La femme d`Afrique et son chirurgien face au cancer du sein
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La femme d`Afrique et son chirurgien face au cancer du sein
LETTRE A L’EDITEUR LA FEMME D’AFRIQUE ET SON CHIRURGIEN FACE AU CANCER DU SEIN HAROUNA Y. D. Second cancer de la femme après celui du col de l’utérus (1), le cancer du sein fr appe la femme africaine une décade plus tôt et avec une agressivité évolutive élevée par rapport à la femme des pays développés (2). L’ignorance de nos populations, les difficultés d’accès aux centres de soins, l’absence d’éducation en la matière font qu’en l’an 2000 encore, plus des 3/4 de nos patientes consultent à un stade avancé du cancer(3,4). Désormais devenu problème de santé publique, le cancer du sein, n’a pourtant pas encore retenu l’attention des décideurs en matière de politique sanitaire (4). Alors deux individus presque abandonnés à eux-mêmes se retrouvent côte à côte pour lutter contre ce cancer : - Le chirurgien confronté aux problèmes diagnostiques et thérapeutiques : avec souvent comme seul moyen, la clinique, apprise sur les bancs de la faculté, le chirurgien d’Afrique se retrouve devant un tableau clinique certes souvent évolué mais nécessitant toujours des examens paracliniques pour une meilleure prise en charge. Dans beaucoup de pays sous-développés l’existence et/ou le fonctionnement de ces examens si indispensables ne sont pas certains. L’échographie et la mammographie, dont l’importance et le rôle diagnostique ont été rapportés dans plusieurs études (5, 6), sont en nombre très insuffisants dans les pays qui ont la chance d’en avoir. Souvent en nombre unitaire pour des millions de femmes, la durée de vie de ces appareils n’excède que rarement un ou deux ans dans un environnement climatique hostile (voir réunion des radiologues d’Afrique). Le problème de l’examen histologique se pose dans tous les pays d’Afrique subsaharienne. Il n’y a qu’un seul l ab o rat o i re d’anatomie pat h o l ogique au Nige r, par exemple, pour un pays d’une superficie trois fois celle de la France, avec des moyens de transport et de communication rudimentaires, ce qui rend cet examen inaccessible à tous les praticiens exerçant en dehors de la capitale. Même pour ceux qui y ont accès, il faut attendre au Assistant des Unive rsités - Département de ch i ru rgie - Faculté des Sciences de la Santé - Université Abdou Moumouni Dioffo - B.P. 10896 Niamey - Niger. Médecine d'Afrique Noire : 2001, 48 (2) moins deux mois pour les résultats et l’examen extemporané demeure encore du domaine du rêve. Alors le chirurgien est limité à une classification clinique TNM et tente l’impossible avec la lourde responsabilité d’une décision thérapeutique : faut-il amputer cette glande si chère à la patiente sur les simples bases de constat clinique ou renoncer à tout acte chirurgical par insuffisance d’arguments devant la quasi-impossibilité de réaliser un bilan d’extension correct ? La chirurgie est la seule arme disponible, les traitements adjuvants et néoadjuvants étant toujours aléatoires. Pourtant, toutes les études en matière de cancer du sein en Afrique n’ont cessé de déplorer l’impossibilité de faire bénéficier les patientes de la radiothérapie, la chimiothérapie ou l’hormonothérapie (5-7, 8). Dans les quelques pays où ces thérapeutiques existent, elles sont inaccessibles à toutes, à cause de leur coût en général, audessus des moyens de l’agricultrice ou de l’éleveur de nos pays qui vit au dessous du seuil de pauvreté. Alors les différents intervenants (médecins des autres spécialités) en collaboration avec le chirurgien essaient toujours mais souvent avec des protocoles modifiés selon les disponibilités de tenter l’impossible, conscients qu’ils ne vivront jamais les heureux moments de la guérison ou de rémission prolongée, publiés par leurs confrères des pays développés. - La patiente : rongée épuisée par la maladie cancéreuse, elle ne sait à qui se vouer entre le tradipraticien, peu onéreux et toujours prometteur d’une guérison certaine et le chirurgien qui lui imposera ordonnances et examens complémentaires nécessitant beaucoup de dépenses. Toujours très courageuse, après l’échec du traitement traditionnel, elle finira par se confier au chirurgien. Après des semaines voire des mois de course d’un rendez-vous à un autre, elle finira par obtenir une échographie par là, une mammographie par ci, avec la contrainte de quitter le foyer souvent à 4 h du matin pour n’y revenir que le soir, sinon il faut corrompre tel ou tel LA FEMME D’AFRIQUE… 83 agent pour avancer les rendez-vous. Mais seulement voilà, après tout ce périple et souvent après une lourde chirurgie lui ayant emporté tout ou partie de son sein, la mauvaise nouvelle lui sera annoncée : «Madame, ce qu’il faut pour vous traiter correctement n’existe pas dans ce pays». Alors c’est le désarroi, elle qui a toujours cru qu’après tous ces examens son mal serait désormais identifié, se voit aujourd’hui refusée pour l’intervention ou même déclarée non guérie alors que «son mal a été emporté par la chirurgie». La femme rurale, sans moyens financiers particuliers, va a l o rs baisser les bras et mourir lentement dans sa douleur et son impuissance. Celle des villes continuera la bataille, remuant ciel et terre pour une évacuation sanitaire vers l’Europe, évacuation qu’elle finira par obtenir une fois sur cent grâce à l’intervention de tel parent ou de tel ami dans l’administration et qui interviendra au plus tôt un an après le diagnostic : trop tard lui dira-t-on souvent là- bas, il faut retourner au pays. La mort n’est plus lointaine. L’ e ff royable réalité du cancer du sein de la femme d’Afrique subsaharienne interpelle pouvoirs publics et personnels de santé. L’éducation et la sensibilisation des masses populaires (9) prennent tout leur sens de santé publique. Doter nos centres de moyens diagnostiques et thérapeutiques dev rait s’inscri re désormais parmi les priorités de dépenses de nos pays disposant désormais de moyens humains qualifiés. 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