Préface
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Préface
Besançon-Cluny : aller-retour Cet ouvrage présente des textes réunis suite au colloque « Linguistique & Littérature, Cluny 40 ans après » organisé à Besançon en octobre 2007. Il est consacré aux liens historiques et contemporains entre ces deux disciplines. Il adopte une perspective résolument interdisciplinaire qui entend ainsi relativiser l’opposition traditionnelle entre les deux pratiques, avec l’idée de répondre à la question suivante : que s’est-il passé en quarante ans, après le colloque de 1968 qui avait rassemblé des chercheurs tels que Jean Peytard, Julia Kristeva, Philippe Sollers, Michel Arrivé, JeanPierre Colin, Henri Meschonnic, pour ne citer qu’eux ? En intitulant le colloque « Linguistique & littérature, Cluny 40 ans après », nous avons voulu faire écho à celui de 1968, qui avait joué un rôle important dans la promotion des premières alliances entre les deux disciplines, linguistique et littérature. Le collectif présentant cet ouvrage s’est construit dans le but d’exposer et d’analyser l’intérêt de l’intersection entre la littérature et la linguistique, les enjeux des concepts transitionnels, envisagés dans leur dynamique interdisciplinaire. Il s’agit aussi d’impulser une réflexion sur l’apport potentiel des connaissances dans l’approche des textes et des discours du point de vue des deux disciplines. Pourquoi une telle initiative ? Les années soixante et soixante-dix ont donné un nouveau souffle aux collaborations entre linguistes et littéraires, loin des multiples cloisonnements des champs de savoirs. Pourtant, il reste aujourd’hui encore des résistances à la conjonction de la linguistique et de la littérature, surtout en France, où ces disciplines sont encore loin l’une de l’autre dans les découpages classiques au sein de l’institution académique. Aussi, une fois la période structuraliste passée, certains voient les deux champs se distancier davantage. Plusieurs problématiques, envisagées comme source d’interaction entre ces deux champs disciplinaires, se sont imposées : quelle est l’influence du débat intellectuel des années soixante et soixante-dix autour des travaux de Greimas, Barthes, Bakhtine, Kristeva, Todorov, Genette et Peytard sur les théories récentes de la lecture et de l’interprétation des textes ? Quel regard les deux disciplines portent-elles l’une sur l’autre, et comment leur métadiscours en témoigne-t-il ? Quelle est la place aujourd’hui du texte littéraire dans l’enseignement de la linguistique, et des méthodes linguistiques chez les littéraires ? Que devient le couple texte-discours par 8 Driss Ablali & Margareta Kastberg Sjöblom rapport à ce qu’on appelle aujourd’hui les corpus ? Quels sont à l’âge numérique les enjeux et les objets de la stylistique ? Comment les deux disciplines intègrent-elles le social dans le discours à l’analyse des textes ? Quel regard porte-t-on aujourd’hui des deux côtés sur le rôle de l’analyse de discours comme discipline fédératrice ? Le colloque a accueilli non seulement des spécialistes dans les deux domaines et d’autres domaines voisins, mais également des chercheurs ayant participé au premier colloque Cluny de 1968 comme Michel Arrivé et Michel Apel-Muller. L’article de M. Apel-Muller, en préambule de cet ouvrage, est un des rares documents historiques sur la genèse de l’idée et sur l’organisation de la première conférence « Linguistique & Littérature » de Cluny 1968 et du colloque « Littérature et idéologies, Colloque de Cluny II » de 1970. L’auteur, qui était un des investigateurs et principaux organisateurs du colloque de 1968, a également été invité d’honneur à notre conférence de 2007. Il convient ici de souligner que les liens avec le PCF et l’implication politique décrite par M. Apel-Muller en 1968 n’ont pas eu lieu en 2007, et que cet ouvrage, ainsi que notre retour sur Cluny, restent exclusivement linguistiques et littéraires. Il peut sembler aventureux de consacrer un ouvrage à un sujet qui a l’inconvénient de poser des questions de nature à séparer les théoriciens. Certains ne manqueraient pas de contester cette alliance. Au moment où les frontières ont tendance à reculer entre ce qui est littéraire et ce qui ne l’est pas, ou l’est un peu moins ou bien différemment, quel profit pourrait-on tirer du fait de reposer la question de l’autonomie des territoires propres aux deux groupes de disciplines ? Par ailleurs, à supposer qu’un tel rapport soit possible, légitime ou même obligatoire, quelle discipline serait éventuellement habilitée à dominer : la linguistique ou la littérature ? Force est d’avouer que notre objectif premier n’a pas été de trancher dans le débat, ni de prétendre avoir un quelconque dernier mot. D’ailleurs, il ne nous semble pas raisonnable de vouloir répondre à autant d’interrogations à partir de quelques articles seulement. Notre projet est bien plus modeste : amener des chercheurs, linguistes et littéraires, à réfléchir sur les différentes approches de l’étude de textes comme observatoire des pratiques des deux disciplines. Il ne nous appartient pas de décréter que la rencontre aura été heureuse ou non, et nous ne pensons pas opportun de nous poser la question. En revanche, il nous semble que, loin de lire dans ces divergences les symptômes d’une crise des études littéraires et linguistiques, nous y voyons plutôt l’occasion de prouver la nécessité ainsi que la légitimité de croiser les Besançon-Cluny : aller-retour 9 perspectives dans le sens de l’enrichissement de la recherche dans ces domaines. De ce point de vue, le lecteur remarquera que les analyses présentées ici se développent dans plusieurs directions : celle de la théorie et de l’épistémologie du texte, celle de l’analyse de discours du texte littéraire, celle de la sémiotique et celle de la narratologie, de la fiction et du genre, c’est-à-dire la description du matériau qui sert à construire le texte et les formes de la textualité, mais aussi l’interprétation de textes particuliers. Le lecteur se rendra compte, au fur et à mesure de la lecture de cet ouvrage que les deux démarches s’avèrent complémentaires. En effet, les chercheurs de ce collectif, représentant des champs disciplinaires bien différents, appliquent leurs théories et techniques dans un même but : la compréhension et l’étude du texte ou du discours. Autant de questions, théoriques et pratiques, qui sont dans le droit fil du rapport entre linguistique et littérature. Cet ouvrage cherchera à rendre compte de l’état de l’art du travail accompli, de sa diversité, mais aussi, en s’appuyant sur ces propositions théoriques, à ouvrir de nouvelles voies à la recherche en sciences humaines. En publiant des auteurs d’horizons divers et de spécialités différentes, nous avons tenté d’explorer, sans visée présomptueuse d’exhaustivité, les normes et les usages de l’analyse du texte dans les pratiques des deux disciplines. Nous souhaitons ainsi envisager certains des usages que l’on fait de la notion du texte, clarifier différents concepts ou conceptions de celui-ci, en considérant la diversité des élaborations théoriques et des champs disciplinaires. Notre objectif a été de réunir quelques éléments pour illustrer différentes pratiques du texte, dans toutes ses acceptions, voire dans tous ses états. Les contributions de ce recueil peuvent se lire séparément, bien que le découpage que nous avons adopté forme des sections constituant les fils conducteurs de l’ensemble. C’est Michel Arrivé qui inaugure l’opus, par la section intitulée « Théories et épistémologie du texte et du discours », avec un article qui se propose d’examiner le problème des relations entre la littérature et la linguistique dans l’une de ses origines : les réflexions de Saussure. Dans la réflexion du linguiste suisse, la littérature occupe une place très restreinte tandis que les autres travaux de Saussure donnent au contraire une place centrale à la « littérature ». Comment s’explique la forclusion dont la littérature est l’objet dans le Cours de Linguistique générale en contraste avec son omniprésence dans les autres travaux du maître de Genève ? Qu’en est-il, chez Saussure, du concept de lettre ? On voit dans cet article de 10 Driss Ablali & Margareta Kastberg Sjöblom quelle façon ce concept, omniprésent dans la réflexion sémiologique de Saussure, permet de mettre en place les notions de littéralité et de littérarité. L’auteur s’intéresse aussi dans cet article au sort qui a été réservé, à partir de la fin des années 50, au(x) discours de Saussure par les théoriciens de la littérature. Se plaçant dans une perspective historique, Sémir Badir consacre son article au Groupe µ et à son implication à l’égard de la théorie littéraire. Il met l’accent premièrement sur les premières apparitions publiques et les premières publications du groupe en 1967 et 1968 à la pluridisciplinarité des travaux du groupe sur la Rhétorique généralisée ou générale, ainsi qu’à la naissance de deux définitions concurrentes de la littérature, une définition centrifuge et une centripète. Dans un deuxième temps, il est question du moment de la publication de Rhétorique de la poésie, environ dix ans plus tard, en 1977. Ce livre vient confirmer la conception « libérale » de la littérature défendue par le Groupe µ, par opposition à une vision « intégriste » entretenue par le groupe Tel Quel et ses adeptes. La littérature aura par la suite cessé d’intéresser le groupe du point de vue théorique qui est le sien, une fois qu’il sera parvenu à la définir. De son côté, Dominique Ducard s’intéresse aux rapports du texte littéraire à la linguistique et à la sémiologie, venant des deux analystes du langage Roland Barthes et Antoine Culioli. R. Barthes n’est pas présent en 1968 au colloque Linguistique et littérature de Cluny mais il dirige cette année-là un numéro de Langages portant le même titre. Il se situe alors, dans « le moment du Texte » marqué par le renoncement au structuralisme méthodologique dérivé du modèle linguistique et au « plaisir d’exercer une Systématique ». La question centrale, pour Barthes, a été celle de la subjectivité du lecteur et de l’analyste. Or l’informatique textuelle, ou les théories qui proposent des schémas formels à appliquer aux textes, réduisent l’investissement subjectif en mettant à jour des possibilités de sens pour un lecteur idéal ou abstrait. Reprenant la question aujourd’hui, il semble que la théorie des opérations énonciatives d’A. Culioli, qui porte sur l’activité de langage appréhendée à travers les textes, permet d’introduire la subjectivité du lecteur, dans son activité de représentation et d’interprétation, et de la contrôler en se donnant les moyens linguistiques de cette interprétation. La méthode d’enquête, qui met les premières perceptions à l’épreuve de l’observation raisonnée des formes, ouvre à la discussion et à l’exercice du débat scientifique. Andrée Chauvin-Vileno et Mongi Madini abordent, quant à eux, les relations de l'analyse de discours à la sémiotique. La relecture de Peytard met l’accent sur l’indissociabilité de la linguistique et de la littérature (via la sémiotique et la didactique) à travers une théorie du discours. Dans l’article Besançon-Cluny : aller-retour 11 de Syntagmes 3 publié en 1980, Jean Peytard relit, relie ou sépare linguistes et sémioticiens, notamment Greimas et Bakhtine, et circonscrit par filiation, par exclusion, par réinterprétation, son propre foyer dynamique. Peut-on se contenter de définir Peytard contre Greimas et pour Bakhtine ? Cet article se propose de préciser cette interrelation complexe à partir d’une relecture sélective de ces trois auteurs. Sera aussi menée une réflexion, à partir de quelques jalons et en lien étroit avec la précédente interrogation, sur ces méta-syntagmes identificateurs que sont « sémiotique » et « analyse du discours » et sur la manière dont ils évoluent entre débat scientifique et affichage institutionnel. Monique Lebre se propose de dégager les prémisses de ce qui fut une approche singulière de l’analyse discursive, en s'appuyant sur les contributions de Jean Peytard au colloque de Cluny (« Problématique du "verbal" dans le roman contemporain » et « Introduction générale »). A l’aide de quelques textes manuscrits et des deux textes écrits pour le colloque de Cluny, confrontés à des textes ultérieurs, elle montre au lecteur l’importance de ce colloque dans la mise au point d’un appareil conceptuel et d’une recherche qui concernait tout autant la sémiotique littéraire que l’enseignement de la littérature et l’étude des textes scientifiques. L’article montre également en quoi les interrogations de J. Peytard sur les rapports entre linguistique et littérature sont toujours d’actualité. Seront aussi rappelés le contexte de l'époque et la dimension « militante » de ces prises de position. S’attelant à l’histoire des notions de l’intertexte et de l’interdiscours, Marie-Anne Paveau nous propose de parcourir la généalogie scientifique de l’interdiscours et de l’intertexte, en qualifiant les deux notions de « paire de faux jumeaux ». Elle retrace ici dans un premier temps la genèse de ces notions à partir des inventions terminologiques de Kristeva et Pêcheux, en décrivant leurs contextes d’apparition. Elle montre dans un second temps que ces deux notions, si souvent assimilées, parfois confondues et même interverties, se développent dans des configurations théoriques très différentes si ce n’est antagonistes dans les années 1970 et 1980. Les deux approches reposent sur des conceptions différentes de la matérialité des textes et des discours : soit la matérialité est un ensemble de segments langagiers ou textuels observables, soit elle est définie comme une altérité qui traverse les textes et les discours à l’insu de leurs co-énonciateurs. L’évolution de ces notions en littérature et dans les concepts texte-discours témoigne de leur autonomisation par rapport aux ancrages d’origine. Leur rapprochement terminologique et théorique, leur extension notionnelle et dérivationnelle circulent fréquemment dans les travaux des chercheurs, qui témoignent des croisements et divergences entre littérature et linguistique. 12 Driss Ablali & Margareta Kastberg Sjöblom De l’angle de l’analyse textuelle assistée par ordinateur, Margareta Kastberg Sjöblom propose ici une étude lexicométrique de la revue La nouvelle critique, et plus précisément de son numéro spécial Linguistique et Littérature, Colloque de Cluny qui contient la publication intégrale des interventions et des discussions qui les ont accompagnées lors du colloque en 1968. La numérisation du texte dans son intégralité et l’application d’un logiciel lexicométrique permettent non seulement d’analyser le lexique et la structure des différentes communications, mais aussi d’étudier les thèmes et les réseaux thématiques dans l’ensemble et à l’intérieur de chaque intervention. Cette technique permet ainsi d’étudier, de façon précise et systématique, les réseaux thématiques exploités par les participants de 1968, qui manifestaient le désir de briser les multiples cloisonnements de la recherche, de trouver le terrain d'un échange fécond. Le résultat de l’analyse lexicométrique permet d’extraire un fil conducteur thématique à partir du lexique employé par les intervenants eux-mêmes. La deuxième partie de l’ouvrage, intitulée « Analyse de discours et textes littéraires », est consacrée aux travaux sur l’analyse de discours en situation et aux études de texte littéraire. L’article d’Etienne Brunet montre la complémentarité des différentes approches de l’analyse lexicométrique : d’un côté celle-ci peut « aider » la littérature dans les questions de datation, d’attribution ou de caractérisation, comme elle peut guider la linguistique dans la description, l’évolution et l’extension des faits langagiers. D’un autre côté la lexicométrie peut aussi jouer, comme la stylistique, un rôle fédérateur et réunir dans une même approche l’objet littéraire et l’objet linguistique. L’article donne au sein d’un même corpus des exemples comparés à différentes strates du langage, en parcourant l’espace qui sépare l’objet littéraire et l’objet linguistique. Dans une optique quantitative, l’article d’Eliane Delente consiste, dans une première partie, à aborder l'étude de la convergence, encore peu avancée aujourd’hui, pour montrer toute la complexité de la question, due en particulier au fait que non seulement les structures syntaxiques et sémantiques mais également métriques, sont hiérarchiques et enchâssées. Elle formule ensuite des propositions pour rendre compte des modalités d'association des expressions linguistiques et des unités métriques, variables selon les époques et les auteurs. Dans une dernière partie, elle présente un projet de constitution d'une base de données exclusivement consacrée aux textes poétiques et théâtraux du XVIIe jusqu’au début du XXe siècle et d'outils d'analyse automatique des formes métriques. La contribution de J. Fontanille s’attèle au rôle de la métaphore théâtrale dans Sodome et Gomorrhe de Proust. L’étude se réfère aux Besançon-Cluny : aller-retour 13 processus de modélisation interne pour montrer en quoi les figures et tropes rhétoriques peuvent contribuer à une catégorisation du monde ; ou, inversement, de quel mode de catégorisation et de médiation il est question dans les tropes et figures exploitées dans la praxis énonciative. Sur les lexèmes « rencontre » et « rencontrer », Claudine Normand cherche, à partir des manipulations formelles sur leurs emplois dans la langue « ordinaire », à accéder à une compréhension plus fine de leurs usages littéraires dans des fragments romanesques développant le thème de la rencontre. Son objectif est de montrer comment les propriétés qu'une analyse linguistique de ces lexèmes met en évidence se retrouvent mises en œuvre ou subverties dans les textes littéraires. A cet effet elle reprend quelques moments de rencontres romanesques célèbres : chez Proust (première rencontre avec Gilberte /Albertine), Stendhal (Mme de Rénal / Mathide de la Mole), Flaubert (Mme Bovary / Mme Arnoult) et quelques autres. L’article d’Anna Jaubert fait le point sur une interdisciplinarité perçue comme scientifiquement nécessaire, mais qui au cours des dernières décennies s’est avérée problématique. Après les liens tissés par l’approche philologique des textes, ce sont, dans les années 60, les points de vue sémiotique et poétique qui scellent les intérêts convergents. Mais, dans le même temps, des divergences sont apparues et ont eu le dessus. Prolongeant les conclusions tirées après cette défaite et la promotion d’une autre perspective, l’auteur analyse ici les conditions d’un nouveau contrat. Il ne s’agira plus de lancer une passerelle flottante entre deux disciplines, mais d’articuler rigoureusement la stylistique à l’analyse du discours en proposant une réflexion sur la gradualité de deux valeurs : le style du discours et la littérarité. Le travail de Dominique Maingueneau esquisse les conditions de possibilité d’une démarche d’analyse du discours, qui s’avère difficilement compatible avec les approches qui « appliquent » la linguistique à un univers qui lui serait étranger. Il s’attache néanmoins à souligner que primo on peut avoir une conception moins restrictive de l’analyse du discours ; et secundo pour englobante qu’elle soit, l’analyse du discours ne peut, en aucune manière, recouvrir l’ensemble des approches des œuvres littéraires, dès lors que ces dernières sont considérées dans la logique des discours constituants, en prise à la fois sur l’enseignement et sur l’ensemble de l’activité culturelle d’une société. C’est autour des questions de la typologie textuelle et des modèles narratologiques, que s’articule la troisième section de ce recueil, intitulée « Genres, narration, interprétation ». Les contributions se focalisent sur 14 Driss Ablali & Margareta Kastberg Sjöblom différents aspects porteurs pour les deux disciplines, tant d’un point de vue théorique et épistémologique que dans la perspective de leur applicabilité à des besoins heuristiques. L’une est comparatiste, spécialiste de l’analyse des contes de Perrault, des Grimm et d’Andersen, l’autre, linguiste, spécialiste de linguistique textuelle, avec un intérêt particulier pour le discours littéraire : Ute Heidmann et Jean-Michel Adam commencent leur travail par une sorte de bilan des acquis principaux et réflexions des travaux sur les contes. L’article met particulièrement l’accent sur les avantages et les difficultés de développer une approche réellement pluridisciplinaire des contes. Ce qu’ils proposent aboutit à un système ouvert qui lie étroitement les concepts de cotextualité, péritextualité, intertextualité et généricité, concepts qui sont à la base de leur réflexion interdisciplinaire entre sciences littéraires et sciences du langage. André Petitjean met en perspective des rapports entre littérature et linguistique et propose une réflexion de type épistémologique à propos du phénomène de la généricité textuelle. Pour ce faire, il prend comme exemple, à l’intérieur du champ de la littérature, les fictions dramatiques, en cherchant à déterminer leurs particularités génériques. En effet, en dépit des mutations, complexifications et hybridations génériques dont témoignent les œuvres dramatiques contemporaines, la généricité demeure une catégorie de sens commun et le partage générique entre fiction romanesque et dramatique, par exemple, garde son efficience. L’auteur montre aussi qu’au delà de leurs divergences, les différentes théories pour reconnaître qu'une catégorisation générique, qu'elle soit endogène et empirique ou exogène et explicitement construite, possède une constellation hétérogène de propriétés relativement stabilisées par consensus sous la forme d’une matrice discursive. La contribution de Driss Ablali, répond à la question de l’apport de la linguistique dans une réflexion sur les genres. Dans une problématique qui vise à définir ce que pourrait être l'articulation entre linguistique de la langue et linguistique du discours, l’auteur aborde brièvement dans un premier temps la question des genres d’un point de vue épistémologique, pour en venir ensuite à la question de la description linguistique des formes de la généricité. Sur un corpus d’articles de revues universitaires de sept domaines en sciences humaines, lemmatisé par Cordial, et à l’aide du logiciel Hyperbase, il montre qu'une telle caractérisation n'est possible qu'à travers une démarche à la fois contrastive et contextuelle, au sein de laquelle se trouvent mobilisés la syntaxe, la morphologie et le lexique. Pascale Delormas s’interroge dans son article sur une catégorie discursive particulière : l’« autographie » (vs « autobiographie »), dans la Besançon-Cluny : aller-retour 15 perspective de l’analyse de discours. Parce que l’analyse du discours cherche l’intégration du social dans l'analyse des textes, elle permet d’accéder à une nouvelle représentation du phénomène littéraire. Pour l’analyse du discours, l’interdiscours est le cadre conceptuel des échanges et des positionnements discursifs à partir duquel les œuvres sont décrites. L’auteur illustre ici son propos à partir de l’exemple des autographies de Jean-Jacques Rousseau, exemplaires des modalités pragmatiques de la construction d’une figure d’auteur dans une époque qui l’y autorise. En outre, l’article fait état de difficultés d’ordre épistémologique quant au rapport texte autographique/discours autographique. L’article de Laura Santone, à partir de la correspondance inédite qu’ont entretenue Jean Paulhan et la princesse Marguerite Caetani entre 1948 et 1960 autour de la revue « Botteghe Oscure », entrepernd d’examiner, dans le cadre global de la littérature épistolaire, comment les instruments d’investigation linguistique venant de l’analyse du discours donnent à voir dans la lettre privée une forme particulière d’échange dans laquelle l’interaction interpersonnelle se noue au développement des relations interculturelles en dessinant un tableau fourmillant de portraits et de petits faits vrais. Le travail prend appui sur les notions de « cadre scénographique », dans le sens indiqué par D. Maingueneau, et de « cadre participatif », selon la définition qu’en donne E. Goffmann, mais aussi selon la théorie des interactions verbales de C. Kerbrat-Orecchioni. Il s’agit donc d’utiliser des outils linguistiques afin de mettre en lumière la convergence de deux voies apparemment différentes : la recherche sur le langage en acte et en jeu, et la richesse et la complexité d’un objet traditionnellement qualifié comme littéraire. Le travail de Sabine Petillon a pour objectif d’analyser, dans le cadre d’une linguistique de la production écrite, les manuscrits d’écrivains, en suivant trois directions distinctes : le plan sémiotique tout d’abord, suivi du plan syntaxique et enfin des plans sémantique et textuel. Le travail illustre clairement comment les interrogations autour des croquis, des comptes, des notes, des listes de mots, des plans, des scénarios, du texte en cours de linéarisation, ce qu’on appelle le matériau manuscrit, offrent une étonnante variété de productions écrites. L’article de Florian Pennanech s’intéresse aux enjeux proprement théoriques de la démarche de Gérard Genette dans le domaine de la narratologie, en mettant au jour sa singularité parmi les discours consacrés à la littérature dans les années 60 et 70. L’essentiel de cette communication consiste en une analyse du destin de la poétique genettienne, d’une part à travers son utilisation par les discours institutionnels, d’autre part dans le Driss Ablali & Margareta Kastberg Sjöblom 16 dépassement qu’entendent en proposer les nouvelles narratologies (féministes, post-colonialistes, cognitivistes…). Dans le sillage des travaux de Rabatel, l’article d’Anissa Belhadjin se propose d'étudier, à travers un corpus de romans noirs, en quoi certaines théories narratologiques post-classiques peuvent constituer une piste congruente pour l’analyse de quelques manifestations de l’hétérogénéité romanesque. L’article montre aussi comment la narratologie a évolué vers une « narratologie post-classique » très féconde notamment dans les pays anglo-saxons, au point qu'on parle aujourd’hui plus volontiers de narratologies (au pluriel). Pour clore ce travail, Alain Rabatel fait un retour sur la question du style à partir d’un paradigme énonciatif revisité. En pensant le style comme un processus de singularisation de la parole dans le cadre du jeu avec les contraintes socio-culturelles des genres, ce travail internalise le poids des données sociales en faisant place aux facteurs qui déterminent les pratiques singulières tout en rendant compte de la diversité des parcours des acteurs individuels. Cet ouvrage, pour terminer, n’a pas la prétention d’aborder de façon exhaustive l’ensemble des questions liées à la recherche dans les deux disciplines. Néanmoins, une conclusion générale nous semble s’en dégager. Cet ensemble de textes offre, par la multiplicité des regards qu’il convoque, l’occasion au chercheur de mettre en œuvre une démarche interdisciplinaire, hors des carcans de pensée classiques. En cherchant à dépasser la simple et rassurante juxtaposition pluridisciplinaire, nous proposons au lecteur une confrontation d’ensemble entre fondateurs, continuateurs et nouveaux venus, adjuvants et opposants. Driss Ablali, Margareta Kastberg Sjöblom