destinataire. Heureusement, la récente réforme de la Commission et de ses instruments améliorera ce piètre résultat. Mais elle n’a pas vraiment résolu le problème que pose la division des relations extérieures en trois catégories avec leurs commissaires et leurs directions générales respectives. Naturellement, la critique est toujours possible mais nous ne mentionnerons ici que trois problèmes. Les quatre priorités de 110. Voir « Council Adopts Rapid Reaction Mechanism », IP/01/255. Voir aussi Chris Patten, « Remarks in the European Parliament », 17 janvier 2001, http//europa.eu.int/comm/external_relations/news/patten/rrf _17_01_01.htm. Entre-temps, le RRM a été appliqué par exemple en Macédoine, en Afghanistan et en République démocratique du Congo. 111. Voir Thomas Debiel et Martina Fischer, « Krisenprävention und zivile Konfliktbearbeitung durch die EU – Konzepte, Kapazitätem und Kohärenzprobleme », Berghof-Report n. 4/2000, p. 20. 42 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 43 2 Evaluation et recommandations prévention civile et de gestion de crise sont encore partiellement à l’état de projet. Les efforts entrepris jusqu’ici ont surtout concerné la première, c’est-à-dire les dispositions en matière de forces de police. Les capacités civiles en sont toujours à la phase d’élaboration. Il est gênant, d’une façon générale, que la création d’instruments civils dépende entièrement de contributions volontaires des Etats membres. Cela peut inciter certains Etats à profiter de la situation et/ou conduire à des maladresses dans la mise en œuvre des objectifs déclarés. Comme dans le domaine militaire, personne n’a envie d’être tributaire de critères de convergence aussi contraignants que ceux de Maastricht. C’est seulement après bien des tergiversations sur la taille des contributions nationales que la Conférence ministérielle d’engagement des capacités de police du 19 novembre 2001 est finalement parvenue à des résultats positifs112. Il est intéressant de noter que cette conférence a eu lieu en même temps que la « Conférence d’amélioration des capacités » sur les aspects militaires de la gestion des conflits, signe avantcoureur de l’approche globale de la PESD. La question du financement des opérations civiles n’est pas encore résolue. Selon l’article 28.3 du TUE, « les dépenses opérationnelles (…) sont également [comme les dépenses administratives prévues par l’article 28.2 – note de l’auteur] à la charge du budget des Communautés européennes, à l’exception des dépenses afférentes à des opérations ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense et des cas où le Conseil en décide autrement à l’unanimité »113. Les dépenses peuvent également être « à la charge des Etats membres selon la clé du produit national brut, à moins que le Conseil, statuant à l’unanimité, n’en décide autrement »114. Un grand pas vient d’être franchi avec le projet de mission de police de l’Union européenne (MPUE) en Bosnie, qui entrerait en activité le 1er janvier 2003. La France et le Royaume-Uni surtout ont été favorables à la création d’un fond indépendant du budget communautaire – ne serait-ce que pour écarter le Parlement européen et la Commission – auquel chaque pays contribuerait en fonction de son PIB. L’Allemagne n’y a pas adhéré pour plusieurs raisons. Non seulement Berlin se retrouverait avec la contribution la plus importante (22%), mais aussi ce projet amputait le budget prévisionnel de l’« Agenda 2000 » défini lors du sommet européen 112. Un Etat membre ayant inopinément réduit sa contribution initiale de 200 policiers, l’Allemagne a réagi en augmentant spontanément la sienne de 50 policiers, incitant d’autres pays à en faire autant pour satisfaire le headline goal de Feira. 113. TUE, article 28.3. 114. Ibid. 43 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 44 Quel modèle pour la PESC ? de Berlin en 1999. Le ministère allemand des Finances craignait en outre de créer un précédent pour le financement des futures opérations européennes de gestion des crises. En outre, l’Allemagne, traditionnellement plus favorable à l’intégration, considère que la procédure établie dans le traité devrait faire office de règle. Finalement, les Etats membres ont décidé que les coûts de départ, fixés à 14 millions d’euros, seraient financés par le budget 2002 de la PESC. Les 10 millions d’euros manquants pour couvrir les frais annuels de l’opération –38 millions d’euros au total entre 2003 et 2005 – sont censés être couverts par une hausse du budget de la PESC (grâce à un regroupement au sein de ce budget)115. Les Européens ont donc réussi à se mettre d’accord sur la MPUE, mais ils ne se sont pas entendus sur une solution générale pour le financement des missions civiles de l’UE116. Réformes institutionnelles Comme nous l’avons vu, les progrès ont été plus significatifs dans le domaine institutionnel, même si le principal obstacle à une PESC efficace – la division de la politique étrangère de l’UE en deux « ramifications » institutionnelles – s’est renforcé117. Pour accroître la capacité d’agir, d’importantes dispositions ont été introduites dans les traités d’Amsterdam et de Nice. Elles concernent l’amélioration des procédures de vote telles que la possibilité de recourir à l’abstention constructive et, sauf pour les décisions ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense, à la majorité qualifiée (article 23 du TUE), ainsi que la coopération renforcée (article 27). En outre, de nouvelles structures militaires et politiques (polmil) ont été créées, notamment le poste de Haut Représentant pour la PESC (HR, article 26) et un Comité politique et de sécurité (COPS, article 25). Plusieurs organes subsidiaires ont en outre vu le jour : Unité de planification politique et d’alerte rapide (UPPAR ou Unité politique), Comité pour les aspects civils de la gestion des crises (CIVCOM), Comité militaire (CMUE) et état-major militaire (EMUE). Simultanément, la Commission a lancé un processus de réforme afin de mieux coordonner les missions de gestion des crises. La création du poste de Haut Représentant pour la PESC est probablement l’innovation la plus importante dans ce domaine. Le 18 octobre 1999, Javier Solana a été nommé premier Haut 115. Voir Conseil Affaires générales, 2409ème réunion, Bruxelles, 18/19 février 2002, pp. 21ss. 116. Concernant le financement des opérations à caractère militaire, le Conseil a approuvé un cadre général identifiant deux catégories de coûts. Les dépenses non militaires sont assimilées à des dépenses ordinaires calculées en fonction du PIB, et les dépenses militaires sont considérées selon le principe « costs lie where they fall ». Les frais liés aux états-majors font partie des coûts ordinaires. Le financement des dépenses concernant le transport des forces, les casernes et les logements sera évalué au cas par cas. Toute autre dépense sera prise en charge par les Etats membres participant aux opérations militaires. Voir CAG, 2437ème réunion, Luxembourg, 17 juin 2002, p. 15. 117. Voir Gilles Andréani, Christoph Bertram et Charles Grant, Europe’s Military Revolution, Centre for European Reform, Londres, 2001, pp. 42ss. 44 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 45 2 Evaluation et recommandations Représentant pour la PESC. Ce poste se combine avec celui de Secrétaire général du Conseil. M. Solana a essentiellement deux fonctions : il aide le Conseil pour les questions liées à la PESC en contribuant à la définition, à l’élaboration et à la mise en œuvre des décisions politiques, et il agit pour le compte du Conseil à travers un dialogue politique avec les tierces parties. En tant que Secrétaire général, M. Solana est responsable de la préparation des réunions du Conseil et de ses groupes préparatoires. Il dirige une structure administrative composée d’environ 2 500 agents travaillant dans huit directions générales différentes. La Direction générale qui traite des relations économiques extérieures et de la PESC (DG-E) vient d’être réorganisée afin de mieux contribuer aux initiatives prises en matière de PESC/PESD. D’autres Directions ont été créées pour s’occuper de la PESD (D-VII), des questions de sécurité (D-VIII) et de la gestion et de la coordination des crises civiles (D-IX). Le SG/HR peut en outre faire appel à l’expertise de l’EMUE. Le SG/HR est censé donner à la PESC une voix et un visage, et devenir au fil du temps la personne à laquelle les chefs d’Etat étrangers pourront téléphoner, comblant ainsi l’absence dont se plaignait tant Henri Kissinger. Mais cela ne se fera pas en un clin d’œil. Dans un premier temps, M. Solana s’est efforcé surtout de rendre les nouvelles structures pleinement opérationnelles et de développer sa propre approche. Quant aux principaux Etats membres de l’UE, ils semblaient enclins à lui accorder un rôle plus important et considéraient que M. Solana devrait présider le COPS de manière permanente en vue de renforcer à la fois la visibilité et la continuité de la PESC. Mais cette proposition a été refusée par d’autres Etats membres, qui ne souhaitaient pas voir le système de rotation semestriel de la présidence remis en question et craignaient de perdre leur influence dans un domaine où les initiatives sont prises par les grands pays. Au moment de décider une action commune, la question de la présidence sera donc examinée au cas par cas118. S’ils veulent disposer d’un mécanisme de réaction rapide efficace et renforcer la visibilité de l’UE sur la scène mondiale, les gouvernements devraient donner un peu plus de marge de manœuvre à M. Solana. Le SG/HR est soutenu par l’UPPAR. Cette nouvelle instance du Secrétariat général, également appelée « unité politique », a vu le jour peu après l’entrée en fonction de M. Solana. En choisissant un nom plus modeste, le SG/HR a voulu tenir compte des réserves 118. Voir Conseil européen de Nice, De Nice à Laeken, op. cit., pp. 205-207. 45 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 46 Quel modèle pour la PESC ? émises par certains Etats membres à l’égard des fonctions du SG/HR et de la petite équipe travaillant dans cette nouvelle unité (24 fonctionnaires environ, plus quelques agents supplémentaires). Le département de l’Unité politique s’occupant de l’analyse des crises est officiellement appelé le Centre de Situation (SITCEN) ou Cellule de Crise. L’un des agents est détaché de la Commission, ce qui garantit que le mécanisme de coordination pour la gestion civile des crises – tel que défini à Helsinki – est pris en compte119. Le SITCEN est un centre de gestion des crises civilo-militaire, composé à la fois de membres de l’Unité politique et de membres du CMUE afin de garantir une interaction entre les deux structures. Dans une situation de gestion des crises, le SITCEN soutient le COPS et le CMUE directement120. Il entretient en outre des contacts avec les centres de situation de l’OTAN, de l’OSCE et des Nations unies. L’unité politique dispose d’un vaste mandat incluant la surveillance, l’analyse et l’évaluation des relations internationales, l’alerte rapide et l’élaboration d’options et de recommandations politiques. Mais on peut difficilement concevoir que des ressources humaines aussi limitées – son personnel représente grosso modo 20% de celui du CMUE – permettent de mener l’ensemble de ces tâches à bien. Tout en étant situées dans le même bâtiment et en reflétant les mêmes fonctions que les directions correspondantes de la DGE, c’est une structure séparée constituée essentiellement de fonctionnaires détachés. Etant donné ces capacités restreintes, il semble raisonnable que « l’unité soit développée en un cabinet personnel étendu de Solana plutôt que d’avoir une fonction d’alerte rapide »121. L’alerte rapide et une analyse approfondie sont toutefois des aspects essentiels de la prévention des conflits. Il reste donc beaucoup à faire dans ce domaine. Un autre aspect est le statut de la majorité de fonctionnaires : puisqu’ils sont détachés de leurs gouvernements respectifs, leur allégeance à l’Union européenne ne prévaut pas. Le COPS, créé le 22 janvier 2001, comprend des fonctionnaires nationaux, ayant normalement le rang d’ambassadeur, plus un représentant de la Commission122. Il peut être présidé par le Haut Représentant, évidemment avec l’accord de la présidence. Le COPS est chargé de surveiller la situation internationale, d’émettre des avis et de présenter des propositions au Conseil, ainsi 119. Voir Conseil européen d’Helsinki, De Saint-Malo à Nice, op. cit., p. 98. 120. Le CMUE a trois fonctions opérationnelles : alerte rapide, évaluation de la situation et planification stratégique. Dans ce contexte, il fournit au SITCEN les informations militaires et reçoit ses renseignements. Voir Conseil européen de Nice, Rapport de la présidence sur la PESD, annexe V à l’annexe VI, De Saint-Malo à Nice, op. cit., p. 211. 121. CIG, EU Crisis Response Capability, Institutions and Processes for Conflict prevention and management, ICG Issues Report n. 2, Bruxelles, 26 juin 2001, p. 28. 122. Reste à savoir si ce nouvel organe développera une éthique collective propre, que Jolyon Howorth a appelée « intergouvernementalisme supranational ». Certains praticiens à Bruxelles doutent qu’elle puisse exister, même au sein du COREPER. Entretien à Bruxelles le 22 octobre 2001 et Jolyon Howorth, « L’intégration et la défense européenne : l’ultime défi », Cahier de Chaillot 43, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, 2000. 46 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 47 2 Evaluation et recommandations que de surveiller la mise en œuvre des politiques convenues. En outre, il « exerce, sous la responsabilité du Conseil, le contrôle politique et la direction stratégique des opérations de gestion de crise »123. Enfin, il peut être autorisé par le Conseil à exercer un contrôle politique et à donner une orientation stratégique aux opérations pendant une situation de crise. Le COPS est censé jouer un rôle central dans la gestion des crises en étant le pivot de la PESC où toutes les informations, propositions et initiatives concernant une crise nouvelle ou installée sont réunies afin d’évaluer la situation. Il donne des orientations au CMUE et en reçoit des recommandations. Le président du CMUE participe le cas échéant aux réunions du COPS. Celui-ci supervise également les discussions sur la PESC dans différents groupes de travail, auxquels il peut donner des orientations. Il est soutenu par les Correspondants européens et la Commission, qui coordonnent les affaires quotidiennes de la PESC. Le COPS est un forum privilégié de dialogue sur la PESD avec d’autres partenaires européens et/ou de l’OTAN. Compte tenu de l’importance de son rôle, le COPS coordonne les instruments civils et militaires. Dans ce but, il reçoit des informations, des recommandations et des propositions de la part du CIVCOM et il définit des orientations sur les questions relevant de la PESC124. Dans une situation de crise, le COPS doit coopérer étroitement avec le COREPER, un organe du premier pilier comprenant les principaux intermédiaires et les ministres des affaires étrangères, et jouant un rôle décisif concernant les questions financières125. Le président du COPS peut éventuellement participer aux réunions du COREPER, mais ne peut y exercer son droit de vote. En cas de crise toutefois, le COPS devient le seul comité subsidiaire pouvant accéder directement au Conseil. S’il devient la cheville ouvrière de la politique étrangère de l’UE, il lui faudra renforcer sa position afin de lier étroitement les deux volets de la prise de décision dans ce domaine. Cela sera possible en agissant au niveau intergouvernemental pour les questions de sécurité militaires et à travers les procédures communautaires habituelles – propositions de la Commission et vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil – pour les questions de sécurité non militaires126. Le CIVCOM, créé par une décision du Conseil du 16 juin 2000, se compose d’un représentant de chaque pays membre et de la Commission. Si, officiellement, il rend des comptes au COREPER, 123. TUE, article 25, 2. 124. Voir Conseil européen de Nice, Rapport de la présidence, De Nice à Laeken, op. cit., p. 205. 125. Il ne faut pas s’attendre à ce que le COREPER entre dans les détails de la gestion des crises, vu son manque d’expérience militaire. Toutefois, ayant une vision générale des choses, il semble tout à fait capable de garantir la cohérence de la politique européenne. 126. Voir Andréani, Bertram et Grant, op. cit., pp. 46ss. 47 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 48 Quel modèle pour la PESC ? dans la pratique, ses liens avec le COPS sont plus importants, car il lui fournit des informations et en reçoit des orientations. Il n’appartient pas au CIVCOM de coordonner les relations civilo-militaires au sein du système de gestion des crises de l’UE – tâche relevant du COPS – mais de coordonner toutes les agences nationales liées aux missions de gestion civile des crises. Pour l’instant, sa principale mission est d’élaborer un cadre pour la gestion civile des crises et de soumettre des avis au COPS et à d’autres organes du Conseil. Reste à déterminer si le CIVCOM assurera également des fonctions opérationnelles et, dans l’affirmative, lesquelles. S’il devait jouer un rôle opérationnel, cela poserait certainement des problèmes à la Commission dans la mesure où – étant donné sa nature intergouvernementale – le CIVCOM aurait ainsi la possibilité d’influencer les affaires communautaires. L’actuelle réforme de la Commission est supposée contribuer à la capacité d’action de l’UE sur la scène internationale. D’une part, il importe de garantir la cohérence avec le deuxième pilier (PESC), de l’autre, il convient d’examiner les instruments du premier pilier (CE) et de les adapter aux nouveaux défis liés à la PESC. Le processus est d’autant plus complexe que, dans le système de piliers de l’UE, chaque procédure de prise de décision exige un instrument différent. Théoriquement, ce problème peut être résolu soit en fusionnant les piliers intergouvernementaux avec le premier pilier par le biais d’une « communautarisation » soit en transférant les responsabilités de la communauté aux Etats membres. Ces approches n’étant pas réalistes pour des raisons politiques, la seule solution a été d’améliorer la coopération inter-institutionnelle. La Commission est un partenaire indispensable de la prévention et de la gestion des crises pour plusieurs raisons. Premièrement, elle dispose de la plupart des instruments civils permettant de traiter les racines potentielles de conflit. Deuxièmement, elle gère les ressources financières : alors que le budget de la PESC s’élève à 38 millions d’euros, celui de la Commission se compte en milliards. Etant l’un des principaux fournisseurs d’aide au développement, la Commission a un rôle significatif à jouer dans la prévention des conflits127. Troisièmement, elle s’appuie sur d’importantes ressources humaines : son personnel comprend 20 000 agents (15 000 à Bruxelles) ainsi que les effectifs de 111 délégations (en plus de 17 bureaux) dans le monde entier. Lorsque se produit une crise internationale, la Commission est 127. L’UE et les pays membres représentent 55% de l’aide officielle au développement, et 66% des subventions. Voir Chris Patten, Brian Lenihan Memorial Lecture, 7 mars 2001, p. 1. 48 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 49 2 Evaluation et recommandations habituellement déjà sur scène. Conformément à l’article 27 du TUE, la Commission doit être pleinement associée aux travaux menés au sein de la PESC. Elle doit s’efforcer d’adapter ses fonctions aux nouvelles tâches. Une première étape dans ce sens a été de restructurer ses relations extérieures. L’actuel Commissaire européen aux relations extérieures, Chris Patten, doit coordonner son portefeuille avec celui des autres responsables concernés. L’objectif est d’améliorer la qualité des projets, d’accélérer leur mise en œuvre, de simplifier les procédures et de supprimer les retards de paiement. En outre, M. Patten agit en étroite relation avec le SG/HR et le Conseil, et doit garantir que la Commission poursuit une politique étrangère cohérente. Il est soutenu par la Direction générale des relations extérieures (RELEX), qui comprend, au sein de la direction de la PESC, les unités responsables de la politique sécuritaire ainsi que de la prévention des conflits et de la gestion des crises. La direction RELEX joue un rôle important au sein de la Commission en matière de prévention des conflits, notamment en élaborant les fiches-pays. Un centre de coordination des crises a de plus été créé mi-2002 afin de coordonner les services de la Commission dans une situation de crise. Ce centre supplémentaire peut dans ce cas accélérer considérablement l’action communautaire. Une autre réforme concerne la gestion de l’aide et du soutien extérieurs. Créé début 2001, l’Office de coopération EuropeAid a pour but de gérer la majeure partie des projets d’aide et d’assistance dans le futur. Sa principale fonction est de coordonner plus efficacement les mesures de gestion des conflits sur le court et le long terme. Il est supervisé par un conseil que préside le Commissaire aux relations extérieures, dont le Commissaire chargé de l’aide au développement et humanitaire est le directeur, et qui comprend les Commissaires à l’élargissement, au commerce et aux affaires économiques et monétaires. EuropeAid ne s’occupe pas de l’assistance humanitaire à court terme, qui relève de l’Office humanitaire de la Communauté européenne (ECHO). Recommandations En conclusion, les nouveaux instruments et réformes institutionnelles sont un signe de la volonté politique des Etats membres et de la Commission d’améliorer le potentiel de l’UE pour la prévention 49 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 50 Quel modèle pour la PESC ? des conflits et la gestion des crises. Toutefois, la nouvelle structure ne simplifie pas le paysage institutionnel déjà compliqué de l’Europe, bien au contraire. Les nouvelles instances institutionnelles du deuxième pilier se composent pour la plupart de délégués nationaux qui apportent avec eux les intérêts très spécifiques de leurs ministères nationaux respectifs. La polémique à propos de « M. PESC » il y a quelques années, ainsi que sur la définition actuelle du rôle de M. Solana, montre à quel point le processus d’apprentissage est long et difficile pour les Etats membres, qui ont encore trop à cœur de préserver leur souveraineté, surtout lorsqu’il s’agit de sécurité. Après s’être querellés sur la définition de leurs domaines respectifs de responsabilité, le Commissaire aux relations extérieures et le Haut Représentant pour la PESC ont fini par entretenir une bonne relation de travail. Il a fallu néanmoins consacrer beaucoup d’énergie aux tâches de coordination. En fin de compte, l’UE a mis en place les structures permettant de remplir le troisième critère. S’agissant des capacités nécessaires, la priorité politique a été placée sur l’insuffisance des moyens militaires. Mais les missions de prévention directe des conflits et de rétablissement de la paix ont également révélé des déficits considérables en matière d’instruments civils. En conséquence, l’UE s’attache actuellement à développer les moyens civils et militaires permettant de gérer des situations où un conflit violent est soit imminent soit en voie d’apaisement, afin de pouvoir créer un environnement stable. En ce qui concerne les moyens militaires, les gouvernements auront des difficultés à satisfaire les headline goals et, simultanément, à respecter les limites de déficit budgétaire fixées dans le Pacte de Stabilité et de Croissance de 1997. Les forces prévues dans le cadre de cet objectif ne seront donc probablement pas pleinement opérationnelles en 2003. En même temps, la question a été soulevée de savoir si les missions de Petersberg étaient trop contraignantes, compte tenu des décisions prises par le Conseil européen le 21 septembre 2001 concernant la politique européenne de lutte contre le terrorisme. En revanche, les headline goals civils concernant la police, l’Etat de droit, l’administration et la protection civile pourraient être mis en œuvre à temps car leur coût est beaucoup plus faible. D’autres mesures pourraient être utilement envisagées : ◗ Afin de satisfaire les objectifs de capacités fixés par l’ECAP, l’UE devrait mettre davantage l’accent sur les solutions multilatérales. 50 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 51 2 Evaluation et recommandations Les « trois grands » en particulier devraient prendre la direction d’un plus grand nombre de projets de ce type. ◗ Il faudrait utiliser les crédits militaires en vue de combler les insuffisances militaires les plus urgentes. ◗ Les structures militaires devraient être rationalisées et réorganisées afin de traiter de manière plus appropriée les conflits postmodernes de faible intensité. ◗ La lutte contre le terrorisme international devrait être incluse dans les missions de Petersberg et les headline goals militaires devraient être adaptés à cette nouvelle nécessité (par exemple forces spéciales et équipement afférent). ◗ Des capacités supplémentaires de gestion des crises civile devraient être développées grâce à des groupes d’experts dans des domaines tels que la démocratisation, la médiation, la réconciliation, le désarmement, la démobilisation et la liberté des médias. ◗ La question concernant les free-riders devrait être gérée en introduisant des engagements contraignants fondés sur l’élaboration de « critères de convergence ». ◗ La question du financement des coûts opérationnels de la gestion des crises civile devrait être résolue de façon générique. En règle générale, il faudrait couvrir tous les frais liés aux coûts de lancement de l’opération, de déplacement, aux dépenses communes et aux per diems dans le cadre du budget de la PESC. Les autres dépenses seraient couvertes par les Etats. La réforme institutionnelle de l’Europe est un processus dynamique mais de plus en plus difficile, comme l’ont montré les conférences intergouvernementales d’Amsterdam et de Nice. Reste à savoir si la Convention réussira à promouvoir des réformes radicales à la CIG de 2004. La création de nouvelles institutions résulte toujours d’un compromis politique entre les Etats membres, qui ne sont d’habitude guère enthousiastes lorsqu’il s’agit de partager leur souveraineté, surtout dans le domaine de la sécurité. Quoi qu’il en soit, certains événements ont conduit à la création d’institutions nouvelles ou adaptées dans le cadre de la PESD, dont certaines parties tirent déjà les enseignements de l’action alors que d’autres poursuivent leur processus de réforme. Avec le SG/HR (et la nouvelle troïka), la visibilité de l’UE à l’étranger a été renforcée, mais son efficacité ne s’est pas améliorée pour autant. La diplomatie européenne demeurant limitée pour des raisons structurelles, il importe de promouvoir la position du SG/HR. 51 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 52 Quel modèle pour la PESC ? ◗ Une première mesure dans cette direction devrait être d’institu- tionnaliser son rôle en tant que président du COPS. ◗ En outre, la pertinence de la troïka actuelle doit être examinée. Compte tenu de la rotation semestrielle de la présidence, il serait plus logique que la troïka, dans un premier temps, soit dirigée par le SG/HR. Ensuite, le rôle de la représentation extérieure serait confié au SG/HR. Cela permettrait à la présidence tournante du Conseil de se concentrer sur la présidence du CAG ou du futur Conseil des Affaires étrangères. ◗ Le SG/HR devrait avoir un droit d’initiative en matière de politique étrangère. ◗ Il faudrait envisager de créer un poste de SG/HR adjoint, chargé d’accomplir efficacement différentes tâches liées à ce poste. Il assurerait par exemple la présidence du COPS tout en menant une diplomatie « de la navette » dans une situation de crise. ◗ A la CIG de 2004, l’UE devrait revenir sur sa décision de créer une structure séparée pour la PESC, qui fait de l’ombre à la Commission, et fusionner les fonctions de Commissaire aux relations extérieures et celles du SG/HR. Cela permettrait de rapprocher les principales branches de la politique étrangère de l’UE128. Le SG/HR aurait ensuite à la fois l’autorité et les moyens requis pour satisfaire les ambitions européennes dans le domaine des relations extérieures. ◗ Par rapport à cette proposition, il semble presque modeste de demander une augmentation significative des effectifs de l’UPPAR et de la Direction générale. Cette condition est essentielle pour les fonctions d’alerte rapide, de planification et d’analyse. Cela signifie également une augmentation du budget de la PESC. ◗ Une unité de renseignement et de lutte contre le terrorisme devrait être créée et servir de centre de collecte des renseignements fournis par les Etats membres. Cette unité entretiendrait des rapports étroits avec la branche renseignement de l’EMUE et avec la cellule antiterroriste d’Europol mise sur pied après le 11 septembre. ◗ Il faudrait accorder une attention particulière au personnel se spécialisant dans la gestion civile des crises. La participation d’un plus grand nombre d’experts de la Commission devrait être également envisagée. ◗ Enfin, les futurs collaborateurs de l’UPPAR devraient être des fonctionnaires européens. Ils présenteraient l’avantage de ne pas être un élément « étranger » au sein du secrétariat du Conseil et de 128. Selon la proposition de Gilles Andréani, Christoph Bertram et Charles Grant, « Les chefs de gouvernement désigneraient cette personne, compte tenu de l’approbation du président de la Commission. Il ou elle rendrait compte aux ministres des affaires étrangères et de la défense, mais participerait également aux réunions de la Commission comme le Commissaire aux affaires extérieures. Cette double casquette permettrait à son titulaire de faire un bon travail en fédérant toutes les ressources de l’UE derrière ses initiatives diplomatiques ». Andréani, Bertram et Grant, op. cit., p. 48. 52 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 53 2 Evaluation et recommandations travailler dans un esprit plus européen que national, ce qui garantirait une certaine continuité. Le processus de réforme de la Commission a été rendu nécessaire en partie par certains événements, notamment quelques cas de mauvaise gestion et d’inefficacité129. S’agissant du rôle de la Commission en matière de relations extérieures, elle a commencé à envisager de meilleures relations entre et à l’intérieur des piliers, ce qui a déjà abouti à la mise en œuvre de certaines réformes. La Commission a produit un grand nombre d’idées et de projets très intéressants dans le domaine de la prévention des conflits, mais aucune prévention structurelle ou d’urgence ne peut être garantie simplement à travers des programmes concernant la démocratie et les droits de l’homme. Ce qui continue de manquer est une stratégie intégrée. ◗ Cela exigera tout d’abord le développement de mesures détaillées sur l’ensemble des missions de prévention des conflits et de gestion des crises, auxquelles il faut accorder la priorité conformément à une direction stratégique claire. ◗ Le nouveau centre de coordination des crises de la Commission devrait permettre une plus grande synergie à l’intérieur du premier pilier à travers une politique globale fondée sur la rationalisation de la prévention des conflits. ◗ La réforme de la structure interne devrait avoir pour but de créer un service intégré regroupant toutes les DG, tous les départements et toutes les délégations s’occupant de relations extérieures. ◗ Les délégations de la Commission dans les pays tiers et dans les organisations internationales devraient être transformées en ambassades de l’UE auxquelles seraient confiées certaines missions liées à la PESC. ◗ Il importe d’améliorer la cohérence des politiques des trois piliers. Un processus de « trans-pilarisation » a lentement commencé130, mais il faudrait s’attacher davantage à la question de savoir comment la Commission pourrait être associée plus étroitement aux questions de défense. Bien entendu, étant donné la réticence de la plupart des Etats membres, la défense européenne demeurera pour l’instant essentiellement une question intergouvernementale. Mais avec l’éventuelle application de la « double casquette » proposée ci-dessus, il serait logique de chercher une plus grande synergie car l’UE pourrait alors utiliser son avantage unique d’avoir à sa disposition tout l’ensemble des moyens permettant de traiter lecrises. 129. Voir, à ce sujet, Cour des comptes, « Rapport spécial n° 12/2000 relatif à la gestion par la Commission du soutien apporté par l’Union européenne au développement des droits de l’homme et de la démocratie dans des pays tiers », 10 août 2000/C 230/01. 130. Voir Ferruccio Pastore, « Reconciling the Prince’s two « arms ». Internal-external security policy coordination in the European Union », Occasional Papers 30, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, septembre 2001. 53 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 54 Quel modèle pour la PESC ? ◗ Pour commencer, la Commission et le Conseil devraient mettre en œuvre la proposition du Parlement européen d’élaborer une stratégie commune globale de lutte contre le terrorisme131. Culture opérationnelle Pour revenir à la forme nouvelle du système post-international décrite dans le premier chapitre, la co-existence, en matière de prévention des conflits et de gestion des crises, d’un monde d’Etats et d’un monde d’acteurs sub-étatiques modifie l’environnement opérationnel. On assiste à une évolution de la nature des conflits, donc des opérations censées les résoudre. Par conséquent, les relations à l’intérieur des corps d’armées et entre eux, ainsi qu’entre la sphère militaire et la sphère civile changent également. S’agissant des forces militaires, nous ne donnerons que quelques exemples. Les années 1990 ont marqué la fin des armées démesurées de l’âge industriel. Un nouveau type de forces armées, « postmodernes », a fait son apparition132, qui tend à être extrêmement professionnel, très réduit et plus sophistiqué. Les opérations ont lieu de plus en plus dans le cadre d’efforts conjoints et combinés. Alors que le multilatéralisme militaire n’est pas un phénomène nouveau, aujourd’hui, la gestion des crises multilatérale (l’OTAN utilise le terme d’opération de soutien à la paix [OSP]) se caractérise par le nombre d’Etats y participant, son cadre normatif et sa complexité. Enfin, les relations entre le civil et le militaire évoluent de deux manières. D’une part, les militaires se « civilisent » en intégrant des perceptions, des tâches et des attitudes typiquement civiles. De l’autre, l’évolution de la nature des missions crée de nouvelles relations entre les acteurs civils et militaires dans la prévention des conflits et la gestion des crises133. Ce dernier aspect, très important pour qualifier l’UE d’acteur de sécurité coopérative, mérite d’être examiné plus en détail. Dans l’approche politique sécuritaire traditionnelle, il existe une distinction claire entre les forces militaires avec leurs instruments, d’une part, et les acteurs civils sur le terrain, tels que les organisations non gouvernementales nationales et internationales (ONG/ONGI), les acteurs gouvernementaux locaux et les acteurs commerciaux de l’autre. Les militaires sont habituellement subordonnés aux politiques. Dans les guerres classiques, il n’y a en principe jamais eu d’approche civilo-militaire commune : 131. Voir Parlement européen, « Rapport sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre de la politique étrangère et de la sécurité commune (PESC) », A50332/2001, 11 octobre 2001. 132. Voir Charles C. Moskos, John Allen Williams et David R. Segal, « Armed Forces after the Cold War », dans Charles C. Moskos, John Allen Williams et David R. Segal (dir.), The Postmodern Military: Armed Forces after the Cold War, Oxford University Press, New York, 2000, pp. 1-13. 133. Voir Wilfried von Bredow et Gerhard Kümmel, « New Roles for Armed Forces and the Concept of Democratic Control », dans Gerhard Kümmel et Wilfried von Bredow (dir.), Civil-Military Relations in an Age of Turbulence: Armed Forces and the Problem of Democratic Control, Sozialwissenschaftliches Institut der Bundeswehr, Strausberg, 2000, pp. 109-131. 54 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 55 2 Evaluation et recommandations qu’il s’agisse de stratégie, de tactique, de missions, de logistique ou de communications, il n’existait pas de coordination avec les acteurs civils. Mais la prévention et la gestion des conflits n’ont à l’heure actuelle rien en commun avec les guerres d’autrefois. Les objectifs sont totalement différents puisqu’il n’y a ni ennemi à attaquer134 ni territoire à conquérir, mais qu’il faut plutôt créer et préserver un environnement sûr, protéger des êtres humains, mettre en place une infrastructure et restructurer un secteur sécuritaire. Toutes ces missions ne sont pas en soi militaires et c’est pourquoi la Coopération civilo-militaire (CIMIC) devient un élément central des opérations de paix. Une autre raison est le niveau considérable d’engagement civil dans des situations urgentes complexes, pouvant inclure plusieurs centaines d’ONG. L’expérience dans les Balkans et ailleurs montre que la CIMIC est une composante très efficace de la prévention des conflits et de la gestion des crises135. Il sera néanmoins difficile de mettre en place une CIMIC efficace, entre autres parce qu’elle donne lieu à des interprétations différentes. Autrefois synonyme de soutien national aux forces de l’OTAN et de coordination des opérations avec les autorités civiles, elle a aujourd’hui un champ d’application beaucoup plus vaste. Elle présuppose des liens avec les organisations civiles, leurs autorités et leurs soutiens, ainsi que le soutien des unités militaires et des commandants militaires. Il existe un chevauchement entre les activités, qui conduit à une confusion avec l’engagement humanitaire dans le domaine civil, susceptible de gêner l’ensemble de la mission. L’OTAN a donc mis en place un centre CIMIC à Bruxelles et a développé un mécanisme « CIMIC 2000 », dont le but est de soutenir les forces de l’OTAN ayant recours à des acteurs civils sur le terrain. Les tâches spécifiques concernent par exemple la collecte de renseignements et l’évaluation de la situation civile, les activités conçues pour que les forces armées soient mieux acceptées, le fonctionnement des bureaux de liaison et le soutien d’activités civiles telles que la reconstruction. La CIMIC de l’OTAN comprend les départements des affaires publiques, l’infrastructure civile, l’économie et le commerce, l’assistance humanitaire et les affaires culturelles136. Pour l’OTAN, le principal objectif de la CIMIC est de soutenir les opérations militaires, une conception qui risque toutefois d’aller à l’encontre des principes des agences humanitaires définis par les Conventions et les Protocoles de Genève. Quant aux acteurs civils, les ONG surtout, ils 134. Cela a apparemment changé depuis l’apparition de l’hyperterrorisme le 11 septembre 2001. La lutte concrète contre cet ennemi est toutefois davantage une tâche relevant des services de renseignement et de la police que des militaires. 135. Selon Michael C. Williams (Nations unies), « Une étroite coordination entre leurs éléments civils et militaires est vitale si l’on veut réussir ». Michael C. Williams, « Civil-Military Relations and Peacekeeping », Adelphi Paper 321, p. 67. 136. Voir Peter Braunstein, « NATO-Konzept CIMIC 2000 – Zivil-militärische Zusammenarbeit bei Einsätzen der Bundeswehr im Ausland », Notfallvorsorge, n. 4, 1999, pp. 15-18. 55 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 56 Quel modèle pour la PESC ? considèrent l’institutionnalisation de la CIMIC dans les structures militaires avec une certaine méfiance. Ils craignent d’être dominés par les militaires et surtout que leur neutralité ne soit mise en cause, ce dont souffriraient et leur sécurité et leur mission humanitaire. Un autre problème concerne les différences de culture. Tout d’abord, l’armée est une organisation hiérarchique fonctionnant selon le principe du commandement, alors que la structure des ONG est essentiellement horizontale. Elle est en outre une bureaucratie statique, alors que les ONG sont beaucoup plus flexibles, et contrôlée par l’Etat, tandis que les ONG ou les acteurs commerciaux sont relativement indépendants. Les forces armées semblent ainsi davantage guidées par l’intérêt national, et les acteurs civils par les causes humanitaires. Enfin, l’objectif des armées dans la gestion de crise est plutôt défini sur le court terme alors celui des ONG concerne souvent le long terme. Bien entendu, c’est là une esquisse grossière des structures militaires et civiles, mais elle souligne certaines différences importantes de leurs cultures institutionnelles et opérationnelles dans le domaine de la prévention et de la gestion des crises137. Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant que la perception que chacun a de l’autre soit un peu trop simpliste. Même si ce problème est de mieux en mieux compris par chaque partie, en raison surtout de l’expérience commune acquise au cours de la dernière décennie en matière de gestion des crises, il existe des deux côtés des inconvénients qu’il faut résoudre. Dans le secteur civil, il faut mentionner l’absence de réglementation, une évaluation médiocre des besoins, le double emploi et la quête de publicité en vue d’obtenir de nouveaux financements. La sphère militaire a, quant à elle, tendance à vouloir tout contrôler et tout diriger sans tenir compte de l’avis des ONG. Les soldats ressentent en outre un désir compréhensible d’aider la population locale lorsqu’éclate une crise violente sans avoir la formation nécessaire. Et les gouvernements, soucieux de promouvoir une image positive des forces armées qu’ils ont engagées dans le maintien de la paix, font souvent des choix politiques qui ne servent pas la véritable cause humanitaire138. Malgré ces différences de culture opérationnelle et de perception, le besoin de coopération entre le civil et le militaire existe bel et bien. L’institutionnalisation de la CIMIC a beaucoup progressé. Les agences civiles et les ONG sont conscientes qu’elles ne peuvent 137. Voir par exemple Joelle Jenny, « Civil-Military Cooperation in Complex Emergencies: Finding Ways to Make it Work », European Security, été 2000, pp. 23-33. 138. Voir Michael C. Pugh, « Reviewing the Problems and Lessons Learnt in the Nineties: A Civil Perspective », dans Peter Viggo Jakobsen (dir.), Civil-Military Cooperation. Lessons Learnt and Models for the Future, Report from the Dupi Conference in Copenhaguen, 1-2 septembre 2000, pp. 17-39. 56 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 57 2 Evaluation et recommandations travailler correctement que si l’environnement est rendu plus sûr par la présence de militaires et de policiers autres que ceux du pays. La coordination internationale s’est améliorée, les agences coopèrent mieux et les ONG sont plus professionnelles. La valeur ajoutée de la CIMIC pour les ONG est surtout l’aide logistique qu’elle leur procure et, en retour, celles-ci peuvent fournir des conseils sur les procédures et les normes des opérations de secours. L’aspect politico-militaire comporte également des avantages pour la définition des cadres CIMIC et l’institutionnalisation de la coopération entre le civil et le militaire, mais les acteurs civils devraient être consultés le plus tôt possible. Enfin, l’échange de renseignements, aussi délicat soit-il, doit être suffisamment soutenu pour que les différents acteurs puissent agir de manière cohérente. La CIMIC a été examinée dans le cadre de la PESD en 2001. Le concept CIMIC de l’UEO, adopté par le Conseil ministériel de l’Organisation le 23 novembre 1999, sert de base préliminaire. Sa troisième révision a été présentée à la réunion du Conseil le 15 mai 2001139. La CIMIC n’a toutefois été ni traitée dans les documents récents de la PESD ni mentionnée dans le programme d’exercices relativement détaillé du rapport de la présidence du Conseil européen de Göteborg sur la PESD. Ce document contient toutefois des dispositions sur des exercices spécifiques de l’UE concernant la gestion civile des crises et la combinaison des instruments civils et militaires. Dans ce contexte, il est également indiqué que « d’autres organisations internationales et, selon le cas, des ONG pourraient, le cas échéant, participer à des exercices de l’UE et les observer »140. Ensuite, la présidence belge a présenté un catalogue de questions à ce sujet qui a été envoyé au COPS et au CIVCOM. L’UE doit gérer la CIMIC à deux niveaux différents. Pour commencer, la CIMIC doit s’occuper des relations à l’intérieur de chaque pilier (coordination civil-civil) et de la cohérence des instruments militaires et civils (coordination civilo-militaire) ainsi qu’entre les instruments et les forces militaires des Etats membres agissant dans le cadre de l’UE (coordination militaire-militaire). Ces relations peuvent être considérées comme une CIMIC interne. Les quatre priorités définies pour les aspects civils de la prévention et de la gestion des crises – police civile, Etat de droit, administration civile, protection civile – devront tout d’abord être intégrées dans une approche civilo-militaire globale de l’UE. Ensuite, ce sera le tour des instruments militaires nationaux. L’UE considère donc 139. Voir Concept de coopération civilo-militaire pour l’UEO [C(99)207], CM(99)53, 3ème révision, 30 mai 2001. 140. Conseil européen, Göteborg, Rapport de la présidence, op. cit., p. 60-61. 57 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 58 Quel modèle pour la PESC ? la CIMIC de manière beaucoup plus large que l’OTAN ne l’a fait jusqu’ici. La coordination doit être globale, ce qui nécessite une coopération intense entre le Conseil, la Commission et les Etats membres. Avec la création du COPS et de plusieurs interfaces, notamment entre le premier et le deuxième piliers, un cadre institutionnel essentiel a vu le jour. Il importe d’expliquer de façon détaillée ce que sera la CIMIC interne de l’UE et comment elle sera appliquée. Selon un spécialiste de l’unité politique, des éclaircissements sont nécessaires concernant, par exemple, le rôle du CIVCOM, le mécanisme de coordination et les procédures de gestion des crises141. Les exercices permettront d’y voir plus clair, une fois que les procédures et les arrangements auront été correctement mis en place. Il faut en outre envisager la création d’un mécanisme CIMIC pour la préparation et la mise en œuvre des options politiques142. Le second niveau de CIMIC concerne les relations entre les activités militaro-civiles de l’UE et les acteurs civils extérieurs. Un large concept CIMIC à deux niveaux a été élaboré143, tenant compte des difficultés intrinsèques de la coopération civilo-militaire ainsi que des exigences spécifiques liées à la prééminence de l’approche civile. Selon ce concept, en effet, contrairement à l’approche de l’OTAN, l’armée ne peut être l’axe central de la structure extérieure de la CIMIC sauf si la situation sur le terrain oblige à prendre des mesures coercitives144. Dans ce cas, la coopération pose problème car les organisations humanitaires doivent demeurer impartiales. Il sera assez difficile de convaincre les belligérants que, malgré son appartenance à l’UE, ECHO est une organisation purement humanitaire, qui n’est pas partie au conflit. Il n’est donc pas réaliste d’envisager une approche extérieure intégrée de la CIMIC transformant des Groupes de forces interarmées en Groupes de forces interarmées multinationales intégrées, comprenant des ONG145. On peut considérer que plus la menace sécuritaire sera réduite, moins la coopération civilo-militaire sera problématique. Le besoin de coordination demeurera toutefois très fort. Le concept d’« agence pilote » préconisé par le HCR146 est une possibilité, mais il a l’inconvénient de fonctionner sur la base du consensus, c’est-à-dire que chaque acteur peut bloquer les efforts de coordination. L’autre option est une agence pilote assurant la direction des opérations, comme ce fut le cas du HCR au Rwanda entre 1994 et 1996. Quoi qu’il en soit, dans tous ces exemples, l’objectif était de coordonner les travaux des organisations humani- 141. Entretien à Bruxelles le 22 octobre 2001. 142. Il convient de rappeler que le mécanisme de coordination prévu à Helsinki n’est responsable que de la coordination des outils civils de gestion des crises. 143. Nous nous limiterons ici à certaines remarques générales et à quelques propositions. Une bonne base pour la recherche nécessaire d’un nouveau concept CIMIC est ce que l’on appelle les « orientations d’Oslo » de 1974 et le concept d’« échelles d’options » du HCR. 144. Le concept de l’UEO considère également la possibilité de commandement militaire de toutes les agences comme une approche souhaitable, représentant probablement « le défi le plus difficile (si ce n’est impossible) » étant donné la difficulté de mener des opérations de soutien à la paix. Il tient compte également de la nécessité d’une interaction continue entre le politique et le militaire avec un grand nombre d’autres acteurs. Voir UEO, CM (99) 3ème révision, annexe P. 145. Voir Christopher Bellami, « Faire la guerre en faisant le bien », Revue de l’OTAN, été 2001, pp. 9-11. 146. Voir A UNHCR Handbook for the Military on Humanitarian Operations, New York, janvier 1995. 58 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 59 2 Evaluation et recommandations taires entre elles147. Le bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), fondé en 1998, pourrait servir de banc d’essai de la coordination, y compris pour les moyens militaires148. On peut concevoir que l’armée puisse faire partie d’un système similaire qui serait dirigé au niveau stratégique par le COPS, le CMUE fournissant un avis militaire. C’est exactement cette combinaison de leadership civil et de conseil militaire qui est la « condition préalable à l’amélioration des relations civilo-militaires dans les opérations de soutien de la paix »149. Au niveau opérationnel, un Haut Représentant de l’UE chargé d’assurer la CIMIC lors d’une crise, avec le personnel approprié, donnerait des orientations politiques aux commandants militaires. Des procédures opérationnelles permanentes (SOP) doivent être mises au point, et inclure des informations sur le rôle, la fonction et la structure des mécanismes de coordination. Il faudrait également créer des centres et des points de contact CIMIC afin d’établir une communication directe et efficace entre tous les acteurs. Un bureau spécial pour les ONG pourrait en outre resserrer les relations. Quelles que soient les structures CIMIC extérieures développées par l’UE, « les domaines de coopération doivent être étroitement définis afin d’éviter la militarisation de l’aide humanitaire »150, autrement dit empêcher que l’assistance humanitaire ne soit sous le contrôle de l’armée. C’est pourquoi il est extrêmement important qu’une distinction claire soit faite entre les domaines respectifs de responsabilité. Il faudrait que le futur concept CIMIC de l’UE inclue la participation précoce des agences humanitaires et des ONG, leur input étant essentiel au fonctionnement harmonieux de cette coordination. Les principales agences humanitaires et ONG devraient également être impliquées aussi tôt que possible dans la planification et les exercices conjoints. Dans ce contexte, la Commission pourrait s’appuyer sur son vaste réseau de contacts avec les ONG. Actuellement, le plus important est bien entendu de garantir la coordination civilo-militaire au sein de l’UE. La présidence espagnole a été chargée d’en mettre au point les détails pratiques151. En ce qui concerne la CIMIC interne, l’UE a effectué son premier exercice de gestion des crises (CME 02) fin mai 2002152. Pour la CIMIC externe, le CM a adopté deux documents au printemps 2002 : un concept CIMIC pour les opérations de gestion des crises dirigées par l’UE et un guide de planification fonctionnelle CIMIC, trai- 147. Voir Ted A. van Baarda, « Better Coordination Through Institutional Reform and Consensus Coordination in the Field », dans Peter Viggo Jakobsen (dir.), op. cit., pp. 95ss. 148. Cela concerne surtout le Inter-Agency Standing Committee. Voir Nations unies, OCHA, Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. What it is, What it Does, New York, pp. 13ss. . Voir également la structure civilo-militaire définie par les Accords de Dayton : un commandement civil et un commandement militaire distincts mais coordonnés. Michael C. Williams, op. cit., p. 57. 149. Michael C. Williams, ibid., p. 69. 150. Ted A. van Baarda, op. cit., p. 99. 151. Voir Conseil de l’Union européenne, Draft Presidency Report on European Security and Defence Policy, Bruxelles, 11 décembre 2001, 15193/01, p. 15. 152. Le CME 02 a eu lieu avec la participation des quinze Etats membres, du Conseil, du SGHR, de la Commission et du Centre satellitaire de l’UE. Les Nations unies, l’OSCE et l’OTAN étaient présentes en tant qu’observateurs. Officiellement, cet exercice « a permis à l’UE de tirer les premiers enseignements, qui seront utiles pour l’amélioration des mécanismes de l’UE en matière de gestion de crises, notamment en ce qui concerne le renforcement de la coordination civilo-militaire de l’UE ». Conseil européen, Séville, Rapport de la présidence sur la politique européenne de sécurité et de défense, op. cit., page 7. 59 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 60 Quel modèle pour la PESC ? tant des questions stratégiques et opérationnelles153. Le COPS a pris note des deux documents et il appartient maintenant au CIVCOM de fournir un input civil154. Le résultat de ce processus sera un concept CIMIC global de l’UE qui pourrait être prochainement approuvé par le Conseil. Recommandations Personne ne doute de la difficulté et de l’importance de la CIMIC, mais, comme elle n’en est qu’à ses balbutiements, on ne peut l’évaluer à ce stade. Compte tenu des efforts entrepris, il est permis d’espérer que le quatrième critère sera satisfait rapidement. Plusieurs aspects généraux importants doivent néanmoins être considérés : ◗ L’UE doit développer une approche de la CIMIC à deux niveaux simultanément. Le premier est la dimension interne de la CIMIC entre les différents acteurs institutionnels et opérationnels, et les structures, les procédures et les modalités internes à l’UE. Le deuxième concerne la CIMIC établie avec des partenaires extérieurs tels que les ONG et les ONGI. ◗ S’agissant de CIMIC interne, le rôle du CIVCOM et du mécanisme de coordination devrait être clarifié et – tout comme les procédures de gestion des crises – testé grâce à des exercices. Il faudrait créer un mécanisme spécial de la CIMIC pour préparer les options politiques et les mettre en œuvre. ◗ Etant donné la complexité d’un conflit post-international et la nécessité de traiter avec tout un éventail d’acteurs civils dans la zone concernée, il est indispensable de créer un concept européen de CIMIC externe. La coopération entre les acteurs militaires et civils devrait garantir une valeur ajoutée pour tous les participants. ◗ S’agissant de la CIMIC externe, les acteurs militaires et civils ont des cultures opérationnelles différentes que chaque partie devrait reconnaître et accepter. ◗ Il ne doit exister ni approche CIMIC intégrée subordonnant des acteurs civils au commandement militaire ni domination informelle des militaires. ◗ Une distinction claire doit être faite entre les domaines de responsabilité respectifs. ◗ Les acteurs civils doivent être consultés à un stade très précoce 153. Le CM pourrait revenir au concept CIMIC pour l’UEO, qui n’a cessé d’être révisé, et à l’unité CIMIC qui fait partie de l’EMUE. Le CIVCOM reçoit ses instructions des capitales à partir d’avis émis par le secrétariat du Conseil. 154. La présidence danoise a jugé important de garantir un équilibre entre les ressources civiles et militaires de l’UE. Elle s’efforce de déterminer « dans quelle mesure les différentes capacités civiles pourraient effectuer le meilleur travail possible ensemble dans des situations de crise. L’idée est que, dans une situation de crise, l’UE devrait être capable d’offrir un mécanisme taillé sur mesure en fonction de la mission à accomplir ». Ministère danois des affaires étrangères, One Europe, Programme de la présidence danoise de l’UE, www.eu2002.dk , p. 27. 60 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 61 2 Evaluation et recommandations lorsqu’il s’agit d’institutionnaliser la CIMIC. ◗ Aucune opération CIMIC ne pouvant être efficace sans la participation du personnel militaire de réserve, le rôle de ces spécialistes civils, extrêmement compétents dans ce domaine, devrait être intégré dans une politique globale de l’UE sur les réservistes155. ◗ Il faut une planification commune et des exercices conjoints avec les principaux acteurs civils, y compris les ONG. Coopération avec l’OSCE/ONU Avec la disparition de la rivalité entre superpuissances, les organisations internationales sont devenues d’importants acteurs de la prévention des conflits et de la gestion des crises. Cette évolution résulte également d’une interaction internationale et transnationale accrue. Traiter les turbulences de la planète nécessite bien entendu des mécanismes et des organisations de coordination internationale156. L’OSCE et les Nations ont un rôle à jouer à cet égard. Premièrement, elles sont des organisations de sécurité coopérative pouvant fournir à leurs membres un mandat d’action internationale. Deuxièmement, elles sont des institutions hybrides ayant une approche globale de la sécurité. Troisièmement, elles peuvent apporter une valeur ajoutée grâce à leur expertise spécifique dans le traitement de la prévention des conflits et de la gestion des crises, notamment si des mesures de prévention et de rétablissement de la paix s’avèrent nécessaires. Etant une communauté de valeurs et de règles, l’UE devrait développer des liens étroits avec ces deux organisations157. Nous nous intéresserons ici surtout aux relations qu’entretient l’UE avec l’OSCE et les Nations unies, qui représentent le cinquième critère à remplir pour que l’UE devienne un acteur de sécurité coopérative, tel que nous l’avons défini dans le premier chapitre. S’agissant de la relation entre l’UE et l’OSCE, on s’est sérieusement demandé si l’évolution de la PESD avait pour but de soutenir ou d’écarter l’OSCE158. L’OSCE est une organisation dont le rôle a été réaffirmé dans la Charte de Sécurité européenne de 1999 comme étant un arrangement régional conformément au chapitre VIII de la Charte des Nations unies, c’est-à-dire « une organisation de premier recours pour le règlement pacifique des différends dans la région et un instrument essentiel pour l’alerte précoce, la prévention des conflits, la gestion des crises et le relève- 155. L’OTAN a déjà fait un premier pas dans cette direction en adoptant une politique cadre sur les réservistes. Voir MC 441/1. 156. Voir Renata Dwan, « Division of Labour Between International, Regional and Subregional Organisations », dans Preventing Violent Conflict, op. cit., pp. 37-44. 157. Pour la prévention structurelle ou le retour à la vie normale, la coopération avec les institutions financières internationales est également indispensable, mais n’est pas traitée ici. De même en ce qui concerne l’OTAN, qui est – du moins pour l’instant – essentielle pour la gestion militaire des crises par l’UE sur le court terme. 158. Voir Kurt P. Tudyka, « Auswirkungen der ESVP auf die OSZE: Stärkung oder Schwächung? », dans Hans-Georg Ehrhart (dir.), op. cit. 61 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 62 Quel modèle pour la PESC ? ment après un conflit »159. En même temps, l’OSCE est l’incarnation des normes communément reconnues de l’ordre public européen tel que défini dans l’Acte final de Helsinki, la Charte de Paris et dans le document de Helsinki 1992. Même avant que la PESC ne voie le jour, la CSCE/OSCE offrait un cadre prometteur à l’action concertée de l’UE, ce qui est encore le cas aujourd’hui. Il y a eu, de plus, de nombreuses actions concertées au niveau stratégique – pactes de stabilité pour l’Europe et pour l’Europe du Sud-Est pour n’en mentionner que deux – ainsi qu’au niveau opérationnel, telles que la surveillance des élections ou la coopération entre des observateurs de l’ECMM (Mission de surveillance de la Communauté européenne) et de l’OSCE dans les Balkans160. Toutefois, l’UE crée des instruments de sécurité soft, qui semblent dupliquer les efforts de l’OSCE. Sont concernées, par exemple, les mesures décidées lors du sommet de l’OSCE à Istanbul en 1999 comme la création d’équipes d’experts en matière d’assistance et de coopération rapides (REACT), la mise sur pied d’une capacité permettant de mener des activités de police afin de maintenir l’ordre ou la création de centres d’opération. Etant donné que l’UE joue déjà un rôle décisif dans la définition d’une sécurité européenne utilisant des moyens non militaires, les nouveaux instruments sont à la fois complémentaires et, selon la situation politique, exclusifs. Pourtant, à l’initiative de certains membres de l’UE, les Etats de l’OSCE ont adopté, à Istanbul, une Plate-forme pour la sécurité coopérative dont l’objectif « consiste à raffermir la nature se renforçant mutuellement des rapports entre organisations et institutions s’occupant de la promotion de la sécurité globale dans l’espace de l’OSCE »161. La relation est beaucoup plus forte entre la PESC et l’OSCE qu’avec les autres organisations internationales. Les réunions hebdomadaires du Conseil permanent sont habituellement préparées par les représentants permanents des Quinze à Vienne lors des sessions placées sous la présidence de l’UE. Il existe en outre un groupe de travail de l’OSCE au secrétariat du Conseil et le pays qui assure la présidence de l’UE soumet généralement une position commune au Conseil permanent, auquel les futurs Etats membres sont souvent associés. Le président de la Commission et le Commissaire aux relations extérieures participent aux sommets et aux conseils ministériels de l’OSCE. Enfin, les membres de l’UE contribuent aux deux tiers du budget de l’OSCE et l’UE fournit un soutien financier significatif aux activités de l’OSCE sur le terrain. 159. OSCE, Charte de Sécurité européenne, Istanbul, novembre 1999, http://www.osce.org/ docs/french/1990-1999/summits/istachart99f.htm 160. Pour plus de détails, voir Günter Burghardt, « Early Warning and Conflict Prevention as Tasks of the European Union and EU-OSCE Cooperation », dans Institute for Peace Research and Security Policy at the University of Hamburg/IFSH (dir.), OSCE Yearbook 1999, Nomos, Baden-Baden, 1999, pp. 421-428. 161. OSCE, Document opérationnel Plate-forme pour la sécurité coopérative. 62 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 63 2 Evaluation et recommandations Dans ce contexte, l’UE est un acteur crucial – sinon primordial – pour l’OSCE. Il va sans dire qu’il est parfois difficile de parvenir à un accord entre les Quinze. Si un Etat membre désapprouve la position commune, il a le droit d’exprimer sa position. Ce désaccord peut être dû à la rivalité entre les piliers. Par exemple, pendant la dernière présidence allemande, la Commission a revendiqué le droit de parler au nom du Forum économique, ce qui a mécontenté les Allemands. L’OSCE demeure néanmoins, en théorie comme en pratique, une organisation importante dès lors que l’on parle de prévention des conflits et de gestion des crises dans la zone allant de Vancouver à Vladivostok. Elle est la seule organisation complètement européenne à laquelle les Etats-Unis et la Russie coopèrent sur un pied d’égalité, ayant un potentiel spécial et « qui sera d’autant plus importante que l’Union européenne comptera davantage de membres »162. L’OSCE est donc considérée par L’UE comme une organisation internationale pilote qui pourrait tirer parti de la PESD. Sur le plan militaire, elle peut offrir une valeur ajoutée aux missions relevant du chapitre VI de la Charte des Nations unies, en fournissant par exemple des contingents de maintien de la paix pour des foyers de trouble tels que le Nagorny-Karabakh163. Du côté civil, les nouvelles capacités sont expressément conçues entre autres pour « répondre aux demandes des autres organisations chefs de file : celles-ci pourraient compter, de manière systématique, sur une contribution quantitative et qualitative assez considérable susceptible de constituer l’élément de base de certaines de leurs missions »164. Selon le rapport de la présidence de Göteborg sur la PESC, l’OSCE « constitue un partenaire clé en ce qui concerne la gestion civile des crises. Le système REACT, les normes en matière de formation et les procédures de l’OSCE en matière de réaction rapide sont particulièrement importants pour le développement des capacités de l’UE dans ce domaine »165. La Commission maintient un dialogue permanent avec le président en exercice et le secrétariat de l’OSCE. Elle participe à des programmes et à des projets communs, et elle a commencé à examiner dans le détail avec le Centre de prévention des conflits de l’OSCE les questions concernant l’échange d’informations, le système REACT et les normes d’entraînement. Considérant de plus cette organisation comme une vaste plate-forme multilatérale pour combattre le terrorisme, la Commission et la présidence ont participé à la réunion de l’OSCE du 4 décembre 2001, au cours de laquelle a été adopté un 162. Wolfgang Ischinger, « The OSCE in the European Concert », dans Institute for Security Policy and Peace Research at the University of Hamburg/IFSH (dir.), OSCE Yearbook 2000, Nomos, Baden-Baden, 2000, p. 39. 163. Conformément au Document de Helsinki 1992, l’OSCE n’est pas autorisée à entreprendre des missions d’imposition de la paix, mais uniquement des missions traditionnelles de maintien de la paix. 164. Conseil européen de Feira, Conclusions de la présidence, appendice 3, Etude des objectifs concrets des aspects civils de la gestion des crises, dans De SaintMalo à Nice, op. cit., p. 144. 165. Voir Conseil européen, Göteborg, Rapport de la présidence sur la PESD, Annexe V, « Coopération de l’UE avec les organisations internationales pour les aspects civils de la gestion des crises », op. cit., p. 63 63 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 64 Quel modèle pour la PESC ? important plan d’action sur les mesures à adopter dans ce domaine166. Quant aux liens entre l’UE et les Nations unies en matière de prévention des conflits et de gestion des crises, ils n’ont été intensifiés que récemment. La Communauté européenne a une délégation aux Nations unies depuis 1974 et le statut d’observateur à l’Assemblée générale ainsi que dans la plupart des agences spécialisées de l’ONU. Elle est en outre partie à plus de cinquante accords et conventions multilatéraux de l’ONU où elle est le seul participant non étatique. En tant que principal organisme mondial responsable du maintien de la paix et de la sécurité internationales, l’ONU est de plus en plus considérée comme un partenaire essentiel dans la prévention des conflits et la gestion des crises. L’UE a tout intérêt à la soutenir comme principal cadre de multilatéralisme et d’ordre international. Ainsi, elle reconnaît sa responsabilité de soutenir et de renforcer les Nations unies afin de protéger le rôle de l’Organisation en cherchant des solutions multilatérales aux problèmes mondiaux sur la base de sa Charte167. Le potentiel que l’UE peut apporter aux Nations unies n’est pas négligeable. La France et le Royaume-Uni sont des membres permanents du Conseil de sécurité et la quote-part des Etats membres de l’UE représente approximativement 37% du budget des Nations unies, 40% des opérations de maintien de la paix des Nations unies et 50% de l’ensemble des contributions des Etats membres aux programmes et aux fonds des Nations unies. L’UE souscrit totalement à l’approche des opérations de paix du rapport « Brahimi » élaboré sous l’égide du Secrétaire général des Nations unies, dont s’inspire le mécanisme de réaction rapide de la Commission168. On a pu également observer un partage des tâches lors des opérations menées récemment au Kosovo et à Timor oriental. Il en a été de même pour les actions de l’Union en Afghanistan, où elle a, par exemple, encouragé le développement de la Force internationale d’assistance en matière de sécurité en Afghanistan (ISAF), conformément au mandat prévu par la résolution 1386 du Conseil de sécurité. L’UE coopère étroitement avec le Comité de lutte contre le terrorisme169 du Conseil de sécurité et c’est elle qui fournit à l’Afghanistan l’aide humanitaire la plus importante, laquelle est distribuée entre autres par le HCR, le PAM (Programme alimentaire mondial) et le CICR. L’UE a désigné un représentant spécial pour l’Afghanistan sous l’autorité du SG/HR, qui entretient avec le représentant spécial des Nations 166. Voir www.OSCE.org. 167. European Union – United Nations Relations Coming of Age, IS-34-00358-EN-C, avril 2001. 168. Voir Report of the Panel on United Nations Peace Operations. 169. Voir Conseil de sécurité des Nations unies, « Report by the European Union to the Committee established under Paragraph 6 of Resolution 1373 (2001) Adopted by the Security Council at its 4385th Meeting on 28 September 2001 », S/2001/1297. 64 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 65 2 Evaluation et recommandations unies d’étroites relations de travail en vue de coordonner le retour à la vie normale et les efforts de reconstruction170. Les deux organisations ont décidé de travailler ensemble de manière complémentaire et commencé à tenir des discussions régulières sur la coopération dans le domaine des opérations de paix. Par exemple, l’UE a encouragé la création au sein des Nations unies, conformément au droit international public, d’un cadre juridique intérimaire pour des acteurs participant aux missions de gestion des crises dans les Etats défaillants171. D’autres mesures ont été prises pour renforcer la coopération : accord cadre de 1999, entre la Communauté et les Nations unies, projet de l’Union européenne en vue de soutenir le Trust Fund pour la diplomatie préventive et sa proposition d’échanger ses fiches-pays avec le Common Country Assessment (Bilan commun de pays) de l’ONU. La Commission a également lancé un dialogue structuré avec d’autres agences des Nations unies et s’efforce d’intensifier les contacts avec des agences, des fonds et des programmes des Nations unies172. Le Conseil européen de Göteborg a confirmé que le partenariat UE-ONU serait « encore consolidé par la synergie des approches concernant la prévention des conflits et par le fait que les capacités militaires et civiles de l’Union européenne, en cours de constitution, apporte[raie]nt une valeur ajoutée réelle aux actions de gestion des crises déployées par les Nations Unies ». Le Conseil a considéré les « Balkans occidentaux, le Moyen-Orient et l’Afrique [comme] la plus haute priorité dans cette coopération renforcée »173. Enfin, les Conclusions du Conseil sur la coopération UE-ONU en matière de prévention des conflits et de gestion des crises mettent en exergue trois thèmes ainsi que plusieurs domaines de coopération174 : ◗ Prévention des conflits : échange d’informations et d’analyses concernant les crises actuelles ; coopération en matière de missions exploratoires ; coordination de l’activité et des messages diplomatiques, y compris consultation entre les représentants spéciaux ; coordination et formation sur le terrain ; coordination accrue concernant l’aide en matière d’élections et leur surveillance. ◗ Aspects civils et militaires de la gestion des crises : compatibilité accrue des normes de formation pour le personnel affecté à la gestion civile des crises, échange d’informations sur les questions liées à la planification et à la mise en œuvre de la gestion des crises ; coor- 170. Voir Conseil européen de Laeken, Conclusions de la présidence, Laeken, 14 et 15 décembre 2001, SN/300/01, p. 4ss. 171. Voir Conseil de l’Union européenne, op. cit., pp. 28ss. 172. Voir Commission européenne, Communication de la Commission sur la prévention des conflits, Bruxelles, 11 avril 2001, COM(2001) 211 final, pp. 26ss. 173. Voir Conseil européen, Göteborg, Conclusions de la présidence, op. cit., p. 31. 174. Conclusions du Conseil sur la coopération UE-ONU en matière de prévention des conflits et de gestion des crises, approuvées par le COREPER le 6 juin 2001, Communiqué de presse N. 9528/2/01, Bruxelles, 7 juin 2001, pp. 1ss. 65 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 66 Quel modèle pour la PESC ? dination sur le terrain. ◗ Spécificités régionales mentionnées ci-dessus. Ces conclusions mentionnent également les futurs arrangements de coopération accrue à quatre niveaux : ◗ Réunion ministérielle de l’UE, si nécessaire sous la forme d’une troïka, avec le Secrétaire général des Nations unies175. ◗ Réunion du SG/HR et du Commissaire aux relations extérieures avec le Secrétaire général des Nations unies et son adjoint176. ◗ Réunions du COPS avec le Secrétaire général des Nations unies et son adjoint177. ◗ Contacts entre le secrétariat du Conseil, les services de la Commission et le secrétariat des Nations unies au niveau approprié. Comme nous l’avons vu, l’UE a plusieurs raisons de vouloir intensifier la coopération avec les Nations unies. Premièrement, l’organisation mondiale est la première responsable dès lors qu’il s’agit d’imposer la paix. Le recours à la force n’est légitime qu’à deux conditions : soit lorsque le Conseil de sécurité le décide soit en cas de légitime défense. Deuxièmement, l’ONU a une grande expérience dans le domaine de la prévention des conflits et de la gestion des crises. Troisièmement, elle suit une approche globale de la sécurité comparable à celle de l’UE. Quatrièmement, la coopération permet de répartir les tâches et de promouvoir les synergies, ce qui réduit les coûts et accroît l’efficacité. Cinquièmement, les deux organisations encouragent l’intégration régionale et sous-régionale comme moyen d’instaurer la paix et de prévenir les conflits. Enfin, le profil de la PESD serait renforcé, tout comme l’identité de l’UE en tant qu’acteur de sécurité coopérative. L’approche globale de la PESD peut être comprise comme la réponse de l’UE au Rapport Brahimi, qui est une analyse détaillée et approfondie des besoins des opérations de paix au XXIe siècle. Les récentes déclarations ont souvent fait référence à ce rapport, et l’Union est prête à mettre à la disposition de l’ONU toutes les capacités dont elle dispose désormais dans le cadre de la PESD. L’ONU dépend fortement du soutien des organisations régionales pour la prévention des conflits et la gestion des crises. Une fois atteints les objectifs civils et militaires, l’UE pourrait devenir le partenaire régional le plus puissant et le plus important de l’ONU en matière de prévention d’urgence. En même temps, elle apparaît comme un exemple pour d’autres processus d’intégration régionale. N’étant pas une alliance militaire mais, par essence, une organisation 175. La toute première réunion de la Troïka de l’UE avec le Secrétaire général des Nations unies a eu lieu en septembre 2000. 176. Le SG/HR et le Commissaire aux relations extérieures se sont fréquemment rendus à New York ces derniers temps. 177. Le Secrétaire général adjoint des Nations unies a participé pour la première fois au COPS en mars 2001. 66 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 67 2 Evaluation et recommandations régionale qui sera constituée un jour de plus de trente Etats, il est improbable qu’elle entreprenne, dans le futur, des opérations militaires unilatérales et non autorisées comme l’a fait l’OTAN au Kosovo178. Les deux principales organisations, l’OSCE et l’ONU, se heurtent cependant à trois grandes difficultés : insuffisance des ressources, résistance des Etats membres et absence d’homogénéité. En revanche, l’Union et ses Etats membres ont toutes sortes de ressources à leur disposition, y compris celles qui sont actuellement créées pour la PESD. L’UE est en outre une communauté régionale relativement cohérente. Les actions de prévention des conflits et de gestion des crises entreprises par ses membres dans le cadre d’autres organisations internationales doivent être coordonnées afin de parvenir à une position commune, comme le prévoit l’article 19 du TUE. Même s’ils ne respectent pas toujours cette disposition, les Européens sont de plus en plus conscients qu’ils ne pourront se faire entendre sur la scène mondiale que s’ils s’expriment d’une seule voix. C’est pourquoi ils ont décidé de développer une capacité de gestion des crises et d’intensifier la coopération avec les organisations internationales, en particulier l’OSCE et l’ONU. Cette coopération est guidée par quatre principes : la valeur ajoutée, l’interopérabilité, la visibilité et l’autonomie de décision179. Recommandations En résumé, l’UE suit une véritable politique de coopération avec les principales organisations internationales, non seulement déclaratoire, mais aussi concrète, même s’il reste encore beaucoup à faire pour instaurer des partenariats et les rendre efficaces en créant les synergies nécessaires. Entre la CPE/PESC et l’OSCE, le bilan est excellent, mais il est impératif pour plusieurs raisons d’améliorer la coopération avec l’ONU. L’UE est l’expression d’un multilatéralisme avancé qui a conduit au développement de structures fédérales. Elle est bien placée, si elle réussit à parler d’une seule voix, pour exercer une influence significative dans les deux organisations et pour façonner l’ordre mondial. Il est dans son intérêt de promouvoir le multilatéralisme international en général, et ces deux organisations en particulier, pour faire barrage à la tentation des Américains de choisir ce qui leur est utile et de jeter le reste aux 178. Voir Albrecht Schnabel, « The European Union, ESDP and the United Nations: Competitors or Partners? », dans Hans-Georg Ehrhart (dir.), op. cit. 179. Voir Conseil européen, Göteborg, Rapport de la présidence, op. cit., p. 64. 67 55-text-FR.qxd 15/11/2002 2 15:30 Page 68 Quel modèle pour la PESC ? oubliettes180. La coopération en matière de prévention des conflits et de gestion des crises devrait être renforcée dans les domaines civils et militaire. Il faudrait notamment envisager les mesures suivantes : ◗ Arrangements stand-by de l’UE avec l’OSCE et l’ONU pour l’ensemble de ses capacités de prévention et de gestion des crises181. ◗ Développement d’une formation et de programmes d’exercices conjoints. ◗ Définition de normes communes de coopération dans la prévention des conflits et la gestion des crises. ◗ Intensification des échanges de renseignements à tous les niveaux. ◗ Désignation d’un représentant spécial de l’UE à New York pour les questions concernant la PESC/PESD, et création d’une hotline entre les structures polmil et le département des opérations de maintien de la paix de l’ONU. ◗ Analyse et planification des missions conjointes. 180. Voir l’apologie du multilatéralisme dans les institutions internationales dans Chris Patten, « Alle Anständigen in den Kampf einbeziehen », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 17 septembre 2001, p. 16. 181. Le président Chirac a annoncé une proposition de la France concernant les contributions européennes aux opérations de paix de l’ONU, qui sera discutée par les Quinze. Voir « Discours du Président de la République, M. Jacques Chirac, à l’occasion de la réception des Ambassadeurs », Paris, 27 août 2001, p. 3. 68 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 69 Quel modèle pour la PESC ? Conclusion Ce Cahier de Chaillot soulève la question de savoir quel modèle l’Union européenne devrait suivre en matière de PESC/PESD. Un débat public à ce sujet est rendu indispensable par l’indifférence croissante des Européens à l’égard de l’UE et par les défis sécuritaires auxquels l’Union est confrontée depuis la fin de la confrontation Est-Ouest, en particulier depuis les événements dramatiques du 11 septembre 2001. Le premier chapitre a tenté de présenter les différents modèles, qui sont à la fois des reflets abstraits de la réalité et des pourvoyeurs d’objectifs politiques fondés sur un ensemble de valeurs, de normes et d’intérêts fondamentaux, contribuant ainsi à la formation d’une identité de l’UE sur la scène internationale. Nous avons conclu qu’aucun des trois modèles – puissance civile, militaire ou normative – élaborés depuis les années 1970 dans des contextes historiques différents n’est adapté à l’évolution du paysage international, marquée par les différents aspects de la mondialisation. Il a donc été proposé que l’UE adopte, pour ses actions extérieures, celui d’« acteur de sécurité coopérative », regroupant les aspects civils, militaires et normatifs dans une approche globale de la paix et de la sécurité. Cette approche part du principe que la politique de défense et de sécurité classique, avec ses définitions relativement claires des intérêts et des menaces qui régissent les relations inter-étatiques, ne fournit pas une réponse appropriée aux nouveaux défis. Face à l’extrême complexité des conflits violents de notre époque « post-internationale », notre approche stratégique traditionnelle doit être repensée. Etant donné que ces conflits nuisent à l’ordre international et à la stabilité régionale, et qu’ils menacent les valeurs, les normes et la vie même des citoyens, l’Union et ses Etats membres doivent s’engager activement sur tous les fronts et avec tout un éventail d’instruments. Pour définir cet acteur de sécurité coopérative, nous avons présenté ici cinq idées fondamentales – normes, pertinence, inclusivité, approche multidimensionnelle et multilatéralisme –, qui ont été traduites 69 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 70 Quel modèle pour la PESC ? en principes d’action. Tout modèle de politique étrangère européenne doit être soutenu par les institutions appropriées, en l’occurrence l’UE, qui doit donc remplir plusieurs fonctions. L’Union doit se doter d’un cadre d’action propre, dont l’objectif sera à la fois de normaliser les perceptions et les évaluations et de promouvoir une action efficace182. Du point de vue des cinq critères, nous pouvons d’ores et déjà conclure que l’UE se transforme progressivement en acteur de sécurité coopérative. La récente évolution de la PESC/PESD et l’approche globale de la sécurité lui ont permis de définir un cadre d’action, qui s’affine peu à peu. Malgré de nombreux obstacles, la priorité est sans aucun doute la coopération et la prévention. La normalisation des perceptions et des évaluations prendra un certain temps et ne pourra se faire qu’avec la coopération graduellement mise en place au sein des nouvelles structures de la PESD. Pour ce qui est de l’efficacité des actions, les nombreuses critiques ramènent aux divergences entre les Etats membres et au problème de la cohérence de l’UE. En dépit des récentes réformes concernant les mécanismes de la politique étrangère européenne, des divisions demeurent qui nuisent gravement à la transformation de l’Union en un acteur international efficace. L’UE doit donc garantir que ses différentes politiques seront liées à ses objectifs de politique étrangère. En 1998, un diplomate allemand décrivait la PESC comme « beaucoup de diplomatie, pas mal d’argent, mais aucun soldat »183. Depuis, il s’est passé beaucoup de choses. Ce haut fonctionnaire pensait également que, pour évaluer la PESC de manière réaliste, il ne fallait pas prendre comme référence les Etats-Unis, mais plutôt une situation où il n’y aurait pas de PESC et où chaque pays agirait en son nom propre. Sous cet angle, la PESC apparaît automatiquement sous un jour positif. Les Européens agissent de concert lorsque des décisions et des actions communes leur semblent s’imposer ; s’ils ne les jugent pas nécessaires, ils adoptent une approche nationale. Autrement dit, ils continuent d’adopter encore ce que l’on appelait il y a vingt ans une « politique étrangère fourre-tout », c’est-à-dire qu’ils essayent de tirer le meilleur parti possible de la CE, de la PESC et de leurs ressources nationales184. Deux décennies plus tard, Chris Patten affirmait très justement que la politique étrangère « ne peut se limiter à un pilier du Traité », mais doit intégrer les politiques nationales, les politiques communautaires et la PESC elle-même185. 182. Pour une approche théorique, voir Beate Kohler-Koch, « Die GASP im kommenden Jahrzehnt – Gewappnet für Krisen? », dans Roland Hierzinger et Johannes Pollak (dir.), Europäische Leitbilder, Festschrift für Heinrich Schneider, Nomos, Baden-Baden, 2001, p. 160. 183. Wolfgang Ischinger, « Die Gemeinsame Aussen- und Sicherheitspolitik nach Amsterdam – Praxis und Perspektiven », ZEI Discussion Paper, C 14/1998, p. 4. 184. Reinhard Rummel, Zusammengesetze Aussenpolitik. Westeuropa als internationaler akteur, N.P. Engel Verlag, Kehl am Rhein, 1982. 185. Chris Patten, « Projecting Stability », The World Today, 7/2000, pp. 17-19. 70 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 71 Conclusion Antonio Missiroli considère, lui aussi à juste titre, que « l’UE, à l’origine une « puissance civile », ne s’est pas encore transformée en (…) acteur international multidimensionnel et à part entière, ayant pour objectif de projeter la sécurité au-delà de ses frontières. Cette transition est loin d’être terminée et son résultat reste ouvert : le « S » de la politique européenne de sécurité a en effet atteint un carrefour critique »186. Reste à savoir de quel genre de « S » nous avons véritablement besoin. Il faut se poser la question pendant la Convention sur l’avenir de l’Europe dans la mesure où, comme l’a indiqué son Président, « le monde actuel manque d’une Europe forte, unie, et pacifique »187. L’hyperterrorisme du 11 septembre 2001 pourrait-il devenir une nouvelle menace fédératrice susceptible de modifier les priorités de sécurité des Etats membres de l’UE188 ? Dans un premier temps, on a reproché aux grands pays européens de se montrer plus intéressés par un « concours de beauté » national que par la proposition de la présidence belge de mettre en commun les ressources européennes189. Cette réaction montre clairement que la PESC est encore en gestation et que le dilemme européen – comment préserver la souveraineté nationale alors qu’il existe un besoin urgent de davantage de coopération et d’intégration dans le domaine de la sécurité – n’est pas encore résolu190. On observe toutefois une nette tendance à intensifier la coopération dans le domaine de la justice et des affaires intérieures191. Face à la menace de l’hyperterrorisme, la notion de « défense territoriale » redevient d’actualité, mais dans un contexte international complètement différent et avec une nouvelle signification. La frontière entre sécurité extérieure et sécurité intérieure étant de plus en plus floue, il est nécessaire de redéfinir l’équation projection/protection. S’agissant de la projection de la stabilité, le Conseil européen a affirmé lors de la réunion extraordinaire qu’il a tenue après le 11 septembre que c’est en développant « sa politique étrangère et de sécurité commune [PESC] et en rendant la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) opérationnelle aussi tôt que possible que l’Union deviendra efficace ». Mais cela ne sera pas suffisant. Il faut s’interroger sur le rôle de la PESD dans la lutte contre le terrorisme. A quels ajustements faut-il procéder en ce qui concerne les structures de force, la doctrine et l’équipement ? Les Etats membres sont-ils prêts à supporter les coûts des innovations 186. Antonio Missiroli, « Introduction », op. cit., p. 7. 187. International Herald Tribune, 1er mars 2002, p. 3. 188. Voir Nicole Gnesotto, « L’Europe doit repenser l’Union », Libération, 27 septembre 2001, p. 15. 189. Voir Frankfurter Allgemeine Zeitung, 12 novembre 2001. 190. Autrement dit, il existe encore au cœur de la PESC un « gap capacités-attentes », qui reflète « la contradiction entre les ambitions des gouvernements membres de l’UE de jouer un plus grand rôle international et leurs réticences à s’effacer ainsi devant un cadre intergouvernemental ». Christopher Hill et William Wallace, « Introduction : actors and actions », dans Christopher Hill, The Actors in Europe’s Foreign Policy, Routledge, Londres, 1996, p. 5. 191. Pour une analyse des réactions de l’UE après le 11 septembre 2001, voir Elke Thiel, « Das Engagement der EU nach dem 11 September », SWP-Aktuell, 26/2001. Voir également Chris Patten, « Look Again : The European Commission has been at Work », International Herald Tribune, 13 décembre 2001, p. 8. 71 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 72 Quel modèle pour la PESC ? nécessaires ? Comment mettre en commun les capacités nationales de renseignement ? Comment améliorer les synergies des trois piliers pour lutter contre le terrorisme ? Le Conseil européen a adopté un plan d’action pour combattre le terrorisme en intensifiant entre autres la coopération policière et judiciaire, en développant les instruments juridiques internationaux et en renforçant la sécurité aérienne. D’autres mesures importantes ont été prises, comme une coopération accrue entre les Etats membres dans ce domaine et la création d’une cellule antiterroriste au sein d’Europol. Le Conseil européen a également souligné que « l’intégration de tous les pays dans un système mondial équitable de sécurité, de prospérité et de développement est la condition pour qu’une communauté forte et durable puisse combattre le terrorisme »192. Autrement dit, l’UE préconise également une prévention structurelle, mais qu’est-ce que cela signifiera dans la pratique ? L’UE et ses membres veulent-il investir les ressources nécessaires dans un engagement à long terme dont le résultat est incertain ? Face à la « privatisation » accrue de la violence – que ce soit à travers l’existence de chefs de guerre, la criminalité internationale ou le terrorisme transnational –, comment la sécurité peutelle s’organiser dans nos sociétés industrielles particulièrement complexes et vulnérables? La réaction de l’UE au 11 septembre reflète une interprétation post-moderne de la sécurité, sur laquelle Chris Patten a de nouveau attiré l’attention en critiquant la « dangereuse tendance » des Etats-Unis à considérer la projection de la puissance militaire comme la seule base d’une sécurité véritable. Estimant que la sécurité est une notion beaucoup plus large, il a affirmé que « nous devons faire tout ce que nous pouvons pour renforcer les Etats faibles ou en faillite et les empêcher de tomber dans les griffes des Ben Laden du monde »193. On ne peut pas se limiter aujourd’hui à une politique simpliste pour résoudre les conflits survenant à l’intérieur des Etats ou entre eux. Cela ne veut pas dire que les moyens militaires n’ont aucun rôle à jouer dans la lutte contre le terrorisme, mais, comme les problèmes posés sont complexes et de nature sociale, la réponse doit être adaptée à chaque cas compte tenu des principes de gouvernance internationale en matière de sécurité194. 192. Conseil européen, Conclusions and Plan of Action of the Extraordinary European Council Meeting on 21 September 2001, SN 140/01. 193. Entretien avec Chris Patten dans The Financial Times, 15 février 2002. 194. Pour l’école néoréaliste, l’interprétation postmoderne de la sécurité démontre simplement un manque de puissance militaire. Voir Robert Kagan, « Power and Weakness », Policy Review, n. 113, www.policyreview.org/JUN02/ka gan_print.html 72 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 73 Conclusion Dans la Déclaration de Laeken, les chefs d’Etat et de gouvernement ont souligné que « l’Europe [doit] prendre ses responsabilités dans la gouvernance de la globalisation ». Ils ont également soulevé la question de savoir « comment faire de l’Union un facteur de stabilisation et un repère dans le monde nouveau, multipolaire »195. Plusieurs de leurs recommandations sont mentionnées dans ce Cahier. Le développement de certaines capacités et leur inclusion dans une stratégie globale de prévention des conflits et de gestion des crises sont essentiels pour garantir la stabilité et la sécurité internationales à l’ère de la mondialisation. Par conséquent, l’UE et ses Etats membres devraient intensifier leurs efforts en vue d’adopter une approche globale de la sécurité intégrant les instruments civils et militaires dans une PESC privilégiant la coopération et la prévention. C’est précisément cette intégration des politiques et des moyens dans un projet politique normatif qui permettra au modèle d’Union comme acteur de sécurité coopérative d’être accepté, créant à son tour une véritable identité de sécurité européenne. 195. Voir Conseil européen de Laeken, De Nice à Laeken, op. cit., pp. 120 et 121. 73 55-text-FR.qxd 15/11/2002 annexes 15:30 Page 74 a1 Sigles ACP CAG CE CICR CIG CIMIC CIVCOM CM CMUE COPS COREPER CPE CSCE C3I DG ECHO ECMM EMUE Europol G8 IPTF ISAF MPUE OCDE OCHA OIG OING ONG ONU OSCE OSP OTAN PE PESC PESD REACT RELEX SG/HR SITCEN SOP TUE 74 Afrique, Caraïbes et Pacifique Conseil Affaires générales Communauté européenne Comité international de la Croix-Rouge Conférence intergouvernementale Coopération entre le civil et le militaire Comité pour les aspects civils de la gestion des crises Comité militaire Comité militaire de l’Union européenne Comité politique et de sécurité Comité des Représentants permanents auprès de l’Union européenne Coopération politique européenne Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe Commandement, contrôle, communications et information Direction générale Bureau humanitaire de la Communauté européenne Mission d’observation de l’Union européenne Etat-major militaire de l’Union européenne Office européen de police Groupe des huit pays les plus industrialisés Forces internationales de police des Nations unies Force internationale d’Assistance en matière de sécurité en Afghanistan Mission de police de l’Union européenne Organisation de coopération et de développement économiques Bureau de la coordination des affaires humanitaires (Nations unies) Organisations intergouvernementales Organisations internationales non gouvernementales Organisations non gouvernementales Organisation des Nations unies Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe Opération de soutien à la paix Organisation du Traité de l’Atlantique Nord Parlement européen Politique étrangère et de Sécurité commune Politique européenne de sécurité et de défense Equipe d’experts en matière d’assistance et de coopération rapides Relations extérieures Secrétaire général/Haut Représentant Centre de situation Procédures opérationnelles permanentes Traité sur l’Union européenne 55-text-FR.qxd 15/11/2002 15:30 Page 75 a1 UE UEO UNHCR UNSC UPPAR WFP Union européenne Union de l’Europe occidentale Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés Conseil de sécurité de l’ONU Unité de planification de la Politique et d’Alerte rapide Programme alimentaire mondial (PAM) 75 55-text-FR.qxd 15/11/2002 annexes 15:30 Page 76 a2 Bibliographie ❚ Emmanuel Adler et Michael Barnett, Security Communities, Cambridge University Press, Cambridge, 1998 ❚ Gilles Andréani, « Why Institutions Matter », Survival, été 2000 ❚ Gilles Andréani, Christoph Bertram et Charles Grant, Europe’s Military Revolution, Centre for European Reform, Londres, 2001 ❚ Christopher Bellamy, « Combining Combat Readiness and Compassion », Revue de l’OTAN, été 2001 ❚ Kenneth E. 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Smith, The Making of EU Foreign Policy: The Case of Eastern Europe, St. Martin’s Press, New York, 1999 ❚ Karen Smith, « The End of Civilian Power EU: A Welcome Demise or Cause for Concern? » The International Spectator, n. 2, avril-juin 2000 ❚ Javier Solana, « Die Gemeinsame Europäische Sicherheits- und Verteidigungspolitik – Das Integrationsprojekt der nächsten Dekade », Integration, 1/2000 ❚ Javier Solana, Europe: Security in the Twenty-First Century, The Olof Palme Memorial Lecture, Stockholm, 20 juin 2001 ❚ Javier Solana, « European Security and Defence Policy (ESDP) and its Social Basis », discours à Berlin, 29 juin 2001 ❚ Javier Solana, « Pourquoi nous sommes en Macédoine », Le Monde, 25 août 2001 ❚ UNHCR, A UNHCR Handbook for the Military on Humanitarian Operation, UNHCR, New York, 1995 ❚ Martin Van Crefeld, On Future War, Brassey’s, Londres, 1991. ❚ Max Van der Stoel, « Hilfe bei der Sisyphusarbeit: Verhütung künftiger Konflikte », Europäische Rundschau, 3/2001. ❚ David S. Yost, « The NATO Capabilities Gap and the European Union », Survival, hiver 2000-01 ❚ Michael C. Williams, « Civil-Military Relations and Peacekeeping », Adelphi Paper n. 321 ❚ Laurent Zecchini, « Les limites de la diplomatie européenne », Le Monde, 5 octobre 2001 79 Cahiers de Chaillot Tous les Cahiers de Chaillot peuvent être consultés sur internet : www.iss-eu.org n°54 Etats-Unis : l’empire de la force ou la force de l’empire septembre 2002 Pierre Hassner n°53 Elargissement et défense européenne après le 11 septembre juin 2002 Jiri Sedivy, Pal Dunay et Jacek Saryusz-Wolski ; sous la direction de Antonio Missiroli n°52 Les termes de l’engagement : le paradoxe de la puissance américaine et le dilemme transatlantique après le 11 septembre mai 2002 Julian Lindley-French n°51 De Nice à Laeken : Les textes fondamentaux de la défense européenne avril 2002 réunis par Maartje Rutten, Volume II n°50 Quel statut pour le Kosovo ? octobre 2001 Dana Allin, Franz-Lothar Altmann, Marta Dassu, Tim Judah, Jacques Rupnik et Thanos Veremis ; sous la direction de Dimitrios Triantaphyllou n°49 Elargissement : une nouvelle OTAN octobre 2001 William Hopkinson n°48 Nucléaire : le retour d'un Grand Débat juillet 2001 Thérèse Delpech, Shen Dingli, Lawrence Freedman, Camille Grand, Robert A. Manning, Harald Müller, Brad Roberts et Dmitri Trenin ; sous la direction de Burkard Schmitt n°47 De Saint-Malo à Nice : les textes fondateurs de la défense européenne mai 2001 Réunis par Maartje Rutten n°46 Le Sud des Balkans : vues de la région avril 2001 Ismail Kadare, Predrag Simic, Ljubomir Frckoski and Hylber Hysa ; sous la direction de Dimitrios Triantaphyllou n°45 L'intervention militaire et l'Union européenne mars 2001 Martin Ortega n°44 Entre coopération et concurrence : le marché transatlantique de défense janvier 2001 Gordon Adams, Christophe Cornu et Andrew D. James ; sous la direction de Burkard Schmitt n°43 L'intégration européenne et la défense : l'ultime défi ? novembre 2001 Jolyon Howorth n°42 Défense européenne : la mise en œuvre septembre 2001 Nicole Gnesotto, Charles Grant, Karl Kaiser, Andrzej Karkoszka, Tomas Ries, Maartje Rutten, Stefano Silvestri, Alvaro Vasconcelos et Rob de Wijk ; sous la direction de François Heisbourg n°41 L'Europe et ses boat people : la coopération maritime en Méditerranée juillet 2000 Michael Pugh n°40 De la coopération à l'intégration : les industries aéronautique et de défense en Europe Burkard Schmitt juillet 2000 Ce nouveau Cahier de Chaillot tente de définir la forme que pourrait prendre aujourd’hui l’Union européenne en matière de PESC. En effet, face aux défis de l’après-guerre froide, les modèles traditionnels de l’UE – puissance civile, militaire ou normative – ne semblent plus appropriés. Selon l’auteur, l’Union devrait fonder ses actions extérieures sur un concept de sécurité coopérative, intégrant les dimensions civile, militaire et normative dans une approche globale de la paix et de la sécurité. Avec le développement de la PESD et son approche globale de la sécurité, l’UE développe et perfectionne son fonctionnement propre en matière d’action extérieure. La raison d’être de la PESC est la coopération et la prévention, mais les insuffisances sont encore nombreuses. Il importe d’harmoniser les perceptions et de procéder à des évaluations communes, ce que permettra progressivement la coopération au sein des nouvelles structures. S’agissant de l’efficacité des opérations, le point faible de la PESC demeure le manque de cohérence : les divergences entre Etats membres et la complexité des structures décisionnelles empêchent encore l’Union de devenir un véritable acteur international. Pour contribuer efficacement à la stabilité et à la sécurité internationales à l’heure de la mondialisation, l’UE doit développer des politiques fondées sur une vision globale et consensuelle. Il faut donc que l’Union et ses Etats membres s’efforcent de définir une approche commune de la sécurité associant instruments militaires et civils et privilégiant la coopération et la prévention. L’UE doit réussir à intégrer ses politiques et ses moyens dans un projet commun fondé sur des normes et des valeurs agréées par la communauté internationale. C’est à cette condition seulement qu’elle deviendra un acteur de sécurité coopérative et sera en mesure de se doter de sa propre identité de sécurité. publié par l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne 43 avenue du Président Wilson 75775 Paris cedex 16 tél.: +33 (0) 1 56 89 19 30 fax: +33 (0) 1 56 89 19 31 e-mail: [email protected] www.iss-eu.org