On ne paie pas, on ne paie pas
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On ne paie pas, on ne paie pas
On ne paie pas, on ne paie pas ! de Dario Fo mise en scène Joan Mompart Dossier de presse Comédie de Genève www.comedie.ch Christine Ferrier +4122 8O9 6O 83 [email protected] Ana Regueiro +4122 8O9 6O 73 [email protected] mardi, mercredi, jeudi, samedi 19h, vendredi 2Oh, dimanche 17h. Lundi relâche. O7 - 11 octobre 2O14 reprise On ne paie pas, on ne paie pas ! Hors-scène Samedi 11 octobre à 11h CARTE BLANCHE À CHARLES MÉLA « Et voilà comment l’esprit vient aux ouvrières ! » avec : Charles Méla, professeur de littérature et ancien directeur de la Fondation Martin Bodmer et Joan Mompart, metteur en scène entrée libre 2 On ne paie pas, on ne paie pas ! Traduction : Toni Cecchinato, Nicole Colchat avec : Mauro Bellucci Luigi Samuel Churin Giovanni Camille Figuereo Margherita François Nadin acteur Joker Brigitte Rosset Antonia assistante à la mise en scène : Hinde Kaddour scénographie, vidéo : Cristian Taraborrelli assistante à la scénographie : Allegra Bernacchioni lumière, régie vidéo : Yann Gioria musique, univers sonore : Olivier Gabus costumes : Claude Rueger maquillage, coiffure: Katrin Zingg production : Comédie de Genève coproduction : Llum Teatre 3 On ne paie pas, on ne paie pas ! En tournée 16 octobre : CO2, Bulle 19 octobre : Théâtre du Crochetan, Monthey 23 octobre : Théâtre d’expression français, Bienne 29 octobre : Théâtre de Vevey O5-O8 novembre : La Coursive-Scène Nationale de La Rochelle 14 novembre : Théâtre de Cavaillon 18-19 novembre : Le Granit-Scène Nationale de Belfort 27-28 novembre : L’Equinoxe-Scène Nationale de Belfort O2-O3 décembre : Théâtre de Privas 4 On ne paie pas, on ne paie pas ! La pièce Pièce militante dans laquelle quiproquos, situations burlesques, coups d’éclats et éclats de rire s’enchaînent avec férocité et allégresse, On ne paie pas, on ne paie pas ! fait son retour à la Comédie pour quelques représentations avant de partir en tournée. Dans un quartier ouvrier, jour de supermarché: un groupe de femmes, dont fait partie Antonia, se révolte contre la hausse des prix et décide de partir du magasin sans payer. L’acte est légitime, elles sont presque dans leur droit : « C’est la même chose qu’une grève, c’est même mieux ! » Mais Giovanni, le mari d’Antonia, est profondément légaliste et ne voit pas les choses de cette façon. La police non plus, qui commence à fouiller tout le secteur pour retrouver les coupables... Peine perdue, car ce qui a été volé a tout simplement disparu ! Le mystère est d’autant plus grand qu’une étrange épidémie de « grossesses subites » s’abat sur le quartier... 5 On ne paie pas, on ne paie pas! Entretien avec Joan Mompart Propos recueillis par Hinde Kaddour Pourquoi avoir choisi de monter On ne paie pas, on ne paie pas ! de Dario Fo ? J’ai découvert la pièce il y a une dizaine d’années, grâce à une superbe mise en scène de Jacques Nichet au Théâtre Nanterre-Amandiers, et je m’étais alors beaucoup intéressé à l’œuvre de Dario Fo. C’est Hervé Loichemol qui m’a reparlé de ce texte, et je lui ai dit mon désir de le monter. C’est une pièce qui pour moi est profondément liée à la situation actuelle de mon pays d’origine, l’Espagne, une situation qui m’attriste beaucoup. Ce pays connaît aujourd’hui une crise économique et sociale d’une extraordinaire difficulté, et il y a quelques mois seulement, un événement similaire à celui qui ouvre la pièce s’y est produit : cet été, en Andalousie, des militants de gauche sont entrés dans deux supermarchés et se sont emparés de produits de première nécessité pour les redistribuer à des personnes dans le besoin. Cela a fait beaucoup de bruit, et le journal El País s’est posé la question suivante: cet acte devait-il être qualifié de vol ou était-ce un acte de « désobéissance civile », donc un acte légitime ? C’est exactement le point de départ de la pièce de Dario Fo, pourtant créée en 1974. D’autre part, je viens d’un théâtre qui, comme celui de Dario Fo, est nourri par l’improvisation de l’acteur. Avec le Llum Teatre, ma compagnie, j’aspire à créer des spectacles à la fois festifs et ancrés dans la réalité du monde, qui tâchent d’ouvrir différentes réflexions sur notre manière de grandir, sur la notion de progrès technologique et ses « dommages collatéraux ». Ces réflexions portent par exemple sur ce que l’on doit abandonner pour trouver sa place dans la vie, dans le monde. Notre précédent spectacle, La Reine des neiges d’après Andersen, parlait du passage à l’adolescence et de comment on abandonne l’innocence de l’enfance. Dans On ne paie pas ! il est aussi question d’abandon, de dépouillement. Mais c’est au niveau des conventions théâtrales qu’a lieu ce dépouillement : il y a dans la pièce un mouvement, un jeu de théâtre dans le théâtre, qui vient mettre en doute les conventions théâtrales et le fait même d’être « en représentation ». Les personnages, progressivement, s’avouent être certes des êtres fictionnels, mais aussi de « vraies personnes ». Le phénomène qui m’intéresse le plus dans ce mouvement, c’est sa conséquence : parce qu’il est dépouillé des armes de la narration, parce que les outils les plus constitutifs de la représentation sont contestés, le propos de la pièce – et c’est là le génie de Dario Fo – se rapproche des gens. Comme vous l’avez mentionné, c’est une pièce d’une grande actualité... Oui, et à deux niveaux de lecture – parmi beaucoup d’autres. D’abord dans son rapport étroit à la société d’aujourd’hui, une société en crise, où les gens sont malmenés. Mais aussi parce que la pièce semble aborder la question de la révolte des travailleurs moins du point de vue du groupe que du point de vue de l’individu. Je crois qu’elle soulève cette hypothèse : dans une société occidentale individualiste, dans 6 On ne paie pas, on ne paie pas! Entretien avec Joan Mompart (suite) une société où l’on est de plus en plus seul, la décision de se révolter – ou pas – devrait partir de l’individu. Tout devrait se jouer au niveau de « l’unipersonnel », c’est-à-dire sur le terrain de l’univers inhérent à chaque personne. C’est en tout cas la lecture que je fais de On ne paie pas ! Nous ne sommes plus en 68, le groupe s’est dissout, il n’y a plus de dimension corporative des couches les moins aisées et manifester est devenu quelque chose d’ordinaire, presque d’obsolète. C’est toujours un moyen d’action, mais il est devenu tellement routinier qu’il est dévoyé. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, le système a assimilé à tel point les moyens de la contestation sociale qu’il les a annulés. C’est donc dans un endroit préservé, celui de l’intimité de l’individu, que la révolte, que l’anticonformisme, que le mouvement de protestation contre la misère peut encore naître et se révéler : et c’est cet endroit-là que j’aimerais toucher avec On ne paie pas ! Votre scénographie évoque La Ruée vers l’or de Charlie Chaplin... La fragilité du monde dans lequel vivent Antonia et Giovanni, la fragilité de leur situation est matérialisée par un plan à bascule sur lequel tient – tant bien que mal – leur appartement. Et qui rappelle effectivement la cabane de Charlot et Big Jim dans La Ruée vers l’or : suspendue au bord de la falaise, elle peut à tout moment basculer dans le vide. Dans le film de Charlie Chaplin, je crois qu’il ne s’agit pas seulement de créer les conditions d’un bon gag : l’équilibre précaire de la cabane peut être interprété comme une métaphore pour dire que ces deux personnages sont entre la vie et la mort. Dans On ne paie pas ! c’est plutôt entre « exister » et « être inexistant » que les choses se jouent. Ce plan à bascule pourrait aussi être une balance : combien pèsent ces gens-là dans notre société ? Quel est leur poids ? Ils ne pèsent sans doute pas bien lourd... Mais Antonia va malgré tout tenter de retrouver du poids. Comment ? Par la parole. Et une manière de redonner du poids à la parole qui ne coûte pas cher, c’est la fantaisie. La fantaisie, c’est abordable, pas besoin d’attendre les soldes pour en avoir. C’est le seul luxe d’Antonia. Des mots, des histoires, des mensonges : c’est tout ce qu’elle a les moyens d’offrir à son mari Giovanni. Et à son tour, celui-ci va s’amuser avec ces histoires, les déformer, les réinventer. Il va y ajouter – peut-être pour qu’elles pèsent encore un peu plus ? – tout son plaisir et son talent, puis les transmettre à quelqu’un d’autre : à un voisin, à son ami Luigi... C’est le phénomène du « passe-parole », très cher à Dario Fo, qui tient beaucoup à son héritage de conteur, deœœœœœ fabulator. Par ailleurs, quand Antonia « affabule » devant Giovanni, je pense que les questions que celui-ci lui pose sont moins là pour mettre en doute son récit que pour la relancer. Elle lui raconte des mensonges tout à fait incroyables, mais lui va décider tacitement de les croire. Mieux, il va les exagérer, les pousser dans leurs retranchements... En cela, il est fidèle à la tradition du Zanni de la commedia dell’arte qui 7 On ne paie pas, on ne paie pas! Entretien avec Joan Mompart (fin) exécute au pied de la lettre les ordres de son maître pour en fait éclater l’absurdité. Vous avez une très belle distribution... Je ne pouvais pas rêver mieux. Dans La Reine des neiges, il y avait parfois des rôles de composition – c’est une donnée quasi incontournable du conte. Avec On ne paie pas ! il était très important pour moi que les rôles soient proches des interprètes. Je ne souhaitais pas qu’il y ait de contre-emplois. J’ai donc choisi chacun des comédiens pour leurs points communs avec leur rôle [...]. On ne paie pas ! est une pièce qui a beaucoup bougé depuis 1974. Elle a connu des réécritures en 1991, en 2OO8. Et lors les représentations données par Dario Fo, il y avait également beaucoup de place laissée à l’improvisation. Ce qui m’importe donc dans le travail avec les comédiens, à présent que le texte est figé, que sa matière ne changera plus, c’est de préserver tout de même cet esprit, ce souffle de liberté, ce sentiment d’une improvisation permanente. Pour les comédiens, cela passera d’une part par un travail d’une grande rigueur et d’une grande fidélité au texte, et d’autre part par un travail sur le corps : c’est par le corps qu’ils pourront se libérer, se redécouvrir certaines possibilités de jeu – et les personnages, chaque soir, se réinventer. Passer de l’univers féerique de La Reine des neiges au monde ouvrier de On ne paie pas !, c’est un sacré saut... Oui. On passe d’un univers poétique à une situation plus concrète et plus proche de la réalité des gens. Mais la dynamique reste fondamentalement la même. Car les mensonges d’Antonia, ses « contes », si on ne leur donne pas une valeur, si on n’arrive pas à y croire, il n’y a tout simplement pas de pièce. Et si Giovanni ne les avalait pas (au sens « d’avaler une couleuvre » mais aussi au sens de leur « donner son aval »), rien de cette pièce ne pourrait émerger. Or Antonia, à force de mensonges, alors même qu’on pourrait croire qu’elle s’engage dans une voie sans issue, transforme le monde et crée un espace de liberté. En cela il me semble qu’elle réalise presque à la lettre ce que disait Guy Debord : « Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux ». Janvier 2O13 8 On ne paie pas, on ne paie pas! Fo ou l’espace libre du théâtre, par Bernard Dort Dario Fo est célèbre et inconnu. Il est en passe de devenir légendaire. N’est-il pas le seul, depuis 1968, qui ait réussi, à construire ce que les Italiens appellent un « circuit alternatif » sans compromission avec l’institution théâtrale ou, pour reprendre le titre d’un ouvrage italien, avec « le théâtre du régime » et à produire des spectacles qui, tout en militant, clairement et directement, pour des objectifs disons « gauchistes », n’en atteignent pas moins une large audience, ouvriers communistes y compris. Bref, il incarne ce dont nous n’avons cessé de rêver, ces vingt dernières années : un théâtre à la fois populaire et militant qui, se situant délibérément hors du système dominant, soit, au sens plein du mot, un théâtre libre. Qu’on ne se hâte pas trop, toutefois, de statufier Dario Fo. Je sais bien que c’est tentant : acteur, auteur, animateur de La Comune et du Soccorso rosso... il a une dimension qui excède l’ordinaire et force l’admiration. Mais en faire un héros, ce n’est peut-être qu’une façon de le méconnaître et d’en être quitte avec lui. On l’a bien vu lorsqu’il est venu présenter, en janvier 1974, Mystère bouffe à Chaillot, salle Gémier. Il n’y eut qu’une voix, ou presque, dans la presse, pour célébrer ce « mime de génie », mais c’était aussi une façon de passer le reste sous silence : soit la richesse et le pouvoir corrosif de ce spectacle qui ne se réduisait pas à l’exhibition personnelle d’un grand virtuose. À l’inverse, il a suffi que Dario Fo discute et fasse quelques exercices avec des groupes de théâtre d’intervention à la Cartoucherie de Vincennes pour qu’on oublie le travail proprement scénique de Fo et qu’on ne retienne plus de lui que l’image d’un théâtre radicalement autre : La Comune devenait aussi mythique que le Living. Le besoin d’idole que, périodiquement, ressent le monde du théâtre ne suffit pas à expliquer ce nouveau culte de la personnalité. Notre ignorance y est aussi pour beaucoup. Car nous ne connaissons encore guère Dario Fo. Certaines de ses comédies ont été jouées. Et avec succès. Mais nous connaissons davantage le tribun et l’acteur (le « jongleur » comme il dit) que l’auteur. Nous en avons retenu la légende plus que la pratique. Il est grand temps d’aborder maintenant Fo par son œuvre. Et d’en prendre toute la mesure : publiée, elle ne comprend pas moins de trois volumes de Comédies, plusieurs volumes de Compagni senza censura portant sur les spectacles de la Nuova Scena, les textes du Mystère bouffe, et la bonne douzaine de pièces composées pour La Comune... Sans compter que cette œuvre n’est pas faite que de textes : l’auteur, l’acteur et le militant y ont une part égale. Elle est proprement théâtre, c’est-à-dire texte, jeu et action tout ensemble. Quelque chose comme un continent qu’il nous faut découvrir et explorer. Créer des espaces nouveaux [...] loin de subordonner son activité à un objectif partisan, Fo n’a cessé d’affirmer l’autonomie et le caractère « unitaire » du travail culturel comme condition de son efficacité politique. Certes, il sait que ses pièces sont toujours susceptibles d’être reprises en charge par la bourgeoisie, même quand elles dénoncent celle-ci : il suffit 9 On ne paie pas, on ne paie pas! Fo ou l’espace libre du théâtre (suite) qu’elles le fassent « à l’intérieur des structures bourgeoises » et que leur diffusion ou leur représentation soit « gérée par le pouvoir émanant de la bourgeoisie ». Mais il n’en met pas pour autant le théâtre à la remorque et sous la coupe d’une action partisane. Loin de s’arc-bouter sur une prétendue irrécupérabilité des textes militants ou de rêver à une impossible pureté des prises de position idéologiques, Dario Fo élargit le concept de théâtre jusqu’à celui d’espace – d’espace culturel et politique. Son objectif, c’est l’invention de tels espaces nouveaux : des espaces gérés par la classe ouvrière, des lieux qui permettent « une confrontation incessante » et où « puissent se développer la discussion et la dialectique » – non « un terrain où, à chaque fois, la tendance hégémonique, livrant bataille contre telle ligne ou tel groupe, cherche à rester la seule maîtresse », car « sur ce terrain-là, il ne peut rien pousser, pas même du chiendent », mais des espaces libres où, dans et par le jeu, on peut débattre d’une société nouvelle. Le langage oral se fait langage écrit, la tradition se charge d’actualité, le passé est confronté au présent le plus immédiat, la mémoire appelle l’action, le récit tourne au jeu et le corps relaie la parole : jamais Dario Fo ne se repose sur une vérité acquise. Il s’agit toujours de susciter un espace de jeu où les idées reçues deviennent folles, où les certitudes volent en éclats et où les résolutions les plus arrêtées se mettent mouvement. Et cet espace est, tout naturellement, théâtral. Le théâtre, tripes à l’air On pourrait dire que le théâtre de Fo expose (monte et démonte) ses coulisses et ses miracles à l’air libre. Rien de plus éloigné de l’« agit-prop » au sens banal de ce mot ou, à l’inverse, d’un jeu pirandellien où théâtre et réalité s’épuisent à force de se renvoyer l’un l’autre. Ou plutôt : c’est précisément parce que les farces de Fo usent, ouvertement, de ceci et de cela, qu’elles sont autre chose. Qu’on se reporte, par exemple, à Mort accidentelle d’un anarchiste. Les locaux de la police sont bien là : « une pièce quelconque de la préfecture de police ». On pourrait y représenter la « mort accidentelle », à savoir la chute par la fenêtre (la défenestration plutôt) du cheminot anarchiste, Giuseppe Pinelli, telle qu’elle a eu lieu, dans la nuit du 15 au 16 décembre 1969, à Milan. Mais Fo se hâte de nous suggérer que « la comédie raconte un fait réel survenu en 1921, en Amérique » : ce n’est que pour « rendre l’action plus actuelle, donc plus dramatique » qu’il a « transposé toute l’action à notre époque » et l’a « située non pas à New York mais dans une bonne ville italienne quelconque, mettons Milan ». C’est sa façon de prêcher le faux pour dire le vrai et, surtout, pour nous amener à reconnaître ce vrai, à travers les feintes de la fiction. Toute la « farce » de Mort accidentelle d’un anarchiste repose sur cette « dialectique jésuitelà ». Elle ne dépeint pas ce qui est arrivé. Elle constitue une enquête sur un fait divers. Mais celui qui la mène est un fou, un provocateur – Fo dirait : un jongleur. Il 10 On ne paie pas, on ne paie pas! Fo ou l’espace libre du théâtre (fin) va tout révéler, faire tout avouer, mais sur le mode du jeu, par l’entremise du déguisement et de la marionnette (lui-même termine couvert de prothèses). C’est dans ce détour par le théâtre le plus débridé et le plus excessif que nous en revenons à la réalité, à cette mort bien réelle, précise et datée, qui était en fait un assassinat par la police, et que nous nous retrouvons « dans le fumier jusqu’au cou ». À la fin, le théâtre se renverse. Il a été mis tripes à l’air. Il apparaît pour ce qu’il est : une fiction qui, au long de la représentation, se détruit elle-même et ouvre sur les luttes de notre société. Nul puritanisme, nul « moralisme foireux » chez Fo. Mais un bonheur visible, sensible, à faire jouer le théâtre, à le pousser jusque dans ses derniers retranchements. Fo ne nous épargne aucun rebondissement, aucun coup de théâtre (au propre et au figuré), mais c’est pour mieux mettre à l’épreuve nos déguisements et nos langages d’emprunt. Il construit des machines scéniques dont chaque rouage entraîne l’autre dans une vertigineuse giration, mais, au lieu de nous faire prendre des moulins pour des géants, c’est pour que derrière les figures des géants nous reconnaissions de vrais moulins – des moulins qui sont manœuvrés par des hommes et que d’autres hommes pourraient, un jour, faire tourner à leur bénéfice, à condition de ne pas persister à les prendre pour des géants. Sans doute, la représentation théâtrale constitue-t-elle le lieu, sinon unique du moins privilégié, du mouvement de va-et-vient entre l’oral et l’écrit, le passé et le présent, le mythe et l’histoire, le rêve et le besoin, la fiction et la réalité qui est celui de toute l’œuvre de Fo : là où ce mouvement peut se déployer avec le plus d’ampleur et le plus d’intensité et où il prend, littéralement, à partie les spectateurs. Nous le lisons déjà, clairement, dans la construction des pièces. Mais le fonctionnement d’un tel lieu repose, ne l’oublions pas, sur un travail concret : celui de l’acteur, du « jongleur » selon Fo. C’est à lui qu’il revient de mettre en action les machines scéniques dont, dans le texte, nous n’avons que les plans, que les relevés ; c’est lui qui, en définitive, après avoir joué, prendra la parole. Par le jeu, il a fait place nette : il a conquis un espace libre. À nous de délibérer avec lui sur ce qu’il conviendra d’y construire. Article rédigé en 1977, in « Dario Fo, Tome 1 », Dramaturgies Éditions, 1997. 11 On ne paie pas, on ne paie pas ! « Le Gai savoir de l’acteur », Dario Fo (extraits) Briser le quatrième mur Une grande partie du théâtre, même moderne, est conçue pour conditionner le public à une totale passivité. À commencer par le noir complet dans la salle, qui prédispose à une sorte d’anéantissement mental et, par opposition, crée une attention purement émotive. On suit ce qui se passe sur scène comme si on était au-delà d’un rideau, d’un quatrième mur qui permet de voir, sans être vu, le déroulement d’histoires intimes et privées, parfois scabreuses. On les écoute « l’abat-jour baissé », dans le noir, en espion qui se livre au plaisir morbide du voyeur. Eh bien ! le souci de briser le quatrième mur était déjà une idée fixe des comédiens dell’arte. Molière lui-même avait conçu de renouveler le théâtre français à partir de l’intuition vraiment révolutionnaire des hommes de théâtre italiens. J’ai déjà dit que son maître avait été Scapin et qu’il avait lui-même joué sous ce masque. À partir de son expérience du milieu des comédiens dell’arte, il avait compris qu’il était important d’impliquer corporellement le spectateur. Il avait commencé par déplacer la scène vers l’avant. Quand on a construit la plupart des théâtres, le proscenium arrivait jusqu’à la ligne imaginaire qui relie les deux loges en vis-à-vis, au-delà du cadre de scène : position idéale pour un acteur qui joue des textes non pas intimistes, mais au contraire épiques et vraiment populaires. Il est ainsi projeté physiquement vers le parterre, au milieu du public, complètement en dehors du cadre de scène, à l’extérieur du portique qui délimite la scène proprement dite. Cet espace s’appelle d’ailleurs avant-scène, et c’est là que Molière fait avancer tous ses acteurs. Molière avait l’habitude de répéter : « Un acteur de talent n’a pas besoin du soutien d’éléments scéniques particuliers, ni d’une scénographie compliquée derrière lui, ni d’effets sonores, ni de bruits de fond. Si vous êtes des acteurs sensibles et professionnels, et si le texte est solide, c’est par votre voix et votre corps que vous devez faire ressentir que c’est l’aube, qu’il pleut, qu’il vente, qu’il fait soleil, qu’il fait chaud ou qu’il y a une tempête : vous-mêmes, sans recourir à des machineries, à des effets de lumière, aux plaques de métal qu’on secoue pour imiter l’orage ou au rouleau rempli de sable pour imiter le vent et la pluie ». Je pense que beaucoup de metteurs en scène, aujourd’hui, devraient apprendre à se passer des installations stéréo sophistiquées et des effets de lumière genre « guerre des étoiles ». Braque disait à ses élèves peintres : « Trop de couleur, pas de couleur ». Dario Fo, Manuale minimo dell’attore, traduit par Valeria Tasca, éd. L’Arche, 199O. 12 On ne paie pas, on ne paie pas ! Lexique Farce : « ‘‘Farce’’ vient du latin farci. C’était une sorte de tourte farcie des ingré- dients les plus variés, fromage, légumes, poissons, morceaux de mouton. Voilà pourquoi faire une farce signifie aussi faire quelque chose qui soit plein de fantaisie, y mettre n’importe quoi. Donc sortir des règles, inventer, improviser, en restant à la portée de tous. La farce en cuisine comme au théâtre, a toujours été un privilège réservé au vulgaire. Je considère pour ma part que j’appartiens au vulgaire : un acteur gueux, mais libre ! » (Dario Fo, à propos de On ne paie pas, on ne paie pas !, 1982) Grommelot : Le grommelot est un jeu d’improvisation. Il consiste à parler dans une langue étrangère inventée. Soit dans une langue complètement imaginaire, soit dans une langue dont les sonorités, l’accent et les rythmes peuvent faire penser à une langue réelle, sans que soit prononcé un mot de la langue en question... Ce qui permet à l’expression vocale et corporelle un développement qui se passe du sens littéral des mots. On en trouve un exemple à la scène 7 du premier acte de On ne paie pas ! lorsque Antonia imite, en baragouinant du faux allemand, le Pape Benoît XVI que son amie Margherita est sensée avoir vu en rêve. Quiproquo : « Le quiproquo est une situation qui présente en même temps deux sens différents, l’un simplement possible, celui que les acteurs lui prêtent, l’autre réel, celui que le public lui donne. Nous apercevons le sens réel de la situation, parce qu’on a eu soin de nous en montrer toutes les faces ; mais les acteurs ne connaissent chacun que l’une d’elles : de là leur méprise, de là le jugement faux qu’ils portent sur ce qu’on fait autour d’eux comme aussi sur ce qu’ils font eux-mêmes. Nous allons de ce jugement faux au jugement vrai ; nous oscillons entre le sens possible et le sens réel ; et c’est ce balancement de notre esprit entre deux interprétations opposées qui apparaît d’abord dans l’amusement que le quiproquo nous donne. » (Bergson, Le Rire) Rire : « Du mécanique plaqué sur du vivant » selon Bergson dans Le Rire. « Le propre de l’homme », dans Gargantua de Rabelais. Une coïncidence, « Deux visages semblables, dont aucun ne fait rire en particulier, font rire ensemble par leur ressemblance. », selon Pascal dans les Pensées. Une « grande joie » et le signe d’une perfection, selon Spinoza (Éthique) : « Aucune divinité, ni personne d’autre que l’envieux ne prend plaisir à mon impuissance et à ma peine et ne nous tient pour vertu les larmes, les sanglots, la crainte, etc., qui sont signes d’une âme impuissante. Au contraire, plus nous sommes affectés d’une plus grande joie, plus nous passons à une perfection plus grande ». Ce que soutient aussi Cocteau : « La faculté de rire aux éclats est preuve d’une âme excellente ». Selon Nietzsche, le rire est le fait de « se réjouir d’un préjudice, mais avec bonne conscience » (Le Gai savoir). Et enfin selon Kant, il « vient d’une attente qui se résout subitement en rien ». 13 On ne paie pas, on ne paie pas ! Dario Fo, biographie Dario Fo naît en 1926 en Lombardie, dans une famille de prolétaires. Par son grand-père, il découvre très tôt le théâtre populaire et la tradition orale. Après des études d’art et d’architecture à Milan, il compose pour la radio ses premiers monologues comiques en 1952 et fait ses débuts d’acteur dans des revues de cabaret. Deux ans plus tard, il épouse Franca Rame. Le couple crée sa compagnie, monte des farces puis des comédies. La saison 1967-1968 est un triomphe. En 1968, ils fondent l’association Nuova Scena, proche du PCI, s’engagent dans la recherche d’un nouveau langage théâtral, et présentent des spectacles – accompagnés de débats – dans des lieux initialement non destinés au théâtre. Ils s’éloignent du PCI en 197O, et créent le collectif La Comune. En 1974, Dario Fo inaugure son propre théâtre (le local de la Palazzina Liberty à Milan) avec la pièce On ne paie pas, on ne paie pas !, qui est un succès. L’anticonformisme, l’engagement social et politique de Dario Fo l’entraînent à de nombreuses reprises à connaître des démêlés avec la justice italienne, la censure, le Vatican. Ces polémiques n’entravent pas sa réussite, et son travail connaît un succès mondial. En 1997, il reçoit le prix Nobel de littérature pour avoir « dans la tradition des bateleurs médiévaux, fustigé le pouvoir et restauré la dignité des humilié ». En 2OOO, il reçoit un Molière pour Mort accidentelle d’un anarchiste. En 2OO6, il est nommé docteur honoris causa de La Sapienza, prestigieuse université de Rome, comme avant lui Luigi Pirandello et Eduardo De Filippo. En 2O1O, il entre au répertoire de la Comédie-Française. Parmi ses pièces les plus célèbres, parfois écrites en collaboration avec Franca Rame, on peut citer entre autres : Les Archanges ne jouent pas au flipper (1959), Mystère bouffe (1969), Mort accidentelle d’un anarchiste (197O), On ne paie pas, on ne paie pas ! (1974), Histoire d’un tigre (1978), Klaxon, trompettes... et pétarades (1981), Couple ouvert à deux battants (1983), et L’Anomalo bicefalo (2OO3). 14 On ne paie pas, on ne paie pas ! Joan Mompart, biographie Né en 1973, Joan Mompart est comédien et metteur en scène. Compagnon de route d’Omar Porras au Teatro Malandro, il joue les premiers rôles des spectacles phares de la compagnie, en Suisse mais également en Europe, au Canada, en Amérique du Sud, à Mexico, à Bogotá, au Japon et au Théâtre de la Ville de Paris. En 2OO2 et 2OO3, il participe aux créations de Rodrigo García en France. En 2OO3, il devient collaborateur artistique d’Ahmed Madani, directeur du Centre dramatique de l’Océan Indien à Saint-Denis (La Réunion) et joue dans plusieurs de ses créations dont L’Improbable vérité du monde au Théâtre Nanterre-Amandiers et à la Comédie de Genève. Il collabore, entre autres, avec Thierry Bedard, Robert Bouvier, Robert Sandoz, l’Orchestre de la Suisse Romande, l’Orchestre de Chambre de Genève, l’Orchestre de Chambre de Lausanne. En 2OO5, il co-fonde la Compagnie du Rossignol avec Antoine Marguier, et crée des spectacles pour orchestre et récitant sur des partitions de Theo Loevendie, Tibor Harsányi, Igor Stravinsky. En 2OO8, il joue le rôle de Dante aux côtés de Romane Bohringer dans L’Enfer (spectacle nommé aux Molière et mis en scène par Pierre Pradinas). En 2OO9 et 2O1O, il joue dans deux mises en scène de Jean Liermier, Le Jeu de l’amour et du hasard et L’École des femmes. En 2O1O également, il fonde le Llum Teatre et crée La Reine des neiges d’après Andersen au Théâtre Am Stram Gram. En tournée, le spectacle réunit plus de 14’OOO spectateurs entre 2O1O et 2O12. En 2O11, Joan Mompart est à l’affiche de Monsieur Chasse, mis en scène par Robert Sandoz au Théâtre de Carouge, et crée avec la Compagnie du Rossignol un spectacle pour orchestre et récitant, Le Baron de Münchhausen. En 2O12, il interprète le rôle de Marco dans l’adaptation au théâtre de la BD Le Combat Ordinaire de Manu Larcenet et est à l’affiche du film de Régis Roinsard, Populaire, avec entre autres Romain Duris et Bérénice Bejo. En avril et en mai 2O13, il joue le rôle de Hugo dans Les Mains sales de Jean-Paul Sartre sous la direction de Philippe Sireuil à la Comédie de Genève. 15 On ne paie pas, on ne paie pas ! Parcours Mauro Bellucci Après des études à l’École Serge Martin et au Conservatoire d’Art dramatique de Genève qu’il termine en 1986, il travaille avec de nombreux metteurs en scènes parmi lesquels Michel Voïta, Stanislas Nordey, Claude Stratz, Anne-Marie Delbart, Anne-Cécile Moser, Dominic Noble, Serge Martin, Frédéric Polier, Françoise Courvoisier, Denis Maillefer, Valentin Rossier, Philippe Morand ou Philippe Mentha. Parallèlement à ses activités de comédien, il met en scène de nombreux spectacles. Ces dernières années, il a mis notamment en scène Pan dans la matière, un montage de textes de Valère Novarina (Grü, 2OO5), Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute (Théâtre Pitoëff, 2OO9) ou L’Opération de Mme L de Pierre-Louis Chantre (Genève, 2O1O). On le voit également au cinéma et à la télévision dans les films de Nicolas Wadimoff, Paolo Poloni ou Tonie Marhsall. Samuel Churin Formé par Niels Arestrup à l’École du Passage, il rencontre Olivier Py dès 1995, avec qui il joue de nombreux spectacles : La Panoplie du squelette (Py) et Le Jeu du veuf (Py, cycle de La servante), Nous les héros (de Jean-Luc Lagarce), Le Visage d’Orphée (Py) dans la Cour d’honneur du palais des papes, L’Apocalypse joyeuse (Py), La Jeune Fille, le Diable et le Moulin (Py), L’Eau de la vie (Py), L’Énigme Vilar également dans la Cour d’honneur du palais des papes, Épitre aux jeunes acteurs (Py) créé au théâtre du Rond Point et joué notamment à Tokyo, Bogota, Sao Paulo, New York, La vraie Fiancée (Py). Avec Olivier Balazuc : Un Chapeau de paille d’Italie (Labiche) et Le Génie des bois (Balazuc). Avec Guillaume Rannou : J’ai (compilation de textes sur le rugby). Avec Robert Sandoz : Océan Mer (Baricco), Monsieur Chasse (Feydeau). Avec Caterina Gozzi : Vertige des Animaux avant l’Abattage (Dimitriadis). Avec Dominique Lurcel : Nathan le Sage (Lessing), Folies Coloniales (compilation), Le contraire de l’amour (Feraoun). Avec Philippe Baronnet : Bobby Fischer vit à Pasadena. Avec John Arnold : Norma Jeane. Il enregistre de nombreuses dramatiques radio pour France Culture notamment avec Claude Guerre, Jean-Mathieu Zand et Christine Bernard Sugy. Au cinéma, Olivier Py lui donne le rôle principal de son film : Les Yeux fermés et joue dernièrement dans Lucy, le dernier film de Luc Besson. Camille Figuereo Formée à l’École Régionale d’Acteurs de Cannes (ERAC), elle travaille au théâtre avec Christian Ritz (Phèdre, La Surprise de l’amour), Omar Porras (La Visite de La vieille dame, El Don Juan, Maître Puntila et son valet Matti), Ahmed Madani (Ernest ou comment l’oublier), Pierre Pradinas (Les Amis du placard) . Au cinéma, elle tourne notamment avec Pascal Chaumeil (L’Arnacœur), Brigitte Sy (Les Mains libres), Philippe Lioret (Toutes nos envies), Christophe Chevalier (Le Nez dans 16 On ne paie pas, on ne paie pas ! Parcours le ruisseau). À la radio, Camille prête sa voix dans plusieurs fictions pour France Culture et pour la RSR . François Nadin Après des études au Conservatoire, François Nadin débute au théâtre en 1996 sous la direction d’Hervé Loichemol. Il joue Pirandello, Kleist, Brecht. Gérard Desarthes le met en scène dans une pièce de Giraudoux à Vidy. Par la suite, sa rencontre avec Brigitte Jaques-Wajeman l’emmène sur les routes, avec plusieurs spectacles : Molière, Plaute et puis Corneille et son merveilleux personnage Matamore dans L’Ilusion comique en 2OO5. Il joue Pinter, Shakespeare, Crimp, Strindberg, Racine, Chiachari, etc. En 2OO9, Jean Liermier le choisit pour endosser l’habit d’Arlequin dans sa version du Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux. Au cinéma, il travaille notamment avec Patrice Leconte, Vincent Pluss et Elena Hazanov. Brigitte Rosset Elle commence sa carrière en 1992 et travaille au Théâtre de Carouge avec Georges Wod, Georges Wilson, Jean Liermier. Participe à la création de la Cie Confiture à Genève. Au sein de cette troupe, elle joue dans une quinzaine de spectacles à la Cité Bleue, au Casino Théâtre ou au Théâtre Pitoëff. C’est dans ce cadre qu’elle crée son premier solo, Voyage au bout de la noce en 2OO1, puis en tournée entre 2OO2 et 2OO3. Son deuxième solo, Suite matrimoniale avec vue sur la mère tourne pendant trois ans, en Suisse et en France. Son dernier seul en scène Smarties, Kleenex et Canada dry reçoit le « prix du meilleur spectacle d’humour 2O12 », distinction remise par la Société Suisse des Auteurs. 17