L`Autre Forum
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L’Autre Forum LE JOURNAL DES PROFESSEURS ET PROFESSEURES D E L’ U N I V E R S I T É D E M O N T R É A L VOLUME 12, NUMÉRO 2, MAI 2008 Normand Baillargeon Germain Lacasse Marie-Joëlle Zahar Valéry Ridde Katia Mohindra Pascal Reboul Michel Cabanac François Béland Bryn Williams-Jones Table ronde Marie-Pierre Bousquet Claire Durand Andrée Lajoie Gregor Murray Marc Renaud Michel Seymour La recherche sous influence L’Autre Forum Sommaire LE JOURNAL DES PROFESSEURS ET PROFESSEURES DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL VOLUME 12, NUMÉRO 2, MAI 2008 Page éditoriale Chroniques 3 Nouvelles de l’Assemblée 42 SGPUM Info 44 Comité de rédaction Chantal Caux Claude Marois Stéphane Molotchnikoff Christian Nadeau Samir Saul Collaboration Louis Dumont Denis Monière Samir Saul Édition et production Rédaction Suzanne Grenier (Intersigne) Dossier La recherche sous influence 4 Conception graphique Libre, ciblée, orientée, concertée… qui en décide ? Table ronde sur le financement de la recherche en sciences humaines et sociales 4 Illustration de la couverture Quelques observations sur la recherche en éducation et ses actuelles conditions Normand Cousineau 16 Normand Baillargeon Cinéma et censure, champ et contrechamp Diane Héroux lmpression Produlith inc. 19 Germain Lacasse Analyser la violence politique après le 11 septembre 21 Marie-Joëlle Zahar Repenser notre participation aux conférences scientifiques 25 Valéry Ridde et Katia Mohindra La recherche biomédicale en milieu hospitalier : du sacerdoce au chemin de croix 28 Pascal Reboul Dionysiens et Apolloniens 31 Michel Cabanac Le désaccord : les dépenses de santé au Québec 33 François Béland Conflits d’intérêts au sein de l’université : politiques et pratiques 39 Bryn Williams-Jones En complément Le Forum sur la sécurité et la défense La liberté scientifique est-elle menacée par la précarité d’emploi ? Le Conseil de recherches en sciences naturelles et génie du Canada (CRSNG) Le programme des Chaires de recherche du Canada Les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) 20 28 30 30 30 L’Autre Forum est un journal d’information et de débats financé par le SGPUM. Les auteurs sont responsables du choix et de la présentation des faits figurant dans leurs articles ainsi que des opinions qui y sont exprimées, lesquelles ne sont pas nécessairement celles du SGPUM et n’engagent pas le syndicat. SGPUM C.P. 6128 Succursale Centre-ville Montréal (Québec) H3C 3J7 Tél. : (514) 343-6636 [email protected] www.sgpum.umontreal.ca Louis Dumont, professeur de pharmacologie, président du SGPUM Page éditoriale POUR LA SAUVEGARDE DES MISSIONS FONDAMENTALES DE L’UNIVERSITÉ Subventionner l’imaginaire avant l’utilitaire l y a quelques mois, les grands journaux français faisaient la manchette avec un plaidoyer du prix Nobel de physique 2007, Albert Fert 1, en faveur de la recherche libre. Les propos du chercheur ne sont pas passés inaperçus, alors que le courant actuel est plutôt à la faveur de la recherche ciblée. Aux autorités qui entendent « mettre la science au service de la société », il réplique : « Les chercheurs doivent être conscients des problèmes de société. Les progrès technologiques, les avancées médicales... contribuent bien sûr à la qualité de vie. Mais on ne peut pas imposer une finalité stricte à la recherche. Son parcours n’est jamais linéaire. Il faut laisser la recherche fondamentale se dérouler, les chercheurs suivre leurs idées, en zigzaguant, pour déboucher sur des découvertes et ensuite des applications 2. » Au moins deux présupposés contestables sont à l’œuvre dans les politiques de la recherche et de l’innovation : celui qui fait de la démarche scientifique un processus dont les résultats seraient programmables selon des paramètres d’efficacité ; et celui qui amène à considérer la « recherche libre » comme une entreprise d’emblée insensible aux problèmes de notre monde et moindrement profitable à son évolution réelle. Ces vues de l’esprit procèdent d’une approche éminemment réductrice. Le progrès social tend à y être ramené au développement des technologies et à la croissance industrielle. Une «boîte noire» protège par ailleurs du questionnement l’intervention des médiateurs – décideurs politiques, investisseurs, administrateurs – qui interprètent ladite « demande sociale » et déterminent les orientations censées en découler. Reste à prendre en compte la posture des chercheurs eux-mêmes. Et reste à considérer, en démocratie, le rôle des citoyens. Les principaux problèmes auxquels font face nos sociétés, localement et à l’échelle de la planète, I offrent pourtant une résistance tenace à la planification stratégique et aux success stories de l’économie du savoir. Comment mettre la croissance industrielle au service d’un développement durable sans ouvrir un espace de déploiement aux ressources de l’imaginaire ? Comment s’en tenir à une notion simple de l’utilitaire quand, par exemple, la production d’un nouveau carburant prive de vastes populations démunies des aliments dont dépend leur survie ? Comment mettre fin aux navrantes inégalités qui s’accentuent entre les riches et les pauvres ? La recherche « appliquée » se rapporte à des éléments qui comportent des risques, et elle requiert dès lors au premier chef une conscience aiguisée de l’environnement touché et une indissoluble impartialité. Reste aussi à établir ce qui importe en priorité. Les données présentées dans ce dossier de L’Autre Forum montrent que, malgré les sommes faramineuses qui y sont injectées, le système de financement de la recherche engendre des inégalités importantes et des exclusions au sein même des forces vives de l’université. Un rééquilibrage des ressources s’impose, entre les grands fonds subventionnaires, entre les types de programmes de soutien aux chercheurs et entre les deux fonctions universitaires fondamentales que sont la recherche et l’enseignement. Un des enjeux est de placer la science non pas comme simple vecteur du développement économique, mais comme constituante de la culture – et de rendre ainsi le plus largement partageables des capacités humaines telles que la rigueur, la curiosité et la créativité, dans une optique d’innovation sociale. AF 1. Albert Fert est découvreur, en convergence avec les travaux du physicien allemand Peter Grünberg, de la magnétorésistance géante (en anglais, Giant Magnetoresistance Effect ou GMR). 2. Le Monde, 24 octobre 2007. L’Autre Forum : mai 2008 3 Dans un premier temps, L’Autre Forum avait invité Marc Renaud, président du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) du Canada de 1997 à 2005, à traiter dans ce dossier de l’influence des organismes subventionnaires sur la recherche universitaire. Enthousiaste, celui-ci a proposé, à la place d’un simple article, une formule qui lui permettrait d’entrer en interaction avec le professeur de philosophie Michel Seymour, dont il avait lu avec intérêt–mais aussi certaines réserves–le texte publié dans notre précédent Libre, ciblée, orientée, concertée numéro1, sous le thème «L’Argent et l’Université». La rédaction de L’Autre Forum a eu envie de pousser plus loin cette idée, en réunissant six collègues de l’Université de Montréal aux profils bien contrastés et prêts à s’engager dans une discussion à plusieurs voix. Ont ainsi participé Marie-Pierre Bousquet, Claire Durand, Andrée Lajoie, Gregor Murray, Marc Renaud et Michel Seymour. L’animation des échanges a été confiée à Marianne Kempeneers, professeure au Département de sociologie. Celle-ci a établi l’ordre des présentations d’un premier tour de table et cerné les questions centrales qui allaient lancer le débat: Quels sont les principaux changements survenus dans le paysage de la recherche au Québec et au Canada depuis 1960, et surtout depuis les 10 dernières années ? Quels sont les impacts de l’évolution des modes de subvention sur l’orientation et les pratiques de la recherche ? Cette évolution s’est-elle produite pour le meilleur ou pour le pire ? Et que faire aujourd’hui ? A-t-on une prise sur la situation ? D’entrée de jeu, les angles de questionnement des participants ont rappelé à quel point la problématique est multidimensionnelle. Une série de « points chauds » et de questions offrant encore matière à débat ont ressorti des discussions, dont voici un compte rendu. 1. Michel Seymour, « D’où viennent les sous ? Où est passé l’argent ? », L’Autre Forum, vol. 12, no 1, décembre 2007, p. 5-9. 4 L’Autre Forum : mai 2008 LA RECHERCHE SOUS INFLUENCE TABLE RONDE SUR LE FINANCEMENT DE LA RECHERCHE EN SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES … qui en décide? Plus d’argent pour la recherche universitaire… Ce qui tient de l’évidence aujourd’hui – la présence massive de la recherche subventionnée – n’a pas toujours fait partie du paysage universitaire. Par étapes, au fil de nouveaux programmes de financement gouvernementaux, des modes de recherche se sont profilés et ont gagné du terrain. Avons-nous une idée juste des résultats de cette évolution ? Saisissons-nous bien les dynamiques en jeu ? Marc Renaud : Le paysage de la recherche a changé, d’abord parce qu’il y a beaucoup plus d’argent disponible, du moins au gouvernement fédéral. De 1997 à 2005, le budget de la recherche et des bourses du CRSH est passé de 94 millions de dollars à 350 millions, incluant plusieurs investissements dits asymétriques (ARUC, INE, Économie sociale, bourses aux étudiants). Avec la transformation du Conseil médical de la recherche en Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC ), beaucoup d’argent neuf a été consacré aux sciences sociales de la santé. En même temps, la création de la Fondation canadienne de recherche sur les services de santé, de la Fondation Trudeau, de Génome Canada et de la Fondation canadienne pour l’innovation a, dans tous ces cas, à des degrés divers, servi la recherche en sciences sociales et humaines. On sait que 20% des Chaires de recherche du Canada est allé aux sciences humaines et sociales. Enfin, les changements dans les critères d’admissibilité aux Réseaux des centres d’excellence ont ouvert plus grand la porte à une contribution des sciences sociales. Au cours de ces années, le CRSH a essayé de maintenir un équilibre entre la recherche dite « libre » (subventions de recherche « ordinaires ») et la recherche dite « ciblée » : pour chaque dollar en « ciblé », un autre dollar en « libre ». Cet équilibre est beaucoup plus difficile à maintenir maintenant que le parti au pouvoir n’investit qu’en fonction de ses politiques industrielles. Andrée Lajoie : Aux fins de ma recherche en cours, j’ai examiné l’évolution des subventions disponibles aux chercheurs du Québec, excluant celles qui sont destinées aux universités et aux centres de recherche (voir page 6). Ces données seront évidemment détaillées et analysées de façon approfondie dans mon livre à venir. Mais ce qu’on voit d’abord, c’est uniquement de la recherche libre au CRSH , jusqu’en 1970. Dès que le Québec entre dans le jeu, cela devient de la recherche concertée. Québec concerte et cible avant Ottawa, qui suit. On observe une montée énorme de la recherche à la fois concertée et ciblée, laquelle, entre 1995 et 2005, passe de 27 % à 52 % des subventions accessibles aux chercheurs. Le résultat, quand on se place au Québec, actuellement, devant les offres fédérales et provinciales de subventions, est le suivant: un chercheur qui veut travailler seul et choisir ses sujets de recherche dispose de 30 % des budgets ; ceux qui acceptent de travailler en équipe mais refusent de se faire imposer un sujet ont accès à 39%; ceux qui acceptent de se faire imposer un sujet mais veulent travailler seuls ont accès à 43 %, alors que ceux qui sont prêts à faire toutes les concessions ont accès à 100 % des budgets. Qu’est-ce qui explique cette tendance marquée ? Pourquoi le Québec est-il le premier à avoir concerté et ciblé ses subventions ? Pourquoi la recherche libre y est-elle si tardive et si mince ? Pourquoi les subventions fédérales ciblées et concertées ont-elles tellement augmenté (400 %) entre 1995 et 2005 ? Michel Seymour: Historiquement, les organismes québécois ont été beaucoup plus interventionnistes que les organismes L’Autre Forum : mai 2008 5 canadiens, mais ces derniers sont beaucoup plus actifs depuis 1995, soit, je le note, l’année du référendum québécois. Le budget du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) a atteint 603 millions en 2006-2007, si on inclut le programme de frais ou coûts indirects. J’ai examiné la répartition des surplus fédéraux investis dans la recherche universitaire, et je peux vous présenter les chiffres (voir ci-contre). On y voit surtout, au CRSH , la part relativement minime que représentent les subventions allouées à la recherche définie par le chercheur. Et qu’est-ce qui a été favorisé ? Le CRSH a privilégié la recherche portant sur les peuples autochtones, la santé, la ville, la famille et l’environnement. Il y a même eu pendant un certain temps, dans le formulaire du CRSH, la possibilité de concourir à un programme spécifique portant sur le fédéralisme. Par ailleurs, la « concertation » est évidemment mise au premier plan. Même le programme des subventions ordinaires de recherche autorise désormais la recherche faite en groupe. Les organismes québécois ne font pas exception. Il existe un important programme de subventions pour les regroupements stratégiques au Fonds québécois de recherche sur la culture (FQRSC ). Les subventions équipes du FCAR ont laissé la place à des subventions d’infrastructure devant réunir, sauf exception, un plus grand nombre de chercheurs et favorisant la recherche appliquée. Évolution des subventions fédérales et provinciales disponibles aux chercheurs du Québec Observations préliminaires issues d’une recherche dirigée par Andrée Lajoie Avant 1957 Fondations américaines. Fonds distribués par un groupe de chercheurs canadiens émérites. 1957 Ottawa Premier organisme subventionnaire : le Conseil des arts. Recherche libre uniquement. Les premières subventions à la recherche libre en sciences humaines et sociales. 1970 Québec Premier organisme subventionnaire : le programme FCAC (le Fonds FCAC viendra par la suite), à l’intérieur du ministère de l’Éducation. Concertation (obligation d’être en équipe ou en partenariat). Réunit les sciences humaines et sociales. 1975 Ottawa Premier organisme fédéral de recherche concertée : le Programme de recherche concertée du Conseil des arts. 1976 Québec Ciblage (objets précis) et orientation (domaines) : une liste de thèmes est établie par le ministre de l’Éducation. 1977 Ottawa Création du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH). Premier organisme spécifiquement dédié aux sciences humaines. 1978 Québec Concertation et ciblage. Création du premier programme public québécois de recherche à la fois concertée et ciblée : Programmes majeurs de recherche du Fonds FCAC, devenu autonome par rapport au ministère de l’Éducation. 1978 Ottawa Création du premier programme de subvention fédérale publique ciblée : Programme de recherche thématique du CRSH. 1979 Québec Seul organisme spécifiquement dédié aux sciences humaines et sociales : le Conseil québécois de la recherche sociale (CQRS). Ne couvre pas toutes les sciences humaines et sociales. 1984 Québec Intensification de la concertation. Création du premier programme de subvention dont les partenaires sont imposés par l’organisme subventionnaire : Action concertée FCAR. 1988 Québec Premier programme québécois de subvention à la recherche libre : Établissement de nouveaux chercheurs de FCAR. Ce programme redeviendra ciblé quand sera joint au FQRSC. 1989 Ottawa Intensification de la concertation. Création du premier programme dont les partenaires sont imposés par l’organisme subventionnaire : Réseau des centres d’excellence. 19902005 Ottawa Québec Intensification de la concertation et du ciblage. Création de plusieurs programmes indiquant des contraintes de plus en plus lourdes et nombreuses (CRSH, CQRS, FQRSC). 2001 Ottawa Concertation et ciblage. Création du premier programme de subventions publiques fédéral : Initiatives conjointes du CRSH. 2002 Québec Fin de la recherche libre. Programme Établissement de nouveaux chercheurs est rattaché au FQRSC. Entièrement ciblé. Les fonds fédéraux investis dans la recherche universitaire Claire Durand : Le premier point qu’il me semble important d’aborder est effectivement la multiplication des programmes stratégiques, des réseaux stratégiques, etc. Quelle part des fonds de recherche en sciences humaines est maintenant attribuée à cette portion de la recherche dont les thématiques sont prédéterminées sans que l’on ait la moindre idée de qui en a décidé ni de qui a été consulté, si quelqu’un l’a même été ? 6 L’Autre Forum : mai 2008 (en millions de dollars) 2007-2008 2007-2008 2006-2007 Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) CRSNG CRSH Bourses et prix Chaires Recherche définie par le chercheur Recherche ciblée Recherche stratégique Diffusion Réseaux centres d’excellence Sous-total Coûts indirects 1 000,0 958,0 603,0 94,3 54,0 93,3 23,4 19,2 9,2 11,8 305,2 297,0 LA RECHERCHE SOUS INFLUENCE L’économie du savoir : entre l’interventionnisme et la « dépolitisation » L’important influx dans le financement gouvernemental de la recherche universitaire est étroitement associé au déploiement de l’économie du savoir, tout en restant sensible au jeu des forces politiques – notamment conservatrices. Aussi néolibéral que puisse être ce mouvement, l’État en est un des agents propulseurs. Au Canada, les réformes se prêtent ainsi à une lecture des tensions nationales : le financement fédéral de la recherche universitaire fournirait, directement extraits d’un champ de compétence des provinces, des matériaux pour la construction d’une identité canadienne. Comment cette dimension « nationale » s’articule-t-elle à la « nouvelle gestion publique » qui cherche à s’incarner dans ces politiques ? Sur le terrain, le champ de la recherche tendrait-il à se « dépolitiser », du moins dans les perceptions et l’attitude de professeurs soumis à de fortes pressions professionnelles et désireux de se donner les moyens de mener leurs activités de recherche ? Instrumentalisée, la recherche finit-elle par perdre de vue son objet ? Marc Renaud : « Ces nouveaux investissements ont été faits parce que – pour toutes sortes de raisons – le gouvernement Chrétien était un fervent croyant dans l’économie du savoir, avec tout ce qui vient avec : plus de R- D pour permettre l’innovation et de meilleures parts des marchés internationaux, la vision de la recherche comme une « triple hélice » – université-industrie-État – avec un fort attachement à la recherche dite de « mode 2 » – soit la recherche multidisciplinaire faite en contexte d’application, avec moult partenaires et intégrée dans moult réseaux canadiens et internationaux. Cette vision a fortement favorisé un rapprochement entre le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG ) et les IRSC , d’une part, et le milieu des affaires, ce qui a été beaucoup moins le cas au CRSH , pour des raisons évidentes. Cette vision a aussi amené le gouvernement à investir massivement dans des projets très ciblés – par exemple, la FCI, Génome Canada, Triumf, l’Observatoire de neutrinos–sans faire appel aux trois conseils subventionnaires, perçus comme trop favorables aux chercheurs universitaires et incapables d’investissements aussi ciblés. Pour comprendre comment ce climat a eu un impact sur le CRSH, il faut aussi connaître la hargne avec laquelle le National Citizen Coalition, lié au Reform Party, s’est attaqué aux sciences humaines et sociales pendant 15 ans ! « Pourquoi une 6 000e thèse sur Shakespeare ? Pourquoi telle étude sur les prostituées à Vancouver ? » Durant les périodes de pointe, le CRSH avait une équipe de cinq personnes à plein temps pour répliquer dans les médias à ces attaques. Gregor Murray : Il faut comprendre les changements observés dans le contexte de la nouvelle gestion publique et de ses valeurs : la marchandisation, la compétition et un mouvement du modèle collégial vers un modèle managérial. Dans les universités, l’instrumentalisation de la recherche se présente alors comme un mécanisme de différenciation sur les marchés de l’éducation. D’autant plus que l’économie du savoir place l’université au cœur des stratégies sociétales, ce qui implique pour celle-ci des transformations réelles. D’une part, la formation universitaire est valorisée sur le plan individuel afin de construire un parcours professionnel. D’autre part, les politiques d’innovation deviennent centrales. L’université est au cœur de cette réflexion, car le système éducatif dans son ensemble doit assurer le positionnement de la société dans la nouvelle division internationale du travail. La nouvelle gestion publique dicte que les États veulent un retour sur leurs investissements et veulent être capables de mesurer les impacts. « Les investissements massifs du gouvernement fédéral dans les organismes qui subventionnent la recherche universitaire violent le principe fédéral. » MICHEL SEYMOUR est professeur titulaire au Département de philosophie. Il est membre du Centre de recherche sur la diversité au Québec (CRIDAQ). Son projet de recherche individuelle subventionné par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (2003-2006), qui portait sur les droits collectifs des peuples dans les États multinationaux, a mené à la publication d’un livre, De la tolérance à la reconnaissance. Une théorie libérale des droits collectifs. L’Autre Forum : mai 2008 7 Michel Seymour : Ce qui m’a intéressé en premier lieu dans le financement de la recherche universitaire, c’est la façon dont les investissements massifs du gouvernement fédéral dans les organismes qui subventionnent la recherche universitaire « Je me rends compte – et j’essaie de réparer ça maintenant avec mes étudiants – que je n’ai pas du tout été formée pour devenir professeure, selon les exigences d’aujourd’hui. » MARIE-PIERRE BOUSQUET est professeure agrégée au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal. Elle s’intéresse en priorité aux sociétés algonquiennes du Québec, spécialement aux Algonquins. Ses recherches portent sur les transformations vécues par ces sociétés, les représentations du changement, les résonances sociales, économiques et politiques de la sauvegarde des savoirs. Cela l’amène à étudier l’impact des législations; la transformation du processus décisionnel politique, dans la redéfinition du pouvoir entre pouvoirs publics et administrés; les stratégies de protection d’un patrimoine à définir ; l’influence de courants idéologiques visant à promouvoir une identité amérindienne moderne. Ces champs d’investigation dépassent les frontières de la province. Ils impliquent des études sur le terrain. 8 L’Autre Forum : mai 2008 violent le principe fédéral. La compétence des provinces en matière d’éducation devrait être totale. La recherche universitaire relève de l’université, et donc relève d’une compétence québécoise et provinciale exclusive. Et il n’y a pas de « pouvoir fédéral de dépenser », ni dans la constitution ni dans la jurisprudence. Dans le contexte de l’après-1980, il y a eu coup de force fédéral, avec le rapatriement de la constitution malgré l’opposition de l’Assemblée nationale. Après 1995, au départ, la situation financière de l’État fédéral était difficile. On coupait dans les transferts aux provinces et dans l’administration fédérale. Mais dès que les surplus sont revenus, on a assisté à un nouveau coup de force du nation building canadien. Je suis d’accord avec les motifs évoqués par les gens autour de la table – concernant le rôle de la nouvelle économie, par exemple –, mais les décisions politiques sont généralement le résultat de plusieurs facteurs, et l’un de ceux-ci, c’est qu’après l’échec référendaire de 1995 le fédéral a la voie libre pour y aller gaiement. La montée astronomique de ses investissements dans la recherche nous place alors devant un débat entre nationalistes et fédéralistes, mais pas celui qu’on pense. Il met plutôt en présence les nationalistes canadiens contre les fédéralistes québécois. On ne parle jamais de ces questions dans les universités. Andrée Lajoie : Les subventions fédérales à la recherche sont-elles constitutionnelles ? Non, sauf si elles sont nécessaires à un objet qui serait clairement dans les compétences fédérales. Je me suis amusée à prendre la liste des thèmes qui ont été attribués aux subventions, et il y en a 11 sur 58 qui pourraient être rattachés à ces compétences, à condition de montrer un lien de nécessité entre le projet et un objectif fédéral. Mais il n’y a jamais eu de poursuite devant les tribunaux. Marie-Pierre Bousquet : Si l’éducation relève du provincial, ce n’est pas du tout comme ça que moi, en tant que jeune chercheure, je l’ai vécu. Une chose qu’on apprend très vite, c’est qu’on n’est qu’un pion sur un échiquier international. En même temps, la loyauté à son institution devient moins importante. Certains professeurs se servent de leurs subventions pour monnayer leur embauche au sein d’une autre université ; à l’inverse, d’autres qui se trouvent en périphérie ne pourront jamais se relocaliser géographiquement parce qu’ils n’ont pas un dossier de subventions qui les rendrait employables ailleurs. Il est bien clair que les subventions, ça sert à la recherche, mais aussi au fonctionnement de l’institution : parce qu’on vous en ponctionne un petit bout, mais également parce que ça permet de vendre la qualité de votre département sur un échiquier plus large. Fondamentalement, les subventions, on les a d’abord très égoïstement pour soimême, pour son propre cv. Moi je suis arrivée avec de grandes idées, mais je me dis plutôt : « D’accord, il faut que je remplisse mon cv et pour cela j’ai besoin de tel montant, à telle date. » Je trouve cela atroce. Mais que cela relève du provincial, du national, des États-Unis, ça m’est égal. Michel Seymour : Quand on ne s’occupe pas de la politique, la politique s’occupe de nous. Je me suis aussi débattu pour avoir des subventions individuelles là où elles se trouvaient. Il n’y en avait pas au FQRSC ? Alors je me suis tourné vers le CRSH . Les circonstances on fait que j’en ai toujours eu. Donc je peux dire qu’il y a eu dans l’ordre des choses un élément positif pour ma propre recherche. Mais je peux aussi prendre du recul et considérer que, si je ne dis pas un seul mot concernant ce qui se passe, eh bien, je suis un allié objectif du nationalisme canadien. Le nation building n’est pas qu’une abstraction ! LA RECHERCHE SOUS INFLUENCE Mutations : le système de la recherche universitaire survivra-t-il à ses propres effets ? Le rôle des organismes subventionnaires se résume-t-il à celui d’être une interface entre le politique et le milieu universitaire ? Quel est le fondement de leur pouvoir d’élaborer des orientations, de juger des priorités et de guider les processus de sélection ? Garant de la légitimité politique et scientifique du système de financement de la recherche, le « jugement des pairs » reste une notion clé. Mais comment se fait le partage des pouvoirs entre la communauté des chercheurs et tous ces autres acteurs impliqués directement ou indirectement dans la production du savoir – politiciens, fonctionnaires, administrations universitaires, et directions des nouvelles structures (centres de recherche, instituts, réseaux d’excellence, etc.) ? Paradoxalement, le système actuel de la recherche engendrerait-il des inégalités exponentielles qui rendent peu à peu caduque la notion de « pairs » ? Pour les professeurs, les enjeux sont très concrets et immédiats : liberté de définir ses sujets de recherche, choix des modes de collaboration, possibilité de conjuguer recherche et enseignement, capacité d’offrir des contextes de formation et de travail aux étudiants, promotions et progression dans la carrière… Marc Renaud : Le nombre de possibilités a cru considérablement pour les chercheurs. Le CRSH est devenu une organisation beaucoup plus raffinée dans ses politiques et beaucoup plus sensible à son rôle de valorisation et de défense de la recherche en sciences humaines et sociales. Les mécanismes d’allocation par les pairs ont été raffinés, en internationalisant les évaluateurs et en permettant un appel des décisions rendues. Les règles éthiques ont été clarifiées, bien que leur application ait peut-être bureaucratisé à outrance le processus de démarrage d’un projet de recherche. Le Canada a résolument investi les universités de la mission scientifique de l’État. Ce faisant, dans toutes les universités, le budget « recherche » a cru exponentiellement. L’énorme danger, c’est toutefois la perte d’intérêt, voire même la dégradation, de l’enseignement de premier cycle, pourtant le « nerf » le plus crucial de la société du savoir. Il n’y a que deux ou trois universités canadiennes – Toronto, UBC et McGill – qui ont donné l’ordre aux titulaires de chaires de donner au moins un cours au premier cycle. Je trouve que ça, ça a du bon sens comme plan de gestion. Le maintien d’un équilibre entre la recherche «libre» et la recherche «ciblée» est un exercice à refaire chaque année, avant et après chaque budget fédéral. Il n’est pas évident que l’équilibre relativement bien maintenu au cours des 10 dernières années puisse être soutenu sous le gouvernement actuel. Le gouvernement Harper continue d’investir en sciences humaines et sociales, mais de manière beaucoup plus directive que ne le faisait le gouvernement Chrétien. Gregor Murray : L’université devient en fait «multimandat», ce qui crée des pressions énormes sur les ressources. Des pressions énormes sur des employés, notamment des chercheurs professeurs, qui doivent internaliser des tensions inhérentes à ces multiples mandats. On observe certainement une intensification importante du travail liée au contexte global, à la nouvelle gestion publique et aux NTIC. Mais voici le paradoxe : les professeurs chercheurs sont justement une des catégories sociales qui profitent de la nouvelle économie, d’où une certaine ambigüité dans le discours. Il y a beaucoup de possibilités dans le domaine des sciences sociales et humaines pour les chercheurs intéressés à poursuivre leurs intérêts scientifiques, surtout si ceux-ci connaissent une réception sociale. Nous bénéficions d’un appui assez important des autorités publiques, et il ne faut pas tomber dans le misérabilisme ! La concurrence est vive et elle exerce des effets positifs et pervers à la fois. « Il n’est pas évident que l’équilibre relativement bien maintenu au cours des 10 dernières années puisse être soutenu sous le gouvernement actuel. » MARC RENAUD est professeur titulaire au Département de sociologie de l’Université de Montréal. Ses recherches s’articulent à plusieurs thèmes et intérêts : développement technologique et santé; politiques de la santé et du bien-être; les professions; les théories de l’État ; la recherche évaluative; les déterminants de la santé. Président du CRSH de 1997 à 2005, il a été instigateur et porteur d’un document charnière dans l’histoire de l’organisme: D’un conseil subventionnaire à un conseil du savoir. L’Autre Forum : mai 2008 9 Il est important de maintenir un espace pour la recherche bottom-up, car c’est ça l’université. Mais il faut également reconnaître la légitimité de la recherche ciblée ou dirigée, parce qu’il y a une société qui nous dépasse, et une légitimité publique à définir certains thèmes. Il est possible d’envisager un dosage approprié des programmes ciblés et des programmes libres. Dans tous les cas cependant, il faut que la décision résulte d’une évaluation des pairs. Et j’ajouterais un critère : l’évaluation externe. Sans évaluation externe, il n’y a pas « C’est comme si le monde universitaire se divisait en deux : les excellents et la plèbe. » CLAIRE DURAND est professeure titulaire au Département de sociologie de l’Université de Montréal. Après un doctorat en psychologie du travail, elle a orienté ses recherches vers les méthodes quantitatives et la méthodologie des sondages, entre autres les sondages électoraux. Elle a étudié de près les sondages réalisés lors des principales campagnes électorales au Québec, au Canada et en France. Elle s’est également intéressée à l’évolution de l’appui à la souveraineté du Québec et à ses déterminants. Depuis 1998, elle a aussi réalisé trois études portant sur les conditions de travail des professeurs d’université. Ses recherches actuelles portent sur le rôle des sondages dans la société. 10 L’Autre Forum : mai 2008 d’oxygène dans le système. Je crois à la bonne foi des comités, mais le problème réside dans la normalisation de la recherche – un phénomène notoire, actuellement, dans les facultés de gestion. On observe non seulement une hiérarchisation, mais aussi une standardisation des lieux de publication, ce qui conduit à privilégier la production presque exclusivement en anglais. Le danger principal dans le système actuel, c’est l’absence de débat autour d’une telle normalisation. Et celle-ci, je le répète, provient du jugement par les pairs. Andrée Lajoie : Le problème avec le ciblage, c’est que les fonctionnaires en poste et les politiciens ont quitté le champ depuis longtemps et ils ne savent pas ce qui est important dans la discipline. Parfois, les recherches qui sont demandées n’ont pas besoin d’être faites, parce qu’elles ont déjà été produites. D’autres fois, c’est à faire, mais à beaucoup plus longue échéance. Par exemple, quand j’ai produit Les structures administratives régionales, qui a été mon premier ouvrage, publié en 1968, je l’ai fait par curiosité. Quand il y a eu par la suite la commission Castonguay, on m’a demandé de m’occuper des structures administratives régionales de la santé. La même chose s’est passée avec Expropriation et fédéralisme, un ouvrage que j’ai publié en 1972. C’est parce que je l’avais d’abord réalisé de mon propre chef que, 10 ans après, on m’a demandé de faire le dossier contre l’expropriation de Mirabel. Quand on réalise une recherche, on ne sait pas si elle va avoir des impacts précis ; elle en a souvent énormément, mais à beaucoup plus long terme. La recherche ciblée est la plupart du temps de la recherche très appliquée, répondant à ce que les ministères veulent savoir. Ce qu’il faudrait dans ce cas, ce serait plutôt engager des gens dans les ministères pour réaliser ces études, ou bien la donner à contrat en dehors des universités. Cette façon de faire créerait en outre de l’emploi pour les diplômés auxquels on enseigne comment faire de la recherche. Gregor Murray : Je fais toutefois une distinction nette entre un conseil de recherche qui arrive avec ses orientations scientifiques et des orientations dictées par les pouvoirs politiques. Michel Seymour : Il reste que dans l’ensemble on assiste à une perte de contrôle des chercheurs sur leurs recherches. Des exigences nouvelles concernant les thématiques de recherche sont apparues. Les programmes ont favorisé la création de centres et d’instituts. Ils ont favorisé l’interventionnisme des administrateurs des universités. Les Chaires de recherche du Canada ont elles aussi fait l’objet de décisions prises par le haut. À l’Université de Montréal, il y en a plus d’une centaine. Elles ont été attribuées à partir du vice-rectorat à la recherche. Il était impossible de soumettre sa candidature à ce concours. En 2000, les organismes subventionnaires fédéraux ont aussi exigé des universités qu’elles se prononcent sur les grandes orientations stratégiques de la recherche. À l’Université de Montréal, quelques administrateurs se sont penchés sur la question et ont accouché d’un document établissant des orientations stratégiques. On peut compter sur les doigts de la main le nombre d’auteurs impliqués dans sa rédaction. Sa plus récente mouture est toutefois fort révélatrice d’une nouvelle orientation prise par l’administration de l’université. Clairement, on y favorise le secteur de la santé : un des trois secteurs privilégiés est la santé ; 8 des 11 thèmes transversaux sont en lien avec la santé ; 5 des 8 thèmes transversaux qui concernent les sciences naturelles sont en lien avec le secteur de la santé ; 3 des 6 thèmes transversaux qui concernent les lettres et sciences humaines sont en lien avec la santé ; 10 LA RECHERCHE SOUS INFLUENCE des 16 thématiques porteuses concernent la santé. Tout mène à ce que le secteur des sciences biomédicales et de la santé devienne la locomotive qui traîne le wagon des sciences naturelles et celui des lettres et sciences humaines. Claire Durand : Pour faire sérieusement la recherche prévue dans nos projets, il faudrait normalement que tous les chercheurs financés aient droit à un dégrèvement de trois crédits annuel. La situation actuelle où seuls certains chercheurs en bénéficient entraîne des iniquités évidentes entre collègues. Sur quelle base décide-t-on qu’un chercheur arrivé 5e à un concours obtiendra un dégrèvement, et non celui qui est arrivé 6 e, alors que le rang résulte d’un ensemble de facteurs qui n’ont rien à voir avec le temps que le chercheur aura à consacrer à sa recherche ? De plus, en ayant moins de temps à consacrer à sa recherche, le chercheur non dégrevé se retrouvera encore plus désavantagé à sa prochaine demande. Notons que, dans certaines disciplines, les professeurs n’enseignent pas plus de trois cours annuellement, alors qu’en sciences sociales, même si les exigences de la carrière sont devenues très similaires à celles qui ont cours en sciences pures, la norme est de quatre cours. Les chercheurs se retrouvent continuellement tiraillés entre les obligations de leur recherche et celles de leur enseignement et de leur encadrement. Et ils peuvent difficilement faire les deux au niveau où ils voudraient le faire, ce qui entraîne une grande frustration. La pérennité de la catégorie « recommandé mais non subventionné » étonne. Comment peut-on, année après année, amoncer à des chercheurs que leur projet devrait être conduit, mais qu’il ne le sera pas, uniquement en raison d’un manque de fonds ! Devant une situation chronique, n’y aurait-il pas un rééquilibrage à effectuer dans le système d’attribution ? Enfin, mon opinion sur le programme de Chaires de recherche est « partagée ». D’un côté, il me semble évident que certaines chaires ont eu un impact bénéfique sur la recherche, y compris sur celle de collègues qui ont collaboré avec des titulaires de chaires. D’un autre côté, il me semble que le processus de détermination des thématiques associées à ces chaires est sinon arbitraire, du moins non transparent. Par ailleurs, les privilèges dont bénéficient les détenteurs de chaires par rapport à d’autres collègues ayant un dossier tout aussi bon sinon meilleur sont difficilement justifiables. C’est comme si le monde universitaire se divisait en deux : les excellents et la plèbe. Cette situation entraîne une surenchère à la prime et aux dégrèvements. On se demande où cela va finir et quels critères peuvent ou doivent prévaloir pour accepter ou refuser ces demandes. Et cela a créé une forte pression sur les universités, qui ont dû consentir à satisfaire une partie de ces exigences. Notons qu’à peu près au moment où le programme a été mis en œuvre, les primes salariales ont triplé à l’Université de Montréal. J’observe aussi d’autres effets pervers sur la vie universitaire. Par exemple, des personnes qui avaient été embauchées pour donner un enseignement dans tel ou tel domaine se font dire que, en tant que chercheur boursier, elles doivent donner moins de cours. Il en résulte une perte de la capacité des départements d’offrir une formation de qualité. Il existe un tel déséquilibre selon les fonds, qui me paraît difficilement justifiable. Ainsi, des chercheurs en sciences sociales qui se tournent vers les IRSC font des demandes de 800 000 dollars, ou de 1 million de dollars, alors qu’une demande de 150 000 dollars au CRSH paraît déjà énorme. Pourtant, sur le plan des nécessités de la recherche, les projets sont équivalents. « Je suis la preuve vivante que la recherche libre précède et accompagne les questions sociales. » Professeure émérite, ANDRÉE LAJOIE a occupé ses premières fonctions professorales à la Faculté de droit de l’Université de Montréal en 1968. Rattachée au Centre de recherche en droit public (CRDP), elle en a été la directrice de 1976 à 1980. Ses recherches ont d’abord porté sur le droit constitutionnel et administratif, appliqué notamment aux domaines urbain, de la santé et de l’enseignement supérieur. Elle s’est ensuite concentrée en droit constitutionnel, en se penchant sur le rôle du pouvoir judiciaire dans la production du droit et sur les droits des minorités et des Autochtones. Andrée Lajoie a été récipiendaire de la Médaille d’or du CRSH de 2006 pour l’ensemble de ses réalisations en recherche. Ayant à cœur la défense de la liberté des chercheurs, elle a choisi d’utiliser les fonds ainsi obtenus à une étude de l’impact des modes de subvention sur l’orientation de la recherche en sciences humaines et sociales au Québec. Elle prépare actuellement un livre qui présentera les données et les analyses découlant de cette démarche. L’Autre Forum : mai 2008 11 Enfin, le fait que les subventions sont données sur une période de trois ans ne correspond pas aux besoins de l’encadrement. Comment assurer un soutien financier à un étudiant de doctorat si on ne sait pas si l’on pourra maintenir notre niveau de subventions pendant toute la durée de ses études ? Marie-Pierre Bousquet : Il y a 10 ans j’étais encore étudiante, et je suis devenue professeure agrégée l’année dernière. Je me rends compte – et j’essaie de réparer ça maintenant avec mes étudiants – que je n’ai pas du tout été formée pour devenir professeure, selon les exigences d’aujourd’hui. Je suis devenue professeure au mois d’août, et on m’a demandé de déposer une demande de subvention en octobre. Je ne savais pas du tout comment m’y prendre. J’ai ainsi obtenu une subvention Établissement de nouveaux chercheurs, et je me rends compte que ça a par la suite beaucoup joué dans mon dossier de promotion. Il se trouve que l’année où je l’ai demandée nous étions dans une bonne conjoncture, et le taux de réussite atteignait 50 %. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Cette expérience m’a amenée à constater le nombre d’heures incroyable que l’on doit consacrer au « pitonnage » requis par les demandes de subvention – ne serait-ce que pour arriver à faire son fameux «cv commun», qui en réalité n’est pas commun du tout aux différents organismes. Le contenu du projet lui-même, c’est ce que j’ai le plus de plaisir à écrire, parce que c’est mon domaine. Mais avant j’aurai dû demander des autorisations, faire des lettres, etc. C’est extrêmement bureaucratique, il y a beaucoup de formulaires à remplir. Je suis une grande fan des subventions individuelles, parce qu’on ne dépend que de soi-même. Quand on est nouveau chercheur, on ne connaît pas encore grand monde. Par ailleurs, on ne m’avait jamais appris en tant qu’étudiante 12 L’Autre Forum : mai 2008 à gérer une équipe. Le temps venu, je ne savais pas du tout comment m’y prendre pour les publications communes, la gestion des budgets, etc. Il y a des équipes qui ne sont que des montages. Elles ne se réuniront jamais. Elles ne se forment que pour obtenir des sous. Il y a là une certaine fraude. Certaines équipes sont vraiment énormes, mais de quoi accouchent-elles? On passe tellement de temps à gérer, qu’il n’en sort finalement pas grand-chose, sinon de quoi demander une autre subvention. Parfois, on monte un dossier monumental, mais on obtient finalement un financement minime. On doit payer une misère nos assistants de recherche. Maintenant, je ne choisis que des équipes dans lesquelles je connais tout le monde. Que ce soient tous des gens avec qui je travaille. Et je veille surtout à ce qu’elles ne soient pas trop grosses. La recherche appliquée, je m’en méfie un peu, mais je n’y suis pas fermée a priori. Comme il faut absolument avoir des subventions, je me suis créé des sujets pour lesquels au départ je n’avais pas d’intérêt spécifique. Il y a des domaines où il y a beaucoup d’argent, alors on fait une demande très opportuniste, qui comporte elle aussi en revanche sa montagne de paperasse à rassemble. En fin de compte, que la recherche soit un peu orientée, dans ma discipline, cela nous a donné un certain coup de fouet. Cela nous a obligés à réfléchir aux implications de nos propres recherches. Michel Seymour : Avant le FQRSC, existait le FCAR Équipe. En philosophie, il y avait une douzaine de petites équipes tout naturellement constituées. Ce n’était pas pour avoir la subvention. On voulait travailler ensemble, et il y avait le programme FCAR Équipe. Alors, le FQRSC est entré avec son programme Infrastructure, et à partir de ce moment les équipes ne pouvaient qu’exceptionnellement – quand un nombre restreint de persones travaillaient dans le domaine en question au Québec – être constituées de 2 ou 3 chercheurs. Autrement, il fallait rassembler des équipes de 12 à 15 chercheurs. Toutes les petites équipes qui ont essayé de s’élargir et de formuler un projet dans un cadre plus large pour une subvention d’infrastructure ont été laminées, du moins la première année, au profit de subventions à des équipes qui font de la recherche appliquée. Après des protestations, on a tenté de corriger le tir. Il y a donc de la recherche ciblée, mais il y a aussi un privilège accordé à la recherche ciblée appliquée. Andrée Lajoie : Ce problème vient entre autres du fait que, de nouveau avec le F QRSC , on se retrouve dans une situation où les sciences humaines et sociales n’ont pas leur organisme à elles. C’est pour ça qu’on essaie d’imposer ce genre d’équipes. En médecine ou en physique, par exemple, on ne va pas donner un laboratoire par personne, ça coûterait trop cher. Alors on demande des équipes pour justifier des infrastructures. Ce qui nous a beaucoup servis au fédéral, c’est que les sciences humaines ont été identifiées comme telles. LA RECHERCHE SOUS INFLUENCE Postures, intentions et actions possibles S’adapter ou résister ? Il semble être devenu extrêmement difficile pour les professeurs de maintenir une cohérence entre le sens de ce qui devrait être – scientifiquement et politiquement – et les modalités de leur survie professionnelle en recherche. À l’instigation d’un participant à la table ronde, la discussion s’articule autour de la « nostalgie », dont on sonde les limites et le potentiel. Des propositions concrètes sont avancées : prélever sur toutes les subventions une ponction pour soutenir la recherche pure, instaurer un régime de subventions qui assurerait à tous les professeurs un fond de base en recherche. Gregor Murray : L’ironie de la nostalgie comme mode de réflexion sur le devenir de la recherche, c’est que les universités de jadis étaient élitistes, patriarcales, paternalistes, et le plus souvent fermées sur la société. La nostalgie exerce donc une sélectivité désarmante. À ce propos, j’ai lu avec intérêt un article récent intitulé Academic nostalgia : A narrative approach to academic work, dont l’auteure, Oili-Helena Ylijoki, est Finlandaise. Celle-ci fait valoir que la nostalgie est omniprésente dans le discours des chercheurs dans tous les domaines qu’elle a étudiés. Il faut surtout reconnaître, selon la professeure Ylikjoki que la nostalgie remplit de multiples fonctions sur le plan du discours, et qu’elle permet aux chercheurs de constituer un espace pour la réflexion critique et le maintien des modèles alternatifs de recherche. À mon avis, la nostalgie présente également un danger : jumelée par exemple à un syndicalisme défensif, replié sur lui-même, elle peut constituer un blocage et freiner le développement de projets adaptés aux besoins réels et actuels de la société plus large que nous habitons. Je considère qu’il faut surtout distinguer entre l’influence politique et l’influence, celle-là souhaitable, des organismes fondés sur l’évaluation par les pairs. Il importe aussi de protéger, dans le système actuel qui offre de grandes possibilités, des plages pour la recherche pure – par exemple, en établissant un pourcentage sur les contrats de recherche qui reviendrait à celle-ci. Il me paraît légitime de vouloir orienter les recherches, mais à condition de respecter certains principes, surtout là où l’on détecte une érosion. Andrée Lajoie : Il y a de quoi être nostalgique. L’université telle que moi je l’ai vécue, c’était bien plus agréable que ce que je vous entends raconter. Je viens d’une faculté professionnelle, où il n’y avait pas de recherche avant que le Centre de recherche en droit public soit créé. C’est le ministre de l’Éducation de l’époque, M. Paul Gérin-Lajoie, qui a alors fait venir le recteur de l’Université de Montréal à sa maison de campagne pour lui donner le budget de l’année à venir et qui lui a dit: «Monseigneur, je vous donne tout ce que vous voulez, plus 100 000 $ pour créer un centre d’étude en urbanisme et un centre de recherche en droit public. » La première subvention que j’ai eue, un peu de la même façon, on me l’a tout simplement offerte. Michel Seymour : Même alors il y avait du dirigisme ! Gregor Muray : Les modes d’attribution étaient paternalistes. Andrée Lajoie : Mais ce que vous décrivez des valeurs actuelles, qui ne seraient pas si mauvaises, correspond à une vision terriblement instrumentale des universités comme agents de développement économique. Gregor Muray : Je dis surtout qu’il faut essayer de voir l’impact réel des pressions « Il faut travailler à développer les habiletés et les capacités organisationnelles susceptibles de gérer les tensions, qui sont réelles et souvent contradictoires. » GREGOR MURRAY est professeur titulaire à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la mondialisation et le Travail. Il est directeur du Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail. Ses activités de recherche se concentrent, dans ce cadre, sur un projet CRSHGrands travaux de recherche concertée, qui vise à soutenir le développement d’un programme de recherche interdisciplinaire, interuniversitaire et international portant sur les défis théoriques et pratiques du renouveau institutionnel en matière de travail et d’emploi. La question centrale qui sous-tend ce projet concerne les façons d’atteindre à la fois l’efficacité organisationnelle et le bien-être économique des travailleurs dans un contexte de plus en plus internationalisé. L’Autre Forum : mai 2008 13 externes sur l’université, parce que l’université a changé son articulation à la société. Et en même temps il est essentiel de garder des plages d’autonomie et de pensée critique. Et finalement, la question, c’est de savoir quelle sont les capacités institutionnelles et l’habilitation des chercheurs à gérer ces tensions qui sont réelles. La nostalgie est un mécanisme de défense par rapport à l’instrumentalisation, mais elle ne nous donne pas des outils qui vont nous permettre d’aller au-delà de l’impasse que nous vivons. À la base, il est surtout important à mes yeux de reconnaître que les tensions sont réelles et souvent contradictoires. Il faut donc travailler à développer les capacités organisationnelles susceptibles de gérer les tensions et de renforcer la capacité des chercheurs d’y faire face. Cela peut se faire en tenant un discours proactif et ouvert sur la société. Il faut également des mécanismes pour protéger la recherche libre. Marie-Pierre Bousquet : Pour ce qui est de la nostalgie universitaire, moi je suis dans un département où, pendant longtemps, il n’y avait pas de subventions. Mon propre prédécesseur n’a jamais eu une seule subvention, et pourtant il a fait une grande carrière. Alors que, maintenant, on sait très bien que sans subventions il y a un grand risque que l’on n’obtienne pas l’agrégation. Certains de mes collègues ne se rendent pas compte, je crois, de l’importance cruciale qu’il y a d’aider les nouveaux arrivés à faire des demandes de subventions. Michel Seymour : Je suis nostalgique d’une manière nuancée. Je fais partie d’un projet Grands travaux concertés. Et je fais partie d’un centre. Mais on en est rendu à un point où, si un chercheur ne fait pas partie d’un centre, cela paraît problématique dans sa démarche. Il ne faudrait pas qu’on en vienne à considérer que la subvention de recherche ordinaire est… 14 L’Autre Forum : mai 2008 ordinaire. Les sommes des grandes subventions sont telles, qu’on se demande ce qu’il va advenir de la recherche faite par des chercheurs individuels. La situation est catastrophique. En 2007-2008, le taux de succès de l’Université de Montréal a été de 25 % au CRSH. Auparavant, on atteignait jusqu’à 43 %. Je peux vous fournir les chiffres (voir ci-contre). Dans mon département, 11 demandes sur 12 ont échoué cette année. Cela ne s’est jamais produit dans l’histoire du département. Les jeunes, dans ces conditions, ont tout particulièrement de la difficulté à pénétrer le système des subventions ordinaires de recherche. Et ces échecs en début de carrière vont leur nuire ensuite. Quelles sont au bout du compte les possibilités pour les nouveaux chercheurs ? Il est de plus en plus difficile d’obtenir une subvention du CRSH . Audelà du programme Établissement de nouveaux chercheurs, au FQRSC , il ne faut pas y penser. Il y a un important nombre de « recommandés non financés». La compétition est féroce. Les jeunes sont en concurrence avec les professeurs d’expérience. Pourtant, tous sont embauchés pour faire de la recherche. La proposition syndicale d’offrir des fonds de recherche de base ne vise pas à aider ceux qui échouent, mais à assurer qu’il n’y ait pas d’exclus méritoires, surtout en début de carrière. L’idée est donc d’intervenir dans un contexte qui rend la recherche individuelle de plus en plus difficile à réaliser. Gregor Murray : On force les jeunes à y aller trop tôt, avant qu’ils aient construit leur dossier, parce qu’il y a des programmes internes qui sont jumelés à des demandes externes. Michel Seymour : Mais de plus en plus, dans la perception des gens, avoir un bon dossier, c’est justement aller chercher une subvention. Taux de succès de l’UdeM auprès du CRSH 1999-2000 2000-2001 2001-2002 2002-2003 2003-2004 2004-2005 2005-2006 2006-2007 2007-2008 39,6 % 37,6 33,8 43,3 33,0 35,0 36,0 33,5 24,3 Marie-Pierre Bousquet : En ce sens, la mesure proposée n’apporterait rien au dossier de promotion, car les fonds obtenus ne seraient pas considérés comme une subvention. Andrée Lajoie : Mais cela permettrait de faire de la recherche. Michel Seymour : Et peut-être aussi de publier davantage. Marc Renaud : Il y a plusieurs universités qui ont adopté ce système. Andrée Lajoie : Les subventions de recherche, ce n’est pas fait pour les promotions. C’est fait pour faire de la recherche. AF LA RECHERCHE SOUS INFLUENCE Commentaire de Marie-Pierre Bousquet Au sujet de l’utilité sociale de la recherche Quels principes de base guident la recherche ? Que le chercheur doit rester indépendant. Qu’il doit travailler à faire avancer les connaissances. Qu’il y a deux sortes de recherches : la recherche fondamentale et la recherche appliquée (ou impliquée). La recherche fondamentale n’exige pas que ceux qui la conduisent formulent, après l’obtention de leurs résultats, des recommandations ou des solutions, contrairement à la recherche appliquée qui doit être utile et remplir une ou plusieurs missions. Voilà ce que j’ai appris pendant ma formation en sciences sociales, qui valorisait la recherche fondamentale, soi-disant plus neutre et, peut-être, plus noble car délivrée des contingences de l’engagement et de la résolution de problèmes sociaux. Ces beaux principes, fragiles, volent en éclats quand le chercheur se rend compte qu’il a de nombreuses chances d’obtenir des subventions sur certains sujets et très peu sur d’autres. Pourquoi? Parce que les organismes subventionnaires, financés par l’État, réservent une partie de leurs fonds à des thèmes d’utilité sociale, allant du jeu compulsif à la violence chez les Autochtones ou aux problématiques des sans-abris. Sont ainsi identifiées les priorités sociales de l’État, qui ne correspondent pas forcément à celles des chercheurs. On a alors l’impression que la recherche utile est la recherche appliquée. Pour ceux qui avancent les fonds, la recherche appliquée semble même apparaître comme la plus pertinente. Une telle dichotomie entre la fondamentale et l’appliquée est infiniment réductrice. La recherche est un processus complexe et on ne peut prédire à l’avance toutes les conséquences d’un projet. La définition de thèmes par les organismes subventionnaires a pour résultat de dicter au chercheur son sujet. En effet, lesdits thèmes définis dans des programmes spécifiques sont en général accompagnés de questions auxquelles il doit impérativement répondre et d’exigences à remplir. Mais le chercheur n’est pas obligé de se présenter à ces programmes et, passant à côté de ces fonds, il peut demander des subventions dites ordinaires (indispensables à la préservation de l’autonomie des universitaires). En revanche, s’il accepte de se plier aux contraintes des fonds thématiques, il doit être conscient du fait qu’il aura à porter trois casquettes : celle de chercheur bien sûr, celle de gestionnaire également (sachant que tout le monde n’est pas forcément formé à la gestion), mais aussi celle de praticien. Or, la pratique suppose qu’on est en mesure d’intervenir auprès des personnes concernées par la recherche. En tant qu’anthropologue, je n’ai aucun pouvoir décisionnel et je ne dispose d’aucun mode d’intervention : ce n’est pas mon job. Je peux formuler des recommandations, mais je n’ai aucun moyen de les faire appliquer. Ainsi, les chercheurs qui sont dans la même situation que moi vont soit aller chercher un partenariat avec les milieux de pratique (ce qui complique encore la gestion de la recherche), soit ne répondre qu’à moitié aux exigences, notamment à propos des retombées immédiates de ses résultats, et s’exposer ainsi à une critique fondée en grande partie sur une incompréhension quant à l’étendue de son champ de compétences. Il est d’une grande importance que des professeurs fassent de la recherche appliquée ayant un impact direct sur la pratique et la politique. Il s’agit là d’un des rôles de l’université. Toutefois, je critique et rejette fermement l’idée que ces professeurs constituent le seul modèle quant à la façon dont la recherche universitaire doit être faite. En effet, cela reviendrait à traiter les universitaires comme un groupe homogène, ce qui n’est évidemment pas le cas, et cela saperait une richesse indéniable, à savoir la diversité dans les disciplines, dans les méthodes et dans les questions de recherche qui font de l’université une institution d’une telle valeur dans la société. AF L’Autre Forum : mai 2008 15 Quelques observations sur la recherche en éducation et ses actuelles conditions Normand Baillargeon Professeur, Département d’éducation et pédagogie Université du Québec à Montréal Il est ridicule de mettre en premier lieu ce qui vient ensuite et en dernier lieu ce qui vient d’abord. […] Nous qui accordons de la valeur à la connaissance, nous en ridiculisons l’idée en décrétant que chacun devra produire de la recherche écrite pour survivre et que le résultat de cette production s’appellera l’« explosion du savoir ». JACQUES BARZUN Notre situation actuelle [en éducation] rappelle ce qui est arrivé à la biologie en U.R.S.S. sous la domination du lysenkisme – qui est d’ailleurs une théorie présentant des similitudes avec le constructivisme. À l’époque de Staline, Lysenko […] causa à la biologie soviétique un grand retard ainsi qu’une famine à grande échelle […] À la porte de chaque commission scolaire devrait figurer un écriteau sur lequel on lirait : « Souvenons-nous de Lysenko ». E. DONALD HIRSCH, JR. 16 L’Autre Forum : mai 2008 ans le vaste dispositif d’élaboration des pratiques et de leur justification théorique qui s’est mis en place en éducation au Québec, l’État et les universités sont les deux pôles d’une dynamique qui doit permettre la formation des maîtres, l’élaboration des programmes et, plus généralement, le développement d’une vision de l’éducation. La grande instance de légitimation de tout ce dispositif serait la recherche qui s’y pratique, par quoi il faut essentiellement entendre la recherche subventionnée, à laquelle on est invité à se livrer assidument. Celle-ci a souvent mauvaise presse, et cette réputation est à mon sens fondée dans une importante mesure. La première thèse que je veux soutenir est que la recherche au sens où elle est prônée n’est pas toujours nécessaire ou même souhaitable en éducation ; que là où elle est possible, elle est en général extrêmement difficile à réaliser ; que là où elle était possible et a été réalisée correctement, elle ne peut, à elle seule, dicter les politiques publiques. Si les affirmations précédentes sont vraies, on est en présence d’une manière de paradoxe : tout le monde est tenu de faire ce qui n’est ni facile, ni toujours possible ou nécessaire, ni même, en certains cas, souhaitable. Dans ces conditions, on peut se risquer à faire certaines prédictions. En voici trois. La première est que ce qui se donnera comme de la recherche tendra, au moins en certains cas, à ne l’être qu’en un sens cosmétique et métaphorique du terme ; la deuxième, que cette recherche se fera au détriment de (voire sera carrément nuisible à) certains autres aspects de l’étude et de la pratique de l’éducation ainsi que de la formation des maîtres (l’acquisition d’une culture générale, la connaissance de l’histoire et de la philosophie de l’éducation, la maîtrise de certains acquis scientifiques, par exemple) ; la troisième, que le système qui met en place et perpétue ce dispositif de légitimation doit se comprendre en des termes non pas scientifiques ou épistémologiques, mais bien sociologiques et idéologiques : cela signifie D LA RECHERCHE SOUS INFLUENCE qu’il aura ses lieux de dispensation du pouvoir et de contrôle des capitaux (financiers, mais aussi culturels et symboliques) et tendra à ne tolérer aucune dissidence – cette situation étant extrêmement dangereuse tant pour la vigueur et la liberté de la pensée que pour le contrôle politique qu’elle donne à l’État et à certains groupes sur l’éducation. Ces trois prédictions me paraissent avérées et décrire assez précisément la situation actuelle de la recherche en éducation au Québec telle que j’ai pu l’observer depuis 20 ans à titre de professeur dans une faculté d’éducation. Les remarques qui suivent voudraient suggérer que cette conclusion, dont je sais bien qu’elle demeure polémique et minoritaire, mérite d’être prise au sérieux. *** J’ai d’abord dit que la recherche n’est pas toujours nécessaire en éducation. Cela tient à ce que comprendre l’éducation est pour une part importante un travail d’analyse conceptuelle et exigeant donc la production de définitions conceptuelles. C’est ainsi qu’aucune recherche au monde ne vous dira ce qu’est l’éducation, ce qu’est le savoir ou ce que sont tant d’autres concepts nécessaires pour cerner ce que signifie éduquer – comme intérêt, expérience, découverte, etc. Considérez par exemple les débats ayant récemment entouré le programme d’histoire réformée du MELS – qui a suscité la colère de bien des observateurs. Au cœur de ces débats se trouve la question de savoir si ce programme endoctrine ou non. Or, justement: on ne peut trancher cette question par une simple recherche empirique et y répondre exige minimalement la production d’une définition conceptuelle de l’endoctrinement. Ce travail de réflexion est immense et difficile, mais il est indispensable. À mon avis, il est à peu près complètement ignoré dans les facultés d’éducation ou au MELS . Pire : il y est méprisé. Et la pauvreté conceptuelle et la confusion de certains travaux publiés en éducation, je le crains, sont un rappel du risque qu’on court à négliger ces devoirs de l’esprit. J’ai ensuite soutenu que, là où elle est possible, la recherche sur l’éducation est en général extrêmement difficile à réaliser. C’est tout particulièrement vrai de la recherche sur l’enseignement et l’apprentissage. Prenons un exemple trivial. Supposons que vous ayez identifié un problème qui vous intéresse et dont la solution ne saurait être conceptuelle : disons que vous vous passionnez pour la question de savoir quel impact a l’humour du professeur sur les résultats scolaires de ses élèves. Vous vous proposerez donc de réaliser une recherche empirique. Mais pour cela, cette fois encore, vous devrez d’abord produire des définitions des concepts que vous voulez employer : qu’est-ce que l’humour, par exemple, et comment le reconnaîtrez-vous ? Puis, vous devrez réaliser votre recherche, idéalement dans des conditions rigoureuses : vous aurez des groupes constitués de manière aléatoire et suffisamment nombreux ; vous aurez un groupe expérimental et un groupe témoin ; vous vous efforcerez de garder les traitements identiques, à l’exception de l’humour. Et ainsi de suite 1. Ces conditions sont très difficiles à satisfaire et ne le sont que très, très rarement dans la recherche réalisée en éducation. En lieu et place, de manière massivement prépondérante, on y appelle « recherche » le recours à toutes sortes de théories plus ou moins sérieuses, souvent hautement abstraites et empruntées ici et là aux sciences sociales ou à la philosophie, ou des travaux sur un nombre très limité de sujets. Il en résulte souvent une sorte d’artificialisme théorique parfois assez désolant. Il en résulte aussi ceci que la recherche crédible est ignorée ou méconnue, tandis que celle qui est connue et utilisée par les décideurs n’est pas crédible. Il y a pire encore : depuis 20 ans environ, le milieu des sciences de l’éducation a adhéré sans retenue à des thèses postmodernistes à la mode dans certains autres secteurs de la vie intellectuelle, à des conceptions franchement irrationalistes voire parfois carrément antirationalistes, hostiles au savoir et à la science. Ce qui en résulte a été bien décrit dans une importante étude portant sur les recherches publiées en éducation en Grande Bretagne 2. L’auteur montre que la recherche en éducation est partisane et biaisée, aussi bien dans la manière dont elle est menée que dans la présentation des résultats et dans ses argumentaires ; qu’elle est méthodologiquement inadéquate ; il note encore la présence d’un large pan de recherches non empiriques dans lesquelles des thèses controversées sont données comme allant de soi, où des sources secondaires (plutôt que primaires) sont couramment utilisées et qui confinent à l’adulation de grands auteurs à la mode (J.F. Lyotard et Michel Foucault sont nommés), auteurs dont il est loin d’être évident qu’ils ont quoi que ce soit d’important, de vrai ou de non trivial à nous dire sur l’éducation. Enfin, ces recherches, rappelle-t-il, tendent à ne pas être répliquées de manière à produire un savoir cumulatif ; elles sont pour la plupart conduites en un vacuum, sans être prises en compte par le reste de la communauté scientifique. Ce portrait me semble globalement exact et correspondre à ce que je constate chez nous depuis des années. J’ai enfin dit que là où elle est possible et a été réalisée correctement, la recherche ne peut à elle seule dicter les politiques publiques qu’il conviendrait d’aborder. Cela tient d’abord, bien entendu, au caractère politique et normatif de l’activité d’éduquer : comme on le sait depuis David Hume au L’Autre Forum : mai 2008 17 moins, des propositions prescriptives ne peuvent être déduites de seules propositions descriptives. Mais il faut aussi noter que le nombre fantastique de variables à prendre en compte rend souvent très problématique la généralisation des résultats. Cela a des répercussions fort importantes. Laissez-moi donner un exemple de ce que je veux dire 3. Il existe en éducation une recherche bien connue et méthodologiquement exemplaire appelée STAR (pour Student/Teacher Achievement Ratio). Réalisée au Tennessee, elle y a établi les effets bénéfiques de la réduction de la taille des groupes sur l’équité et la réussite des élèves. Or, lorsque la Californie, au coût de 5 milliards de dollars, a implanté cette politique, les effets escomptés ne se sont pas produits. Pour le dire sommairement, cette désastreuse conséquence tient au fait que la recherche, même méthodologiquement et conceptuellement valide, doit encore, pour être utilisée, être interprétée et évaluée dans le cadre d’une vision riche et articulée de l’éducation – et donc par des gens qui ont réfléchi à ce que signifie éduquer, qui connaissent les résultats de recherches crédibles déjà menées, qui connaissent la psychologie cognitive et qui ont fait l’effort conceptuel de penser l’éducation. Ce qui nous ramène à mon premier point, celui de la nécessité d’une connaissance des concepts et des théories de l’éducation pour ses praticiens et pour les décideurs. Mais cette analyse serait incomplète si elle ne touchait aussi un mot de la manière dont la recherche en éducation s’institutionnalise chez nous, à travers la relation universitéÉtat, afin de montrer comment elle est transformée dans cette dynamique. La funeste alliance Pour ce faire, je ne résiste pas à la tentation de retourner contre les théoriciens constructivistes des sciences de l’éducation les armes qu’ils pointent si facilement sur la science empirique et expérimentale. Celle-ci, on le sait, est par plusieurs d’entre eux présumée n’être qu’une construction sociale, sans valeur de vérité, ayant usurpé son prestige et dont l’autorité n’a d’autre fondement et d’existence que dans son inscription sociale et les liens qu’elle entretient avec le politique. Si c’est là une conception absolument intenable de la science, c’est toutefois une description tout à fait juste de la genèse et de la nature d’une bonne part du « savoir » produit dans les sciences de l’éducation, en même temps qu’une excellente explication de son influence. Les professeurs en éducation doivent produire de la recherche, idéalement subventionnée; les fonctionnaires consomment cette recherche, les deux groupes s’alimentant aux fonds publics – les deuxièmes distribuant aux premiers une partie de la manne. Ce copinage est potentiellement fort dangereux, 18 L’Autre Forum : mai 2008 puisqu’il met en cause l’indépendance des chercheurs par rapport au politique et donne à l’alliance ainsi créée un immense pouvoir. Il ne laisse guère d’espace de libre examen qui serait indépendant des intérêts des uns et des autres. Les fonctionnaires du ministère se félicitent de fonder leurs décisions sur des travaux universitaires et les légitiment par là, tandis que des universitaires voient dans l’utilisation de leurs travaux dans la prise de décision politique une reconnaissance qui établirait leur valeur. Comme le disait John Updike, il est difficile de faire admettre quelque chose à quelqu’un lorsque le versement de son salaire dépend précisément du fait qu’il ne l’admettra pas. Cette alliance finit par constituer une véritable secte, réduisant au silence toute opposition, monopolisant canaux de diffusion de l’information et distribuant fonds de recherches et capital symbolique. Tout cela, je le crains, s’est fait et continue de se faire au détriment de la vie de l’esprit et est bien loin de servir et l’université et les enfants du Québec. La situation me paraît à ce point déplorable que j’ai récemment – et très sérieusement – proposé un moratoire de quelques années sur la recherche (en particulier subventionnée) en éducation, persuadé qu’il serait bénéfique à tout le monde. La proposition n’a eu aucun écho et je ne m’en suis pas étonné. Les lecteurs et lectrices des lignes qui précèdent auront compris pourquoi. AF 1. Je souligne, sans pouvoir ici aller plus loin, que la détermination de ce qui constitue une recherche valable en éducation fait l’objet de passionnés débats. Certains – et j’en suis, pour l’essentiel – pensent que la valeur des recherches empiriques va décroissante à partir de, tout en haut, celles qui ont recours à des méthodes réellement expérimentales sur échantillon aléatoire, jusqu’à, tout en bas, celles qui présentent des évidences anecdotiques, et cela en passant tour à tour par : des études comparatives quasi-expérimentales ; des comparaisons pré/post ; des études corrélationnelles ; des études de cas. Contre ce point de vue, d’autres font valoir les mérites de recherches qualitatives ou autres. Mais pour mon argumentaire, il suffira de noter ici que même les plus crédibles des partisans de ces autres approches souscrivent eux aussi à des standards qu’ils partagent avec les partisans des méthodes quantitatives et conviennent que la recherche doit soulever clairement des questions susceptibles d’être étudiées empiriquement ; doit tenir compte de ce qui est connu ou établi ; doit utiliser des méthodes crédibles ; doit recourir à des raisonnements cohérents ; doit enfin aboutir à des résultats reproductibles et avancer des conclusions librement accessibles à l’examen et à la critique. 2. James Tooley, Educational rersearch. A Critique. A Survey of Published Educational Research, OFSTED, Londres, 1998. 3. J’emprunte cet exemple à E. Donald Hirsch Jr., « Classroom Research and Cargo Cults », Policy Review, no 115, octobre-novembre 2002 [www.coreknowledge.org/CK/about/articles]. LA RECHERCHE SOUS INFLUENCE Cinéma et censure, champ et contrechamp Ce que le monde des arts et de la culture juge intolérable est-il admis comme règles du jeu dans le milieu universitaire ? Germain Lacasse Professeur adjoint Département d’histoire de l’art et études cinématographiques Université de Montréal es boucliers se sont levés rapidement sur les plateaux de tournage et ailleurs lorsqu’il a été révélé que le gouvernement conservateur s’apprêtait à faire adopter le projet de loi C-10 (modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu), dont un paragraphe négligé aurait permis de refuser le financement de films jugés offensants 1. Les protestations ont été nombreuses et vigoureuses, et leurs auteurs dénonçaient ce qu’ils ont appelé un retour de la censure. Si celle-ci est depuis longtemps disparue des horizons officiels, il serait pourtant bien naïf de croire qu’elle n’existe plus. Les projets de films sont tous soumis à des processus de sélection, on le constate lorsque même les cinéastes chevronnés protestent. Mais cette censure déviée existe aussi dans la recherche universitaire en études cinématographiques. La censure la plus efficace n’est pas celle qu’on connaît, c’est celle qui est invisible, transparente comme la pellicule, et qui fait assimiler la censure au résultat d’une sélection naturelle. Dans le monde de la recherche elle s’exerce beaucoup plus par le biais de la structure du financement des projets. Quiconque a déjà soumis un projet de recherche aux organismes gouvernementaux sait qu’environ un projet sur trois est financé ; d’ailleurs, les chercheurs refusés savent que le mieux à faire est de resoumettre le projet en espérant être dans la liste des gagnants la fois suivante. En avant la loterie ! Mais tous ne remarquent pas qu’à ce jeu, plus on gagne et plus on a de chances de gagner encore (à la vraie loterie, il faut parier plus pour gagner plus). Les projets déjà agréés semblent renouvelés plus L facilement et leurs détenteurs semblent obtenir ainsi une crédibilité supérieure. C’est non seulement une loterie truquée, c’est une course où de meilleures positions de départ sont accordées à de meilleurs coureurs. C’est assez navrant de constater qu’au moment où l’on décrie souvent ce qu’on appelle maintenant le «darwinisme social» ce même modèle est devenu dominant dans la gestion de la recherche. Évidemment, ça n’a rien à voir avec le fait que ce soit aussi le modèle prégnant du capitalisme libéral ou des autres sociétés hiérarchisées verticalement. Le financement des grands travaux d’équipe est un autre mécanisme dont la censure est un effet pervers. Bien sûr on peut faire des recherches de La recherche se concentre au lieu de se ramifier. Pendant que les objets de la connaissance se complexifient, les approches pour les examiner évoluent en sens contraire. qualité dans de grandes équipes interdisciplinaires, nul ne le niera. Mais l’effet discutable d’une structure qui privilégie ces sortes de travaux, c’est la canalisation de la recherche vers ces grands sujets « porteurs » à géométrie souvent peu variable. Les chercheurs doivent donc se « fédérer » (à Québec aussi !) vers des projets communs qui absorberont leurs énergies et leurs talents pour plusieurs années. La recherche (et conséquemment l’enseignement) L’Autre Forum : mai 2008 19 se concentre au lieu de se ramifier. Pendant que les objets de la connaissance se complexifient, les approches pour les examiner évoluent en sens contraire. Curieuse dialectique. Productivité, voilà un autre paradigme devenu majeur. La recherche doit donner des résultats. Ceuxci doivent être quantifiables en énoncés diffusés et visibles. Les rapports demandés par les organismes subventionnaires doivent mettre bien en évidence le nombre de conférences prononcées, d’articles publiés, d’étudiants embauchés, de collaborations établies. Un collègue influent parlait récemment de «stakhanovisme intellectuel», en flétrissant la course à la publication qui fait souvent passer la quantité devant la qualité. Dans ce contexte on comprend vite pourquoi la création est un volet bien pauvre de la recherche. La création demande réflexion mais surtout, n’est pas souvent productive, car l’artiste n’embauche pas d’assistants, il ne publie pas, il n’est pas cité, il est moins médiatisé qu’une molécule, il ne génère pas de profits, il ne vend pas de brevet. Notre discipline compte des chercheurs créateurs, mais l’argent pour préparer leurs œuvres doit être trouvé surtout dans le monde financier. Mais attention à ce que vous dites sur cette censure qui n’existe pas. Le signataire de ces lignes l’a appris à ses dépens il y a dix ans, lorsqu’il retrouva les films canadiens de la 1re Guerre mondiale dans le cadre d’un projet postdoc. Il voulut ensuite participer à la restauration des films, mais fut écarté de toute cette opération ; les films sont aujourd’hui visibles sur le site Web de l’ONF, mais n’y cherchez pas le nom de l’auteur de ce commentaire… Sans doute celui-ci aurait-t-il dû éviter de publier des articles expliquant comment la disparition de ces films avait été le résultat de la négligence des institutions elles-mêmes. L’auteur a tout de même compris que pour obtenir d’autres subventions, il vaudrait mieux trouver un autre sujet et chercher à moins perturber « l’ordre public » par des projets « offensants ». AF 1. Lia Lévesque, « Dion invite le milieu de la culture à témoigner contre la censure », Le Devoir, 29 mars 2008, p. C 7. Le Forum sur la sécurité et la défense (FSD) La création du Forum sur la sécurité et la défense par le gouvernement fédéral remonte à 1967. Ce programme permet notamment l’octroi de subventions à 12 centres d’expertise universitaires, à une chaire d’études en gestion de la défense, à des candidats à des bourses, ainsi qu’à des projets spéciaux. Selon la documentation officielle, le mandat du FSD consiste notamment : Q à renforcer et à assurer le soutien d’une forte base de connaissances canadiennes concernant des questions contemporaines en matière de sécurité et de défense ; Q à favoriser des discussions et des commentaires éclairés sur les politiques publiques par le biais de recherches, d’enseignement, de sensibilisation et d’initiatives d’éducation du grand public ; Q à améliorer les communications et l’interaction entre le ministère de la Défense nationale (MDN), les Forces canadiennes (FC) et le milieu universitaire canadien. 20 L’Autre Forum : mai 2008 La gestion du Forum relève du directeur de la politique officielle du ministère de la Défense nationale, avec le concours d’un comité de sélection dit « indépendant », dont les membres sont nommés par le ministre de la Défense nationale. En octobre 2005, on annonçait la reconduction du mandat du FSD pour cinq ans, assortie d’une augmentation de 25 % de son budget. Au cours de ce cycle, le montant annuel des fonds disponibles pour les centres d’expertise et la chaire totalisera 1,65 millions de dollars, soit une hausse de 32 %. Comme l’illustre son Bilan de l’année 2006-2007, le programme projette une vision intégratrice sur les activités universitaires ainsi financées : « Plus de 600 personnes travaillent dans les Centres du FSD au Canada, dont 183 membres du corps professoral. Au cours de l’exercice financier 2005-2006, les universitaires du Forum ont publié, seuls ou en collaboration, près de 600 ouvrages, articles et chapitres. » LA RECHERCHE SOUS INFLUENCE Analyser la violence politique après le 11 septembre Effet tranchant du label « terroriste ». Limitation des déplacements. Déjà difficile à maintenir en raison d’une relation trouble avec l’État, l’indépendance des chercheurs intéressés par la violence politique est-elle une position intenable dans un monde radicalement polarisé ? Marie-Joëlle Zahar Professeure agrégée, Département de science politique Université de Montréal es événements cataclysmiques du 11 septembre 2001 ont-ils eu un impact sur la recherche en sciences sociales ? Cette contribution examine ce qu’il en est dans un champ délimité du savoir : l’analyse de la violence politique. Complexe et multiforme, la relation entre violence et politique remonte à la nuit des temps. Dans le monde de l’après-Guerre froide, la violence politique a ceci de particulier qu’elle lie plus systématiquement les facettes nationales et internationales du phénomène : guerres civiles, narcotrafic, criminalité transnationale et, bien sûr, terrorisme, ne peuvent être appréhendés qu’à l’intersection entre la politique interne et les relations internationales. Le 11 septembre a-t-il modifié la manière dont les politologues abordent (ou pas) ces objets de recherche ? Avant d’entrer dans le vif du sujet, il nous semble nécessaire d’émettre un constat: les sciences sociales, notamment la science politique, ont une relation tant intime que trouble avec l’État. Intime car, nées dans le sillage des grandes guerres du XXe siècle, ces disciplines furent rapidement sollicitées par les politiciens à la recherche d’information fiable et privilégiée sur les États et sociétés avec lesquels ils devaient composer. Politologues, sociologues et anthropologues ont constamment été incités par les différents services de renseignement à « partager leurs recherches », notamment au plus vif de la L Guerre froide, alors qu’il s’agissait de faire basculer les nouveaux pays indépendants du « Tiers-monde » dans « notre camp ». Intime également parce que la recherche en sciences sociales bénéficie depuis toujours d’un appui financier de l’État. Ainsi, la plupart des chercheurs français fonctionnent dans l’orbite du Conseil national de la recherches scientifique ; au Canada, la majorité écrasante des subventions provient du Conseil de recherches en sciences humaines ; même aux États-Unis le Congrès établit en 1985 l’United States Institute of Peace qui aura le mandat de financer la recherche sur la prévention, la gestion et la résolution des conflits internationaux. Trouble, car le conseiller du prince se veut parfois prince lui-même. L’attraction du pouvoir sur les politologues n’est plus à prouver. Notamment aux États-Unis, il n’est pas rare de voir ceux-ci briguer et occuper les plus hauts postes – à l’appui de cette assertion les carrières des Kissinger, Brezinski, Condoleeza Rice, un aller-retour entre les couloirs des départements universitaires et les coulisses (sinon l’avant-scène) du pouvoir qui n’est pas sans influencer les choix des chercheurs et leurs objets de recherche. Voilà qui pourrait porter à croire que rien (ou presque) n’a changé avec les attentats de New York et de Washington D.C., le 11 septembre 2001. On ne pourrait se tromper davantage. Ces événements ont profondément modifié le contexte dans lequel L’Autre Forum : mai 2008 21 s’effectue désormais la recherche sur la violence politique contemporaine. Dans le reste de cette contribution, j’avancerai deux arguments pour caractériser le changement. Premièrement, je suggérerai que la relation entre États et chercheurs est devenue asymétrique sinon unidirectionnelle. Deuxièmement, je soulignerai que les changements dans la structure du financement contribuent à cette asymétrie et qu’ils risquent également d’avoir une influence nocive sur la qualité même des recherches dans le domaine. Finalement, je conclurai en émettant quelques réflexions sur l’impact du contexte polarisé dans lequel opèrent désormais les chercheurs intéressés par la violence politique. et ses conséquences en termes de polarisation du discours, ainsi que les restrictions de mouvement imposées aux chercheurs sur le terrain. Depuis le 11 septembre est « terroriste » tout groupe armé non étatique qui a recours à la violence. Ainsi, les Forces armées révolutionnaires de Colombie, le Fatah, l’Euskadi ta Askatasuna, le Hezbollah libanais, le Hamas et les insurgés irakiens sont tous logés à la même enseigne. Plusieurs pays ont d’ailleurs profité de la réaction américaine aux attentats du 11 septembre pour utiliser le label « terroriste » afin de délégitimer l’action de leurs opposants internes, notamment lorsque ceux-ci sont également musulmans. Ainsi a-ton vu le gouvernement de Vladimir Poutine désigner les Appropriation, Tchétchènes comme terrocontrôle et interdiction : ristes, alors que le gouverles changements dans nement chinois a affublé les la relation chercheur-État minorités ouïgoures, en son Dans le monde de l’avant-11 sein, de ce même qualificatif. septembre, l’indépendance La lutte contre le terrorisme du chercheur intéressé par la n’admet pas de demiviolence politique était un mesures ; rappelons-nous la choix théoriquement posfameuse déclaration du présible. Maints chercheurs ont sident Bush : « Vous êtes avec repoussé ou encore éludé les nous ou vous êtes contre propositions en provenance nous. » Dans un tel contexte, de services de renseignement. tout effort pour analyser les logiques qui sous-tendent la violence des groupes dits « terroristes » est assimilé à Politologues, sociologues et anthropologues ont une justification de leurs acconstamment été incités par les différents services tions. À titre d’illustration, et de renseignement à « partager leurs recherches », sans pour autant nous prononcer sur la qualité intrinnotamment au plus vif de la Guerre froide. sèque de ces deux ouvrages, nous pourrions comparer la Plusieurs ont refusé les sommes mises à leur disporéaction viscérale qui a suivi la publication du livre sition en contrepartie du partage de leurs résultats, de Robert Pape, Dying to Win, dans lequel il montre préférant mener une recherche indépendante bien que la plupart des attaques « terroristes » répond à que souvent plus laborieuse. Les résultats de la reune logique d’action stratégique, à l’engouement cherche étaient évalués dans un souci sinon une pour celui de Mia Bloom, paru en même temps, et prétention à l’objectivité. Aujourd’hui, plusieurs intitulé Dying to Kill, dans lequel Bloom affirme que changements, dont certains expressément liés aux les terroristes cherchent avant toute chose à instilattentats de septembre 2001, militent pour réduire, ler la peur et à causer des dégâts humains et matésans toutefois l’éliminer, la marge d’indépendance riels parmi les civils. La tendance actuelle de décrire les acteurs non étatiques armés – insurgés, rebelles, de ces chercheurs. Nous nous arrêterons aux deux seigneurs de la guerre et terroristes – comme des changements les plus notoires : le label « terroriste » 22 L’Autre Forum : mai 2008 LA RECHERCHE SOUS INFLUENCE criminels de guerre dépourvus de toute légitimité populaire, mus par des intérêts individuels et étroits ou par des pulsions profondes, incapables de rationalité et de compromis, pose un défi de taille aux analystes. Si les événements du 11 septembre ne peuvent être accusés d’avoir, à eux seuls, restreint l’accès aux groupes ayant commis des actes de violence politique, ils ont toutefois contribué à augmenter ces restrictions. Les conflits de l’après-Guerre froide posaient déjà de multiples défis logistiques aux analystes cherchant à obtenir de l’information. Il est particulièrement ardu de mener des recherches dans un contexte de guerre civile ou de narcotrafic. Les défis sécuritaires sont multiples et évidents ; la liberté de mouvement est souvent aléatoire, les risques physiques sont omniprésents, la préparation des chercheurs à de tels terrains minimale, sinon absente. Les défis plus analytiques sont moins évidents mais tout aussi graves : comment en effet s’assurer de la qualité des informations recueillies alors qu’on ne peut souvent pas en vérifier la provenance ? Comment, également, parer aux dangers de l’information biaisée : au mieux, être naïf et manipulé ; au pire, se faire le porte-parole et l’apologiste de l’une ou l’autre des factions. Comment par ailleurs obtenir l’accès à cette information alors que notre citoyenneté est aujourd’hui perçue, non seulement comme une identité nationale, mais comme un positionnement idéologique ? Un exemple est cet étudiant américain que j’ai rencontré lors d’un récent séjour de recherche au Liban et qui était catalogué par les différents groupes politiques sur la base de sa nationalité, ce qui déterminait, a priori, leur décision de lui donner le feu vert pour mener des entretiens. Ou cet autre étudiant dont la seule «erreur» fut d’apprendre le dialecte syrien arabe avant d’aller faire un terrain parmi les forces politiques progouvernementales libanaises (antisyriennes) et qui ne comprenait pas la méfiance de ses interlocuteurs à son égard. Dans de tels contextes, les chercheurs ont historiquement eu tendance à opter pour la solution de facilité qui consiste à trouver leur information là où la cueillette est plus facile – dans les grands centres urbains. Malheureusement, cela privilégie une lecture particulière du conflit, lecture inspirée des autorités centrales qui contrôlent souvent tout ce qui se passe et se dit dans les lieux du pouvoir. Leur lecture se fait donc aux dépens de perspectives en provenance de lieux plus reculés où l’emprise du gouvernement serait moins forte et la cohérence du récit « national » plus souvent mise à l’épreuve. Tant les défis de la recherche sur le terrain que les problèmes associés aux solutions de rechange ont augmenté depuis le 11 septembre à la faveur de pratiques telles que la quasi-interdiction de la présence de chercheurs sur le théâtre des opérations militaires (une pratique adoptée, entre autres, par le gouvernement israélien dans la bande de Gaza) ou encore la tendance actuelle qui consiste à permettre un accès contrôlé au terrain (par le biais d’une pratique similaire au journalisme embedded, les visites organisées pour universitaires). Un exemple tiré de notre expérience personnelle suffira à illustrer ce propos. Lors d’une visite en Bosnie-Herzégovine, organisée à l’été 2002 par le Forum sur la sécurité et la défense (un programme du ministère de la Défense nationale), les responsables ont poussé le zèle jusqu’à changer l’itinéraire du bus transportant les participants afin d’éviter de passer en Republika Srpska, l’Entité serbe de Bosnie-Herzégovine (« Entité » étant le nom donné à l’équivalent des provinces dans ce pays), et ce, à l’insistance de certains participants aux opinions antiserbes prononcées. Une telle décision, bien qu’apparemment anodine, empêchait toutefois ceux d’entre nous qui n’avaient jamais visité le pays auparavant de voir si leurs perceptions concernant les serbes bosniaques correspondaient ou non à la réalité. Une telle « censure » était d’autant plus navrante que nos rencontres dans la région se limitaient aux représentants des gouvernements centraux, à l’exclusion de leurs partenaires au niveau des Entités. Un goulet d’étranglement supplémentaire : le financement de la recherche Dans le monde de l’après-11 septembre, il est de plus en plus difficile d’entreprendre des recherches sur la violence politique. D’une part, la polarisation du discours rend toute analyse nuancée sujette à disqualification ; d’autre part, les conditions de terrain militent contre l’indépendance du chercheur, de plus en plus incité à effectuer ses recherches « dans l’orbite » ou « sous le parapluie sécuritaire » des forces militaires en présence. Une complication supplémentaire provient de la restructuration du financement de la recherche en sciences sociales. L’Autre Forum : mai 2008 23 Dans ce domaine, deux tendances contradictoires sont à noter : d’une part, l’injection de sommes considérables pour appuyer la recherche stratégique ; d’autre part, le tarissement des fonds d’appui à la recherche individuelle. Toutes deux sont sources d’inquiétudes quand à l’avenir de la recherche sur la violence politique. Le chercheur est de plus en plus incité à effectuer ses recherches « dans l’orbite » ou « sous le parapluie sécuritaire » des forces militaires en présence. La lutte contre le terrorisme est aujourd’hui la priorité incontestable du gouvernement américain et l’une des priorités de la majorité des gouvernements occidentaux. Cette priorité nationale est assortie d’une injection de fonds pour appuyer les recherches dans le domaine. Injection oui, mais les sources de ce financement devraient susciter des interrogations. Par exemple, le département de la sécurité du territoire national (Homeland Security) est aujourd’hui le pourvoyeur de la majorité des subventions de recherche portant sur le terrorisme aux États-Unis. Or, il est légitime de se demander si le mandat dudit département ne l’inciterai pas à sélectionner les projets de recherche plus susceptibles de conforter ses vues en la matière et de l’aider à mettre en pratique des politiques découlant desdites vues. Bien qu’il soit trop tôt pour statuer sur la question, il serait néanmoins irresponsable de ne pas effectuer un suivi de la situation. Bien que, pour l’instant, cette situation soit l’apanage de la recherche sur la violence politique aux États-Unis, il n’est pas dit que nous ne devrions pas avoir d’inquiétudes similaires au Canada. Dans un contexte où des gouvernements successifs nous chantent depuis quelque temps les louanges de la recherche « stratégique », il est approprié de se demander si ce genre de considération se limitera à identifier les sujets dits « stratégiques » et de s’interroger sur la possibilité d’éventuels dérapages. Avant de clore notre propos, il reste à souligner un deuxième aspect du financement de la recherche dont les conséquences inattendues pourraient contribuer à la détérioration de la situation actuelle. 24 L’Autre Forum : mai 2008 Il s’agit du tarissement des subventions de recherche individuelle, lentement mais sûrement amenuisées, tant en nombre qu’en pourcentage des subventions accordées, par la tendance actuelle au regroupement des compétences dans le cadre d’équipes de recherche, de regroupements stratégiques et de grands travaux de recherche concertée. S’il est vrai que ce genre d’initiatives encourage le réseautage, la mise en commun des compétences et le partage intellectuel, elles peuvent également, dans un contexte tel que décrit plus haut, décourager l’expression des voix dissidentes. En effet, la psychologie sociale, notamment les travaux d’Irving Janis, nous éveille aux dangers de la pensée de groupe (groupthink), qui favorise le consensus, supprime la dissidence et transforme l’autre (dans ce cas les chercheurs ne partageant pas le même point de vue) en stéréotype. *** La marge d’autonomie des chercheurs œuvrant à analyser la violence politique a sensiblement été restreinte par les événements du 11 septembre 2001 et leurs conséquences. Dans un contexte de polarisation idéologique, le chercheur doit souvent naviguer entre les deux titres fort peu enviables de «traître à la nation » ou encore « espion de l’ennemi ». Exercice périlleux et inconfortable, la recherche dans le domaine devient d’autant plus difficile que les conditions d’accès au terrain se compliquent de jour en jour dans ces mêmes endroits « stratégiques » où se joue l’implication de nos gouvernements dans les dynamiques de la violence internationale : Afghanistan, Iraq, Haïti, Israël-Palestine. Il en découle, à notre avis, une responsabilité accrue de poursuivre la recherche, de poser les questions qui dérangent et de naviguer, le plus adroitement possible, cette mer tourmentée semée d’écueils. Plus que toute chose, c’est ainsi que se traduit l’engagement citoyen du chercheur qui alimente nos débats de société et interroge le rapport pouvoir-vérité. AF LA RECHERCHE SOUS INFLUENCE Repenser notre participation aux conférences scientifiques Le rituel des colloques fait à ce point partie des mœurs universitaires qu’on s’aventure rarement à le mettre en cause. Deux repères pour sa révision : l’écologie et l’intégration des nouvelles générations. Valéry Ridde Katia Mohindra Centre de recherche du CHUM Département de médecine sociale et préventive Université de Montréal Chercheure postdoctorale Université de Colombie-Britannique L’Autre Forum : mai 2008 25 ans le système nordaméricain de la recherche, les anciens étudiants au doctorat qui terminent leur stage postodoctoral peuvent, dans le meilleur des cas, postuler pour un poste d’adjoint. Il leur est ainsi possible de devenir soit professeur adjoint, soit chercheur adjoint. Mais pour cela, les Homo academicus, comme les a désignés Bourdieu, doivent faire la démonstration dans leur curriculum vitae que leur potentiel comme chercheur ou professeur est important. Bien que les tâches soient bien différentes entre les deux catégories d’adjoints, les critères qui servent à la sélection des candidats constituent un même système établi : il faut avoir publié beaucoup d’articles, dans des revues dont les facteurs d’impact sont les plus élevés possibles, il faut obtenir et conserver de nombreuses subventions permettant de financer un programme de recherche qui démontre notre capacité de devenir autonomes, et il faut aussi avoir effectué de nombreuses communications, soit sur invitation de collègues, soit dans des colloques, après avoir été sélectionné par un comité scientifique. Nous aurions de nombreuses idées à partager sur tous ces aspects de la carrière d’un chercheur, mais nous nous bornerons à discuter des communications scientifiques – la règle voulant aussi que l’on ne développe pas plus d’une idée centrale par article ! D La place des communications dans la carrière d’un nouveau chercheur Après avoir soutenu notre thèse de doctorat en santé publique dans des universités canadiennes différentes, nous sommes devenus tous les deux de « nouveaux chercheurs ». Nous allons donc maintenant plonger dans un monde universitaire de plus en plus compétitif, aux règles bien établies, dans un système exigeant mais en même temps précaire. Pour accroître nos chances d’obtenir un 26 L’Autre Forum : mai 2008 stage postdoctoral et ensuite un poste universitaire, pour commencer notre carrière et la poursuivre jusqu’au Graal de la titularisation, il apparaît indispensable de participer à des conférences scientifiques. D’où vient cette norme ? Les conseils en ce sens nous sont répétés à la fois par nos formateurs à la recherche, par nos pairs et nos collègues, et par les organismes subventionnaires. Par exemple, le Fonds de la recherche en santé du Québec envoie aux nouveaux chercheurs-boursiers un guide américain 1 sur la carrière de chercheur, dans lequel on nous conseille même un deal : « I learned early on that if you want to be promoted, you need to get a national reputation. This means that you have to be invited to give talks at universities around the country and at national conferences. […] So how do you get these invitations when you’re just starting out ? Well, you can’t be shy. You have friends all over the country who are also young faculty and carrying out work that would be of interest to your department colleagues. Call them up and make a deal : “I’ll invite you if you’ll invite me.” » Les Instituts de recherche en santé du Canada disposent aussi d’un guide à l’intention des nouveaux chercheurs 2, auxquels des conseils ciblés sont prodigués pour réaliser des communications scientifiques. La tendance est d’ailleurs internationale. Ainsi, dans un pays comme la France, où les universitaires sont attachés à une autre tradition, ce mode d’organisation de la recherche gagne du terrain. En témoigne, dans l’introduction d’un ouvrage sur l’épistémologie du politique, un professeur émérite européen qui souligne à quel point les nouveaux chercheurs en voie d’intégration s’épuisent à faire des communications dans des colloques3. Qu’est-ce qui justifie cette exigence du système établi de la recherche? Quatre motifs sont avancés pour nous encourager à participer aux conférences scientifiques : 1) présenter les résultats de nos recherches ; 2) apprendre des communications des autres ; 3) se créer un réseau de contacts ; 4) améliorer notre CV pour obtenir un poste et des subventions. C’est ce que nous avons fait ces cinq dernières années en parcourant le Canada et le monde, de l’Afrique à l’Australie, en passant par l’Europe. Au delà de notre « épuisement », qu’avons-nous retiré de notre participation à ces dizaines de conférences auxquelles nous avons dûment livré des communications ? Évitons d’emblée les descriptions romancées du monde universitaire selon Robertson Davies ou à la David Lodge. Plutôt, nous attirerons l’attention sur certaines lacunes et, dans un esprit constructif, nous formulerons des suggestions certes modestes, mais dont bénéficieront peut-être ceux qui, comme nous, se retrouveront dans quelque temps au cœur de cet univers. Point de déterminisme, donc, dans notre position. À l’instar du « potentiel créatif des individus » de Strauss 4, nous pensons que les acteurs disposent d’une marge de manœuvre dans ce système universitaire décrit par certains comme une anarchie organisée 5. Notre expérience des colloques Pour communiquer des résultats de recherche en très peu de temps devant un auditoire souvent fatigué par sa participation à de multiples conférences ou ateliers parallèles, il faut posséder de réelles compétences oratoires en matière de communication. Or, l’acquisition de ces compétences fait rarement partie des cours et séminaires de formation doctorale. Il faut donc se former seuls, lire les ouvrages consacrés à ce sujet, bien se préparer et répéter ses présentations. L’Acfas 6 a produit quelques guides très utiles en la matière, et il en existe des centaines qui sont mis à la disposition des chercheurs et des étudiants. Ce volet de la diffusion des résultats de nos recherches exige un investissement en temps somme toute important, surtout si on communique dans une autre langue que sa langue maternelle. LA RECHERCHE SOUS INFLUENCE Malgré tout, il faut considérer cet exercice avec modestie, car, même dans les grandes conférences internationales, il n’est pas rare de se retrouver devant un public de moins de 10 personnes. Ainsi, lors d’une conférence mondiale, les cinq présentateurs d’une séance que nous présidions ont fait face à un auditoire composé de… un seul membre ! De surcroît, il arrive bien souvent que la thématique qui a permis de rassembler plusieurs communications dans un même atelier soit plus factice que réelle, le public ayant du mal à en saisir les points communs. Les sessions parallèles étant très nombreuses, les participants sont très dispersés. Comme le financement des déplacements pour participer à ces conférences est souvent conditionnel à l’acceptation d’une communication, les comités de sélection ont tendance à en accepter beaucoup, parfois trop. On ne peut donc tout à fait conclure qu’une communication est excellente parce qu’elle a été sélectionnée. Une fois sur place, il n’est pas aisé de se créer un réseau. Il faut avoir une personnalité particulière pour oser interpeller le professeur de renommée internationale dont les travaux nous intéressent. Et à défaut d’une telle audace, on se retrouvera entre étudiants ou collègues de la même université. Une autre possibilité demeure, qui consiste à demander à certains collègues plus expérimenté d’agir comme courtiers et de nous introduire dans leurs réseaux. La participation à ces conférences à travers le monde peut coûter fort cher – individuellement et collectivement, budgétairement et écologiquement. Les frais d’inscription sont souvent très élevés, et rarement équitables. Les universités n’ont pas toujours de programmes de subvention pour aider ceux et celles qui débutent. Les chercheurs des pays à faible revenu peinent à financer leurs déplacements internationaux et, lorsqu’ils y parviennent, c’est la question du visa qui devient un véritable casse-tête 7. Sur le plan écologique, ces conférences ont des effets parfois catastrophiques 8. Les programmes sont diffusés en version papier, sur des centaines de pages. Les voyages en avion consomment des milliers de litres de carburant. Des sacs, des gourdes, des stylos et autres accessoires sont donnés aux participants, alors que ces derniers n’en ont pas vraiment besoin. Peu d’universitaires se déplacent sans rien pour écrire ! Les matériaux fournis sont loin de respecter l’environnement, sauf dans le cas des conférences qui adoptent une politique « Zéro déchet ». La nourriture n’est pas toujours saine pour la santé, alors que l’on passe des heures sans véritable activité physique. Immuables, les façons de faire ? Le système établi des conférences scientifiques fait que les acteurs universitaires n’ont pas toujours des pratiques exemplaires. Cela est particulièrement frappant dans le cas des chercheurs et des professeurs du domaine de la santé publique, qui sont censés dire aux populations comment améliorer leur santé. Évidemment, nous sommes membres de cette communauté épistémique et participons entièrement à cet état de fait. Aussi, dans l’espoir que les modalités de fonctionnement entourant les communications scientifiques en viennent à évoluer, nous formulons quelques suggestions : Q Réorienter la règle implicite faisant que la quantité de communications présentées dans des conférences scientifiques est actuellement plus importante pour la carrière de professeur et de chercheur que la qualité de ces présentations ; Q Autoriser le financement de déplacements pour participer aux conférences scientifiques sans le rendre conditionnel à l’acceptation d’une communication ; Q Organiser des événement ciblés pour favoriser le contact entre les conférenciers principaux (keynote speakers), les étudiants et les jeunes chercheurs ou professeurs ; Q Organiser des conférences écologiques (eau, papier, alimentation) et saines (alimentation, activité physique) ; Q Offrir des prix d’inscription équitables (en fonction des revenus des personnes, des pays ou des statuts) ; Q Considérer la possibilité de traduire les communications dans d’autres langues que l’anglais afin de mieux partager les connaissances ; Q Prévoir des activités visant la participation du grand public et une diffusion des contenus au-delà du cercle des experts. Espérons que nous serons tous en mesure d’employer les marges de manœuvre dont nous disposons pour susciter le débat autour de ces quelques recommandations. AF 1. Howard Hughes Medical Institute and Burroughs Wellcome Fund, Making the Right Moves. A Practical Guide to Scientific Management for Postdocs and New Faculty, 2e éd., 2006. 2. <http://www.cihr-irsc.gc.ca/f/27491.html> 3. Pierre Favre, Comprendre le monde pour le changer. Épistémologie du politique, Paris, Presses de Sciences Po, 2005. 4. Anselm L. Strauss, La trame de la négociation : sociologie qualitative et interactionnisme, Paris, L’Harmattan, 1992. 5. M.D. Cohen, J.G. March et J.P. Olsen (1991) « Le modèle du “garbage can” dans les anarchies organisées », dans J.G. March (éd.), Décisions et organisations, Paris, Les éditions d’organisations, p. 163-204. 6. <http://www.acfas.ca/outils> 7. Valéry Ridde, E. Gagnon, et M. De Koninck, « Scientifiques avec ou sans frontières ? », Bulletin de santé publique, Association pour la Santé Publique du Québec, septembre 2007. Voir aussi Valéry Ridde, (2008) « Defying boundaries : globalisation, bureaucracy and academic exchange/ À l’épreuve des frontières : globalisation, bureaucratie et échanges scientifiques », Promotion and Education, vol. 15, no 1, 7. Katia Mohindra (à paraître), « Greening public health conferences : Educating ourselves », Health Education Journal. L’Autre Forum : mai 2008 27 LA LIBERTÉ SCIENTIFIQUE EST-ELLE MENACÉE PAR LA PRÉCARITÉ D’EMPLOI ? La recherche sur des bases instables n 2007, le SGPUM publiait un dossier afin d’attirer l’attention sur le problème de la précarité d’emploi des chercheurs dans les universités et les centres de recherche du Québec 1. Les chercheurs en question, pour la plupart rattachés aux facultés de médecine, ont généralement obtenu une bourse salariale d’organismes tels que le Fonds de la recherche en santé du Québec (FRSQ) ou les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), au mérite de leur dossier. Ils participent pour la plupart aux programmes de la catégorie « Bourse de carrière » (aussi appelée « Chercheur-boursier »), conçus pour assurer la continuité dans les recherches et favoriser l’intégration des boursiers à des postes de professeurs réguliers au sein des universités. Pourtant, même après un diplôme de doctorat E et de 12 à 17 années de recherche active cautionnées par l’obtention de bourses salariales très disputées, aucune sécurité d’emploi n’est fermement acquise pour ceux et celles qui font partie, sans contredit, du noyau dynamique de la recherche au Québec. En 2005, dans un mémoire conjoint endossé par la CREPUQ et le FRSQ , les doyens des facultés de médecine de quatre universités québécoises estimaient que 87 chercheurs arriveraient avant 2010 au terme des bourses salariales de carrière – et deviendraient non admissibles – sans avoir obtenu un poste universitaire permanent. À ce chapitre, certaines institutions, dont l’Université de Montréal, font particulièrement mauvaise figure. Le phénomène est d’autant plus préoccupant que la situation perdure, même si elle a été dénoncée à la fois par des organisations syndicales et par La recherche biomédicale en milieu hospitalier : du Pascal Reboul Chercheur agrégé, Faculté de médecine, Université de Montréal ien qu’étant un mécréant, je me permets d’utiliser le vocabulaire ecclésiastique, car ce fut la conclusion après de nombreux échanges avec un confrère : si autrefois on entrait en religion, un chercheur entre en sciences pour assouvir sa passion qui consiste en une soif insatiable de savoir. Souvent le jeune chercheur, la jeune chercheure n’a pas de plan de carrière précis en tête, mais veut uniquement accomplir le travail qui le fascine. La recherche universitaire, n’est-ce pas formidable, et d’autant plus si on est capable de la raccrocher au milieu clinique ! Un mélange de liberté intellectuelle et de participation à former la relève. Ne prend-on pas des étudiants afin de favoriser la construction de leurs connaissances avec l’ultime espoir qu’un jour ils prennent le flambeau ? B 28 L’Autre Forum : mai 2008 Ah pardon, j’oubliais ! La recherche n’est faisable qu’avec de l’argent, et la recherche biomédicale est très onéreuse. Alors que l’enveloppe budgétaire au sein des organismes stagne, le nombre de demandes ne cesse d’augmenter. Conséquemment, la sélection est de plus en plus restrictive et s’éloigne parfois des critères scientifiques pour se rapprocher de critères politiques. En sus, ces mêmes organismes font prévaloir des axes stratégiques, ce qui limite encore davantage la réelle liberté de recherche. Mais revenons à l’étudiant. À quoi sert un étudiant par ces temps de crise ? Même si nous nous voilons la face, nous l’utilisons comme main-d’œuvre peu coûteuse. Peu importe son avenir, pourvu qu’il nous produise des papiers. Combien de chercheurs sont capables de signifier à un étudiant qui amorce un doctorat qu’il se destine à devoir réaliser deux LA RECHERCHE SOUS INFLUENCE la CREPUQ , et malgré la promesse de nouvelles pratiques institutionnelles. Les orientations annoncées dans la foulée de la Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation incitent en outre à croire que le problème de la précarité d’emploi va s’accroître et se transférer dans l’univers éclaté des centres de recherche. En janvier 2006, l’Université de Montréal profitait de l’apport de 184 chercheurs, dont 3 membres de l’Association des médecins cliniciens enseignants de Montréal (AMCEM), 80 membres du Syndicat général des professeurs et professeures de l’Université de Montréal (SGPUM) et 101 non syndiqués bénéficiant d’une bourse salariale administrée par un centre de recherche ou un institut affilié. Parmi l'ensemble de ces chercheurs, seulement 14 avaient reçu une promesse d’intégration dans un Nombre estimé de chercheurs sans poste de professeur régulier universitaire au terme d’une bourse salariale senior du FRSQ, jusqu’en 2010– Mémoire CREPUQ-FRSQ (2005) Université Université Université Université de Montréal Laval McGill de Sherbrooke 40 25 12 10 poste de professeur régulier entre 2007 et 2011… à la condition de toujours répondre aux exigences (subventions, publications, encadrement) au terme de la période d’attente. Les données récentes semblent indiquer que la tendance se maintient, et même qu’elle s’accentue. AF 1. Les chercheurs en milieu universitaire, une force précaire, mai 2007. sacerdoce au chemin de croix voire trois postdoctorats ? Voilà qui soulève un autre élément important de la recherche scientifique : l’éthique. Dans ce contexte, quelle est l’éthique des chercheurs envers leurs étudiants, vis-à-vis de leurs propres recherches et de leurs publications ? Dans un contexte hyper compétitif, continuer à croire qu’un chercheur ne sera jamais enclin à céder à la tricherie intellectuelle ou comportementale est purement utopique. Quelques cas, certes sporadiques, ont déjà été dénoncés hors institution. La perte de fonds a une répercussion similaire pour un professeur et un chercheur en ce qui concerne la perception de soi. Toutefois, le chercheur fait face à une conséquence potentielle d’un tout autre ordre : la perte de fonction, et donc de salaire. C’est à ce moment là que commence le chemin de croix. N’est-ce pas humiliant que d’essayer de justifier votre travail parce que vous n’apportez plus d’argent à votre institution ? N’est-ce pas humiliant que d’être forcé à reconnaître que, malgré la passion qui vous anime encore, vous vous trouvez dans une situation d’échec ? À tort ou à raison, la chercheure ou le chercheur ressent alors un fardeau très lourd à porter. Et ce chemin de croix ne nous conduit pas vers le sommet de la colline, mais vers la descente aux enfers. Ce ressentiment me remémore quelques restes de connaissances latines. « Passion » vient du verbe pati, qui signifie « souffrir ». Pour bon nombre de chercheures et chercheurs, il était difficile d’imaginer que cette racine latine les rattraperait, et pourtant telle est la réalité. Alea jacta est. AF L’Autre Forum : mai 2008 29 Le Conseil de recherches en sciences naturelles et génie du Canada (CRSNG) Conseil d’administration du CRSNG – Membres extérieurs aux universités (en millions de dollars) 958 895 Outre sa présidence, le CRSNG est actuellement composé de 22 membres, dont 3 membres associés représentant les autres conseils subventionnaires (IRSC, CNRC et CRSH), 10 membres provenant d’universités canadiennes et 9 membres issus d’autres milieux. 665,3 Claude Benoit* Budget 2007-2008 : Dépenses en 2006-2007 : Appui aux universités canadiennes en 2006-2007 : En 2006, la R-D universitaire représentait 39 % de toute la recherche menée au Canada, telle que mesurée en fonction des dépenses par le CRSNG. Adam Chowaniec Haig deB. Farris Diane Hébert Mike Lazaridis Eugene McCaffrey Murray McLaughlin* Maurice Moloney* Arlene Ponting Le Programme des Chaires de recherche du Canada Créé en 2000 par le gouvernement du Canada, ce programme permanent visait à établir 2 000 chaires de recherches avant 2008. Voici quelques statistiques au 31 novembre 2007. Contribution totale du Programme : Contribution de la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI) : Centre des sciences de Montréal – Société du Vieux-Port de Montréal inc. (Québec) Tundra Semiconductor Corp. (Ontario) Fractal Capital Corp. (Colombie-Britannique) Consultante (Québec) Research in Motion Ltd. (Ontario) Mississauga, (Ontario) McLaughlin Consultants Inc. (Ontario) SemBioSys Genetics Inc. (Alberta) Science Alberta Foundation (Alberta) *Membres du Bureau du Conseil. Les programmes du CRSNG en 2006-2007 1,76 milliard de dollars (en millions de dollars) Attirer et garder en poste les membres du corps enseignant Chaires de recherche du Canada Chaires de recherche industrielle, autres chaires et programmes d’aide aux membres du corps enseignant Financer la recherche fondamentale Subventions à la découverte Subventions d’outils et d’instruments de recherche (OIR) Subventions d’appui aux ressources majeures (ARM) Financer la recherche dans des domaines stratégiques Financer des partenariats universités-industrie-gouvernement Subventions de recherche et développement coopérative Réseaux de centres d’excellence (RCE) Subventions de réseaux de recherche Ententes de partenariat de recherche Appuyer la commercialisation 24 millions de dollars Nombre total de chaires de recherche du Canada attribuées : 1 851 Nombre de femmes titulaires d’une chaire : 446 (24 %) Nombre d’hommes titulaires d’une chaire : 1 405 (76 %) 145,2 111,2 29,9 440,8 328,3 50,8 24,1 53,1 112,3 47,9 40,2 12,1 4,2 12,0 Les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) Évolution des dépenses par secteur d’activité 1999-2000 Millions $ % 30 Concours ouverts Initiatives stratégiques Subventions d’appui aux Instituts Application des connaissances Chaires de recherche du Canada Réseaux de centres d’excellence 251 24 TOTAL 289 L’Autre Forum : mai 2008 87 8 2004-2005 Millions $ % 448,4 170,7 64,0 24,2 60,6 25,0 8,5 3,5 704,7 2005-2006 Millions $ % 478,1 171,9 13,0 5,4 72,9 27,5 768,8 62,2 22,3 1,7 0,7 9,5 3,6 2006-2007 Millions $ % 487,9 195,8 13,0 3,9 82,2 27,5 810,2 60,2 24,2 1,6 0,5 10,1 3,4 LA RECHERCHE SOUS INFLUENCE Dionysiens et Apolloniens Faut-il tenter d’organiser la recherche scientifique ? Michel Cabanac Professeur, Département de physiologie Faculté de médecine Université Laval a science est le partage de données évidentes puis l’usage de la raison afin d’organiser ces évidences et de nous comprendre nous-mêmes et le monde qui nous entoure. Sur la nature de la science on pourra lire avec profit l’excellent livre de l’astrophysicien JeanRené Roy, Les héritiers de Prométhée 1. La recherche scientifique consiste à accroître la masse de connaissances partageables, d’information objective. Le titre de ce commentaire est emprunté à une lettre du lauréat Nobel de médecine Albert Szent-Györgyi à l’hebdomadaire Science. Szent-Györgyi y rappelle que les termes Apollonien et Dionysien, proposés auparavant par le physicien John Rader Platt 2, décrivent un peu schématiquement les extrêmes de deux attitudes différentes de l’esprit, probablement observables dans chacune des activités humaines, mais présentes tout spécialement dans la recherche scientifique. Les Apolloniens tendent à développer et à perfectionner des lignes de recherche établies, alors que les Dionysiens fondent sur leur intuition et sont ainsi plus susceptibles d’ouvrir des lignes de recherche nouvelles et inattendues. L L’excitante mais peu rassurante incertitude Un exemple de recherche dionysienne vient d’être récemment apporté par le psychologue Seth Roberts de l’Université de Berkeley : hors des sentiers battus et en expérimentant sur lui-même, il a découvert un nouveau régime amaigrissant facile à suivre (donc parfaitement adapté à ces temps d’obésité endémique)3. Cependant ce type de recherche recèle un inconvénient, comme rappelé par Szent-Györgyi lui-même. L’approche dionysienne, y compris l’autoexpérimentation à-la-Roberts, certes favorise la découverte « accidentelle » (chez les esprits bien préparés), mais il est impossible de prédire ce qu’on trouvera, et ce que sera la prochaine question. Cet inconvénient se rencontre même dans le bon cas où la recherche scientifique est pratiquée par des professionnels de recherche euxmêmes, selon des critères stricts et publics. Or, la recherche moderne est généralement coûteuse et ses besoins sont couverts par l’État, c’est-à-dire le contribuable. Il s’ensuit qu’on doit pouvoir constater que l’argent est dépensé «avec parcimonie et à bon escient » 4. Les administrations bailleuses de fonds demandent donc des descriptions détaillées des projets de recherche et des résultats attendus. Ce n’est point ainsi que fonctionne l’esprit dionysien, contrairement à celui de l’Apollonien, qui se plie aisément à ces contraintes. Les Dionysiens sont donc a priori désavantagés dans ce qui reste, à juste titre, une compétition pour l’accès aux subventions de recherche. Une autre distinction entre modalités de recherche est apportée par les prolégomènes à cette recherche. Pardonnez-moi de donner un exemple personnel : encore étudiant, j’ai découvert l’excitation de la recherche scientifique lorsque mon maître, Joseph Chatonnet, m’a proposé un sujet de thèse. Il était arrivé à la conclusion qu’une sensibilité au froid devait exister dans la profondeur du corps et il s’attendait à ce que l’organe sensible se trouve dans l’hypothalamus, à la base du cerveau. L’expérimentation a montré qu’il avait raison. C’est ce que j’appelle la «recherche-pêche-à-la-ligne»: on pense qu’une truite se trouve dans telle fosse de la rivière et on expédie sa mouche juste au dessus; en recherche on a formulé une hypothèse, on pose une question précise, et on monte une expérimentation pour y répondre tout aussi précisément. À ce type de recherche s’oppose la démarche «recherche-pêcheau-chalut » : on racle le fond de la mer, on remonte toutes sortes de sédiments mêlés au poisson ; en recherche, on ne sait pas trop ce qu’on explore, on mesure toutes sortes de paramètres et on calcule les corrélations pour essayer de trouver quelque chose de significatif. La recherche pêche-à-la-ligne est une véritable aventure intellectuelle génératrice d’une excitation joyeuse et sans cesse renouvelée. En effet, un résultat, qu’il soit positif ou négatif, conduit à « voir » d’un œil nouveau le système qu’on étudie. Cette vision nouvelle amène à formuler de nouvelles hypothèses, à L’Autre Forum : mai 2008 31 poser de nouvelles questions et à tenter d’y répondre avec de nouvelles expérimentations. Venons-en aux questions centrales de ce dossier de L’Autre Forum : faut-il tenter d’organiser la recherche scientifique – et comment faut-il, dans cette optique, la subventionner ? Le public non informé a depuis longtemps brocardé la recherche fondamentale. Au siècle dernier, Alphonse Allais 5 faisait rire aux dépens de l’académicien Marey qui étudiait les réflexes de redressement du chat en chute libre. L’auteur aurait été mieux inspiré de s’abstenir, car la curiosité de Marey devait en effet le conduire, en un cheminement typiquement dionysien, à fabriquer le premier appareil de photo à répétition qui permit plus tard l’invention du cinématographe. Notons au passage que la NASA continue l’étude des réflexes de redressement commencée par Marey et qui était l’objet de dérision, mais cette fois chez de jeunes ratons en apesanteur 6. L’invention de la pénicilline puis des autres antibiotiques est due, comme chacun au mieux les besoins de la science et les justes exigences financières des contribuables qui, en définitive, payent pour la recherche. Malheureusement, ces critères mêmes les conduisent à privilégier des projets qui ne sont pas nécessairement les plus fertiles à long terme. En effet, la recherche apollonienne est certaine d’obtenir un résultat, ses méthodes peuvent être décrites avec précision 1. Ce livre a été publié en 1998 par les Presses de l’Université Laval. 2. « Dionysians and Apollonians », dans Science, vol. 176, juin 1972, p. 966. Il faut admirer la déontologie d’Albert Szent-Györgyi, car les termes en question lui ont été inspirés par une simple communication personnelle reçue de John Rader Platt. Une des périodes les plus fécondes de ma recherche fut à Yale, où la multidisciplinarité était systématique. sait, à Flemming. Comment en est-il venu là ? Tout simplement en étudiant la pousse de micro-organismes divers, phénomène en apparence si éloigné de toute application médicale. Il est ainsi possible de répertorier, comme l’a fait dans un ouvrage étonnant l’éminent pneumologue Julius Comroe 7, quantité d’applications qui ont évolué de façon totalement imprévue mais qui trouvent leur origine dans la curiosité de recherches en apparence farfelues. À quoi mène l’un sans l’autre? Les organismes bailleurs de fonds sont certes objectifs et s’efforcent de satisfaire 32 L’Autre Forum : mai 2008 et où la fréquentation quotidienne des zoologistes, des chimistes, des physiciens et des philosophes à proximité stimulait l’imagination créatrice et la curiosité des chercheurs. En arrivant à Laval, j’avais retrouvé un peu la même atmosphère. Au fil des années, avec la politique hospitalière de la Faculté de médecine et le transfert des laboratoires vers des hôpitaux spécialisés, ce terreau s’est hélas quelque peu appauvri. Je connais bien l’environnement hospitalier pour avoir été moi-même chef de service dans une vie précédente. La perspective hospitalière première, et bien évidemment entièrement justifiée, est le soulagement du patient, non la recherche scientifique. La recherche en milieu hospitalier tend inévitablement vers l’application qui, à moyen ou même à court terme, stérilise bien souvent l’imagination créatrice. AF même longtemps à l’avance, car elle fonctionne souvent comme la pêche au chalut. En revanche, la recherche dionysienne pêche le plus souvent à la mouche avec un facteur d’incertitude élevé. On comprend donc la préférence des comités pour le premier type, bien que souvent il s’agisse de recherche systématique de seconde ligne, plutôt que d’avantgarde. La multidisciplinarité suscite la curiosité et fertilise la recherche, asinus asinum fricat. Encore une expérience personnelle : une des périodes les plus fécondes de ma recherche fut à Yale, où la multidisciplinarité était systématique 3. « Self-experimentation as a source of new ideas : Ten examples about sleep, mood, health, and weight », dans Behavioral Brain Sciences, vol. 27, 2004, p. 227-288 ; The Shangri-La Diet. The No Hunger Eat Anything, Weight-Loss Plan, New York, Putnam’s Sons, 2006. 4. Selon le calembour célèbre. 5. La barbe et autres contes, Paris, Éditions 10/18, 1963, p. 182. 6. Rachel Nowak, « NASA’s space biology program shows signs of life », dans Science, vol. 268, avril 1995, p. 497-498 . 7. Julius H. Comroe, Retrospectroscope : Insight into Medical Discovery, Menlo Park, Californie,Von Gehr Press, 1977. LA RECHERCHE SOUS INFLUENCE Le désaccord : les dépenses de santé au Québec 1 Chiffres à l’appui. Vraiment ? Gare au détournement des données quantitatives – un risque que courent sans doute en fait les résultats de toute recherche. François Béland Professeur titulaire, Département d’administration de la santé Faculté de médecine Université de Montréal e 19 février dernier, le Téléjournal de Radio-Canada (Radio Canada 2008) faisait sa « une » avec le rapport du Groupe de travail sur le financement du système de santé (Castonguay et al. 2008). La journaliste Josée Thibault affirmait d’entrée de jeu : « Au Québec, 44 % des dépenses de l’État vont à la santé. » Suivait une déclaration de M. Castonguay dans laquelle il affirmait : « […] on sait qu’il n’y a pas suffisamment de revenus pour financer notre système de santé.» D’où les propositions du Groupe de travail pour mettre à contribution l’utilisateur des services de santé, dont une cotisation annuelle de 100 $ pour une inscription à une clinique de services de santé. Une visite à la Clinique médicale MaisonneuveRosemont nous fait voir une longue file d’attente. Une personne, en entrevue, déclare que « peut-être qu’un 100 $ éviterait d’attendre de longues heures ». Puis, M. Marc de Bellefeuille, administrateur de la clinique, affirme que « le statu quo n’est plus possible ». Une quantité considérable d’information était mise à la disposition des téléspectateurs en quelques minutes. Ceux-ci se trouvaient mis devant les « dépenses de l’État », puis devant le « financement des services de santé ». On nous montrait une clinique médicale en activité pour conclure que le statu quo n’était « plus possible ». Mais, de quelles dépenses de quel État s’agit-il ? Tous les services de santé souffrent-ils des mêmes problèmes de financement ? Quel est le poids des services médicaux ou hospitaliers par rapport aux revenus de l’État ? L Les données et affirmations entendues au Téléjournal du 19 février sont parties prenantes des débats récents sur le financement public des services de santé (Ménard et al. 2005 ; MSSS , 2006 ; MFQ 2007a ; Castonguay et al. 2008). La hausse de 30,6 % à 44,3 % des « dépenses de l’État » consacrées à la santé, illustrée dans un tableau à la fin du reportage, donne le vertige à plus d’un analyste du système de santé du Québec. Mais ces données résistentelles à l’analyse ? Elles le devraient, puisque cette histoire que nous a racontée le Téléjournal repose sur des données tirées des documents budgétaires qui accompagnent le discours du budget du ministre des Finances du Québec. Les dépenses de programme sont obtenues depuis les opérations budgétaires du Fonds consolidé du revenu du gouvernement du Québec (MFQ, 2007b, Tableau J.6). Elles correspondent aux enveloppes de crédits des ministères et aux résultats des opérations des organismes, comptes et fonds spéciaux sous leur responsabilité (Conseil du Trésor, 2007a, Annexe 6.1, p. 76). Mais… Car il y a un « mais ». D’autres sources donnent une autre image du poids des dépenses de santé dans les dépenses de programme du gouvernement du Québec. L’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) publie, en collaboration avec les ministères provinciaux responsables des services de santé, un bilan annuel de leurs dépenses de santé. L’ICIS établit des estimations comparables des dépenses de santé des gouvernements provinciaux et désagrège ces dépenses en plusieurs de leurs composantes, L’Autre Forum : mai 2008 33 dont les sommes consacrées à la rémunération des médecins et aux dépenses des hôpitaux. La collaboration de l’ICIS avec les provinces n’oblige d’aucune façon cet organisme autonome à s’astreindre aux règles comptables que celles-ci s’imposent dans la préparation de leur budget annuel. À titre d’exemple, la figure 1 projette quelques indicateurs des dépenses gouvernementales de santé au Québec 2. La courbe supérieure montre l’évolution des dépenses du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) dans les dépenses de programme du gouvernement du Québec. Les dépenses de programme sont les dépenses totales FIGURE 1. Différentes estimations de l’évolution des dépenses du MSSS, des dépenses de santé et des dépenses pour les médecins et hôpitaux au Québec (1975-1976 à 2006-2007) Sources: Ministère des Finances du Québec, Plan budgétaire 2007-2008*, Tableau J.6 ; Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), Tendances nationales des dépenses de santé**, Série D, Tableau D.1.5.1, Annexe D.1. des opérations budgétaires du Fonds consolidé du revenu moins le service de la dette. On y voit en fin de période le 44,3 % cité par Mme Josée Thibault et l’évolution de 30,6 % à 44,3 % rapportée au Téléjournal du 19 février dernier. Donc, les données du Téléjournal ne correspondent pas à n’importe quelles « dépenses de santé » et « dépenses de l’État » : d’une part, il s’agit des dépenses du MSSS et, d’autre part, des dépenses de programme. La courbe au milieu de la figure 1 représente l’évolution des dépenses de santé sur les dépenses de programme proposée par l’ICIS. Les dépenses de santé du gouvernement du Québec représentaient en 1981-1982, selon l’ICIS , 28 % de ses dépenses de programme ; en l’année financière 20062007, elles en représentaient 32,3 %. Estimations radicalement différentes des précédentes. 34 L’Autre Forum : mai 2008 Enfin, la dernière courbe de la figure 1 trace l’évolution des dépenses pour les médecins et les hôpitaux, rapportée par l’ICIS , en fonction des revenus selon les opérations budgétaires du Fonds consolidé du revenu. Elles se sont maintenues à 25 % des revenus jusqu’en 1994-1995, pour plonger à 19,3 % en 1998-1999, pour remonter à 22,1 % en 2007-2008. Quel est donc le statu quo qui ne peutêtre maintenu et à quoi servirait la cotisation annuelle de 100 $ aux cliniques de santé ? L’histoire des dépenses de santé du gouvernement du Québec racontée dans la presse, dans les documents ministériels (MFQ 2007a) et par les groupes d’étude (Ménard et al. 2005 ; Castonguay et al. 2008) est incompatible avec celle qui ressort des données de l’ICIS. Dans un cas, on présente une hausse continue, dans l’autre, la hausse apparaît récente et bien modeste. Enfin, les dépenses pour les médecins et les hôpitaux représentent une moins grande part des revenus gouvernementaux maintenant qu’il y a une dizaine d’années. Laquelle de ces histoires faut-il retenir ? Existe-t-il des données « scientifiques » blindées qui permettent de choisir l’une plutôt que l’autre ? Quelle est l’utilité de chacune pour comprendre le poids financier que représente la responsabilité de l’administration publique du Québec envers les services de santé ? Le jeu des pourcentages : numérateurs et dénominateurs Pour commencer, quelques notions d’arithmétique. Le poids que les dépenses de santé exercent sur les ressources financières gouvernementales est mesuré par une proportion ou un pourcentage. Dans les deux cas, le résultat est obtenu en utilisant deux données : un numérateur et un dénominateur, soit « l’équation fondamentale des pourcentages ». Poids des dépenses = % = de santé Numérateur Dépenses de santé = Dénominateur Ressources financières Le numérateur est une estimation des dépenses de santé assumées par une administration publique, le dénominateur une estimation des ressources financières dont elle dispose. L’accroissement de la proportion des dépenses de santé sur les ressources financières de l’administration publique dépend de l’évolution de ces deux éléments, laquelle n’est pas toujours en synchronie. Donc, une augmentation du poids relatif des LA RECHERCHE SOUS INFLUENCE dépenses de santé par rapport aux ressources financières peut être le résultat, entre autres possibilités : 1. d’une augmentation plus rapide des dépenses de santé (le numérateur) que des ressources financières (le dénominateur) ; 2. de la stabilité des dépenses de santé combinée à la diminution des ressources financières ; 3. d’une augmentation des dépenses de santé et de la stabilité des ressources financières ; 4. d’une diminution moins rapide des dépenses de santé que des ressources financières. La signification exacte d’une tendance mesurée par une proportion ne peut se saisir que si numérateur et dénominateur sont clairement définis et si leur évolution conjointe est bien comprise. Toutes les interprétations, pessimistes comme optimistes, de l’évolution historique des dépenses de santé des gouvernements par rapport à leurs ressources financières ont leurs sources dans les variations du jeu entre numérateur et dénominateur. chiffre que nous avons utilisé, plutôt que celui des budgets du MSSS, dans l’estimation de la proportion des dépenses de santé sur les dépenses de programme des opérations budgétaires du gouvernement du Québec (figure 2). Les dépenses de santé ont accru leur part dans les dépenses de programme de 30,0 % à 40,8 % de 1970-1971 à 2007-2008. L’accroissement a été lent jusqu’en 1996-1997, pour s’accélérer par la suite. En 2006-2007, les dépenses de santé occupent, dans les dépenses de programme, un poids inférieur de 3,5 % à celui des dépenses du MSSS . Les tendances historiques sont cependant très semblables. FIGURE 2. Les dépenses du MSSS et les dépenses de santé sur les dépenses de programme des opérations budgétaires du Fonds consolidé des revenus du Québec (1975-1976 à 2006-2007) Le numérateur Une question se pose: les dépenses du MSSS reflètentelles les dépenses gouvernementales de santé au Québec ? Les dépenses du MSSS comprennent plus que les dépenses en santé. Par exemple, aux dépenses en services sociaux, le gouvernement du Québec a ajouté en 2007-2008 celles du programme Promotion et développement de la Capitale-Nationale (Conseil du Trésor 2007b, p. 165). Lorsqu’il est question des dépenses gouvernementales de santé ne devrait-on pas chercher à les isoler des autres dépenses du MSSS ? En pratique, il est difficile de séparer les estimations des dépenses de santé de celles des services sociaux et des autres titres de dépenses du MSSS sur la base de l’information contenue dans les documents budgétaires du ministère des Finances du Québec (MFQ) et du Conseil du trésor. L’ICIS se livre à cet exercice en collaboration avec le MSSS. L’organisme applique une définition large des dépenses de santé. Elles incluent l’ensemble des activités qui visent « à améliorer ou à prévenir la détérioration de l’état de santé » (ICIS 2007, p. 63). Les dépenses du MSSS en 2006-2007 étaient de 23 843 millions de dollars (Conseil du trésor 2007b, p. 23 et 165). L’ICIS propose une estimation des dépenses de santé du gouvernement du Québec de 21 951 millions (ICIS 2007, tableau B.4.1). C’est ce Sources: Ministère des Finances du Québec, Plan budgétaire 2007-2008*, Tableau J.6 ; Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), Tendances nationales des dépenses de santé**, Tableaux B.4.1 et D.1.5.1. L’utilisation des dépenses de santé établies par l’ICIS dans le numérateur n’explique qu’une faible part des différences entre l’évolution des dépenses de santé par rapport aux « ressources financières » gouvernementales illustrées à la figure 1. Sauf en ce qui concerne les dépenses en services médicaux et hospitaliers, il faut donc chercher une explication dans le dénominateur. Le dénominateur Le MFQ utilise comme dénominateur les dépenses de programme des opérations budgétaires du Fonds consolidé du revenu du gouvernement du Québec. Dans le cas de l’ICIS, le dénominateur provient des données sur l’administration publique du Québec obtenues du Système de gestion financière (SGF) de Statistique Canada (ICIS, 2007, Annexe D1). L’Autre Forum : mai 2008 35 Les dépenses de programme selon les documents budgétaires du MFQ sont en 2006-2007 de 51 769 millions de dollars (MFQ 2007b, Tableau J.6). Elles correspondent aux enveloppes ministérielles et aux résultats des opérations des organismes, comptes et fonds spéciaux sous leur responsabilité (Conseil du Trésor, 2007a, Annexe 6.1, p. 76). Le SGF divise les opérations budgétaires de l’État du Québec en deux catégories, soit « l’administration publique générale » et « l’administration provinciale ». Les estimations des dépenses de l’administration publique générale incluent les dépenses des ministères selon les opérations budgétaires du MFQ, plus FIGURE 3. Dépenses de programme de l’administration publique du Québec selon trois sources (1975-1976 à 2006-2007) Sources : Ministère des Finances du Québec, Plan budgétaire 2007-2008*, Tableau J.6 ; Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), Tendances nationales des dépenses de santé**, Annexe D.1 ; Statistique Canada, SGF, Tableau des Recettes et dépenses des administrations publiques provinciales et territoriales, février 2007. les dépenses de fonds et organismes spécialisés budgétaires et non budgétaires (SGF , 2004, p. 126). Les budgets correspondants de ces fonds et organismes sont de plus grande dimension que ceux du MFQ . Ils incluent, par exemple, les indemnités sociales aux victimes de la route et aux accidentés du travail. En conséquence, les dépenses de programme de l’administration publique générale du Québec pour l’année financière 2006-2007 sont de 65 041 millions de dollars. L’administration provinciale inclut, en plus des dépenses des administrations publiques générales, les opérations budgétaires des universités et collèges, des établissements de santé et des régimes de retraite non provisionnés. Les dépenses de programme de l’administration provinciale sont de 75 795 millions en 2006-2007. Les données du SGF sur les dépenses gouvernementales de programme 36 L’Autre Forum : mai 2008 divergent considérablement des dépenses de programme des opérations budgétaires du MFQ. À la figure 3, l’évolution des trois estimations des dépenses de programme du MFQ et du SGF est illustrée pour les périodes disponibles. Jusqu’en 1988-1989, les estimations des dépenses de programme selon les opérations budgétaires du Fonds consolidé des revenus (MFQ ) et selon l’administration publique générale (SGF ) ont évolué passablement au même rythme. À partir de 1997-1998, soit au moment de l’entrée en vigueur de la loi sur le déficit zéro et de l’introduction de la réforme de la comptabilité gouvernementale (Fiset et al. 1998 ; MFQ 1999), les estimations du SGF se mettent à croître plus rapidement que celles du MFQ. Les taux de croissance annuels des dépenses de programme sont plus élevés selon les données du SGF (de 5,6 % à 5,8 %) que selon celles du MFQ (4,8 %). L’ICIS, en fonction de sa définition des dépenses de santé (ICIS 2007, p. 72) a choisi d’utiliser les dépenses de l’administration publique générale pour ses estimations des dépenses de programme des gouvernements provinciaux. Les histoires différentes sur l’évolution des dépenses de santé racontées à la figure 1 par le MFQ et l’ICIS reposent presque entièrement sur les dénominateurs. Dans un cas, le dénominateur respecte les conventions du MFQ , dans l’autre cas, il inclut un domaine de responsabilité de l’État beaucoup plus vaste. Là où il y a dépenses gouvernementales, il y a aussi revenus. Le dénominateur utilisé pour mesurer les « les ressources financières » de l’État est habituellement construit depuis les dépenses de programme du gouvernement du Québec. M. Castonguay, au Téléjournal de Radio-Canada du 19 février dernier, mentionnait l’insuffisance des revenus de l’État pour soutenir ses dépenses de santé. Des économistes ont aussi utilisé les revenus pour étudier le poids des dépenses de santé dans les activités gouvernementales (Evans 2007). Les revenus, contrairement aux dépenses de programme, sont une mesure de la capacité et de la volonté des gouvernements provinciaux de mobiliser les ressources financières nécessaires pour mener à bien leurs politiques. À la figure 4, les dépenses de santé du gouvernement du Québec (ICIS 2007, Tableau B.4.1) sont rapportées aux revenus budgétaires (MFQ 2007b) et aux revenus de l’administration publique générale (SGF 2007). LA RECHERCHE SOUS INFLUENCE De 1975-1976 à 1988-1989, les dépenses du MSSS et les dépenses de santé du gouvernement du Québec évoluent en symbiose : elles se maintiennent autour de 30 % des revenus de ses opérations budgétaires. Les dépenses de santé ont continué à représenter 30 % des revenus jusqu’en 2000-2001, puis se sont haussées graduellement jusqu’à 36 % des revenus en 2007-2008. L’accroissement de la part des dépenses de santé dans les revenus des opérations budgétaires du gouvernement du Québec est donc récent. La ligne inférieure de la figure 4 représente les dépenses de santé en fonction des revenus de l’administration publique du Québec obtenus depuis le SGF de Statistique Canada. Les dépenses de santé varient dans une fourchette de 25 % à 30 % ; elles en représentaient 28,1 % en 2006-2007. Il y a là une stabilité remarquable. services médicaux et hospitaliers. Il faut retenir que le gouvernement du Québec a très bien réussi à faire face à la pression croissante des coûts des services médicaux et hospitaliers au cours des 30 dernières années. De la même façon, l’ensemble des dépenses de santé n’a pas posé de problèmes insurmontables pour l’administration publique au Québec. Qu’en est-il de l’avenir ? La projection des dépenses gouvernementales de santé, et de leur poids dans l’ensemble des dépenses et revenus, est une tâche ardue. Elle doit cependant se fonder sur une bonne description des tendances historiques. Nous n’avons pu évoquer ici que quelques aspects de FIGURE 4. Les dépenses du MISS et les dépenses de santé sur les revenus du gouvernement du Québec selon trois sources La responsabilité de l’administration publique du Québec en matière de services de santé Il est possible de raconter plusieurs histoires sur l’évolution des dépenses gouvernementales de santé. Elles dépendent surtout du dénominateur. Quel est le bon ? Les séries du MFQ se rapportent aux activités ministérielles du gouvernement du Québec, celles de l’ICIS réfèrent aux responsabilités envers les services de santé de l’administration publique du Québec. Vaillancourt et Morand Perrault (2007), dans un document remis au Groupe de travail Castonguay, soulignaient que le débat public sur les services gouvernementaux de santé porte sur l’ensemble de la responsabilité de l’administration publique relativement à ces services, et non pas sur les dépenses d’un ministère du gouvernement du Québec, aussi important soit-il. Voilà un argument en faveur de l’histoire racontée par l’ICIS et le SGF, plutôt que de celle du MFQ. Les dépenses gouvernementales de santé embrassent un domaine large. Les dépenses en services médicaux et hospitaliers n’en sont qu’une partie, et une partie décroissante. Or, ces services sont les seuls pleinement couverts par le régime d’assurancesanté public et universel. Il y a donc quelque chose de faux dans la démonstration qui consiste à invoquer les dépenses du MSSS, et leur évolution, pour établir l’existence d’une impasse budgétaire gouvernementale et promouvoir le financement privé des Sources: Ministère des Finances du Québec, Plan budgétaire 2007-2008*, Tableau J.6 ; Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), Tendances nationales des dépenses de santé**, Tableaux B.4.1 ; Statistique Canada, SGF, Tableau des Recettes et dépenses des administrations publiques provinciales et territoriales, février 2007. cette histoire et souligner combien il était difficile d’en informer le public. Les données, aussi fondées soient-elles, seront toujours soumises à interprétation. Là est le nœud de la question ! AF * Accessible en ligne : www.budget.finances.gouv.qc.ca/ budget/2007-2008a/fr/documents/pdf/PlanBudgetaire.pdf (consulté le 6 Juillet 2007). ** Accessible en ligne : http://secure.cihi.ca/cihiweb/ dispPage.jsp?cw_page=download_form_f&cw_sku=4532&c w_ctt=1&cw_dform=N&cw_ord=2 (consulté le 6 juillet 2007). 1. Ce texte est largement inspiré du chapitre 7 de F. Béland, A.P. Contandriopoulos, A. Quesnel-Vallée et L. Robert, Le privé dans la santé : un débat sans fin ?, sous presse aux Presses de l’Université de Montréal. 2. En 2007, l’ICIS et le MSSS ont révisé d’un commun accord les procédures d’estimation des dépenses de santé et appliqué la nouvelle méthode aux données de 1997 et des années suivantes (ICIS 2007, p. 92-93 ; MSSS 2008). La discontinuité est indiquée dans les figures, et les séries chronologiques doivent être interprétées avec prudence. L’Autre Forum : mai 2008 37 Références Castonguay, C., Marcotte, J. et M. Venne (2008). En avoir pour son argent. Rapport du Groupe de travail sur le financement du système de santé. Québec : Ministère des Finances du Québec <http://www.financementsante.gouv.qc.ca/fr/rapport/pdf/ RapportFR_FinancementSante.pdf> (site consulté le 17 avril 2008). Conseil du Trésor (2007a). Budget des dépenses 2007-2008, Volume III, Plans annuels de gestion des dépenses des ministères et organismes. Québec : Conseil du trésor <http://www.tresor.gouv.qc.ca/fr/publications/budget/ 07-08/Volume_III.pdf> (site consulté le 17 avril 2008). Conseil du Trésor (2007b). Budget des dépenses 2007-2008, Volume II, Crédits des ministères et organismes. Québec : Conseil du trésor <http://www.tresor.gouv.qc.ca/fr/publications/budget/ 07-08/Volume_II.pdf> (site consulté le 17 avril 2008). Evans, R. (2007). « Economic myths and political realities : The inequality agenda and the sustainability of Medicare ». Dans B. Campbell et G. Marchildon. Medicare: Facts, Myths, Problems, Promise (p. 133-155). Toronto : James Lorimer & Company. 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Voilà des habiletés que les conditions actuelles de la recherche universitaire appellent à acquérir. Bryn Williams-Jones Professeur adjoint, Programmes de bioéthique Département de médecine sociale et préventive Université de Montréal l existe une préoccupation croissante de la part des professeurs, des administrateurs et des gouvernements quant à l’occurrence de conflits d’intérêts (CI) dans la recherche universitaire. La crainte est que les CI dans l’université – qui menacent l’objectivité scientifique, l’impartialité et la crédibilité des décisions – se traduiront par une perte de confiance du public et saperont le statut social privilégié des universités. Pour promouvoir l’objectivité et l’intégrité de la recherche, et pour éviter ou mieux gérer les CI , les universités en Amérique du Nord et en Europe ont mis au point un large éventail de politiques, contrats et commissions. Mais que ces mécanismes de gouvernance soient capables de répondre à ce défi est loin d’être clair. I Qu’est-ce qu’un conflit d’intérêts ? Un conflit d’intérêts peut être défini comme suit : « […] a situation in which a person has a private or personal interest sufficient to appear to influence the objective exercise of his or her official duties as, say, a public official, an employee, or a professional 1. » Plus précisément, dans le cas de la recherche universitaire, un CI peut se poser avec « any factor that might tend to undermine a competent researcher’s ability to make scientifically reliable judgments concerning research strategy, evidence or conclusions 2 ». Ces facteurs sont compris comme incluant non seulement les intérêts financiers, mais aussi toute la gamme des facteurs personnels ou psychologiques qui peuvent influer sur son jugement (par exemple, la fierté personnelle, le prestige, la compétitivité). Ces conflits peuvent être qualifiés de réels ou de potentiels (c’est-à-dire un conflit d’intérêts actuel ou une situation qui menace de se transformer en conflit d’intérêts), ou d’apparents (c’est-à-dire perçus comme des conflits, qu’ils soient réels ou potentiels). Parce qu’ils peuvent miner la confiance, même des CI apparents risquent de faire des dommages importants aux réputations individuelles et institutionnelles. Les CI les plus évidents sont le fait de situations dans lesquelles les chercheurs ont des intérêts financiers ou personnels qui semblent susceptibles d’influencer l’exercice objectif de leurs fonctions officielles, soit en tant que contributeurs à l’ensemble des connaissances partagées, soit comme éducateurs. Particulièrement préoccupant est le potentiel de CI qui résulte du financement privé de la recherche, que ce soit sous la forme de contrats de recherche L’Autre Forum : mai 2008 39 ou de participation dans des entreprises dérivées. Parmi les exemples notables de CI, on inclura les cliniciens scientifiques ayant des intérêts – frais de recrutement des patients, actions dans les sociétés soutenant les études cliniques, etc. – susceptibles d’affecter le jugement médical et représentant un risque pour la sécurité des patients ou des participants aux essais cliniques. Plus généralement, ces intérêts peuvent menacer la qualité Gérer les conflits d’intérêts La méthode la plus courante pour résoudre un CI (qu’il soit réel, potentiel ou apparent) est d’exiger la divulgation des intérêts. L’idée est qu’une fois que les intérêts de la personne sont transparents pour les autres parties prenantes (par exemple, dans un processus de prise de décision ou de publication dans une revue académique), il devient alors possible pour les autres d’équilibrer ou de juger Beaucoup de personnes et de politiques supposent qu’un CI est le résultat d’une corruption… et l’objectivité des publications savantes, une préoccupation considérée comme suffisamment grave pour que de nombreuses revues scientifiques exigent maintenant des déclarations explicites de CI. Les institutions peuvent aussi rencontrer des CI lorsque, par exemple, les administrateurs se sentent poussés à soutenir les priorités commerciales, au détriment de la liberté académique ou des responsabilités professionnelles. Dans leur forme extrême, les pressions commerciales – par exemple, pour protéger les intérêts et investissements de l’industrie – ont abouti à des évaluations éthiques « accélérées » qui manquent de rigueur, à la suppression des résultats de recherche négatifs, au bâillonnement de chercheurs et à l’absence de protection des chercheurs universitaires devant l’influence des entreprises ou des contestations judiciaires de partenaires industriels3. Il faut reconnaître, toutefois, que les CI ne sont pas intrinsèquement contraires à l’éthique ; les arrangements institutionnels peuvent parfois rendre le CI probable, voire inévitable. Ce qui est alors important, éthiquement, est que les individus et les institutions aient à leur disposition les outils nécessaires pour faire face aux CI lorsqu’ils surviennent. 40 L’Autre Forum : mai 2008 les déclarations et décisions prises par une personne à la lumière de ses intérêts. Éthiquement, il y a ici un parallèle avec la notion de consentement éclairé. Cependant, dans certains cas, la divulgation ne peut servir qu’à minimiser l’importance de ce qui est en fait un grave conflit, ou fournit insuffisamment d’information pour permettre à d’autres parties, dans un processus de prise de décision, d’évaluer avec réalisme le risque de partialité. Il est généralement reconnu que de nombreux CI sont suffisamment graves (par exemple, dans les cas impliquant des intérêts financiers importants) pour que leur influence ne puisse être résolue de façon fiable par la divulgation, par un audit ou par une révision. Dans de telles situations, la seule résolution plausible est que la personne en CI se retire complètement du processus décisionnel. Comme d’autres grandes organisations (entreprises, ministères gouvernementaux, etc.), les universités ont réagi aux défis posés par les CI en promulguant des politiques et des directives. Aux États-Unis, par exemple, l’introduction des politiques de CI universitaires a été motivée en partie par la réglementation fédérale, qui oblige tous les établissements de recherche recevant un financement fédéral à établir des politiques et procédures relatives aux CI . Tous les membres du corps professoral des universités en quête d’un financement du US Public Health Service (ce qui inclut les National Institutes of Health et la National Science Foundation) sont tenus de déclarer tous significant financial interests qui pourraient causer ou semblent causer une partialité de la recherche financée par les fonds publics. Ces règlements prévoient une structure générale et des normes minimales pour les protocoles universitaires de CI ; plus de 70 % des institutions de recherche américaines ont mis en œuvre des politiques qui vont au-delà des exigences minimales du gouvernement fédéral, bien qu’elles varient encore largement dans leurs formes et dans leurs contenus 4. À l’instar de leurs homologues américains, la plupart des universités canadiennes ont élaboré des lignes directrices sur l’intégrité scientifique et l’éthique de la recherche, ainsi que des politiques plus focalisées sur les CI . Ces politiques, toutefois, ne sont pas uniformément ou complètement réglementées par les législations provinciale ou fédérale, qui définissent des normes minimales communes 5. Une exception est la gestion des CI liés à la recherche sur les sujets humains, qui est régie par des lois provinciales et des politiques nationales telles que l’Énoncé de politique des trois conseils : Éthique de la recherche avec des êtres humains. Il y a aussi eu des initiatives visant à fournir de manière coordonnée et systématique des conseils aux universités afin qu’elles mettent au point des politiques de CI. Mais les politiques universitaires de CI sont encore assez diversifiées dans leur portée et leur contenu, et elles sont souvent inadéquates dans la pratique. Même les meilleurs documents de gouvernance manquent de spécificité et ont des lacunes sur le plan des politiques et des processus, et ils sont aussi susceptibles d’être mal compris ou tout simplement ignorés. LA RECHERCHE SOUS INFLUENCE Cette situation soulève des questions élémentaires. Est-ce que les politiques de CI universitaires sont accessibles et compréhensibles ? À qui s’appliquent ces politiques – aux professeurs, au personnel, aux étudiants ? Est-ce que le CI est clairement défini dans les politiques et procédures qui sont établies pour éviter de telles situations ou y remédier ? Afin de commencer à aborder ces importantes questions d’éthique et de gouvernance, j’ai procédé, en 2006, avec un collègue à l’Université Saint Mary’s à Halifax, le Dr Chris MacDonald, à une étude des principales politiques de CI au sein du Groupe des treize (G13) 6 universités de recherche canadiennes 7, ainsi qu’une étude de cas détaillée de l’environnement politique à l’Université de Montréal 8. En utilisant des outils en ligne d’analyse de lisibilité et une analyse éthique de contenu, nous avons comparé les points forts et les faiblesses des politiques de CI des universités canadiennes, avec une attention particulière à leur clarté et à leur lisibilité, ainsi qu’à leur utilité apparente dans l’explication et la gestion des CI . Nous nous sommes trouvés devant une grande diversité de documents : des déclarations très générales de principe, de brèves discussions sur des CI insérées dans d’autres textes (par exemple, dans des lignes directrices sur l’éthique de la recherche ou l’intégrité scientifique), et enfin des politiques de CI universitaires pour le personnel académique et non académique, les chercheurs et les étudiants. Alors que la plupart de ces politiques – mais pas toutes – tendaient à inclure au moins une définition de ce qui constitue un CI , quelques exemples clés et une explication des procédures appropriées pour éviter ou atténuer les situations de CI , leur utilité pratique était discutable. La majorité était encline à se concentrer presque exclusivement sur les CI financiers, sans accorder d’attention à l’effet potentiel d’autres intérêts, comme le prestige ou le désir de bénéficier d’une promotion dans la carrière universitaire. Un bon nombre des politiques de CI ont également été très difficiles à comprendre à cause de leur langage légaliste, du fait que les définitions n’étaient pas toujours claires, que les procédures n’étaient pas bien expliquées, et parce que peu de ces documents fournissaient des liens vers de l’information supplémentaire concernant les CI. Enfin, ces politiques sont également susceptibles d’avoir une faible visibilité chez les professeurs et le personnel ; bien que disponibles en ligne, certaines demeurent difficiles à trouver. Ce qui est plus important, c’est qu’il est probable que de nombreux professeurs et membres du personnel ne soient même pas au courant de la politique de leur université en matière de CI, soit parce que cette politique n’est pas incluse dans le matériel introductif remis aux nouveaux employés, soit parce que sa présentation se limite à une procédure officielle telle que la déclaration annuelle de CI – c’est le cas à l’Université de Montréal. Un facteur aggravant est que beaucoup de personnes et de politiques supposent qu’un CI est le résultat d’une corruption et non de processus inconscients ou involontaires, qui donc ont un effet même sur les personnes les mieux intentionnées. Vers une culture d’éthique de la recherche Beaucoup de problèmes liés aux CI proviennent vraisemblablement de personnes ayant une mauvaise compréhension des directives et des procédures institutionnelles pertinentes, et de la conviction qu’ils peuvent gérer les CI par leurs propres moyens. Les politiques devraient aider la communauté universitaire à comprendre les contextes dans lesquels se produit un CI (par exemple, la réalité de la recherche ou de l’enseignement dans les divers départements universitaires). Elles devraient de surcroît habiliter ses membres à discerner le type et la gravité d’un CI (par exemple, sur le plan financier ou du prestige académique, ou encore des relations familiales), puis à choisir les réponses appropriées (c’està-dire la divulgation, le retrait ou l’évitement). Comme dans le cas d’autres problèmes éthiques complexes, les politiques ne peuvent apporter qu’une solution partielle lors d’un CI universitaire. D’autres mécanismes, comme l’éducation et la discussion au sujet des normes et des valeurs de l’université, seront des moyens importants pour promouvoir une culture d’éthique de la recherche 9. Néanmoins, de bonnes politiques de CI sont des étapes évidentes et importantes qui nous amènent dans la bonne direction. AF 1. C. MacDonald, M. McDonald et W. Norman, « Charitable conflicts of interest », Journal of Business Ethics, vol. 39, nos 1-2, 2002, p. 67-74. 2. M. Davis, Ethics and the University, Londres, Routledge, 1999. 3. A. Schafer, « Biomedical conflicts of interest: A defence of the sequestration thesis – learning from the cases of Nancy Olivieri and David Healy », Journal of Medical Ethics, vol 30, no 1, 2004, p. 8-24. 4. E.A. Boyd, S. Lipton et L.A. Bero, « Implementation of financial disclosure policies to manage conflicts of interest », Health Affairs, vol. 23, no 2, 2004, p. 206-214. 5. U. Ogbogu, « The regulation of conflicts of interest in the Canadian stem cell research environment », Health Law Review, vol. 16, no 2, 2007, p. 41-55. 6. L’Université d’Alberta, l’Université de Colombie-Britannique, l’Université de Calgary, l’Université Dalhousie, l’Université Laval, l’Université McGill, l’Université McMaster, l’Université de Montréal, l’Université d’Ottawa, l’Université Queen’s, l’Université de Toronto, l’Université de Waterloo et l’Université de Western Ontario. 7. B. Williams-Jones, B. et C. MacDonald, « Conflict of interest policies at Canadian universities: Clarity and content », Journal of Academic Ethics, vol. 6, no 1, 2008, p. 79-90. 8. V. Couture, E. Smith et B. Williams-Jones, Rapport sur les conflits d’intérêts à l’Université de Montréal : éthique, pratiques et politiques, Montréal, Comité sur les conflits d’intérêts à l’Université de Montréal, 2007. 9. M.M. McDonald et B. Williams-Jones, « Governance and stem cell research: Towards the clinic », Health Law Review, vol. 16, no 2, 2007, p. 27-40. L’Autre Forum : mai 2008 41 Nouvelles de l’Assemblée Denis Monière, professeur titulaire, Département de science politique, membre de l’Assemblée universitaire La démocratie serait-elle mieux servie par le vote électronique? L’Assemblée universitaire a été placée devant un grave dilemme cet hiver. Encore une fois, nous avons dû prendre part à de longs débats pour résoudre un problème posé par l’imagination juridique du rectorat, comme si on s’ingéniait à vouloir changer les règles du jeu alors que personne n’avait manifesté d’insatisfaction. Certains loustics pourraient même se demander si l’on ne provoque pas à dessein de faux débats pour éviter de discuter des questions plus essentielles. Quoi qu’il en soit, la direction de l’Université nous a proposé d’adopter l’utilisation d’une machine à voter pour remplacer le vote à main levée. Ne reculant pas devant la dépense pour se donner des airs de modernité, la DGTIC a investi dans des bidules électroniques qui permettent d’enregistrer les votes et de les compiler instantanément. On avait même réservé une partie de la séance du 18 février 2008 pour nous en faire la démonstration. Malheureusement, le système s’est avéré erratique, complexe à opérer, et finalement l’expérience a tourné en eau de boudin au grand dam de nos administrateurs. Deux arguments ont été invoqués pour justifier cette innovation. Le vote électronique était avantageux parce qu’il systématisait le vote secret, qui fut une des La votation sous toutes ses formes En complément à cette chronique, L’Autre Forum fait un bref survol des multiples modes de votation utilisés par différents types d’assemblées ou organisations publiques. Dans la plupart des assemblées, le mode de scrutin ordinaire est le vote à main levée ou son équivalent électronique. Il arrive que l’on ait recours au mode assis et levé, qui facilite le comptage. Il est parfois précisé que seuls le nombre de votants et le nombre de suffrages sont insérés dans le procèsverbal ; dans ce cas, le détail nominatif est consultable par les membres de l’assemblée, mais n’est pas diffusé. 42 L’Autre Forum : mai 2008 Certaines assemblées prévoient un scrutin public – au moyen d’un bulletin identifié, d’un vote électronique ou autre – qui s’impose de droit pour certaines matières ou qui résulte d’une procédure de demande par une proportion déterminée de membres. Le sens du vote de chaque membre est alors connu et le détail nominatif est publié. Ce mode de scrutin peut s’effectuer par appel nominal. Le scrutin secret – par bulletins fermés ou par vote électronique – s’impose en général de droit lorsqu’il s’agit de nominations. La plupart des assemblées prévoient une procédure de demande par une proportion déterminée des membres présents. Plusieurs assemblées prévoient un mode prépondérant – public ou secret – si une demande de scrutin public et une demande de scrutin secret sont présentées simultanément. Le vote électronique peut donc être utilisé quel que soit le mode de scrutin. Son usage n’en demeure pas moins controversé. Parmi les inquiétudes qu’il soulève, notons sa vulnérabilité aux manipulations technologiques, la difficulté de vérification et de détection des erreurs, et l’incertitude quant aux garanties d’anonymat, quand celui-ci est recherché. Voici quelques références : Une revue de presse mise à jour sur le vote électronique : <http://del.icio.us/padawan_ paris/vote_electronique> Chantal Enguehard, Transparency in Electronic Voting: the Great Challenge : <http://www.sciences. univ-nantes.fr/info/perso/ permanents/enguehard/ perso/IPSA_RC10_2008.pdf> Joseph A. Calandrino, J. Alex Halderman et Edward W. Felten, Machine-Assisted Election Auditing, Center for Information Technology Policy and Dept. of Computer Science, Princeton University, 2007 : < http://itpolicy. princeton.edu/voting/ audit07full.pdf> grandes conquêtes de la démocratie. Ensuite, il évitait d’avoir à compter les mains levées, ce qui devait accélérer le déroulement des séances de l’Assemblée. Mais ces arguments n’avaient que l’apparence du bon sens et ne passèrent pas l’examen de la critique philosophique et politologique. Le vote secret est l’apanage des choix collectifs qui visent l’élection de représentants par le corps électoral. Il est normal que, lorsque le citoyen doit se prononcer sur des personnes, il puisse le faire de façon secrète. Il s’agit alors d’assurer le respect de sa liberté de conscience et de choix, en évitant qu’il soit soumis à des influences indues. On suppose que certains candidats pourraient exercer des pressions morales, financières ou autres pour forcer des électeurs à voter en leur faveur. Mais dans le cadre des assemblées délibérantes, qui regroupent des représentants élus des diverses composantes d’une communauté, le vote secret n’est pas approprié. La prise de position doit au contraire se faire publiquement, au vu et au su de tous. Cette exigence est même nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie, et ce, pour deux raisons. D’abord, le vote à main levée oblige le représentant à se sentir responsable de ses décisions. Sachant que son vote sera connu, il doit s’impliquer dans le débat, se forger une opinion et être en mesure de l’expliquer et de la défendre devant l’assemblée et devant ses commettants. Si le vote n’était pas connu, le représentant n’aurait pas cette motivation à participer activement à la délibération et pourrait se comporter de façon arbitraire, c’est-à-dire voter en fonction de son intérêt personnel ou en fonction de critères irrationnels. Le caractère public du vote favorise donc la qualité des délibérations. Savoir qui a voté pour quoi est aussi indispensable aux électeurs, qui ont besoin d’information pour fonder le choix de leurs représentants. Comment pouvons-nous élire des personnes qui nous représentent vraiment si nous ne savons pas ce qu’elles ont pensé, dit et fait dans leur fonction de représentant ? La personne qui est élue pour participer à une assemblée délibérante doit en principe servir les intérêts de ses commettants, refléter leurs problèmes et préoccupations, et voter au meilleur de sa connaissance en faveur des propositions qui tendent à satisfaire leurs besoins ou contre celles qui les désavantagent. Si le vote était secret, comment le citoyen pourrait-il évaluer les décisions de celui qui le représente ? Le vote à main levée produit cette information indispensable au choix démocratique du citoyen. C’est d’ailleurs ce type de vote qui est pratiqué dans les parlements. Ce qui vaut pour un parlement devrait aussi valoir pour une assemblée universitaire. Cette logique est d’autant plus imparable que le vote secret peut aussi être pratiqué dans des assemblées délibérantes, lorsqu’il s’agit d’élire des personnes ou encore lorsque des membres de l’assemblée le demandent, sur des sujets délicats ou épineux. Il n’y a donc aucune raison de généraliser l’usage du vote secret, qui s’avérerait nuisible à la transparence des décisions de l’Assemblée universitaire. L’autre argument concernant la rapidité des résultats ne tient pas plus la route et pose des questions de fiabilité. Les machines à voter ne sont pas infaillibles, comme on a pu le constater en Floride aux élections présidentielles de 2000. Le cafouillage a donné la victoire à un président qui ne la méritait pas. On n’a pas été en mesure de faire un recomptage exhaustif, et il y a eu de longs délais pour finaliser le choix, qui a été fait en dernière instance par la Cour suprême. Ce type d’incident se produit fréquemment. On en a eu une illustration supplémentaire aux élections municipales de Montréal, le 13 octobre 2006, alors que 45 000 votes furent enregistrés deux fois et que la transmission des résultats fut considérablement retardée. Avec ce système, l’électeur ne peut vérifier si le vote enregistré correspond au vote exprimé. Il ne peut non plus participer au dépouillement, puisque l’ordinateur fonctionne en totale opacité. Voilà quelques-unes des raisons pour lesquelles nous nous sommes opposés à l’introduction des machines à voter à l’Assemblée universitaire. L’innovation en question représente beaucoup plus un péril qu’un progrès pour la démocratie. AF L’Autre Forum : mai 2008 43 SGPUM Info Renouvellement de la convention collective La convention collective du SGPUM arrive à échéance le 31 mai 2008. Un comité de préparation à été à l’œuvre pour mettre au point un projet de négociation d’une nouvelle convention collective pour la période 2008-2011. Adopté à l’Assemblée générale du 16 avril 2008, le projet dresse un portrait de la réalité vécue par les professeurs et professeures, et identifie les besoins, les principaux enjeux et les pistes de solution. Parmi les grands objectifs figurent des améliorations à divers chapitres, à réaliser sur une période de trois ans. En voici quelques-unes : l’ajout de 150 postes de professeurs aux 1 260 postes actuels et la fixation d’un plancher d’emploi (nombre minimum de postes de professeur occupés ou octroyés au 1er juin de chaque année) ; la reconnaissance des activités professorales d’enseignement, en particulier la comptabilisation de la charge d’encadrement des étudiants aux cycles supérieurs ; une allocation interne de recherche ; le plan de carrière et l’intégration des chercheurs ; les indexations Samir Saul, premier vice-président du SGPUM salariales annuelles et le rattrapage salarial par rapport à la moyenne du G10 (le groupe des dix grandes universités de recherche au Canada). Le 14 mai 2008, le Conseil syndical a élu un comité de négociation dont la fonction sera de rencontrer les représentants de la direction pour arriver à une entente au sujet des améliorations recherchées. Mémoire sur les espaces En février 2008, le SGPUM publiait un mémoire intitulé En quête du meilleur scénario possible pour la préservation et l’essor durable du campus de l’Université de Montréal. Ce mémoire a été présenté dans le cadre de la consultation sur le Plan directeur des espaces de l’UdeM – Phase B. Ce Plan consiste principalement à établir un second campus de l’Université de Montréal sur le site de la gare de triage d’Outremont, acheté en mars 2006, et à y déplacer des unités. correspond aux besoins réels de l’Université de Montréal. On ignore si la charge financière sera supportable ou si elle compromettra le développement d’ensemble de l’institution. Trop d’incertitudes entourent ce vaste chantier, impliquant des choix coûteux et irréversibles. L’immensité du projet par rapport aux besoins et aux ressources soulève de sérieuses inquiétudes pour l’avenir de l’Université de Montréal et pour sa mission. Le mémoire du SGPUM indique que les mérites du scénario de deux campus n’ont pas été démontrés. Tout porte sur le long terme, ce qui ne répond pas aux besoins urgents d’espace de certaines unités. On ne sait pas si cette « approche démesurée » Le mémoire du SGPUM propose un autre scénario, basé sur le développement de l’Université de Montréal sur son campus actuel. Avec comme ligne directrice la réalisation de la mission universitaire, il suggère un programme de réalisations viables, comportant la préservation du patrimoine bâti dans une optique de développement durable. Le mémoire se termine par dix recommandations concrètes. Information sur les finances de l’Université de Montréal Au cours de l’année, le Groupe de réflexion ad hoc sur le budget et les états financiers (GRABE) a produit des chroniques dans lesquelles il analysait en profondeur la situation financière de l’Université de Montréal et les orientations budgétaires actuelles. Ce minutieux travail est d’autant plus nécessaire que les documents financiers de l’institution sont hermétiques et que les réponses obtenues à l’Assemblée universitaire n’éclairent pas suffisamment la communauté universitaire sur les choix effectués et les virements opérés entre les divers fonds. Entre autres, le GRABE s’est intéressé au service de la dette et aux causes du déficit accumulé, ainsi qu’au rôle des dépenses immobilières dans ces deux postes. La situation de sous-financement des universités, tout comme les déboires auxquels s’exposent les universités qui s’engagent dans des aventures immobilières, rend encore plus importantes une gestion saine des ressources et leur utilisation prioritairement aux fins de l’enseignement et de la recherche.