lost in TRANSITION - INET
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Atelier andass & cnfpt lost in transition lost in transition P roposé par l’ANDASS et le CNFPT, l’atelier Lost in transition consacré à la compréhension du processus de radicalisation, comme illustration des désarrois identitaires vécus dans une période de fortes transitions et bouleversements sociétaux, est sans doute l’un des plus sensibles du programme des ETS 2015. Offrant plus de questions que de réponses, il a le mérite de proposer une prise de recul et de poser quelques pistes de travail de fond pour les collectivités et les professionnels du social, face à la complexité du phénomène et aux incertitudes qu’il engendre. « C’est un phénomène qui nous tombe dessus ». Stéphane Cesari, ancien directeur général adjoint aux solidarités au Conseil départemental de l’Isère, résume ainsi le sentiment partagé des collectivités territoriales, et notamment des services de protection de l’enfance et des professionnels de l’action sociale, face à la radicalisation. Le sociologue Farhad Khosrokhavar1 la définit comme un processus par lequel l’individu ou le groupe adopte une forme violente d’action directement liée à une idéologie extrémiste, à contenu politique, social ou religieux. Ce processus, considéré ici comme un symptôme de fractures de parcours individuels et sociétaux, soulève des questionnements fondamentaux, notamment autour du risque qu’il représente pour les personnes, pour les professionnels, et pour les collectivités. Nicolas Defaud, directeur d el’Enfance, Conseil départemental du Val d’Oise 56 Construction identitaire en danger Pour les personnes, le phénomène interroge profondément la construction identitaire, dans des contextes de radicalisation parfois très rapides de jeunes femmes et de jeunes hommes hameçonnés par Internet, via une « intrusion de l’extérieur dans l’intime », comme l’exprime Patricia Carette, directrice de l’association Via Voltaire. Elle explique que la radicalisation jihadiste, notamment, repose sur des axiomes d’identification, d’idéalisation et d’imaginaire, qui touchent un public jeune, voire très jeune, qui décale son idéal vers un ailleurs et des postures de martyrs ou de héros. Nicolas Defaud, directeur de l’enfance du Conseil départemental du Val d’Oise, raconte l’expérience qu’en a le département, où 34 situations de jeunes radicalisés sont suivies : « on n’identifie pas de profil type, mais des vulnérabilités types à la radicalisation. […] le phénomène est susceptible de toucher deux groupes bien identifiés : des jeunes issus de la deuxième génération et des convertis, ceux qui n’ont trouvé que le jihadisme sur le marché de la révolte radicale ». Des jeunes souvent confrontés d’abord à un traumatisme générateur, la pression du groupe au collège ou au lycée, le besoin de sanctuariser le corps pour les jeunes femmes… Il explique : « Aussi étrange que ça paraisse, l’offre jihadiste a des propriétés ajustées à leurs attentes : désir de révolte, de rupture par rapport au cadre familial, désir d’absolu, besoin de respectabilité, assuré via une conjugalité rapide, dans un cadre paradoxalement valorisant et sécurisant ». 1 Farhad Khosrokhavar est directeur d’études à l’EHESS, auteur de Radicalisation, éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, 2014 57 lost in transition Des professionnels désarçonnés Pour les professionnels de l’aide sociale et de la protection de l’enfance, ces positionnements entraînent des tensions dans leur pratique, voire le désarroi face à des situations parfois urgentes et complexes. Peu outillés face aux crispations identitaires et religieuses, les travailleurs sociaux font face à des paradoxes et ne savent plus où s’arrête leur rôle. Nicolas Defaud cite l’exemple d’une équipe d’éducateurs, chargée de ramener d’Allemagne une fratrie entraînée par ses parents jusqu’en Syrie… la veille des attentats contre Charlie Hebdo. Sentiment d’insécurité accru, d’impossibilité de travailler avec la famille, de ne pas pouvoir se positionner, les travailleurs sociaux en arrivent à considérer que ces cas les dépassent et relèvent davantage du pouvoir régalien et de l’ordre public. Les éducateurs de l’aide sociale à l’enfance sont aussi confrontés à un public nouveau : les enfants des jeunes radicalisés. Contrairement aux cas qu’ils connaissent, ces enfants ne souffrent pas de problématiques d’attachement, car ils sont souvent correctement pris en charge par leurs parents. Mis en danger par le risque de départ sur un terrain de guerre, ces enfants sont placés mais le problème est que, pour eux, le placement est traumatique en lui-même. Les professionnels sont alors obligés de revoir leurs protocoles habituels et de les adapter à ces cas bien particuliers. 58 Des réponses à trouver Les collectivités, donc, agissent. D’abord en tant que responsables des politiques sociales. Le département du Val-d’Oise, par exemple, a organisé une réflexion interne à ses services, et externe avec ses partenaires, pour constituer des ressources conceptuelles pour ses équipes et former ses agents de terrain. Même son de cloche dans l’Isère, où les équipes ont eu besoin de s’informer et d’échanger entre elles. Dans l’Hérault, a été créé en juin 2015 un réseau interprofessionnel de prévention des troubles identitaires et des phénomènes de radicalisation, sur le modèle des réseaux sur les violences conjugales qui y existent depuis 10 ans. L’objectif : penser le phénomène entre professionnels, l’identifier, le prévenir et surtout y répondre. Enfin, au niveau national, dès l’été 2014 une circulaire de l’état a invité à la structuration de réseaux départementaux sur la question, et un numéro vert du centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation a été créé. Mais les collectivités ont aussi à agir pour répondre à cette radicalisation, or elles ne peuvent le faire seules. Prévenir très en amont, par une action en milieu scolaire sur les usages d’internet, par exemple, est une solution. Stéphane Cesari s’interroge aussi sur la possibilité de faire appel aux habitants eux-mêmes : « les collectivités sont bien placées pour travailler avec les habitants et tenter de construire des réponses préventives. Dans ces réponses, il y a peut-être aussi un travail à mener pour mobiliser les groupes d’appartenances et leur donner le pouvoir d’agir en prévention, en faisant passer des messages (…) on ne peut pas se payer le luxe de n’utiliser que les canaux anciens ». Terminologie : éviter les amalgames Les mots qui cherchent le sens des phénomènes de radicalisation sont nombreux et leur emploi, désormais plus fréquent, parfois galvaudé. Voici quelques éléments de vocabulaire pour faire la part des choses. Radicalisation : processus par lequel l’individu ou le groupe adopte une forme violente d’action, directement liée à une idéologie extrémiste, à contenu politique, social ou religieux. Fondamentalistes : pratiquants aux postures religieuses rigoureuses, sans recours à la violence. Jihadisme : système de pensée politico-religieux de type totalitaire, qui prône la lecture littéraliste de termes islamiques, le retour aux sources de l’Islam, l’identification et l’idéalisation du modèle prophétique et la constitution et l’éloge d’une communauté imaginaire de croyants. Prosélytisme : attitude de ceux qui cherche à susciter l’adhésion d’un public, à recruter de nouveaux adhérents à leur foi. Par extension, le prosélytisme désigne le zèle déployé en vue de rallier des personnes à une doctrine. Born again : « renaître à nouveau », ce terme qui se répand désigne une découverte ou redécouverte de l’islam sous sa forme la plus radicale. L’individu concerné devient « autre ». Ce terme pose la question de la désaffiliation, de la perte d’identité et de distanciation de la société. Voyage initiatique : passage essentiel dans une terre de jihad, la personne qui l’accomplit devient étrangère à sa société d’origine. La démarche vise à s’endurcir au nom de la foi. Le moment du retour est important pour travailler auprès de ceux qui reviennent, avec plus de violence et de désespérance. 59