Les communistes et les élections sénatoriales. Entre scrutin prétexte

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Les communistes et les élections sénatoriales. Entre scrutin prétexte
Les territoires du communisme
Élus locaux, politiques publiques et sociabilités militantes
Journées d’études 1er et 2 décembre 2009
Université Paris 1
Les communistes et les élections sénatoriales.
Entre scrutin prétexte et ressource politique (1920-2008)
Fabien Conord - [email protected]
docteur en histoire contemporaine
Université Clermont-Ferrand 2
Scrutin négligé dans l’observation de la vie politique française, les élections sénatoriales
concourent à la formation de la seconde Chambre du Parlement et constituent un maillon
important dans l’articulation entre collectivités territoriales et représentation nationale.
L’attitude du PCF à l’égard de ce scrutin est changeante. Initialement réservé, en raison d’un
monocamérisme revendiqué, le parti communiste investit progressivement ces élections, mais
selon des modalités évolutives et parfois contradictoires. L’étude des résultats du PCF lors de
cette compétition politique doit s’accompagner de la mesure des enjeux nationaux et des
préoccupations locales dans l’argumentaire des candidats communistes, ce qui permet
d’évaluer les mutations identitaires du communisme français. L’analyse de la sélection des
candidats communistes montre si le PCF s’appuie -ou non- de manière privilégiée sur les
représentants des collectivités territoriales pour faire campagne aux élections sénatoriales.
L’entre-deux-guerres : une institution décriée, un scrutin boudé
Parti révolutionnaire, le PCF des années 1920 met néanmoins en œuvre des politiques de
gestion publique à l’échelon local, par l’intermédiaire des municipalités, dans la Seinebanlieue notamment1. Pourtant, durant l’entre-deux-guerres, il est peu présent lors des
élections sénatoriales, ne présentant pas de candidats dans de nombreux départements.
Le PCF, s’il ne cherche pas nécessairement à faire élire des sénateurs, objectif difficile
à atteindre, use toutefois de ce scrutin pour déployer une stratégie partisane. Ainsi, en 1927, la
pratique du panachage permet au PCF de faire battre Jean Longuet, leader socialiste alors
bien connu, aux élections sénatoriales dans la Seine2. Le scrutin sert ici à éliminer du
Parlement un adversaire redouté pour sa connaissance du mouvement ouvrier international et
sa légitimité familiale (il est le petit-fils de Karl Marx). En 1929, le préfet de l’Allier
s’interroge sur l’éventuelle composition d’une liste communiste : les dirigeants du PCF
présenteront-ils des « éléments locaux ou au contraire voudront-ils faire une manifestation sur
1
Bellanger Emmanuel, Girault Jacques (dir.), Villes de banlieues. Personnel communal, élus locaux et politiques
urbaines en banlieue parisienne au XXe siècle, Paris, Creaphis, 2008.
2
Candar Gilles, Jean Longuet. Un internationaliste à l’épreuve de l’histoire, Rennes, PUR, 2007, p.235.
Acte des journées "Les territoires du communisme" CHS - Paris 1, décembre 2009 -
1
les noms de certains emprisonnés ? »3, autre possibilité qui rappelle des pratiques politiques
héritées du XIXe siècle.
La progression de l’implantation municipale du PCF, qui passe de 70 mairies en 1925
à 104 en 1929 et bénéficie de la dynamique du Rassemblement populaire en 1935, permet au
parti d’envisager des résultats plus heureux aux élections sénatoriales4. C’est surtout le cas
dans le département de la Seine où, à l’issue des élections municipales de 1935, 27 communes
sur 80 sont administrées par des communistes. Les candidats du PCF aux élections
sénatoriales ont donc de meilleures chances de réussite. En octobre 1935, Jean-Marie
Clamamus est battu au 3e tour de scrutin. Le 14 janvier 1936, Marcel Cachin est le premier
communiste à entrer au Palais de Luxembourg, grâce à l’union réalisée au second tour entre
radicaux-socialistes, socialistes et communistes. L’événement fait la une de L’Humanité,
comme l’élection de Jean-Marie Clamamus, quelques semaines plus tard, le 23 février 1936,
sur le siège abandonné par Pierre Laval (qui, élu dans la Seine et le Puy-de-Dôme, a choisi le
second département), au 3e tour de scrutin. À côté du titre « Clamamus conquiert le siège de
Laval », Marcel Gitton commente « Une victoire du Front populaire »5.
Le profil de ces deux premiers sénateurs communistes, les seuls de l’entre-deuxguerres, diffère assez sensiblement. Il s’agit certes de deux vétérans du mouvement ouvrier,
anciens membres de la SFIO, voire même, pour Marcel Cachin, du Parti Ouvrier de Jules
Guesde. L’analogie s’arrête ici. Marcel Cachin, député de la Seine de 1914 à 1932, est une
figure emblématique du parti. Jean-Marie Clamamus « n’est pas un homme d’appareil, ni un
responsable politique majeur. C’est d’abord un élu, qui a gravi les échelons menant du conseil
municipal de Bobigny au Sénat »6 : conseiller municipal en 1914, maire en 1919, député entre
1924 et 1932. Symboliquement, ce n’est pas l’archétype de l’élu local communiste, mais le
tribun national qui fut élu en premier. La préséance n’est pas fortuite.
En dehors de la Seine, le PCF commence à investir l’élection sénatoriale, non pour y
gagner des sièges au Parlement mais pour développer son argumentation politique. En 1935,
sans surprise, elle est axée sur les aspirations du moment : dans le Pas-de-Calais, Henri
Darras, délégué mineur, maire de Noyelles-Godault, se prononce « pour le Front populaire
contre le régime capitaliste », « pour la Paix, le Pain et la Liberté », « pour le Gouvernement
souverain des Ouvriers, Paysans et Soldats de France », réclame le désarmement et la
dissolution des « ligues fascistes », l’« épuration de l’armée des officiers factieux royalistes et
fascistes », le « droit de vote et d’éligibilité pour les femmes, les immigrés et les jeunes de
plus de 18 ans », la mise en place de la représentation proportionnelle et la « dissolution de la
Chambre » suivies d’élections « immédiates »7.
En 1938, le PCF, qui présente des candidats dans huit départements seulement (Allier,
Ardennes, Bouches-du-Rhône, Cher, Corrèze, Creuse, Finistère et Gard), réalise une
profession de foi valable à l’échelle nationale, dans laquelle il évoque ces huit départements,
et annonce que, « dans les autres départements, les électeurs sénatoriaux communistes
voteront, dès le premier tour, pour les candidats du Front populaire, affirmant ainsi leur
volonté d’union de la Nation française contre les 200 familles de grands capitalistes et de
spéculateurs qui se sont enrichies de l’exploitation du peuple et des malheurs du pays. » Cinq
thèmes sont développés dans ce document électoral : défense de la paix, défense des
conquêtes sociales, défense de la légalité républicaine, réforme du Sénat, union de la Nation
3
AD Allier, 3 M 2952, élections sénatoriales 1929.
Sur l’évolution du nombre d’élus municipaux communistes en France, de nombreux renseignements sont
disponibles dans Martelli Roger, L’archipel communiste. Une histoire électorale du PCF, Paris, Éditions
Sociales, 2008 (notamment pages 19, 21, 142 et 153).
5
L’Humanité, 25 février 1936.
6
Fourcaut Annie, Bobigny, banlieue rouge, préface d’Antoine Prost, Paris, Éditions Ouvrières et Presses de la
FNSP, 1986, p.149.
7
BNF, FOL-WZ-1837, élections sénatoriales de 1935.
4
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2
française. Les thématiques dominantes du PCF des années 1930 sont fidèlement résumées lors
de ces deux scrutins sénatoriaux, clairement prétextes à propagande plus que ressources
politiques.
La IVe République : de l’exceptionnalité de 1946 à la portion congrue
La donne change avec l’instauration du Conseil de la République en 1946. Le mode de scrutin
est alors nouveau, et demeure original dans l’histoire de la Seconde Chambre en France : des
grands électeurs sont désignés au suffrage universel direct, par canton, et élisent ensuite un ou
plusieurs conseillers de la République dans chaque département. Un mode de calcul complexe
permet l’élection d’autres conseillers de la République au scrutin interdépartemental. 50
parlementaires enfin sont élus par les députés, à la proportionnelle. Sur ce dernier contingent,
le PCF choisit par exemple l’avocat Marcel Willard et l’écrivain Jean-Richard Bloch. Dans
les départements, il présente 117 candidats (hors listes d’union), dont quatre députés, 22
conseillers généraux, six maires, trois conseillers généraux et maires, cinq adjoints, au moins
quatre conseillers municipaux. 42 élus au moins sont donc candidats, ce qui représente un
gros tiers de l’effectif, pourcentage finalement peu élevé, pour une seconde Chambre dont
l’une des vocations est de représenter les assemblées locales. Le mode de scrutin permet au
PCF de faire élire 97 conseillers de la République communistes, dont 11 femmes. Parmi les
nouveaux élus, figurent quelques vieux militants, tel le communiste Jules Fraisseix, né en
1872, député de la Haute-Vienne de 1928 à 1932, médecin et maire d’Eymoutiers ou l’ancien
leader de l’aile gauche de la SFIO durant les années 1930, Jean Zyromski, conseiller
municipal de Duras depuis 1945 et adhérent de fraîche date8.
La situation évolue radicalement en 1948. En effet, suite à une réforme électorale, le
mode de désignation des conseillers de la République (appelés d’ailleurs à nouveau sénateurs
à partir de 1948) reprend les formules en usage sous la IIIe République (scrutin majoritaire,
uninominal ou plurinominal selon les départements), excepté dans les départements les plus
peuplés où l’élection a lieu au scrutin proportionnel. Pour le PCF, isolé dans un contexte de
guerre froide, le résultat est sans appel : dans les 79 départements où s’applique le scrutin
majoritaire, il ne parvient à faire élire aucun représentant. Tous ses élus proviennent donc des
départements où l’élection a lieu à la représentation proportionnelle. Jacques Duclos parle
d’une « escroquerie électorale » et considère que « ce Conseil de la République ne représente
rien »9. Toutefois, même si le PCF est désormais réduit à une représentation sénatoriale issue
des départements les plus peuplés, il n’en adopte pas moins une politique de présence
systématique, concourant quasiment partout, y compris lorsqu’il n’a aucune chance.
L’élection sénatoriale sert alors simplement de vecteur dans la diffusion des idées
communistes.
Dans ce scrutin à la représentation proportionnelle, les choix d’appareil se portent
souvent sur des militants dépourvus de mandats électifs. C’est le cas dans la Seine, avec Jean
Chaintron, ancien responsable des Brigades internationales et ancien résistant, élu en 1948,
après avoir été préfet de la Haute-Vienne et directeur du cabinet de Maurice Thorez lorsque
celui-ci était ministre. Jean Chaintron n’est pas représenté en 1958, en raison de ses
8
PCF et SFIO s’entendent pour présenter des listes communes dans les trois départements d’Algérie, du moins
au sein du premier collège. En revanche, dans le second collège, le PCF est le seul parti métropolitain à
concourir, dans le département d’Alger, en concurrence avec trois autres listes (celles de l’Union démocratique
du manifeste algérien, de l’Union démocratique indépendante musulmane et de l’Union algérienne pour l’égalité
dans les démocraties) [AN, F/1cII/236, 6 décembre 1946].
9
Le Monde, 10 novembre 1948.
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3
désaccords croissants avec la ligne du Parti10. Dans le même département, le PCF doit aussi
s’appuyer sur ses élus locaux. Georges Marrane, maire d’Ivry-sur-Seine depuis 1925, et
conseiller général, siège ainsi au Conseil de la République de 1946 à 195611. Waldeck
L’Huillier, maire de Gennevilliers depuis 1945, est quant à lui élu sénateur en 1952, après
avoir perdu son siège de député en 1951. En effet, le mandat sénatorial est jugé second par
rapport à l’Assemblée Nationale. Nestor Calonne, grande figure du monde minier du Pas-deCalais, maire d’Hénin-Liétard au sortir de la guerre, est député aux Assemblées constituantes,
puis membre du Conseil de la République à partir de 1946, mais demeure candidat aux
élections législatives de 1951 et 1956, placé au milieu des listes communistes, à la charnière
des places éligibles. Il s’agit tout à la fois de tenter un retour à l’Assemblée pour lui, et -pour
le parti- d’exploiter sa popularité auprès des mineurs et des élus locaux lors de ces scrutins.
Des années 1960 aux années 1980 : l’incomplète conversion des communistes
En 1959, un éditorial de L’Humanité-Dimanche évoque, en quelques lignes seulement,
l’élection des sénateurs communistes12. Pourtant, ce scrutin est bienvenu pour le PCF, qui
peut ainsi renvoyer au Parlement des députés battus lors du renouvellement de l’Assemblée
Nationale en 1958, année désastreuse où seuls dix communistes sont parvenus à être élus,
insuffisamment nombreux pour former un groupe au Palais-Bourbon. L’existence de la
représentation proportionnelle pour les élections sénatoriales évite une telle déconvenue au
Palais de Luxembourg. L’élection du 26 avril permet l’entrée au Sénat de Jacques Duclos, qui
devient aussitôt président du groupe communiste au Sénat et le demeure jusqu’à sa mort en
1975, mais aussi de Georges Cogniot et Jeannette Thorez-Vermeersch. Les communistes
connaissent une progression limitée, mais certaine, jusqu’en 1977 (le groupe passe de 14 élus
en 1965 à 23 en 1977). Elle s’explique par les succès rencontrés aux élections municipales (le
PCF passe de 16 254 conseillers municipaux en 1965 à 28 000 en 1977), eux-mêmes
tributaires de la stratégie unitaire à gauche. Dans l’Isère, la constitution d’une liste d’union de
la gauche au second tour permet en 1974 la première élection d’un sénateur communiste au
scrutin majoritaire sous la Ve République.
Durant ces années, les argumentaires communistes connaissent une évolution sensible.
Ainsi, dans l’Allier, la profession de foi du PCF pour les élections sénatoriales de 1962 débute
par un paragraphe national (qui dénonce les « militaristes de l’Allemagne de l’Ouest », l’OAS
et les « grandes sociétés capitalistes »), mais se poursuit par l’évocation des sujets propres au
département et des questions agricoles. Elle prévoit explicitement une réunion publique avec
Pierre Villon pour expliquer la position du parti en cas de second tour, en précisant même la
salle où elle est programmée (le PCF se désiste pour la SFIO). Un discours de défense des
collectivités locales se développe également, facilité par les pratiques centralisatrices du
pouvoir gouvernemental. En 1968, un rédacteur de L’Humanité écrit ainsi :
« Dans plusieurs départements, les gaullistes officiels ont perdu des voix et même des
élus. Il n’est pas douteux que de nombreux élus locaux ont voulu manifester leur
opposition à la politique d’étouffement progressif des libertés communales et
départementales pratiquée par le pouvoir ».
En 1980, le PCF de l’Allier publie un numéro spécial « Élus » de son hebdomadaire fédéral
pour présenter ses candidats aux élections sénatoriales : il s’y prononce pour la suppression de
la taxe d’habitation et contre la suppression de la taxe professionnelle (« une campagne du
10
Il est exclu en 1962.
Georges Marrane est donc candidat aux élections présidentielles de 1958 durant la brève période où il ne siège
pas dans la seconde Chambre, qu’il retrouve en 1959.
12
L’Humanité-Dimanche, 3 mai 1959.
11
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patronat et du pouvoir »), estimant qu’il s’agit là d’« un choix fondamental : continuer ou non
de faire des cadeaux aux trusts qui s’enrichissent outrageusement pendant que les familles
connaissent l’aggravation de leurs conditions de vie et l’argumentation de leurs charges »13.
L’Humanité, qui consacre de nombreux reportages à ce scrutin14, présente les communistes
des Bouches-du-Rhône comme « les meilleurs défenseurs des libertés communales », et
l’élection de ses candidats dans le Gard comme « un moyen efficace pour défendre les
collectivités locales qui se heurtent à des difficultés considérables et qui réclament plus de
démocratie, des moyens financiers indispensables à la satisfaction des besoins des
habitants »15.
Le choix des candidats révèle également une meilleure représentation des élus locaux.
En 1971, sur 71 candidats communistes, il y a 14 conseillers généraux, 40 maires, six adjoints
et trois conseillers municipaux, soit 63 élus sur 71 (presque les neuf dixièmes). Parmi eux,
figurent quelques grands élus : dans le Gard, la liste est conduite par Émile Jourdan, maire de
Nîmes ; dans l’Allier, les deux candidats siègent au Conseil général respectivement depuis
1949 et 1955.
Le mandat sénatorial n’apparaît toutefois pas comme une priorité pour ses détenteurs.
Quatre d’entre eux deviennent députés durant les années 1970 et 1980, dont André Duroméa,
qui a effectué un passage au Sénat (1986-1988) entre deux séjours plus longs à l’Assemblée
Nationale. Le mandat sénatorial apparaît dans ce cas comme une simple position de repli ; il
peut aussi remplir une fonction d’attente. Marie-Thérèse Goutmannn, battue aux élections
législatives de 1967 et 1968 à Noisy-le-Grand, siège au Sénat de 1968 à 1978. Devenue maire
de Noisy-le-Grand en 1977, elle réussit en 1978 à emporter la circonscription. Bien que
présidente du groupe communiste au Sénat depuis 1975, elle quitte alors la seconde Chambre
pour siéger au Palais-Bourbon, signe de l’importance vraiment seconde à ses yeux (ou à ceux
du PCF) du Sénat et aussi de la plasticité que permet le scrutin proportionnel, puisqu’un
suivant de liste lui succède sans coup férir au Palais de Luxembourg. 12 anciens députés
deviennent quant à eux sénateurs, après une défaite généralement. C’est le cas de grandes
figures du PCF comme Jacques Duclos, Georges Cogniot et Jeannette Thorez-Vermeersch.
Les cas de Georges Marrane et Waldeck L’Huillier sont plus complexes. Anciens députés, ce
sont aussi des maires importants de la banlieue rouge, à Ivry-sur-Seine et Gennevilliers.
Ancien député du Pas-de-Calais, Léandre Létoquart était maire d’Avion et vice-président du
Conseil général lorsqu’il devint sénateur en 1973, grâce à la démission de Jean Bardol, élu
député. Cet exemple, non isolé, témoigne de la place seconde des élus locaux dans les choix
du PCF. Louis Talamoni, maire de Champigny-sur-Marne, élu sénateur de la Seine en 1958,
est battu en 1959, car il doit accepter une place reculée dans la liste afin de laisser de hauts
dirigeants du Parti être élus au Parlement. Il n’est proclamé à nouveau sénateur qu’en 1963,
lorsque Waldeck L’Huillier redevient député. En 1968, aucun des deux sénateurs des Hautsde-Seine ne détient de mandat local (Guy Schmaus, 36 ans, est secrétaire fédéral ; André
Aubry, 37 ans, a été conseiller municipal d’Antony), alors que leurs suivants de liste sont le
maire de Colombes, et en 5e position le maire de Levallois.
Mieux encore, une propension à éviter le cumul des mandats est repérable. Adolphe
Dutoit, sénateur du Nord depuis 1949, démissionne en 1967 après son élection au Conseil
général, qui suit son accession à la mairie de Seclin en 1966. Deux sénateurs de la région
parisienne, élus en 1968, conquièrent une mairie au printemps 1977 et ne se représentent pas
au Sénat en septembre suivant : André Aubry (Hauts-de-Seine, maire d’Antony) et Roger
Gaudon (Val-de-Marne, maire de Villeneuve-Saint-Georges).
13
Bourbonnais-Hebdo, n° spécial « Élus », été 1980.
Sur les Côtes-du-Nord (22 septembre 1980), la Haute-Garonne et l’Hérault (24 septembre 1980), l’Aisne et les
Ardennes (26 septembre 1980).
15
L’Humanité, 25 septembre 1980.
14
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5
Les contre-exemples existent en banlieue parisienne. Le maire de Saint-Ouen devient
ainsi sénateur, trajectoire suivie par Fernand Lefort, puis par son successeur, à la mairie tout
d’abord, au Sénat ensuite, Paulette Fost. En revanche, le PCF est presque contraint de
présenter des élus locaux en province, dans les départements où il bénéficie d’une solide
implantation. En effet, au scrutin majoritaire, et plurinominal, faire concourir des candidats
dépourvus de mandats serait considéré comme illégitime par les grands électeurs, souvent
élus de communes rurales et attachés à une expérience de gestion locale. Parfois même, le
PCF présente des candidats ayant acquis une légitimité antérieure à leur engagement partisan.
Dans l’Isère, il investit ainsi Paul Jargot aux élections sénatoriales de 1974. Il n’adhère au
PCF que depuis 1970, mais bénéficie d’une forte équation personnelle : élu local de longue
date (il est maire de Crolles depuis 1953), ancien secrétaire du CDJA, il est directeur national
des MJC depuis 1968. Il constitue vraisemblablement la meilleure chance pour les
communistes de mordre sur un électorat qui ne leur est pas nécessairement acquis. Le pari est
réussi, puisque Paul Jargot est élu sénateur.
Son élection est aussi due à un contexte de forte union à gauche. Celle-ci se délite à
partir de 1977, et la tension est très présente lors des élections sénatoriales de 1977 et surtout
de 1980. En 1977, L’Humanité publie l’appel de « 23 élus radicaux de gauche du canton de
Pavilly » pour la liste PCF en Seine-Maritime, et rappelle le refus du PS de constituer une
liste d’union16. Après les élections, Jean Le Lagadec souligne que les candidats du PCF
recueillent un nombre de voix supérieur aux grands électeurs communistes, et déplore « le
refus du parti socialiste et souvent du Mouvement des radicaux de gauche de constituer des
listes d’union », ce qui aboutit « à favoriser la droite ». Il conclut qu’« avec un scrutin
proportionnel dans toutes les élections et un comportement unitaire de toutes les formations
de gauche », les résultats « auraient été encore nettement meilleurs »17. En 1980, la querelle
est nettement plus vive. Dans un article intitulé « Clarté, loyauté, responsabilité », Madeleine
Vincent réclame une liste d’union avec le PS dès le premier tour dans les Côtes-du-Nord, et
prévient qu’en cas de refus, le PCF maintiendra ses candidats au second tour en Corrèze,
Creuse, Dordogne et dans le Doubs, estimant qu’« il est en effet impossible pour les électeurs
communistes d’admettre qu’ils doivent apporter leur voix là où le parti socialiste en a besoin,
et que leur Parti soit privé des sièges d’élus auxquels son influence lui donne droit dans les
autres départements »18. Le PCF se maintient finalement en Corrèze, dans la Creuse, les
Côtes-du-Nord, le Doubs et le Finistère. Entre les deux tours, il essuie des pertes sévères, y
compris dans des terres d’affrontements traditionnels entre socialistes et communistes : le
débours est de 30% en Corrèze et de 50% dans la Creuse. Au lendemain du scrutin, alors que
la presse française met l’accent sur la stratégie de désunion adoptée par le PCF, ce dernier
s’estime « privé d’une juste représentation »19 et considère que « Giscard peut remercier
Mitterrand » car « le parti socialiste a privé les communistes de huit sièges de sénateurs »20.
Dans l’Allier, Paul Crespin dénonce « la trahison socialiste », notant qu’il manque 116 voix
au communiste présent au second tour, mais omet de préciser que celui-ci arrive pourtant en
tête de la gauche, devant son colistier socialiste, sur qui les communistes ne semblent pas
s’être reportés sans faille…21
Le commentaire le plus élaboré est présent dans un article non signé de Libération,
intitulé « La gauche : dérapage contrôlé ». L’auteur considère que « les deux partenaires ont
joué la scène de l’intransigeance sans vraiment remettre en cause leurs intérêts électoraux »,
16
L’Humanité, 23 septembre 1977.
L’Humanité, 26 septembre 1977.
18
L’Humanité, 27 septembre 1980.
19
L’Humanité, 29 septembre 1980.
20
L’Humanité, 30 septembre 1980.
21
Bourbonnais-Hebdo, 1-7 octobre 1980.
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le PS refusant les listes communes quand il ne craint guère la défaite, et le PCF jouant surtout
les « fiers-à-bras » « là où l’issue du scrutin faisait peu de doute »22. Le journal fustige tout de
même davantage le PCF, soulignant que « des communistes, des élus communistes, ont
préféré faire élire dans le Doubs […] un RPR, directeur du personnel des très sociales usines
Peugeot, plutôt que le socialiste militant par ailleurs à la CGT. Les communistes critiques de
Peugeot devaient, lundi matin, être quand même assez perplexes. »23 L’auteur se demande si
cette stratégie du PCF ne vise pas à mesurer la capacité de son électorat à se détacher du
réflexe unitaire : si c’est le cas, les pertes subies entre les deux tours, là où les candidats
communistes se sont maintenus, doivent convaincre le parti que ce serait là un choix
périlleux…
En 1983, le PCF peut être plus satisfait de l’attitude des socialistes, qui ont accepté de
constituer une liste d’union en Moselle, permettant ainsi l’élection, pour la première fois, d’un
sénateur communiste dans ce département. Les pertes importantes essuyées par les
communistes aux élections municipales du printemps ne se traduisent, renouvellement
triennal oblige, qu’en 1986. Le PCF est alors à son étiage, avec 15 sénateurs. La fin du XXe
siècle lui permet de stabiliser, puis d’améliorer ce chiffre, de manière paradoxale eu égard à
son déclin municipal.
Depuis les années 1990 : une ressource politique largement sollicitée
Maires et sénateurs communistes en France 1989-2008
Année
1989
1995
2001
2008
Nombre de maires
communistes
1124
873
786
725
Nombre de sénateurs
communistes
16
15
2224
En 1995, le PCF se plaint de n’obtenir que 5% des sièges au Sénat, alors qu’il recueille « 10%
des voix aux élections locales »25. Depuis, le nombre des sénateurs communistes augmente de
manière significative depuis 1995 alors que celui des maires a connu une diminution
importante (presque 17%). L’explication de ce paradoxe réside dans la stratégie unitaire
adoptée dans les années 1990, généralisée au temps de la « gauche plurielle » et maintenue
depuis.
La formule privilégiée associe le PCF aux petites formations de gauche : en 1995, les
communistes s’associent avec le MDC dans le Rhône (ce qui lui permet de retrouver un élu
dans ce département), l’Essonne et la Seine-Saint-Denis, avec le MDC et les radicaux de
gauche dans le Val-d’Oise. Ils participent également à une liste d’union avec l’ensemble de la
gauche à Paris, conduite par les socialistes, et qui ne comprend qu’une seule communiste,
mais en position éligible. L’alliance entre PCF et PS se noue aussi dans quelques
départements ruraux, où l’élection a lieu au scrutin majoritaire. En 1989, l’union réclamée par
les communistes dans les Côtes-du-Nord neuf ans plus tôt se réalise et autorise l’élection de
Félix Leyzour, dont le profil est celui d’un élu rural classique (vice-président du Conseil
général, où il préside la commission des travaux, des routes et de l’urbanisme). Dans certains
départements, l’entente demeure toutefois imparfaite. Dans l’Allier, le PCF se déclare prêt à
22
Libération, 29 septembre 1980.
Libération, 30 septembre 1980.
24
Le groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de Gauche comprend 24 membres mais
seuls 22 sont communistes.
25
L’Humanité, 26 septembre 1995.
23
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7
l’union avec l’un des candidats PS, René Charrette, mais réfute le second, Daniel Southon,
« car chacun sait qu’il ne peut être rangé dans la catégorie des militants de gauche
unitaires »26. Malgré une situation favorable, la gauche voit à nouveau échapper les deux
sièges de sénateurs dans ce département, PCF et PS se renvoyant la responsabilité de la
division. En 2008, communistes et socialistes présentent dès le premier tour une liste
commune. Au second tour, le résultat est contrasté : si le PCF parvient à faire élire sa
candidate, le seul sortant UMP qui se représente est réélu, au détriment du candidat PS.
La personnalité de la candidate victorieuse, Mireille Schurch, est triplement
significative des évolutions connues par le PCF : il s’agit d’une femme, qui se définit avant
tout comme une élue locale et n’est pas membre du parti, bien qu’elle siège dans les groupes
communistes au Conseil général de l’Allier puis au Sénat. Le fait qu’elle ne soit pas adhérente
du PCF témoigne de l’importance croissante des élus non encartés dans la galaxie
communistes. Les deux premiers éléments renvoient directement au profil des candidats
communistes aux élections sénatoriales.
Dès 1946, le poids des femmes était réel. Le groupe communiste a été présidé, après la
mort de Jacques Duclos, par Marie-Thérèse Goutmann. En 1983, Hélène Luc, qui a succédé à
la précédente, soulignait que le groupe PCF était « le seul à faire une large place aux
femmes »27. Elle est remplacée en 2001 par Nicole Borvo. Le groupe communiste au Sénat
est le plus largement féminisé de cette assemblée, mais aussi de l’ensemble du Parlement
français. En 2009, il y a parité dans le groupe communiste, républicain, citoyen et des
sénateurs du Parti de Gauche (12 femmes sur 24), et les sénateurs communistes sont
majoritairement des femmes (François Autain et, jusqu’aux élections européennes, Jean-Luc
Mélenchon ne représentant pas le PCF). C’est donc à bon droit que L’Humanité pouvait, au
moment des élections de 2008, présenter le PCF comme le « pionnier de la parité » au
Luxembourg28.
Le groupe communiste est désormais constitué, autre évolution par rapport à ses
débuts, d’une large majorité d’élus locaux. En 1995, sur 81 candidats communistes, seuls
quatre n’exercent pas de mandat électif. Deux de ces quatre candidats sont élus : il s’agit de
Nicole Borvo, membre du bureau de la fédération de Paris et du Comité national du PCF et de
Claude Billard, membre du Bureau national du PCF (élu dans le Val-de-Marne). La logique
d’appareil qui prévaut ici fait néanmoins confine désormais à l’exception, même si c’est
justement à Nicole Borvo qu’est confiée, quelques années après, la succession d’Hélène Luc à
la présidence du groupe. La détention d’un mandat constitue toutefois une ressource de plus
en plus valorisée dans la présentation des candidats communistes aux élections sénatoriales.
En 2004, Éliane Assassi, candidate en Seine-Saint-Denis, est présentée comme « une très
bonne connaisseuse des collectivités territoriales »29. Après le scrutin, Nicole Borvo met au
crédit des élus locaux la progression de son parti : « les candidats communistes qui étaient des
candidats de terrain ont été reconnus et appréciés par les élus locaux. Ils ont ainsi permis de
gagner. » Définissant le rôle des sénateurs communistes, elle associe un rôle tribunicien
(« Dans cette Assemblée vraiment très réactionnaire, le groupe communiste fait entendre la
voix des salariés, de la population, et bien évidemment il continuera à le faire ») à la
médiation avec les collectivités territoriales30. En 2008, Mireille Schurch insiste avant tout sur
la défense des petites communes : « je me battrai pour elles, justement parce qu’elles sont les
premières concernées par le maintien des services publics »31.
26
Bourbonnais-Hebdo, 13-19 septembre 1989, supplément spécial « Élections sénatoriales ».
L’Humanité, 26 septembre 1983.
28
L’Humanité, 23 septembre 2008.
29
L’Humanité, 27 septembre 2004.
30
L’Humanité, 27 septembre 2004.
31
La Montagne, 23 septembre 2008.
27
Acte des journées "Les territoires du communisme" CHS - Paris 1, décembre 2009 -
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Logiquement eu égard à ces thématiques, le cumul des mandats est presque devenu la
règle, puisque 16 sénateurs communistes sur 22 détiennent un mandat local, et que cinq des
six sénateurs non cumulards sont d’anciens élus locaux. Dans le groupe, figure en revanche
un seul ancien député (Jack Ralite), alors que trois sénateurs communistes ont rejoint
l’Assemblée Nationale à l’occasion des élections législatives de 1997 (dont Jacqueline
Fraysse-Cazalis, qui avait déjà siégé au Palais-Bourbon), signe que le Sénat semble toujours
un choix second dans la carrière des élus communistes. Ceux-ci sont affectés par une certaine
notabilisation, que révèle l’examen des professions d’origine des 22 sénateurs communistes
de 2009. Les catégories populaires occupent une place limitée, puisque la ventilation est la
suivante : deux secrétaires, deux agents de maîtrise, deux techniciens, une directrice de
communication, un journaliste, un infirmier, une attachée principale d’administration, une
« fonctionnaire », un sapeur-pompier, une acheteuse en informatique. Ce sont les enseignants
qui se taillent la part du lion, avec neuf représentants sur 22.
Conclusion
Le scrutin proportionnel fournit au PCF l’essentiel de ses élus sénatoriaux. Une légère
différence de profil apparaît entre les sénateurs élus à la proportionnelle et au scrutin
majoritaire : les seconds ont davantage un profil de notables et sont moins investis dans
l’appareil. La distorsion observée entre l’évolution du nombre d’élus locaux et de sénateurs
communistes illustre l’importance des rapports entre partis. En effet, le nombre élevé d’élus
municipaux ne garantit pas l’élection d’un sénateur à un parti isolé, tandis qu’une formation
partisane en déclin peut, grâce à son intégration dans une coalition politique, disposer d’une
représentation parlementaire accrue. Outre ce constat non dénué d’intérêt pour l’étude du
système partisan français, l’étude des communistes et des élections sénatoriales éclaire la
tension entre deux actions nécessaires pour un parti politique soucieux d’implantation :
diffuser son idéologie et s’assurer une représentation. À ses débuts, le PCF exprime
clairement sa priorité pour la première action, négligeant le résultat immédiat lors des
élections (ici sénatoriales). Cette attitude évolue d’abord lentement, freinée sans doute par le
contexte de guerre froide des années 1950 et l’existence du scrutin proportionnel à
l’Assemblée Nationale et dans de nombreux départements pour la seconde Chambre.
L’inflexion, progressive, est néanmoins continue et trouve son aboutissement à la fin du XXe
siècle, même si les scrutins de 1977 et 1980 sont instrumentalisés dans une perspective de
confrontation avec le PS. La différence entre les professions de foi des candidats communistes
aux élections sénatoriales et celle de leurs concurrents apparaît aujourd’hui de degré plus que
de nature. L’accent est certes davantage porté sur les sujets de politique nationale mais
l’argumentaire est désormais tributaire des questions propres aux collectivités territoriales. Le
choix des candidats et leur présentation coïncident avec cette mutation, puisque les élus
locaux sont devenus prioritaires dans la composition des listes, y compris au scrutin
proportionnel. Les élections sénatoriales permettent donc enfin de mettre en lumière, elles
aussi, la transformation d’un parti, formation révolutionnaire dans son essence, tribun du
peuple à son apogée, formation d’élus en quête de repères au début du XXIe siècle.
Acte des journées "Les territoires du communisme" CHS - Paris 1, décembre 2009 -
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